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20/02/2022

L'Office français de la biodiversité, meilleur ennemi de la transition énergétique

Consulté dans le cadre de la programmation pluri-annuelle de l'énergie, l'Office français de la biodiversité vient de publier une nouvelle note incendiaire contre l'hydro-électricité, accusant les petits ouvrages comme les grands barrages de tous les maux des rivières. Le raisonnement des auteurs de cette note mène à des aberrations intellectuelles : aucune source d'énergie ni aucune activité humaine alimentée par cette énergie n'existant sans modification des milieux, nous ne devrions rien faire. Reprocher à l'hydro-électricité et aux ouvrages hydrauliques d'avoir changé les régimes des rivières au fil de l'histoire ne mène à aucune réponse constructive face au défi du changement climatique. Cela contribue à aggraver le retard de la France dans la transition bas-carbone, alors que nous avons une génération pour faire disparaître le fossile représentant 70% de nos usages d'énergie. 

Le Conseil supérieur de la pêche (dont le principe fut acté sous Pétain) était devenu l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema, 2006) avant de devenir l'Office français de la biodiversité (OFB, 2019), établissement public de l'Etat. 

Comme nous l'avions montré à de multiples reprises à l'époque de l'Onema, les personnels publics d'expertise sur les milieux aquatiques ont une solide aversion pour les ouvrages hydrauliques (voir les articles en notes ci-dessous).

La nouvelle synthèse de l'OFB sur l'hydro-électricité ne déroge pas à cette règle, elle est consultable en cliquant ce lien.



Nous avions publié avec le CNERH une synthèse de 100 études scientifiques récentes, françaises et européennes seulement (hors études Asie, Amérique, Afrique), concernant soit des analyses d'impacts d'ouvrage soit des analyses de restauration écologique de rivière (télécharger à ce lien). Plusieurs chercheurs ont publié récemment un livre collectif sur l'analyse critique de la gestion écologique des rivières (voir Lévêque et Bravard dir 2020). Vous pouvez procéder à un exercice amusant : vérifiez si l'OFB prend bien soin d'intégrer toutes les études scientifiques parues dans la littérature revue par les pairs. Vous constaterez que bizarrement, un certain nombre références ne sont pas intégrées ni discutées par l'OFB dans sa note... Il faut dire qu'elles amèneraient éventuellement à nuancer et à réfléchir, ce qui n'est pas l'objectif de certaines expertises publiques dont le rôle est davantage de certifier que les directions ministérielles d'Etat ont toujours raison dans leurs choix. 

L'humain modifie la nature... depuis qu'il est humain
Mais bien entendu, nous ne remettons pas en cause les études citées par l'OFB. Ces travaux sont simplement des choses que l'écologie et la biologie de la conservation répètent dans de nombreuses monographies : les rivières des 20e et 21e siècles ont perdu le fonctionnement et le peuplement qu'elles avaient auparavant dans l'histoire. 

Voilà par exemple la conclusion de synthèse de la note:

"Au final, en impactant les variables hydrologiques et morphologiques à l’origine de la création des habitats aquatiques et de leur connectivité, ainsi que les processus biologiques et le déplacement des organismes, les aménagements hydroélectriques et les ouvrages transversaux ont des conséquences plus ou moins importantes non seulement sur la continuité écologique et les communautés biologiques mais également et plus largement sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes aquatiques"

Or cette conclusion est un truisme. 

Dans sa forme la plus simple, elle peut s'écrire : si l'humain occupe et exploite un environnement, cet environnement est changé. Nul ne le nie ! Une des conclusions les plus intéressantes de la recherche en histoire et archéologie de l'environnement ces 30 dernières années est justement d'avoir montré que les modifications humaines des milieux sont bien plus anciennes et profondes qu'on ne le pensait, en particulier les changements de morphologie des bassins versants amorcés dès la fin du néolithique. 

L'énergie fait partie des usages de l'eau qui ont modifié ce profil des bassins versants. Mais le même phénomène s'observe dans tout usage de milieu en vue d'extraire des ressources. Dans le même registre, l'OFB peut donc aussi décrire comment des fermes éoliennes vont artificialiser les sols et modifier le cycle de vie des oiseaux, chauve-souris ou insectes, comment des fermes solaires feront de même quand elles remplacent un sol végétalisé, comment l'usage de la biomasse est en concurrence avec les milieux de prairies et forêts, comment les sources fossiles ont évidemment des influences majeures à travers leurs effets d'extraction, pollution et réchauffement... et donc ? 

L'obsession des ouvrages hydrauliques, ou quand l'arbre cache la forêt
Par ailleurs dans le cas des milieux aquatiques, l'OFB charge les ouvrages hydrauliques de tous les maux en omettant de signaler aux décideurs publics la réalité globale de ce qui impacte les rivières, donc de mettre en perspective le cas particulier de l'ouvrage hydraulique. 

L'une des références citées par l'OFB pour blâmer l'hydro-électricité (Reid et al 2018) permet de le comprendre. Voilà ce que dit en fait cette référence (chacun peut la lire en accès libre), qui est loin de citer les seuls barrages comme le laisse entendre le rapport de l'OFB:
  • l'hydro-électricité altère les écosystèmes aquatiques
  • le changement climatique altère les écosystèmes aquatiques
  • le commerce des espèces exotiques altère les écosystèmes aquatiques
  • les pathologies infectieuses altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les blooms algaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les pollutions émergentes altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les nanomatériaux altèrent les écosystèmes aquatiques
  • les microplastiques altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la pollution sonore et lumineuse altère les écosystèmes aquatiques
  • la salinisation altère les écosystèmes aquatiques
  • la baisse du calcium altère les écosystèmes aquatiques
  • les stress cumulatifs altèrent les écosystèmes aquatiques
Et cette publication signale que ces altérations s'ajoutent en fait à d'autres déjà bien connues depuis la synthèse de Dudgeon at al 2006 :
  • l'exploitation de ressources biologiques altère les écosystèmes aquatiques
  • l'eutrophisation altère les écosystèmes aquatiques
  • l'usage de l'eau et le changement de débit altèrent les écosystèmes aquatiques
  • la destruction d'habitats par aménagements altère les écosystèmes aquatiques
Sur chacun de ces sujets, on pourrait faire des notes comportant des dizaines, centaines, milliers de références, comme l'OFB vient de le faire sur l'hydro-électricité. Et l'on conclurait toujours la même chose : si l'on veut des écosystèmes aquatiques "non altérés", il faudrait cesser les activités humaines non seulement sur la rivière, mais dans le bassin versant. Pas juste l'hydro-électricité. 

Fin des humains = fin des perturbations humaines : est-ce à ce genre d'impasse intellectuelle qu'il faudrait désormais se convertir? A quoi mène ce mode de raisonnement quand nous devrions être 70 millions de Français et 10 milliard d'humains à la mi-temps de ce siècle?

Poser les priorités, redéfinir une écologie d'intérêt général
Au lieu de refuser toute évolution de la nature sous l'effet de notre espèce et d'imaginer que nous pourrions mettre sous cloche le vivant en le séparant de l'humain, nous devons donc en revenir à des politiques publiques ayant quelque lucidité :
  • si le climat et l'énergie sont des problèmes existentiels pour les sociétés humaines, il faut hiérarchiser les enjeux et poser des priorités par rapport à la biodiversité, car aucune politique écologique durable ne se tiendra dans un contexte de désorganisation et de chaos,
  • les études comparatives d'impact en hydro-écologie (et non les monographies locales sur sites ou tronçons) montrent que l'utilisation humaine des bassins versants est le premier prédicteur de dégradation des milieux aquatiques à travers les excès de pollutions et d'extractions d'eau, ce sont donc ces deux sujets qui sont à traiter en premier, pas l'énergie hydraulique qui a l'avantage d'être bas carbone, qui ne fait pas disparaître l'eau et qui n'altère pas ou peu sa composition chimique,
  • les rivières à très faible présence humaine et forte "naturalité" sont peu nombreuses (8,4% des tronçons en France), c'est éventuellement la protection de certaines qui importe si l'on souhaite conserver des fonctionnements et peuplements d'un certain type,
  • les rivières modifiées par la présence humaine depuis longtemps ne sont plus dans leur état écologique (biologique, morphologique) originel (à supposer que ce mot ait un sens dans l'évolution permanente du vivant), et elles n'y reviendront pas de toute façon ; il est donc peu utile d'imaginer comme standard un état passé de ces rivières, mais plutôt nécessaire de débattre sur des fonctionnalités que l'on juge d'intérêt (comme la connectivité ou la rétention d'eau) tout en conservant et améliorant les usages anthropiques,
  • les experts en écologie ne doivent pas faire des monographies sur les impacts sans apporter de solutions ni de hiérarchie des problèmes, ce qui n'apporte rien à l'intelligence du débat public ni à l'éclairage des décideurs. 
Les politiques publiques ont un urgent besoin de redéfinir le sens de l'écologie comme choix d'intérêt général. Et la transition bas-carbone a un urgent besoin de libérer toutes les énergies en France, sans quoi nous fonçons encore dans le mur de l'échec à force d'entraver les projets dans tout le pays. 

