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01/03/2020

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)

Une étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. Ce travail, fondamental, remet en question la robustesse et la sagesse des choix opérés en matière de suppression des ouvrages humains des bassins versants. C'est un sujet grave à l'heure où le changement climatique rend incertain l'avenir de la ressource en eau pour la société et le vivant. Le débat français sur les ouvrages hydrauliques a été grevé dès le départ par des préjugés, avec déjà dans le passé récent des assertions fausses sur l'auto-épuration. Cela continue aujourd'hui avec des généralités inexactes sur l'évaporation et les sécheresses. Une politique publique ne peut inspirer la confiance si elle repose sur de tels procédés. Nous devons exiger un débat démocratique et des expertises contradictoires sur la question de la continuité écologique et, plus largement, sur les attendus de "renaturation" des bassins versants. Et d'ici là, protéger les milieux menacés par des choix mal informés.



Mohammad Al Domany, Laurent Touchart, Pascal Bartout et Quentin Choffel (Université d’Orléans, Laboratoire CEDETE) travaillent notamment sur les milieux lentiques des étangs et plans d'eau. L'équipe vient de publier un travail sur le Limousin, dont nous proposons ici une synthèse. L'article comporte aussi des développements de recherche sur le calcul et la modélisation de l'évapotranspiration en fonction des couverts végétaux, non évoqués ici car intéressant le public expert.

Le constat : les autorités publiques de l'eau critiquent l'évaporation estivale des plans d'eau et étangs sans mesure de l'évaporation des autres milieux
"«En région Poitou-Charentes, Pays de Loire et Centre, les très nombreux plans d’eau situés en tête de bassin-versant accentuent fortement l’intensité des étiages, d’autant plus que ceux-ci ont le plus souvent été aménagés sur d’anciennes zones humides» (Boutet-Berry et al., 2011, p. 27). Cette affirmation de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (devenu AFB depuis) représente le discours officiel des autorités françaises, exprimé de la même manière dans les documents internes des agences de l’eau, des syndicats de bassin, des schémas d’aménagement et de gestion des eaux ou encore des contrats de rivière. La justification répétée de cette assertion se trouve être que les étangs du centre- ouest de la France évaporeraient en moyenne, en été, un demi-litre par seconde par hectare, soit la perte d’une tranche d’eau de cent trente millimètres par mois. Or il manque dans ces documents une comparaison avec les autres milieux géographiques. En effet, la perte d’eau, ou «la forte accentuation de l’étiage» n’est pas une question absolue, mais relative. L’étang évapore certes, mais la zone humide (ZH) qui existait avant la mise en eau de l’étang ou qui reprendra sa place après «l’effacement», prôné par les autorités, évapotranspirera elle aussi. Si mise en accusation de l’étang il doit y avoir, elle ne peut se fonder sur son évaporation, mais sur l’éventuelle surévaporation qui se produit en dépassement de l’évapotranspiration (ET) du terrain qui a existé ou existera en lieu et place de la nappe d’eau libre."

Les résultats en recherche internationale : les surfaces de plans d'eau n'évaporent pas toujours davantage que des milieux naturels végétalisés
"À l’échelle mondiale, dans différents milieux climatiques, un certain nombre de chercheurs ont montré depuis longtemps que l’évaporation d’une nappe d’eau libre n’était pas forcément supérieure à l’ET d’un terrain humide où les plantes ne souffrent pas de stress hydrique. En Floride, certains ont noté que l’évaporation d’un plan d’eau était supérieure à l’ET des plantes de ZH pendant la saison de repos végétatif, mais qu’elle lui était inférieure quand les plantes se trouvaient dans leur stade de croissance maximale (DeBusk et al., 1983). En Égypte, A. Rashed et ses collaborateurs (2014) ont quantifié par des mesures directes le fait que l’évaporation d’une surface d’eau libre était toute l’année inférieure à l’ET des plantes de ZH. En Floride, les plantes étudiées étaient la Jacinthe d’eau et la Petite Lentille d’eau, en Égypte, il s’agissait des deux mêmes, auxquelles s’ajoutaient la Massette, le Roseau et le Millet rampant.
Dans la zone tempérée européenne, de nombreux résultats sont analogues. Que ce soit en Russie occidentale (Uryvaev, 1953), en Allemagne (Gessner, 1959, Herbst et Kappen, 1999), en Roumanie (Stan et al., 2016), l’évaporation des petits lacs naturels (de la taille des étangs artificiels français) est plus faible que l’ET des hélophytes selon un rapport variant entre 1,5 et 3 à l’échelle annuelle. Dans les petits plans d’eau d’Allemagne du nord (Herbst et Kappen, 1999), l’évaporation a été inférieure à l’ET lors de trois des quatre années de mesures. En Roumanie, dans le cas du lac Caldarusani, l’évaporation estivale était de 4,3 mm/j, cependant que l’ET des plantes était de 10,3 mm/j."


Plan des sites étudiés, Extrait de Al Domany et al 2020, art cit.

Le site étudié : étang et sagne en Haute-Vienne
"À l’intérieur de la Haute-Vienne, le site d’étude se trouve précisément à une dizaine de kilomètres au sud-est de Limoges, sur les communes de Feytiat et Eyjeaux. Il s’agit, en tête de bassin d’un ruisseau affluent de la Valoine, elle- même se jetant dans la Vienne quelques kilomètres en aval, de la chaîne des cinq étangs du Petit Crouzeix, précédée d’une sagne. Celle-ci, formée d’une jonchaie, provient d’un ancien étang, rompu dans les années 1970. Les mesures quotidiennes d’évaporation prises entre le 1er mars et le 30 septembre 20185 ont été effectuées sur celui des cinq plans d’eau situé le plus en aval, l’étang des Halbrans, celles d’ET du jonc sur la prairie humide située à l’amont, la sagne de Chantecaille. Les deux sites de mesures, en continuité topographique (même vallon) et hydrographique (même ruisseau), se trouvent à seulement 1 km de distance. Ils sont soumis au «climat océanique altéré» (température moyenne annuelle supérieure à 11 °C, précipitations dépassant 700 mm/an) de la classification de Joly et al. (2010). Les précipitations y tombent tout au long de l’année avec un minimum en saison estivale et un maximum de saison hivernale."

Le résultat des mesures : l'étang améliore la disponibilité en eau
"Dans le cadre d’une année 2018 plus chaude que la normale, dont le printemps était pluvieux, favorisant une ET maximale des plantes, et l’été sec, provoquant une évaporation maximale des nappes d’eau libres, nos mesures sur les sept mois allant de mars à septembre ont montré que la sagne de Chantecaille perdait près d’une fois et demie plus d’eau que l’étang situé à côté. Sur cette période, les coefficients culturaux moyens du jonc et du gazon ont été respectivement de 1,35 et 1,48. Ainsi, dans les conditions précitées, un étang ne provoque pas de surévaporation et de diminution de la ressource en eau, mais il augmente au contraire la disponibilité en eau du milieu, alors qu’une ZH la réduit, car elle évapotranspire plus en direction de l’atmosphère. De même, le décalage temporel potentiellement généré par l’étang pour la reprise de l’écoulement en aval de celui-ci en période d’étiage est infime par rapport à une ZH saturée en eau."


Comparaison de l'étang et de la zone humide naturelle. Les variations quotidiennes de l’évaporation et de l’évapotranspiration mesurées à l’étang des Halbrans et à la sagne de Chantecaille entre le 1er mars et le 30 septembre 2018. Extrait de Al Domany et al 2020, art cit.

La synthèse du travail
"Malgré la rareté des études reposant sur des méthodologies scientifiques rigoureuses pour estimer la quantité d’eau perdue des étangs français via l’évaporation, les autorités les considèrent comme une cause majeure de l’étiage estival du chevelu hydrographique de tête de bassin. L’évaporation des étangs enregistre ses taux les plus élevés en été, mais les études antérieures avaient négligé la quantité d’eau pouvant être perdue par l’évapotranspiration des plantes qui remplaceraient ces étangs s’ils étaient effacés. Dans cette recherche nous adaptons une approche basée sur l’éventuelle surévaporation qui se produit en dépassement de l’évapotranspiration du terrain qui a existé ou existera en lieu et place de la nappe d’eau libre. Des mesures directes de l’évaporation d’un étang et de l’évapotranspiration des plantes occupant le fond d’un ancien étang rompu ont été prises entre le 1er mars et le 30 septembre 2018 en Limousin. Les résultats montrent que la prairie humide a perdu 1,37 fois la quantité d’eau perdue par l’étang voisin. Concernant l’évapotranspiration, la comparaison entre les calculs des formules mathématiques et les mesures prises in situ montrent que la méthode de Penman-Monteith ne prend pas en considération le stade végétatif des plantes. Concernant l’évaporation, la formule « Aldomany » donne des valeurs proches des mesures réalisées sur l’étang, l’écart moyen n’étant que de 6,4 %. Les méthodes mathématiques utilisées dans cette recherche peuvent fournir des estimations acceptables de l’évapotranspiration réelle des prairies humides si le coefficient cultural calculé dans cette étude (1,37) est pris en considération."

Discussion
Ce travail tout à fait fondamental de Mohammad Al Domany et de ses collègues nous dit que le discours binaire souvent entendu de la part des représentants de l'administration et des syndicats de rivière — l'ouvrage hydraulique est toujours mauvais, la solution fondée sur la nature est toujours bonne — est imprécis, voire inexact. Et dangereux à l'heure où le changement climatique est en train de bouleverser les conditions de température et de précipitation de nos bassins versants. Comme l'écrivent les auteurs : "en termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."

