17/05/2020

Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain

Dans une lettre ouverte aux députés et sénateurs, la coordination nationale Eaux & rivières humaines demande une ré-orientation de la politique de l'eau dans le monde d'après la crise du covid-19. Il s'agit non seulement de stopper certaines mesures contre-productives et coûteuses, comme la destruction des patrimoines des rivières, mais aussi d'engager de manière systématique les diagnostics critiques faisant défaut aujourd'hui. Objectif: ré-orienter l'expertise publique et riveraine sur des enjeux stratégiques et des données permettant de prendre les bons choix. Trois bilans doivent être menés sur les bassins versants : hydrologie (ressource en eau, sécheresses et crues), carbone (prévention du changement climatique) et biodiversité (inventaire des milieux sauvages comme anthropisés, sans a priori). Ces bilans ne sont pas faits aujourd'hui, ou de manière très incomplète voire biaisée, ce qui conduit à une dispersion des moyens, parfois à de mauvais choix. Extraits.


Pour une vision de long terme sur les enjeux essentiels : 3 bilans stratégiques à mener sur chaque bassin versant

Sur le long terme, nous devons ré-arrimer la politique de l’eau aux défis majeurs et aux risques systémiques. Nous proposons de réaliser 3 bilans essentiels sur toutes les rivières pour faire les bons choix et préparer l’avenir, à travers les outils d’évaluation et programmation que sont les SDAGE et les SAGE.

1) Bilan hydrologique pour la protection durable de la ressource en eau. Chaque bassin versant doit avoir une estimation complète de sa ressource en eau utile de la source à l’exutoire, ainsi qu’une analyse critique des risques (sécheresse, crue). En particulier, le volume stocké dans les plans d’eau et canaux doit être calculé et leur rôle local de diffusion de l’eau dans les compartiments (nappe, sol, végétation) évalué. Cela n’est pas fait aujourd’hui : soit les estimations sont inexistantes, soit elles sont grossières et ne permettent de faire différentes hypothèses pour 2050 et 2100, ni de tenir compte des réalités de la circulation de l’eau. En particulier, aucun chantier ne peut être engagé s’il abaisse la capacité à retenir l’eau tout au long de l’année ou à ralentir les ondes de crue. Les préfets ne doivent plus autoriser les travaux de destructions d’ouvrages ou d’ouvertures contraintes de vannes qui accentuent le déficit hydrique.  Sur certaines rivières où quasiment tous les ouvrages ont été démolis au nom de la continuité écologique, il n’y a plus que des assecs en été et les crues sont plus violentes en hiver ou au printemps.
Objectif : la gestion quantitative et qualitative de l’eau doit augmenter la rétention d’eau pour affronter les sécheresses et la diversion d’eau pour atténuer les crues. 

2) Bilan carbone de toutes les programmations, règlementations et lois sur l’eau. 
Le Haut Conseil pour le climat a demandé que toutes les politiques publiques soient assorties d’un bilan carbone. Aujourd’hui, la loi sur l’eau (2006), les SDAGE et les SAGE ne comportent pas de tels bilans carbone. Cette carence nous prive d’une vue à long terme sur la prévention du réchauffement climatique. En particulier, les politiques publiques de continuité ont conduit à détruire des barrages hydro-électriques en activité, à décourager voire refuser les équipements des ouvrages existants, à effacer des sites à potentiel d’équipement, à dissuader les porteurs de projets d’investissement. Ces chantiers de démolition d’ouvrage ont un bilan carbone déplorable non seulement dans leur exécution, mais aussi dans leur effet à court et à long termes.
Objectif : la politique de l’eau doit exploiter le potentiel d’énergie bas-carbone et améliorer le bilan carbone.

