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07/05/2016

Idée reçue #15 : "Les poissons sont l'enjeu principal de la biodiversité aquatique"

La biodiversité aquatique en eaux douces ne se limite pas aux poissons: ils représentent moins de 10% des animaux aquatiques documentés à l'échelle de la planète, de l'ordre de 2% en France – des proportions qui seraient plus faibles encore si l'on incluait les plantes et les micro-organismes. Parmi ces espèces piscicoles, une minorité est considérée comme sérieusement menacée.  La protection du poisson et la promotion de la biodiversité ne sont donc pas toujours synonymes, la première renvoyant parfois à des finalités plus halieutiques qu'écologiques. Quand la politique publique des rivières fait en France le choix d'effacer des lacs, des retenues ou des étangs au nom de la "continuité écologique", elle ne favorise pas tant la biodiversité que certains assemblages ou certaines espèces piscicoles. Un choix discutable.

La biodiversité aquatique reste très mal connue aujourd'hui dans de larges pans de la planète, y compris en Europe pour certains ordres. Les poissons sont les mieux décrits des animaux aquatiques, en raison de leur grande taille et de leur intérêt historique pour les sociétés humaines, ce qui a très tôt motivé la curiosité des naturalistes. A échelle globale, les poissons ne représentent cependant que 10% environ de la biodiversité animale aquatique, en excluant les micro-organismes et les plantes (ci-dessous, voir bibliographie pour la source des données; nous avons isolé certaines familles au sein des clades pour individualiser les poissons parmi les vertébrés).


En France, où l'on compte une centaine d'espèces de poissons dont 69 sont natives, on estime qu'elles représentent de l'ordre de 2% de la biodiversité aquatique (chiffres in Genin et al 2003, Keith et al 2011). Parmi ces espèces, beaucoup sont ubiquistes et généralistes, un peu plus d'une vingtaine représentent un enjeu de protection patrimoniale.

Bien que les poissons ne soient pas la première composante de la biodiversité aquatique, ils occupent une place de premier plan dans la gestion écologique des rivières et les décisions publiques. Au point qu'il existe un certain biais dans la présentation des réalités biologiques des hydrosystèmes, voire des enjeux de conservation.

Par exemple, l'Onema a organisé un séminaire «Biodiversité aquatique : quelles pistes pour la gestion des rivières et plans d’eau ?» (Rencontre de l'Onema 2012). En lisant le compte-rendu, on s'aperçoit que 90% des échanges ont concerné les poissons, tant au plan de la connaissance qu'au plan de la gestion et de la programmation. On en déduit que l'Onema ne travaille pas à préserver la biodiversité aquatique, mais d'abord à gérer des populations piscicoles. C'est problématique pour un organisme qui a été chargé par le Ministère de l'Environnement de superviser le volet scientifique de la politique des rivières et la mise en oeuvre de la directive cadre-européenne sur l'eau.

Comme l'ont relevé récemment des universitaires (voir Lesprez et al 2015), ce biais s'explique aisément par l'histoire institutionnelle : l'Onema est l'ancien Conseil supérieur de la pêche, une instance par nature orientée sur la gestion halieutique. Ses chercheurs, ingénieurs et techniciens ont pour beaucoup une spécialisation sur les poissons (souvent sur les poissons migrateurs et les poissons rhéophiles de tête ou milieu de bassin). A cela s'ajoute que les institutions officielles des pêcheurs (fédération nationale FNPF et fédérations départementales FDAPPMA) ont un agrément de "protection des milieux aquatiques" et sont fortement impliquées dans la mise en oeuvre de certaines réformes, notamment celle de continuité écologique. Le biais piscicole et halieutique s'en trouve en conséquence renforcé.

Il y a eu beaucoup de débats dans les milieux conservationnistes sur la présentation et la priorisation des enjeux de protection de la biodiversité. La tendance est à mettre en avant des espèces familières et si possible sympathiques au grand public, pour favoriser la communication (en dernier ressort, le consentement à payer). Le saumon ou la loutre seront plus évocateurs qu'un mollusque ou un insecte moins photogéniques...

Le choix des espèces d'intérêt peut néanmoins présenter des biais. On l'observe dans la politique des rivières en France comme dans le choix des priorités de protection à l'échelle européenne. Par exemple, les habitats favorables aux salmonidés ou aux rhéophiles ne sont pas forcément les plus riches en terme de biodiversité totale : quand on supprime certains biotopes en place (lacs, retenues, étangs) sur les têtes ou milieux de bassin pour favoriser ces populations, il est probable qu'on abaisse la richesse spécifique de la masse d'eau concernée (encore faudrait-il le mesurer, ce qui n'est jamais fait dans les projets d'aménagement qui se revendiquent pourtant de l'écologie). Difficile dans ces conditions de présenter la mesure comme une "promotion de la biodiversité". Ou d'affirmer en toute généralité que ce qui est bon pour le saumon / la truite est forcément bon pour tous les autres groupes d'organismes.

Pour finir, rappelons que la biodiversité n'est pas un musée ni une prison où chaque espèce inféodée à son habitat persisterait à l'identique dans le temps: Darwin a fait jeu de ces illusions fixistes et créationnistes depuis bien longtemps, même si les conséquences de son message ne sont pas toujours comprises. L'évolution du vivant fonctionne au contraire par un changement permanent des conditions génétiques et environnementales à partir desquelles s'exerce la sélection et se produit l'adaptation. Le vivant s'adapte ainsi toujours aux habitats et aux propriétés physicochimiques de l'eau qu'il rencontre, même modifiés par l'homme. La défense des espèces menacées est néanmoins une question importante pour nos sociétés, et aussi une question non triviale vu les coûts de protection ou de restauration. Sa mise en oeuvre ne doit en être que plus précise, complète et honnête dans l'information alimentant le débat démocratique.

Références citées :
Balian EV et a (2008), The Freshwater Animal Diversity Assessment: an overview of the results, Hydrobiologia, 595, 627–637
Genin B et al (2003), Cours d'eau et indices biologiques. Pollutions, méthodes, IBGN, Educagri, 222 p.
Keith P et al ed (2011), Les poissons d'eau douce de France, Biotope-Publications scientifiques du Museum, 552 p.

19/03/2016

L'Onema, l'alose et le bassin Dordogne-Garonne: c'est la faute aux barrages, forcément

Rapportant sur son site grand public un colloque tenu en 2015 sur la grande alose, l'Onema suggère que la baisse d'un facteur 100 depuis 1990 du recrutement de cette espèce en Garonne et Dordogne pourrait être due aux barrages. Extraordinaire, car ces ouvrages n'ont nullement été construits voici 20 ans, mais plus d'un siècle pour la plupart. Et la baisse s'observe dès l'aval des ouvrages. En fait, on ne sait pas pourquoi le recrutement de l'alose a baissé aussi drastiquement en l'espace de deux décennies. Mais taper sur les barrages, c'est devenu de l'ordre du réflexe à l'Onema.  

Le site de l'Onema observe dans cet article : "un autre constat bien plus négatif et sans appel est fait sur l’axe Gironde-Garonne-Dordogne. Une régression de la population est notable : au milieu des années 1990, 700.000 aloses remontaient la Garonne et la Dordogne, aujourd’hui, elles ne sont plus que 5 à 10000. Une des causes mise en avant est la difficulté à passer les ouvrages très présents sur les 2 axes (Mauzac, Tuilières, Bergerac, Golfech …), même lorsqu’ils comportent des passes à poissons."

Le barrage de Mauzac a été construit en 1839, rehaussé en 1921. Une passe à poissons y a été installé en 1986, une autre en 2004. Le barrage de Tuilières a été construit en 1844, puis rehaussé en 1905. Plusieurs passes ou ascenseurs à poissons ont été installés (1989, 1997). Le barrage de Bergerac a été construit en 1839. Des échelles à poissons y ont été construites en 185, 1872, 1887, 1987 et enfin 2010. Le barrage de Golfech (Malause) a été mis en service en 1973. Il a été équipé en 1985 d'un ascenseur à poisons. Tous ces barrages sont gérés par EDF. Le premier obstacle est à 270 km de l'estuaire sur la Garonne, à 190 km sur la Dordogne.

Donc, les rédacteurs de l'Onema rapportent sur deux décennies une baisse d'un facteur 100 de la présence d'aloses dans le bassin Gironde-Garonne-Dordogne, et ils en attribuent la cause probable à des ouvrages qui sont présents pour 3 d'entre eux depuis 100 à 150 ans, qui sont tous équipés de dispositifs de franchissement, qui ont plutôt amélioré leur gestion environnementale ces dernières décennies et qui sont fort à l'amont de l'embouchure. Les aloses étaient encore 700.000 au début des années 1990 et d'un seul coup, elles auraient été terrassées en masse par les barrages présents sur les lits depuis des générations. La baisse soudaine d'un recrutement piscicole attribué à une cause ancienne mais qui exprimerait une sorte d'effet-retard  : il faut évidemment un esprit assez tortueux pour avancer cela. Un peu comme la disparition rapide des anguilles à compter des années 1970 que certains attribuent à des moulins présents avant la Révolution française...

Au demeurant, l'étude des présentations du colloque (lien ci-dessous) montre que certaines communications ont analysé la franchissabilité des passes (qui est très médiocre, voir Epidor 2015) sans pour autant attribuer la baisse récente du stock à ce facteur causal (et sans envisager l'hypothèse de l'effacement des ouvrages – ce sont des barrages des amis d'EDF, pas de modestes moulins que l'on peut matraquer en paix). Certains affirment que l'Onema doit être respecté comme "conseiller technique et scientifique du gouvernement" et voudraient même que cela soit marqué comme tel dans une "charte des moulins". Mais l'Onema sera respecté quand il sera respectable. Une approche scientifique des milieux aquatiques, oui, avec dans ce cas toutes les précautions qu'implique la communication des hypothèses de science au grand public et aux décideurs ; un organe de propagande au service du dogme de la destruction des ouvrages, non merci, on a déjà divers lobbies qui excellent dans ce registre bas de gamme.