Ce sujet doit être interprété à la lumière d'une certaine dérive des politiques de l'eau en France.

Au cours des années 1990, les services du ministère de l'écologie et des agences de l'eau ont développé une nouvelle doctrine de gestion publique des rivières. A côté de la lutte contre les pollutions des cours d'eau par des composés chimiques de synthèse, l'administration a développé le schéma d'une "restauration écologique" qui inclut également des dimensions morphologiques et hydrologiques (voir Morandi 2016). A la base théorique de ce schéma, on trouve une opposition entre un milieu naturel sans humain, qui serait une référence du fonctionnement normal et souhaitable d'un bassin versant, et un milieu modifié par l'humain, qui serait une dégradation par rapport à l'état idéal ancien des milieux. Une des conséquences de cette nouvelle orientation a été la désignation des ouvrages hydrauliques (barrages, chaussées de moulins, digues d'étangs et plans d'eau) comme des problèmes supposément graves de l'écologie aquatique.

Au lieu d'assumer cette option pour ce qu'elle, à savoir d'abord un choix normatif, idéologique, sur ce que devrait être "la nature" et ici la rivière, les services techniques des administrations de l'eau ont prétendu que leur choix apportait toujours des gains objectifs de fonctionnalités écologiques et de services rendus par les écosystèmes à la société. En d'autres termes, il ne s'agissait pas seulement d'une vision particulière de la nature et de ce que devrait être la nature, mais aussi d'un intérêt général de la société qui trouverait de nombreux avantages à faire disparaître des lacs, des étangs, des canaux, des biefs et autres "anomalies" par rapport à un milieu naturel.

Ce discours a fini par devenir dogmatique, et trompeur. Ainsi, des services publics comme l'Onema (aujourd'hui OFB) ou les agences de l'eau ont prétendu que les ouvrages en rivières nuisaient à l'auto-épuration des polluants de l'eau, alors que c'est faux, comme cela a fini par être reconnu. Pareillement, il y a eu un déni de l'existence d'une biodiversité propre aux milieux aquatiques et humaines d'origine humaine : la soi-disant absence d'intérêt des canaux, étangs et plans d'eau pour la faune et la flore a été assénée et l'est encore en absence de toute mesure systématique de terrain. Or, la recherche scientifique européenne et internationale a amplement démontré le contraire. Que les ouvrages artificiels présentent certaines nuisances pour certaines espèces est une chose bien établie par la recherche en écologie et en histoire environnementale, mais prétendre qu'ils ne forment pas eux-mêmes de nouveaux écosystèmes à étudier comme tels n'a plus rien de scientifique.

Loin de reconnaître leurs imprécisions, erreurs et dans certains cas manipulations de l'information, certaines administrations persistent. Comme le changement climatique est devenu la première urgence publique en écologie au cours des dix dernières années, de nouveau éléments de langage sont apparus. Le problème des ouvrages ne serait plus leur (fantaisiste) nuisance à l'auto-épuration des rivières, mais le fait qu'ils évaporeraient l'eau, aggraveraient les sécheresses et nuiraient donc à la ressource comme au vivant. A cela s'opposerait la "solution fondée sur la nature", qui aurait forcément toutes les vertus et apporteraient à la société davantage de bienfaits, notamment en matière de rétention d'eau toute l'année et de lutte contre les étiages sévères. Sur ce sujet, des chercheurs conseillers des agences de l'eau se laissent parfois aller à des représentations trop simplifiées voire orientées de la recherche. Or, l'effet est catastrophique pour la suite : ce qui est émis comme hypothèse ou généralité au sommet des administrations devient vite un dogme au bord des rivières, où les élus comme les techniciens n'ont ni les bases de connaissance ni de toute façon les outils pour contrôler certaines assertions.

Pour les associations de protection de ouvrages hydrauliques, de leurs patrimoines et de leurs milieux, deux actions sont nécessaires :
  • assurer dans l'urgence la protection des sites menacés par des destructions, pas seulement au nom du paysage, du bâti et des usages, mais aussi aussi parce que l'on fait disparaître des milieux aquatiques et humides,
  • exiger la mise en place d'expertises scientifiques pluridisciplinaires, et si besoin contradictoires, sur la question des rivières et des plans d'eau, en particulier une vraie  politique de collecte de données et de recherche sur les nouveaux écosystèmes créés par l'usage humain millénaire des cours d'eau.

Référence : Al Domany M et al (2020), Une zone humide perd-elle autant, moins ou davantage d’eau par évapotranspiration qu’un étang par évaporation ? Etude expérimentale en Limousin, Annales de géographie, 731, 83-112

Illustration, en haut : un étang en Haute Vienne, Babsy, CC 3.0 

22/10/2019

Sur les retenues et les sécheresses, les "sachants" vont devoir être plus précis

A l'occasion de la sécheresse et des canicules 2019, on a commencé à entendre une petite musique: les barrages, réservoirs et retenues seraient une mauvaise idée car ils aggraveraient en fait les sécheresses. Ce point a notamment été défendu à plusieurs reprises dans les médias par la présidente du conseil scientifique de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Or, nous montrons à travers un exemple précis qu'une recherche citée trouvait au contraire un rôle bénéfique aux réservoirs en situation de changement climatique et dans beaucoup de régions des Etats-Unis, mais insistait d'abord sur le problème de l'irrigation et de la surexploitation de l'eau dans les régions agricoles sèches. Bien sûr, si l'on pompe toute l'eau, la rivière est à sec, voire la nappe! Mais c'est le problème du pompage, pas du barrage. L'agence de l'eau a déjà essayé de propager des informations fausses ou floues sur la soi-disant "épuration" de l'eau par destructions des barrages et des seuils: évitons tout de suite de créer un nouveau dogme où des informations partielles de scientifiques deviennent des certitudes absolues de gestionnaires, puis engagent des politiques désastreuses pour les riverains. Il est certain que construire partout des retenues et artificialiser tous les bassins sans réfréner notre consommation n'est pas la solution à la sécheresse. Mais il est urgent de procéder à des analyses robustes de l'effet des ouvrages existants ou  à créer sur l'hydrologie des sols, des nappes, des rivières, sur les différents usages des retenues (non limités à l'irrigation), sur l'adaptation locale au changement climatique et sur la biodiversité aquatique et rivulaire des bassins ayant des retenues. 



Wenhua Wan et dix collègues ont publié en 2017 une modélisation climatique et hydrologique visant à cerner l'évolution de l'eau aux Etats-Unis selon les impacts du changement climatique et des usages humains. Nous n'entrons pas dans le détail de leur simulation, qui concerne deux scénarios d'émission carbone (scénario de réduction RCP 4.5 W/m2 de forçage en 2100, scénario business as usual RCP 8.5 W/m2 de forçage), mais nous traduisons leur conclusion commentant les résultats.

"Les impacts de la gestion de l’eau, y compris l’extraction locale des eaux de surface et la régulation des réservoirs, ainsi que les changements climatiques sur la sécheresse hydrologique future aux États-Unis sont étudiés à l’aide de simulations à partir d’un cadre de modélisation intégré prenant en compte l’évolution du climat et la scénarios économiques et d'émissions de RCP4.5 et RCP8.5. Dans l'ensemble, la gestion de l'eau intensifie la sécheresse hydrologique future à l'échelle nationale. Cette forte intensification de la sécheresse est principalement due à l'extraction locale de l'eau qui se produit dans tout le pays. Elle est néanmoins plus aigue dans les grandes plaines et l’Ouest des États-Unis, où la demande en eau d’irrigation est plus intense. Cependant, la sécheresse est atténuée dans les zones en aval des réservoirs, principalement pendant la saison d'irrigation estivale, en raison de l'amélioration du débit par la régulation des réservoirs. En comparant les RCP4.5 et RCP8.5, la gestion de l'eau intensifie davantage la sécheresse dans le RCP4.5 que le RCP8.5 en raison de la demande accrue en eau d'irrigation pour soutenir la production de biocarburant afin d'atténuer les émissions. En se concentrant uniquement sur la saison d'irrigation, la régulation des réservoirs réduit principalement les sécheresses modérées, mais l'extraction locale augmente les sécheresses extrêmes.

Bien que les mécanismes sous-jacents de la sécheresse discutés dans cette étude ne soient pas sophistiqués sur le plan conceptuel, peu d'études ont tenté de quantifier la contribution relative de la régulation des réservoirs et du prélèvement d'eau à l'atténuation ou à l'amélioration de la sécheresse hydrologique pour le 21e siècle. Quelques études ont examiné la gestion de l'eau par l'homme sur la sécheresse hydrologique (He et al 2017; Wanders & Wada 2015), mais n'ont pas dissocié l'effet du réservoir de celui de l'utilisation de l'eau, principalement en raison de la limitation de la résolution de modélisation et de l'hypothèse du caractère stationnaire de la demande en eau. Nous montrons que les activités humaines ont tendance à intensifier de plus en plus la sécheresse hydrologique future aux États-Unis. Néanmoins, dans les zones situées en aval des réservoirs, la gestion de l’eau atténue la sécheresse, au lieu de l’augmenter, en particulier pendant la saison d’irrigation. (...)

