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25/03/2018

Les crues de janvier 2018 en Châtillonnais

Pierre Potherat, ingénieur en chef des travaux publics de l’Etat aujourd'hui retraité, livre une réflexion intéressante sur les dernières crues de la Seine et ses affluents en Châtillonnais. L'auteur demande notamment aux autorités d'évaluer les impacts des actions en rivières et berges, notamment la destruction des ouvrages hydrauliques qui tend à accélérer l'écoulement dans le lit mineur et à limiter des expansions de crue en amont des points durs que représente chaque ouvrage. Nous souhaitons que cette démarche d'expertise publique soit menée, à l'heure où certains apprentis sorciers ont décidé de détruire le maximum de moulins, étangs et plans d'eau sans procéder à une évaluation des conséquences de leurs actions cumulées à échelle du bassin versant. 



Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.

Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.

Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.

Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.

Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.

Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?

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Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.

A lire sur le sujet
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Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique" 
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23/04/2017

Pourquoi la GEMAPI va consacrer la mauvaise gestion écologique des rivières

GEMAPI, cela vous dit quelque chose? Ce nouvel acronyme dans la très riche collection de l'administration française signifie gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. C'est une compétence qui, à compter du 1er janvier 2018, va être dévolue aux communes ou intercommunalités. Concrètement, cela sera confié le plus souvent à des syndicats mixtes travaillant à échelle du bassin versant. Cela avait tout l'air d'une bonne idée: enfin un interlocuteur local unique, responsable du bon état écologique et chimique des rivières du bassin versant. Mais la GEMAPI est d'ores et déjà le nom d'une erreur et d'une confusion: des éléments essentiels échappent en réalité à cette compétence, comme les pollutions, l'artificialisation des sols ou la gestion des ouvrages hydrauliques. Au nom de la GEMAPI, on va surtout faire de la restauration physique (morphologie) réduite au lit et aux berges, arbitrairement isolée des autres enjeux  écologiques et hydrauliques, aux antipodes de la vraie gestion intégrée à échelle du bassin versant. Les citoyens n'y gagneront pas en visibilité sur l'ensemble de l'action publique, cette dernière augmentant les risques d'être inefficace car fragmentée, mal informée et mal coordonnée. La directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) a créé des outils de diagnostic et des méthodes d'action pour les bassins versants : c'est eux que nous voulons voir expliqués et appliqués désormais en toute transparence sur chaque rivière, pour sortir des initiatives éclatées ne s'engageant pas sur des résultats prioritaires ou des pratiques polluantes ne répondant pas de leurs impacts sur les milieux et la santé.


Revenons un peu en arrière pour comprendre l'ensemble des tâches concernées par le grand cycle de l'eau, c'est-à-dire les milieux naturels (par opposition au petit cycle des prélèvements à usage humain). L'article L 211-7 du code de l'environnement précise le régime général de gestion de la ressource en eau. Il discerne 12 types de compétences correspondant à autant d'enjeux :
1° L'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique; 
2° L'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès à ce cours d'eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d'eau; 
3° L'approvisionnement en eau; 
4° La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ou la lutte contre l'érosion des sols; 
5° La défense contre les inondations et contre la mer; 
6° La lutte contre la pollution; 
7° La protection et la conservation des eaux superficielles et souterraines;
8° La protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraines; 
9° Les aménagements hydrauliques concourant à la sécurité civile; 
10° L'exploitation, l'entretien et l'aménagement d'ouvrages hydrauliques existants; 
11° La mise en place et l'exploitation de dispositifs de surveillance de la ressource en eau et des milieux aquatiques; 
12° L'animation et la concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques dans un sous-bassin ou un groupement de sous-bassins, ou dans un système aquifère, correspondant à une unité hydrographique.

