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04/06/2025

Les moulins de Rudăria, un patrimoine hydraulique au cœur des dynamiques touristiques (Dragan et al 2024)

Dans une Roumanie confrontée à l’exode rural et à la perte de repères identitaires dans ses campagnes, les moulins à eau de Rudăria offrent un exemple emblématique de valorisation du patrimoine culturel immatériel. Une étude récente analyse en détail le rôle de ces infrastructures hydrauliques dans la requalification touristique du territoire, à partir d’une double enquête menée auprès des touristes et des acteurs locaux.


Un des moulins du site étudiée, art.cit.

Situé dans la vallée d’Eftimie Murgu, au sud-ouest de la Roumanie (département de Caraș-Severin), le site de Rudăria abrite le plus grand ensemble de moulins à eau fonctionnels d’Europe du Sud-Est. Classés au patrimoine culturel national depuis 2000, ces 22 moulins traditionnels répartis sur un linéaire de 3 km témoignent de pratiques agro-pastorales anciennes reposant sur la coopération villageoise et la maîtrise communautaire de l’eau.

Face à la marginalisation économique de cette zone rurale montagneuse, les chercheurs ont souhaité explorer le potentiel des moulins comme leviers de développement touristique durable et comme vecteurs d’une reconnexion identitaire pour les habitants.

L’enquête s’appuie sur une double approche. D’un côté, un questionnaire a été administré à 190 visiteurs sur site, en août 2022, pour mieux comprendre leurs motivations, attentes et perceptions. De l’autre, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès d’un panel d’acteurs institutionnels, associatifs et économiques (représentants des collectivités, ONG, commerçants, guides locaux).

Cette approche croisée a permis d’analyser les conditions de valorisation touristique de ce patrimoine hydraulique, en mettant en lumière la diversité des parties prenantes et les dynamiques de gouvernance locale.

Parmi les résultats marquants, on note que 80 % des touristes sont attirés par l’authenticité du lieu et la beauté du paysage. Les visiteurs expriment une forte sensibilité au caractère fonctionnel des moulins : plus de 70 % déclarent qu’il est important de voir les moulins en activité, et non simplement comme vestiges.

Le profil des touristes reste majoritairement national (Roumains de milieu urbain), avec une part croissante de visiteurs internationaux grâce aux réseaux sociaux. Environ 60 % viennent pour la première fois, mais près de 20 % déclarent être déjà venus à Rudăria, ce qui indique une capacité de fidélisation du site.

Le développement touristique ne résulte pas d’un plan public structuré, mais plutôt d’une mobilisation ascendante. Une ONG locale, Acasă în Banat, joue un rôle clé dans la réhabilitation des moulins, la signalétique patrimoniale et l’animation du site. Ces initiatives sont soutenues ponctuellement par les autorités locales, mais l’absence d’une stratégie coordonnée à l’échelle départementale ou régionale limite encore le potentiel de développement.

La gestion du site repose donc sur des équilibres fragiles entre initiatives citoyennes, soutien public intermittent et valorisation commerciale prudente.

Discussion
L’étude montre que les moulins à eau de Rudăria, bien plus que des objets patrimoniaux figés, constituent un écosystème culturel vivant, capable de structurer une offre touristique cohérente et respectueuse des ressources locales. Mais pour que ce modèle devienne durable, les auteurs soulignent la nécessité d’un cadrage institutionnel plus clair, d’un appui à long terme des politiques culturelles et d’une intégration des communautés locales dans la gouvernance du site. On ne peut que souhaiter le développement de tels choix à échelle européenne, notre continent étant caractérisé par la persistance d'un patrimoine exceptionnel de moulins et usines à eau dont beaucoup ont conservé leurs fonctionnalités essentielles, leurs atouts paysagers et leur identité architecturale. 

26/05/2025

Castor et humain, quels effets pour leurs petits barrages ? (Wohl et Inamdar 2025)

Alors que les castors sont réintroduits dans les cours d'eau de l'hémisphère nord et que la restauration des rivières s'oriente vers des analogues de barrages de castors construits par l'homme, il est pertinent de comparer les effets de ces structures naturelles avec ceux des petits barrages humains. Une étude récente publiée par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar se penche sur cette question, comparant systématiquement les barrages de castors à quatre types de petits barrages humains afin d'évaluer leurs impacts respectifs sur les services écosystémiques.



Illustrations extraites de Wohl et Inamdar 2025, art cit.

La popularité croissante de la réintroduction des castors et de la construction d'analogues de leurs barrages (Beaver Dam Analogues - BDA) comme outils de gestion et de restauration des petites rivières soulève une question fondamentale : les petits barrages construits par l'homme, souvent dispersés dans le paysage (comme les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle ou les retenues agricoles), produisent-ils des effets écosystémiques similaires à ceux des barrages de castors ?. L'objectif principal de cette étude est de comparer systématiquement ces effets sur des processus clés tels que l'hydrologie, la dynamique des sédiments et des nutriments, l'habitat et la biodiversité, afin d'informer les gestionnaires et le public.

L'étude compare cinq types de petits barrages (<5m de haut en général):
  • Barrages de castors : Construits par Castor canadensis (Amérique du Nord) et Castor fiber (Eurasie). Ils sont souvent multiples, perméables, dynamiques, d'orientation variable et peuvent créer de vastes "prairies de castors" hétérogènes.
  • Analogues de barrages de castors (BDA) : Structures humaines conçues pour imiter les barrages de castors, souvent perméables. Leur usage est récent et vise la restauration.
  • Barrages de moulins : Historiquement construits pour l'énergie hydraulique, ils sont généralement imperméables. Beaucoup sont aujourd'hui en ruine ou ont été retirés.
  • Seuils de correction torrentielle (Check dams) : Utilisés pour contrôler l'érosion et stocker les sédiments, surtout en montagne et zones sèches. Ils peuvent être durables (béton, roche) ou temporaires (bois, fagots) et sont souvent construits en série.
  • Retenues collinaires / Étangs pour bétail (Stock ponds) : Remblais de terre construits en travers de petits cours d'eau (souvent éphémères) pour stocker l'eau, principalement en zones arides ou semi-arides. Ils sont généralement imperméables.
La comparaison s'effectue selon les effets de ces barrages sur:
  • Le bilan hydrique et la connectivité hydrologique tridimensionnelle (longitudinale, latérale, verticale).
  • Les sédiments.
  • La matière organique particulaire et le carbone.
  • Les nutriments (azote et phosphore).
  • L'habitat (diversité, abondance, connectivité).
  • Le biote (diversité et abondance des espèces).
L'analyse révèle des différences significatives entre les barrages de castors et les structures humaines, même si ce sont des moyennes masquant la nécessité d'analyse au cas par cas.

Hydrologie : Les barrages de castors et les BDA, grâce à leur perméabilité et leur structure, tendent à améliorer la connectivité hydrologique latérale (avec la plaine inondable) et verticale (échanges hyporhéiques, recharge de nappe) plus que les barrages humains imperméables..

Sédiments : Tous les barrages piègent les sédiments. Cependant, les barrages de castors et les BDA sont moins susceptibles de provoquer une érosion en aval, tandis que les barrages de moulins et les seuils peuvent entraîner une incision du lit. Les barrages de castors favorisent une aggradation de la plaine inondable.

Carbone et nutriments : Les barrages de castors créent des "points chauds" biogéochimiques. Ils favorisent généralement la séquestration du carbone  et la rétention/élimination de l'azote (N) et du phosphore (P), notamment via la dénitrification. Les barrages de moulins ont des effets complexes ; leurs sédiments peuvent stocker ou libérer N et P selon les conditions, et leur retrait peut entraîner des flux importants. Les données sont limitées pour les seuils et quasi inexistantes pour les stock ponds, bien que tous puissent potentiellement stocker C, N et P.

Habitat et biote : Les barrages de castors augmentent considérablement l'hétérogénéité des habitats (aquatiques, riverains) et, par conséquent, la biomasse et la biodiversité à l'échelle du paysage. Ils posent peu d'obstacles aux mouvements des organismes. Les BDA tentent de reproduire ces effets, mais avec un succès potentiellement moindre à ce jour. Les barrages humains, souvent imperméables et persistants, créent des habitats lentiques mais fragmentent fortement la connectivité longitudinale, limitant le passage des poissons. Ils peuvent parfois favoriser des espèces non natives.

L'étude conclut que les "prairies de castors" (complexes de multiples barrages) offrent les plus grands bénéfices écosystémiques. Les avantages des castors découlent de leur capacité à créer une mosaïque dynamique et hétérogène de barrages d'âges variés, perméables, qui maximisent la connectivité latérale et verticale, augmentant ainsi le stockage d'eau, de sédiments, de nutriments et de carbone, tout en favorisant la biodiversité. Les barrages humains, conçus pour être statiques et imperméables, n'offrent généralement pas la même complexité et les mêmes avantages écosystémiques, bien qu'ils puissent avoir une valeur locale (par exemple, habitat lentique rare, barrière aux espèces invasives).