Étant donné que la pénurie d'eau croissante a posé de graves problèmes pour la consommation d'eau humaine (par exemple, l'Ouest des États-Unis), des stratégies douces ont été recommandées pour assurer la durabilité de l'eau (Gober et Kirkwood 2010; Macdonald 2010), en plus de la gestion de l'eau via des réservoirs. L'approche d'économie d'eau utilisant des stratégies douces peut aider à atténuer la sécheresse hydrologique. Plusieurs stratégies douces sont couramment utilisées dans les zones urbaines, telles que la réduction de la demande en eau, les politiques de tarification de l'eau et les actions à court terme habituellement mises en œuvre en période de sécheresse, telles que les restrictions d'utilisation de l'eau. Il est également possible de réduire les besoins en eau en augmentant l'efficacité de l'utilisation et de la réutilisation de l'eau dans le système régional, en adoptant des cultures tolérantes au sel et / ou à la sécheresse, et / ou en diminuant l'agriculture ou en la déplaçant vers des zones plus respectueuses de l'environnement. Davantage d'études sont nécessaires pour explorer différentes stratégies pour faire face à la pénurie d'eau potentielle à l'avenir."

On observe que ces auteurs soulignent la capacité des réservoirs humains à limiter les sécheresses hydrologiques, à condition que l'extraction dont surtout l'usage de l'eau pour l'irrigation (premier impact) soit limitée.

Or, nous voyons qu'en France, certains citent cette étude comme démontrant l'aggravation des sécheresses hydrologiques par les barrages en toute généralité. C'est le cas de Florence Habets par exemple dans cet article (The Conversation, 20 février 2019)  :

"Cette efficacité est toutefois limitée aux événements peu intenses. De fait, de nombreuses études montrent que l’efficacité des barrages est très réduite pour les sécheresses longues (comme, par exemple, dans la péninsule ibérique, en Autriche ou aux États-Unis)."

La référence aux Etats-Unis renvoie à cet article de Wenhua Wan et collègues dont la conclusion est traduite ci-dessus. Même quand on lit les extraits de cette étude de Wan et al 2017 sur la sévérité des sécheresses (3 régimes : modérée, moyenne, grave), les choses ne sont pas aussi claires que le résumé un peu lapidaire de F. Habets :

"La gestion de l’eau réduit l’étendue spatiale de tous les régimes de sécheresse dans les régions à faible demande en eau (Midwest, Nord-Est et Sud-Est), mais produit un mélange d’intensification de la sécheresse et d’atténuation dans les régions à forte demande en eau (Nord-Ouest, Sud-Ouest et grandes plaines). On note que l'extraction locale et la régulation des réservoirs peuvent avoir un impact sur le débit dans les zones situées en aval des réservoirs. Pendant la saison d'irrigation estivale, la régulation des réservoirs a un effet prédominant d'atténuation de la sécheresse lors de sécheresses modérées et graves. Cependant, lorsque la demande en eau est intense, l'effet d'extraction locale d'intensification de la sécheresse peut l'emporter sur l'effet bénéfique de la régulation des réservoirs sur les sécheresses extrêmes, même dans les zones situées en aval des réservoirs. (...)

La figure 10 montre les distributions spatiales des changements dus à la sécheresse induite par la gestion de l'eau sur les cellules de la grille affectées par le réservoir au cours de la période future 2060-2095. Les changements dans la sécheresse sont exprimés en termes de fraction d’année avec le passage du régime sans sécheresse à un régime de sécheresse (ou régime de sécheresse non extrême à un régime de sécheresse extrême), ou inversement. Les configurations spatiales de RCP4.5 sont très similaires à celles de RCP8.5, malgré la différence prononcée entre les changements de réchauffement et de précipitations entre les deux scénarios. D'une manière générale, l'effet d'atténuation de la sécheresse est plus répandu dans l'Est des États-Unis, tandis que l'effet d'intensification de la sécheresse est plus dominant que dans les régions de l'Ouest où la demande en eau est plus intense (Figure 3). Les zones affectées par une tendance à la sécheresse extrême sont comparativement petites par rapport aux zones affectées par un état de sécheresse, c'est-à-dire que la plupart des mailles affectées par les réservoirs ne subissent pas de migration fréquente d'une sécheresse non extrême vers une sécheresse extrême ou inversement. Dans les deux cas, RCP4.5 et RCP8.5, la gestion de l’eau, principalement l’extraction locale, entraînera une augmentation de la fréquence des sécheresses extrêmes dans les zones à forte demande en eau telles que la Californie."


La figure 10 de Wan et al 2017, art cit. Cliquer pour agrandir. 

Donc en réalité, l'étude en question est prudente et conclut plutôt que :
  • il faut distinguer dans les modèles les réservoirs et les usages de l'eau,
  • les réservoirs aident à limiter des sécheresses s'ils sont gérés en ce sens,
  • les réservoirs sont favorables à la réduction des sécheresses dans les régions n'ayant pas une forte agriculture d'irrigation,
  • le signal hydrologique des réservoirs sur le niveau d'intensité de la sécheresse hydrologique n'est pas uniforme et dépend des bassins,
  • ce sont les usages de l'eau (outre le réchauffement) et à premier titre l'irrigation qui sont prédicteurs de l'aggravation des sécheresses hydrologiques.
Le rôle du scientifique n'est-il pas d'entrer dans tous ces détails ? Et en ce cas, que doit choisir le décideur public? S'il y a malgré tout une efficacité des retenues sur des bassins, faut-il le décourager?

Par ailleurs, le barrage (la retenue d'eau en général) ne concerne pas que l'irrigation en été : il est aussi lié selon les cas à l'énergie, à l'eau potable, aux loisirs, au soutien d'étiage et au ralentissement de crue, à la préservation de la vie locale en étiage s'il reste de l'eau dans la retenue. Faire une équation simple entre barrage et irrigation en oubliant tout le reste serait une erreur qui simplifie la réalité et oublie de nombreux usages riverains, mais aussi des enjeux écologiques si l'on se place dans la logique de gestion des milieux anthropisés à l'Anthropocène.

Nous avons déjà une histoire conflictuelle avec l'agence de l'eau Seine-Normandie, qui a prétendu (avec d'autres) pendant 10 ans et contre le contenu de la littérature scientifique que la destruction des ouvrages hydrauliques en travers et de leur retenue était de nature à favoriser l'auto-épuration des cours d'eau. Ce qui a été reconnu comme faux.

Nous ne souhaitons donc pas que persiste la mauvaise habitude de prononcer sur un ton de la certitude des propositions soit incomplètes soit incertaines. Etant donné le caractère critique de la ressource en eau et la dimension traumatique des assecs pour le vivant et pour la société, il faudra des études autrement précises et serrées sur le rôle des ouvrages pour l'hydrologie des sols, des aquifères, des rivières  avant d'engager des décisions publiques à leur sujet.

L'étude 2016 sur l'impact cumulé des retenues avait noté le caractère encore embryonnaire des données comme des modèles interprétant ces données, ainsi que la possibilité de réponse variable des bassins versants aux retenues. On devrait donc rappeler cela dans le débat public, et engager les travaux de recherche nécessaires pour lever ces incertitudes. Il y a des mesures sans regret : ce sont elles que les chercheurs doivent définir, avant de se prononcer sur des sujets moins clairs et moins faciles à résumer à un seul enjeu.

Ce thème des retenues, des barrages, des étangs, des canaux est déjà conflictuel en France, il le restera aussi longtemps que le ministère de l'écologie et les agences de l'eau essaieront d'imposer aux riverains sur une base partiale et partielle la nécessité d'une destruction des ouvrages, de leurs cadres de de vie et de leurs biotopes. Cette conflictualité sera levée si les scientifiques engagent des études pluridisciplinaires sur le sujet, tant par le prisme de l'hydrologie et de l'écologie que par celui des sciences humaines et sociales, avec une capacité à avancer des conclusions valables pour les bassins versants concernés et non des généralités dont la mise en oeuvre aurait des impacts localement négatifs.

Référence citée : Wan W et l (2017), Hydrological Drought in the Anthropocene: Impacts of Local Water Extraction and Reservoir Regulation in the US, Journal of Geophysical Research: Atmospheres, 122, 21, 11313-11328

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Illustration : la Tille à sec en zone karstique.

19/08/2019

L'avenir des sécheresses et de la gestion de l'eau au 21e siècle (Wan et al 2018)

L'actualité du printemps et de l'été 2019 nous le rappelle encore: les sécheresses sévères entraînent des dommages socio-économiques importants par réduction de l'approvisionnement en eau, mauvaises récoltes, production d'électricité réduite, mortalités piscicoles et nombreuses autres perturbations. Huit scientifiques ont fait tourner des modèles climatiques et hydrologiques pour analyser la possible évolution des sécheresses au 21e siècle, en distinguant la sécheresse météorologique (défaut de précipitations), la sécheresse agricole (sols secs), la sécheresse hydrologique (baisse des nappes et débits). Leur travail (encore provisoire car les modèles doivent s'améliorer) montre que les épisodes de sécheresses devraient globalement s'aggraver dans la plupart des régions du monde, surtout aux latitudes moyennes. Plus on émet de gaz à effet de serre, plus l'impact sera fort: la prévention par transition énergétique est donc déjà une première nécessité. Les auteurs montrent aussi que l'on peut conjurer les sécheresses agricoles, mais au risque d'aggraver les sécheresses hydrologiques si l'usage de l'eau est localement excessif, notamment pour l'irrigation. Il devient indispensable d'avoir une vue précise de la ressource en eau de chaque bassin et de ses connexions à l'aval, tant pour les besoins de la société que pour la préservation des milieux aquatiques. En ce domaine qui relève de la sécurité des humains et de la survie de nombreuses espèces, le dogmatisme ne saurait être de mise. Notamment sur la question des barrages et retenues, otage de postures trop souvent radicales.   