A lire sur ce thème Onema-OFB

A lire pour une autre vision de l'écologie et de la biodiversité

A lire sur la petite hydraulique et sur l'énergie

08/10/2018

La Cour des comptes critique à nouveau la gestion publique de la biodiversité

La gestion de l'eau et de la biodiversité a déjà été étrillée dans un rapport IGF-CGEDD publié au printemps dernier. C'est au tour du premier président de la Cour des comptes d'écrire au ministre de la Transition écologique et au ministre de l'Action et des comptes publics pour leur rappeler que la tutelle de l'Etat sur les opérateurs de biodiversité est aujourd'hui défaillante : les objectifs ne sont pas posés, l'action n'est pas évaluée, le modèle économique est inexistant. Non seulement nous avons des bureaucraties dont les services rendus aux citoyens sont parfois difficiles à percevoir et dont certains choix arbitraires sont dénués de contre-pouvoirs démocratiques efficaces, mais ces bureaucraties sont de surcroît mal gérées. Stop ou encore? On posera la question aux parlementaires, dont le rôle est de contrôler au nom des citoyens l'action du gouvernement, et notamment le bon usage du denier public.



Pour les riverains qui, effarés, voient l'argent public de l'eau et de la biodiversité gaspillé à détruire des moulins, des étangs, des usines hydro-électriques en fonctionnement (Sélune, Risle), l'idée qu'il y a quelque chose de pourri au royaume de l'écologie publique à la française ne vient pas comme une surprise.

Après l'inspection générale des finances (IGF) et le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ayant récemment pointé le manque de résultat et de cohérence de ces politiques publiques, c'est au tour du premier président de la Cour des comptes (Didier Migaud) de s'adresser au ministre de l'écologie au ministre des comptes publics.

On note dans son courrier venant d'être rendu public :

"Les missions essentielles des opérateurs de la biodiversité ne sont pas toujours clairement définies et restent insuffisamment explicitées et évaluées. (…)

Les contrôles opérés ont également conduit la Cour à relever que les missions ne sont pas toujours déclinées de manière lisible dans les principaux documents établis ou approuvés par les services de l’État pour orienter l’activité annuelle ou pluriannuelle des opérateurs (contrats d’objectifs, lettres de mission-cadre et annuelles du directeur, programme annuel de performance, le cas échéant charte des parcs nationaux). (…)

Enfin et alors que les opérateurs doivent contribuer à l’effort de redressement des comptes publics, l’exercice de la tutelle est demeuré peu satisfaisant, sur la définition de leur modèle économique."

Rappelons que la Cour des comptes a déjà épinglé plusieurs fois l'Onema et l'Agence française pour la biodiversité, en relevant des erreurs de gestion et des octrois d'avantages abusifs dans l'exercice des fonctions (rapport de 2013 sur les dysfonctionnement de l'Office, rapport de 2017 sur le défaut de rigueur dans la correction des dysfonctionnements et l'intégration acrobatique dans l'AFB).

A lire : Cour des comptes (2018), La tutelle de l’État sur les opérateurs de la biodiversité

13/04/2018

Agence française pour la "biodiversité" ? Indifférence complète à la disparition de 5 ha d'étang et zones humides en Morvan

Notre association avait saisi l'agence française pour la biodiversité sur la destruction en cours de l'étang de Bussières par la fédération de pêche de l'Yonne, soulignant l'intérêt de cet hydrosystème situé dans une zone de protection faune et flore (ZNIEFF), ainsi que dans une zone de recolonisation de la loutre (utilisant les étangs comme nourricerie). Nous avons reçu le rapport de l'AFB : trois pages de service minimum, sans aucune étude ni même mention des enjeux écologiques liés à l'étang et à ses zones humides, cela alors même que la recherche scientifique souligne l'importance des plans d'eau dans la préservation de la biodiversité. Une plainte pénale et une plainte administrative sont déposées. Le laxisme de l'administration envers le lobby pêche et le dogmatisme de la continuité écologique sont inadmissibles.


La fédération de pêche de l'Yonne et l'administration en charge de l'eau ont organisé depuis octobre 2017 la destruction sans autorisation du site de Bussières (5 ha d'étangs et zones humides, un patrimoine de l'Ancien Régime). Alors que les services de l'eau et de l'environnement se montrent extrêmement pointilleux pour des opérations de routine en gestion d'ouvrages hydrauliques, ils ont ici toléré la disparition d'un milieu aquatique et humide à haut intérêt pour la biodiversité et cela sans la moindre étude d'impact, la moindre compensation, la moindre enquête publique permettant aux citoyens de s'exprimer. Face à la mauvaise foi et à l'opacité de ses interlocuteurs, notre association a déposé une plainte pénale à Auxerre (contre la fédération de pêche) et une plainte administrative à Dijon (contre la préfecture).

L'agence française pour la biodiversité, saisie par Hydrauxois en novembre 2017, vient de nous faire parvenir après 2 relances son rapport sur le sujet. On peut le télécharger à ce lien. Elle s'est bien gardé de nous en faire copie en février, avant la destruction de l'étang, mais a préféré attendre que les pelleteuses de la fédération de pêche aient tout détruit. Tout comme les services de la DDT nous ont envoyé les pièces complémentaires demandées après le chantier.

On aurait pu s'attendre à ce qu'une agence en charge de la biodiversité, saisie de manière motivée par des citoyens, remplisse son rôle assigné par l'Etat : "préservation, gestion et restauration de la biodiversité" et "développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité" (art L 131-8 CE).  Mais le résultat est consternant :

  • aucune observation sur l'hydrosystème qui va être modifié,
  • aucune mesure de la superficie des zones humides asséchées,
  • aucune évaluation de la biodiversité locale,
  • aucune mise en garde sur les enjeux connus des étangs et zones humides, de Bussières en particulier (amphibiens, invertébrés, oiseaux d'eau, végétation spécialisée, rôle dans le retour de la loutre),
  • aucune évaluation du rôle d'épuration de la retenue,
  • aucune évaluation du rôle de l'étang dans la régulation des crues.


L'Agence française pour la biodiversité a été formée en janvier 2017, à la suite de la loi de biodiversité, en agrégeant notamment les personnels de l'Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques) qui était lui-même issu du CSP (Conseil supérieur de la pêche).

Nous avons déjà déploré que l'AFB continue dans les biais halieutiques de l'Onema et du CSP, dont les centres d'intérêt pour la biodiversité aquatique ont toujours été très centrés sur des espèces de poisson présentant un intérêt pour les pêcheurs, ainsi que sur des milieux lotiques présentés comme idéal de "renaturation", en indifférence complète à l'évolution historique des milieux et du vivant qu'ils abritent. Plusieurs équipes de recherche ont récemment émis des interrogations sur la nature exacte de la "science" ou de l'"expertise" mobilisée dans la continuité (par exemple chez Lespez et al 2015 ou chez Dufour et al 2017).

Nous avions notamment montré que l'Onema :


Hélas, le personnel actuel de l'AFB n'étant autre que celui de l'Onema pour ce qui est du suivi des rivières et milieux aquatiques continentaux, les mêmes problèmes persistent. Nous l'avions constaté sur les ouvrages de l'Ource. Cela se confirme à Bussières.

L'agence publique en charge de la biodiversité se comporte donc de manière inacceptable par rapport à ses missions d'étude objective et de protection du vivant. Encore récemment, une équipe de 11 chercheurs a appelé à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques (voir Hill et al 2018). Des universitaires français ont souligné que ce "limnosystème" possède une valeur propre pour le vivant (Touchart et Bartout 2018), ainsi que diverses fonctions comme l'épuration de l'eau, appelant à une étude attentive au cas par cas avant d'intervenir (Gaillard et al 2016). Au cours des années 2000, la recherche scientifique a montré que ces milieux lentiques, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières ou les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Les scientifiques écrivent : "Les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles" (Hill et al, art cit).

Que l'Agence française pour la biodiversité n'ait pas l'honnêteté intellectuelle élémentaire d'étudier des hydrosystèmes d'intérêt, ici classés en ZNIEFF, avant leur éventuelle destruction est injustifiable. La biodiversité des milieux aquatiques et humides en France n'a pas besoin d'une annexe savante du lobby des pêcheurs de truite et saumon. Et les riverains n'ont aucune raison de prêter crédit à un discours public s'alimentant à cette déformation militante de la réalité. Notre association saisira la direction de l'AFB et le nouveau directeur de l'eau au ministère de ces dérives.

14/02/2018

Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques

Nous avons montré qu'entre 2007 et 2017, l'Onema employait davantage le mot continuité que les mots pollution, changement climatique ou espèce exotique sur l'ensemble du contenu de son site internet. Mais après tout, ces répartitions de fréquence pourraient-elles être le reflet des contenus de la littérature scientifique sur la même période? Il semble que non : en lien au thème de la rivière, la science parle 3 fois plus du changement climatique mais 8 fois moins de la continuité. Cette dernière semble décidément avoir été une marotte de l'Office. Au détriment d'autres interrogations plus contemporaines? 

