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10/03/2024

Le conseil d’Etat constate l’illégalité de la destruction de l’étang de Bussières par la fédération de pêche et la préfecture de l’Yonne

Après 6 années de procédure, l’association Hydrauxois obtient enfin la condamnation par la justice de l’opération de destruction et assèchement de l’étang de Bussières : ce magnifique patrimoine hydraulique et écologique des marges du Morvan avait été détruit dans des conditions opaques, en absence de toute étude environnementale et de toute enquête publique. Il va sans dire que cette décision légitime la défiance que l’on peut avoir envers une administration eau & biodiversité qui a engagé depuis la décennie 2010 une longue dérive sur le dossier de la continuité écologique des cours d’eau. Nous attendons des préfets un rappel à l’ordre de leurs agents comme des fédérations de pêche à agrément public. 


Rappelons les faits : la fédération de l’Yonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FYPPMA) a acquis en 2015 de l’étang de Bussières, situé sur le passage de la rivière la Romanée, sur le territoire de la commune de Bussières (Yonne). Ce site était dans une zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2, notamment classée en raison des habitats des marges et queues d’étang. Outre sa belle biodiversité, l’étang de Bussières apportait une précieuse réserve d’eau sur un bassin où la rivière est souvent à sec en été. Déjà présent sous l’Ancien Régime, c’était aussi un beau patrimoine hydraulique et paysager

Devenue propriétaire, la fédération de pêche de l’Yonne a informé le directeur départemental des territoires de l’Yonne de son intention de réaliser une vidange complète de l’étang à la fin du mois d’octobre 2017, en vue de son effacement ultérieur. A la suite de la vidange de l’étang, la FYPPMA a sollicité, le 27 novembre 2017, l’autorisation de réaliser des travaux présentant un caractère d’urgence sur la Romanée : la préfecture a accepté sans même que soit déposé un dossier de déclaration au titre de la loi sur l’eau, conformément aux dispositions de l’article R. 214-44 du code de l’environnement. Enfin, par un courrier du 13 mars 2018, le directeur départemental des territoires a indiqué à la fédération qu’il ne comptait pas faire opposition à la déclaration déposée le 10 janvier 2018 aux fins de détruire la digue de l’étang de Bussières.

Par ce subterfuge d’une série d’actes pris isolément, alors même que le but de la destruction de ce magnifique étang était établi dès le départ et avait fait l’objet d’une subvention publique de l’agence de l’eau, la fédération de pêche de l’Yonne et la préfecture ont sciemment contourné  l’article R. 214-42 du code de l’environnement, dont les termes comme le rappelle le conseil d’Etat «impliquent que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement.»

Le tribunal administratif de Dijon puis la cour administrative d’appel de Lyon n’avaient pas retenu cette interprétation. Ces jugements sont censurés par le conseil d’Etat : «En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

L’Etat est donc condamné dans cette triste affaire, qui est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.


Quelques observations
L’association Hydrauxois est satisfaite que justice soit rendue. Elle déplore que les services de l’Etat et la fédération de pêche de l’Yonne, cette dernière disposant d’un agrément public, se soient comportés en se croyant au-dessus des lois sous prétexte qu’il était question de supposé rétablissement de la continuité écologique ou de "renaturation". Nous avions saisi en urgence la DDT de l'Yonne sur les anomalies de ce dossier, sans succès, comme nous avions alerté l'OFB de Bourgogne Franche-Comté, également sans effet. Nous avions pourtant raison.

Le fait d’avoir perdu aux deux premières instances mais gagné au conseil d’Etat rappelle à tous les plaignants de ce genre d’affaire (nombreux en France) qu’il faut s’engager en justice en prévoyant d'aller jusqu’au terme de la procédure : ce n’est pas la première fois que le conseil d’Etat donne raison à des riverains, collectivités et propriétaires d’ouvrages hydrauliques malgré des avis contraires des cours inférieures.

Enfin, un seul moyen juridique suffisant à casser en droit un jugement ou à annuler un texte attaqué, le conseil d'Etat n'a malheureusement pas apprécié nos autres arguments sur la valeur intrinsèque de l'étang comme zone humide et comme milieu d'intérêt écologique. Mais d'autres contentieux sont en cours qui, espérons-le, nous permettront d'obtenir un arrêt sur ce point. Car le fond du problème est là: on dilapide l'argent public à détruire des milieux aquatiques utiles et appréciés, au bénéfice d'une vision marginale du retour à la nature sauvage n'ayant jamais été inscrite comme telle dans le droit français, et au détriment de l'investissement pour réduire les vrais impacts dégradant l'eau.

Pour la suite sur l'étang de Bussières, nous demanderons à la cour d’appel de Lyon d’ordonner la remise en état du site illégalement détruit. 

Source : Conseil d’Etat, arrêt n°460964, 8 mars 2024 

Engageons-nous pour le retour en eau de ce magnifique site!


02/10/2023

Détruire les moulins, étangs, biefs, canaux et plans d'eau sans enquête publique ni étude d’impact, le retour du décret scélérat

Après avoir subi une annulation en conseil d’Etat à la demande de notre association et de ses consoeurs, le décret du gouvernement visant à empêcher les enquêtes publiques et les études d’impact des destructions d’ouvrages hydrauliques vient d’être reformulé de manière cosmétique et republié au journal officiel. Le ministère de la transition écologique veut donc s’acharner à imposer une politique décriée de destruction et assèchement des retenues, réservoirs, lacs, étangs, canaux et biefs, à contre-courant des impératifs de stockage de l’eau et de production d’énergie hydraulique. Nous appelons nos consoeurs à nous rejoindre demander une nouvelle annulation de ce décret tout aussi scélérat que le précédent. 



Rappel des faits : sous la pression de lobbies très minoritaires, la France s’est engagée depuis 20 ans dans une politique décriée et déplorable de destruction systématique du patrimoine hydraulique des rivières, sur argent public. Cette politique est parmi les plus contestées du ministère de l’écologie, comme l'a reconnu très officiellement un audit du CGEDD en 2016. D’une part, les riverains ont un attachement réel au patrimoine hydraulique, au paysage qu’il dessine et aux usages qu’il permet. D’autre part, en situation de changement climatique, les urgences du pays sont de produire de l’énergie bas carbone locale et de retenir l’eau, pas de détruire le maximum d’ouvrages pour que cette eau file plus rapidement à la mer. Cette politique dite de "continuité écologique" par destruction d'ouvrage, qui avait été théorisée au 20e siècle, est devenue contre-productive et déconnectée des besoins réels du pays. Une gabegie d'argent public doublée d'un motif de conflits sociaux évitables.

La préservation, restauration et utilisation des ouvrages hydrauliques est donc une cause d’intérêt général pour notre pays. Leur destruction, une erreur funeste, au nom d’une utopie du retour à la «nature sauvage».

Le ministère de l’écologie et ses administrations n’ont jamais voulu entendre les protestations que suscite leur politique. Au contraire, ils ont tenté de les faire taire par un premier décret de l’été 2019  qui créait un régime administratif spécial pour les destructions d’ouvrages. Sous ce régime spécial, un ouvrage peut être détruit sur simple déclaration (formalité minimale), loin des débats citoyens, sans enquête publique permettant aux citoyens de d’exprimer et aux associations de s’organiser, sans étude d’impact approfondi de la destruction.

Or, contrairement à ce que dit la doxa du ministère de l’écologie, tant les travaux scientifiques que les guides d’ingénierie écologique reconnaissent l’existence de nombreux impacts possibles lors de la destruction d’ouvrage hydraulique. Par exemple, sont documentés comme issues :
  • Baisse du niveau de la rivière et de la nappe
  • Erosion régressive
  • Remobilisation de sédiments pollués
  • Déstabilisation ou destruction des espèces (biocénoses) ayant colonisé l’écosystème artificiel d’eau douce
  • Diffusion plus aisée d’espèces invasives venant de l’aval
  • Disparition de biotopes aquatiques et humides autour des retenues et canaux
  • Fragilisation du bâti riverain, pourrissement des fondations bois, rétraction argile
  • Fragilisation des berges, érosion des propriétés riveraines
  • Accélération des ondes de crue, augmentation du risque aval
  • Aggravation des assecs, perte de zones refuges pour le vivant
  • Perte de patrimoine culturel et d’aménité paysagère
  • Perte d’usage actuel ou potentiel (énergie, pisciculture, loisir)
Imposer ces désagréments, dégradations et risques sans les étudier sérieusement et sans consulter les riverains concernés est inacceptable, totalement contraire aux principes mêmes de la démocratie environnementale posés par l'Europe et la France. 




Face à ces réalités, le gouvernement et ses administrations de l’écologie opposent le déni idéologique. Le retour à un profil de rivière sauvage est forcément meilleur (dogme), les écosystèmes aménagés par l’histoire humaine sont forcément dégradés (dogme), la priorité publique en réglementation et en subvention doit être détruire le maximum d’ouvrages et d’assécher les milieux attenants.