Au final, personne ne semble avoir la réponse à la question la plus importante : pourquoi donc observe-t-on une telle baisse de la présence de l'alose dans le bassin Adour-Garonne, à l'aval des ouvrages, y compris après le (très tardif) moratoire sur la pêche de 2008 ? Il nous manque manifestement des paramètres dans la compréhension de la variabilité (naturelle ? forcée ?) interannuelle et pluridécennale du recrutement de cette espèce. Cherchons et étudions un peu plus, réglementons, interdisons, aménageons et effaçons un peu moins…

A lireActes du colloque Life+ 2015 à Bergerac ; Brochure Life+ Alose
Illustration : déclin récent du recrutement d'aloses en Dordogne-Garonne, extrait de la communication d'A. Chaumel au colloque.

02/01/2016

Moulin d'Aulnay sur l'Indre, 5 ans de pressions

Nous recevons et publions un nouveau témoignage de propriétaires d'un moulin sur l'Indre aval. Alors que le bien a été impeccablement restauré, fait l'objet d'animations locales en été et ne peut certainement pas être réputé en ruine ou à l'abandon, voici l'ensemble des pressions et stigmatisations subies en l'espace de quelques années : tentative DDT-Onema de casser le droit d'eau, travaux superflus exigés par le syndicat de rivière, pour finir demande de passes à poissons de près de 100 k€. Beaucoup se reconnaîtront dans cette séquence que subissent tant de moulins en France, en particulier dans les bassins les plus dogmatiques en terme d'effacements (Loire-Bretagne, Seine-Normandie). Combien de propriétaires plus faibles, plus isolés, plus âgés ont fini par baisser les bras et céder face à cet acharnement? Ces pratiques insupportables doivent cesser, elles sont indignes de l'action publique et ne produiront que des conflits.



Propriétaire du Moulin d’Aulnay depuis 1987 par héritage, suite au décès de mon père, qui avait acheté ce moulin en 1939 (l’activité du meunier avait cessé en 1938), le moulin est « fondé en titre » puisqu’antérieur à 1789. Il apparaît dans les textes en 1517, appartenant à Gilles Berthelot, seigneur d’Azay le Rideau ; puis en 1525 il est la propriété de Jean de Rouzay, seigneur d’Osnay.

Membre de l’Association des Moulins de Touraine (AMT) depuis de nombreuses années, nous assistions aux réunions et étions toujours très attentifs à leurs conseils. Aussi nous nous sommes immédiatement rapprochés de l’Association lorsque la propriété a été visitée  (sans notre accord) par l’Onema le 14 mars 2011.

En effet, deux agents de l’Onema assermentés ont demandé à l’épouse du gardien l’ouverture de la propriété. Raison avancée : non-déclaration de cessation d’activité au Moulin d’Aulnay. Les agents de police prennent des photos, ne trouvent pas le repère indiquant la côte légale de retenue, précisent que « toutes les vannes doivent systématiquement rester ouvertes » puis rédigent un rapport. Ils nous demandent qu’une déclaration de cessation d’activité soit adressée (selon un modèle joint)  à la Préfecture. A noter que le modèle de lettre n’est ni plus ni moins qu’un abandon des droits d’eau – information reçue de l’AMT.

Par téléphone, le 21 avril 2011, un agent  de l’Onemanous rappelle nos obligations,  et nous indique que l’infraction supposée – si elle se maintenait – relèverait d’une amende de 1 500 €.

Le 19 avril 2012, un appel d’une technicienne de rivière du SAVI nous informe que la Communauté  de Communes du Pays d’Azay le Rideau prévoit de réaliser des travaux de restauration et d’entretien sur l’Indre et ses affluents. Une procédure de demande de déclaration d’intérêt général doit être réalisée et précédée d’une enquête publique, laquelle se tient à Azay le Rideau en  mai 2012. Il nous est indiqué que sur la Boire de Montigny, les berges doivent être nettoyées sur 5 à 10 m, avec entretien de la végétation. Un arrêté Préfectoral du 11 septembre 2012 acte la programmation des travaux de restauration.

Puis, les 26 mai, 10 juin, 2 juillet 2014, le SAVI  vient constater sur nos parcelles «ce qui est gênant pour l’écoulement d’eau» : végétation et arbres.  Identification de  50 arbres à abattre, puis à la suite d’une deuxième visite, 12 arbres supplémentaires doivent être abattues : l’acidité des feuilles des peupliers perturberait les poissons ! Deux sociétés d’abattage effectuent en août et octobre 2014 ces travaux que nous prenons entièrement à notre charge, désirant ainsi conserver notre droit de propriété privée ; car le SAVI accordait une subvention de 80 % sur le coût total occasionné par les travaux dans le cadre d’une Convention, laquelle précisait :
  • le détail des travaux (végétation et arbres à abattre), 
  • les délais d’exécution (6 mois), 
  • mais mentionnait  que la participation du SAVI à la prise en charge d’une partie du coût des travaux était subordonnée  au droit d’accès à la parcelle postérieurement à la réalisation des travaux (ce qui en d’autres termes veut tout simplement dire : libre accès au public sur votre propriété)
Le 15 janvier 2015, le bureau d’études BETERU de Toulouse nous informe téléphoniquement «être diligenté par le SAVI» pour réaliser une étude « sur le bon état écologique de L’Indre, la libre circulation des poissons et des sédiments ». L’étude portera sur 15 moulins dont le nôtre.

Le 23 mars de cette année, une lettre recommandée AR de la DDT nous demande d’étudier « l’impact de nos ouvrages sur le transport des sédiments et la circulation des poissons migrateurs », et si cela s’avère nécessaire de réaliser les travaux dans les cinq ans à compter de la publication de l’arrêté de classement – paru 32 mois plus tôt, de sorte qu’il nous restait  donc 28 mois pour nous exécuter !

Notre réponse en LRAR précise qu’une étude était financée par le SAVI sur le même thème, que nos berges et déversoir étaient entretenus, nos vannes en bon état et vannage bien assuré.

Le 20 octobre 2015, le technicien de rivière du SAVI nous remet du rapport du BETERU en présence d’un représentant de  l’AMT  et d’un ancien propriétaire de moulin.

Les préconisations sont au nombre de trois et chiffrées :
  • Effacement complet, 50 200 € : déconnexion des bras de l’Indre présents en amont – frayères- seuil et déversoir dans le périmètre d’un château.
  • Arasement partiel, 21 000 € : abaissement des lignes d’eau en période de basses et moyennes eaux. Risque de déconnecter des bras de l’Indre présents en amont et qui accueillent des frayères. Architecte des bâtiments de France peut être «  pas d’accord ».
  • Maintien du seuil et équipement, 82 200 € : construction de deux types de passes à poisson (rustique et à bassins de 17 à 25 m de longueur), échancrure dans le seuil, fosse de réception, maintien de l’ensemble des usages présents en amont, frayères, ouverture du bief aux espèces piscicoles. Bonne gestion des vannes. Nécessité de suivre les instructions de l’ABF.
Ce troisième scénario est privilégié par BETERU. Refus de notre part des 3 scénarios et renouvellement de notre suggestion : travailler à simplement améliorer le bras principal de contournement qui assure la montaison des poissons, et le bras mineur actuellement bouché par deux buses et une vanne, qui peut être rénovée. Le SAVI nous demande de signer une convention en vue de faire réaliser  par le BETERU une nouvelle étude sur ce schéma. A suivre…

Nos commentaires
La Cour des comptes avait relevé dans son rapport de 2013 sur les "scandales de l'Onema" la très curieuse politique de surveillance de cet Office : 100% de contrôle sur les seuils et barrages, 20% sur les stations d'épuration, 1% sur les installations agricoles en zone sensible nitrates. Négligents face aux pollutions, les services administratifs s'acharnent sur les propriétaires de moulins, en commençant par essayer de casser le droit d'eau ou le règlement d'eau de l'ouvrage, selon une stratégie fixée par la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie (lors du Plan d'actions pour la restauration de continuité écologique de 2009). La raison en est simple : une fois le droit d'eau cassé, le Préfet peut exiger la "remise en état" du site aux frais du maître d'ouvrage – c'est-à-dire la destruction complète du barrage et la renaturation de l'écoulement sur le site.

Sur l'aménagement du barrage, les demandes sont de toute évidence des "charges spéciales et exorbitantes": les propriétaires sont fondés à les refuser, sauf s'ils sont indemnisés des travaux. Ces derniers représentent des coûts élevés pour un intérêt écologique très douteux. Le bureau d'études a envisagé une montaison pour les brochets, alors que cette espèce n'est pas migratrice et requiert surtout des annexes latérales pour son frai. Quant aux anguilles, deuxième espèce d'intérêt sur le site et seul vrai migrateur concerné, les pêches de contrôle montrent qu'elles sont présentes sur l'Indre amont, ce qui suggère que l'obstacle (d'une hauteur très modeste, surversé en crue, présentant plusieurs points de passage) ne représente pas un problème majeur pour l'espèce. (Si les brochets et anguilles sont des espèces demandant une telle protection qu'il faut envisager en leurs noms la destruction des propriétés ou leurs aménagements ruineux, nous suggérons au Ministère de l'Ecologie de commencer plutôt par interdire leur pêche sur tout le territoire, ce qui sera certainement un bon moyen d'augmenter les recrutements. Egalement un bon moyen de démontrer que c'est le seul intérêt des milieux aquatiques et non celui du lobby pêcheur qui dicte la politique publique des ouvrages hydrauliques décidée dans certains bureaux de La Défense...).

Notons que ce cas se tient sur une rivière de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne. Celle-ci est tristement célèbre pour être le laboratoire des politiques les plus agressives en matière d'effacement. La même Agence de l'eau a des résultats médiocres sur la qualité écologique des rivières (pas de progrès significatif en 10 ans malgré des milliards d'euros dépensés) et n'est même pas capable de produire une analyse de leur état chimique dans son dernier état des lieux, en contravention avec nos obligations européennes sur la surveillance des masses d'eau (voir cet onglet du site). Cela ne l'empêche pas de signer des contrats avec les syndicats en faisant pression (financière) pour des dépenses somptuaires sur l'hydromorphologie.