Cet ensemble cohérent correspond à ce que l'on nomme la gestion intégrée du bassin versant. Le fonctionnement écologique d'un cours d'eau et de ses milieux ne répond pas à un seul compartiment – par exemple l'usage des sols sur les versants, la qualité de l'assainissement, la présence de barrages ou de digues –, mais bien à l'ensemble des impacts qui sont susceptibles de faire varier les propriétés biologiques, physiques et chimiques du système. Ces impacts agissent parfois ensemble, parfois non. Ils ont des effets synergistiques (se renforçant) ou antagonistes (se compensant). Ils ont une importance plus ou moins forte sur les espèces, selon leur nature ou leur intensité, avec des complexités dans le rapport de cause à effet (effet de seuil, effet cocktail ou effet de fenêtre non linéaires, etc.). Ils s'inscrivent dans un contexte plus global, notamment le changement climatique qui va influencer les conditions aux limites du bassin versant (température, précipitation).

Le tout forme un "système", c'est-à-dire un ensemble que l'on ne peut généralement pas comprendre de manière rigoureuse ou modifier de manière prédictible si l'on n'en possède pas tous les éléments et un bon modèle. En cela, la gestion écologique du bassin versant n'est pas comparable à l'action locale de protection d'une espèce particulière ou de conservation d'un milieu classé (comme les Natura 2000).

On prétend faire de la "gestion des milieux aquatiques" sans avoir la main sur des déterminants essentiels de ces milieux
La compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations) a été créée en 2014 par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM). Concrètement, cette compétence est exercée par les communes ou par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI FP), c'est-à-dire les communautés de communes, agglomérations, communautés urbaines ou métropoles. Le plus souvent, ces communes ou intercommunalités vont transférer la compétence à un syndicat mixte qui sera en charge du bassin versant : syndicat de rivière, EPTB (établissement public territorial de bassin) ou EPAGE (établissement public d'aménagement et de gestion de l'eau).

Au premier abord, tout cela va dans la bonne direction : la gestion de la rivière en son bassin est confiée au plus proche du terrain, et si possible à un établissement spécialisé couvrant l'ensemble hydrographique.

Mais voilà où le bât blesse : la GEMAPI ne va pas concerner les 12 périmètres de la gestion de bassin énumérés ci-dessus, seulement 4 d'entre eux. En effet, la GEMAPI couvre les seules rubriques 1°) aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin; 2°) entretien et l'aménagement d'un cours d'eau; 5°) défense contre les inondations et contre la mer ; 8°) protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides ainsi que des formations boisées riveraine de l'article L 211-7 CE.

Ce choix pose des problèmes évidents:

  • la division administrative ne correspond pas à la réalité écologique, la compétence GEMAPI sera impuissante à traiter de manière cohérente l'ensemble des problèmes sur le bassin versant. Par exemple, l'assainissement ou la pollution agricole ne seront pas contrôlés par le même gestionnaire que la restauration de berge ou du lit mineur, alors que tous ont une influence sur les espèces (voir le travail de Villeneuve 2015 sur les impacts corrélés à la dégradation écologique des milieux aquatiques) ;
  • au sein de la morphologie (dimension qui revient principalement à la GEMAPI), la répartition des tâches est également incohérente. Par exemple, l'artificialisation des sols (par l'urbanisation ou l'agriculture) est un élément essentiel de la dynamique sédimentaire et de la qualité des substrats de la rivière, de même qu'elle va impacter directement les inondations (augmentation du risque par déconnexion du lit d'expansion de crue ou intensification du ruissellement). Or elle échappe à la GEMAPI. De même, la gestion des ouvrages (digues ou barrages) aurait dû entrer dans cette compétence, puisqu'elle est un élément-clé de la morphologie comme du contrôle des inondations; 
  • pour le citoyen, il n'y aura toujours pas un interlocuteur unique, pleinement responsable de l'ensemble de l'aménagement durable et équilibré de la rivière. En particulier, la question des pollutions chimiques de l'eau, qui est au coeur des préoccupations des riverains, sera toujours traitée à part et sans grande visibilité sur les pollueurs comme sur les progrès des actions antipollution. 