Voici leur synthèse :

"Les barrages de castors, les analogues de barrages de castors, ainsi que les barrages de moulins et les seuils de correction torrentielle permettent à l'eau de s'écouler par-dessus le barrage, au moins pendant les hauts niveaux de la rivière. Les barrages de castors et les analogues de barrages de castors sont également susceptibles d'être au moins légèrement poreux et perméables et permettent ainsi un écoulement à travers le barrage. Les étangs de remblai sont typiquement des structures en terre et sont conçus pour être imperméables et résister au débordement. Les barrages humains sont couramment destinés à persister pendant des années, voire des décennies. Les barrages de castors individuels peuvent persister pendant des décennies mais sont plus susceptibles d'être utilisés seulement quelques années avant que les castors ne se déplacent vers un autre site dans le corridor fluvial. Une implication de cette fugacité est la présence de multiples barrages et étangs de castors abandonnés avec différents stades de remplissage et de qualité de l'eau qui augmentent l'habitat et la biodiversité. Les analogues de barrages de castors construits par l'homme, les barrages de moulins, les seuils de correction torrentielle et les remblais de terre sont destinés à créer un seul barrage avec une retenue d'eau, bien qu'il puisse y avoir plusieurs barrages en séquence le long d'un cours d'eau. Comme noté précédemment, les castors construisent des barrages avec diverses orientations par rapport à la direction générale aval, et beaucoup de ces barrages peuvent ne pas être sur le chenal principal. Les analogues de barrages de castors peuvent suivre ces motifs mais sont plus susceptibles d'être similaires aux autres barrages construits par l'homme en ce qui concerne leur présence en séquence sur le chenal principal. Comme noté concernant le passage des poissons, les barrages de castors sont plus susceptibles que les barrages construits par l'homme (à l'exception des analogues de barrages de castors) d'avoir des chenaux secondaires qui contournent le barrage et fournissent une connectivité hydrologique de surface au sein du corridor fluvial.

Un effet des barrages de castors avec une orientation et un emplacement variables est d'augmenter substantiellement la fragmentation (patchiness) du corridor fluvial. Les fragments (patches) sont des unités spatiales discrètes qui diffèrent des unités adjacentes. La fragmentation du corridor fluvial décrit l'hétérogénéité spatiale tridimensionnelle du corridor. Différents critères peuvent être utilisés pour délimiter les fragments. Dans les corridors fluviaux, les fragments diffèrent généralement en fonction de la topographie et de la communauté végétale, ce qui reflète l'histoire géomorphologique de l'érosion et du dépôt fluviaux, la granulométrie, l'humidité du sol et le temps de résidence du substrat sous-jacent. Les perturbations telles que les inondations et les incendies modifient la distribution des fragments dans le temps, comme l'exprime la mosaïque d'habitats changeante. La fugacité des barrages de castors individuels peut également créer une mosaïque d'habitats changeante, en particulier dans une prairie de castors.

Les barrages construits par l'homme autres que les analogues de barrages de castors sont susceptibles d'entraver le passage des poissons. Hart (2004), par exemple, a décrit des pêcheurs obtenant une législation pour retirer ou modifier les barrages de moulins qui empêchaient les poissons migrateurs d'atteindre leurs frayères dans l'Amérique du 18ème siècle. Cependant, les retenues associées aux barrages humains peuvent bénéficier à d'autres types d'organismes aquatiques. Les étangs de bétail dans les régions relativement sèches sont couramment construits sur des chenaux éphémères ou intermittents, et les étangs varient d'intermittents à pérennes. Les organismes aquatiques peuvent ne pas être présents dans ces réseaux fluviaux, ou les étangs peuvent créer des bassins refuges et des habitats supplémentaires pour des espèces aquatiques telles que les invertébrés et les amphibiens, et pour les oiseaux aquatiques. Les étangs de bétail peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'utilisation consomptive de l'eau ou le changement climatique dans les zones arides a réduit l'abondance d'eau stagnante et de zones humides dans les corridors fluviaux. Les retenues de moulins, même dans les régions avec une eau de surface abondante (par exemple, l'Angleterre), peuvent fournir un habitat lentique rare le long des corridors fluviaux et soutenir des populations d'organismes tels que les amphibiens qui préfèrent un tel habitat. Les retenues de moulins peuvent fournir des avantages écosystémiques là où l'ingénierie des corridors fluviaux dans les régions plus humides a réduit la présence de corridors fluviaux-humides naturels.

Chacun des cinq types de barrages considérés ici peut altérer les corridors fluviaux et les réseaux fluviaux de manière persistante pendant des décennies, voire des millénaires. Tant que les barrages eux-mêmes restent intacts, ils peuvent entraver le passage aval des matériaux et, dans certains cas, les mouvements longitudinaux des organismes. Une fois les barrages rompus, les sédiments accumulés restants peuvent altérer la morphologie du corridor fluvial et l'habitat en amont du barrage, ainsi que l'approvisionnement en solutés et en matières particulaires (sédiments, matière organique) vers les parties aval du réseau fluvial. La Figure 7 illustre conceptuellement l'ampleur relative et les avantages de ces altérations persistantes. Bien que les évaluations des avantages et des coûts dans cette figure soient qualitatives, elles sont informées par les connaissances disponibles telles que reflétées dans les articles évalués par des pairs résumés ici. Ces évaluations nous amènent à classer les petits barrages du généralement plus bénéfique (prairies de castors avec plusieurs barrages) au moins bénéfique (barrages de moulins), reconnaissant que les prairies de castors peuvent ne pas être bénéfiques sur certains sites pour les infrastructures et les propriétés humaines dans le corridor fluvial, et que les barrages de moulins peuvent être bénéfiques sur certains sites où ils entravent la migration amont des espèces envahissantes ou fournissent un habitat lentique dans le corridor fluvial."




Discussion
Ce travail montre qu'il reste très difficile de faire des comparaisons informées sur les effets des ouvrages hydrauliques. Par exemple, les auteurs disent qu'une différence majeure entre barrage de castor et barrage d'humain est que le second est perpendiculaire au flot alors que le premier a une orientation variable. Mais en réalité, les chaussées de moulin sont loin d'être toutes perpendiculaires au lit qu'elles barrent. De même, leur caractère non franchissable par des espèces migratrices est discutable, il dépend de la dimension, de la forme et de l'ennoiement relatif de l'ouvrage en période de hautes eaux. En outre, il est dommage de ne pas avoir étudié les étangs piscicoles de lit mineur, qui sont aussi un usage très répandu.  Les auteurs soulignent eux-mêmes d'importantes lacunes dans la recherche:
  • Le manque d'études sur les effets des retenues sur les cycles du carbone et des nutriments.
  • La nécessité de bilans hydriques et de carbone complets à l'échelle des tronçons de rivière affectés par ces barrages.
  • Une meilleure compréhension des effets des barrages de moulins sur l'hydrologie souterraine.
  • L'évaluation des effets cumulatifs de multiples petits barrages à l'échelle du bassin versant.
  • Le besoin de comparaisons plus directes entre les barrages humains et les barrages de castors concernant l'habitat et le biote.
Nous pourrions ajouter que, dans une logique non-naturaliste, les services écosystémiques ne se limitent pas aux effets sur les cycles naturels : les barrages humains ont évidemment l'avantage pour toutes les fonctions spécifiques qu'ils remplissent (fourniture d'énergie et d'eau, agrément culturel et paysager, usages ludiques et autres). 

On retiendra finalement de ce passage en revue par Ellen Wohl et Shreeram Inamdar que les ouvrages de moulins ont bel et bien certains avantages écosystémiques comparables à d'autres barrages naturels. Le principal défaut avancé est la rupture de continuité écologique longitudinale.

Référence : Wohl E, Inamdar S (2025), Beaver versus Human: The big differences in small dams, Wiley Interdisciplinary Reviews: Water, 12, e70019.

02/05/2025

Régénérer les moulins à eau, un enjeu d'avenir pour les rivières (Grano 2025)

À travers une vaste enquête pluridisciplinaire et de nombreux cas italiens, la chercheuse Maria Carmela Grano montre que les moulins à eau peuvent redevenir des leviers de durabilité locale, en conjuguant patrimoine, énergie, écologie et engagement citoyen. Mais cette dynamique suppose de repenser certaines politiques fluviales trop indifférentes aux héritages culturels et paysagers, tout comme d’encourager les propriétaires à inscrire leur bien dans un projet d’avenir.


Extrait de Grano 2025 art. cit. 

L’article de Maria Carmela Grano part d’un constat double : d’une part, les moulins à eau sont devenus des vestiges sous-exploités du passé ; d’autre part, ils recèlent un potentiel insoupçonné pour répondre à des défis contemporains (transition écologique, gestion durable des paysages, revitalisation rurale). En raison de leur lien intime avec les systèmes hydrographiques, les dynamiques socio-territoriales, et les savoirs techniques anciens, les moulins sont à reconsidérer comme écosystèmes régénératifs, capables de conjuguer conservation patrimoniale, résilience environnementale et usages économiques durables. Cette recherche propose une lecture systémique et multidisciplinaire des moulins à eau, les envisageant comme carrefours de dynamiques culturelles, sociales, hydrogéomorphologiques, énergétiques et politiques.

La chercheuse montre comment les moulins historiques, loin d’être de simples infrastructures techniques, sont des systèmes autonomes d’utilisation des ressources naturelles, incarnant un patrimoine éco-culturel. Leur interaction avec le paysage (topographie, réseaux fluviaux), leur capacité à stocker et restituer l’eau, à transformer l’énergie de manière décentralisée, en font des éléments centraux dans la structuration historique des territoires. Cette approche rejoint les notions de paysage culturel et d’écosystème culturel, en ligne avec les définitions de l’UNESCO et de la Convention de Faro.

Maria Carmela Grano souligne l’ambiguïté des données archéologiques concernant la diffusion des moulins à eau en Europe. Alors que la vision traditionnelle plaçait leur développement au Moyen Âge, des recherches récentes plaident pour leur usage dès le Ier siècle. Par ailleurs, la diversité des formes technologiques (horizontal vs vertical) est revalorisée, les roues horizontales n’étant plus vues comme primitives mais comme adaptées à certains contextes.