Le conseil d’Etat a choisi en 2022 d’annuler le décret de 2019, considérant qu’il créait un régime d’exception pour la destruction des ouvrages hydrauliques sans prendre en compte les risques afférents. Ce fut une victoire pour notre association et ses consoeurs.  Mais le gouvernement revient à la charge en se contentant de reprendre la même formulation que le décret de 2019, sauf une précision sur la nature des barrages concernés en cas de destruction. En substance, on peut tout casser sur simple déclaration, mais pour les grands barrages on va tout de même faire l'effort d'une procédure complète d'autorisation...

Le tableau annexé à l'article R. 214-1 du code de l'environnement est ainsi modifié :
Après la rubrique 3.3.4.0. est insérée une rubrique 3.3.5.0. ainsi rédigée :

« 3.3.5.0. Travaux mentionnés ci-après ayant uniquement pour objet la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à la réalisation de cet objectif (D) :
« 1° Arasement ou dérasement d'ouvrages relevant de la présente nomenclature, notamment de son titre III, lorsque :
« a) Ils sont implantés dans le lit mineur des cours d'eau, sauf s'il s'agit de barrages classés en application de l'article R. 214-112;
« b) Il s'agit d'ouvrages latéraux aux cours d'eau, sauf s'ils sont intégrés à un système d'endiguement, au sens de l'article R. 562-13, destiné à la protection d'une zone exposée au risque d'inondation et de submersion marine;
« c) Il s'agit d'ouvrages ayant un impact sur l'écoulement de l'eau ou les milieux aquatiques autres que ceux mentionnés aux a et b, sauf s'ils sont intégrés à des aménagements hydrauliques, au sens de l'article R. 562-18, ayant pour vocation la diminution de l'exposition aux risques d'inondation et de submersion marine ;
« 2° Autres travaux :
« a) Déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d'eau ou rétablissement de celui-ci dans son talweg;
« b) Restauration de zones humides ou de marais;
« c) Mise en dérivation ou suppression d'étangs ;
« d) Revégétalisation des berges ou reprofilage améliorant leurs fonctionnalités naturelles;
« e) Reméandrage ou restauration d'une géométrie plus fonctionnelle du lit du cours d'eau;
« f) Reconstitution du matelas alluvial du lit mineur du cours d'eau;
« g) Remise à ciel ouvert de cours d'eau artificiellement couverts;
« h) Restauration de zones naturelles d'expansion des crues.
« La présente rubrique est exclusive des autres rubriques de la nomenclature. Elle s'applique sans préjudice des obligations relatives à la remise en état du site et, s'il s'agit d'ouvrages de prévention des inondations et des submersions marines, à leur neutralisation, qui sont prévues par les articles L. 181-23, L. 214-3-1 et L. 562-8-1, ainsi que des prescriptions susceptibles d'être édictées pour leur application par l'autorité compétente.
« Ne sont pas soumis à la présente rubrique les travaux mentionnés ci-dessus n'atteignant pas les seuils rendant applicables les autres rubriques de la nomenclature. »
Notre association demandera l’annulation partielle de ce décret, non pour tout ce qui concerne la continuité latérale (zones humides, expansion de crue etc.) mais pour les dispositions relatives à la destruction des ouvrages hydrauliques accompagnée de l’assèchement de leurs milieux et de la disparition de leurs usages, soit le 1°, le 2° alinéa a) et c). 

13/06/2023

La justice condamne et annule le programme de casse des ouvrages hydrauliques de l’agence de l’eau Seine-Normandie

Nouvelle victoire en justice ! Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de prononcer l'illégalité et l'annulation partielle conséquente du programme de casse des ouvrages hydrauliques de l'agence de l'eau Seine-Normandie. Des procédures similaires sont déjà engagées sur les autres bassins du pays. La continuité écologique avait été transformée en programme de retour dogmatique à la rivière sauvage et de négation totale de la valeur du patrimoine hydraulique : c'est une nouvelle sanction de cette aberration. L'incroyable dérive de l'administration eau & biodiversité consistant à détruire les ouvrages des rivières au lieu de les aménager écologiquement se trouve donc privée de son principal outil de financement sur argent public. 


Par décision du n° 1904387 – 2207014 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise saisi par Hydrauxois, la FFAM et de nombreux autres requérants associatifs vient de prononcer l’annulation partielle du programme d’aide à la destruction des ouvrages hydrauliques en rivières classées continuité écologique de l’agence de l’eau Seine-Normandie. 

Alors que la loi de 2021, faisant suite à dix années de troubles et de contentieux, avait clairement exprimé que la continuité écologique ne visait pas à détruire l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, l’agence de l’eau Seine-Normandie (comme ses consœurs) a continué de financer cette solution, et plus encore de la financer à un taux nettement avantageux de 80% de subvention. Soit une forte incitation à détruire au lieu d'aménager. 

Le tribunal condamne l’agence de l’eau en ces termes :
Sur les conclusions à fin d’annulation partielle de la délibération du 16 novembre 2021 :
18. Aux termes de l’article L. 214-17 du code de l'environnement tel que modifié par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : « I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous- bassin : (…) / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages (…) ».

19. Les associations requérantes soutiennent que la délibération du 16 novembre 2021 révisant le 11ème programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine- Normandie est devenue illégale du fait de la modification par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l'environnement.

20. Il ressort des pièces du dossier que le 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement oblige désormais, s’agissant uniquement des ouvrages implantés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, figurant sur une liste établie par l’autorité administrative, à les entretenir, les gérer et les équiper, sans remettre en cause leur usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie, de sorte que ces mesures sont les seules modalités autorisées pour l'accomplissement des obligations relatives au transport suffisant des sédiments et à la circulation des poissons migrateurs, à l’exclusion plus particulièrement pour les moulins à eau de la destruction des ouvrages de retenue. Or, il ressort du point E.1 du programme pluriannuel d’intervention en litige qu’il prévoit la possibilité de financer de tels travaux de destruction, lorsqu’ils sont nécessaires à la restauration de la continuité écologique.

21. D’une part, si l’agence de l’eau Seine Normandie fait valoir en défense que les dispositions précitées de l’article L. 214-17 du code de l'environnement ne régissent pas directement l’attribution des aides encadrées par le 11ème programme révisé et que ce programme prévoit que les travaux financés doivent satisfaire aux obligations règlementaires, ces aides ne sauraient être attribuées en méconnaissance des dispositions législatives en vigueur à la date de l’adoption de la délibération attaquée et la seule réserve relative aux obligations règlementaires ne permet donc pas d’être interprétée comme ayant implicitement mais nécessairement exclu de son dispositif d’aides, les travaux ainsi prohibés par la loi.

22. D’autre part, l’agence de l’eau Seine-Normandie soulève en défense une exception d’inconventionnalité de la nouvelle rédaction de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, qui serait contraire selon elle, au a) du 1 de l’article 4 de la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, qui fixe un objectif de prévention, de restauration et d’amélioration de l’état des masses d’eau de surface. Elle fait valoir que l’annexe V de cette directive fixe ainsi la continuité des rivières comme l’un des paramètres biologiques de la qualité de leur état écologique qui doit permettre une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport des sédiments. Cette nouvelle rédaction de la loi serait également, selon l’agence de l’eau, contraire, à l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes et imposant notamment la mise en place de mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et le transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles peuvent migrer librement vers la mer des Sargasses. Il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 214-17 que celles-ci limitent l’interdiction qu’elles instituent à la seule destruction des ouvrages ayant un usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie, comme modalité d’accomplissement des obligations environnementales relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. Dans ces conditions, cette exception d’inconventionnalité, telle qu’elle est soulevée en défense, doit être écartée.

23. Dans ces conditions, le point E.1 du 11ème programme pluriannuel d’intervention, tel qu’approuvé par la délibération en litige, méconnait partiellement les dispositions du 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement.

L’association Hydrauxois :
  • se félicite de la sanction des dérives de l’administration eau & biodiversité, qui a voulu persister dans un programme massif de destructions des ouvrages hydrauliques contraire à l’esprit et à la lettre de la loi française ;
  • observe que le mouvement des ouvrages hydrauliques et de leurs riverains avait raison de pointer ces dérives auprès des élus, des préfets, des médias, malgré les dénégations réflexes et mensongères du ministère de l'écologie quand il était interrogé à ce sujet;
  • appelle ses adhérents, les maîtres d’ouvrages, les collectifs et associations à demander immédiatement l’arrêt de toute destruction en cours d’ouvrage sur le bassin Seine-Normandie (rivières listes 2 ou listes 1- listes2), et en particulier à contester si nécessaire devant la justice son financement public ;
  • appelle les administrations de la république, et en particulier les préfets départementaux et préfets de bassin ainsi que la direction eau & biodiversité du ministère de l'écologie, à faire cesser les dérapages idéologiques internes et les prises de position des agents publics contraires aux lois du pays ;
  • appelle les élus de la république, et en particulier les parlementaires, à repenser et réviser la politique de l'eau et des rivières en incluant pleinement la valeur des ouvrages hydrauliques et leur contribution aux grands enjeux de notre temps : relocalisation économique, agrément social et paysager, gestion hydrologique des débits, production énergétique bas carbone, défense incendie, adaptation climatique, protection des biodiversités.
Des procédures similaires ont été engagées sur les 5 autres bassins hydrographiques de la France métropolitaine. 