En réaction à notre article sur les thèmes traités par l'Onema, un lecteur a fait en commentaire une hypothèse intéressante : le poids relatif des mots clé que nous avions comparés (continuité, pollution, changement climatique, espèce exotique) pourrait être le reflet des interrogations les plus en pointe de la communauté scientifique, et non pas particulièrement des problèmes ou programmations des rivières. Donc pendant ses 11 ans d'existence, l'Onema parlerait davantage sur son site des sujets les plus traités par les chercheurs. Ce qui serait conforme à son rôle de conseil scientifique et technique des politiques publiques.

Pour trouver une première confirmation ou infirmation de cette hypothèse, nous avons fait une recherche rapide sur Google Scholar, en article entier, avec les 4 thèmes filtrés par une association au mot "river", sur la même période 2007-2017.

La requête donne 853 K résultats pour le changement climatique, 338 K pour la pollution, 67 K pour la continuité et 20 K pour les espèces exotiques.

Pour comparer le poids relatif de chacun de ces items dans l'ensemble comparé, ils ont été renormalisés sur total 100 dans le graphique ci-dessous.


L'hypothèse de notre lecteur n'est pas confirmée.

  • En association aux rivières, le changement climatique revient beaucoup plus souvent (3 fois plus) dans la littérature scientifique que chez l'Onema. C'est le 1er mot dans les publications indexées sur Scholar, le 3e seulement chez l'Onema. 
  • La pollution, 2e place dans les deux corpus, est à peu près similaire. 
  • La continuité confirme son anomalie forte dans le contenu de communication de l'Onema : le mot y est en tête, et surtout 8 fois plus présent que dans les publications peer-reviewed, où sa place reste modeste (12 fois moins important que le climat, 5 fois moins que la pollution). 
  • Enfin, l'Onema évoque davantage les espèces exotiques (5 fois plus) que la littérature scientifique sur les rivières. 
Une recherche plus détaillée sur les abstracts et dans les bases scientifiques Thomson-Reuters, avec des champs sémantiques plus complets, pourrait faire évoluer cette première approximation. Cela excède notre mission associative : nous espérons que des chercheurs en sciences sociales auront l'occasion de mener plus avant ce type d'interrogation sur la construction, la formulation et la diffusion de savoirs publics dans le domaine de l'eau en France.  

10/02/2018

L'Onema à travers ses mots: comment l'Office a surexprimé les enjeux poisson et continuité dans sa communication

Poissons et amphibiens endémiques de France vivent dans les milieux aquatiques et humides, ont un nombre similaire d'espèces (69 et 35) et une proportion identique d'espèces menacées selon l'IUCN (23% et 22%). Nous montrons ici que sur le site internet qui rassemble 11 ans de sa communication (2007-2017), l'Onema a mentionné 90 fois plus les poissons que les amphibiens. Ce n'est pas un biais tenant à ces deux mots puisque des espèces de poissons non menacées en France, comme la truite ou le chabot, sont également beaucoup plus citées par l'Office que les grenouilles, les tritons ou les salamandres. De même, la mention de la continuité dépasse largement celle de la pollution, du réchauffement climatique ou des espèces exotiques. Cette observation s'ajoute à bien d'autres pour montrer le biais manifeste de l'Onema en faveur des questions piscicoles et halieutiques, alors que la mission confiée par le gouvernement concernait tous les écosystèmes aquatiques. L'AFB (agence française pour la biodiversité) va-t-elle continuer cette approche manifestement déséquilibrée du vivant aquatique? Va-t-on enfin s'intéresser sans préjugé en France à la biodiversité observable des masses d'eau naturelles et artificielles comme des zones humides, au lieu de consacrer un temps et un argent disproportionnés à certaines espèces qui profitent à certains usages? 



L'office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) a été créé par la loi sur l'eau de 2006 et a pris existence en 2007. Il remplaçait le conseil supérieur de la pêche. Il a été fusionné au 1er janvier 2018 au sein de l'agence française pour la biodiversité (AFB).

Pendant ses 11 années d'existence, l'Onema a communiqué vers ses publics sur le site onema.fr, qui est encore ouvert.

Une mission de connaissance de tous les écosystèmes aquatiques
Les fonctions de l'Onema étaient précisées par l'ancien article R. 213-12-2 du code de l’environnement, dont ce premier alinéa :
"Au titre de la connaissance, de la protection et de la surveillance de l’eau et des milieux aquatiques, l’office mène en particulier des programmes de recherche et d’études consacrés à la structure et au fonctionnement des écosystèmes aquatiques, à l’évaluation des impacts des activités humaines, à la restauration des milieux aquatiques et à l’efficacité du service public de l’eau et de l’assainissement."
L'Onema a-t-il rempli sa fonction de connaissance et information sur tous les écosystèmes aquatiques? A-t-il souffert, comme certains le suggèrent (dont notre association), d'un biais vers son ancienne spécialisation de pêche, donc vers l'approche halieutique des cours d'eau?

Nous avons fait un test lexical en comparant l'intérêt de l'Onema pour certains thèmes à travers quelques mentions de mots. Cette approche est purement quantitative, mais la répartition des mots reflète raisonnablement les préoccupations du locuteur.

Nous nous sommes intéressés au site onema.fr par le biais de la fonction de recherche de mot Google en filtrage par url. Cette fonction ne garantit pas de trouver l'intégralité des mentions (il peut y avoir des variations de l'ordre de 5% en test re-test), mais les algorithmes de fouille Google étant identiques sur un nom de domaine, les statistiques qui en résultent donne une approximation correcte sur le volume d'ensemble. (Une autre approche de contrôle, fondée sur l'analyse des pdf de 3 séries de médias Onema sur la période 2007-2016 par le linguisticiel Tropes®, produit des statistiques comparables en ordre de grandeur. Des résultats plus détaillés seront publiés).

Les poissons intéressent beaucoup l'Onema, les amphibiens nettement moins
Selon l'IUCN et ses listes rouges construites avec le Museum d'histoire naturelle, la France compte 35 espèces d'amphibiens endémiques en métropole et 69 espèces de poissons (ou agnathes) endémiques. Huit espèces d'amphibiens sont menacées (soit 23%), quinze espèces de poissons sont dans ce cas (soit 22%). Ces deux groupes d'espèces sont donc de même ordre de grandeur en nombre, et très similaire en niveau de menace.


L'item "poisson" donne 2060 résultats en recherche sur le site onema.fr. L'item "amphibien" donne 23 résultats.

Nous avons donc 90 fois plus de mentions des poissons que des amphibiens. La mention de ces derniers est marginale vu le volume du site.

Truite ou chabot, non menacés mais très mentionnés
Mais nous pourrions imaginer que cette recherche simple est biaisée, car il y a aussi des nomenclatures techniques comme le bio-indicateur "indice poisson rivière" (IPR) ou des dispositifs comme la "passe à poissons", faisant ressortir en excès le mot "poisson". (En soi cependant, le choix de cet indicateur ou de ce dispositif peut lui aussi être considéré comme faisant partie de l'haliocentrisme actuel de la gestion écologique de rivière.)

Pour en avoir le coeur net, nous avons fait une recherche sur la truite et le chabot, deux espèces non menacées et non objets de plans nationaux ou européens spécifiques (contrairement au saumon ou à l'anguille, par exemple).


L'item "truite" donne 463 résultats sur le site onema.fr. L'item "chabot" donne 146 résultats. En comparaison, les mentions de grenouille ont 50 résultats, de triton 21, de crapaud 19, de salamandre 8.

La continuité fut plus intéressante que la pollution ou le réchauffement…
Du point de vue des impacts et des enjeux, nous nous sommes demandés comment se plaçait la continuité par rapport à la pollution, au changement climatique et aux espèces exotiques dans les 11 années de communication de l'Onema.


L'item "continuité" donne 1730 résultats.  L'item "pollution" donne 1340 résultats. L'item "changement climatique" donne 816 résultats. L'item "espèces exotiques" donne 377 résultats

La continuité n'est pourtant qu'un aspect de la morphologie des cours d'eau, elle-même n'étant qu'un compartiment des impacts possibles. Mais pendant 11 ans, cette continuité a davantage intéressé la communication de l'Onema vers ses publics que la pollution, le climat ou les invasives.

Conclusion : des biais réels, et peu acceptables
Le biais piscicole et halieutique de l'Onema n'est donc pas un mythe, mais une réalité observable dans la lexicométrie de sa communication. L'office avait une approche sélective des écosystèmes aquatiques et de leur biodiversité, donnant un large prépondérance aux poissons, même à des espèces non menacées.

A l"heure où les personnels de l'Onema travaillent dans le cadre de l'Agence française pour la biodiversité, il faut souhaiter que ces biais disparaissent, tant dans la connaissance que dans la surveillance et la gestion des milieux. Nous avons par exemple saisi l'AFB pour une destruction d'étang et zones humides (qui menace certainement davantage les amphibiens ou les oiseaux que les truites) : ce sera l'occasion de vérifier si ses agents s'intéressent désormais à toute la biodiversité, dont celle des systèmes lentiques. Ou s'ils continuent de donner carte blanche aux pêcheurs pour augmenter la biomasse des seules espèces qui les intéressent.