Un épisode de sécheresse a généralement pour origine un déficit en précipitations (ou une augmentation de l'évapotranspiration) sur une longue période (sécheresses météorologiques), ce qui entraîne une réduction de l'infiltration et de l'humidité du sol (sécheresses agricoles) et, par conséquent, une réduction du ruissellement direct, des écoulements souterrains et des débits (sécheresses hydrologiques). Cette traduction d’une condition météorologique anormale en une sécheresse agricole et / ou hydrologique est définie en recherche comme une "propagation de la sécheresse". Elle implique des processus météorologiques et hydrologiques non linéaires : interactions entre déficits de précipitations, dynamique de la végétation, évapotranspiration excessive, dynamique des écoulements, activités humaines.

La majorité des études récentes attribuent au changement climatique une tendance croissante aux sécheresses météorologiques, agricoles comme hydrologiques.

Wenhua Wan et 7 collègues ont testé le couplage entre des modèles climatiques et des modèles hydrologiques pour analyser l'évolution possible de ces sécheresses au cours du 21e siècle, cela à l'échelle globale. Ils préviennent que ce travail reste préliminaire et indicatif en raison de la complexité des interactions, notamment dans les modèles hydrologiques et dans le couplage aux projections des activités humaines.

Voici le résumé de la recherche par les auteurs :
"Cette étude examine les effets du changement climatique et de la gestion de l'eau, y compris l'irrigation agricole, les prélèvements d'eau et la régulation des réservoirs, sur les futures sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques, et leurs connexions. L'analyse est basée sur les simulations de quatre modèles hydrologiques globaux forcés avec les projections de cinq modèles climatiques globaux pour la période historique 1971-2000 et la période future 2070-2099, avec et sans gestion de l'eau. Trois indices de sécheresse unifiés, l’indice normalisé de précipitation, l’indice normalisé d’humidité du sol et l’indice normalisé de débit, sont adoptés pour représenter respectivement les sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques. 
L'analyse suggère que les changements de la sécheresse pour cause climatique se renforcent, mais dans des directions différentes pour les trois types de sécheresse, tandis que les changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses agricoles et hydrologiques sont plus cohérents dans l'espace et les simulations. Globalement, les activités de gestion de l’eau réduisent la durée et l’intensité des sécheresses agricoles d’un ordre de grandeur environ, tout en augmentant celles des sécheresses hydrologiques jusqu’à 50%. Une analyse à l'échelle du bassin révèle que plus l'intensité de l'irrigation est élevée, plus les changements dus à la sécheresse induits par la gestion de l'eau seront importants. En raison des activités de gestion de l'eau dans certaines régions, les périodes de retour de sécheresses agricoles extrêmes (en termes de gravité) peuvent passer de 100 à 300 ans, voire plus, alors que des sécheresses hydrologiques typiques d'une durée de 100 ans sont susceptibles de se produire plus souvent dans les régions situées en latitudes 25°N–40°N et 15°S–50°S. 
Cette étude fournit une vision globale de la modification de la sécheresse dans l'Anthropocène, ce qui contribuera à améliorer les stratégies d'adaptation aux futures sécheresses."

Dans le détail, la projection confirme une aggravation des sécheresses dans la plupart des régions (dont la France), cela de manière d'autant plus marquée que les émissions de carbone augmentent (les RCP 2,6 et 8,5 désignent des hypothèses de forçages radiatifs par effet de serre de 2,6 et 8,5 W/m2 en 2100):
"Bien qu'en moyenne, les précipitations à l'échelle mondiale soient plus importantes au siècle prochain, cependant, en raison de la répartition inégale spatio-temporelle des précipitations et des influences humaines, les trois types de sécheresse s'intensifient, en particulier dans les régions peuplées. Comparativement, les changements dans la structure de la sécheresse sont beaucoup plus importants pour le RCP8.5 que pour le RCP2.6, ce qui peut être attribué à l'inégalité croissante des précipitations, accompagnée d'une température plus élevée et de taux d'évaporation plus élevés."
Ce tableau donne les tendances de la durée, intensité et sévérité des trois types de sécheresse, pour les 2 hypothèses d'émissions carbone. Les valeurs sont en pourcentages. La colonne Nat-hist/hist indique comment l'effet climatique seul augmente les effets des sécheresses par rapport à la situation de fin de 20e siècle. La colonne Hum-nat/nat indique comment la poursuite de la gestion actuelle de l'eau seule augmente (ou baisse) les effets des sécheresses par rapport à une situation où nous stopperions des prélèvements à leur niveau actuel.

Extrait de Wan et al 2018, art cit, cliquer pour agrandir. 

On doit ainsi s'attendre à une hausse de sévérité des sécheresses hydrologiques comprise entre 57 et 140% du seul fait du changement climatique. Mais la poursuite à l'identique des modes de gestion de l'eau peut encore aggraver cette sécheresse hydrologique, même si elle limite la sécheresse agricole.

Cette carte montre l'exemple de l'évolution des intensités de sécheresses agricoles et hydrologiques, selon les deux scénarios 2.6 et 8.5, avec ou sans évolution de la gestion humaine de l'eau.

Extrait de Wan et al 2018, art cit, cliquer pour agrandir. 

Les scientifiques observent : "Les effets de la gestion de l'eau sur les sécheresses agricoles et hydrologiques sont toutefois cohérents entre les RCP. Dans l'ensemble, les activités de gestion de l'eau permettront d'atténuer les caractéristiques de la sécheresse agricole, en particulier dans les régions intensément irriguées. Cependant, ces changements dus à la gestion de l'eau sont bien moins importants que les changements induits par le climat, mais atteignent un niveau de consensus plus élevé au sein des projections des modèles. En revanche, les changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses hydrologiques peuvent être soit un allégement lorsque la demande d'irrigation est relativement faible, soit une intensification lorsque la demande en eau d'irrigation est élevée. En outre, ces changements induits par la gestion de l'eau dans les sécheresses hydrologiques peuvent être comparables aux changements induits par le climat. L'analyse des sécheresses extrêmes basée sur le concept de fréquence de sécheresse suggère que la gestion de l'eau conduira à des sécheresses agricoles extrêmes moins fréquentes, mais à des sécheresses hydrologiques plus fréquentes dans le monde."

Les auteurs concluent à la nécessité d'un partage des eaux fondés sur de bonnes anticipations :
"Cette étude souligne l’importance des activités de gestion de l’eau dans le contexte des changements climatiques futurs, en plus de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'évolution spatio-temporelle et la propagation des sécheresses ont souvent un impact important sur les systèmes intégrés d'eau, d'énergie et d'alimentation. Par exemple, l'atténuation des sécheresses agricoles (eg via le détournement de l'eau des canaux ou des réservoirs en amont) peut être bénéfique pour la sécurité alimentaire, mais entraîner une réduction du débit des rivières en aval, mettant ainsi en péril la sécurité de l'énergie et de l'eau. L'évolution et la propagation des sécheresses peuvent également franchir les frontières des pays et des régions, entraînant ainsi des conséquences politiques. Par exemple, la demande excessive en eau dans les pays en amont peut déclencher des sécheresses hydrologiques dans les pays en aval. En effet, non seulement le changement climatique, mais les activités de gestion de l’eau affecteront fondamentalement les caractéristiques et l’évolution des futures sécheresses météorologiques, agricoles et hydrologiques, qui auront de profondes influences socio-économiques et politiques. Par conséquent, nous recommandons que des stratégies de gestion de l'eau appropriées soient prises en compte dans la modélisation de la gestion de la sécheresse et de l'atténuation de ses effets."
Discussion
Le partage des eaux entre les activités humaines, mais aussi entre le besoin humain et celui des milieux aquatiques naturels, est déjà un enjeu majeur et cette tendance devrait s'accentuer dans le siècle à mesure que s'installe une plus forte incertitude climatique. Pour être résilientes, nos sociétés devront être capables d'affronter des amplitudes thermiques et hydrologiques incluant des épisodes extrêmes. S'il reste une première approximation globale par modèles à améliorer, le travail de Wenhua Wan et de ses collèges a le mérite de montrer que la sécheresse agricole et la sécheresse hydrologique doivent être pensées ensemble. Leur étude suggère aussi in fine que la baisse des émissions de gaz à effet de serre par hausse des productions d'origine renouvelable non carbonée reste la première urgence du moment : un scénario à fort émission de gaz à effet de serre (RCP 8.5) produirait des effets nettement plus difficiles à gérer.

Dans une campagne contre la construction de barrages et retenues, France Nature Environnement a présenté ainsi ce travail de Wan et al : "Une étude publiée en 20181 dans le Journal of Geophysical Research montre que ces aménagements humains pourraient certes réduire la sécheresse agricole de 10 % mais conduiront à une augmentation de l’intensité des sécheresses sur l'ensemble du bassin à hauteur de... 50 %." (site FNE, version consultable du 17/08/2019)

Comme on le voit, la lecture attentive de la référence citée par FNE ne raconte pas tout à fait la même histoire. Une baisse d'un ordre de grandeur (un facteur 10) n'est pas une baisse de 10% : l'étude de Wan et al confirme bien l'efficacité possible de la lutte contre les sécheresses agricoles. Les sécheresses induites par le changement climatique seul seront de toute façon plus marquées, donc se pose d'une manière ou d'une autre la question de nos choix de gestion et d'abord de la prévention des émissions carbone. Savoir si la gestion humaine de l'eau aggravera les sécheresses hydrologiques reste une question ouverte et largement liée à l'intensité locale des besoins en irrigation. Enfin, cette recherche est muette sur la question des barrages de retenues et de leur répartition optimale dans un bassin versant : retenir toute l'eau à l'amont aurait forcément des effets négatifs à l'aval, mais répartir des retenues sur le bassin peut être plus intéressant. Au demeurant, c'était le cas en France jadis, les cartes anciennes montrant un grand nombre de petites retenues présentes dans toutes les vallées, certainement à but premier piscicole, mais aussi avec des effets probables de réserve d'eau. Bien entendu, du fait de sa consommation d'eau et de la hausse attendue du coût de cette eau, le modèle agricole est le premier concerné par une réflexion sur l'avenir des usages. C'est aussi le cas du tourisme continental en été, les rivières et plans d'eau voyant de fortes affluences.