Source : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, décision du n° 1904387 – 2207014, 9 juin 2023

03/01/2023

La directive européenne sur l’eau repose sur une fiction de rivière sans humain, sa réforme en 2027 est notre horizon d’action

La directive cadre européenne sur l’eau est l’une des plus importantes législations environnementales dans le monde. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ses fondements intellectuels ont été posés par une expertise très restreinte au sein de la Commission européenne, avec fort peu de débats politiques et de surcroît des désaccords scientifiques observables dès la naissance du texte. Car l'édifice normatif repose sur l’idée fausse que la rivière est un fait naturel séparé des humains et sur l’espoir insensé que l’on pourrait tendre très vite vers des masses d’eau sans impacts notables issus d’activités humaines. Cette idéologie naturaliste déjà datée en 2000 s’est cognée depuis vingt ans au réel, ce qui aboutit à l’échec des objectifs posés. Mais l’échec était inscrit dans la manière de penser la question de l’eau : c’est cela qu’il faut modifier d’ici 2027, terme de l’actuelle directive.


Le 22 décembre 2000 est une étape marquante dans l'histoire des politiques de l'eau en Europe : à cette date, la directive-cadre sur l'eau (DCE ou directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour l'action communautaire dans le domaine de la politique de l'eau) a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes et est entrée en vigueur.

La DCE prévoyait que toutes les «masses d’eau» superficielles (rivières, plans d’eau, estuaires) et souterraines (nappes) atteindraient un «bon état écologique et chimique» en 2015, avec deux périodes prorogatoires jusqu’en 2027 pour les cas où le bon état n’aurait pas été atteint dès 2015. 

La DCE est un échec, cet échec doit être analysé
Nous pouvons d’ores et déjà dire que la DCE est un échec car la plupart des pays ne parviennent pas aux objectifs fixés et les progrès au fil des rapportages tous les 5 ans sont très lents. De surcroît, l’état chimique est une notion assez artificielle dans la construction des indicateurs en vigueur car les polluants de synthèse ne sont pas réellement mesurés et suivis en routine sur toutes les masses d’eau (Weisner et al 2022).

Au-delà de cet échec, le problème est dans la conception même de la directive. La direction générale Environnement de la Commission européenne, travaillant avec un cercle restreint d’experts (d’inspiration plutôt naturaliste et de formation plutôt hydrobiologiste), a proposé dans les années 1990 un texte normatif dont la construction intellectuelle relève de l’écologie telle qu’on la concevait dans les années 1960. Les parlementaires et les chefs d’Etat ont accepté ce travail sans faire preuve à l’époque d’esprit critique. Une raison est sans doute parce que les thématiques écologiques sont assez techniques et que les élus ne se représentent pas forcément les conséquences de choix théoriques qui paraissent assez abstraits sur le papier. Une autre raison est que la démarche DCE, à défaut d’être sensée comme l’expérience le révélera, avait le mérite de repose sur l’idée d’indicateurs chiffrés et de calculs coût-bénéfice, un langage apprécié par les gouvernances technocratiques (Bouleau et Pont 2014).

En fait, la directive européenne sur l’eau repose sur une fiction et une utopie :
  • La fiction est celle d’une rivière sans impact humain et à l’équilibre comme modèle réplicable partout de la rivière «normale».
  • L’utopie est la capacité à (re-)produire de telles rivières à l’âge anthropocène, c’est-à-dire à l’époque où non seulement les bassins versants sont très occupés par les humains, mais où les cycle de l’eau, de carbone, des sédiments, de l’azote, du phosphore et bien d’autres sont dynamiquement modifiés sans espoir réaliste de changement brutal de cette modification (Steffen et al 2015).
On a axé la politique publique des cours d’eau et plans d’eau sur un schéma théorique très éloigné des conditions réelles, avec injonction de changer cette réalité sans mesure sérieuse de ce que cela impliquerait.

La « condition de référence » de la rivière, une construction intellectuelle hors sol
L’erreur de la DCE s’est matérialisée dans l’idée de «condition de référence» : l’Union européenne demande au gestionnaire publique d’évaluer l’état chimique et écologique du cours d’eau à partir d’une référence «normale», c’est-à-dire de ce qui est attendu pour ce cours d’eau. La normalité écologique s’apprécie à partir d’indicateurs biologiques choisis (poissons, insecte, plantes) indiquant que le milieu est en «bon» état. Mais le «bon» état équivaut en fait à des rivières très isolées des influences humaines: il a été demandé aux experts et gestionnaires de mesurer la biologie de rivières proches de conditions «vierges» de présence et influence humaines, puis de faire de cette mesure l’étalon de l’état à viser, même sur des rivières où l’humain est nettement plus intervenu – plus encore que la rivière elle-même, ou le plan d’eau, sur des bassins versants entiers où l’humain est plus ou moins présent, puisqu’un acquis de l’écologie aquatique est que les usages du bassin versant impacte la rivière, pas uniquement les usages de la rivière elle-même. 

La définition normative d’un « très bon statut écologique » formant la « condition de référence » d’une masse d’eau (rivière, plan d’eau, estuaire) est la suivante (annexe V 1.2):
« Il n'y a pas ou très peu d'altérations anthropiques des valeurs des éléments de qualité physico-chimiques et hydromorphologiques pour le type de masse d'eau de surface par rapport à celles normalement associé à ce type dans des conditions non perturbées.
Les valeurs des éléments de qualité biologique pour la masse d'eau de surface reflètent celles normalement associées à ce type dans des conditions non perturbées et ne montrent aucun signe de distorsion ou seulement très peu. »
La DCE a produit divers guides d’interprétation pour inciter le gestionnaire à suivre sa logique (voir ce lien pour les consulter). Il faut noter que la DCE prévoyait la possibilité de classer des masses d’eau comme «naturelles», «fortement modifiées» ou «artificielles», mais en laissant à chaque pays ou à chaque district hydrographique la liberté d’estimer cela. Alors que la logique eût voulu de classer quasiment tous les bassins européens comme fortement modifiés voire comme artificiels, la plupart des gestionnaires ont conservé une part prépondérante à des classements en masse d’eu «naturelle» – un choix qui entraîne automatiquement la « condition de référence » (donc avec peu d’impact humain) comme objectif pour cette masse d’eau. Soulignons au passage que la France a été particulièrement naïve (ou doctrinaire), l'administration ayant considéré à rebours des faits observables que 95% des masses d'eau superficielle du pays sont naturelles. D'autres pays ont été plus réalistes.

Les critiques scientifiques de l’idée de « référence » naturelle
Un travail très intéressant mené par deux chercheurs en science politique a montré que la genèse de la directive cadre européenne sur l’eau fut assez confuse (Loupsans et Gramaglia 2011). Dès l’origine, des chercheurs n’étaient pas d’accord sur son armature intellectuelle, certains y voyant un non-sens ou une vision très datée de l’écologie. Ces critiques sont exprimées dans plusieurs publications (par exemple Steyaert et Ollivier 2007, Dufour et Piégay 2009, Bouleau et Pont 2015, Linton et Krueger 2020 ), en particulier sur l’idée que des conditions de référence définies par une certaine taxonomie en biologie pourraient indiquer une direction réellement utile. Parmi les arguments principaux, on notera :
  • L’anthropisation (transformation humaine) des bassins versants européens est un processus de très long terme ayant commencé au néolithique, donc il est vain d’imaginer un état stable passé comme une référence.
  • L’influence humaine ne se limite pas au lit de la rivière, tout le bassin versant influe sur l’écologie du cours d’eau et donc tout le bassin versant serait censé retrouver une hypothétique niveau « de référence ».
  • Certaines évolutions comme le changement climatique engagent des modifications peu réversibles à court terme, mais avec des conséquences majeures sur les déterminants des peuplements aquatiques (hydrologie, température). Il en va de même pour l'introduction d'espèces exotiques qui rebattent durablement les cartes des communautés biotiques.
  • L’ontologie sous-jacente de la DCE sépare et oppose l’humain et le non-humain, la société et la nature, l’histoire et le vivant. Or ce mode de pensée ignore la réalité hybride de l’eau où les humains depuis toujours interagissent avec leurs milieux de vie.
Horizon 2027 pour le mouvement des ouvrages hydrauliques et des riverains
Le cas de l’ouvrage hydraulique (formant moulin, étang, plan d’eau, lac de barrage…) a agi en France comme un révélateur des contradictions et limites de la DCE. Dans ce cas particulier, revenir aux «conditions de référence» de la rivière signifie détruire ses ouvrages.  Mais ceux-ci sont les témoins et héritiers de deux millénaires de modification des écoulements pour diverses motivations : énergie, irrigation, eau potable, régulation de crue, agrément, etc. Ces usages ne vont certainement pas disparaître au 21e siècle, d'autant que la question climatique rend l'eau plus critique que jamais pour la société.

