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22/10/2018

Altérer des berges et détruire des barrages naturels d'embâcles au nom de la pêche: pourquoi l'AFB-Onema ne s'en émeut pas?

Sur l'Odon en Normandie, les pêcheurs reprofilent la rivière et sa berge avec comme objectif principal d'optimiser la reproduction de leur proie préférée, la truite. Couper la végétation des rives, supprimer les petits seuils naturels d'embâcles (malgré leur intérêt pour la biodiversité): tout semble justifié pour cette finalité halieutique. Mais alors… pourquoi les services de l'Etat, en particulier l'AFB-Onema, tiennent-ils un double langage, affirmant aux uns que la rivière doit être laissée à elle-même dans ses processus spontanés supposément favorables à la vie, soutenant les autres quand ils configurent cette rivière et ses berges pour leur loisir centré sur quelques espèces favorites? Nicolas Hulot se plaignait de l'influence des lobbies: au ministère de l'écologie et dans ses services déconcentrés, celui de la pêche comme celui de la chasse ont portes ouvertes pour défendre et promouvoir leur vision très particulière des milieux naturels. 



Un article paru dans La Voix Le Bocage nous parle de l'action des pêcheurs de truites sur la rivière Odon, affluent de l'Orne en Normandie.
"Le travail des pêcheurs consistait en deux points principaux : entretenir la ripisylve et les radiers. La ripisylve est la végétation qui borde le cours d’eau.
"En entretenant la ripisylve, nous éclaircissons le cours d’eau pour que la lumière pénètre sur la rivière. C’est nécessaire pour le développement des plantes, des insectes et des poissons", précise le président Michel Delaunay.
Le second travail consiste à éclaircir les radiers, qui sont les zones de reproduction des truites.
Le radier est une zone où il y a très peu d’eau, avec de 0,5 à 3 cm de graviers. L’eau y est plus chaude, ce qui permet une meilleure reproduction des truites, qui viennent y pondre de novembre à avril.
Les pêcheurs ont également constaté beaucoup d’embâcles, notamment sur le Roucamps. Ces tas de branches qui forment des barrages doivent être supprimés pour rétablir la continuité écologique."
Ce cas n'est pas isolé : on voit souvent des reportages de presse sur les pêcheurs qui "entretiennent"  la rivière en pensant essentiellement à l'usage qu'ils en font.

Or cet entretien consiste ici à couper de la végétation spontanée en berge et à orienter les choix de gestion de la diversité sur les seules frayères à truites.

L'Agence française pour la biodiversité (AFB), anciennement Onema et plus anciennement... Conseil supérieur de la pêche, ne trouve manifestement rien à redire à de telles actions, qui sont autorisées. Ce n'est pas très surprenant : le personnel de l'AFB a été surtout formé pour des enjeux halieutiques, confondant trop souvent la pêche avec l'écologie (comme d'autres à l'ONCFS confondent trop souvent la chasse avec l'écologie). Cette agence montre un biais manifeste en faveur de certains poissons, et tout particulièrement des salmonidés, qui se trouvent être très appréciés des pêcheurs. De même, cette Agence a manifesté une véritable obsession pour la continuité écologique depuis 2006, très décalée de la littérature scientifique internationale (qui en fait un thème parmi d'autres) : pas étonnant que les agents de l'AFB en soient à faire disparaître de petits barrages d'embâcles, y compris ceux qui ne présentent pas de danger pour la sécurité des biens et personnes, et qui sont pourtant considérés comme bénéfiques à la biodiversité locale. Quand on sait que l'administration traque parfois des "obstacles" de 10 cm sur les rivières, plus rien ne nous surprend...

En Normandie, la collusion entre les milieux pêche et les milieux administratifs au service de rivières optimisées pour des migrateurs à intérêt halieutique est ancienne et manifeste, de l'avis de toutes nos consoeurs associatives travaillant sur ces bassins.

En soi, la pêche est un usage de la rivière comme un autre. Certains le contestent aujourd'hui au nom du respect des animaux et de l'évitement de leur souffrance, mais dans l'ensemble, il existe une attente sociale pour ce loisir.