Illustration : (haut) crapaud sonneur à ventre jaune, espèce menacée en France. Sandra Velitchko, CC-ASA-4.0

A lire en complément
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes

Voir sur ce même thème
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés à la littérature scientifique

09/12/2017

"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)

Des zones amont de seuils effacés où les arbres déclinent et témoignent de dysfonctionnements de la plaine alluviale, des petits barrages dont l'examen démontre qu'ils ne forment pas d'entraves à la mobilité sédimentaire… une équipe de chercheurs montre à travers quelques cas concrets que la politique française d'effacement de barrages et seuils est justifiée depuis 10 ans par le discours de certains acteurs techniques ou scientifiques au profit de certains objectifs, mais que cette politique ne saurait prétendre refléter tout ce que les sciences sociales et naturelles ont à dire des rivières, de leur milieux et de leurs ouvrages. En s'inspirant de la géographie physique critique, ces chercheurs appellent à prendre davantage d'acteurs humains ou non-humains en considération quand nous opérons des choix d'aménagement sur les bassins versants. Au passage, ils forment l'hypothèse de biais halieutiques dans la politique française de continuité, dont la provenance pourrait être le rôle institutionnel des pêcheurs et de l'Onema-CSP (aujourd'hui AFB). Une analyse convergente avec nos observations depuis 5 ans. L'approfondissement de ces questions paraît urgent à l'heure où les mêmes biais produisent les mêmes travers, et où les destructions d'ouvrages hydrauliques s'opèrent partout avec une insoutenable légèreté dans le diagnostic des sites et des bassins versants. Quand les bureaucraties en charge de l'eau et de la biodiversité vont-elles s'affranchir de certains dogmes rudimentaires de la continuité, et choisir une approche plus ouverte à la complexité des hydrosystèmes comme des sociosystèmes? 

"Au cours de la dernière décennie, l'effacement des barrages et des seuils a été promu pour améliorer la continuité au long de nombreuses rivières. Cependant, de telles politiques soulèvent de nombreuses questions socio-écologiques telles que l'acceptabilité sociale, l'intégration des différents usages de la rivière, et l'impact réel sur les écosystèmes de cette rivière" : tel le constat initial qui motive le travail des chercheurs.

Simon Dufour et ses collègues (Université de Rennes 2, Université de Côte d'Azur, CNRS) analysent la politique française de destruction des barrages sous l'angle de la géographie physique critique.

Cette approche consiste à partir des éléments biophysiques du bassin versant (d'où la géographie) et à problématiser l'action des scientifiques, des gestionnaires et autres intervenants à partir des données et des discours observés (d'où la dimension critique). Il s'agit notamment de comprendre comment le "non-humain" est évalué dans les choix que nous faisons. Trois ensembles d'actions sur quatre rivières sont d'abord examinés.

Exemple des variations de croissance des arbres en lit majeur, à l'amont de seuils effacés sur des rivière de l'Ouest de la France (Vire, Orne).  Certains de ces arbres et leurs habitats font aussi l'objet de protection européenne, comme les poissons au nom desquels on altère les écoulements en place. Ce qui pose la question des critères d'évaluation de nos actions, comme des jeux de pouvoirs institutionnels imposant certains critères et omettant d'autres. 


Vire et Orne, un effacement qui impacte la plaine alluviale - Un premier cas étudie la réponse de la végétation à la suppression de seuils sur les rivières Vire et Orne dans l'Ouest de la France. Quatre espèces d'arbres sont suivies : aulne glutineux (Alnus glutinosa), frêne (Fraxinus excelsior), tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et érable sycomore (Acer pseudoplatanus). L'analyse montre que 74% des arbres connaissent un impact notable sur le cycle de vie, 14% avant l'effacement mais 60% après l'effacement. Il apparaît notamment que le fonctionnement de la plaine alluviale est modifié à l'amont des seuils détruits.

Gapeau, un barrage transparent aux sédiments - Un deuxième cas étudie au plan géomorphologique le bassin du Gapeau, un petit côtier méditerranéen qui se jette dans la baie d'Hyères. Cette baie subit un déficit sédimentaire estimé à 2200-2700 m3 de matériaux par an, et cela pour plusieurs causes (montée du niveau de la mer, protection du littoral, transport sédimentaire depuis les terres). Une analyse bathymétrique est menée sur la retenue du barrage Sainte-Eulalie (3 m de haut), principal obstacle au transit des sédiments sur le bassin. Cette analyse sur 9 mois de période de transport révèle que l'ouvrage est transparent au sédiment, ayant perdu 80 m3 de matériaux de sa retenue. Donc, il ne représente pas un obstacle à la mobilité sédimentaire, dont le déficit tient plutôt au changement d'usage des sols sur les versants du bassin.

Durance, un transfert sédimentaire qui demanderait d'éroder les berges - Un troisième cas étudie la rivière alpine Durance, très aménagée à partir des années 1950, dont le débit a été réduit en 40 ans (de 180 m3/s à 40 m3/s) et où les gravières ont extrait du lit plus de 60 millions de m3 de matériaux. Une analyse litho-morphologique a été menée pour savoir si les sédiments des affluents de la Durance seraient susceptibles de recharger la partie aval de la rivière. Le résultat suggère que ces sédiments ont une taille trop petite pour remplir leur rôle sur l'aval de la Durance. La suppression de barrage ne suffirait pas à recharger en sédiments grossiers, il faudrait aussi garantir la reprise de l'érosion des berges (continuité latérale), ce qui pose des problèmes plus complexes de gestion des propriétés riveraines.

"La science est politique : effacer pour quoi? Qui parle?"
Les chercheurs sont donc amenés à constater que l'effacement de barrages est loin d'avoir uniquement des conséquences positives pour l'ensemble des milieux, ni de répondre aux objectifs que pose le gestionnaire. Dans le cas de la Vire et de l'Orne, certaines espèces d'arbres sont protégées au même titre que les poissons cibles de la restauration écologique. Et le dysfonctionnement hydrologique du lit majeur dont témoigne le problème de croissance de ces arbres  suite à l'effacement relève lui aussi de la question des "services rendus par le écosystèmes" que nos actions sont censées accroître.

Cela amène les chercheurs à s'interroger : "comment les différents acteurs non-humains sont représentés (ou pas) dans le débat et pondérés dans la décision".

A ce sujet, Simon Dufour et ses collègues émettent comme hypothèse de travail le rôle joué par les pêcheurs, puis par le CSP-Onema dans l'inspiration des politiques écologiques de rivières centrées sur les poissons, avec les biais qui en découlent : "Concernant l'implémentation de la politique des suppressions de barrage en France, nous n'avons pas directement traité l'existence et les causes potentielles de tels biais mais, en perspective, nous pouvons au moins mentionner que les pêcheurs ont exercé une grande influence sur les politique de l'eau dans les années 1960 (Bouleau 2009), et que l'institution nationale responsable de l'eau et des écosystèmes aquatiques (ie ONEMA, aujourd'hui appelé AFB pour Agence française pour la biodiversité) a été créée en 2006 à partir de l'institution nationale en charge des poissons (le Conseil supérieur de la pêche). Déterminer dans quelle mesure ceci est relié à l'apparente préférence donnée à ces certains habitats du chenal en pratique de restauration, et si il y a des communautés épistémiques qui influencent ces préférences, reste un sujet d'étude".

Au final, les chercheurs appellent à un double effort des sciences naturelles et sociales pour mieux appréhender les enjeux de la rivière et, ici, la question des ouvrages hydrauliques : "Pour les sciences sociales, il est nécessaire de prendre conscience que certains problèmes sociopolitiques liés à la suppression des barrages et des seuils sont liés à la nature de processus et schémas biophysiques, et nécessitent une plus grande attention à la diversité des contextes biophysiques, en particulier en les interactions amont-aval et chenal-plaine (…) cette compréhension nécessite l'inclusion de multiples parties prenantes (ayant potentiellement diverses relations de pouvoir) et implique donc un processus de prise de décision complexe (plus complexe que celui consistant à retirer un barrage sur un site unique). Pour les sciences naturelles, il est nécessaire de se concentrer davantage sur les questions sociologiques, politiques et culturelles et d'être plus conscient de la façon dont la production, la diffusion et l'utilisation des connaissances influencent les processus sociopolitiques".