L'INRA et Irstea ont publié en 2016 une expertise collégiale sur l'effet cumulé des retenues. Les chercheurs français y soulignaient le besoin de connaissance, car les modèles hydrologiques ne sont pas toujours convergents et les données empiriques sont encore rares. De plus, la gestion future de l'eau se fera bassin par bassin en fonction des données fines sur l'eau, les sols, la végétation, les besoins humains, les écosystèmes aquatiques et, dans le cas particulier des retenues, leur nature exacte (retenues collinaires, grands barrages réservoirs, plans d'eau déconnectés du lit mineur, plans d'eau sur lit mineur). L'hypothèse d'une meilleure recharge des nappes par restauration de zones humides est aussi à envisager par bassin : l'idée est bonne, mais elle dépend de l'incision des lits mineurs, de la dynamique de crue, de la disponibilité du foncier en lit majeur, du taux réel de recherche des nappes... toutes choses qui sont à étudier avant d'y voir une solution fiable et à échelle des besoins.  On ne peut donc pas accepter que les uns ou les autres mettent en avant "la science" sur la question de la construction future des retenues, car nous n'avons pas en réalité d'assertion scientifique forte sur le bilan coût-bénéfice.  Pour les retenues qui existent déjà, on peut douter de l'intérêt de les détruire dans une période aussi incertaine sur l'avenir hydrique, climatique et énergétique de nos sociétés. Hélas, l'Etat français a pour le moment choisi cette option au nom de la "continuité écologique".

Certains ne jurent que par les solutions fondées sur la nature, d'autres réclament des constructions de barrages partout où un besoin est exprimé. La solution ne sera probablement pas unique ni systématique, elle devra être fondée sur des faits et des preuves, des expérimentations avec des évaluations précises, des concertations locales visant à construire des compromis.  Il nous faut surtout éviter des postures de principe confinant au dogmatisme et des choix mal informés ne tenant pas compte de l'ensemble des attentes sociales sur l'eau.

Référence : Wan W et al (2018), A holistic view of water management impacts on future droughts: A global multimodel analysis, JGR Atmosphere, 123, 11, 5947-5972

Illustration en haut : Lit de la rivière Doubs complètement asséché, fin octobre 2018. Maisons-du-Bois-Lièvremont. CC Espirat

23/07/2018

Evaporation et effacement des étangs: une thèse universitaire dénonce certains dogmes publics (Aldomany 2017)

"L’effacement des plans d’eau (petits ou grands) du continuum hydrographique est le nouveau dogme français lié à l’interprétation de la Directive cadre européenne sur l'Eau (DCE-2000) dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA-2006). En effet, cette stratégie se base sur des idées ne reposant sur aucune mesure exacte de l’influence des plans d’eau, supposée néfaste, sur la quantité d’eau s’écoulant dans les réseaux hydrographiques aval." C'est par ces mots que s'ouvre le résumé de la thèse de géographie de Mohammad Aldomany, dédiée à la mesure du bilan hydrologique réel des étangs en Brenne et Limousin. Le jeune chercheur observe que l'évaporation due aux étang est comparable à celle d'autres milieux naturels, et que leur bilan annuel est souvent favorable à la recharge en eau des milieux adjacents. Tout en pointant que nombre de documents administratifs se laissent aller à des généralités et des prescriptions sans mesure réelle des milieux concernés. Il est salutaire que les universitaires rappellent aux décideurs la nécessité de fonder les politiques publiques sur des données robustes, pas sur des diktats inspirés de diagnostics partiels et partiaux des milieux aquatiques. L'effacement préférentiel et l'assèchement des plans d'eau, des canaux dérivés, de leurs annexes humides est une politique sous-informée, dont le bilan écologique n'est pas étudié sérieusement, hormis quelques espèces spécialisées de poissons qui sont bien loin de résumer tous les enjeux de biodiversité ou d'usage de l'eau. Il est urgent de repenser les outils de la continuité écologique, dont les destructions sont hélas des choix sans retour pour les riverains et les biotopes. Extraits de l'introduction et de la conclusion de la thèse de Mohammad Aldomany.


Introduction : des politiques publiques inspirées par des généralités, une absence notable d'études empiriques préalables malgré un choix précipité d'effacement des plans d'eau

Récemment, le Syndicat de Bassin pour l'Aménagement de la rivière l'Oudon a adopté un chiffre qui estime la sur-évaporation correspondant au delta entre l'évaporation d'un plan d'eau et celle d'une prairie de 0,5 l/s/ha, soit à l'échelle annuelle une différence de 1577 mm ! Ce chiffre est similaire à la différence entre la quantité d'eau perdue par l'évaporation à partir d'une surface d'eau libre de 1000 m2 de superficie et celle perdue par l'évapotranspiration réelle d'une prairie possédant la même superficie qui est égale à 500 m3 pour une période de six mois allant du premier avril au 30 septembre. Cela veut-dire une sur-évaporation de 500 mm pour six mois seulement ! Ce dernier chiffre est issu de l'étude intitulée ''Étude sur la Détermination de débits de référence complémentaires sur le bassin versant de la Sarthe Amont'' menée par le bureau d'étude SAFEGE (avril 2015) pour le compte de l'Institution Interdépartementale du Bassin de la Sarthe. En sachant que les deux chiffres précédents se réfèrent à la sur-évaporation d'un plan d'eau existant dans une région de climat océanique humide par rapport à une prairie et pas à l'évaporation totale du plan d'eau qui est égale à la quantité totale de l'eau qui quitte la surface évaporante au profit de l'atmosphère grâce à l'énergie solaire, les premières questions qui viennent à l'esprit sont :
1- Ces chiffres sont-ils représentatifs des rapports internes et des discours des administrations françaises, tant au niveau national que par bassin ?
2- Un étang évapore-t-il vraiment une tranche d’eau de plus d’un mètre cinquante de plus qu’un fond de vallée humide ?
3- Vu le nombre de centaines de milliers de ces petites pièces d’eau sur le territoire français, ne bouleversent-ils pas le bilan hydrologique du pays ?

En essayant de trouver la réponse à la première question au niveau national, nous avons consulté le site officiel du Ministère de l'Environnement, de l’Énergie et de la Mer et voici ce qu'il dit propos de l'évaporation des plans d'eau : « La restauration hydromorphologique des cours d’eau, à travers des effacements d’ouvrages notamment, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l’évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives». À l'échelle des bassins versants nous trouvons dans un rapport officiel issu de la préfecture de la région Pays de la Loire intitulé "Quelle qualité des eaux dans notre région ? Où et comment agir en priorité ?" la phrase suivante : « La forte tension sur la ressource en eau en période estivale, sur une grande partie de la région, nécessite la mise en place de mesures d’économies d’eau, de cadrage, voire de substitution des prélèvements, ainsi que la diminution de l’impact des plans d’eau, par lesquels s’évapore un grand volume d’eau ».

En fait, la stratégie adoptée par le Ministère de l'Environnement, de l’Énergie et de la Mer pour appliquer la directive cadre sur l'eau et qui s'appuie sur l'effacement des petits plans d'eau afin de restaurer la continuité écologique des cours d'eau, nous permet de bien comprendre pourquoi il utilise des mots ''grandiloquents'' comme (forte, beaucoup, significative...etc) en évitant de donner des mesures exactes ou, au moins, d'apporter une explication plus globale du phénomène décrit.

En fait, les étangs, ces petits plans d'eau de 6 à 7 mètres de profondeur maximale qui possèdent, en général, une superficie allant de 0,1 à 100 hectares où le volume maximum est inférieur à un million de m3 (Touchart et al., 2014), font partie du patrimoine de plusieurs régions de l'hexagone où l'apparition des plus anciens date du Moyen-âge (Benoît, 1992 ; Dérex, 2001), voire même avant (Bartout, 2012). À l'origine, ils permettaient d'assurer à la fois les multiples fonctionnements de moulins et la production de poissons. Plus tard, la pluriactivité des étangs est passée à une forme de monoactivité volontaire ou subie et de fait la morphologie du plan d’eau s’est adaptée à ce seul besoin et pas à une multitude d’entre eux. Dans une époque beaucoup plus récente, ce patrimoine aquatique s’est enrichi par la construction de lacs de barrage à la destination différente (électricité, régularisation du débit des fleuves et des rivières, alimentation des villes en eau potable ou à une fin agricole ou industrielle) mais pouvant également être le support soit d’une aquaculture (intensive ou extensive), soit d’activités nautiques, soit d’activités cynégétiques. Ils répondent également à une forte demande de loisirs, et jouent, sur le plan du développement local, un rôle de levier touristique souvent incontournable.