Malgré des volontés affichées de modernisation, de responsabilisation et de simplification de l'action publique, la France persiste donc dans son "millefeuille administratif". Et malgré l'adoption d'un supposé "paradigme écologique" dans la gestion de l'eau, on ne se donne pas les moyens de l'appliquer avec rigueur.

La politique de rivière souffre déjà de longue date des incohérences de sa mise en oeuvre, qui devrait se faire à échelle du bassin versant entier, avec intégration des tous les compartiments pertinents. Ici, outre les inondations, les syndicats et EPTB ayant compétence GEMAPI vont traiter la qualité de l'eau sous l'angle principal de la morphologie et de la restauration physique. Or, de nombreux travaux scientifiques en hydro-écologie ont précisément montré que l'action sur la morphologie seule du lit et des berges ne peut pas produire de bons résultats si le reste du bassin versant est dégradé ou si les opérations morphologiques sont menées sans vision cohérente des potentialités biologiques (voir Nilsson 2014, Hiers 2016 et cette synthèse sur les problèmes rencontrés). D'autres travaux ont montré que la morphologie ne permet pas non plus d'atteindre le bon état écologique et chimique tel qu'il est mesuré par la directive cadre sur l'eau (DCE) (voir l'analyse de Haase et al 2013 sur cette question). Nous sommes à 10 ans désormais de l'échéance-butoir (2027) à laquelle 100% de nos masses d'eau doivent répondre aux critères de qualité posés par l'Europe et acceptés par la France: peut-on vraiment se permettre de perdre encore du temps à des réformes incomplètes?

Retour aux fondamentaux de la DCE, transparence sur les actions et les résultats
La directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) n'est pas parfaite. Elle est fondée sur l'idée discutable que chaque cours d'eau aurait un "état de référence" (celui du cours d'eau similaire le moins impacté par l'homme, voir cet article) et qu'il serait possible d'atteindre en 25 ans le niveau de qualité écologique / chimique de cette référence pour toutes les masses d'eau. C'est douteux car la déviation par rapport à l'état de référence implique généralement des siècles de modification des milieux, d'innombrables activités humaines difficiles à changer en un court laps de temps, et parfois de nouvelles trajectoires du vivant peu susceptibles de revenir à un état antérieur, voire ayant connu des gains en biodiversité par installation d'espèces adaptées. De plus, cette notion de référence est brouillée par le changement climatique qui va modifier les propriétés actuelles des rivières (voir par exemple le travail de Laizé 2017 sur les changements d'écotype attendus).

Malgré ces limites, la DCE 2000 reste le texte de référence pour la gestion de l'eau. Elle a produit (à travers le travail de la recherche appliquée) des outils assez complets de diagnostic de qualité des bassins. Elle prévoit de toute façon la possibilité de constater l'impossibilité d'atteindre un bon état dans des délais ou des coûts raisonnables pour la collectivité. Donc, il faut travailler pour le moment dans cette logique (de toute façon une obligation de résultat pour tous les Etats-membres de l'Union), quitte à la réviser s'il devient manifeste que les méthodes ou les objectifs ont été mal conçus.



Le méthode proposée par l'Agence européenne de l'environnement pour appliquer la DCE est la suivante (cliquer sur le schéma ci-dessus) : on analyse en premier lieu des données biologiques (poissons, invertébrés, diatomées, macrophytes), afin de vérifier si la rivière est en état bon, moyen ou mauvais au regard des espèces-repères présentes. S'il y a dégradation (état moyen ou mauvais), on analyse les données physico-chimiques et chimiques connues pour dégrader les indicateurs biologiques (matières en suspension, nitrates, phosphates, métaux lourds, pesticides, micropolluants, etc.). On examine également les éléments morphologiques relatifs au lit (fragmentation longitudinale, endiguement, état des berges, diversité des faciès d'écoulement, nature des substrats) et au bassin (occupation des sols).