Une quinzaine d'autres ouvrages sont concernés sur le tronçon. Nous conseillons vivement à l'Association des moulins de Touraine d'informer les propriétaires de leurs droits et de les convaincre d'adopter en commun la seule position qui vaille : refus pur et simple de céder à ces pressions et chantages, opposition d'un front résolu au gestionnaire et à la Préfecture, sensibilisation des riverains. Quand l'administration montrera un minimum de respect pour les ouvrages hydrauliques, quand on sortira de l'enfer des réglementations tatillonnes pour des bénéfices environnementaux quasi-nuls et quand les Agences de l'eau financeront correctement (c'est-à-dire intégralement) les passes à poissons, il sera éventuellement temps de dialoguer. Pour l'heure, il faut saisir les élus et l'opinion des pressions scandaleuses subies par les ouvrages (en priorité faire signer le moratoire). Et quand ce sera nécessaire, il faudra saisir le tribunal (voir la marche à suivre dans ce vade-mecum).

Nota : nous avons demandé par courrier électronique au SAVI copie du contrat territorial signé avec l'Agence de l'eau et les données de qualité chimique / écologique de la rivière. Aucune réponse.

Propriétaires, associations : n'hésitez pas à nous faire parvenir des synthèses, témoignages et documents qui reflètent la situation que doivent affronter aujourd'hui les moulins et autres ouvrages hydrauliques. Les pressions ne prospèrent que dans l'opacité et dans l'isolement de chaque maître d'ouvrage, la transparence et l'information sont nos meilleures armes contre l'arbitraire. La plupart des élus à qui nous avons pu montrer la vraie nature de la politique de continuité écologique, exemples concrets à l'appui, ont été effarés de cette situation. Certains d'entre eux ont déjà interpellé la Ministre (voir leurs prises de parole au Sénat et à l'Assemblée), et il faut renforcer ce sursaut démocratique en 2016. 

31/12/2015

Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques

Pour convaincre les élus et les gestionnaires de l'intérêt d'effacer les ouvrages, l'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie. On s'aperçoit que le coût moyen d'effacement des 29 ouvrages présentés dans les fiches dépasse les 250 k€, que les deux-tiers des opérations n'ont pas de diagnostic initial ni de bilan avant-après, qu'aucun effacement ne procède à un bilan DCE 2000 du tronçon, à une analyse quantifiée des services rendus par les écosystèmes ni à une analyse coût-efficacité sur le critère écologique que l'on prétend améliorer. Ce recueil nous convainc donc d'une seule chose: il faut de toute urgence prononcer un moratoire sur la continuité écologique, afin de reprendre la question sur des bases scientifiques plus robustes et des méthodologies plus rigoureuses. Actuellement, on nage dans l'improvisation et la dépense pour la dépense, sans autre stratégie apparente que "restaurer de l'habitat" à l'aveugle, en absence de toute priorisation construite par modèle et sélection de sites d'intérêt écologique particulier.

Il est bien connu de la recherche scientifique internationale que les opérations de restauration morphologique de rivière présentent des résultats ambivalents et, pour beaucoup, des méthodologies médiocres (voir notre synthèse ; en particulier Morandi et al 2014 pour l'analyse de 44 projets de restauration en France). Cette préoccupation est apparue dans les années 2000, à mesure que certains concepts (comme la continuité écologique) sont devenus des outils pour les gestionnaires et ont nourri des programmes d'intervention en rivière. D'abord aux Etats-Unis, puis en Europe, des chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme sur le flou conceptuel et technique entourant les objectifs de "restauration des rivières".

Dans un article très commenté, Margaret A Palmer et 20 collègues ont publié une synthèse sur les standards scientifiques attendus d'une opération de restauration écologique réussie (Palmer et al 2005). Ces chercheurs ont posé 5 critères de qualité pour ces opérations:
  • un état dynamique (ie incluant des tendances) du système initial et de l'ensemble de ses pressions;
  • une ou plusieurs mesures quantifiées de progrès de l'état écologique du site;
  • une amélioration de la résilience du système;
  • une absence de dommages à long terme (végétation, sédiments, espèces invasives);
  • un bilan écologique avant-après.
Ces attentes ne concernent que l'état écologique du tronçon concerné, sans se pencher sur la question des coûts économiques et des services rendus par les écosystèmes, ni sur le bilan chimique des retenues (azote, phosphore, carbone, rétention des pollutions aiguës). Elles n'incluent pas non plus le fait que les résultats des restaurations de rivière montrent des effets variables dans le temps (voir Kail et al 2015). Autant dire qu'il faudrait y voir un cahier des charges minimal pour le volet écologique, qui devrait normalement être doublé d'une  évaluation multicritère des autres dimensions des ouvrages (paysage, patrimoine, énergie, irrigation, recharge de nappe, loisirs, etc.). C'est particulièrement nécessaire en France et en Europe, où l'occupation et la valorisation de l'espace ne répondent pas aux mêmes critères qu'en Amérique du Nord.

L'Onema publie un recueil d'expériences en hydromorphologie, dont l'objectif est "d’inciter à la mise en œuvre de nouvelles actions de restaurations physiques du cours d’eau". Nous avons analysé les 29 actions présentées dans le compartiment "effacement total ou partiel d’obstacles transversaux" (ont été exclues les 5 actions ne portant pas sur un ouvrage précis, mais présentant des mesures de gestion sur tronçon). Les effacements d'ouvrages (ou d'étangs) représentent environ la moitié des opérations exposées dans le recueil— ce qui rappelle la dimension très destructive de la restauration morphologique" à la française".

Le tableau de synthèse ci-dessous montre quelques données d'intérêt (cliquer pour agrandir).


On observe que :
  • le coût total est de 8 millions € pour 29 ouvrages. Le coût moyen par opération est de 256 k€, le coût moyen au mètre de chute aménagée de 89 k€. Ces chiffres cachent des disparités importantes puisque le coût médian par mètre de chute est de 28 k€ et le coût médian par opération de 85 k€;
  • ces coûts paraissent minimisés puisqu'aucune indemnité des propriétaires n'est comptabilisée et le suivi à long terme n'est pas chiffré;
  • seules 11 opérations (38%) font l'objet d'un bilan avant-après, c'est-à-dire que dans les deux-tiers des cas, l'opération de restauration écologique ne fixe pas d'objectifs et ne peut pas justifier de résultats;
  • une seule opération présente des résultats quantifiés (à tout le moins dans le recueil); 
  • aucune opération n'a procédé à une évaluation des services rendus par les écosystèmes;
  • aucune opération ne présente l'évolution du bilan écologique et chimique DCE (statut du tronçon selon la directive-cadre sur l'eau);
  • aucune opération ne précise le bilan des espèces invasives;
  • aucune opération ne semble avoir un suivi qui excède les 5 ans.

Dans la quasi-totalité des cas, les gestionnaires concentrent leur approche sur une logique de "restauration d'habitat", par quoi il faut essentiellement entendre le remplacement d'une zone lentique par une zone lotique, avec le cas échéant des frayères pour des espèces d'intérêt halieutique. Le problème de cette approche est triple:
  • elle ne correspond à aucune obligation légale ni réglementaire, mais à une certaine appréciation (plus ou moins arbitraire) de la gravité relative de l'altération par le service instructeur ou le gestionnaire;
  • elle n'est pas généralisable (les coûts observés sur 29 ouvrages et rapportés aux 80.000 obstacles du Référentiel de l'Onema représenteraient une dépense de 21 milliards d'euros), donc elle devrait être sélective au plan de l'intérêt écologique (ce qu'elle n'est manifestement pas);
  • elle n'est (généralement) pas de nature à obtenir le bon état chimique et écologique des masses d'eau, ce qui est pourtant l'engagement prioritaire de la France à l'horizon 2027.
La politique française de continuité écologique a besoin d'un audit complet en vue de redéfinir ses méthodes et ses objectifs (voir aussi cette analyse). En particulier, le choix d'un classement massif des rivières françaises (entre 10.000 et 20.000 ouvrages à aménager en 5 ans seulement) a été prématuré au plan des connaissances sur les rivières, et précipité au regard de son calendrier ingérable d'exécution comme de ses coûts économiques importants.

29/11/2015

Extension du domaine du migrateur: ce qu'on dit aux élus et ce qu'on leur cache

Quand l'Onema, l'Irstea et la Fédération de pêche sont invités à s'exprimer sur les poissons migrateurs devant les parlementaires, ils parlent saumons, lamproies marines, anguilles ou esturgeons. Quand les mêmes instances font des guides techniques de continuité écologique, ils incluent dans la notion de "migrateurs" des dizaines d'autres populations, y compris aussi éloignées de la notion usuelle d'espèces migratrices que la tanche, la carpe, la brème, la perche, le chabot ou le gardon ! Résultat : la continuité écologique devient ingérable sur le terrain, avec des postures maximalistes au plan halieutique, irréalistes au plan économique et destructrices au plan patrimonial. Ce double discours doit cesser. La mise en oeuvre de la continuité écologique est aujourd'hui excessive et disproportionnée par rapport au texte voté par les parlementaires et à l'intention qu'ils avaient lors de son vote. Elle l'est aussi par rapport aux réels besoins écologiques de nos rivières. On doit revenir à une définition plus stricte des enjeux migrateurs et à une reconquête plus progressive de leurs axes prioritaires.

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale avait organisé le 25 novembre 2014 une "table ronde sur les poissons migrateurs". Y participaient Alexis Delaunay, directeur du contrôle des usages et de l’action territoriale de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), Éric Rochard, directeur de l’unité de recherche EABX de l’Institut national de recherches en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), Aurore Baisez, directrice de l’association pour la gestion et la restauration des poissons migrateurs du bassin de la Loire (LOGRAMI), Patrick Martin, directeur du Conservatoire national du saumon sauvage, et Jean-Paul Doron, vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection du milieu aquatique. Le texte complet peut être consulté à cette adresse.

Voici un extrait de la déclaration d'Alexis Delaunay (Onema) : "L’Onema se mobilise fortement pour les poissons migrateurs, depuis le niveau européen jusqu’au niveau local, que ce soit en matière de recherche, d’expertise, de connaissance ou d’appui à l’action territoriale. Ces poissons sont un symbole de la bonne qualité des eaux et de la biodiversité. Les saumons, truites de mer, aloses, lamproies, anguilles et esturgeons étaient autrefois abondants et représentaient une richesse économique et touristique importante."