Mais un usage reste un usage. L'Etat perd sa crédibilité et sa légitimité s'il tient un double discours :

  • aux moulins et étangs, il affirme qu'il faut "renaturer" la rivière en faisant idéalement disparaître toute action humaine modifiant sa morphologie, sa température, son écoulement;
  • aux pêcheurs de truite, il donne carte blanche pour changer la végétation de berge et les écoulements locaux à seule fin d'avoir davantage de frayère pour une seule espèce, au mépris du reste de la diversité et du fonctionnement spontané du cours d'eau;
  • et dans l'ensemble, les actions visant à caractériser ou traiter l'effet des ouvrages sur des poissons spécialisés sont très nombreuses, celles qui étudient les impacts des pollutions ou les impacts de la pêche le sont bien moins. 

Double langage, double standard : cela doit cesser. Mieux vaudrait reconnaître les multiples usages de la rivière, cesser de faire une pseudo écologie à géométrie variable selon le poids des lobbies dans les comités de bassin et les ministères, avoir une base de connaissances à  hauteur de ce qu'on attend d'une grande agence publique de l'environnement, une agence qui ne soit pas engagée dans des croisades sur des visions singulières et non consensuelles de la nature.

A lire sur le même sujet
Touques: comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique 

08/03/2018

Le parc Champagne-Bourgogne, l'obstacle à l'écoulement et la truite arc-en-ciel

Le parc des forêts de Champagne et Bourgogne est un futur parc national français en cours de concertation. La prochaine assemblée générale, qui risque de se tenir dans un climat tendu, propose d'adopter la charte du Parc. Ce texte a valeur contraignante, donc ses dispositions nombreuses soulèvent des débats. Nous commentons ici la mesure sur la naturalité et la fonctionnalité des cours d'eau, d'où il ressort qu'il faut avant toutes choses traquer et effacer chaque obstacle à l'écoulement, mais que déverser des truites arc-en-ciel ne pose pas de problème majeur à la bien étrange "naturalité"


L'objectif 6 de la charte vise à "garantir le bon fonctionnement des écosystèmes et l’expression de la biodiversité", et sa mesure n°3 à "renforcer la naturalité et la fonctionnalité des cours d’eau". Cliquer sur l'image ci-dessus pour lire ce texte.

Que peut-on y lire?
"La qualité des cours d’eau des têtes de bassin versant, qui repose notamment sur leurs eaux courantes, fraîches et bien oxygénées, est recherchée avec les signataires de la charte."
Cet incipit ressemble à une image de carte postale. Une rivière de tête de bassin versant boisé livrée à sa naturalité serait bien souvent une succession d'embâcles et de barrages de castors avec des alternances d'eaux courantes et stagnantes, des bras temporaires, des changements de lit, etc. L'image ci-dessous (DR) donne une idée de ce type de rivière, dont le cours tout à fait naturel mais peu prévisible n'est d'ailleurs pas sans provoquer des soucis aux propriétaires des rives.