L’article démontre que l’implantation historique des moulins était fortement corrélée à la morphologie fluviale et aux gradients d’altitude. Cette disposition optimale peut aujourd’hui être réinvestie via des projets de micro-hydroélectricité à faible impact, comme le montrent les projets européens Restor-Hydro et RENEWAT. Mais "le potentiel énergétique des moulins reste largement sous-exploité, faute d’intégration entre patrimoine et transition énergétique", observe la chercheuse. L’analyse géologique et sédimentologique des anciens sites permet de retracer les évolutions paysagères et d’estimer les risques liés aux crues, à l’enfouissement ou à l’érosion.

La chercheuse insiste sur l’importance des savoirs vernaculaires des meuniers, transmis par la pratique, en tant qu’éléments-clés du fonctionnement durable des moulins. Elle cite notamment les formations néerlandaises et les initiatives italiennes (AIAMS) pour réactiver cette mémoire technique. Ces pratiques s’inscrivent dans une logique de gestion participative des ressources, où les habitants contribuaient à l’entretien des systèmes hydrauliques. Ce modèle communautaire, toujours vivant dans certains territoires, constitue un levier pour une gouvernance locale résiliente et durable. "Le savoir des meuniers, inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, incarne une forme précieuse d’intelligence hydraulique", souligne MC Grano.

L’étude documente plusieurs exemples où les moulins sont devenus des vecteurs de tourisme culturel et durable. Ils sont restaurés comme musées, lieux de mémoire, ateliers pédagogiques ou gîtes ruraux. Cette valorisation, souvent soutenue par des bénévoles et des fondations (FAI, National Trust), contribue à lutter contre le surtourisme, revitaliser les zones rurales, et promouvoir des formes lentes et engagées de découverte.

Enfin, Maria Carmela Grano explore les difficultés de recensement et d’inventaire des moulins, en raison de la dispersion des sources et de l’absence de vérifications historiques. Elle mobilise plusieurs bases de données : cartes hydrauliques anciennes (carte de 1890), archives régionales, sites UNESCO, projet Restor Hydro, plateforme AIAMS. Ces travaux soulignent l’urgence d’un croisement de sources (cartographiques, archéologiques, techniques) pour établir une base de connaissance cohérente à l’échelle nationale.

Etudiant des cas en Italie, Maria Carmela Grano recense plus de vingt projets italiens de régénération de moulins, soutenus par des financements variés : privés, communautaires, ou publics (notamment le plan européen NextGenerationEU – PNRR italien). Quatre cas emblématiques sont approfondis :
  • Mulino Ra Pria (Ligurie) : restauration technique complexe d’un moulin horizontal à canal surélevé. Projet associatif orienté vers la valorisation patrimoniale et paysagère.
  • Mulino Scodellino (Émilie-Romagne) : moulin encore productif, devenu lieu culturel (festival inclusif, visites scolaires, production de biscuits), restauré après une inondation en 2023.
  • Mulino e Gualchiera Romano (Basilicate) : reconstruction à l’identique d’un moulin en ruine, avec étude géologique et usage de matériaux d’origine.
  • Mulino di Arignano (Piémont) : conversion en habitation privée, alliant conservation architecturale et usage domestique.
D’autres exemples sont cités pour illustrer la diversité des usages : tourisme, musées, éducation, production agricole ou énergétique (hydroscies, forges, micro-turbines).

La conclusion de l’article insiste sur trois orientations majeures.
  • Renforcer les connaissances et les politiques de conservation : malgré un regain d’intérêt local, la majorité des moulins restent hors des radars institutionnels, vulnérables face aux effets du changement climatique, de l’urbanisation ou de la désaffection rurale.
  • Mobiliser les technologies avancées : SIG, modélisation 3D, IA, photogrammétrie et analyses hydro-géomorphologiques sont appelées à jouer un rôle crucial dans la préservation et la valorisation des moulins, à condition de créer des plateformes partagées et interopérables.
  • Explorer les voies de reconversion productive : les moulins peuvent devenir des pôles multifonctionnels de la durabilité locale : éducation, artisanat, tourisme, micro-énergie, gestion de l’eau et de la biodiversité. L’autrice plaide pour des politiques intégrées entre patrimoine, énergie et aménagement rural.

Extrait de Grano 2025 art. cit.

Discussion
L’article de Maria Carmela Grano s’inscrit dans une dynamique salutaire de réhabilitation des moulins à eau comme ressources culturelles, paysagères et techniques. Pourtant, on peut regretter que la gestion contemporaine des rivières, largement dominée par une lecture strictement écologique, reste souvent aveugle aux usages historiques et aux formes d’adaptation humaine au milieu fluvial. Cette approche conduit fréquemment à la destruction de seuils de moulins considérés comme "obstacles à l'écoulement et au franchissement", alors même qu’ils pourraient, dans de nombreux cas, être aménagés pour faciliter la circulation piscicole ou sédimentaire tout en préservant la mémoire et la structure des lieux. Il y a là un manque de dialogue entre patrimoine et écologie, entre savoirs anciens et solutions d’ingénierie actuelles, qui mériterait d’être comblé.

Par ailleurs, l’article montre à juste titre le rôle des associations, des collectivités et des chercheurs dans la régénération des moulins, mais il pourrait souligner plus fermement que les propriétaires eux-mêmes ont une responsabilité centrale dans cette dynamique. Ceux qui se contentent de conserver à l’identique des bâtiments anciens sans projet d’usage limitent la portée de leur action. À l’inverse, ceux qui réintègrent le moulin dans des logiques d’usage productif, éducatif ou environnemental – même partiellement – contribuent à faire évoluer les politiques publiques et les représentations sociales. C’est de leur capacité à articuler héritage et innovation que dépendra en grande partie l’avenir des moulins dans les territoires ruraux. Comme le souligne la chercheuse, "les moulins à eau ne sont pas seulement des reliques du passé, mais des systèmes régénératifs capables de répondre aux défis de notre époque. (…) Leur restauration ne doit pas être une nostalgie, mais un processus dynamique qui intègre patrimoine, innovation et durabilité."

08/04/2025

Le harcèlement administratif des ouvrages hydrauliques persiste : comment y mettre fin?

Alors que la relance des ouvrages hydrauliques anciens pourrait contribuer à la transition écologique, à la résilience des territoires et à la souveraineté énergétique, ces projets se heurtent encore et toujours à une multitude de blocages administratifs. L’association Hydrauxois dénonce un excès de complexité, une culture du soupçon, un antagonisme organisé entre protection de la nature et usages de l’eau. Le gouvernement comme le législateur doivent faire cesser ces troubles qui viennent au premier chef des dérives des services publics concernés. 


En France, de nombreux ouvrages hydrauliques anciens — moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau, petits barrages, usines hydroélectriques — ont été construits bien avant la loi sur l’eau de 1992. pour beaucoup avant le 20e siècle et même avant la Révolution. Ces ouvrages, déjà autorisés, sont souvent fondés en titre ou disposent d’une reconnaissance antérieure de leur existence et de leur usage. Pourtant, leur relance, notamment à des fins de production hydroélectrique, piscicole ou d’agrément, est aujourd’hui entravée par une multitude de contraintes administratives.

Le harcèlement réglementaire des ouvrages hydrauliques déjà autorisés
Les services de l’État en charge de l’eau et de la biodiversité — DREAL, DDT-M, Office français de la biodiversité (OFB), Agences de l’eau — comme souvent ceux des syndicats de rivière multiplient les obstacles qui rendent les démarches longues, coûteuses et incertaines. Alors même que ces ouvrages sont en place, légalement fondés et potentiellement utiles dans le contexte de la transition énergétique, de l'adaptation au changement climatique ou de la préservation des usages ruraux, les procédures deviennent un véritable parcours du combattant.

Parmi les problèmes fréquemment rencontrés :
  • des contestations sur la reconnaissance du droit fondé en titre ;
  • des remises en question de la consistance légale de l’ouvrage (hauteur, débit dérivé, puissance exploitable) ;
  • des exigences exagérées sur les débits réservés, souvent supérieurs au seuil de 10 % prévu par la loi ;
  • des demandes de justification disproportionnées, parfois sur des données anciennes ou impossibles à reconstituer ;
  • des délais d’instruction excessifs, souvent suivis de demandes de compléments sans fin ;
  • des avis techniques défavorables sans prise en compte des réalités historiques, juridiques et locales ;
  • des objectifs maximalistes d'absence d'impact impossibles à tenir car ils signifieraient l'absence d'ouvrage ;
  • des qualifications de certaines rivières comme "réservoirs biologiques" sans preuve et sans démonstration que l'ouvrage aurait mis en péril cette fonction de réservoir ; 
  • un manque de coordination entre services, chacun pouvant bloquer à son niveau la relance d’un ouvrage.
La situation n'est pas la même partout. Parfois, des services administratifs font preuve de bon sens et de rapidité dans la relance de sites anciens. Mais cette disparité est encore plus pénible à vivre car cela signifie que l'arbitraire d'un service instructeur local peut rendre une situation invivable alors qu'elle est tout à fait paisible ailleurs. L'égalité devant la loi et les charges publiques est pourtant inscrite dans la mentalité française de longue date... L'attitude négative de certains agents publics s'apparente davantage à un militantisme au service d'une vision radicale de l'écologie qu'à la gestion "durable et équilibrée" de l'eau telle que la loi l'avait prévue. Cela décrédibilise l'action publique, déjà perçue comme coupée des réalités vécues. 

Cette situation engendre une insécurité juridique permanente pour les maîtres d'ouvrage (particuliers, entreprises ou communes), avec une accumulation de coûts et de procédures rendant quasi-impossible la relance de nombreux sites. Elle contribue à décourager les porteurs de projets, à freiner des initiatives locales vertueuses, à entretenir une forme de harcèlement administratif vis-à-vis d’ouvrages pourtant inscrits de longue date dans le paysage urbain comme rural.