Autre extrait, déclaration d'Éric Rochard (Irstea) : "On dénombre vingt-huit espèces de poissons migrateurs à l’échelle européenne, et onze en France, de deux types : huit du type saumon, qui se reproduisent en rivière et vont grandir en mer avant de revenir, et trois du type anguille, qui naissent en mer et reviennent en rivière pour grandir. La spécificité des poissons migrateurs tient à ce passage nécessaire entre l’eau douce et l’eau de mer. Si l’on place un obstacle infranchissable entre les deux, tout s’arrête"

Protocole ICE : quand la tanche ou le chabot devient un "type de migrateur"...
Il se trouve que l'Onema a publié un guide technique sur la mise en oeuvre de la continuité écologique : Informations sur la Continuité Ecologique (ICE), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes (Onema 2014). Ce guide est important puisqu'il est supposé faire référence pour les services instructeurs de l'Etat dans la mise en application de la continuité écologique, notamment du classement des rivières par l'article L 217-17 CE visant à "assurer (...) la circulation des poissons migrateurs".

Or, on s'aperçoit que la notion de "poissons migrateurs" change considérablement par rapport à la définition donnée aux parlementaires. Voici un extrait de cette publication concernant la définition des "différents types de migrateurs".

Type 1 - Les migrateurs amphibiotiques anadromes : (…) on retrouve parmi ce groupe, les espèces suivantes : truite de mer (Salmo trutta – écotype migrateur), saumon atlantique (Salmo salar), lamproie fluviatile (Lampetra fluviatilis), lamproie marine (Petromyzon marinus), grande alose (Alosa alosa), alose feinte (Alosa fallax fallax), les mulets (Chelon labrosus et Liza ramada) et l’esturgeon (Acipenser sturio).

Type 2 - Les migrateurs amphibiotiques catadromes : (…) Deux espèces font partie de cette catégorie en France métropolitaine, l’anguille européenne (Anguilla anguilla) qui fait l'objet d'une grande attention en matière de protection et de restauration (règlement européen et plan de gestion national) et le flet (Platichthys flesus).

Type 3 - Espèces holobiotiques potamodromes exigeantes pour le substrat de pontes : (…) Les zones recherchées peuvent être :
  • des bancs de graviers assez meubles et bien oxygénés chez les espèces d'eau vive (espèces rhéophiles) et reproductrices litophiles (ponte sur ou dans le gravier). On retrouve la truite de rivière (Salmo trutta) et l’ombre commun (Thymallus thymallus) parmi les salmonidés et le barbeau fluviatile (Barbus barbus), méridonal (Barbus meridionalis), la vandoise (Leuciscus leuciscus) ainsi que, dans une certaine mesure, le hotu (Chondrostoma nasus), le toxostome (Parachondrostoma toxostoma) et le spirlin (Alburnoides bipunctatus) parmi les cyprinidés d'eau vive ;
  • des plages de végétation chez certaines espèces d'eau lente et reproductrices phytophiles (ponte d’œufs collants sur les plantes) comme le brochet (Esox lucius) en fin d’hiver et au printemps, ou la carpe (Cyprinus carpio) et la tanche (Tinca tinca) en été ;
  • des zones particulières de gros cailloux ou de graviers chez des espèces nidificatrices comme le chabot (Cottus sp) et la lamproie de Planer (Lampetra planeri).
Type 4 - La plupart des autres espèces holobiotiques potamodromes : (…) la plupart des autres espèces holobiotiques potamodromes (100 % d'eau douce) ont aussi naturellement tendance à migrer au moment de la reproduction mais sans que cela soit une condition impérative au succès de la reproduction car il existe généralement des frayères dans la zone ou le bief fluvial de résidence. C’est le cas des espèces ubiquistes-euryèces assez peu exigeantes dans le choix de leur substrat de ponte : gardon (Rutilus rutilus), brème commune (Abramis brama) et bordelière (Blicca bjoerkna), perche (Perca fluviatilis)."


Observations
Affirmer que toutes ces espèces font partie des "différents types de poissons migrateurs" est totalement contraire au sens usuel de ce mot dans la littérature scientifique et dans les plans de gestion halieutique (cf Plagepomi, Cogepomi). C'est aussi très éloigné de que les responsables Onema-Irstea racontent à nos élus quand ceux-ci leur demandent des explications.

Quand l'Onema, l'Irstea, Fédération de pêche et divers groupes sont invités par des parlementaires à donner des informations sur les politiques de continuité écologique, ils laissent entendre que les espèces de grands migrateurs (type 1 et 2 ci-dessus) sont les seules concernées (ce qui devrait être le cas). Mais quand on regarde les dossiers techniques de l'Onema, qui servent aux services instructeurs DDT-M, on s'aperçoit qu'en réalité, la notion de "migrateurs" est dilatée à toutes sortes d'espèces qui ne le sont pas réellement, en particulier des espèces qui n'ont que de faibles capacités de nage et de saut (ce qui en soi est curieux pour un migrateur). Cette confusion entre mobilité et migration pousse bien évidemment à l'effacement total des ouvrages ou au choix de passes à poissons très coûteuses (car obligatoirement franchissables à toutes espèces).

Nous exigeons un retour du réalisme dans les aménagements de continuité écologique, et la fin des doubles discours de la part de certains établissements administratifs, qui se montrent très consensuels quand ils discutent avec les politiques, mais très extrémistes en commissions de travail des Agences de l'eau et en préconisations techniques aux DDT-M dans la mise en oeuvre du L214-17 CE. Il est notamment inacceptable que l'Onema, appelé à être un futur pilier de l'Agence de la biodiversité, fasse preuve dans le domaine de la continuité écologique d'un manque total de réalisme économique comme de prise en compte des dimensions multiples de la rivière, de son patrimoine et de ses usages.

Sans un recadrage clair de l'action de l'Office par sa tutelle, il est vain d'espérer que l'on sorte des dérives actuelles : 
  • prime systématique à l'effacement des seuils et barrages, 
  • dérapage d'un besoin fonctionnel, spécifique et motivé de franchissement vers une extension sans limite des restaurations et connexions d'habitats, 
  • exigences disproportionnées d'aménagement, 
  • dépense publique et privée exorbitante pour les travaux, 
  • bénéfices écologiques non réellement mesurés donc non comparés aux coûts économiques, sociaux et patrimoniaux pour les obtenir,
  • remise en cause de différents services rendus par les écosystèmes, et donc de la gestion équilibrée de l'eau formant le principe général de l'action publique en rivière.
Illustration : rivière busée du Morvan. Certains des supposés "migrateurs" du protocole ICE de l'Onema seraient probablement bloqués par ce modeste obstacle...

Elus, personnalités, associations : pour une remise à plat et une vraie concertation sur la question de la continuité écologique, signez et faites signer l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre du classement des cours d'eau. Texte déjà soutenu par près de 400 élus et par plus de 200 institutions représentant 60.000 adhérents.

A lire en complément :
Doit-on détruire des ouvrages hydrauliques pour le chabot? Chroniques de l'extrémisme ordinaire en gestion des rivières

28/08/2014

Un guide Onema 2014 sur la franchissabilité des obstacles par les poissons

L'Onema vient de publier dans sa collection "Comprendre pour agir" un guide complet sur l'évaluation du franchissement des obstacles à l'écoulement par les différentes espèces de poissons. Le guide a été conçu selon le protocole ICE (information sur la continuité écologique) partagé par les administrations, les acteurs de l'environnement, de l'eau et du territoire, les bureaux d'études, les chercheurs, ingénieurs et techniciens. Au sommaire de cet ouvrage de 200 pages : rappel sur la continuité écologique et l'ichtyofaune, énoncé des principes généraux du protocole ICE, diagnostic de la franchissabilité à la montaison, prédiagnostic pour les obstacles équipés de dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons de divers types).

La lecture de ce guide est très conseillée pour tous les maîtres d'ouvrages dont la rivière a été classée en liste 2 et qui ont une obligation d'aménagement à terme. En particulier, pour des rivières comme l'Armançon dont le principal enjeu migrateur de montaison est l'anguille adulte, on peut estimer que nombre de seuils présentent déjà des voies de reptation depuis l'aval, dont la pente et la rugosité sont à examiner de près selon les critères indiqués dans le guide.

Référence : Onema, Baudouin JM et al (2014), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes, 202 p. (Si le téléchargement est long, essayez cet autre lien direct sur le site Onema).

27/04/2014

Un guide Onema pour le débit minimum biologique

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5%). Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau. Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

L'Onema a édité un guide technique pour assurer le débit minimum. Le document est intéressant, il rappelle les formules hydrauliques permettant le calcul du débit dans les différents dispositifs : échancrure, déversoir à mince ou large paroi, orifice et ajutage, ouverture en fond de vanne guillotine, modules à masque… Tous les moyens sont possibles pourvu que le débit soit exact dans son calcul, et garanti quand la rivière est à l'étiage. Gare aux contrôles !

En l'absence de production, et s'ils n'ont pas eu le temps de concevoir un dispositif spécifique, les moulins doivent fermer à l'étiage (ou en basses eaux) les vannes ouvrières en entrée de bief ou de chambre d'eau, éventuellement fermer les directrices de la turbine en chambre si c'est le seul dispositif de contrôle du débit amont. Dans ce cas, le débit de la rivière passera entièrement sur le déversoir.

Référence : Baril D., Courret D., Faure B., (2014), Note technique sur la conception de dispositifs de restitution de débit minimal, 23 p. (lien pdf)

Illustration : orifice en vanne, dénoyé à l'aval. © Onema

13/02/2013

100%, 20%, 1%...


Le rapport 2013 de la Cour des Comptes est donc paru, confirmant l'ensemble des informations circulant depuis deux mois sur les dysfonctionnements de l'Onema et, plus généralement, du Système d'information sur l'eau en France. Le Premier Président de la Cour a par ailleurs annoncé qu'il y aurait des poursuites, contrairement à ce qu'affirmait Mme Dupont-Kerlan, directrice de l'établissement : «L’exemple de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, créé en 2007, révèle une accumulation de missions mal assurées et des déficiences graves dans l’organisation et la gestion. Devant l’ampleur de celles-ci, la Cour des comptes, par une délibération de la septième chambre, a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de certains des faits constatés et a transmis le dossier au parquet général à cette fin.» 

Nous n'épiloguerons pas ici sur ces faits, que d'autres commentent avec acuité et dont une synthèse sera produite par l'Observatoire de la continuité écologique.