Les étangs français de petites tailles se sont multipliés à la fin du 20ème siècle sous l’effet de multiples facteurs (terrains libres liés à l’exode rural, mode de loisirs, recherche du bien être personnel, pollution des eaux courantes, réglementations permissives...etc). La région Centre-Ouest de la France contient plus de la moitié (plus de 123 000 étangs) des étangs existant dans la France métropolitaine (plus de 250 000 étangs) (Bartout et Touchart, 2013), ces étangs occupant environ 58% de la superficie totale de tous les plans d'eau (lacs, étangs et mares) (Bartout, 2015). Ces milieux artificiels sont à la source d'une biodiversité étonnante car des études récentes (Céréghino et al., 2008 ; Soomets et al., 2016) montrent que les petits plans d'eau, comme les étangs et les marais, sont tout aussi importants que les rivières et les lacs pour soutenir un éventail de biodiversité aquatique dans le paysage agricole d'Europe. Ces intérêts écologiques, économiques et paysagers reconnus dans le Centre-Ouest de la France exigent une gestion durable compatible avec les principes généraux législatifs, que ce soit au niveau international et européen [la convention de Ramsar (1971), la déclaration du Dublin (1992), la directive cadre sur l’eau (2000) et la directive INSPIRE (2007)] ou français [la Loi Pêche (1984), la loi sur l'eau (1964 et 1992), la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (2006), et les documents réglementaires comme les Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE) et les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE)].

L'application de ces législations, surtout la directive cadre européenne sur l’eau (DCE) a rencontré un échec notable (Bouleau et Pont, 2014 ; Bartout et Touchart, 2015). Parmi les multiples raisons de cet échec nous pouvons citer l'absence d'une définition claire pour distinguer les lacs, qui étaient le seul type de plans d'eau pris en considération lors de l'application de la (DCE), et les étangs. Un travail énorme effectué par L. Touchart et ses doctorants a conduit à bien distinguer les lacs et les étangs qui ne sont plus des ''lacs tronqués'' ou des lacs de dimensions réduites comme les présente J. Loup (1974).

Une gestion durable des étangs nécessite une connaissance de tous les processus physico- chimiques, biologiques, historiques, économiques et sociologiques. Malgré les très nombreuses études scientifiques qui ont été consacrées à étudier les étangs durant les décennies précédentes (Banas D., et al., 2001 ; Banas D., et al., 2002 ; Banas D., et al., 2005 ; Gaillard, 2014), ainsi que les estimations récentes qui indiquent que le monde contient plus de 117 millions de plans d’eau ayant une superficie supérieure à 0.2 ha (Verpoorter et al., 2014), très peu d'études ont été consacrées à étudier le bilan hydrologique de ces petits plans d'eau, qui est la balance entre les eaux entrantes et sortantes de l'étang. En effet, les études effectuées sur le sujet du bilan hydrologique et surtout sur l'évaporation des plans d'eau sont soit faites sur des territoires aux conditions géographiques très différentes de celles présentes dans la région Centre-Ouest de la France, à savoir des régions arides ou semi-arides (Bouchardeau et Lefèvre, 1957 ; Riou, 1975, sur le lac Tchad, Neumann, 1953, sur le lac Houle et le lac de Tibériade), soit réalisées à l’échelle de grands lacs (Afanas'ev, 1976, sur le lac Baïkal, Nicod et Rossi, 1979, sur le lac Victoria) et des réservoirs emblématiques aux États-Unis.

Les études existant sur le sujet de l'évaporation des étangs français sont très rares. L'explication de la forte pénurie d'études sur le bilan hydrologique d'étangs et la détermination de l'évaporation de ces petits plans d'eau est liée à plusieurs raisons, les plus importantes d'entre elles sont l'intérêt ou le financement qui ne sont pas suffisants pour justifier le temps et les dépenses mais aussi la difficulté pour estimer et mesurer certains éléments de ce bilan. Bien que les précipitations et le débit entrant et sortant des étangs soient faciles à mesurer, le taux de percolation et d'évaporation compliquent les études sur le bilan hydrologique. Tandis que plusieurs études montrent que le taux d'infiltrations vers les nappes d'eau profondes, dans les principales régions des étangs, est modeste, l'évaporation reste la composante du bilan hydrologique la plus difficile à étudier à cause de l'hétérogénéité de la topographie entourant les étangs et des multiples facteurs météorologiques affectant l'évaporation comme la température de l’eau et celle de l'air, l'humidité relative, le rayonnement solaire, la pression atmosphérique et la vitesse du vent. Outre le climat, les caractéristiques des étangs telles que la taille, la forme, la profondeur, la qualité de l'eau, la clarté, la température de l'eau et la circulation, même son emplacement, peuvent affecter le taux d'évaporation. Pour cela, les études les plus sérieuses ne mentionnent pas l'évaporation, ou ne lui assignent qu'une place modeste (Loup, 1957).

Ces études donnent des estimations très différentes, voire paradoxales. Parfois ces études affirment la forte évaporation des étangs sans aucune mesure ni calcul ni preuve comme l'étude intitulée "Étude diagnostic des causes d'eutrophisation du plan d'eau de la Ramade" réalisée par Aqua Concept Environnement – BCEOM pour le compte de la commune de Giat : «On dénombre 64 étangs sur le bassin versant (...). Ces retenues réduisent sensiblement la ressource en été par évaporation et délivrent des eaux réchauffées». D'autres études, comme celle du SAFEGE (2015) cité ci-dessus, donnent des valeurs de l'évaporation pour une région française proches de celles des lacs existant dans les régions arides ou semi-arides. D'autres études arrivent aux résultats inverses selon lesquels les étangs jouent un rôle plutôt positif en ce qui concerne la quantité des eaux parce qu'ils stockent de l'eau pendant les périodes de fortes précipitations et les restituent ensuite dans les réseaux hydrographiques pendant les périodes d'étiages et parce que l'évaporation des étangs est, la plupart de temps, inférieure à l'évapotranspiration des couverts végétaux entourant les étangs (Morton, 1983 ; Perrin, 2011).

Un autre type d'études qui ne s'appuient sur aucune mesure sur les territoires Français donne des chiffres extraits des documents scientifiques internationaux sur l'influence des étangs sur l’hydrologie et l’hydrogéologie des bassins versants. Un exemple de ce type d'étude est le troisième chapitre du rapport de l'expertise scientifique collective Inra, Onema et Irstea intitulé «Impact cumulé des retenues d'eau sur le milieu aquatique». Les auteurs de ce chapitre disent :«Toutes les études basées sur des observations s’accordent sur le fait que les retenues induisent une réduction des débits, réduction attribuée parfois principalement aux pertes externes des retenues (par évaporation ou infiltration). L’intensité des diminutions varie dans le temps, et peut être assez forte sur les débits de crues et d’étiages. La réduction des débits est plus marquée les années sèches que les années humides». Mais ils disent dans la synthèse de cette expertise que «l’analyse de la littérature n’a pu mettre en évidence un indicateur permettant d’évaluer a priori l’effet cumulé des retenues sur l’hydrologie. La densité de retenues ou le volume de stockage cumulé sur un bassin n’ont de sens que sur des zones relativement homogènes». (...)



Conclusion : l'évaporation des étangs est parfois du même ordre que celle d'autres milieux naturels, le bilan hydrologique annuel est souvent positif pour la réserve en eau

Nos estimations montrent que l'évaporation annuelle des étangs de notre région d'étude varie entre 850 mm/an pour l'étang des Oussines (étang situé à plus de 800 mètres d'altitude) et 1000 mm/an pour les étangs de la Brenne.

En essayant de comparer la quantité d'eau perdue via l'évaporation à partir des étangs et celle perdue par d'autres types d'occupation du sol, nous avons comparé chacun de nos étangs de mesures avec une forêt de chênes ayant la même superficie. Nos analyses montrent que la différence entre la quantité d'eau perdue via l'évaporation, ou (l'évaporation + l'évapotranspiration des plantes aquatiques pour les étangs ayant une partie de leur surface occupée par ces plantes), et celle perdue via l'évapotranspiration et l'interception de la forêt n'est pas très grande. Par contre, cette perte, à l'exception des mois où les arbres souffrent d'un stress hydrique, peut être plus grande pour la forêt que pour l'étang. Nos comparaisons ont aussi montré que les étangs avec des plantes aquatiques perdent une quantité d'eau supérieure à celle perdue par les étangs sans plantes aquatiques. Pour cela, si ces plantes ne font pas partie de la chaîne alimentaire des poissons ou des autres espèces animales qui vivent dans l'étang, ou si elles ne constituent pas un endroit de reproduction pour les oiseaux nicheurs, nous recommandons de couper ces plantes, ou au moins, réduire la proportion qu'elles occupent à la surface de l'étang.

D'après notre travail, l'évaporation d'un étang représentatif du Limousin (l'étang du Château à Rilhac-Rancon) est de 964,5 mm par an, alors que, selon nos mesures directes de l'évaporation réelle à partir d'une surface d'eau libre et l'évapotranspiration réelle d'une surface ayant la même superficie mais occupée par les joncs, nous estimons l'évapotranspiration d'une prairie humide à plus de 2500 mm par an.

En ce qui concerne l'étiage estival de la Claise, nos analyses ont montré que les étangs de la Brenne jouent un rôle dans ce phénomène naturel, car ils empêchent les précipitations tombées durant cette période de continuer leur chemin jusqu'au lit de la rivière. Par contre, nos données ont bien montré que la majorité des eaux tombées sur les étangs pendant la période chaude de l'année ne sont pas perdues par l'évaporation, elles ont été simplement stockées dans les étangs. Du plus, ces étangs, après avoir repris leur volume maximum à la fin d'automne, permettent l'écoulement libre
des cours d'eau.