Référence  : Dufour S et al (2017), On the political roles of freshwater science in studying dam and weir removal policies: A critical physical geography approach, Water Alternatives, 10, 3,  853-869

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La biodiversité, la rivière et ses ouvrages

29/06/2017

Comment la Fédération de pêche 21 pousse à la destruction des ouvrages de l'Ource: révélations

La Fédération de pêche 21 a réalisé un état initial des peuplements de poissons sur l’Ource à Prusly en 2015. La pièce n’est malheureusement pas versée au dossier en ligne de l’enquête publique. Sa lecture permet de constater que la Fédération de pêche a échantillonné un seul site (amont barrage) alors que ce type de diagnostic hydrobiologique sur les ouvrages hydrauliques doit couvrir plusieurs faciès (amont et aval, bief, zones adjacentes hors influence). Malgré cette limitation, et alors que l’analyse a été faite dans une année de forte sécheresse sur le bassin de l’Ource (2015), le résultat montre la présence de 10 espèces de poissons sur le site, dont des espèces d’eau fraîche comme la truite ou le vairon. L’indice poisson rivière, mesurant la qualité piscicole selon les critères de l’Union européenne, est en classe de qualité "bonne". Les populations de poissons du bief, menacé de disparition par le projet du SMS, n’ont pas été analysées alors qu’un travail précédent de la même Fédération de pêche avait montré que la classe de qualité piscicole d’un bief peut être en niveau "excellent" (cas de Maisey-le-Duc très proche de Prusly). Les autres espèces animales et végétales sont ignorées alors qu’elles représentent 98% de la biodiversité aquatique. Nous en concluons que la Fédération de pêche 21 est peu fondée à donner un avis favorable à la destruction des ouvrages et à la mise à sec du bief au regard de ses propres travaux. Les méthodes de communication employées sont clairement de nature à déformer la qualité de l’information aux élus et aux citoyens, et l'organisme manque à son devoir de protection des milieux aquatiques en ne signalant pas l'intérêt des biefs, observé dans ses études antérieures. Nous ferons donc réclamation au Préfet et à l'Agence pour la biodiversité compte-tenu de l’agrément public dont jouit cette Fédération.



Dans un courrier à M. le Commissaire enquêteur en date du 20 juin 2017, la Fédération de pêche 21 affirme par la voix de son président que :

 "le projet présenté par le pétitionnaire correspond à une action ambitieuse de restauration de la continuité écologique avec l’effacement total des ouvrages structurants sur l’Ource."

Elle ajoute :

"En 2015, la fédération a réalisé un état initial sur l’Ource au droit du projet sur la base de mesures thermiques en continu, d’un diagnostic physique et d’un inventaire piscicole complet. Ce rapport concluait de la façon suivante 'L’Ource à Prusly, affluent rive droite de la Seine, indique une perturbation de l’état piscicole qui se manifeste par un manque de diversité spécifique ainsi que par des effectifs inférieurs au potentiel de ce cours d’eau. La présence d’une succession de barrages le long du cours de l’Ource n’est pas sans conséquence sur l’habitabilité piscicole. En effet, les ouvrages engendrent une stagnation des eaux et donc un réchauffement important des eaux en été, pénalisant les espèces d’eau fraîche comme la truite ou le chabot. Le projet d’arasement permettra donc de rétablir la franchissabilité piscicole, de redynamiser les écoulements ainsi que de diversifier les habitats afin de favoriser les espèces repères du biocénotype comme la truite, l’ombre et leurs espèces d’accompagnement'."

Cette prise de position de la Fédération de pêche 21 appelle quelques commentaires.

Non mise à disposition des documents au public
Nous observons qu'au moment de l'enquête publique, le document cité n'était pas mis à disposition du public, ni sur le site de la préfecture, ni sur le site de la fédération de pêche, ni sur le site du syndicat SMS. Nous avons dû en faire la demande par courrier électronique du 28 juin 2017. Ce document nous a finalement été envoyé.

Choix limitatif de site d'analyse à Prusly-sur-Ource
Concernant le site étudié, le document précise : "Station Prusly-sur-Ource Projet : l’Ource, affluent rive droite de la Seine à l’amont d’un barrage. La méthodologie repose sur le même principe que celle des stations précédentes."

Le plan indique que l'étude a été réalisée sur un seul point de mesure dans la retenue amont d'un barrage. Or, la littérature scientifique en hydrobiologie montre que ce n'est pas ainsi que l'on procède pour faire un état des lieux biologique au droit d'un ouvrage ou d'un tronçon (voir par exemple Le Pichon et al 2016 en France, Tummers et al 2016 au Royaume-Uni, Smith et al 2017 aux Etats-Unis sur un cas similaire d'état initial avant effacement).

En effet, on observe de fortes variations des populations (insectes, poissons, crustacés) selon que l'on prend des mesures à l'amont immédiat d'un ouvrage, à l'aval immédiat d'un ouvrage, dans une zone non directement impactée (quelques centaines de m à l'amont du remous / à l'aval de la chute), ou encore dans le bief de dérivation. Cette variation est très compréhensible : les stations autour d’un ouvrage ne présentent pas les mêmes habitats (vitesse, substrat, ripisylve, température), donc les populations vont se répartir différemment en fonction des besoins de leur cycle de vie et de leur optimum adaptatif.

A retenir : En faisant le choix d'un seul point de mesure à l'amont du barrage, la Fédération de pêche ne donne pas une image exacte de la diversité pisciaire au droit de l'Ource à Prusly. Ce travail ne permet donc pas d'estimer correctement l'enjeu local d'ichtyodiversité et, plus gravement, il donne une image tronquée des populations réellement présentes dans la rivière et dans le bief (non étudié). 

Ichtyodiversité réelle (10 espèces) à Prusly malgré le choix d'un seul site non représentatif de la diversité des faciès
Le rapport observe : "Sur l’ensemble de la station, 10 espèces ont été échantillonnées. Parmi celles‐ci, on retrouve la truite ainsi que ses espèces d’accompagnement (chabot, loche, lamproie de planer, vairon) mais également les espèces de la zone à ombre et à barbeau (blageon, chevaine, gardon, goujon)." Le schéma ci-dessous montre la réparation de abondances.

Le rapport signale : "Avec respectivement 514,8 ind/ha en densité numérique et 65,6 kg/ha en biomasse, l’échantillonnage de l’état initial de la station de Prusly-sur-Ource dénonce une faible productivité piscicole sur ce tronçon."

On doit faire observer à propos de la biomasse que :

  • il existe une forte variabilité interannuelle des démographies de poissons, donc le bilan d'une seule année ne permet pas de conclusion robuste,
  • le choix d'un seul site d'échantillonnage (au lieu de 4 à 6 normalement nécessaire dans le cas d’une analyse d’ouvrage hydraulique) ne permet pas de tirer des conclusions sur la biodiversité du tronçon,
  • l'année 2015 a été marquée par une canicule et une sécheresse soutenue sur les bassins Seine et Ource, cette situation étant connue comme défavorable aux poissons.

A retenir : Le travail de la Fédération de pêche sur une seule station d’échantillonnage, pas forcément la plus favorable et certainement pas représentative de la diversité des écoulements au droit de Prusly-sur-Ource, montre la présence de 10 espèces de poissons, dont certaines rhéophiles et migratrices. Cela permet de douter d’un problème de biodiversité pisciaire, d’autant que l’année de prélèvement (2015) a été marquée par une forte sécheresse pénalisante.

Usage peu légitime de la biotypologie théorique de Verneaux
La Fédération de pêche 21 continue de faire usage de la « biotypologie théorique » mise en oeuvre dans les années 1970 par l'hydrobiologiste français Jean Verneaux. Cette méthode consiste à comparer le peuplement actuel d'une station à son peuplement « théorique » tel qu'il a été estimé (par des données datant de 40 à 50 ans) sur une base statistique en fonction de la température, de la pente et de quelques autres propriétés physiques ou chimiques.



Cette méthode de biocénotypologie n'est plus considérée comme valide et est peu citée dans la littérature scientifique peer-reviewed en hydrobiologie. En effet, les calculs menés par Verneaux (1976, 1977) reposaient sur une base d’échantillonnage assez faible par rapport à ce qui se pratique aujourd’hui et le modèle statistique qu'il a proposé, quoique novateur à l'époque, ne décrit qu'une faible part de la variance réelle de répartition des espèces pisciaires dans les rivières. Par ailleurs, l’idée qu’il existerait des successions assez rigides de biocénoses avec des abondances très déterminées a été plutôt remise en cause par l’évolution de la recherche en écologie : on trouve bien sûr des espèces dominantes selon la position des stations dans le linéaire et d’autres facteurs mésologiques, mais il existe une assez forte variabilité spatiale et temporelle, ainsi qu’une dimension stochastique tenant à l’histoire de vie propre à chaque bassin versant. Dès la construction de l’indice de Verneaux 1976, 1977, on pouvait d’ailleurs observer que son modèle ne décrivait qu’un tiers environ des variations réelles d’espèces présentes, soit une valeur prédictive assez faible. L’idée (comme dans le graphique ci-dessus) que des populations « théoriques » calculées par modèle dans les conditions des années 1960 et 1970 aurait une valeur d’information pour nos choix dans les années 2010 n’est pas correcte.

C'est la raison pour laquelle la communauté de recherche française a mis au point au cours des années 2000 et 2010 un indice de qualité piscicole plus robuste : l'indice poisson rivière (IPR, cf Oberdorff et al 2002) devenu indice poisson rivière révisé (IPR+ cf Pont et al 2007, Marzin et al 2014). Voir point suivant sur l’IPR de l’Ource.