Pour une réforme législative et administrative des usages hydrauliques
Face aux blocages répétés auxquels sont confrontés les porteurs de projets de relance d’ouvrages hydrauliques déjà autorisés, il devient indispensable d’engager une double réforme : au niveau législatif d’une part, au niveau réglementaire et administratif d’autre part. Le retour d’expérience des dernières décennies montre que la complexité actuelle n’est plus tenable et que, malgré les efforts affichés d'apaisement, le gouvernement n'est pas capable d'une direction politique de son administration eau & biodiversité.

1. Réviser les lois sur l’eau en renouant avec la culture des usages hydrauliques
Le cadre législatif européen (Directive cadre sur l’eau,  règlement sur la restauration de la nature) comme le cadre national (loi sur l’eau de 1992, loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, etc.) ont accumulé, au fil des années, une série de dispositions protectrices de l’environnement qui, bien que justifiées par leur intention, ont fini par engendrer une overdose normative difficilement applicable sur le terrain. Elles ont aussi multiplié des couches administratives complexes, avec découragement des acteurs locaux à participer tant les normes et les financements sont enchevêtrés.

Il est temps de réinterroger cette législation à la lumière des enjeux contemporains : souveraineté énergétique, relocalisation alimentaire, gestion durable des ressources. Une meilleure hiérarchisation des objectifs est nécessaire : la protection de la biodiversité est légitime mais ne peut se faire au détriment systématique de tout usage humain de l’eau, notamment lorsqu’il s’agit de relancer des ouvrages existants, sans artificialisation nouvelle ni destruction d’habitat. La loi devrait consacrer cette hiérarchie et reconnaître explicitement la valeur patrimoniale, énergétique, agricole ou paysagère de ces infrastructures anciennes. Les normes doivent être hiérarchisées dans le code de l'environnement, et les priorités doivent être opposables à l'administration sans contradiction possible. Le flou de la loi est la première cause de l'arbitraire règlementaire. 

2. Simplifier les procédures administratives de relance
Au-delà de la loi, c’est dans la pratique administrative que s’exerce le plus souvent le blocage. Les services déconcentrés de l’État (DDT-M, DREAL), l’OFB, les agences de l’eau imposent des procédures longues, complexes et souvent disproportionnées par rapport aux enjeux réels des projets et aux capacités des maîtres d'ouvrage. Chacun appuie sur un bouton pour exiger des études innombrables autour de chaque projet, comme si un site déjà en place avait des impacts nouveaux conséquents et comme si l'argent magique pouvait payer ces exigences non fondées sur des enjeux écologiques de première importance. Il est urgent de rétablir un cadre plus fluide, plus cohérent, et plus réaliste.

Cela passe d’abord par la fixation de délais stricts et contraignants pour l’instruction des demandes. Un projet de relance d’un ouvrage déjà autorisé ne devrait pas faire l’objet de procédures étalées sur plusieurs années : l'absence de réponse au bout de deux mois doit valoir approbation et la préfecture doit s'engager à une liste initiale réduite de demandes, qui n'évolue plus de manière arbitraire au fil des échanges. 

Ensuite, les agents en charge de ces dossiers doivent être formés à une lecture réaliste des territoires : il ne s’agit pas ici de restaurer des cours d’eau sauvages, mais de gérer intelligemment des milieux anthropisés de longue date, où coexistent des enjeux multiples. Les agents de l'OFB en particulier vivent trop souvent dans une tour d'ivoire naturaliste où l'histoire, la société, la culture, le paysage, l'économie ne sont pas des réalités au même titre que la faune et la flore. 

Enfin, une culture du bon sens doit être restaurée au sein des services, là aussi par des instructions claires du gouvernement et par des formations des agents : ne pas exiger des études interminables pour des installations modestes, ne pas multiplier les demandes de compléments absurdes, reconnaître les spécificités des ouvrages anciens sans chercher à les faire entrer de force dans des cadres conçus pour des projets neufs, associer toute exigence de charge d'intérêt général à un financement prévu pour cela dans les contrats de rivière, les SAGE, les SDAGE. 

Il y a, dans l’administration actuelle eau & biodiversité, une difficulté d’acceptation de la réalité des rivières transformées par l’histoire humaine : cette posture doit évoluer car l'expérience montre qu'elle est incapable de garantir une gestion inclusive et apaisée des ouvrages des rivières.


Un appel à la mobilisation des acteurs de terrain
L’association Hydrauxois souhaite lancer un appel à l’ensemble du mouvement des ouvrages hydrauliques : moulins, forges, étangs piscicoles, plans d’eau d’agrément, canaux d’irrigation, petits barrages, et autres dispositifs traditionnels ou récents qui structurent encore nos vallées et nos territoires. Tous ces ouvrages sont aujourd’hui concernés par des pratiques administratives qui freinent, voire empêchent, leur relance, leur entretien ou leur modernisation.

Il est impératif que ce réseau d’acteurs se mobilise pour faire remonter, sans relâche, les réalités du terrain auprès des députés et sénateurs, afin qu’ils prennent pleinement conscience de l’ampleur des blocages, de leur caractère systémique et de leur coût humain, écologique et économique. Chaque situation concrète — chaque dossier ralenti, chaque projet abandonné, chaque propriétaire découragé — doit devenir un levier d’alerte.

Par ailleurs, les préfets doivent être saisis systématiquement lorsque les services placés sous leur autorité persévèrent dans une logique de blocage. Il en va de la crédibilité de l’État et de la confiance que peuvent accorder les citoyens aux institutions : le cadre réglementaire, même lorsqu’il est imparfait, doit être appliqué avec discernement, et non instrumentalisé pour freiner des projets légitimes.

La gestion de l’eau et des rivières ne peut rester un champ de conflits permanents. Elle doit redevenir un sujet de coopération intelligente, fondée sur la reconnaissance des usages anciens, la prise en compte des enjeux contemporains, le respect mutuel entre administrations, citoyens et territoires.

13/03/2025

Un ingénieur des Ponts et Chaussées ayant compris l’intérêt des retenues d’eau (Belgrand 1846)

En 1846, M. Belgrand, ingénieur des Ponts et Chaussées, publie une étude détaillée de l’infiltration et de l’écoulement des eaux pluviales dans les terrains granitiques et jurassiques du bassin supérieur de la Seine. Il note l’intérêt des étangs et retenues de moulins pour réguler le débit des rivières en période de crue ou de sécheresse, déplorant que l’administration de son époque soit (déjà) frileuse quand il s’agit de créer de tels aménagements. Qu’aurait dit M. Belgrand s’il avait assisté à l'actuelle et aberrante politique de destruction massive des retenues humaines, cela alors même que le changement climatique devrait renforcer notre vigilance sur la régulation de l’eau  ? 


L’ objectif de l’auteur est d’établir le degré de perméabilité des formations géologiques du bassin de Seine amont et leurs effets sur le régime des cours d’eau, la conception des ouvrages hydrauliques et l’aménagement des vallées. Il s’oppose aux méthodes alors utilisées par certains ingénieurs et plaide pour une approche fondée sur des observations rigoureuses.

Belgrand distingue trois grands groupes de terrains selon leur perméabilité :
  • Les granites et le lias sont globalement imperméables, entraînant un ruissellement rapide des eaux de pluie. Les crues sont intenses, et les cours d’eau sont bien alimentés en période humide, mais connaissent de fortes variations saisonnières.
  • Les terrains oolithiques inférieurs (calcaire à entroques, grande oolithe, forest marble) sont très perméables. L’eau s’infiltre massivement et n’atteint presque pas le réseau hydrographique en surface, ce qui provoque la disparition estivale de ruisseaux et rivières.
  • L’Oxford-clay présente une perméabilité intermédiaire : l’eau s’infiltre partiellement, et l’alimentation des rivières dépend des caractéristiques locales des formations argileuses.
Il note que ces différences ont des implications majeures sur le tracé et l’alimentation des canaux de navigation, la gestion des crues et l’irrigation, l’urbanisme et les ouvrages d’art, avec nécessité d'approches adaptées aux caractéristiques hydrologiques locales.

Belgrand recommande plusieurs mesures pour améliorer la gestion des eaux :
  • Construire des réservoirs et des barrages dans les terrains imperméables (granite, lias) pour retenir les eaux de crue et mieux répartir les débits.
  • Éviter les canaux sur terrains oolithiques où l’eau s’infiltre trop rapidement.
  • Privilégier les prairies naturelles plutôt que le reboisement (jugé peu efficace) dans le lias pour stabiliser les sols et limiter les pertes par évaporation.
  • Maintenir ou restaurer les étangs et retenues d’eau dans le Morvan, qui jouent un rôle clé dans la régulation hydrologique.

Extrait : 

« Autrefois les petites vallées granitiques du Morvan étaient toutes preservee5 par une multitude d’étangs où les crues venaient s’emmagasiner ; dans la partie supérieure des vallées ; où le terrain a peu de valeur, il existe encore un grand nombre de ces étangs.

Les plus importants servent presque toujours de biefs à des moulins qui marchent d’une manière continue pendant les sécheresses, et alimentent ainsi les petits cours d’eau situés en Aval qui, sans cela, seraient promptement mis à sec; mais, depuis quelques années, la conversion des étangs en prairies a pris beaucoup d’extension, et on en a desséché un grand nombre.

C'est là un grand mal bien autrement désastreux que le déboisement et qu’il faudrait arrêter promptement, en donnant à l’administration les pouvoirs nécessaires (note).