3) Bilan biodiversité faune-flore de tous les milieux aquatiques avant intervention. 
De nombreux travaux scientifiques montrent le rôle important des écosystèmes créés par l’homme ayant favorisé la biodiversité aquatique : mares, étangs, retenues, lacs, canaux, biefs hébergent du vivant, non seulement en biodiversité ordinaire, mais parfois en conservation d’espèces protégées. Pas seulement les poissons, mais aussi les invertébrés, les amphibiens, les mammifères, les insectes, les oiseaux d’eau, les plantes aquatiques et rivulaires, etc. Or, notre programmation publique travaille encore sur des concepts définis lors de la seconde moitié du 20e siècle : certaines espèces sont ciblées en priorité voir en exclusivité, comme par exemple les poissons migrateurs, sans mesurer les impacts sur la biodiversité globale. La continuité appliquée sans recul peut aussi bien faire disparaître des biotopes installés depuis des siècles que faire circuler des espèces invasives. De nombreux chantiers asséchant des milieux aquatiques et humides sont aujourd’hui menés sans analyse préalable de la faune et de flore, ni aucune compensation. Il est impensable de prétendre préserver la biodiversité en ignorant sa réalité de terrain, en détruisant de manière irréversible des milieux en eau !
Objectif : la politique de l’eau ne doit détruire aucun écosystème aquatique et humide, qu’ils soient d’origine naturelle ou humaine.

2 commentaires:

  1. Vous faites erreur : les SDAGE disposent d'un bilan carbone qui est inclus dans leur évaluation environnementale et cela depuis les SDAGE de 2009-2015. Par ailleurs la compatibilité des classements avec la PPE a été validée bien avant la parution des listes des cours d'eau classés et vous pouvez d'ailleurs vous en rendre compte dans la dernière PPE parue le 23 avril 2020 par une simple addition. Dernier point la transformation de quelques anciens moulins en centrales hydroélectriques conduit à des prix du kWh qui dépassent 150 €/MWh qui peuvent effectivement être subventionnés par l'obligation d'achat au tarif "Royal Moulins" de 160 € /MWh alors que le Photovoltaïque (par exemple) fourni ce même kWh à moins de 50 €/MWh des aujourd'hui (source PPE 2020) : chaque fois que l'on dissuade un moulin de produire de l'électricité on gagne 100 €/MWh. Il n'y a donc pas de plus grande économie pour les deniers publics à faire au niveau énergétique que de limiter au mieux la transformation des anciens moulins en centrale électrique ... sans compter que cela détruit la plupart du temps leur intérêt patrimonial en modifiant leurs infrastructures et ce qui reste de leurs machineries originelles. Sauvons les moulins que diable !

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    1. Rétablissons quelques points :

      - aucun bilan carbone n'est fait au niveau des choix de rivière sur chaque bassin (un peu de sérieux dans les politiques publiques, un bilan carbone est une analyse physique, ce n'est pas un copié-collé d'un jargon juridique ou de généralités)

      - l'hydro-électricité n'est qu'une dimension du bilan carbone (cf travaux sur les effacements de site et dynamiques sédimentaires par exemple, recensés ici)

      - le tarif rachat du photo-voltaïque est de 10,51 (<100 kWc) à 18,53 (< 3 kWc) versus en hydraulique petite puissance 8 à 13,2 (DR, haute ou basse chute). Vous manipulez en confondant à dessein le solaire en grands parcs et en petites installations. Le solaire en grands parcs fait l'objet d'oppositions quand il artificialise des sols, donc mieux vaut utiliser en priorité des ouvrages déjà en place, pas de nouveaux impacts. (L'idée de détruire ce qui existe d'un côté et de préférer couvrir 10 ha de panneaux solaires de l'autre est quand même tout sauf écologique, il faut une dose remarquable de mauvaise foi pour avancer ce genre de choses... le pire est que ce bla-bla, dont on situe assez bien les provenances et les relais sociaux, marche sûrement auprès d'élus peu informés; de moins en moins heureusement).

      - nous conseillons prioritairement aux adhérents de relancer en autoconsommation et en ilotage collectif, ce qui est mieux adapté à beaucoup de puissances modestes entre 2 et 20 kW. Et ce qui correspond à la philosophie de beaucoup de maîtres d'ouvrage, donc avançons dans la transition à partir des réalités de terrain, pas des lubies de bureau.

      - le patrimoine est une dimension, mais le patrimoine est vivant et évolue. C'est vrai pour la culture comme pour la nature. Les moulins ont connu de nombreuses générations techniques depuis l'ère romaine, et cela continue. Ces 2000 ans d'histoire ne semblent pas s'arrêter.

      - les ouvrages hydrauliques bien gérés ont de nombreux avantages avec ou sans énergie. Utiliser l'énergie est une option qui optimise le multi-usage d'un site, mais non nécessaire en soi. Nous demandons aussi les bilans hydrologique et biodiversité pour cette raison.

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