C'est la base diagnostique minimale qui doit être assurée sur chaque tronçon cohérent d'une rivière. Viennent ensuite des données localement pertinentes que le gestionnaire a vocation à rassembler sur l'hydrosystème dont il a la charge (voir cet article détaillé): l'histoire du cours d'eau et les événements utiles pour comprendre son état actuel (par exemple activités industrielles ou agricoles passées, introduction d'espèces pour la pêche et présence d'invasives), des analyses élargies de biodiversité, qui ne se limite pas aux indicateurs de la DCE (par exemple oiseaux, mammifères, mollusques, crustacés), des études sur les fonctionnalités (connectivité latérale et longitudinale, auto-épuration, amortissement des ondes de crue), etc.

Au regard de ce qui précède, les riverains doivent donc demander :
  • le retour aux fondamentaux, avec publication et explication des mesures de qualité DCE sur chaque masse d'eau (soit un "check up" de la rivière fondé sur la soixantaine de mesures obligatoires sur les indicateurs biologiques, les données physcico-chimiques de l'eau, les pollutions chimiques circulantes, les critères morphologiques, le tout étant analysé selon les méthodes définies par les chercheurs en intercalibrage européen),
  • le bilan approfondi du bassin versant avec analyse DCE au-delà des seuls points de mesure (très peu nombreux) des agences de l'eau ou des Dreal pour le rapportage à l'Europe, afin de disposer d'une vision complète des altérations et des marges de progression,
  • une action prioritaire sur l'amélioration des indicateurs en état mauvais ou moyen, puisqu'il s'agit de notre obligation à court terme (2027), la recherche du très bon état écologique n'étant pas l'enjeu du moment (il faut le préserver là où il est déjà acquis, mais pas spécialement le viser tant qu'il reste des masses d'eau du bassin en état moins que bon),
  • un tableau de bord des performances du gestionnaire avec définition (rigoureuse, et non intuitive) des impacts entraînant la dégradation des indicateurs DCE, investissements pour réduire ces impacts, suivi annuel des résultats des actions menées,
  • la désignation d'une mission responsable devant les citoyens et les élus du territoire de la gestion du bassin versant et de ses résultats, soit le bureau du syndicat / EPTB (si la GEMAPI est réformée pour intégrer toutes les compétences "eau" nécessaires à une approche intégrée) soit un bureau inter-organismes composé par des représentants du syndicat / EPTB et des autres instances compétentes (en particulier celles en charge de travailler sur les pollutions et les usages des sols, premiers facteurs de variation écologique selon les études d'hydro-écologie quantitative). 

Si la GEMAPI consiste à réaliser quelques opérations de restauration physique au hasard des financements et des opportunités locales, sans produire une vision d'ensemble de l'écologie du bassin et sans coordonner les acteurs concernés par les impacts sur l'eau (notamment les agriculteurs, les industriels, les réseaux d'assainissement, les schémas d'occupation des sols), elle produira une mauvaise écologie. Et elle n'aura pas de crédibilité pour répondre aux questions légitimes des citoyens sur les causes exactes de dégradation de leurs nappes, rivières et plans d'eau. La réforme aujourd'hui envisagée en France de la loi sur l'eau de 2006 comme la révision de la DCE en 2019 doivent être l'occasion de poser ces questions sur la table, pour orienter la politique territoriale de l'eau vers plus de transparence et d'efficience.

08/12/2014

De Sivens en Sélune… la GEMAPI et l'introuvable démocratie des rivières

Gestion de l'eau, des milieux aquatiques et prévention des inondations : sous le label très administratif de la GEMAPI se tient une importante mutation en cours. L'Etat transfère à compter de 2016 la gestion des rivières au bloc communal, soit le plus petit échelon des collectivités locales (voir par exemple ici). Quelles vont être les conséquences?