Il faudrait aussi encourager le rétablissement des anciens étangs, dont les digues existent toutes encore, et la création de nouvelles retenues , surtout en amont de riches prairies. C’est la seule méthode certaine de régulariser les petits cours d’eau dans les terrains granitiques.

Mais dans le lias et les marnes supra-liasiques , sans doute par suite du prix élevé des terrains, il existe peu d’étangs, et il ne serait pas prudent d’en établir un grand nombre, en raison de la grande quantité de vase qui s’y rassemblerait et de l’insalubrité qui pourrait en résulter pour le pays (voir la note L).

Cependant ces terrains, par cela même qu’ils sont très fertiles, ont besoin plus que les autres d’un préservatif. Combien n’y voit-on pas de riches prairies qu’un faible ruisseau couvre tous les deux ou trois ans , au moment des récoltes , d’un torrent d’eau et de boue! Le moyen d’arrêter ce fléau serait bien simple. Il suffirait en effet de construire en amont de la prairie une digue d’étang avec des moyens de décharge tels que dans les saisons où les crues n’ont aucun inconvénient, l’eau s’écoulât sans difficultés et sans former d'amas; mais au printemps et jusqu’au moment des récoltes , toutes les issues seraient fermées, à l’exception d’une vanne de fond assez grande pour laisser échapper les eaux ordinaires , mais insuffisante pour l’écoulement des crues dès qu’elles deviendraient dangereuses. On perdrait sans doute les récoltes sur une certaine étendue en amonts mais en établissant la digue avec intelligence, cette perte serait infiniment moindre que celle d’aval qui aurait eu lieu sans cela.

Dans l’état actuel de notre législation sur les cours d’eau, la réalisation des améliorations que je signale serait sans doute bien difficile et rencontrerait de nombreux obstacles même de la part des propriétaires intéressés. .

Chacun reconnaît aujourd’hui l’insuffisance et les inconvénients de cette législation , et nous ne voyons pas pourquoi, lorsque par une étude consciencieuse , des enquêtes, etc., on aurait reconnu qu’un ruisseau dangereux peut être maîtrisé par l’établissement de deux ou trois barrages, on ne pourrait pas forcer par un règlement d'administration publique, les propriétaires intéressés à faire les dépenses d’établissement de digues et les acquisitions de terrains nécessaires, dût-on recourir à l’expropriation.

(note) Il est vraiment singulier que l'administration qui, avec raison, empêche l'établissement d'une retenue d'eau lorsqu’elle peut nuire au moindre des riverains , ne puisse s'opposer à la destruction d'un étang ; qui, dans certains cas, préserve les récoltes d'immenses prairies, d'une ruine certaine.  »

Source : Conseil général des Ponts et Chaussées (1846), Annales des Ponts et Chaussées. Mémoires et documents relatifs à l'art des constructions et au service de l'ingénieur. N°153, « Études hydrologiques dans les granites et les terrains jurassiques formant la zone supérieure du bassin de la Seine », par M. Belgrand, ingénieur des ponts et chaussées.

Référence Gallica, notice 

22/11/2024

Droit d’eau et ruine des ouvrages hydrauliques, appréciation au cas par cas

Les droits d’usage de l’eau, attachés aux moulins et ouvrages hydrauliques antérieurs à 1919, suscitent régulièrement des litiges. Une récente décision du Conseil d’État précise les critères permettant de conclure à la perte de ces droits en cas de ruine complète.


Un moulin au bord de l'eau. Ce n'est pas l'état du bâtiment qui importe, mais uniquement l'état des ouvrages hydrauliques d'usage de l'eau (seuil, canal).

Les droits d'usage de l'eau acquis par les propriétaires d'installations hydrauliques avant 1919 sont généralement préservés, sauf en cas d'impossibilité d'utiliser la force motrice du cours d'eau. L'article R.214-18-1 du code de l'environnement et la jurisprudence du Conseil d'État (CE 5 juillet 2004, SA Laprade Énergie, n° 246929) confirment cette position.

L'autorité compétente ne peut abroger une autorisation d'installation ou d'ouvrage de production d'énergie hydraulique, en vertu du 4° du II de l'article L. 214-4, que si l'ouvrage est abandonné ou présente un défaut d'entretien régulier dûment caractérisé. Le juge, saisi du bien-fondé d'une telle abrogation, statue en fonction de la situation existante à la date de sa décision. Cette abrogation n'affecte pas le maintien du droit d'usage de l'eau attaché à l'installation (CE, 11 avril 2019, n° 414211).

Il est important de noter que les ouvrages hydrauliques ne bénéficient plus d'exonération en matière d'autorisation selon l'article L. 214-17 du code de l'environnement, suite à la décision du Conseil d'État du 28 juillet 2022 (SARL Les Vignes, n° 443911). Les articles L. 214-17 et suivants du code de l'environnement, notamment l'article L. 214-18 modifié en 2023, précisent ce régime.

Le droit de prise d'eau ne se perd qu'en cas de ruine complète de l'ouvrage, impliquant la disparition ou quasi-disparition de ses éléments essentiels. Par exemple, le Conseil d'État a jugé que la persistance de certains éléments, même dégradés, ne suffisait pas à caractériser une ruine totale justifiant la perte du droit fondé en titre (CE, 31 décembre 2019, n° 425061, voir cet article).

La décision du 6 novembre 2024 illustre un cas où la ruine complète a été reconnue. Selon le Conseil d'État, dans le cas d'espèce concerné, 
"le seuil de prise d’eau de l’ouvrage sur l’Indre est complètement effacé, seuls subsistant les départs empierrés latéraux au droit de chacune des deux rives, que l’entrée du bief d’amenée est totalement inexistante et qu’aucune distinction topographique n’est perceptible entre les berges de l’Indre de part et d’autre de cette entrée, de sorte que les travaux de restauration de ce seuil de prise d’eau impliqueraient sa reconstruction complète, plus aucune fonction de retenue de l’eau n’étant, en l’état, assurée. En outre, si les tracés des biefs d’amenée et de fuite sont encore perceptibles, ils sont largement comblés et complètement végétalisés et les deux vannes usinières sont dans un état de délabrement les rendant non fonctionnelles. Il s’ensuit que la force motrice du cours d’eau de l’Indre ne peut plus être utilisée par l’ouvrage du moulin".

Pour autant, le Conseil d'Etat ré-affirme sa doctrine générale : 
"La force motrice produite par l’écoulement d’eaux courantes ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage et en aucun cas d’un droit de propriété. Il en résulte qu’un droit fondé en titre se perd lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d’être utilisée par son détenteur, du fait de la ruine ou du changement d’affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau. Ni la circonstance que ces ouvrages n’aient pas été utilisés en tant que tels au cours d’une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d’eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L’état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l’ouvrage permettant l’utilisation de la force motrice du cours d’eau ont disparu ou qu’il n’en reste que de simples vestiges, de sorte que cette force motrice ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète."

Ainsi, la perte du droit d'eau est conditionnée à une ruine totale de l'ouvrage, avec disparition des éléments essentiels permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau. Une simple dégradation, altération, ruine partielle ou absence d'entretien ne suffit pas à entraîner cette perte.

Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques doivent donc veiller à maintenir en état les éléments essentiels de leurs installations pour conserver leurs droits d'usage de l'eau. Une vigilance particulière est requise pour éviter que des dégradations ne conduisent à une ruine complète et à l'impossibilité physique de dériver de l'eau, synonyme de perte de ces droits. Comme l'auront compris les maîtres d'ouvrage qui nous lisent, ce n'est pas du tout le bâtiment même du moulin qui importe (la première chose à laquelle songe un propriétaire), mais bien ses organes hydrauliques : seuil de prise d'eau en rivière, canal d'amenée et canal de fuite, radier ou chambre d'eau le cas échéant (de moins importance car relevant de menus travaux). Les premiers investissements d'un acquéreur de moulin fondé en titre (ou forge ou autre usine autorisée) doivent donc concerner la dimension hydraulique, bien plus importante pour le droit que la partie habitation. 

A noter le petit jeu de certains fonctionnaires "militants" de l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité (dont l'obsession est de détruire les ouvrages) : exiger des conditions règlementairement complexes et économiquement ruineuses dès qu'un propriétaire veut entretenir son bien et contacte de bonne foi le service instructeur à cette fin. Il s'agit justement de pousser ainsi au non-entretien et à la ruine, pour proclamer ensuite que l'ouvrage est négligé, sans usage et sans droit. On rappellera donc que tous les travaux sur les parties privées des canaux, ouvrages et berges se font sans déclaration ni autorisation particulière, tant qu'ils n'ont aucune incidence sur l'eau (mise à sec avant intervention) ni sur les valeurs hauteur-débit attachées au droit d'eau (consistance légale). Bons chantiers à tous. 

Référence : décision du Conseil d'État du 6 novembre 2024 (n° 474191

A lire en complément : commentaire sur le blog Landot et associés 

20/11/2024

La folle destruction du patrimoine des moulins à eau

 A l'occasion du Forum du patrimoine, Christian Lévêque (hydrobiologiste)  et Pierre Meyneng (président de la FFAM) reviennent sur la politique d'anéantissement du patrimoine hydraulique millénaire des rivières qui a été engagée au nom du retour à la nature sauvage et de la continuité dite "écologique". La révision de ces politiqués délétères et décriées restent la priorité des années à venir, alors que les fonds publics manquent par les aspects essentiels de la gestion de l'eau. Car tout est faux dans cette politique de "renaturation" : il n'y a aucun sens à se donner comme objectif le retour à un état de référence de la biodiversité dans le passé, il n'y aucun sens à détruire des ouvrages qui aident à la régulation des crues et sécheresses, il n'y a aucun sens à assécher des milieux d'origine humaine (retenues, biefs, canaux) mais profitant à de nombreuses espèces animales et végétales, il n'y a aucun sens à braquer les populations sur ces liquidations de patrimoine alors que des choses autrement plus graves (pollution, réchauffement, sécurité d'approvisionnement en eau) ne sont pas correctement traitées par le gestionnaire public. A l'heure où l'Europe semble décidée à réviser les erreurs de certaines politiques environnementales, les décideurs doivent urgemment changer ces arbitrages sur les rivières pour concentrer les moyens limités sur les enjeux essentiels.