L'acharnement sur les seuils
Deux points retiendront notre attention. Le premier concerne  l'exercice de la Police de l'eau, avec cette observation de la Cour des Comptes (p.329) :

« Alors que des actions contentieuses ont été engagées contre la France sur le non-respect de la directive européenne sur les nitrates, la «pression de contrôle» est insuffisante pour faire diminuer ce type de pollution et se prémunir contre de nouveaux contentieux. La circulaire du ministère de l’environnement du 12 novembre 2010 fixe en effet un objectif de contrôle peu ambitieux au regard des enjeux : dans les zones les plus sensibles, 1 % seulement des exploitations d’un département font l’objet d’un contrôle. Ce taux, à comparer avec ceux des stations d’épuration (20 %) ou des seuils et barrages (100 %), n’est pas de nature à contribuer à une diminution de la pollution de l’eau par les nitrates. »

100% de contrôle sur les seuils, 20% sur les stations d'épuration, 1% sur les exploitations agricoles intensives... voilà un bon résumé en trois chiffres du problème observé sur les cours d'eau depuis quelques années. L'inexplicable acharnement sur un seul aspect du compartiment hydromophologique des rivières répond à l'indéfendable relâchement sur les causes directes de pollution chimique. Et cela alors que les preuves convaincantes manquent singulièrement pour établir le rôle des seuils et de la petite hydraulique dans la dégradation de la qualité piscicole.

Evaluation et audit des données sur l'eau
Le second point concerne ce communiqué de Mme Batho, ministre de l'Ecologie, qui reconnaît sans commentaire les «graves dysfonctionnements» de l'Onema, mais qui précise surtout :

« Concernant les insuffisances structurelles de la  politique de l’eau, mises en évidence par le rapport de la Cour des Comptes, la Ministre de l’Écologie a souhaité qu’une évaluation de la politique de l’eau soit engagée dans le cadre du chantier de modernisation de l’action publique. Les scénarios d’évolution de la politique de l’eau seront présentés à la conférence environnementale en septembre 2013. Le plan d’action de modernisation de cette politique sera lancé au mois d’octobre. Cette évaluation de la politique de l’eau comportera également un audit transparent et partagé de la production et de la gestion des données sur l’eau. »

Nous prenons acte que la qualité du système d'information sur l'eau est à ce point suspecte qu'elle demande une évaluation de sa politique de mise en oeuvre et un audit complet des données déjà produites.

Mais nous nous étonnons que le Ministère persiste à publier des arrêtés de classements de cours d'eau dont les mesures structurantes (définition du très bon état écologique, peuplement piscicole dans chaque masse d'eau, élaboration des corridors biologiques, etc.) proviennent d'un Système dont la robustesse technique et scientifique est l'objet de sa propre suspicion.

09/02/2013

L'Onema persiste dans le déni: non, les mesures ne sont pas mises à disposition du public!

En réponse au « scandale de l'eau » lancé par Marc Laimé et repris par Le Monde, sur la base d'un rapport (non public) de la Cour des Comptes, l'Onema a publié un communiqué de presse. L'Office affirme notamment :

L’Onema est chargé, entre autres, de la coordination technique du système d’information sur l’eau, piloté par le ministère. Crée en 1993, le SIE rassemble des données produites par les services déconcentrés de l'État, les agences et offices de l’eau, l'Onema, le BRGM, les collectivités territoriales, les industriels, les associations pour la protection des poissons migrateurs, etc. Ces données sont pour la plupart, mises à disposition des autorités et du public sur les sites Eaufrance.
D'autres bases de données, en cours de développement, rassembleront et mettront à disposition du public d'autres données, par exemple sur les prélèvements d'eau ou sur les flux de poissons migrateurs.

Ce propos est un accompagné d'une liste des sites du système Eaufrance (cliquer l'image pour agrandir) — liste dont l'empilement et l'entrecroisement sont déjà en soi une promesse d'illisibilité pour les citoyens, leurs élus ou leurs associations.

Il est regrettable que l'Onema persiste ainsi dans le déni en laissant entendre que tout va très bien dans le Système d'information sur l'eau et que chacun peut connaître l'état de sa rivière.

72 mesures exigibles sur chacune des 11 000 masses d'eau françaises: où sont-elles ?
Car il existe un problème, et un gros : les mesures exigibles depuis la Directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) ne sont tout simplement pas disponibles. On est à vrai dire incapable en ce début 2013 de savoir si une seule masse d'eau a vraiment la totalité des mesures requises, à la fréquence voulue (nous parlons bien de mesures quantifiées de phénomènes chimiques, physiques ou biologiques, et non pas d'avis subjectifs d'expert dont l'indice de confiance est faible ou qui sont tout simplement dépourvus de sens ;  voir le problème ici.)

La DCE 2000 sur l'eau demande aux Etats-membres d'évaluer l'état chimique et écologique de chaque masse d'eau. Il existe en France 11523 masses d'eau superficielles, dont 10824 concernant des rivières. En moyenne, une masse d'eau de rivière représente 22 km de tronçon. Cette masse d'eau est délimitée par sa cohérence : hydrologie, géologie, influence anthropique. (Source : WISE, rapportage français à l'Union européenne.)

Sur chaque masse d'eau, l'Etat-membre doit produire à la fréquence requise pour chaque indicateur (Arrêté du 25 janvier 2010). :
• 5 mesures biologiques
• 18 mesures physicochimiques
• 8 critères de description morphologique
• 41 mesures chimiques

Et c'est là une demande conservatrice de la part de l'Union européenne puisque l'étude menée en 2007-2009 sur les milieux aquatiques continentaux avait révélé la présence de 413 micropolluants en eaux superficielles (Etudes & Documents 54, 2011)

Aucun site ne fournit de manière synthétique et claire ces données pour chaque masse d'eau
Or, quand nous demandons ces mesures sur chacune des masses d'eau de Côte d'Or, ni l'Onema ni l'Agence de l'eau ne sont capables de nous donner un lien efficace, c'est-à-dire un site où chaque masse d'eau dispose de son rapport de mesure comprenant l'ensemble des 72 analyses nécessaires au terme de la DCE. L'Onema renvoie vers des relevés piscicoles (type Indice poisson rivière) ne concernant qu'une poignée de cours d'eau par département, et l'Agence de l'eau vers des sous-sites Eaufrance dont aucune ne comporte l'ensemble des masses d'eau (et dont les rares que nous trouvions à proximité de l'Auxois annonçaient une "base indisponible", encore un exemple ci-contre en date du 7 février).

Il semble que la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie commence seulement à prendre la mesure de l'état déplorable de l'information sur l'environnement aquatique. C'est inquiétant :  cette information est non seulement un devoir vis-à-vis de l'Union européenne (rapportage de chaque état-membre pour le suivi de la Directive-cadre sur l'eau), mais elle est également un devoir vis-à-vis des citoyens, qui entendent pouvoir accéder simplement et efficacement au bilan chimique et écologique de leur rivière.

Si le Système d'information sur l'eau vise la transparence sur les mesures réellement effectuées, rien de plus simple : il suffit de réunir sur un même site, avec entrée par bassins et rivières, la liste des masses d'eau et d'un simple clic accéder à un bilan chiffré des analyses : substance (ou paramètre), année, mesure, écart de cette mesure par rapport à la normale ou la valeur maximale admissible. Nos concitoyens sont capables de lire une analyse de sang sur ce principe, ils peuvent parfaitement lire une analyse de qualité des milieux aquatiques. Pourvu que l'Autorité en charge de l'environnement soit décidée à faire la lumière sur ce qui a été réalisé ou non. Pourvu aussi qu'elle consente réellement à assurer l'accès transparent et efficace aux données relatives à l'environnement.

Le mauvais argument du manque de moyens
L'argument généralement repris ces temps-ci en défense des établissements publics travaillant pour l'Autorité en charge de l'environnement est celui du "manque de moyens". Mais c'est peu recevable : les Agences de l'eau disposent d'un budget annuel de l'ordre de 2 milliards d'euros — auquel s'ajoute le budget des établissements qui, outre l'Onema (principalement abondé par les Agences), concourent à une partie des mesures chimiques et biologiques : Irstea, Ifremer, Museum national d'histoire naturelle, etc.

Les moyens existent donc depuis 12 ans que la Directive-cadre a été adoptée. C'est leur usage qui est en cause. Et c'est la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie qui, en dernier ressort, doit en répondre.

En terme de mésusage, on observera que, à rebours de la méthodologie préconisée par l'Union européenne*, des sommes importantes ont été dédiées au compartiment hydromorphologie (mise en place du Référentiel des obstacles à l'écoulement, opérations-pilotes au budget souvent pharaoniques sur l'effacement de 1200 ouvrages prioritaires de la circulaire Grenelle 2010, etc.). Cela alors même que les mesures de base sur la pollution chimique et la dégradation biologique n'étaient pas réunies — de sorte que l'on se précipite en réalité de faire librement circuler des eaux et sédiments pollués dans les rivières, les fleuves, les estuaires et finalement les océans. Et que nul ne peut estimer le rapport coût économique-bénéfice écologique des opérations dites de "restauration des milieux aquatiques". (Rappelons tout de même à titre d'exemple que, sans l'intervention d'un Collectif associatif, on s'apprêtait à dépenser à Semur-en-Auxois un demi-million d'euro pour supprimer un petit barrage, et son socle granitique naturel dans la foulée ; avec une telle somme, on peut tout de même financer des prélèvements et des analyses sur les rivières de Côte d'Or...)

Les deux premiers travaux de l'Observatoire de la continuité écologique suggèrent fortement que la grande majorité des obstacles à l'écoulement longitudinal ne sont pas les causes de la dégradation piscicole observée depuis le XXe siècle. Aussi la question se pose : les gouvernement successifs ont-ils eu réellement la volonté de chercher et de traiter les causes de détérioration des milieux aquatiques? Ou ont-ils choisi des mesures "visibles" pour dissimuler le catastrophique retard dans la connaissance et dans l'action?


(*) La Communauté européenne a adopté cet arbre de décision (image ci-dessus), au terme duquel les Etats-membres doivent d'abord mesurer l'état biologique (5 marqueurs), puis en cas de résultat médiocre analyser les causes physicochimiques d'altération. L'hydromorphologie (incluant les obstacles à l'écoulement latéraux et longitudinaux, mais aussi 6 autres critères) n'est pas considérée comme un critère décisif pour le bon état de la rivière.