L’ouvrage hydraulique a aussi été le cristallisateur de la contestation sociale, car son bâti et ses paysages font l’objet d’un attachement riverain. On en est venu à se poser la question : quelle rivière voulons-nous? Et celles qui suivent naturellement : qui décide de la rivière que nous sommes censés vouloir? Et pourquoi au juste? Les destructions d’ouvrages et d’usages objets d’un attachement riverain ont donc mené à une conscientisation critique des citoyens et une déconstruction de récits technocratiques affirmant la «condition de référence».

La DCE 2000 arrivera en 2027 à l’échéance de ses actions prévues, et devra alors être révisés. Le processus a déjà commencé. Comment éviter que se reproduisent aujourd'hui les mêmes erreurs que dans la décennie 1990? Voici quelques pistes de travail – un travail qui commence maintenant, vu le temps d’évolution des superstructures publiques et le fort conservatisme qui y règne. 

Rendre plus transparente, diverse et inclusive l’expertise
Le mode de fonctionnement technocratique donne une place importante aux experts (ici de la DG Environnement de la Commission) qui conçoivent des normes de manière assez isolée des élus et des citoyens, voire d’autres experts de disciplines connexes mais non mobilisées. Ce n’est pas satisfaisant : l’essentiel du travail se fait dans cette phase d’expertise : comme le résultat a une forte technicité et complexité, les élus peinent ensuite à s’approprier et modifier les textes dans le travail parlementaire normal de discussion des orientations publiques. Le premier objectif est donc de sortir de cet entre-soi trop opaque pour que les travaux préparatoires soient connus, médiatisés. Qu’ils soient aussi inclusifs de certaines expertises qui seraient ignorés dans les phases de discussion initiale, alors que ces expertises sont pertinentes. Le duopole actuel d’une vision uniquement écologique et économique de la rivière ignore la dimension sociale, culturelle et historique.

Politiser l’expertise
Les choix technocratiques de l’Union européenne tendant à avancer deux manières de dépolitiser. D’une part, la référence à «la nature» serait universelle et au-dessus des débats par son simple énoncé (procédé de naturalisation). D’autre part, les «sciences de la nature» diraient à la fois ce qu’il faut connaître (fonction explicative) et ce qu’il faut faire (fonction prescriptive). Or, il n’en est rien. Il existe des appréciations sociales divergentes de la nature. Au sein des disciplines scientifiques, il existe des paradigmes et des angles de recherche qui sont en eux-mêmes porteurs de certains biais a priori. Tout cela doit être dit dans la phase de discussion démocratique des textes normatifs, avec le souci d’assurer un réel pluralisme (des visions de la nature, des sciences et expertises mobilisées au sujet de la nature). Le mot «politiser» ne signifie pas ici qu’il faire de la politique politicienne, mais qu’il faut assumer l’existence de divergences sur les visions de l’eau et l’existence de préférences, y compris parfois au sein d’une expertise que l'on se représente comme «neutre». 

Poser l’eau hybride comme norme
Au cœur de l’édifice normatif de l’actuelle DCE, il y a le refus de considérer l’eau comme un fait hybride nature-culture et la volonté de la définir comme un fait naturel où l’humain serait un intrus. C’est ce point qu’il faut travailler en priorité au plan intellectuel et programmatique : un texte normatif doit reconnaître que le destin des rivières et plans d’eau est la co-évolution avec les sociétés humaines hier, aujourd’hui et demain, que les options de « renaturation » ne sont pas des retours à un hypothétique Eden perdu ni des directions nécessaires pour tous les cours d’eau mais des choix de fonctionnalités qui restent localement décidés par les humains. 

Poser la subsidiarité comme règle
Au plan de la gouvernance, les citoyens sont de plus en plus rétifs à des règles trop précises décidées trop loin du terrain. L’extraordinaire diversité des configurations de l’eau – non seulement par le fait naturel de l’organisation en réseau des cours d’eau dans des contextes géologiques, hydrologiques, biologiques et climatiques très différents, mais aussi par le fait culturel de la pluralité des appropriations humaines de l’eau dans l’histoire – doit se refléter dans une gouvernance qui édicte moins de normes au sommet et laisse davantage de libertés de choix à la base. Ce principe de subsidiarité fait au demeurant partie des règles européennes, mais il tend à être subverti par le désir de contrôle des administrations centrales. 

Pour affirmer ces positions à Bruxelles, le mouvement des ouvrages hydrauliques et des riverains devra s’organiser au niveau européen, se doter d’outils de contacts et d’influence auprès des décideurs, se trouver des alliés et mobiliser les citoyens afin qu’ils exercent une pression de transparence sur les exercices bien trop confidentiels et fermés d’expertises. Vaste travail collectif en vue. Hydrauxois en sera un acteur. 

24/12/2022

Quelques remarques critiques sur l’accord de Kunming Montréal à la COP 15 de la biodiversité

Un accord international guidant les politiques de biodiversité vient d’être signé au Canada, à l’occasion de la COP 15 de la biodiversité. Quelques analyses critiques sur ces déclarations qui semblent manipuler des concepts détachés des réalités, passer sous le tapis l’autocritique des échecs passés, additionner des directions contradictoires sans méthode ni cohérence.  


On appelle COP les «conférences de parties» autour des grands traités environnementaux sur le climat et l’énergie. La COP 15 de la Convention sur la biodiversité biologique vient de s’achever au Canada. Beaucoup ont salué l’accord final de cette COP 15 comme un succès inespéré (téléchargez ici le pdf en français de cet accord dit de Kunming Montréal). D’autres sont davantage sceptiques sur le réalisme de l’accord et sur la capacité à le traduire en actes dans les politiques publiques nationales, d’autant que les objectifs sont seulement indicatifs et non contraignants.  

Les objectifs d’Aïchi 2020 n’ont jamais été atteints, sans analyse critique des causes de l’échec
A l’appui des sceptiques, il faut d’abord rappeler que l’accord de Kunming-Montréal signé à la 15e COP en 2022 fait suite à un précédent engagement datant de plus de 10 ans et ayant largement échoué à se réaliser.

La précédente déclaration internationale d’importance pour la biodiversité était les «Objectifs d'Aichi» (au nombre de vingt), qui formait le «Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020», adopté par les parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB) en octobre 2010. Or ces objectifs n’ont pas du tout été atteints en 2020

Quand une politique publique échoue, elle devrait déjà consacrer un exercice sincère et transparent d’analyse des causes de l’échec et de débat sur la capacité ou non à surmonter ces causes. Ce n’est pas vraiment le cas : on voit des déclarations succéder à des déclarations sans explication sur les échecs passés ni les capacités d’assurer les réussites futures. C'est démobilisateur car on entretient un effet «langue de bois» où les mots perdent leur sens et les élites leur crédibilité. 

Nous avons déjà vécu le même phénomène avec le climat, sujet traité de manière plus pressante que la biodiversité : les COP se succèdent avec des promesses toujours plus fortes, mais après un quart de siècle de ces COP, l’énergie fossile représente toujours 80% de l’énergie finale consommée par les humains et des records d’émission de CO2 sont toujours battus. Le fossé entre les déclarations et les actes finit par entraîner une radicalisation d'une partie de la population, ainsi que des difficultés pour les gouvernants faisant des promesses qu'ils ne savent pas matériellement tenir. 

Les causes identifiées de perturbation de la biodiversité exigeraient une décroissance rapide du volume de l’économie
La déclaration de Kunming-Montréal de 2022 énonce en liminaire : «Les facteurs directs de changement dans la nature ayant le plus d'impact au niveau mondial sont (en commençant par ceux qui ont le plus d'impact) les changements dans l'utilisation des terres et de la mer, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et l'invasion d'espèces exotiques.»

C’est un reflet de ce que dit la littérature scientifique, mais cette énumération concerne en fait l’ensemble des activités humaines d’extraction, production et échange. Ce n'est pas exactement un détail...

Il n’existe pas d’économie en croissance ou en développement sans usage d’énergie, de matières premières, donc de surface maritime ou continentale. C’est bien l’activité économique (plus ou moins couplée à des demandes sociales) qui conduit à utiliser des terres et des mers, à exploiter des ressources naturelles dont des espèces sauvages, à changer le climat par usage d’énergie fossile et déforestation, à émettre des pollutions diverses et, involontairement, à permettre à des espèces exotiques de franchir des barrières naturelles pour s’installer dans de nouveaux milieux. Le cadre de Kunming-Montréal ne remet pas en cause ce développement humain : «Reconnaissant la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement de 1986, le cadre permet un développement socio-économique responsable et durable qui, en même temps, contribue à la conservation et à l'utilisation durable de la biodiversité.»