29/09/2024

"Il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages" (en rivière), ose affirmer l'OFB...

Le Figaro magazine se penche sur la destruction massive des seuils et petits barrages associés aux moulins, un sujet qui divise les défenseurs du patrimoine de l'eau et les partisans de la restauration écologique des rivières. Alors que ces ouvrages contribuaient à réguler les cours d’eau, leur disparition suscite de vives réactions. Faut-il sacrifier cet héritage au nom de la continuité écologique? En lisant cet article, on découvre aussi que l'OFB affirme qu'il n'existerait aucune politique de destruction des ouvrages… A ce niveau de déni ou de propagande, que dire?



L’article du Figaro aborde le débat autour de la destruction des petits barrages et des retenues d’eau associés aux anciens moulins en France. Ces structures, autrefois nombreuses (jusqu’à 100 000 au 19e siècle), étaient utilisées pour actionner divers mécanismes et pour réguler les cours d’eau. Cependant, depuis une vingtaine d’années, environ 10 000 de ces retenues ont déjà été détruites, ce qui inquiète les défenseurs de ces ouvrages.

Pierre Meyneng, président de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, mène une croisade contre ces destructions, affirmant qu’elles reposent sur une opposition radicale entre l’homme et la nature, sans validation scientifique. Il soutient que les petits barrages ont des fonctions écologiques positives : ils permettent de réguler les débits d’eau, favorisent l’imprégnation des nappes phréatiques et créent des zones calmes propices à la reproduction des poissons.

L’Office français de la biodiversité (OFB) et les agences de l’eau soutiennent quant à eux que la restauration des milieux aquatiques, y compris la suppression de ces seuils, est nécessaire pour rétablir la continuité écologique et favoriser le déplacement des poissons migrateurs. Ils affirment que ces petites retenues favorisent l’envasement, la prolifération d’espèces invasives et peuvent nuire à la qualité de l’eau.

D’autres voix, comme celle du géologue Pierre Potherat, mettent en avant que la suppression de ces seuils barrages a entraîné une accélération des cours d’eau, abaissant leur niveau, asséchant les nappes et tarissant les rivières en période estivale. Selon lui, cela a contribué à la disparition des truites dans des régions où elles étaient autrefois abondantes.

Quelques remarques à propos de cet article.

D'abord, le sujet ne se limite pas aux moulins, même s'ils sont l'un des plus beaux héritages hydrauliques encore présents sur nos rivières ; en réalité, tout le patrimoine hydraulique bâti est concerné, aussi bien les étangs (plus nombreux que les moulins en France) et les retenues de barrage, les canaux traditionnels d'irrigation ou ceux de navigation, le petit patrimoine qui dépend de la capacité des humains à retenir et divertir cette eau (lavoirs, douves, fontaines, etc.).

Ensuite, tout système naturel ou aménagé a des "défauts" ou des "qualités" selon que les humains procèdent à des jugements de valeur. Il est aussi vain de prétendre que les hydrosystèmes des moulins ou étangs sont parfaits ou qu'ils sont catastrophiques. Le sujet est de savoir si nous voulons revenir à une nature sauvage en détruisant toute trace humaine au seul profit d'une faune et d'une flore laissées à elles-mêmes (en particulier dans la vaste ruralité) ou si nous apprécions les interactions humains-milieux en cherchant à les améliorer sur tel ou tel aspect. L'anomalie est ici qu'une minorité aux vues très radicales sur le retour au sauvage a réussi à obtenir une influence disproportionnée  sur des choix publics, alors même que la société n'exprime nullement un désir pour cette radicalité et qu'elle apprécie au contraire les patrimoines humains de l'eau.

Enfin, l'OFB ose affirmer au journaliste : "non, il n’y a pas de politique de destruction des ouvrages". Un tel mensonge est affolant : le ministère de l'écologie pense-t-il que son administration va être respectée en proférant une telle propagande contraire à tous les faits largement documentés, à toutes les actualités de destruction et assèchement que nous commentons semaine après semaine, une réalité reconnue y compris par des audits administratifs "neutres" comme celui du CGEDD en 2016 ? Il y a évidemment une politique active de destruction des ouvrages hydrauliques français et européens, politique qui est soutenue par une fraction militante de l'administration de l'environnement (incluant des chercheurs, des experts, des agents publics des diverses structures de l'eau) et par des lobbies naturalistes ou pêcheurs de salmonidés. En arriver à le nier dit à quel point les tenants de ce choix sont désormais sur la défensive. 

Il est temps de tourner cette page sombre des politiques environnementales et d'abolir réellement la continuité écologique dans sa version destructrice, par des décisions claires à Paris comme à Bruxelles. 

10/09/2024

Barbegal : le génie hydraulique romain révélé par les dépôts de carbonate (Passchier et al 2024)

Grâce à l'analyse minutieuse des dépôts de carbonate laissés sur les structures du plus grand moulin hydraulique de l'Antiquité, les chercheurs ont révélé une histoire fascinante d'innovation technique, d'adaptation et d'abandon progressif. Comment l'ingéniosité romaine a su exploiter la puissance de l'eau pour nourrir son économie.



Le site de Barbegal, illustration extraite de l'article de Passchier et al.

Le site des moulins de Barbegal, situé dans le sud de la France près d'Arles, est considéré comme l'un des plus grands complexes industriels de l'Antiquité. Il date du IIe siècle de notre ère et a été utilisé principalement pour la production de farine. Ce complexe hydraulique romain est alimenté par un aqueduc qui détournait l'eau vers une série de moulins à eau. Le complexe se composait de 16 moulins répartis en deux rangées de huit, ce qui en fait un exemple remarquable d'ingénierie hydraulique et industrielle de l'époque romaine. Ces moulins utilisaient des roues à eau pour moudre des céréales, principalement pour approvisionner la ville d'Arelate (aujourd'hui Arles). Le site semble avoir été abandonné progressivement au cours du IIIe siècle de notre ère. 

Le moulin fonctionnait grâce à un ingénieux système de canaux et de roues hydrauliques. L'eau, captée depuis des sources locales, était acheminée dans des canaux en bois appelés « flumes », qui alimentaient les roues en cascade. Ce système a permis une production massive de farine, ce qui suggère que le site était un centre important pour l'économie locale, peut-être destiné à alimenter non seulement la ville, mais aussi l'armée romaine. L'étude des dépôts de carbonates présents sur les structures en bois et en pierre a permis aux archéologues de comprendre l'histoire de l'utilisation et l'entretien du complexe au fil des années. 

Les dépôts de carbonate indiquent que certaines parties du moulin ont cessé de fonctionner alors que d'autres continuaient, probablement avec une utilisation modifiée. Certains éléments du complexe ont été réutilisés plus tard, par exemple comme matériaux de construction dans des bâtiments voisins. Ce site, par son ampleur et sa complexité, illustre le savoir-faire romain en matière d'exploitation de l'énergie hydraulique à des fins industrielles.

Les chercheurs (Cees W. Passchier, Gül Sürmelihindi, Pierre-Louis Viollet, Philippe Leveau et Christoph Spötl) ont entrepris une étude approfondie du complexe de moulins de Barbegal en se concentrant sur les dépôts de carbonate formés sur les structures en bois des moulins, notamment les canaux (ou flumes) et les roues hydrauliques. Leur démarche repose sur l'analyse des fragments de carbonate conservés, qui ont été récupérés lors de fouilles anciennes, ainsi que sur l'étude in situ des dépôts restants. En examinant la microstratigraphie des dépôts de carbonate, ils ont pu reconstituer l'histoire de l'utilisation, de la maintenance, et de la modification des moulins sur une période d'environ 8 ans, jusqu'à l'abandon final du complexe. Ils ont aussi effectué des analyses isotopiques pour mieux comprendre les conditions environnementales et les régimes d'écoulement de l'eau à l'époque de fonctionnement des moulins.

L'intérêt spécifique de cette démarche réside dans l'utilisation innovante des dépôts de carbonate comme archives géologiques et archéologiques, permettant de reconstituer les détails techniques du fonctionnement du complexe, souvent difficiles à obtenir à partir des seules structures architecturales. Les carbonates offrent une image unique de l’histoire des moulins, notamment sur la durée d'utilisation de chaque flume, les changements dans la taille des roues hydrauliques et les ajustements techniques, comme l'élévation des canaux pour s'adapter à des roues de tailles différentes.

Les conclusions principales des chercheurs montrent que le complexe a connu des modifications techniques durant son exploitation, notamment le remplacement de deux roues et l'ajustement de la pente des canaux. Ils ont aussi découvert que certaines parties des flumes ont été réutilisées à des fins industrielles après l'arrêt des moulins, et que les dépôts de carbonate révèlent une dégradation progressive des structures. Enfin, cette étude souligne l'importance des systèmes hydrauliques dans l'économie romaine et apporte de nouvelles perspectives sur la manière dont les complexes industriels de cette époque étaient opérés et entretenus.