PS : on lira avec la lettre ouverte de M. Jean-Luc Touly, membre du Comité national de l'eau et du Comité de bassin Seine-Normandie (dont dépendent nos rivières en Auxois).

02/02/2013

"Entre scandales et dérives"...

Les lecteurs de notre site savent toute la difficulté que nous avons à obtenir les données sur l'état chimique et écologique de nos rivières. Nous parlons bien des données primaires, les mesures permettant de contrôler la robustesse des conclusions de l'Autorité publique en charge de l'eau, et non pas de la littérature de vulgarisation en quadrichromie, où l'on avance des propos non vérifiables, notamment sur le rôle soi-disant clé des seuils et barrages dans la dégradation de la qualité de l'eau.

Nos lecteurs savent aussi toute l'incompréhension des riverains, des propriétaires d'ouvrages hydrauliques et plus largement des citoyens : l'Administration se montre soudain d'une rigueur implacable pour les seuils, barrages et autres obstacles en cours d'eau, au point d'envisager leur effacement à marche forcée dans les 5 ans qui viennent, alors que tous les rapports de terrain des syndicats de rivière (voir ici, ici ou ici), et les données mêmes de l'Onema ou du Système d'information sur l'eau quand elles sont disponibles, concluent que les principaux responsables de la dégradation de l'eau restent à ce jour les effluents domestiques, agricoles, industriels. De très prochaines publications auxquelles notre association a participé montreront d'ailleurs l'ampleur du problème.

Le journal Le Monde, dans son édition des 3 et 4 février 2013 consacre sa "une" à cette question : "La politique de l'eau en France entre scandales et dérives". Voici quelques extraits des analyses de ses journalistes, qui enquêtent sur un problème initialement soulevé par Marc Laimé à partir d'un rapport de la Cour des comptes. La lecture complète des articles (version papier ou version numérique pour abonnés) est fortement conseillée.

L'Onema, un bras armé de la politique de l'eau en mauvaise posture
Le ménage a été fait discrètement. Mais cela ne devrait pas suffire à étouffer le scandale qui frappe l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), un établissement public sous la tutelle du ministère de l'écologie, bras armé de la politique  publique de l'eau en France. L'agence en gère les données statistiques, cruciales pour juger de la qualité de notre ressource hydrique. L'Onema est sous le feu de vives critiques dans le rapport annuel de la Cour des comptes, qui sera rendu public le 12 février. (...) Le contrôle de la Cour met en évidence de lourds dysfonctionnements internes : "absence de fiabilité des comptes", "un budget mal maîtrisé sans procédure formalisée d'engagement de la dépense", "une gestion des systèmes d'information défaillante", "des sous-traitances non déclarées", etc.

Jeu de chaises musicales aux directions de l'eau
Quinze jours plus tard, par arrêté du ministère de l'écologie, Patrick Lavarde, directeur général de l'Onema depuis sa création, en 2007, est remplacé par Elisabeth Dupont-Kerlan, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts. M. Lavarde est nommé chargé de mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), organisme sous l'autorité du ministère de l'écologie. Il n'a pas répondu à nos sollicitations. Le 21 novembre 2012, en conseil des ministres, il est aussi mis fin aux fonctions d'Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité (DEB), présidente du conseil d'administration de l'Onema, où elle n'a toujours pas été remplacée. Nommée à la direction générale du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, Mme Gauthier ne souhaite pas s'exprimer sur ses fonctions antérieures. Et d'autres mutations sont en cours. 

Des dérives récurrentes, selon la ministre de l'Ecologie
Comment expliquer tous ces dysfonctionnements ? Au-delà des responsabilités individuelles de tel ou tel acteur, que la justice pointera peut-être, l'affaire de l'Onema traduit, pour reprendre les termes d'un haut fonctionnaire, "un bordel incroyable" au sein de l'Etat. "Ce qui frappe, réagit Delphine Batho, c'est le caractère récurrent des dérives constatées, cette situation incroyable qui a perduré."

Le système d'information sur l'eau embourbé
Pour répondre à plusieurs directives européennes, la France doit rendre des comptes à la fois sur ses eaux potables, de baignade, conchylicoles, ainsi que sur ses eaux résiduaires urbaines, ses nitrates, boues d'épuration, inondations... Il lui faut élaborer - via l'Onema - un système d'information sur l'eau (SIE) performant, capable de fournir des données fiables et accessibles à la fois pour son "rapportage" auprès de Bruxelles, mais aussi pour orienter ses propres politiques publiques de l'eau. (…) L'Onema a consacré à cette tâche 80 millions d'euros en 2010, selon le rapport provisoire de la Cour des comptes. Pourtant, le SIE semble embourbé, son architecture tarde à prendre forme. Une bonne partie des données n'est toujours pas accessible, comme en témoigne Eau France, le portail Internet piloté par l'Onema, prolixe en textes officiels, recommandations et synthèses diverses, mais avare d'informations à jour et lisibles par le public non initié. Dans un paysage qui reste opaque, certains experts en arrivent à douter de leur fiabilité.

La Commission européenne fondée à douter des mesures
"En tout état de cause, la Commission européenne, qui estime les efforts de la France en matière de qualité de l'eau assez insuffisants pour la condamner d'ici quelques semaines, ne devrait pas perdre une miette de ce scandale. Bruxelles pourrait en effet s'interroger sur la pertinence des informations transmises par la France."

La Police de l'eau soumise à des pressions
"Des pressions ?" Cette chef de service éclate de rire. "Des pressions phénoménales oui ! Parfois, rapporte-t-elle, on nous demande de nous contenter d'une mise en garde plutôt que de verbaliser une entreprise polluante parce qu'il y a 400 emplois à la clé. Une autre fois, on nous interdit de contrôler les zones de lavage des engins agricoles des viticulteurs sous un prétexte fallacieux... " (…) Dans le sud de la France, un autre chef de service estime que la loi sur l'eau n'est simplement pas appliquée dans son département (...) : " L'administration ne veut pas de vagues, elle a fait le choix d'imposer le moins de contraintes possibles. Parfois, elle peut se contenter d'une simple note manuscrite de la part d'une entreprise au lieu d'exiger une demande d'autorisation réglementaire de cinquante pages.(...) Nous avons ainsi découvert dans la presse un projet de centre commercial qui va conduire à bétonner les rives d'un petit cours d'eau... "

Pour un vrai débat sur les priorités de l'eau
Nous l'avions déjà signalé sur ce site, il n'est pas question pour l'association Hydrauxois de verser dans des simplifications stupides ("tous pourris"), dans des généralisations abusives ("la continuité écologique ne vaut rien") ni dans des conclusions insultantes ("tous les agents administratifs de l'eau sont malhonnêtes ou manipulés"). Cela ne correspond évidemment pas à la réalité.

En revanche, nous avons très tôt attiré l'attention sur la difficulté à accéder à l'information, sur la faiblesse des données disponibles par rapport à la vigueur affirmée des conclusions avancées, sur la place anormale de l'hydromorphologie par rapport aux indicateurs biologiques, physochimiques et chimiques de la qualité de l'eau, sur certaines contradictions techniques et scientifiques manifestes dans le discours public sur la qualité de l'eau.

Comme le montre l'analyse du journal Le Monde, nous payons aujourd'hui 12 années d'impréparation publique :
• la mise en oeuvre chaotique de la Directive cadre européenne sur l'eau, visiblement bâclée d'un gouvernement l'autre depuis 2000 (la Cour des comptes avait tiré la sonnette d'alarme une première fois en 2010 dans son rapport sur les instruments de la politique durable de l'eau) ;
• l'agitation un peu cosmétique autour du Grenelle, qui a laissé de côté les problèmes de fond des rivières pour mettre en avant quelques spectaculaires mesures aux bénéfices environnementaux non réellement quantifiés ;
• l'incroyable dispersion et superposition des bases de données sur les paramètres de qualité de chacune des masses d'eau, bases qui devraient être au coeur d'une politique transparente de l'eau "fondée sur la preuve", et bases qui se trouvent aujourd'hui bien incapables de permettre une hiérarchisation des problèmes écologiques de nos rivières.

Le débat public sur l'eau n'a donc jamais vraiment eu lieu — surtout pas dans les concertations en trompe-l'oeil de la continuité écologique, des SAGE, des SDAGE où les rares citoyens ayant compris que leur avis était vaguement requis se trouvaient confrontés à des masses de conclusions fixées d'avance, sans la moindre opportunité de réfléchir à leur condition d'élaboration. Les rares fois où il s'est trouvé un tissu associatif assez vigoureux pour résister démocratiquement à un discours d'autorité et de fait accompli (comme à Semur-en-Auxois), la concertation a quand même abouti à sa conclusion logique : abandon de projets pharaoniques ne correspondant en rien aux besoins urgents de la rivière ni aux aspirations des territoires.

Notre association rappelle son objet et sa vocation : la défense de l'environnement, du patrimoine et de l'énergie hydrauliques — lesquels à nos yeux vont de pair pourvu que tous les acteurs (à commencer par les maîtres d'ouvrage) s'engagent dans une "gestion durable et équilibrée de la rivière", selon le voeu du législateur. Nous n'accepterons pas de voir sacrifiés cet environnement, ce patrimoine et cette énergie en Bourgogne au cours des mois et années à venir, alors même que ce sacrifice repose de toute évidence sur des informations défaillantes, des conclusions hâtives, des priorités erronées.

04/01/2013

Les seuils et barrages nuisent-ils à l'auto-épuration des rivières? Quand l'Onema contredit... l'Onema

Dans sa brochure grand public sur la continuité écologique (Onema 2010), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques compte parmi les effets négatifs des seuils « une diminution de la capacité auto-épuratrice du cours d’eau ». Cette assertion est appuyée par une référence à un travail de Namour 1999 (une thèse de doctorat, que nous n'avons pu nous procurer). Cet argument des seuils, glacis, radiers et autres petits barrages empêchant  l'auto-épuration des cours d'eau est assez fréquemment entendu. Il avait été opposé l'an dernier à la Commune de Semur-en-Auxois par le syndicat de rivière Sirtava et son bureau d'études Cariçaie.

Qu'en est-il au juste ?