Enfin, le premier prédicteur de variation du modèle théorique de Verneaux était (de loin) la température. Donc à supposer que la Fédération de pêche prétende légitime l'usage de ce modèle ancien, elle ne remplit pas correctement son devoir d’information en omettant de préciser que les types théoriques de l’Ource dans les années 2010 ne seront probablement plus ceux des années 2050 et 2100, au regard des évolutions attendues du climat.

A retenir : la biotypologie théorique de Verneaux est un outil désormais daté dans l’histoire de l’hydrobiologie, car les hypothèses l’appuyant (schéma très précis à forte granularité d’abondances théoriques attendues en fonction de traits physiques de la rivière) n’ont pas été confirmées par la recherche. Les scientifiques français ont mis au point des nouveaux outils d’analyse de la qualité piscicole (IPR, IPR+) qui répondent aux pratiques actuelles de la recherche et aux normes de qualité écologique posées par la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000). Nous déplorons qu’en 2017, des fédérations halieutiques à agrément public continuent de donner une image imprécise et peu pédagogique de ces évolutions des pratiques en ichtyologie. L’information qui en résulte est trompeuse car les rivières ne pourront pas revenir à ou tendre vers des "types théoriques" qui sont de simples modèles.

L'indice de qualité piscicole est de classe de qualité « bonne » à Prusly, même sur la zone d'influence du barrage
Quand la Fédération de pêche 21 utilise l'Indice poisson rivière (IPR) qui sert à définir la qualité piscicole des masses d'eau pour la directive cadre européenne, on constate que la classe de qualité est "bonne".

Or, ce résultat est obtenu dans la seule zone d'influence amont du barrage (sans analyse sur les stations adjacentes) et dans année défavorable (sécheresse 2015). Cela suggère que l'IPR de l'Ource à Prusly serait probablement dans la classe excellente avec un échantillonnage plus représentatif de la diversité des faciès réellement présents autour des barrages.

A retenir : la station de Prusly retenue par la Fédération de pêche 21, quoique la moins favorable en terme de diversité des faciès (amont barrage), est malgré tout en classe de qualité piscicole "bonne" au regard des normes européennes et de l’outil IPR. La diversité pisciaire des autres zones – aval barrage, bief, linéaire non impacté à proximité – n’est pas connue. Ce résultat montre qu’il existe un enjeu poisson assez faible au droit de l’ouvrage, et surtout un risque de perte de diversité car les espèces n’ont pas été étudiées sur l’ensemble des faciès qui vont disparaître à cause du chantier. 

Nécessité d’analyser la vie dans les biefs : exemple de la classe IPR « excellente » du bief de Maisey-le-Duc (2011)
La Fédération de pêche 21 a publié en 2011 un état des lieux du bassin de l’Ource. Dans ce précédent travail, il se trouve que la Fédération a analysé le peuplement d’un bief très comparable à celui de Prusly, en l’occurrence le bief de Maisey-le-Duc (voir données et carte ci-dessous.)



Or, on observe que:
  • le bief héberge 10 espèces de poissons, notamment une forte population de vairons, mais aussi des truites, chabots, loches franches et blageons,
  • la classe de qualité piscicole (IPR) du bief est "excellente", soit la meilleure classe possible.

A retenir : les travaux de la Fédération de pêche montrent que les biefs, comme ceux menacés par le chantier de Prusly-sur-Ource, hébergent de nombreuses espèces de poissons et peuvent être dans la meilleure classe de qualité écologique de l’Indice poisson rivière. Il n’est donc pas acceptable de mettre hors d’eau le bief de Prusly sans un examen préalable de sa biodiversité pisciaire et sans garantir qu’il n’y aura pas perte d’habitats et d'espèces (déjà pour les poissons, mais aussi pour tous les autres assemblages aquatiques et riverains). Il est regrettable que la Fédération, parfaitement informée des résultats antérieurs sur le bief de Masey en IPR excellent, n'ait pas éprouvé la nécessité d'étudier le bief de Prusly et de mettre en garde le SMS contre un chantier précipité.

Au delà des poissons : urgente nécessité d'une refonte des approches par l'Agence française pour la biodiversité
La richesse biologique des rivières et de leurs annexes hydrauliques comme les biefs ou étangs ne se limite pas aux poissons, qui ne représentent que 2% de cette diversité spécifique (Balian et al 2008). En France, il existe néanmoins une forte dominante de l’approche halieutique et ichtyologique datant du Conseil supérieur de la pêche (devenu en 2006 Office national de l’eau et des milieux aquatiques, puis intégré en 2017 dans l’Agence française pour la biodiversité).

Certains chercheurs ont déjà pu faire observer que cette spécialisation halieutique ne donne pas une image complète des milieux aquatiques et de leur évolution. Par exemple Lespez et al 2015 à propos des restaurations de rivière : « l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés ». (Mêmes observations dans la thèse De Coninck 2015.)

Cette situation n’est pas durable et elle n’est pas saine pour nos choix publics sur la biodiversité : l'intervention sur les milieux aquatiques et riverains doit impérativement prendre en compte la végétation, le plancton, les invertébrés, les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, etc. Il appartient de notre point de vue au service instructeur de l'Etat (Agence française pour la biodiversité) de mener désormais ces campagnes d'évaluation de la biodiversité, mais aussi de publier des guides méthodologiques complets permettant de mener ce travail sur l'ensemble des espèces dont le cycle de vie dépend des hydrosystèmes.

La politique des rivières et des zones humides ne doit plus être optimisée pour certaines catégories de poissons seulement, dans l’ignorance quasi-complète des autres espèces et biocénoses, y compris la biodiversité acquise dans les hydrosystèmes anthropisés.

En conséquence, le projet de Prusly-sur-Ource devrait être suspendu tant qu’il n’existe pas une analyse complète (y compris ichtyologique) de l’ensemble de l’hydrosystème à l’amont et à l’aval des barrages, ainsi que dans les annexes hydrauliques. Les problèmes écologiques et ichtyologiques ici soulevés ne préjugent pas par ailleurs de l'intérêt de l'hydrosystème aménagé pour le patrimoine, le paysage, l'agrément, le stockage d'eau ou l'énergie.

11/11/2016

Rapport complet Onema sur Tonnerre: un exemple de laxisme pro-destruction

Nous avions relevé, dans un précédent article, que l'Onema a regretté le défaut de diagnostic biologique (poissons, invertébrés) dans le projet d'effacement des ouvrages de Tonnerre porté par le SMBVA. L'Office nous a écrit pour proposer de mettre le rapport complet en ligne, afin que les lecteurs jugent des raisons pour lesquelles l'avis de l'Office a malgré tout été favorable. Nous le faisons très volontiers, car la lecture de ce rapport démontre une chose: le laxisme et la complaisance manifestes dont jouissent les projets de destruction de moulins en France. L'Onema relève la plupart des manques du dossier, mais conclut néanmoins à un accord pour détruire. Nous encourageons donc vivement chaque lecteur à prendre connaissance de l'intégralité de ce document, pour mesurer le caractère insignifiant des gains hypothétiques de la continuité écologique et l'impossibilité même de vérifier la réalité de ces gains. Le SMBVA casse des ouvrages sans analyser les milieux concernés et sans s'engager sur des bénéfices tangibles. Cette dérive doit cesser, sur l'Armançon comme ailleurs. 


Le rapport complet de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques tel qu'il nous a été transmis par la Préfecture (pdf, format image et non texte) peut être téléchargé à ce lien. Examinons point à point comment l'Onema, souvent redouté pour la rigueur de ses exigences, a vérifié le sérieux écologique du projet d'effacement des ouvrages de Tonnerre.

Données biologiques
Comme indiqué dans le précédent article, aucun relevé invertébrés ou poissons n'a été fait sur la station concernée. Il faut ajouter aussi aucun relevé diatomées, macrophytes ni biodiversité en général. On engage donc un projet soi-disant écologique sans mesurer une seule présence d'espèce bio-indicatrice au droit du site, ni aucune espèce en général.

Données physico-chimiques
Ce sont celles de la station du Tronchoy pour 2008-2009 et 2010-2011. Les seuils sont en contexte urbain, il aurait été intéressant de mesurer la pollution des eaux à leur amont et à leur aval, ainsi que de vérifier la pollution des sédiments. Ce n'est pas fait et l'Onema n'y trouve rien à redire. On engage donc un projet soi-disant écologique qui remobilise les sédiments dans la rivière sans vérifier s'il ne présente pas de contaminants, et qui se flatte d'auto-épurer la masse d'eau sans vérifier que cela correspond à un quelconque processus chimique réel.

Données de transport solide
L'Onema relève qu'il n'y a aucune donnée pour caractériser le transport sédimentaire (ni "taux de comblement de la retenue" ni "nature des sédiments piégés") et qu'une analyse plus appuyée serait préférable. Le bureau d'études, qui n'a donc rien étudié d'essentiel en fait, conclut néanmoins que la circulation sédimentaire serait "fortement perturbée". Il ne vient pas à l'esprit de l'Onema n'exiger un début de preuve de cette assertion comme condition de la poursuite du chantier.