Concernant les étangs limousins, surtout ceux qui ont des débits entrants et sortants permanents, nos analyses ont montré clairement que ces étangs ont un rôle plutôt positif sur le débit estival des réseaux hydrographiques de cette région par rapport aux autres occupations du sol, car ils restituent la totalité des précipitations qu'ils reçoivent pendant cette période. Or, les forêts les interceptent en grande partie et le reste est utilisé pour compenser la diminution de l'humidité du sol résultant de l'absorption des racines des arbres.

Les résultats de ce travail nous permettent de dire que la présence des étangs favorise l'évaporation, mais il est inexact d'affirmer que ce phénomène impacte fortement la quantité d'eau disponible sur un bassin versant. Au contraire, dans les régions où les précipitations dépassent l'évaporation, et les débits entrants et sortants des étangs sont permanents, ces plans d'eau jouent un rôle positif pour assurer un bon débit des réseaux hydrographiques surtout pendant la période estivale.

Notre étude a aussi confirmé le fait que les régions d'étangs ont une perméabilité réduite, donc les quantités de l'eau infiltrée vers les nappes phréatiques sont petites par rapport aux autres composantes du bilan hydrologique, surtout les débits entrants et sortants. Nos données ont aussi confirmé l'importance de l'écoulement souterrain pour les étangs de vallée. Nous estimons cet écoulement de 0,25 l/s pour l'étang du Château.

À la fin de ce travail, nous espérons que nous avons réussi à ajouter une nouvelle étude de grande valeur à la littérature scientifique sur le sujet de l'évaporation et du bilan hydrologique des petits plans d'eau. Nous souhaitons que les nombreux exemples chiffrés, détaillés et cités dans ce mémoire, aident le plus grand nombre possible des étudiants et autres personnes intéressées à bien comprendre le déroulement du processus d'évaporation.

Espérons que ce travail, qui nous a coûté beaucoup d'efforts, de recherche, d'analyse et des mesures quotidiennes sur les terrains, retienne l'attention des décideurs et des responsables de la gestion de ces plans d'eau, car nous pensons que cette étude les aidera à mieux comprendre ces plans d'eau. Bien que les étang de la Brenne sont partiellement responsables de l'étiage estival de la Claise, les étangs limousins, par contre, soutiennent un bon débit estival de leur région. Donc, la situation géographique des étangs doit être prise en considération au moment d'établir d'un bilan de gestion de ces plans d'eau. Selon notre recherche nous pensons que le choix d'effacement des étangs n'est certainement pas la réponse la plus efficace au problème de l'étiage estival des réseaux hydrographiques de la région Centre-Ouest de la France.

Référence : Aldomany, Mohammad (2017), L’évaporation dans le bilan hydrologique des étangs du Centre-Ouest de la France (Brenne et Limousin). Géographie. Université d’Orléans, 2017. Français. NNT: 2017ORLE1155, tel-01661489, 332 p.

Illustrations : en haut, étang de Brenne, du côté de La Gabrière, par Jean-Marie Gall CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons ; en bas, mare alimentée par l'étang de Bellebouche, en Brenne, par Jacques Le Letty CC BY-SA 3.0.

24/09/2016

J'évapore, tu évapores, il évapore…

En débit, l'évaporation estivale d'une petite retenue de moulin représente à peu près la consommation d'eau d'un équivalent-habitant. Autre image, il faudrait 20 millions de petits moulins évaporant à qui mieux mieux pour arriver à la quantité d'eau utilisée par la seule entreprise EDF pour refroidir ses centrales thermiques françaises. Affirmer que les moulins ont une grave responsabilité en ce domaine est donc assez grotesque. 


Lors d'une réunion sur la continuité écologique, un argument fuse : "une retenue évapore 6 mm par jour en été, c'est conséquent!". Nous avons rétorqué à notre interlocuteur que ce chiffre, à supposer qu'il soit exact (cela dépend en réalité de pas mal de facteurs), est au contraire assez négligeable.

Prenons une retenue de 1000 m2 (nous évoquions dans cet échange une petite rivière). Une perte de 6 mm représente 6 m3 ou 6000 litres par jour. Cela peut paraître impressionnant, mais un débit de rivière se mesure en litre par seconde, et il y a 86400 secondes dans une journée. L'évaporation représente une perte de 0,07 l/s. Il faut comparer ce chiffre avec le débit d'étiage de la rivière, qui se mesure habituellement en dizaines à centaines de l/s pour les petits cours d'eau.

Une moyen mnémotechnique assez simple : l'évaporation estivale d'une petite retenue de 1000 m2 est sensiblement équivalente à la consommation d'eau d'un Français (qui représente un débit moyen d'usage lissé de 0,06 l/s, toutes activités du territoire confondues et rapportées à la population).

Autre ordre de grandeur : le parc thermique d'EDF (nucléaire, gaz, charbon) consomme 42 milliards de m3 d'eau par an pour se refroidir (source EDF 2007).  Soit 1,3 million de litres par seconde, l'équivalent de ce qu'évaporeraient… 20 millions de petits moulins.

Ajoutons que, comme l'observent usuellement les propriétaires de ces moulins, l'évaporation contribue ensuite à la condensation qui profite grandement à la végétation alentour.

Moralité : on a compris que le Ministère, en désespoir de sauver sa très impopulaire réforme de continuité écologique, a lancé comme (absurde) élément de langage la responsabilité écrasante des moulins dans une situation de réchauffement climatique. Mais même pour prétendre que son chien a la rage avant de le mener à l'abattoir, il faudra faire un petit effort. A trop jouer avec ce catastrophisme déplacé, on ne sert vraiment pas la cause de l'écologie.

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Idée reçue #16: "L'évaporation estivale des retenues nuit fortement aux rivières"

Illustration : tours de refroidissement de la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0. Qui, incidemment, a rejeté un peu de plutonium dans la Loire (surnommée sans rire "le dernier fleuve sauvage d'Europe").

11/12/2015

Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

"Votre barrage réchauffe l'eau". Cette idée, que l'on entend le plus souvent dans la bouche des pêcheurs de truite mécontents de ne pas avoir des conditions halieutiques idéales pour leur loisir, vient tout juste d'être reprise dans la communication du Ministère de l'Ecologie. Il est exact que certaines retenues réchauffent l'eau de la rivière. Mais parfois, c'est l'inverse qui se produit. En fait, les transferts thermiques eau-air-sol sont particulièrement complexes et, en la matière, seules des études de terrain peuvent faire un bilan thermique des seuils et barrages. Accuser les seuls ouvrages de réchauffer l'eau méconnaît bien d'autres facteurs à l'oeuvre : le changement climatique bien sûr, la baisse quantitative de la ressource, la suppression des ripisylves. Et à l'heure où le premier facteur de réchauffement attendu est la hausse de concentration atmosphérique des gaz à effet de serre, la mobilisation des ouvrages existants dans la transition énergétique bas-carbone paraît une nécessité plus urgente que leur effacement.

Voici ce que dit notamment le Ministère sur son site (mise à jour du 7 décembre 2015) à propos du réchauffement et de l'évaporation des eaux dans les retenues : "La restauration hydromorphologique des cours d’eau, à travers des effacements d’ouvrages notamment, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l’évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives. Ce phénomène est aggravé par le comblement progressif, parfois quasi-total, des retenues, par des sédiments, notamment dans le cas de seuil ancien qui ne sont plus gérés. Le volume d’eau est en effet alors diminué et étalé sur une très faible profondeur, accélérant son réchauffement."

Une remarque en passant : le Ministère préfère les adjectifs aux chiffres ("forte", "beaucoup lus vite", "importante", "très faible"). C'est assez classique en communication d'influence, il s'agit d'impressionner le public par des mots grandiloquents, en évitant de donner des ordres de grandeur, de préciser des mesures exactes ou d'apporter une intelligence plus globale du phénomène décrit.

Par exemple, les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant le texte ci-dessus sont:
  • quel réchauffement observé des eaux (par rapport au réchauffement total attendu comme à l'amplitude thermique naturelle hiver-été, jour-nuit)? 
  • quel volume d'eau évaporé (par rapport à l'évaporation totale d'un cours d'eau)? 

On ne saura pas. Le Ministère n'explique pas les phénomènes, il instruit désormais un procès à charge. Il serait nettement préférable que ce même Ministère demande à la recherche académique de produire des analyses systématiques sur le régime thermique des rivières en fonction de leur fragmentation (et de la typologie de cette fragmentation)… mais en dehors de quelques études de cas rassemblées de manière un peu impressionniste dans le dernier rapport de l'Onema sur les poissons à l'heure du réchauffement climatique (voir infra), on ne dispose pas à notre connaissance de tels travaux en France. Pourtant, bien que l'enjeu soit important à tout point de vue pour l'avenir des milieux aquatiques, ce n'est pas simple de modéliser la température d'une rivière.

Commençons par quelques étonnants phénomènes locaux : les barrages présents sur la Dordogne diminuent jusqu'à 4°C la température de la rivière à l'aval (Lascaux et Cazeneuve 2008, cité in Baptist et al Onema 2014, p. 112). Sur l'Yonne amont, la retenue de Pannecière refroidit l'eau à l'aval, au point que les truites – espèce aimant pourtant l'eau froide – en sont perturbées (Lascaux et al. 2001, ibid). Voilà qui est curieux : les retenues, que l'on accuse d'un effet de réchauffement, auraient-elles finalement un pouvoir rafraichissant?