Or, dans un contexte de hausse démographique attendue jusqu’en 2050 au moins, voire 2100, et alors que les trois-quarts des humains n’ont pas atteint le niveau de vie moyen des pays déjà développés, aucune «recette» n’est donné pour rendre réellement compatible l’économie et l’écologie, la transformation de la nature pour créer des richesses et la protection de la nature pour préserver sa biodiversité. Les propositions qui sont faites (protéger des importantes quantités de surface et y interdire les perturbations, réduire l’usage de pesticides et de nutriments, revenir à une exploitation bien plus raisonnable des espèces sauvages, etc.) sont plutôt dépressives pour l’économie si elles sont appliquées sérieusement du point de vue de l’écologie. Mais sans l’assumer : mauvaise habitude d’additionner des choses contradictoires en fuyant l’affrontement intellectuel avec les contradictions. On peut penser que cet évitement des sujets qui fâchent est à l’origine de l’échec des objectifs d’Aichi et risque de mener à la même issue pour les objectifs de Kunming-Montréal.

Nous rappelons ci-dessous quelques-unes des courbes de l’Anthropocène dans la publication de Steffen 2015 que nous avions recensée. Il faudrait que presque toutes ces courbes connaissent une nette inflexion vers le bas au cours de la présente décennie. Est-ce crédible? Est-ce réaliste?



Des concepts à foison, sujets à interprétations et conflits
Un autre point ambigu concerne les concepts utilisés dans l’accord. Ainsi il est dit que «l'intégrité, la connectivité et la résilience de tous les écosystèmes sont maintenues, améliorées ou restaurées, ce qui accroît considérablement la superficie des écosystèmes naturels d'ici à 2050». Ou bien encore : «La biodiversité est utilisée et gérée de manière durable et les contributions de la nature aux populations, y compris les fonctions et les services des écosystèmes, sont valorisées, maintenues et renforcées, et celles qui sont en déclin sont restaurées, ce qui favorise la réalisation du développement durable, au profit des générations actuelles et futures d’ici à 2050.»

Il est un peu inquiétant qu’un texte juridique, censé être sobre en mots et clair en intentions, se permette une telle profusion de concepts. La notion d’intégrité date plutôt de l’écologie des années 1970-1980, elle est moins usitée aujourd’hui car les écosystèmes sont dynamiques et on doit éviter l’illusion que leurs espèces et populations sont stables dans le temps – en particulier à l’Anthropocène où les forces de changement impulsées par la société industrielle vont continuer à exercer leurs effets à différents échelles de temps et d’espace. Les fonctions et services liés aux écosystèmes peuvent donner lieu à des interprétations diverses, en particulier s’ils s’opposent à l’idée d’une «valeur intrinsèque» de la nature et permettent des exploitations ayant des effets perturbateurs malgré tout.

L’accord admet aussi un pluralisme des visions de «la nature» – ce qui en soi une bonne chose car on ne voit pas pourquoi un concept aussi lourd que «la nature» ferait d’objet d’un discours mono-interprétatif chez les humains, fut-ce un discours scientifique –, mais l’accord ne fixe pas les conditions d’exercice de ce pluralisme : «La nature incarne différents concepts pour différentes personnes, notamment la biodiversité, les écosystèmes, la Terre nourricière et les systèmes de vie. Les contributions de la nature aux personnes incarnent également différents concepts, tels que les biens et services des écosystèmes et les dons de la nature.» Comment s’articulent le débat démocratique et la conservation écologique ? Comment passe-t-on du discours (technique, scientifique) des faits naturels aux échanges (philosophiques, politiques, symboliques, existentiels) sur les interprétations et valeurs attachées aux faits naturels? Comment évite-t-on dans les sociétés occidentales et parfois ailleurs l’actuel «scientisme» ou «technocratisme» où la politique de biodiversité semble se résumer à l’avis d’experts sur la biodiversité au lieu que cet avis ne soit qu’un des éléments du débat ? Même pour les discours d’expertise, comment améliore-t-on le manque énorme de données locales et de modèles du vivant, alors que la biodiversité (contrairement au climat) est toujours le fait de choix contextuels et contingents, concernant des lieux précis dans des dynamiques précises?

30% d'espaces protégés en 2030.... faire presque autant en dix ans qu'on en a fait en demi-siècle? 
Dans les ambiguïtés, la mesure phrase de protection de 30% des milieux ne dit pas comment ces milieux doivent être gérés bien que soient mentionnés leur «utilisation durable» et les «droits … des communautés locales» : «Faire en sorte et permettre que, d'ici à 2030, au moins 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines, en particulier les zones revêtant une importance particulière pour la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, soient effectivement conservées et gérées par le biais de systèmes d'aires protégées écologiquement représentatifs, bien reliés et gérés de manière équitable, et d'autres mesures efficaces de conservation par zone, en reconnaissant les territoires autochtones et traditionnels, le cas échéant, et intégrés dans des paysages terrestres, marins et océaniques plus vastes, tout en veillant à ce que toute utilisation durable, le cas échéant dans ces zones, soit pleinement compatible avec les résultats de la conservation, en reconnaissant et en respectant les droits des peuples autochtones et des communautés locales, y compris sur leurs territoires traditionnels.» 

Les expériences en écologie de la conservation (ou de la restauration) montrent de fréquents conflits sociaux entre les aspirations des populations locales et les injonctions propres à la gestion de biodiversité souvent décidées par des expertises éloignées du territoire (voir Blanc 2020). En excès inverse, certains parcs naturels offrent des "protections de papier" que ne protègent pas grand chose (même avec cette légèreté, il a fallu 60 ans pour passer de 2 à 17% des zones officiellement protégées, ce qui rend douteux de passer de 17 à 30% en quelques années). 

En outre, la restauration écologique de milieux dégradés reste une discipline expérimentale, qui coûte rapidement de l’argent si un foncier important est concerné, qui n’a pas toujours de bons retours d’expérience, qui manque le plus souvent de données et de modèles pour être sûre de sa compréhension des écosystèmes locaux, qui n’est pas encore mûre pour devenir une pratique banale à résultats garantis sans mauvaises surprises et sur de larges surfaces. Etendre tout cela (conservation et restauration) à 30% des espaces en 10 ans paraît bien trop optimiste. Et la biodiversité ordinaire des 70% d’espaces restant n’a pas vraiment de guide dans ce schéma.

Conclusion
Face au risque élevé d’extinction d’espèces et de perte de services écosystémiques utiles, il est normal que la biodiversité figure dans les politiques publiques – ce qui était déjà le cas (timidement) sous le nom de "protection de la nature" au 20e siècle. Mais le sujet est trop confiné dans des cercles spécialisés, pas assez confronté à diverses contradictions avec notre système de production, pas assez ouvert au débat démocratique sur les natures que désirent en dernier ressort les citoyens.

08/12/2022

En cadeau pour l’hiver, France Nature Environnement obtient l’arrêt et la démolition d’une centrale hydro-électrique neuve

Le lobby naturaliste FNE a réussi son timing : à l’entrée de l’hiver, alors que la France souffre de pénurie et inflation énergétiques, le tribunal administratif de Grenoble vient de prononcer à sa requête l’illégalité d’une centrale hydro-électrique neuve et d’ordonner la démolition des ouvrages. Le motif en est que la baisse du débit dans le tronçon court-circuité serait assimilable à une rupture de continuité écologique pour une rivière classée liste 1 en réservoir biologique. Mais ce jugement de première instance fera probablement l’objet d’un appel. Les règlementations de biodiversité sont devenues l'un des premiers freins aux projets d’énergie renouvelable : les élus doivent donc exposer aux citoyens la manière dont ils vont assurer leur promesse d’une accélération de la transition énergétique, alors que les deux-tiers de l’énergie finale consommée en France sont encore d’origine fossile. Car notre association comme bien d’autres n’hésiteront pas à mener leurs propres contentieux contre l’Etat s’il se maintient en carence fautive sur la décarbonation, s’il méconnaît l’obligation légale de développer la petite-hydro-électricité et s’il met en danger la population par des choix affectant la garantie d’accès à l’énergie. 


Source de  l’image (photo) : Le Messager 

La régie de gaz et d’électricité de Sallanches a sollicité en 2018, une autorisation environnementale afin d’exploiter une centrale hydroélectrique sur la rivière la Sallanche. Ce projet consiste à créer en amont du Pont de la Flée, une prise d’eau reliée à la centrale située en contrebas par une conduite forcée enterrée. A l’issue de l’enquête publique, le préfet de la Haute-Savoie a, par arrêté du 26 décembre 2019, autorisé le projet et déclaré d’utilité publique l’établissement d’une servitude. France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE) en a demandé l’annulation. Le chantier vient tout juste d’être terminé et l’inauguration de la centrale était prévue pour le mois de janvier prochain.

La centrale hydroélectrique consiste en l’installation d’un seuil sur le cours d’eau de la Sallanche où 72 % du tronçon court-circuité (4 200 mètres) de la rivière est classé, par arrêté du préfet de la région Rhône-Alpes du 19 juillet 2013, en liste 1 ainsi qu’en réservoir biologique , en application du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Rhône-Méditerranée 2022-2027.