Conditions hydromorphologiques
L'Onema relève que les retenues forment un habitat "profond lentique" au lieu d'une alternance de faciès "radiers/plats courants/mouilles" apparaissant quand les vannes sont ouvertes. Donc l'Onema reconnaît que l'ouverture des vannes aurait suffi à produire ces habitats supposés d'intérêt. Dans ce cas, pourquoi casser ces ouvrages patrimoniaux?

Compte tenu de la granulométrie, les habitats actuellement "noyés" formeraient un "intérêt certain" (si la morphologie était modifiée) pour des espèces comme "la vandoise, le hotu ou encore le barbeau".

L'absence d'analyse de la station ne permet pas de dire si ces espèces sont absentes ou présentes des retenues des sites concernés. Ces poissons présentent par ailleurs une certaine plasticité phénotypique et comportementale. Par exemple les barbeaux peuvent frayer dans des  zones peu profondes vers le bord des rives (et certains sont sédentaires) ; la vandoise peut s'acclimater à des eaux stagnantes. Quant au hotu, c'est une espèce d'importation récente dans le Nord de la France (son aire native de répartition est centre-européenne), dont on voit mal l'intérêt patrimonial de conservation. Faute d'analyse de la biodiversité pisciaire avant le chantier d'effacement, il est de toute façon impossible de dire quels poissons habitaient les retenues, donc de vérifier s'il existe un gain (en richesse spécifique, en biomasse) et si les espèces supposées d'intérêt vont coloniser les habitats.

Dans l'inventaire Onema des tendances piscicoles sur les 20 dernières années (1990-2009), le barbeau commun et le hotu sont en hausse significative en France, le vandoise en baisse non significative (image ci-dessous). Il n'y a donc aucune pression connue d'extinction sur ces espèces assez largement réparties. Le gain piscicole hypothétique sur quelques centaines de mètres du bras de décharge de l'Armançon tonnerroise paraît sans intérêt majeur. Mais l'Onema ne relève rien de tout cela.


Continuité écologique
Le diagnostic des ouvrages est qualifié de "sommaire" et "s'inspirant d'ICE". L'Onema critique le choix du chabot comme espèce repère. On ne connaît pas la franchissabilité des seuils pour les autres espèces, notamment à vanne ouverte.

Le chabot, choisi comme espèce repère par le SMBVA pour son chantier, est un poisson sédentaire (non migrateur, voir cet article) présent dans tous les relevés piscicoles de l'Armançon faits par l'Onema depuis 2000, y compris sur des stations très fragmentées comme Semur-en-Auxois, Pont-et-Massène ou Montigny à l'amont du barrage de Pont (les données complètes des pêches historiques sont disponibles à cette adresse). Cela indique difficilement un problème pour cette espèce sur la rivière. Pourquoi l'Office ne le rappelle-t-il pas au syndicat (qui lui-même le cache aux citoyens et à leurs décideurs)?

Le reste du rapport concerne les conditions de chantier et l'aspect réglementaire de conformité aux textes en vigueur.

Le rapport de l'Onema écrit : "Il serait intéressant de comparer les résultats de l'état initial avec ceux obtenus après aménagement via un suivi après-travaux. Cela permettrait notamment d'évaluer les gains biologiques". Nous sommes bien d'accord mais comme aucun état initial n'a été réalisé, il sera impossible d'estimer des gains. Le SMBVA a promis un "suivi morphologique", ce qui est une perte supplémentaire de temps et d'argent public: il est trivialement évident que la morphologie (hauteur, largeur, vitesse, faciès) va changer sans les ouvrages. L'intérêt n'est pas cette morphologie en soi mais la réponse des espèces à la morphologie et la comparaison de la productivité biologique de l'ancien habitat avec le nouveau.

Conclusion
Récapitulons. L'Onema donne un avis favorable à la destruction de deux ouvrages hydrauliques par le syndicat de l'Armançon SMBVA alors que l'étude préparatoire ne comporte :

  • pas d'analyse de l'ichtyofaune
  • pas d'analyse des invertébrés
  • pas d'analyse de biodiversité et bio-indication en général
  • pas d'analyse du transport sédimentaire
  • pas d'analyse toxicologique des sédiments remobilisés 
  • pas d'analyse de l'effet épurateur de retenues (nutriments, contaminants) en zones urbaines et contexte de bassin agricole amont
  • pas d'autre gain envisagé qu'un changement de faciès d'écoulement et un hypothétique avantage pour trois espèces communes de poisson
  • pas de protocole de suivi avant-après pour vérifier gains ou pertes.

Dans le cadre d'un autre chantier en cours (aménagement de l'usine hydro-électrique de Semur-en-Auxois), nous avons fait observer à l'Office qu'il est désormais mal placé pour exiger des analyses rigoureuses et poussées sur des chantiers énergétiques quand il fait preuve d'une telle tolérance aux approximations et aux incertitudes sur des chantiers écologiques.

Plus généralement, cette incapacité de la réforme de continuité écologique à reconnaître que certains chantiers ont des enjeux modestes sinon insignifiants, à certifier la réalité des gains attendus en ayant la rigueur élémentaire de mesurer avant et après les milieux, à soumettre aux citoyens de vraies données tangibles sur les justifications de la dépense d'argent public et la destruction irrémédiable des ouvrages ne peut plus durer. Pendant que l'on efface le patrimoine historique et la diversité paysagère de nos rivières au nom de réformes dogmatiques, nos vraies obligations européennes de qualité écologique et chimique des masses d'eau ne sont pas respectées. Pas plus que ne sont tenus nos engagements à parvenir à 20% ni fossile ni fissile de notre mix énergétique à horizon 2020.

27/10/2016

Effacement d'ouvrages à Tonnerre: l'Onema avait pointé le manque de sérieux du diagnostic

La Préfecture de l'Yonne a sollicité l'avis de l'Onema sur les effacements des ouvrages hydrauliques de Tonnerre. Cet avis a été favorable, ce qui ne surprendra pas, sous réserve de diverses observations. Ainsi, l'Office déplore le manque de rigueur du diagnostic biologique préalable au chantier… ce que l'association Hydrauxois a également pointé et ce qui a notamment mené le commissaire-enquêteur à douter de la pertinence écologique du projet. On efface des barrages sans même prendre soin d'étudier les espèces en place. Ce n'est pas de l'écologie, mais de l'idéologie.

L'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) joue notamment le rôle de conseiller technique et scientifique des services instructeurs de l'Etat pour ce qui concerne la politique des rivières.

Dans l'avis formulé le 18 février 2016 sur le projet d'effacement des ouvrages Saint-Nicolas et des services techniques de Tonnerre, l'Onema souligne à propos des paramètres biologiques (cliquer pour agrandir) :



En substance, le syndicat de l'Armançon n'a pas jugé bon étudier les poissons et insectes réellement présents dans les retenues des ouvrages et le bras concerné de l'Armançon. Et il a pris comme espèce-repère le chabot (espèce sédentaire incapable de mobilité importante) plutôt que les cyprinidés rhéophiles, les anguilles et les brochets.

Ces remarques sont aussi valables pour le cas de Perrigny-sur-Armançon.

Le syndicat SMBVA propose d'effacer des ouvrages hydrauliques sans même faire les mesures élémentaires consistant à diagnostiquer les peuplements amont, aval et dans les retenues. Ce qui est nécessaire d'une part pour vérifier au préalable qu'il existe un problème écologique sérieux appelant correction ; d'autre part pour garantir après les travaux qu'il y a eu des gains conséquents en résultat de la dépense d'argent public et en compensation, si l'on peut dire, de la destruction du patrimoine.

A dire vrai, la même légèreté prévaut sur tous les chantiers de ce syndicat, c'est aussi le cas sur les projets en cours d'aménagement de la Brenne à Montbard. L'association Hydrauxois, au comité de pilotage dans ce dernier cas, a déjà signalé au début de l'année que le diagnostic écologique de la Brenne aval est insuffisant en l'état pour justifier le moindre aménagement du seuil de l'Hôpital et du seuil Poupenot.

Le syndicat de l'Armançon prétend agir au nom de l'écologie des milieux aquatiques ; mais comme bon nombre de gestionnaires, il ne prend même pas la peine d'établir un diagnostic de biodiversité des hydrosystèmes qu'il bouleverse à la pelleteuse. Et encore moins de réfléchir aux causes quand le diagnostic est posé, la répétition de mots d"ordre catéchétiques et généralistes faisant office d'argumentation. Le manque de rigueur et d'honnêteté intellectuelles dans la mise en oeuvre de la continuité soi-disant "écologique" est désolant. Des bureaucraties appuient sur des boutons pour atteindre leurs quotas d'ouvrages détruits, sans empathie aucune pour le patrimoine, mais aussi sans rapport avec l'état réel des rivières et les priorités pour améliorer cet état. La lutte contre cette imposture est plus que jamais nécessaire.