La réponse n'est pas univoque : elle s'explique par les échanges d'énergie au sein de la masse d'eau et avec son environnement. Rappelons que les transferts de chaleur se font par radiation (rayonnement entrant ou sortant qui apporte ou dissipe de l'énergie), par convection (différentiel de température et de densité des corps fluides), par conduction (diffusion de mélange) et par advection (échange de flux quand le système est ouvert) à quoi s'ajoutent le changement d'état de l'eau (enthalpie de vaporisation ou transfert de chaleur latente) et la friction (interne à l'écoulement du fluide, ainsi qu'avec le sol et les parois du chenal).

La température d'un cours d'eau est déterminée par de multiples facteurs qui vont influencer le poids relatif de ces modes de transfert thermique. Le schéma ci-dessous, extrait de Dallas 2008, en donne quelques-uns (les principaux, mais pas tous).


Un modèle énergétique de la rivière doit donc intégrer tout ce qui est susceptible de faire varier les  transferts thermiques. Il existe différentes familles de modèles, déterministes ou probabilistes (voir des revues chez Benyahya et al 2007, Caissie 2006), et ceux-ci doivent être paramétrés pour interpréter chaque système à étudier. La chose est loin d'être aisée. Par exemple, l'extension de la surface du miroir d'eau tend à augmenter le rayonnement solaire entrant dans le volume de la retenue, et donc son réchauffement. La même extension de surface tend à aussi à augmenter l'évaporation et le rayonnement infrarouge sortant, qui sont deux modes de refroidissement.

L'importance relative de ces phénomènes énergétiques et thermiques change d'une saison à l'autre. On voit par exemple dans le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) les processus dominants de transfert thermique non advectifs (c'est-à-dire ne venant pas d'affluents ou de la nappe dans la zone hyporhéique de fond) selon chaque mois d'une année (extrait de Webb et al 2008), sur une petite rivière anglaise. On observe en particulier qu'en été, les rayonnements ondes courtes (solaire entrant) et l'évaporation (changement de phase, chaleur latente) jouent des rôles accrus et symétriques (en gain et perte de chaleur pour la masse d'eau concernée).


On observe de surcroît que ce comportement thermique change au fil des mois et des années, avec une variabilité inter-annuelle parfois notable. Le schéma ci-dessous (même source Wood et al 2008) en donnent un exemple (cliquer pour agrandir). L'analyse concerne 25 ans de suivi d'une rivière, avec comparaison de la température de l'eau à l'aval d'une retenue et plus loin dans une zone naturelle sans impact, en janvier et en juillet. On s'aperçoit pour le mois d'été que l'effet peut même changer de signe d'une année sur l'autre (et qu'il est globalement négatif, c'est-à-dire un rafraîchissement).


Les conditions locales (hydrologiques, géologiques, topologiques et même biologiques) viennent notamment compliquer les choses. Par exemple la surface de l'eau, si elle est peuplée de macrophytes flottants (nénuphars, potamots) comme c'est le cas de certaines retenues, laissera moins pénétrer le rayonnement solaire.

La hauteur de lame d'eau est déterminante dans le phénomène appelé stratification thermique : si l'eau est assez profonde (et plus encore si elle est turbide), le fond restera frais quand la surface se réchauffera (en été), phénomène dû pour une part à un différentiel de densité entre eau chaude et froide et pour une autre part à la moindre pénétration du rayonnement solaire (qui réchauffe la couche où il transfère son énergie). Une stratification inverse s'observera en hiver. Cela explique les phénomènes de la Dordogne ou de l'Yonne évoqués plus haut : des barrages laissent passer une eau de fond qui est nettement plus fraîche (en été) que celle de surface, cette dernière tendant à s'homogénéiser avec la température de l'air ambiant.

Le même mécanisme peut s'appliquer à des ouvrages plus modestes de moulins ou étangs. Si l'eau passe en surverse du seuil (on parle d'un écoulement épilimnique), elle sera plus chaude en été. Si elle passe par une vanne guillotine ouverte au fond (ou une buse ou un moine, écoulement hypolimnique), elle sera plus fraîche… à condition cependant qu'il y ait une profondeur suffisante. En tout état de cause, accuser sans nuance ni explication les seuils et retenues de réchauffer l'eau n'a pas trop d'intérêt : tout va dépendre de la configuration locale des différents facteurs qui établissent le régime thermique de l'eau. Et il existe des cas (bien sûr plutôt rares et concernant des grands barrages vers les têtes de bassin) où le problème peut devenir un refroidissement excessif, comme indiqué.

On le voit, les choses ne sont jamais aussi simple que ne l'affirment les adversaires des ouvrages hydrauliques. A ces considérations sur les échanges thermiques, il faut ajouter d'autres arguments:
  • les sécheresses et canicules sont des phénomènes courants aux échelles locales (même en dehors de l'influence anthropique récente sur le climat) et si la présence des retenues et étangs devait provoquer des fortes mortalités piscicoles, celles-ci seraient observées fréquemment et sur la plupart de rivières, ce qui n'est pas le cas à notre connaissance; 
  • même quand on constate un réchauffement sur des petits ouvrages, cela n'implique pas une moindre diversité spécifique à l'aval, dans les eaux réchauffées, le contraire s'observant aussi bien (par exemple les résultats de Lessard et Hayes 2003 sur 10 rivières);
  • dans les plaines alluviales et rivières à faible pente, les espèces de poissons sont souvent thermophiles et ubiquistes, elles supportent des températures élevées et l'impact halieutique reste modeste;
  • il existe une hétérogénéité thermique à toutes les échelles d'espace, y compris par exemple des différences parfois importantes (jusqu'au 7°C, Webb et al 2008 op cit)  entre le cours principal et des annexes latérales, de sorte que les zones refuge des poissons dans les périodes chaudes de la journée doivent s'apprécier localement;
  • il est observé couramment (y compris par des mesures malencontreuses d'ouverture de vanne à fin supposée écologique, cf cet article) que des poissons de toutes espèces trouvent refuge dans des biefs à eau assez profonde (en particulier sur des rivières karstiques lorsque des canaux de dérivation ont des fonds artificiellement imperméabilisés et préservent leur hauteur d'eau);
  • il a été montré que la présence ou absence de ripisylve (végétation de berge) peut faire varier de plus de 3°C la température moyenne d'un tronçon (Clim-arbres 2012) de sorte que la baisse de température par revégétalisation des berges serait une mesure non destructive plus intéressante pour la biodiversité et la thermie que la suppression de seuils ;
  • l'eau potable, l'irrigation, l'industrie consomme de l'eau de surface qui n'est pas toujours restituée près du point de pompage (contrairement à l'hydro-électricité dans 90% des cas), donc le réchauffement futur de l'eau dépend aussi de la manière dont nous serons capable de respecter les volumes estivaux, quand il y a davantage de besoins pour les milieux et pour certains usages ;
  • l'adaptation aux conséquences du changement climatique est un pis-aller par rapport à l'urgence de la prévention de ses causes. Si l'on brûle tout le charbon et tous les hydrocarbures non-conventionnels des sous-sols de la planète, la question des retenues sera assez secondaire pour nos sociétés et nos milieux... Il en résulte que l'équipement hydro-électrique des ouvrages reste dans cette première partie de XXIe siècle une stratégie bas-carbone à envisager en priorité, en particulier en zone non-tropicale (là où le bilan carbone et climatique est excellent);
  • au lieu de vouloir effacer les ouvrages, il existe divers moyens d'en contrôler ou corriger les effets thermiques non désirés, voire de leur faire jouer un rôle régulateur (options de décharge épi-, méso- ou hypolimnique). Ce devrait être la première proposition du gestionnaire, mais hélas celui-ci s'est enfermé dans un programme d'effacement de soi-disant "urgence" sur des rivières classées, ce qui interdit un dialogue constructif et des expérimentations là où elles sont possibles.  
Remettons donc les idées à l'endroit : il est exact que toutes choses égales par ailleurs, une zone large, peu profonde et à faible vitesse de retenue ou d'étang aura tendance à se réchauffer plus vite qu'une zone d'eau courante, ce qui peut avoir un effet significatif en été. Mais cette situation est loin de refléter tous les cas au bord des rivières, et il arrive que les retenues aient des effets opposés de rafraîchissement de l'eau à l'aval. La profondeur de la retenue, la turbidité de son eau, la végétation de ses berges et de sa surface, le mode d'écoulement vers l'aval sont des critères importants. Le régime thermique des rivières est un phénomène complexe, et la réponse biologique à la température l'est également. Dans certaines zones, le réchauffement de l'eau affecte peu les milieux aquatiques et ne modifie qu'à la marge la composition des assemblages biologiques ; dans d'autres, il est localement pénalisant pour des espèces adaptées aux eaux fraîches. En situation de réchauffement climatique – dont la première cause est l'émission carbone et dont l'hydro-électricité est une forme de prévention –, il est possible de procéder à des aménagements d'ouvrages favorables au milieu (par exemple curage de retenue et écoulement hypolimnique qui va refroidir). D'autres solutions non destructives, comme la revégétalisation des berges nues, permettent aussi de diminuer sensiblement la température estivale du réseau hydrique tout en améliorant les biodiversités locales. A cela s'ajoute que les eaux plus profondes des biefs et retenues peuvent servir de refuges dans certaines conditions. Le choix d'effacement des ouvrages n'est certainement pas la réponse la plus intelligente ni la plus prudente au problème du réchauffement des eaux.