Traduction du résumé de l'étude 

"Le complexe de moulins romains de Barbegal en France est la plus grande structure préindustrielle d'Europe. Les incrustations carbonatées formées par l'eau circulant dans les bassins, sur les canaux et les roues hydrauliques du complexe du moulin sont en partie préservées. Les plus gros fragments de carbonate proviennent de trois canaux en bois qui servaient autrefois aux roues de trois moulins en train de huit. Les dépôts se sont formés à partir de la même eau qui se déplaçait d’un moulin à l’autre. La forme, la microstratigraphie et les profils d'isotopes stables des dépôts de chaque canal révèlent une histoire d'utilisation unique pour chaque usine au cours des 8 dernières années d'exploitation jusqu'à leur abandon définitif. Les dépôts de carbonate des parois latérales des canaux varient en forme en raison des différences de pente des canaux pendant le fonctionnement, associées aux meules de différentes tailles dans différents bassins. Au moins un des canaux devait être mobile et soulevé pour accueillir une roue de moulin de taille différente. Pendant 8 ans, deux meules ont été échangées et un canal a été mis hors service. Les dépôts de carbonate de deux canaux ont ensuite été réutilisés à des fins industrielles inconnues dans un bassin d'eau, et l'un d'eux a ensuite été intégré comme spolia dans un bâtiment à la fin de l'Antiquité."

Référence : Passchier CW et al (2024), Operation and decline of the Barbegal mill complex, the largest industrial complex of antiquity, Geoarchaeology, doi: 10.1002/gea.22016

18/02/2024

Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Dans l'article publié le 5 février 2024 (Bien Public), la nouvelle maire de Longvic, Céline Tonot, discute des priorités de la ville. Elle mentionne l'impossibilité de remettre en eau un bief pour des raisons réglementaires, contrairement aux engagements antérieurs, alors qu'une crue avait partiellement emporté un seuil de répartition des eaux de l'Ouche. Notre association réagit.


© Damien Rabeisen / France 3 Bourgogne

Commentaire de l'association Hydrauxois
Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Suite à l'article paru le 5 février 2024, il est nécessaire de rectifier certaines informations concernant le projet de remise en eau du bief à Longvic. José Almeida, l'ancien maire, s'était engagé à cette remise en eau avant la fin de son mandat, selon le BP du 7 mars 2023. Hélas, il n'en a rien été, les dossiers sur l'eau étant toujours entravés en France par un harcèlement normatif peu gérable. Contrairement aux déclarations de Céline Tonot, la nouvelle maire, aucune considération réglementaire ne s'oppose formellement à ce projet. En effet, le site est soumis à l'obligation de rétablir la continuité écologique, ce qui inclut la protection des poissons et des sédiments, mais la loi et la jurisprudence permettent de reconstruire totalement ou partiellement un ouvrage.

Il serait inexact  d'affirmer que la loi demande la destruction du bief ou de l’ouvrage; aucune loi ne le stipule. Au contraire, les moulins et leurs ouvrages sont protégés par la législation depuis la loi de 2021 ayant réformé l'article L 214-17 du code de l'environnement, interdisant même l'obtention de subventions pour leur destruction. Ce moulin de Longvic, fondé sur titre en 1858, avec son bief, représente un patrimoine à valoriser pour ses aspects culturels, historiques, et écologiques. Il contribue à la gestion des risques d'inondation en servant de bras secondaire à la rivière Ouche. Il abrite une faune et une flore spécifiques.

La remise en eau du bief offrirait un espace de refuge pour la faune aquatique en période de sécheresse et permettrait la production d'énergie renouvelable, comme le démontre l'exemple de Plombières-les-Dijon qui relance un projet hydro-électrique. En 1921, la puissance du moulin était de 89,2 kW, preuve de son potentiel énergétique notable. La loi française demande aux collectivités de développer les énergies renouvelables sur leur territoire, or l'énergie de l'eau est parmi les plus populaires : il appartient aux élus de l'inventorier et d'aider à la développer.

Notre volonté de voir un projet alternatif se réaliser reflète l'intérêt patrimonial, écologique, et énergétique que représente le bief pour Longvic et ses habitants. Nous appelons les citoyens à se manifester en ce sens.

01/02/2024

La production des moulins à eau et petites centrales hydro-électriques en France

Les 463 sites de moins de 150 kW qui injectent de l'électricité sur le réseau représentent aujourd'hui une puissance cumulée de 43 MW. Cette donnée ne tient pas compte de l'autoconsommation des moulins à eau, dont la production n'est pas connue. Le chiffre de 43 MW pour 463 sites est encourageant  puisque la France dispose d'un patrimoine déjà installé de près de 70 000 seuils et barrages qui ne sont pas équipés, outre le potentiel de nouveaux sites. Nous appelons donc les pouvoirs publics à s'engager à une hausse continue du taux d'équipement énergétique des chutes des rivières. Il s'agit de demander aux agences de l'eau (SDAGE) et aux syndicats de bassin (SAGE) d'en faire un objectif systématique de leur programmation. Aujourd'hui, ces instances se désintéressent trop souvent du sujet, voire détruisent les ouvrages hydrauliques à potentiel producteur. 


Des communes de plus en plus nombreuses (ici Gœulzin) sont intéressées par la relance locale des moulins à eau présents sur leur territoire. Plusieurs dizaines de milliers de sites seraient équipables. 

A la question du député Marc Le Fur sur la production électrique des moulins à eau, le ministère de l'écologie apporte la réponse suivante.

L’analyse du Registre national des installations de production et de stockage d’électricité produit par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) (données publiques en date du 31/07/2023) fait état des informations que vous trouverez ci-dessous (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/registre-national-des-installations-de-production-et-de-stockage-delectricite-au-30-09-2023/).

Le tableau présente par région et département les puissances cumulées ainsi que le nombre d’installations hydroélectriques dont la puissance est inférieure à 150 kW, seuil qui peut représenter les moulins à eau équipés pour la production hydroélectrique. Ces chiffres ne tiennent compte que des installations raccordées au réseau de distribution, c’est-à-dire uniquement celles capables de fournir une aide au réseau électrique et n’intègrent donc pas les chiffres de l’autoconsommation.

La puissance totale cumulée de ces installations s’élève à environ 43 MW soit près de 0,07% de la puissance du parc de production d’énergie renouvelable en France et 0,029 % de la puissance électrique installée en France (sur la base des données RTE au 31 décembre 2022).

A titre de comparaison, la puissance totale installée de l’ensemble de ces 463 installations représente l’équivalent de la puissance de 7 éoliennes en mer actuellement installées au large de à Saint-Nazaire. Ces valeurs rappellent le caractère très limité de la production énergétique des installations hydroélectriques de faible puissance dans le mix électrique, sans pour autant remettre en cause le fait qu’il produise une électricité décarbonée qui participe donc à l’objectif de décarbonation de mix énergétique.

Ainsi, l’État soutient financièrement le développement de ces installations avec l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d’achat et du complément de rémunération pour l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie hydraulique des lacs, des cours d’eau et des eaux captées gravitairement, dit H16. Ce soutien automatique est conditionné au respect et à la conciliation de l’ensemble des enjeux de l’utilisation de la ressource en eau, notamment des enjeux de biodiversité.

Sous la responsabilité des préfets, la procédure d’autorisation au titre de la loi sur l’eau permet aujourd’hui une gestion équilibrée des projets de petite hydroélectricité au plus près des territoires. Il s’agit d’une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d’eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité.

Aujourd’hui, un producteur d’une installation d’une centaine de kilowatts peut espérer, grâce au H16, un tarif d’environ 170€/MWh produit. Ce niveau de tarif est très nettement supérieur au prix de marché de l’électricité sur les 10 dernières années et est très supérieur également aux prix de marché futur français.


Nos commentaires :
  • La petite hydro-électricité est un petit apport au mix énergétique français et européen : tout le monde est d'accord sur ce point. Mais chaque kWh compte lorsqu'on parle de la transition énergétique et de la souveraineté géopolitique.
  • Les données du ministère ne comptabilisent pas l'autoconsommation, qui est assez répandue dans le monde des moulins à eau car une puissance de quelques kW n'a pa forcément intérêt à injecter sur le réseau avec les complexités que cela implique en dossier. Cette autoconsommation n'a aucun coût pour la collectivité puisqu'elle n'a aucune aide publique sur le prix du MWh. Elle tend plutôt à soulager le réseau. 
  • Les administrations publiques en charge de l'eau (agences de l'eau, OFB, syndicats) n'ont pas tendance à soutenir le développement hydro-électrique des bassins versants, et certains de ces acteurs sont même engagés dans une vision naturaliste de destruction maximale des seuils et barrages pour revenir à une sorte de rivière sauvage idéalisée ou de nature théorique vidée de ses humains. Ce qui est un problème évident de conflit entre politiques publiques, outre les conflits sociaux liés au refus de cette idéologie.
  • Il est notable que 463 sites seulement représentent une puissance de l'ordre de 43 MW. Il existe en effet environ 50 000 moulins à eau en France, et environ 20 000 seuils et barrages n'étant pas des moulins à eau mais disposant d’une chute et un débit équipables. Même en faisant l'hypothèse (raisonnable) que les ouvrages non équipés sont plutôt moins puissants que ceux équipés, cela signifie que le potentiel des sites existants est bien de l'ordre du GW. 
  • Outre la puissance, il faudrait compatibiliser l'énergie : le facteur de charge d'une installation hydraulique est généralement de 50 à 70%, davantage en zone hydraulique fluviale régulière. Donc 1 MW de solaire, d'éolien ou d'hydraulique ne produit la même quantité d'énergie sur une année.
  • Concernant le tarif de rachat du MWh en petite hydraulique, il est certainement possible de l'améliorer si la filière est en enfin soutenue (objectif assumé par l'acteur public d'une hausse du taux d'équipement de toutes les rivières), si des offres plus standardisées d'équipement se développent grâce à cette garantie d'objectif public et si les exigences environnementales sont révisées de manière plus raisonnable par rapport aux excès documentés depuis la décennie 2010 (le soutien public à l'achat du MWh est conditionné à de nombreuses exigences qui impliquent des chantiers coûteux et des baisses de productible). 
Voici ci-dessous la production par répartition géographique, associée à la réponse du ministère. Le fichier Excel peut être téléchargé ici


25/07/2023

Faible impact d'un moulin à eau sur la température de la rivière (Donati et al 2023)

Etudiant un moulin à eau dont le seuil et la retenue sont typiques de ce patrimoine hydraulique, des chercheurs ont analysé son impact sur les températures de l'eau. Leur travail très précis montre un impact faible en moyenne journalière, variable en tranche horaire et selon le niveau de la colonne d'eau, avec parfois des réchauffements et des refroidissements. Les auteurs concluent au faible effet thermique global de ce type de moulins à eau. Ces études sur les ouvrages hydrauliques sont à généraliser, car les politiques publiques les concernant ont une base scientifique faible en données, ainsi que des biais bien identifiés. 