03/07/2016

Les moulins n'ont pas fait disparaître les saumons du bassin de Loire

Les saumons étaient encore largement présents dans les rivières du bassin de Loire à la fin du XIXe siècle. Là où ils avaient commencé à régresser (Cher, Loire supérieure, Vienne supérieure, Creuse), c'était le fait de constructions assez précisément identifiées dans les archives par les travaux classiques de R. Bachelier : le plus souvent des barrages réalisés à la demande de l'Etat, et non pas le fait d'une accumulation des modestes seuils présents depuis l'Ancien Régime. Par la suite, l'édification de dizaines de grands barrages va bloquer presque tous les axes migrateurs. Nous regrettons que ces faits ne soient pas rappelés clairement par les services instructeurs (notamment l'Onema). Nous déplorons plus encore que la France ait engagé une politique aberrante de destruction prioritaire et indistincte des ouvrages hydrauliques de taille modeste, alors que la restauration de continuité demande la mise en oeuvre de modèles de priorisation fondés sur des objectifs scientifiquement validés et socialement acceptés. 

En juin dernier s'est tenue sur le bassin Loire-Bretagne une rencontre des services de l'Etat en charge de la continuité avec les représentants des fédérations de moulins (rencontre à laquelle Hydrauxois n'a pas été conviée). Un représentant de l'Onema a projeté un exposé où figuraient ces cartes de répartition du saumon "avant le XIXe siècle" et "à la fin du XXe siècle". Une précision sur l'écran indique que la saumon a régressé sur le bassin de Loire à l'époque des seuils, par un "effet cumulé".


Ce choix de présentation nous paraît très contestable. L'histoire du saumon en Loire a été reconstituée en 1963 et 1964 par une monographie de R. Bachelier dans le Bulletin français de pisciculture. Chez les experts des poissons (et en particulier à l'Onema), tout le monde connaît ce travail qui fait encore autorité.

Or, R. Bachelier est très précis dans l'histoire de la régression du saumon. Voici la carte de la répartition du grand migrateur à la fin du XIXe siècle.

Cette carte est beaucoup plus instructive pour les moulins puisqu'elle montre une assez large répartition des frayères encore actives sur le bassin de Loire, malgré la présence de tous les ouvrages fondés en titre ou réglementés au cours du XIXe siècle.

Sur les axes où le saumon a déjà régressé, que nous dit R. Bachelier ?

Obstruction de la Loire supérieure : elle est le fait du service de navigation intérieure (donc de l'Etat) avec la construction des barrages de Decize (1836) et de Roanne (1843), suivie de la mise en eau permanente du canal de Decize en 1845.

Obstruction de la Vienne supérieure : elle a commencé avec la construction par le service de l'artillerie (de nouveau l'Etat donc) d'un seuil de 2 m en 1822 à Châtellerault. Le manque de franchissabilité a conduit à y construire 2 échelles à poissons en 1864 puis 1889, avec finalement une échancrure en 1904.

Obstruction du Cher : elle a été le fait des services de navigation là encore, avec un ouvrage à Preuilly devenu infranchissable en 1858.

Obstruction de la Creuse : une papeterie obtient l'autorisation de construire un barrage en 1857 à La Haye-Descartes, avec une rehausse en 1860. Cela entraîna une chute brutale des pêches à l'amont, impliquant de construire une large échelle à poissons en 1881.

Les travaux de Bachelier montrent donc que :
  • la majorité du bassin de Loire restait ouverte aux saumons à l'époque des moulins fondés en titre ou réglementés (dans l'enquête des Ponts et Chaussées de 1888, sur la Loire remontée jusqu'à Issarlès en Ardèche ; Allier remontée jusqu'à Veyrune en Ardèche ; Cher jusqu'à Preuilly ; Vienne jusqu'à Nedde en Haute-Vienne ; Creuse jusqu'à Felletin) ;
  • les premiers blocages sur les grands axes migrateurs ont été le fait de barrages de taille plus importante, construits le plus souvent à l'initiative de l'Etat pour favoriser le désenclavement de territoires et la navigation  ;
  • ces blocages sont le fait d'ouvrages précisément documentés, et non pas d'une accumulation d'ouvrages de petites tailles déjà présents ;
  • c'est enfin la construction de grands barrages sur tout le bassin au XXe siècle qui a fermé l'accès à presque toutes les frayères amont du bassin de Loire.
Il est à noter que les mêmes faits s'observent sur le bassin de la Seine, où c'est l'hydraulique de navigation (et la pollution de l'agglomération parisienne) qui ont fait régresser au premier chef le saumon, et non pas la petite hydraulique des moulins (voir cette analyse). Rappelons ce que disait Louis Roule, dans une autre étude classique sur le saumon et son histoire : "Les anciens barrages n’étaient pas très nuisibles. Peu élevés, construits en plan inclinés, ils pouvaient s’opposer à la montée pendant les périodes de basses eaux, mais non en crues ni en eaux moyennes ; ils se couvraient alors d'une lame d’eau suffisante pour le passage, et le courant sur leur plan incliné n’était pas assez violent pour arrêter l’élan des saumons. Tel n’est pas le cas des barrages actuels, plus élevés et verticaux (…) La montée reproductrice se trouve arrêtée complètement, sauf parfois dans le cas des crues exceptionnelles et dans les barrages de hauteur moyenne qui peuvent être noyés sous la lame d’eau" (Roule 1920).

Améliorer la franchissabilité, oui ; tout casser pour des dogmes, non
Les moulins sont disposés à améliorer la franchissabilité des ouvrages (dont certains ont été rehaussés au cours des 100 dernières années) sur les axes des grands migrateurs amphihalins. Cela peut se faire par des mesures de gestion de vannage ou par des créations de passes à poissons fonctionnelles, à condition que le besoin soit caractérisé à l'aval, que les mesures représentent des coûts tolérables pour la collectivité et des contraintes raisonnables pour le maître d'ouvrage. En revanche, les moulins n'accepteront jamais d'être les victimes expiatoires d'une idéologie intégriste de la "renaturation" exigeant de transformer les paysages de vallée et de détruire le patrimoine historique au nom de quotas halieutiques décidés dans des bureaux ou du retour à une "rivière sauvage" fantasmée (y compris la Loire, qui n'est en rien le "dernier fleuve sauvage d'Europe" vu son très lointain passé d'endiguement et de dragage, ainsi que la modification des processus sédimentaires sur les bassins versants). Toute rivière est en équilibre dynamique, toute rivière est "anthropisée" : il faut commencer par la reconnaissance de cette évidence produite par l'évolution sociale et biologique, pour travailler si nécessaire à la restauration ciblée de fonctionnalités ou à la protection ciblée de biotopes d'intérêt.

Depuis longtemps déjà, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne et les services instructeurs de ce bassin déploient une politique agressive de destruction des ouvrages de moulins (voir par exemple le rapport Malavoi 2003), pendant que les plus grands obstacles à l'écoulement sont toujours en place. Ce bassin Loire-Bretagne a développé et promu précipitamment des outils sans base scientifique sérieuse comme le taux d'étagement, cela alors que la littérature scientifique internationale appelle à employer sur les bassins versants des modèles de priorisation beaucoup plus fins pour lutter contre la fragmentation des cours d'eau (voir un exemple chez Grantham et al 2014, voir aussi Fuller et al 2015, recension à venir sur ce site). Il n'y a qu'en France que l'on mène une politique totalement aberrante consistant à détruire sans discernement et en priorité des ouvrages modestes, sur la base de classements de rivière essentiellement inspirés d'anciennes règlementations de pêche du XXe siècle, et non pas fondés sur les travaux les plus récents d'une vraie science de la restauration.

Les moulins n'ont pas à être les boucs émissaires des échecs de la politique de l'eau, ni les terrains d'expérimentation de quelques apprentis-sorciers. Dans le cas particulier des saumons de la Loire, essayer de leur faire porter une responsabilité significative dans l'affaissement des populations au cours des 150 années écoulées n'est pas tenable. Nous attendons des services de l'Etat et établissements administratifs qu'ils donnent des informations correctes et précises. Quant au retour des grands migrateurs amphihalins et à la défragmentation des cours d'eau, procédons par ordre en lieu et place du classement massif des cours d'eau de 2012: il faut aménager les ouvrages dans le sens de la montaison, à mesure que le blocage de populations migratrices est attesté lors des campagnes de contrôle, en choisissant par concertation les solutions adaptées. Mais aussi en interrogeant les citoyens pour savoir s'ils estiment que la dépense publique en ce domaine est réellement d'intérêt général : depuis des décennies que l'on prétend restaurer les populations de saumons de la Loire, la moindre des choses est de faire régulièrement des bilans publics complets sur les sommes dépensées, les résultats obtenus et les perspectives de progrès.

Références citées
Bachelier R (1963), L’histoire du saumon en Loire, 1, Bull. Fr. Piscic. 211, 49-70
Bachelier R (1964), L’histoire du saumon en Loire, 2, Bull. Fr. Piscic. 213, 121-135
Roule L. (1920), Etude sur le saumon des eaux douces de la France considéré au point de vue de son état naturel et du repeuplement de nos rivières, Imprimerie nationale, 178 p.