23/05/2025

La loi dit non, l’administration passe outre et le Conseil d'Etat valide…

Le code de l’environnement interdit explicitement les destructions d’ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de continuité écologique, mais le Conseil d’État valide le financement préférentiel de ces chantiers sur argent public. Un paradoxe juridique qui interroge la portée réelle de la volonté parlementaire aujourd'hui. Notre association et la FFAM ont maintenu un autre contentieux sur le même thème pour pousser le Conseil d'Etat à préciser comment un choix condamné par la loi peut se retrouver encouragé par une administration. Ce qui est, in fine, une vision curieuse de l'état de droit. Et une posture jugé méprisante, qui n'apaisera pas les critiques nombreuses contre les choix de l'administration de l'eau. 


Le 25 mars 2025, le Conseil d'État a rendu une décision concernant les programmes pluriannuels d'intervention (PPI) des agences de l'eau, notamment en ce qui concerne le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la continuité écologique.

Contexte
Les agences de l'eau élaborent des PPI pour orienter leurs actions et financements en matière de gestion de l'eau. Ces programmes peuvent inclure des mesures visant à restaurer la continuité écologique des cours d'eau, notamment par la suppression ou l'aménagement d'ouvrages hydrauliques entravant la libre circulation des espèces aquatiques et le transport des sédiments.

Décision du Conseil d'État
Dans cette affaire, des requérants (dont Hydrauxois et la FFAM) contestaient la légalité d'un PPI de l'agence de l'eau Loire-Bretagne, arguant que le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques, tels que des moulins fondés en titre, était illégal, notamment au regard de la loi climat et résilience de 2021 ayant modifié le code de l'environnement, et en particulier les principes de mise en oeuvre de la continuité écologique.

Le Conseil d'État a rejeté ces arguments, confirmant que :
  • La légalité d'un PPI ne peut être remise en cause par une éventuelle illégalité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) auquel il se réfère.
  • Le PPI peut légalement prévoir le financement de la destruction d'ouvrages hydrauliques dans le cadre de la restauration de la continuité écologique, y compris pour des moulins fondés en titre, dès lors que ces actions ne sont pas rendues obligatoires et respectent les droits des propriétaires.
Le paragraphe est pour le moins lapidaire, sinon obscur :
"Les dispositions de l'article L. 214-17, dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 22 août 2021 précitée, ont pour objet de définir deux listes classant les cours d'eau en fonction de leur état écologique et des objectifs de continuité qui leur sont assignés et de fixer les obligations qui en résultent pour les propriétaires d'ouvrages implantés sur ces cours d'eau. En jugeant que ces dispositions, tout comme celles de l'article L. 214-18-1 qui y renvoient, ne pouvaient utilement être invoquées à l'encontre de la délibération de l'agence de l'eau du 4 octobre 2018 qui, approuvant son onzième programme d'intervention, n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les critères de fixation de ces listes, non plus que les obligations qui incombent aux propriétaires des ouvrages concernés en vue de permettre la circulation des poissons migrateurs et le transport suffisant des sédiments, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt et ne s'est pas méprise sur la portée des écritures des requérants, n'a pas commis d'erreur de droit."

Cette décision confirme la possibilité pour les agences de l'eau de soutenir financièrement des opérations de suppression d'ouvrages hydrauliques, tout en soulignant l'importance de respecter les droits des propriétaires et de ne pas imposer de telles mesures de manière systématique.

Implications
L’arrêt du Conseil d’État du 25 mars 2025, qui valide la possibilité pour les agences de l’eau de financer la destruction d’ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique, soulève toujours selon nous une question de cohérence juridique. En effet, l’article L.214-17 du code de l’environnement, dans son 2°, dit clairement à propos des ouvrages sur rivières en liste 2 (contraignante) de continuité écologique: 
"Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages."
Or, l’arrêt du Conseil d’État semble admettre une lecture étonnamment souple, en tolérant les financements dès lors qu’ils reposent par exemple sur une démarche "volontaire" du propriétaire, comme l'avaient relevé le tribunal et la cour d'appel. Cette interprétation fragilise l’intention initiale du législateur, qui visait à protéger durablement ces ouvrages. Et d'où l'argent public devrait-il aider une démarche "volontaire" allant à l'encontre de la norme démocratiquement choisi? C’est pourquoi notre association (avec la FFAM) a engagé une procédure similaire contre le programme pluriannuel d’intervention de l’agence de l’eau Seine-Normandie. L’objectif est de porter à nouveau ce débat devant la juridiction suprême afin qu’elle précise, de manière plus argumentée, le fondement et les limites de cette jurisprudence.

Au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, cette lecture jurisprudentielle soulève une question plus large qui traverse aujourd’hui de nombreux débats : celui de l’état de droit. Le Parlement a clairement inscrit dans la loi une volonté de protection, mais l’administration en propose une lecture contraire et la juridiction administrative la valide. Face à ce décalage entre la lettre du texte voté et l’interprétation appliquée, que reste-t-il du sens démocratique de la norme? Le mouvement des ouvrages hydrauliques doit travailler à que la parole du législateur soit respectée. Si besoin, il faudrait bien traiter à la source le problème en changeant encore la loi et en précisant, cette fois sans déformation possible, que la continuité écologique doit se soumettre et non s'imposer aux autres priorités de l'eau. 

Quant aux administrations de l'eau, en décalage manifeste avec l'opinion majoritaire sur ce sujet, elles devraient songer à réviser une politique publique qui soulève de manière permanente et depuis 20 ans tant de contestations. 

Errare humanum est, perseverare diabolicum...

Source : Conseil d’État, 25 mars 2025, arrêt n° 487831

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