Le moulin étudié sur l'Erve en Mayenne, photos et illustrations extraites de Donati et al 2023, art. cit.

La question de l'impact des retenues d'eau sur le régime thermique des rivières est souvent évoquée, mais il existe encore peu de données précises de terrain. C'est le cas en particulier pour les moulins à eau, qui forment avec les étangs l'une des principales sources de retenues en lit mineur de rivière.  

Sept chercheurs (Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout, Quentin Choffel, François Le Cor, Célia Carceles et Alban Cairault) ont procédé à une analyse détaillée d'un moulin de la rivière Erve. Le moulin de Thévalles est situé sur cet affluent de rive droite de la Sarthe, dont le bassin versant couvre 380 km2. À son exutoire, la rivière a une longueur de 71 km et un module de 2,72 m3/s – "dans la classe des cours d'eau mésoréiques modérés, l'une des plus répandues en métropole"; précise l'étude. 

Le moulin exploite le cours d'eau grâce à un seuil de 10 m de large et 2 m de haut. La hauteur nette de la chute du déversoir varie de 1,40 à 1,50 m en débit moyen. En période de hautes eaux, la chute peut disparaître par effacement de la différence entre l’amont et l’aval. Au centre du lit, deux vannes de décharge servent à vidanger la retenue. La surverse se fait à un niveau égal à celui du seuil en rivière. Au niveau du moulin proprement dit, une vanne ouvrière permet la mise en mouvement de la roue hydraulique, d'un diamètre de 5,60 m. La retenue créé par le seuil a une surface de 2 ha, une longueur de 1500 m et un volume de 31000 m3. Ces caractéristiques placent plutôt le moulin à eau étudié dans la catégorie des ouvrages les plus importants de ce type. Donc a priori les plus impactants pour la grandeur ici étudiée, à savoir la température de l'eau. 

Cette température de l'eau a été mesurée sur une année complète par des chaînes de 6 capteurs à différentes profondeurs, avec un point de mesure dans la retenue, un point de mesure à 100 m en amont du remous de la retenue, un autre à 100 m en aval du seuil, dans l'émissaire. "Grâce à cette méthodologie, 75177 données de température ont été collectées pour l'ensemble des stations de mesures pendant la période d'observation. Elles donnent un aperçu des effets du moulin et de ses annexes sur la température de l'eau", notent les auteurs.

Voici leurs principales conclusions :

"L'étude menée au niveau du moulin de Thévalles, un site assez représentatif de la réalité française en termes d'hydrologie et d'infrastructures qui l'équipent, donne un aperçu inédit des effets thermiques de ce type d'ouvrage, notamment en ce qui concerne les moments de fonctionnement de leur roue hydraulique. Des effets sur la température de l'eau ont été observés uniquement pendant l'été et le début de l'automne, quand la retenue de seuil qui s'étale à l'amont du moulin était stratifiée. Pendant les périodes d'inactivité du moulin, les eaux rejetées par le seuil en rivière ont engendré à la fois des réchauffements et des refroidissements de l'eau, perceptibles uniquement à l'échelle horaire et rarement supérieurs au degré centigrade. Pendant les périodes d'activité du moulin, les eaux qui franchissent la vanne de fond et actionnant la roue hydraulique ont eu un effet à peine observable sur la température de l'eau du tributaire, majoritairement dû à l'effet dilution des eaux rejetées par le seuil en rivière. Ainsi, bien que d'autres études soient sans doute nécessaires pour pouvoir les confirmer, les résultats obtenus montrent une faible emprise de l'activité des moulins à eau sur la température de l'eau pour des rivières comme l'Erve."

Plus en détail, la recherche montre qu'il existe une amplitude thermique entre la température de surface et la température de fond (image ci-dessous, cliquer pour agrandir), surtout marquée en été. Cela souligne qu'un seul point de mesure ne permet pas forcément de trancher. Et que le régime des petites retenues est complexe, avec une stratification thermique à variation saisonnière. 



Cette autre figure montre la différence de température dans la colonne d'eau un jour d'été. 


Si l'écart moyen journalier est faible entre l'amont et l'aval, il peut varier au sein de la journée, avec des hausses ou des baisses comme le montre cette autre figure ci-dessous (cliquer pour agrandir). 


Le tableau ci-dessous montre finalement les températures moyennes mensuelles à l'amont et à l'aval de la retenue de seuil de Thévalles pendant les périodes d'inactivité du moulin :


Les auteurs remarquent : "Pour mieux comprendre l'ampleur des effets thermiques engendrés par la retenue de seuil de Thévalles quand le moulin n'est pas en activité, nous les avons comparés à ceux observés par L. TOUCHART (2001) au niveau de l'étang du Theil, dans le département de la Haute- Vienne. En effet, ce plan d'eau présente un volume (23300 m3) similaire à celui de la retenue de Thévalles et il est équipé d'un déversoir de surface, dont le fonctionnement est similaire à celui d'un seuil en rivière. À l'échelle journalière, cet étang réchauffe son émissaire de mars à octobre et le refroidit de novembre à février : juin est le mois où l'on observe les augmentations de température les plus fortes, +6,97°C en moyenne, alors que janvier est celui où les diminutions de température sont les plus marquées, -2,19°C en moyenne. Sur trois années de mesure, le réchauffement moyen de l'émissaire a été de 2,1°C. En raison de ces considérations, nous pouvons affirmer que l'effet des moulins sur la température des cours d'eau quand ils ne sont pas en activité semblerait être faible, voire négligeable comparé à d'autres facteurs pouvant altérer la température de l'eau (radiation solaire, température de l'eau, ripisylve), du moins pour ce qui concerne les rivières qui présentent des conditions similaires à celles de l'Erve."

Discussion
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les politiques publiques concernant les ouvrages hydrauliques (directive cadre européenne sur l'eau 2000, loi française sur l'eau 2006) ont été lancées sur une base scientifique faible. Les retenues sont très nombreuses (sans doute un demi-million en France sur lit mineur ou en connexion directe de lit mineur), mais elles sont très peu étudiées, contrairement à d'autres milieux (rivière, lac, estuaire). Dans les travaux qui se publient et qui informent les politiques publiques, ces retenues sont presque toujours analysées sous un angle naturaliste et ichtyologique assez ciblé (la déviation locale de population biologiques en lien à un ouvrage, en particulier les assemblages de poissons ou les poissons migrateurs), mais elles ne sont pas considérées comme des biotopes à part entière dont les propriétés physiques, chimiques, biologiques doivent être inventoriées et comprises avec précision. Au demeurant, les sciences sociales de l'eau sont aussi très lacunaires concernant les représentations, pratiques et usages de la petite hydraulique. Pourtant, l'ouvrage en rivière est au centre de nombreux choix publics sur l'énergie, le patrimoine, le paysage, la régulation de l'eau, la biodiversité, le tourisme, les loisirs et agréments. Mais cette complexité a été gommée au profit d'un discours simpliste ne voyant qu'un "obstacle à l'écoulement". 

Ce travail mené par Francesco Donati et ses collègues est donc précieux. Il confirme ce que pressentait le sens commun, à savoir que l'effet d'un ouvrage est proportionné en premier ordre à ses dimensions. L'hydraulique ancienne est de taille modeste, pas si différente de phénomènes naturels comme des barrages d'embâcles ou de castors : on ne s'attend donc pas à des impacts très significatifs, hors la création d'un milieu propre (retenue, bief) qui aura localement un fonctionnement et un peuplement un peu différents des tronçons non barrés de la rivière en amont et en aval. 

Nous souhaitons la généralisation de tels travaux, tant au plan de la recherche scientifique que dans les programmes d'acquisition de données des syndicats de rivières, fédérations de pêche, bureaux d'études, agences de l'eau, offices de la biodiversité, conservatoires d'espaces naturels et autres acteurs locaux de l'eau. Nous souhaitons également que certains biais de perception et de représentation disparaissent dans la conception des politiques publiques, en particulier l'incroyable négligence des milieux semi-anthropisés et anthropisés, qui forment l'essentiel des linéaires de rivière et plans d'eau dans les bassins versants à très ancienne occupation humaine. Nous avons grand besoin d'une écologie, d'une hydrologie, d'une géographie et d'une sociologie des milieux hybrides comme les retenues et biefs de moulins, mais aussi tout le reste du patrimoine hydraulique et des écosystèmes transformés par les occupations successives des bassins versants. 


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