L’étude d’impact initiale sollicitait l’attribution d’un débit réservé de 50 l/s, correspondant au 12.5% du module. Le débit réservé finalement autorisé a été porté à 80 l/s, soit 20% du module du cours d’eau. Dans son avis du 12 décembre 2018, sollicité pour prendre en compte le nouveau débit réservé de 80 l/s, l’Agence française pour la biodiversité (aujourd’hui Office français pour la biodiversité) conclut que cette modification était toujours à une réduction de 53% du débit de la réserve biologique. Cet avis précise en outre que les données hydrologiques, avancées par la pétitionnaire dans son étude d’impact, se basent sur l’influence de l’aménagement au niveau de la restitution de l’usine alors que l’influence d’une dérivation sur un réservoir biologique doit logiquement être évalué dès la prise d’eau et non pas seulement à l’extrémité avale du tronçon court-circuité.

Le tribunal conclut : «Ainsi, il résulte de l’instruction que le projet modifie substantiellement l’hydrologie du cours d’eau et l’arrêté attaqué méconnaît dès lors les dispositions précitées du 4°du I de l’article R. 214-109 du code de l’environnement.»

L’article R. 214-109 du code de l’environnement, dans sa version remise en vigueur à la suite de l’annulation de l’article 1er du décret n°2019-827 par le Conseil d’Etat, précise que : «Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 (…), l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants : (…) 4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques».

Ce que l’on peut en dire en débat scientifique
Une centrale hydro-électrique en dérivation modifie forcément le débit donc l’hydrologie du tronçon court-circuité. Par conception, une partie du débit de la rivière passe vers la centrale et non vers le lit originel du cours d’eau. Cette baisse de débit affecte la vie aquatique, de manière différente selon les saisons et le débit total du cours d'eau, mais dans quelle mesure ? Pour l’estimer, il faudrait avoir des analyses systématiques du vivant dans les tronçons court-circuités, selon les typologies de centrales et de gestion des débits. Les études restent lacunaires et ont concerné pour l'essentiel de plus grands ouvrages sur de plus grandes rivières (des producteurs ont commencé leurs propres études et demandent régulièrement à l'OFB de lancer un programme de connaissance à ce sujet). La biomasse aquatique y est très probablement moindre (moins de surface et volume en eau), mais rien ne dit a priori que la biodiversité proprement dite est substantiellement affectée (les espèces n’ont pas de raison de disparaître dans un tronçon court-circuité s’il reste en eau en permanence). Par ailleurs, au vu de ce que prévoit les chercheurs sur le changement climatique, la faune et la flore aquatique pourraient connaitre un bouleversement thermique et hydrologique d’une vitesse quasi-inconnue depuis des millions d’années, si nous ne parvenons pas à baisser très rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Donc la réflexion sur les impacts ne se limite pas aux effets locaux. Enfin, la notion de "réservoir biologique" est plus administrative que scientifique : il conviendrait d'exposer plus précisément en quoi la rivière Sallanche exprime cette propriété de réservoir (pour quelles espèces, présentant quel niveau de menace, etc.). Il a été régulièrement reproché au classement de 2012-2013 d'obéir à une logique halieutique (en particulier sur des cours d'eau à truites communes sans enjeu grand migrateur) davantage qu'écologique. 

Ce que l’on peut en dire en débat juridique
Si, comme on peut le penser, le maître d’ouvrage fait appel de la décision et porte au besoin le cas devant le conseil d’Etat, il reviendra à la jurisprudence d’apprécier ce que signifie une modification «substantielle» du débit d’un réservoir biologique et de dire si cette modification est constitutive ou non d’une rupture de continuité écologique. Le conseil d’Etat a déjà précisé que ces changements devaient s’apprécier au cas par cas (CE 11 décembre 2015 n° 367116). Mais cela implique une casuistique où le juge décide en dernier ressort de ce qui est, ou non, un motif grave de perturbation de fonctionnalités aquatiques.  Dans un cas similaire jugé par la cour de justice de l’Union européenne, les magistrats devaient évaluer si une centrale hydro-électrique pouvait dégrader une qualité de masse d’eau de très bonne à bonne, justement en raison des effets hydrologiques et hydromorphologiques de le centrale sur le tronçon court-circuité. En l’espèce, le juge avait conclu que le requérant pouvait à bon droit mettre en avant l’intérêt majeur de l’électricité décarbonée pour justifier une dégradation de classe de qualité. (CJUE, 4 mai 2016, 62014CJ0346). Enfin, il faut noter que la loi de 2019 fait obligation à l’Etat d’encourager la petite hydro-électricité face à l’urgence écologique et climatique.

Ce que l’on peut en dire en débat politique
Il y a désormais conflit ouvert entre une branche de l’écologie qui donne la primauté à la protection de la nature et de la biodiversité, une autre qui donne primauté à la lutte contre un changement climatique dangereux et au développement de circuit-court à moindre empreinte matérielle. Les questions de biodiversité sont parmi les premiers motifs des recours contre des projets renouvelables au motif qu’ils impactent des habitats et des espèces, donc la protection plus ou moins stricte de biodiversité devient parmi les premiers freins au déploiement du renouvelable, et à une partie de la lutte concrète contre le changement climatique. C’est un choix de la loi et des associations qui s'en réclament (ou en réclament une certaine interprétation). Mais le débat démocratique doit reconnaître cet état de fait (au lieu de le nier, l’euphémiser ou le glisser sous le tapis) pour en déduire une discussion politique sur l’ordre des priorités dans nos normes – nos lois et nos règlementations. 

L’hydro-électricité en France fait l’objet d’un blocage depuis 40 ans, inspiré par les lobbies naturalistes et pêcheurs comme par les administrations eau & biodiversité ayant des sympathies pour ces lobbies. Non seulement on tend à décourager la relance de sites anciens ne créant pourtant pas de nouveaux impacts, par des exigences n’ayant aucune sorte de réalisme économique et biologique, mais on menace de nombreux projets de création de site de contentieux, pour décourager leurs investisseurs. Quand on ne détruit pas sur argent public des ouvrages producteurs d’énergie bas carbone y compris des grands barrages EDF

Nos élus sont en train de voter une loi sur l’accélération de l’énergie renouvelable, et nous les avons avertis à maintes reprises de la nécessité d’assumer des choix politiques, au lieu d’esquiver les sujets et de laisser croire au prix d'une pensée magique que des options contradictoires donneraient des résultats efficaces. Si les élus ne veulent pas prendre leur responsabilité, libre à eux. Mais ils devront de toute façon l’assumer dans l’hypothèse où la France ne réussit pas sa transition énergétique et où les citoyens souffrent de leurs choix délétères en ce domaine.

Car les recours en justice ne viennent pas seulement de France Nature Environnement : que l’Etat manque à son obligation de décarbonation ou que l’Etat opère des choix qui privent le citoyen de la garantie d’accès à l’énergie, notre association et bien d’autres le convoqueront également devant la justice. Le législateur comme l’administration n’échapperont donc pas à l’obligation d’assumer leur responsabilité dans la définition des priorités écologiques. 

Référence : Tribunal administratif de Grenoble, N°2002004, décision du 6 décembre 2022

15/11/2022

Voici dix ans, le classement aberrant de continuité écologique des rivières françaises

La continuité en long des rivières avec destruction en rafale du patrimoine hydraulique des moulins, étangs et autres ouvrages est la plus contestée des politiques de l’eau. La première cause du problème a tout juste 10 ans : le classement totalement démesuré de 46 615 km de rivières et 20 665 ouvrages qui auraient dû être mis aux normes en 5 ans seulement. Comment la fonction publique a-t-elle pu concevoir un plan aussi dénué de réalisme ? On se le demande encore. Pourquoi ne révise-t-elle pas simplement à la baisse ce classement aberrant et largement arbitraire ? On se le demande autant. En attendant, la casse d’ouvrage au titre de ce classement a été interdite par la loi et vu que les agences de l’eau refusent toujours de couvrir les charges exorbitantes de mise en conformité – comme la loi le demande aussi –, tout est à peu près bloqué. Bienvenue en absurdie. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau de leurs ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. C’était le rôle de l’administration. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont donc classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long. 

Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). 

Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils de moulins et étangs, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Les listes 2 sont les plus contraignantes : l’intervention y est censément obligatoire. 

Plus de 20 000 ouvrages sur plus de 46 000 km de rivières
Le tableau (CGEDD 2016) ci-dessous indique le linéaire de rivière concerné par ces listes 2: 46 615 km



Le tableau (CGEDD 2016) ci-dessous indique le nombre d’ouvrages hydrauliques concernés par le classement en liste 2: 20 665.




Ce classement a été catastrophique à plus d’un titre.

Total irréalisme. A titre de comparaison, l’Union européenne envisage une régulation de continuité qui porterait sur 25 000 km pour toute l’Union, à traiter à horizon 10 ans. Les fonctionnaires en charge du classement français n’ont pas eu le début d’une exigence de réalisme sur la portée d’un acte réglementaire opposable, qui impliquait de lourds travaux. Des syndicats de rivières se sont retrouvés avec 20, 50, 100 ouvrages à traiter en peu de temps. Les instructions ont été plus ou moins bâclées pour faire du chiffre, mais très vite les premiers contentieux ont mis en évidence les nombreux abus de pouvoir dans la pression alors exercée sur les propriétaires. Donc au bout de 10 ans, nous sommes loin d'avoir traité les 20 000 ouvrages concernés. 