Pour répondre à cette question, on dispose d'une référence intéressante : trois chercheurs de l'Onema et du Cemagref (aujourd'hui Irstea) ont produit en 2011 une synthèse des références disponibles sur cette question de l'auto-épuration en lien avec l'hydromorphologie (Oraison et al 2011). Leur travail s'adosse à plus de 70 références scientifiques dont la grande majorité date des années 2000. Il est donc plus complet et plus à jour que la référence choisie par l'Onema pour s'adresser au grand public.

Auto-épuration, eutrophisation : quelques rappels
L'auto-épuration désigne la capacité d'un cours d'eau à éliminer des substances nocives pour la vie aquatique. Le phénomène concerne principalement des nutriments, et notamment les molécules dérivées de l'azote et du phosphore qui sont les principaux responsables de l'eutrophisation. Cette eutrophisation s'inscrit dans le cycle normal de certains plans d'eau. Par exemple un lac totalement naturel sera initialement oligotrophe (pauvre en nutriments), avec une eau très pure et une biomasse faible. Ce lac accumule des matières organiques, qui le feront passer au stade mésotrophe, puis eutrophe. En fin de vie, il devient un marécage et se comble définitivement. (Pour une approche générale voir, outre l'article commenté, Dégrémont 1989 ou Schriver-Mazzuoli 2012).

L'eutrophisation désigne cependant le forçage artificiel et d'origine humaine du contenu en nutriments azotés et phosphorés des rivières. L'excès provient principalement de l'agriculture pour l'azote (engrais, lisier), de l'agriculture, de l'industrie et des effluents domestiques d'épuration pour le phosphore (chimie, parachimie, agro-alimentaire). Si azote, phosphore et matière organique sont indispensables à la vie (base de la chaîne trophique), leur excès induit un déséquilibre en cours d'eau et notamment un excès de végétation (prolifération algale) qui diminue l'oxygène disponible, produit parfois des toxines et nuit globalement à la biodiversité des milieux aquatiques. La charge en nutriments tend à se transporter vers l'aval, et les zones estuariennes et littorales souffrent souvent d'accumulations importantes.

On observe par exemple dans la courbe ci-contre extraite de l'étude que la biodiversité des macro-invertébrés d'un cours d'eau (ordonnées, le nombre de genres) connaît un maximum pour une certaine concentration de phosphore (entre 0,1 et 0,3 mg/l, en abcisses) : le défaut comme l'excès ne seront pas des conditions optimales.

Les trois voies
de l'auto-épuration

Comme on le sait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la nature. Une rivière peut éliminer des excès de molécules par trois voies d'auto-épuration :

- l'échange physique, qui peut être un transfert gazeux vers l'atmosphère ou un transfert solide vers le sol (sédimentation et adsorption des particules en suspension) ;

- l'échange biologique et chimique, par voie bactérienne ou végétale, aboutissant à la minéralisation des substances concernées ou à leur transformation (absorption par des racines d'arbes en berge, nitrification et dénitrification bactériennes) ;

- l'exportation, qui peut être naturelle (par exemple les émergences d'éphémères qui ont consommé des communautés bactériennes dans leur première phase de vie) ou humaine (faucardage, curage).

Les auteurs rappellent ainsi les travaux de Newbold sur le cycle de vie des molécules, ayant montré qu'en moyenne et sur un petit cours d'eau forestier, une molécule dissoute va parcourir moins de 200 mètres.

Cycles de l'azote et du phosphore
Les cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore sont assez différents. L'azote se caractérise par une phase gazeuse (di-azote atmosphérique) importante dans son cycle, que l'on peut résumer très sommairement ainsi : di-azote > ammoniaque > nitrites > nitrates > di-azote. Un moyen très efficace d'éliminer l'azote en excès des rivières est donc de le transformer en gaz, ce que font des bactéries spécialisées dans la consommation de nitrites et de nitrates (outre le di-azote gazeux, ces bactéries produisent des oxydes nitrique et nitreux). Le processus est appelé dénitrification. L'azote peut aussi être assimilé, adsorbé ou exporté.

Le phosphore en revanche ne connaît pas la phase gazeuse de l'azote, et son élimination est donc plus difficile. Il peut se minéraliser et se sédimenter en phosphates par réactions avec divers ions (fer, aluminium, calcium, etc.), mais ce processus demande des conditions complexes : une eau à la fois calme (pour ne pas transporter rapidement le phosphore) avec de l'oxygène disponible (pour nourrir l'oxydoréduction), deux conditions qui sont rarement remplies de façon simultanée (les eaux stagnantes sont plutôt hypoxiques ou anoxiques, c'est-à-dire pauvres en oxygène dissous). Pour le phosphore (et en partie pour l'azote), l'auto-épuration la plus efficace se fera au niveau des berges, des lits majeurs et des plaines inondables : les rivières y déposent une partie de leurs nutriments en excès lors des crues, et le retrait des eaux permet des processus d'infiltration, adsorption et sédimentation.

Mécanismes complexes,
résultats parfois négatifs de la restauration hydromorphologique

Qu'il s'agisse d'études de terrain ou de modèles, les chercheur de l'Onema et d'Irstea soulignent l'extrême complexité des cycles de l'azote et du phosphore, avec une grande diversité de conditions pour comprendre la capacité auto-épuratrice des rivières. Outre la charge imposée par les activités humaines en intrants, entrent en ligne de compte des facteurs aussi divers que les variations de débit, la nature du substrat, la présence et la largeur de la ripisylve, la nature de la couverture du sol et de la végétation, la forme des écoulements latéraux et longitudinaux, le climat, l'occupation anthropique des sols.

La conséquence en est que l'intervention humaine pour accroître les capacités auto-épuratrices des rivières n'a aucune garantie de résultats, d'autant qu'azote et phosphore demandent des conditions assez différentes voire antagonistes d'élimination. Federica Oraison et ses collègues observent ainsi : «L'évaluation des bénéfices apportés du point de vue des nutriments par la restauration hydromorphologique reste difficile : on observe des variations importantes des résultats obtenus positifs ou négatifs, parfois pour une même méthode. Les expériences montrent tout de même des voies d'exploration à approfondir».

Parmi ces voies, on peut citer : la triple bande en berge (zone arborée non exploitée, zone arbustive exploitée, zone herbacée) formant une zone tampon, la reconnexion des voies secondaires et plaines alluviales, la ralentissement du débit par restauration de méandres améliorant la sédimentation, le retour des arbres et végétations sur une bande rivulaire ou plus large (ripisylve) permettant un stockage direct et un apport organique. Mais ces solutions restent dans une large mesure expérimentales et, comme le rappellent les auteurs, sans garantie de résultat à ce jour.

La meilleure solution reste donc de ne pas sur-solliciter les capacités auto-épuratrices des rivières, c'est-à-dire de limiter avant tout la pollution chimique à la source. Hélas, la France est loin du compte comme en témoigne la procédure de la Commission européenne contre notre pays pour sa mauvaise application de la directive nitrates.

Seuils et barrages : des effets négatifs sur l'auto-épuration observés après arasement
Qu'en est-il des seuils et barrages? Le thème est abordé dans un court paragraphe de l'étude – ce qui ne témoigne pas vraiment du caractère central de la question pour l'auto-épuration des cours d'eau – et il se trouve que dans la seule étude de suivi citée par les auteurs (Ahearn et Dahlgren 2005), le résultat a été négatif.

L'effacement d'un seuil de 3 m formant une retenue de 13.000 m^2 a ainsi rendu la zone exportatrice de phosphore et d'azote par remobilisation des sédiments.  Federica Oraison et ses collègues sont donc obligés de conclure : «Les études post-arasement sont souvent trop récentes ou de trop courte durée pour observer un retour à un fonctionnement non influencé par les travaux». Une conclusion rejointe dans un autre travail récent de Jean-René Malavoi et Damin Salgues : «La cinétique d’épuration est modifiée sans que l’on sache réellement aujourd’hui si les conséquences sont positives ou négatives sur la qualité de l’eau.» (Malavoi et Salgues 2011).

On peut cependant observer que rien, dans le travail des chercheurs, n'indique que les seuils pourraient avoir un effet aggravant sur l'auto-épuration.

Dans le cas de l'azote, c'est même le contraire qui paraît probable au regard de la description physico-chimique et biologique de la dénitrification. Celle-ci demande des écoulements variés, des débits plutôt lents que rapides et des zones anaérobies, trois conditions qu'apportent justement les seuils, glacis et petits barrages de rivière au droit de leur retenue. Le gain est moins manifeste pour le phosphore car si le dépôt particulaire en eaux calmes est favorable, les conditions anoxiques de fond ne le sont pas pour l'oxydoréduction.

Il faut ajouter qu'une retenue de bief bien entretenue conduit à l'exportation de la rivière des nutriments lors des travaux de curage des sédiments. (Sur ce point, il est tout à fait exact que certains propriétaires d'ouvrages manquent à leur devoir d'entretien et la "reconquête des bonnes pratiques hydrauliques" aurait un effet plus directement bénéfique que certains choix de "reconquêtes des milieux aquatiques" à l'assise scientifique encore fragile et au résultats inégaux, voire contreproductifs.)

Inversement, une accélération du débit consécutive à l'arasement systématique des seuils (moindre dissipation de l'énergie cinétique dans les turbulences) formerait une condition défavorable, puisque les nutriments rejoindraient plus rapidement les fleuves et les estuaires, avec une moindre opportunité de métabolisation ou sédimentation.

En conclusion
Si l'on résume les enseignements de cette publication Onema / Cemagref permettant de répondre à la question posée en titre, à savoir le rôle des seuils dans l'auto-épuration :
• les biefs et retenues semblent jouer le rôle d'une "zone tampon" contribuer à stocker des effluents et à en éliminer certains par échanges gazeux / sédimentaires (ou extraction) ;
• leur effacement peut conduire à une aggravation de l'eutrophisation à court terme, éventuellement à long terme ;
• la vitesse d'écoulement du flot est un facteur déterminant de l'auto-épuration et son accélération par suppression des obstacles transversaux à l'écoulement aggraverait plutôt les choses ;
• les opérations de restauration hydromorphologique sont encore à ce jour très expérimentales et la littérature scientifique montre qu'elles donnent parfois des résultats négatifs sur l'auto-épuration ;
• la diminution des intrants (pollution chimique à la source) reste le principal enjeu pour les rivières.