D'abord, si les métropoles et les grandes agglomérations disposent de compétences techniques  et de moyens financiers, ce n'est pas le cas des collectivités rurales, très majoritaires en nombre comme en linéaire de rivières. Donc concrètement, ce sont les syndicats de gestion des rivières (EPAGE, EPTB) qui vont prendre de l'importance dans les années à venir (voir ici le peu d'appétit des communes pour ce cadeau empoisonné).

Ensuite, pour gérer une rivière, il faut justement des moyens. Et des moyens d'autant plus importants que l'eau a connu une explosion réglementaire depuis 15 ans, avec d'innombrables obligations de qualité, de contrôle et de surveillance, qui ont toutes des coûts. Comme l'Etat transfère la compétence mais réduit dans le même temps la dotation aux collectivités, la GEMAPI devrait donc se traduire par une nouvelle taxe locale. Cette nouvelle taxe est supposée être plafonnée à un montant annuel de 40 € par habitant, elle est encadrée par l'article L. 211-7-2 du Code de l’environnement
.

Enfin, et en conséquence des points précédents, la GEMAPI va exiger une révolution démocratique dans la gestion de la rivière. Actuellement règnent l'opacité et le formalisme : la composition des commissions locales de l'eau (quand elles existent grâce à un SAGE) est rigide et fixée par le Préfet, les vraies décisions se prennent en tout petit comité fermé (direction des EPAGE / EPTB, Agence de l'eau, Misen, DDT, Onema, Dreal), la complexité apparente des sujets et de leur jargon produit l'indifférence des élus et des citoyens, les réunions d'information et de concertation du public sont minimalistes voire inexistantes, les consultations donnent des résultats désespérément faibles en participation tout comme les enquêtes publiques sont devenues des formalités peu suivies, car peu susceptibles de modifier des projets soumis à enquête. Continuer sur cette voie, alors qu'on va lever un nouvel impôt et que la pertinence des dépenses des syndicats est déjà fortement remise en question, c'est la garantie d'une conflictualité croissante sur les rivières.

Du barrage de Sivens dans le Tarn aux barrages de la Sélune en Normandie en passant par le Center Parcs de Roybon en zone humide, on observe déjà des premiers exemples de cette insurrection latente. A plus petite échelle, nos associations sont engagées dans de vifs débats sur les choix des syndicats et de l'Etat sur le Cousin, sur l'Armançon, sur la Seine, sur la Bèze… et la liste ne cesse de s'allonger à mesure que les riverains et leurs élus découvrent, effarés, le manque de réalisme de la politique de l'eau et son éloignement des préoccupations essentielles.

Les positions contradictoires et imprévisibles de l'Etat sur le dossier eau (noyer des zones humides sous le béton à Sivens pendant qu'on détruit des moulins centenaires, engager la destruction des barrages normands de la Sélune puis reconnaître que la dépense est absurdement élevée, sortir du chapeau le serpent de mer de la promesse jamais tenue du referendum local, etc.) indiquent assez que, même au sommet – surtout au sommet –, on ne sait plus trop comment gérer un dossier que l'on a soi-même rendu explosif.

Plus elles gagnent en pouvoir de décision et d'action sur nos cadres de vie, plus les technocraties gestionnaires de rivières devront rendre des comptes et s'ouvrir au débat démocratique. Si elles ne le font pas, elles en paieront le prix : désaffection de certaines collectivités n'ayant plus d'intérêt à adhérer à un syndicat qui détruit leur paysage de vallée  ou de capacité à assumer des obligations bien trop lourdes, multiplication des contentieux judiciaires, blocage des projets par voie de manifestation ou par voie procédurale, actions de rue parfois violentes comme ultimes moyens de se faire entendre pour certains usagers désespérés comme pour les protecteurs de l'environnement.

Les rivières débordent souvent. Les riverains parfois…

Illustrations : crues 2013 de l'Armançon, une rivière gérée par un Syndicat (SIRTAVA) manifestant peu d'intérêt pour la concertation démocratique, un franc mépris pour les associations ne pensant pas comme lui et dont bon nombre de réunions sont annulées... faute de quorum.