Arbitraire manifeste. Le classement aurait pu concerner un linéaire modeste avec présence avérée d’espèces amphihalines menacées (anguilles, saumons etc.), en commençant par l'aval avant de traiter l'amont, puisque le problème principal est la montaison et non la dévalaison des poissons. Là, il a souvent été étendu à de simples rivières à truite de têtes de bassin, pour faire plaisir au public pêcheur, sans preuve claire que les truites souffraient des ouvrages concernés. De plus, quand il y avait un grand barrage public sur le linéaire de la rivière, le classement était opportunément interrompu à l’amont et à l’aval. Autant dire qu'on laissait de côté les grandes discontinuités en s'acharnant sur les petites, tout en se permettant le ton le plus sévère et le plus définitif sur l'impact supposé de modestes ouvrages présents depuis des siècles.

Coût exorbitant. Un obstacle de type buse ou gué ne coûte pas bien cher à enlever ou à modifier, quand même 1000 à 10000 €. Mais la plupart des obstacles sont des chaussées de moulin ou des barrages, le coût devient nettement plus élevé, typiquement entre 100 000 et 1 million € à chaque fois (le record pour les barrages de la Sélune, 50 millions €). La loi exige indemnisation pour les charges spéciales et exorbitantes, mais les préfectures et agences de l’eau ont refusé de financer à 100% les travaux hors des seules destructions (payées quant à elles rubis sur l’ongle par l’argent des citoyens). Autant dire que tout est bloqué ailleurs. Et que cette inégalité devant les charges publiques tombera un jour ou l'autre devant la justice, les fonctionnaires s'étant permis de décréter sans aucune base législative ce qu'ils avaient envie de payer.

Sous-information structurelle. Le classement des rivières et ouvrages a été fait sans modèle scientifique sur la circulation des poissons migrateurs à échelle de tout le réseau hydrographique et sur les points les plus impactants de cette circulation. Il a totalement ignoré les sciences sociales et humanités de l'eau indiquant que les rivières et leurs ouvrages n'étaient pas juste des questions naturelles, mais relevaient de nombreuses dimensions dans l'esprit et la pratique des citoyens. Il a également négligé tout un pan de la littérature scientifique en écologie qui indique d'une part que les rivières sont modifiées par les humains depuis des millénaires avec création de nouveaux habitats et nouveaux écosystèmes, d'autre part que les usages du lit majeur sont les premiers déterminants des qualités et quantités d'eau où le vivant se déploie. Un ouvrage détruit sans autre réflexion risque d'aggraver la situation (lits plus incisés, eau moins retenue, pollution plus diffusée, etc.)


Nous entrons cette année en situation de non-droit de la continuité écologique
Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation de non-droit : la majorité des ouvrages en liste 2 n’ont pas trouvé de solutions financées, les préfets continuent de faire la sourde oreille quand on leur rappelle l’exigence d’indemnisation. Mais la loi donnait un délai de 5 ans prorogé une fois, donc cela signifie que les ouvrages non mis en conformité entrent dans l’illégalité. Plus exactement : les préfectures sont en situation de carence fautive dans l'exécution de ce que dit exactement la loi, en ne proposant pas aux maîtres d'ouvrage une solution légale et indemnisée. 

Une instruction administrative de 2019 a inventé la notion d’«ouvrage prioritaire» – de manière tout aussi arbitraire que le reste –, mais ce bricolage juridique est illégal et non opposable aux tiers. Le conseil d’Etat n’a pas donné suite à notre requête d’annulation de cette instruction pour cause de délai échu, nous allons donc demander directement l’annulation au ministre à peine de contentieux si refus sous 2 mois, puisque cette notion d’ouvrage prioritaire est sans base dans la loi (et même formellement contraire à la loi dans la manière dont elle été énoncée en 2019). 

La loi Climat et résilience de 2021 a quant à elle posé l’interdiction de la destruction de l’usage actuel et potentiel des ouvrages. La plupart des études déjà faites et qui étaient orientées vers cette destruction sont aussi frappées d’illégalité dans leurs prescriptions.

Enfin, sauf si vous découvrez notre site, vous savez que la politique de continuité écologique par destruction d’ouvrages est la plus contestée des politiques publiques du ministère de l’écologie, avec déjà diverses victoires en justice lors de contentieux, une ambiance déplorable entre les gestionnaires publics et les riverains des ouvrages, des oppositions sociales diffuses à la disparation des plans d'eau et canaux. A l'irréalisme s'ajoute l'impopularité.


Une solution simple… que l’administration refuse évidemment
Il existe une solution simple pour réparer les bêtises : réviser à la baisse le classement de continuité écologique.

Cette solution est aussi légale puisque la loi de 2006 le prévoit expressément : «Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l'autorité administrative compétente, après étude de l'impact des classements sur les différents usages de l'eau visés à l'article L. 211-1. Elles sont mises à jour lors de la révision des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux pour tenir compte de l'évolution des connaissances et des enjeux propres aux différents usages.» (article L 214-17 code environnement, al. II).

De toute évidence, ce qui s’est passé depuis 10 ans a fait "évoluer les connaissances" en montrant les défauts innombrables de cette politique.

A date, l’administration fait la sourde oreille : pas responsable, pas coupable, pas concerné par l’acte réglementaire déraisonnable et problématique de 2012-2013,  elle laisse pourrir la situation. 

La direction eau & biodiversité du ministère de l’écologie se lave les mains de ses erreurs manifestes sans changer les têtes qui ont inspiré ces erreurs, pendant que sur le terrain les fonctionnaires de l'eau gèrent une situation plus ou moins absurde où il n’y a souvent ni base légale ni moyen financier des travaux envisagés. 

On attend une administration pragmatique, pas dogmatique
Dix ans, c’est aussi l’âge de notre association, qui est née de la contestation des premières tentatives de destructions d’ouvrages appréciés des citoyens. Dès le départ, nous avons perçu que le problème venait essentiellement d'une fraction de l’administration de l'eau, ses choix irréalistes, son idéologie hors-sol et son attitude agressive de destruction systématique contre l’avis des gens et contre l’intérêt général. Nous l’avons dit et expliqué, de manière argumentée. Et nous ne sommes logiquement pas très aimés pour avoir dit ainsi les choses clairement, dans un pays où l'Etat est censé avoir toujours raison. 

Dix ans plus tard, les événements nous ont donné raison : l’administration s’est mise en faute et a gâché une politique qui aurait pu être plus efficace et plus consensuelle, pourvu qu’elle soit moins dogmatique et moins démesurée. Pourvu aussi qu’elle n’essaie pas d'imposer partout des utopies de "renaturation" de rivière contre l’avis des riverains dans le cas des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux. Les rivières anthropisées sont une réalité, de longue date, cette réalité ne s'élimine pas d'un claquement de doigt de bureaucratie. 

Nous sommes donc désolés de persister et signer dix ans plus tard, en espérant que l'on ne perde pas encore dix ans à de nouveaux contentieux pour arriver à des évidences déjà claires comme de l'eau de roche. 

Tant que l’administration ne reconnaîtra pas ses erreurs et ne fera pas évoluer sa doctrine des ouvrages hydrauliques en conformité à ce que disent les lois françaises, pas grand-chose ne bougera. Les options sont simples, et c'est l'administration qui a seule le pouvoir de les actionner pour corriger ses errements:
  • la direction eau et biodiversité du ministère doit émettre une circulaire reprécisant les lois et jurisprudences aux agents publics, 
  • les préfectures de bassin doivent réviser le classement de continuité à la baisse, 
  • les agences de l’eau doivent débloquer des fonds conséquents pour les seules solutions légales dans les rivières restant classées. 
Pour plus tard, il sera nécessaire de réviser complètement la loi sur l'eau de 2006 sur ce volet. Dans toutes les rivières, on doit proposer aux propriétaires d'ouvrages le même financement public pour toutes les options de continuité, sur base volontaire, sans faire de chantage financier, sans essayer d'imposer autoritairement des destructions. Pour les rivières à travaux obligatoires en raison d'espèces menacées, il faut s'inspirer de la science pour définir les axes à bon rapport bénéfice-coût, prévoir des financements élevés au vu du coût des travaux (mais sur un linéaire moindre). Et plus globalement, la politique publique a vocation à engager une valorisation écologique, hydrologique, énergétique et sociale des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux.

06/11/2022

Le combat pour le droit des rivières, des zones humides et des ouvrages hydrauliques

Longtemps, le monde des propriétaires et riverains d’ouvrages hydrauliques n’a pas été très à l’aise avec le droit, en particulier le recours en justice. Si une préfecture menait une politique, celle-ci était forcément légale et légitime dans ses décisions – un jugement résigné que démentent pourtant de nombreuses condamnations de l’Etat et de ses administrations par les cours de justice. Non seulement il est nécessaire de saisir le juge pour défendre le droit des rivières, des zones humides et des ouvrages hydrauliques, mais il faut aussi envisager le droit comme un outil d’affirmation de notre vision sur ces sujets, une vision que nous pensons partagée par la majorité des citoyens. Nous exposons ici quatre engagements pour devenir acteurs du droit, et non sa cible passive. 