Comme nous avons déjà pu le déplorer à plusieurs reprises (ici et ici), l'Onema tient un double discours selon qu'il s'adresse au grand public et aux décideurs d'un côté, aux chercheurs et ingénieurs de l'autre. Toute autorité en charge de l'environnement a un devoir d'information impartiale, exhaustive et pluraliste des citoyens : on observe que dans le cas de la suppression des  seuils et barrages à fin de continuité écologique, ce devoir est manifestement sacrifié à la justification purement politique de mesures précipitées.

Bien qu'il n'existe à ce jour aucune démonstration scientifique du rôle négatif des seuils dans l'auto-épuration des rivières, et même quelques indices d'un rôle positif, les syndicats de rivière reprennent souvent sur le terrain ce message qu'ils ont entendu sous sa forme simplifiée et non-argumentée. De la même manière, sur les fonds publics des Agences de l'eau et des communes, ces syndicats promettent fréquemment de renforcer l'auto-épuration de la rivière par sa restauration hydromorphologique, alors que les études de terrain comme les modèles incitent à la prudence et la modestie. Ainsi qu'au discernement et à la bonne hiérarchie des priorités dans la dépense d'argent public. (Pour un exemple parmi d'autres en Côte d'Or d'un enthousiasme auto-épurateur un peu déplacé au regard des travaux que nous venons de commenter, voir par exemple Smeaboa 2010 pour le plan Ouche, p.34).

Sur le fond, et c'est bien cela qui importe, le principal problème reste la qualité de nos rivières. La France n'est pas aujourd'hui en état de la garantir, et si l'on en croit le jugement des experts européens, elle n'est pas même en état de la mesurer correctement. Sur les masses d'eaux analysées, les pollutions chimiques restent un problème majeur, malgré les efforts consentis pour les combattre (voir par exemple le diagnostic des bassins Armançon et Haute-Seine). Les Agences de l'eau viennent d'annoncer, avec leur 10e Programme 2013-2018,  une dépense de 1,9 milliard d'euros pour la continuité écologique : au regard du retard français dans les conditions de base de qualité chimique et écologique que l'Union européenne juge prioritaires pour l'eau, cet arbitrage doit faire de toute urgence l'objet d'un débat démocratique.

Références citées
Ahearn DS, RA Dahlgren (2005), Sediment and nutrient dynamics following a low-head dam removal at Murphy Creek, California, Limnol. Oceanogr., 50, 6, 1752-1762.
Dégrémont (1989), Memento technique de l'eau.
Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition du cahier des charges pour les études de faisabilité. Compartiments hydromorphologie et hydroécologie, Onema-Cemagref.
Namour P. (1999). Auto-épuration des rejets organiques domestiques. Nature de la matière organique résiduaire et son effet en rivière, Lyon 1, Université Claude Bernard, 164
Onema (2010), Pourquoi rétablir la continuité écologique ?, Journées d'information du 5 mai 2010.
Oraison F, Y Souchon, K Van Loy (2011), Restaurer l'hydromorphologie des cours d'eau et mieux maîtriser les nutriments : une voie commune ?, Onema-Cemagref.
Schriver-Mazzuoli L (2012), La gestion durable de l'eau, Dunod.
Smeaboa (2010), SAGE et contrat de rivière de la vallée de l'Ouche, Diagnostic.

21/12/2012

Onema: poursuite des échanges

M. Jean-Michel Zammite (délégué interrégional Onema Bourgogne Franche-Comté) a répondu à notre courrier du 10 décembre 2012. Nous l'en remercions, quoique nous regrettions de ne pouvoir communiquer avec l'Office que par de tels échanges de lettres recommandées. Notre réponse est publique, parce que d'une manière ou d'une autre, il faudra dans les prochains mois que les acteurs de l'eau – Onema, DDT, Agence de l'eau ou syndicat de rivière – assument leurs arbitrages actuels dans le débat démocratique, et non dans la confidence de décisions lointaines.

Des données difficiles d'accès et peu lisibles
M. Zammite nous fait savoir que l'Onema n'est en charge « que des données piscicoles », et à terme seulement des « données hydromorphologiques ». Il nous a par ailleurs indiqué le site où l'on pouvait consulter les données des relevés piscicoles. Nous lui en sommes gré et nous ne manquerons d'en analyser le contenu. M. Zammite nous informe que les services des Agences de l'eau pertinentes pour la Côte d'Or (trois bassins hydrographiques différents) sont les interlocuteurs pour nos demandes complémentaires. Dont acte – M. Bastien Pellet (Agende de l'eau Seine-Normandie) nous avait déjà orienté vers le site du réseau de surveillance, qui hélas n'a pas répondu à notre requête, les fiches de contenu du réseau n'étant pas accessibles (par exemple, voici ce que donne Nod-sur-Seine, URL Not Found).  Nous reformulerons donc la demande à l'Agence jusqu'à obtenir une réponse claire.

Nous nous étonnons cependant que l'Onema ne dispose pas de l'ensemble des données sur les rivières puisque sur son site, l'Office a mis en avant dès 2009 son rôle de coordinateur national du SIE (système d'information sur l'eau), en charge notamment de l'interopérabilité des données, des référentiels et des méthodologies. Il faut croire que 3 ans après cette annonce, les données ne sont toujours pas coordonnées au point qu'il soit aisé de les transmettre.

Si la publication des données en ligne est bienvenue, nous ne pouvons que déplorer l'extrême fragmentation et complexité de leur accès  : aujourd'hui, aucun citoyen ne peut raisonnablement s'informer sur l'ensemble des mesures faites sur sa rivière, qui paraissent dispersées au gré de divers répertoires (voir notre article sur le problème). Les Agences de l'eau ayant choisi un découpage en masses d'eau et ce découpage intéressant au premier chef les riverains de chacune d'entre elles, il serait infiniment plus transparent et accessible de centraliser les informations disponibles selon ce critère. Et d'assortir chaque masse d'eau d'une fiche de synthèse et explication des mesures réalisées. Cela permettrait une meilleure compréhension des facteurs de qualité ou de dégradation de l'eau – et l'absence éventuelle de mesures serait à elle seule une information utile sur notre niveau réel de connaissance des milieux aquatiques.

La connectivité écologique n'est qu'une condition
parmi beaucoup d'autres du bon état écologique

En l'état des justifications avancées pour le classement des cours d'eau de Seine-Normandie, force est de constater que nous ne disposons pas de l'ensemble des données (jugées indispensables par l'Union européenne) pour statuer sur l'état écologique des rivières et les dispositions les plus urgentes de nature à améliorer cet état. Il existe un déficit apparent de connaissance, que l'Onema reconnaît d'ailleurs au gré de publications ou de colloques assez confidentiels (voir ici ou ici), en contraste avec sa communication grand public où les incertitudes sur les connaissances des milieux aquatiques ne sont guère mises en avant.

Sur les bassins de notre région dépendant de Seine-Normandie (Haute Seine, Armançon, Serein, Cure, soit Seine Amont et Yonne Amont), il est inexact de laisser entendre aux citoyens et aux élus que la simple gestion des obstacles à l'écoulement permettrait d'atteindre le « bon état écologique » en 2015, ou en 2021. Pour prétendre à ce bon état écologique, il faut encore que les administrations de l'eau affichent des mesures correctes et cohérentes entre elles sur de nombreux paramètres : HAP, métaux, dérivés azotés, dérivés phosphorés, phytosanitaires, pH, oxygène, carbone, berges, ripisylves, hydrologie (écoulement, granulométrie, etc.), indices biologiques de qualité (macrobenthique, macrophyte, diatomée, poisson), etc.

Tant que ces données ne sont pas intégralement rendues publiques sur chaque masse d'eau, il existera une légitime suspicion sur leur inexistence même. Le problème n'est pas l'absence d'action, puisqu'on observe dans les SAGE ou les SDAGE qu'elles sont fort nombreuses. C'est la justification,  la cohérence et l'efficacité de ces actions qui doivent être exposées de manière plus transparente, étant donné le coût des politiques publiques de l'eau et leur financement par l'impôt.

Urgente nécessité d'un débat démocratique sur l'eau en Côte d'Or
Pour le seul domaine des obstacles à l'écoulement, il faudra également que les administrations de l'eau expliquent publiquement les raisons pour lesquelles les principaux « points noirs » de la circulation piscicole et du transit sédimentaire semblent sélectivement épargnés par l'obligation d'aménagement immédiat découlant du nouveau classement des rivières de Seine-Normandie : barrages de Pont, Grosbois-en-Montagne, Cercey (VNF), Pannecière (Seine Grands Lacs), Chaumeçon ou Crescent (EDF), etc. Selon notre analyse, aucun de ces obstacles massifs ne sera concerné par un aménagement, contrairement aux nombreux seuils et petits barrages des communes ou des particuliers

Si l'Etat n'aménage ni n'efface les ouvrages hydrauliques dont il est à divers titres le propriétaire, alors même que la hauteur de ces ouvrages représente des obstacles majeurs en dévalaison ou montaison piscicole, et alors même qu'il existe des solutions techniques de franchissement pour ces ouvrages (décrites depuis longtemps par les experts de l'Onema), ce même Etat peinera de toute évidence à faire partager sa (bonne) foi dans l'urgence des réformes qu'il promeut.

Ces problèmes ne sont pas seulement techniques, ils sont avant tout démocratiques. Aucune décision n'est légitime si elle n'est précédée d'une information complète et accompagnée d'une concertation approfondie. Les parlementaires ayant voté la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 n'ont certainement pas voté en toute connaissance de cause l'effacement programmé du patrimoine hydraulique français et de son potentiel énergétique. Idem pour les élus qui participent aux commissions locales de l'eau ou aux comités de bassin. Or les arbitrages actuels des Agences de l'eau, de l'Onema et de certains syndicats de rivière conduisent à cette issue, sans garantie qu'il en résulte un bon état écologique au sens que l'Europe a donné à ce terme.

Pour combler ce déficit démocratique manifeste, Hydrauxois en coordination avec d'autres associations de notre département lancera en 2013 un débat citoyen sur les priorités et les modalités de l'action publique dans le domaine de l'eau. Ce sera l'occasion de faire la lumière sur toutes ces questions. Et nous ne doutons pas que l'Onema participera de bon coeur à ce débat.