Partout en France, des personnes, des associations et des collectifs défendent les aménagements de la rivière et leurs usages, qu’ils s’agissent de moulins, d’étangs, de plans d’eau, de patrimoines historiques. Partout en France  aussi, des syndicats défendent des usages liés à ces ouvrages, comme la production d’énergie, l’irrigation ou la pisciculture. 

Mais contre quoi se défendent-ils ? Contre des évolutions du droit qui ont permis à des administrations publiques de remettre en cause ces réalités, ces cadres de vie, ces sources de revenus, de propager une certaine vision idéologique de l’eau qui n’est pas la vision de ces citoyens, parfois de détruire et assécher ces patrimoines et ces milieux. Dans une société démocratique moderne, l’action est encadrée par le droit : si une administration se permet de valider la destruction d’une retenue et d'un bief de moulin, l’assèchement d’un étang, la disparition d’un plan d’eau, la remise en question d'un béal d'irrigation, c’est qu’il a existé un arrière-plan juridique laissant penser à cette administration que son action est légale et légitime.

Les questions de droit interviennent dans quatre occasions différentes : lorsque l’on doit lutter contre une injustice ou une infraction, lorsque l’on veut clarifier le sens de la loi, lorsque l’on veut préciser la hiérarchie de normes contradictoires, lorsque l’on veut produire de nouvelles normes. 

Combat contre l’injustice, l’abus de pouvoir, l’infraction aux lois
Cette circonstance est celle qui a de plus en plus mobilisé le monde des moulins, étangs, plans d’eau depuis dix ans : il est manifeste qu’une fraction de l’administration «eau et biodiversité» avait comme objectif d’aller très au-delà des textes de lois dans le domaine des ouvrages hydrauliques. En l’occurrence, elle avait l’objectif de détruire ces ouvrages et leurs milieux, alors que jamais les lois n’avaient envisagé cette issue. Une objectif aussi de «renaturation», terme absent du droit et passablement flou, sinon arbitraire, dans ses définitions. Cette position était d’autant plus inacceptable qu’une administration non élue n’a pas la légitimité populaire du suffrage pour asseoir son pouvoir : elle est là pour exécuter les lois, non pour les interpréter à sa guise. Par ailleurs, des chantiers non conformes à la loi ou à la réglementation sont en infraction pure et simple, ce que tout citoyen doit dénoncer dans un état de droit. Le premier combat pour le droit, c’est de saisir le tribunal lorsque l’on constate des erreurs d’appréciation, des abus de pouvoir, des ignorances de la loi. Il faut certes souvent 5 à 7 ans pour voir son cas passer au conseil d’Etat. Mais en cas de victoire – et nous en avons eu quelques-unes –, obligation est faite à l’administration (ou autre acteur concerné) de cesser ses dérives.

Combat pour améliorer l’interprétation du droit
Les lois françaises et les directives européennes (le droit positif, codifié) donnent des indications générales sur les normes. Mais ces normes sont sujettes à interprétation quand elles rencontrent des cas concrets. C’est le travail des juges et ce travail produit ce que l’on appelle la jurisprudence, c’est-à-dire la manière dont il faut interpréter l’énoncé des lois et des codes, à travers les décisions de justice. Les jurisprudences comme les lois évoluent, notamment par le fait que des justiciables présentent de nouveaux cas aux juges (ou que de nouvelles circonstances changent l’idée que l’on avait de la réalité). Prenons un exemple concret : une zone humide telle qu’elle est définie dans l’article L 211-1 du code de l’environnement peut aussi bien définir un habitat humide d’origine anthropique (artificielle) que naturelle. La distinction n’a d’ailleurs pas de sens puisque l’intérêt réside dans des propriétés et fonctionnalités de milieux humides, pas dans leur origine par le fait de l’homme ou non. Mais dans la mise en application des lois par les administrations, on constate actuellement l’indifférence aux zones humides artificielles, voire leurs destructions et assèchements. Porter plainte en ce cas, c’est essayer d’obtenir des cours de justice une jurisprudence qui va obliger à préciser le sens du code de l’environnement, donc empêcher certains chantiers délétères.

Combat pour définir des priorités dans le droit
Le droit est cumulatif : les Etats modernes ont une complexité croissante car ils accumulent des lois et des jurisprudences, en ajoutent davantage qu’ils n’en retranchent. Cette complexité est accrue par la construction européenne, qui crée une couche de droit communautaire s’imposant aux droits nationaux (avec plus ou moins de liberté de mise en œuvre). Or ce droit protéiforme finit par accoucher de contradictions internes, entre des dispositions anciennes et nouvelles, ou même entre des politiques divergentes (car les administrations publiques en silo ne communiquent pas assez entre elles avant de proposer des législations). Un exemple: faut-il donner priorité à l’ouvrage hydraulique comme outil de rétention d’eau et production d’énergie (ce qui fait partie des objectifs de la loi) ou donner priorité à la protection de poissons migrateurs qui peuvent être impactés par des ouvrages hydrauliques (cela fait aussi partie des objectifs) ? Quand des contradictions se font jour, ce qui se traduit en général par des conflits locaux et sociaux, le droit est ce qui permet de trancher en formalisant la hiérarchie de ses normes et en retrouvant une cohérence. 

Combat pour créer des normes dans les textes législatifs
Le droit incorpore sans cesse de nouvelles idées, de nouveaux concepts, in fine de nouvelles réalités. Par exemple, la «continuité écologique» était absente du droit français avant 2006, elle y a été introduite. Comment ? Par un travail en amont de documentation et de réflexion sur des choses à intégrer dans les lois, en lien notamment avec la connaissance scientifique et technique, aussi par un travail d’information et d’influence sur ceux qui produisent concrètement le droit (par exemple les hauts fonctionnaires dans la construction de projets de loi, les parlementaires dans l’examen de ces projets ou dans leurs propres propositions de loi). Le droit de l’environnement en France et en Europe a souvent été construit sur la base d’une séparation voire opposition de la nature et de la société (ce que l’on nomme une «ontologie naturaliste»). Il y aurait la nature d’un côté (vue comme normalement sans humain), la société de l’autre (vue comme impact potentiel), et le droit de la nature serait plus ou moins une répression de libertés ou d’actions sociales. Mais on pourrait penser le droit de l’environnement autrement car en fait, on observe dans la réalité des «faits hybrides» qui émergent de la rencontre entre nature et société. Des chercheurs et des penseurs observent déjà cette réalité de l’hybridation nature-culture, sans que celle-ci soit présente dans le droit (ni dans la réflexion des hauts fonctionnaires, des parlementaires qui font le droit). Voilà typiquement des idées normatives à porter pour le mouvement des ouvrages hydrauliques – ouvrages qui se trouvent être de tels objets «hybrides», mais qui n’ont pas d’existence juridique pensée sous cet angle. En ce moment même, nous essayons de sensibiliser le législateur européen à cette vision plus complexe et plus riche des rivières, autrement que comme réalité naturelle dont l’humain serait dissociable. 

Conclusion : le droit est une construction humaine 
La droit est une construction humaine, ce n’est pas l’expression d’une vérité divine ou naturelle. Du même coup, le droit est aussi pris dans les divergences et les antagonismes des humains sur ce qui est souhaitable, désirable, préférable. Nous parlons de «combat» pour souligner ce trait : ne rien faire, c’est laisser d’autres définir ce que vous êtes dans le droit. Ou ce que vous n’êtes pas, en vous rendant invisibles au droit. Les associations, les ONG et les autres organisations de la société civile comprennent cela : elles existent pour la reconnaissance de leurs objets vécus, reconnaissance dans le droit et par le droit. C’est ce qui a manqué aux ouvrages hydrauliques, à leurs milieux, à leurs espèces inféodées, à leurs usages, à leurs patrimoines immatériels et plus généralement aux formes hybrides de l’eau. C’est ce sur quoi nous devons mener ensemble un travail à long terme. 

PS : la modération du droit, notamment positif, serait sans doute préférable à sa prolifération. En effet, changer le droit pour y introduire sans cesse des idées nouvelles au lieu de laisser davantage de place à l’expérience et à l’observation peut introduire des erreurs et des coûts évitables. De ce point de vue, les pays dits de «common law» accordent moins de place au droit écrit dans la loi et davantage au droit prononcé par le juge. La jurisprudence y est vue comme adaptation au cas par cas, souple, de normes restant rares. Mais la France et l’Europe ont une activité normative plus importante que les pays de common law, ce qui veut dire qu’elles énoncent beaucoup de normes dans  la loi et la codification de la loi. En tant qu’acteurs sociaux, nous ne choisissons pas le «terrain de jeu». A partir du moment où les appareils publics sont dans cette disposition d’esprit normative, nous devons intervenir sur ces normes, pointer celles qui nous paraissent problématiques afin de les réformer et proposer celles qui nous paraissent préférables afin de les faire advenir dans le droit.