"Le rétablissement de la continuité écologique aquatique de tous les cours d’eau du cœur, quel que soit leur classement, est accompagné sur la base de démarches concertées et d’études analysant l’ensemble des enjeux (naturels, paysagers, culturels et économiques) afin de mettre en œuvre des solutions exemplaires. Il tient compte notamment de la présence d’un important patrimoine bâti en bordure des cours d’eau et d’aménagements parfois à forte valeur sociétale/sociale, historique ou architecturale qu’il contribue à mieux connaître."
Ce texte montre des avancées dans la perception et la prise en compte des ouvrages anciens. Mais après 10 ans de conflit sur la continuité écologique, le projet du Parc ne retient pas la leçon et n'arrive pas à énoncer la phrase claire qui aurait débloqué les choses, à savoir que la protection du patrimoine hydraulique bâti des moulins et étangs, incluant les retenues et les biefs, est la solution de première intention. Au lieu de cela, nous avons le jargon technocratique des "solutions exemplaires" dont les propriétaires et riverains ont appris depuis 10 ans la signification exacte : soit vous effacez, soit vous payez de votre poche les centaines de milliers d'euros de "l'exemplarité". Vu que la charte considère les buses et gués comme des problèmes graves, on se doute que des chaussées, digues et barrages n'auront pas des arbitrages favorables.
"Pour garantir la naturalité des cours d’eau en cœur, la charte encadre les opérations de repeuplement de poisson. Seul le déversement de truite arc-en-ciel est possible sans autorisation préalable dans certains secteurs identifiés."
La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) est une espèce nord-américaine, acclimatée en Europe à fin de loisir par les adeptes de la pêche sportive. Le manuel de référence de Bruslé et Quignard 2013 nous dit qu'"introduite dans 97 pays, elle peut être considérée comme invasive et, suite à un impact, menacer la survie des populations naturelles de truites et de saumons" (Biologie des poissons d'eau douce européens, p. 111). La truite arc-en-ciel n'a pas beaucoup d'intérêt en rivière, à part procurer au pêcheur du dimanche la satisfaction de son quota de prédation. Qu'une charte visant la naturalité prévoit la possibilité de son déversement dans les eaux du coeur de parc de Champagne et Bourgogne indique l'efficacité du lobby pêche et la complaisance laxiste de l'AFB ex Onema dès que ces intérêts halieutiques sont en jeu.

Conclusion : dans le domaine aquatique, le projet de Parc illustre surtout les idées dans l'air du temps et les contradictions qu'elles affrontent pour devenir une politique écologique de territoire. Il est peu pédagogique de véhiculer des illusions de "naturalité" alors que l'on a seulement ici une certaine vison de la nature. Les seules options conformes à cette idée sous-jacente de "naturalité comme nature sans l'homme" seraient les choix d'interdiction totale de présence humaine et de non-intervention, comme cela peut se pratiquer dans les parcs de certains pays. Mais c'est peu envisageable dans les zones densément et anciennement peuplées comme l''Europe. Sinon, on a un mode de gestion de la nature conforme au goût et à l'intérêt de certains acteurs. Pourquoi pas, mais autant le dire.

18/05/2016

Embâcles et bois morts: faut-il toujours les retirer?

Retirer les embâcles de la rivière figure de très longue date parmi les obligations du riverain. Ces amas de bois morts modifient l'érosion et le régime des inondations, pouvant occasionner des risques pour les biens et personnes. Pourtant, du point de vue écologique, on reconnaît des vertus aux embâcles et certains projets de gestion de rivière prévoient même l'ajout volontaire de débris ligneux. Un point sur la question.

On appelle embâcle des amas de débris ligneux et bois morts qui se forment sur les rivières. Les branches et parfois les troncs tombent dans la rivière suite à une mortalité naturelle ou à certains épisodes météorologiques. Les embâcles de grande taille ont un poids qui excède la capacité d'entraînement du courant et restent sur place. Les débris de plus petite taille sont emportés par le flot mais tendent à se bloquer dans certaines zones : rochers émergents, seuils naturels, chaussées ou barrages, écluses, ponts, etc.


La position longtemps dominante de l'administration et du gestionnaire a consisté à exiger un retrait de tous les embâcles en rivière. En France, l'article L 214-14 du Code de l'environnement continue de présenter l'"enlèvement des embâcles" comme une obligation du riverain des cours d'eau non domaniaux, avec désormais des motivations environnementales pas toujours très lisibles  :
"le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives."
Comme nous allons le voir, ces injonctions sont devenues quelque peu contradictoires, car le déséquilibre local créé par les embâcles fait partie de l'écoulement normal d'une rivière (de même que des bancs d'atterrissement). Par son empressement à ajouter de "l'écologique" dans un maximum de textes, le législateur manque parfois de précision ou de cohérence.

Pourquoi tend-on à retirer les embâcles?
La motivation à retirer des embâcles peut venir de l'aspect esthétique et paysager : certains riverains n'aiment pas l'impression de "négligé" des amas anarchiques de branches et demandent aux syndicats de les retirer. Elle peut aussi être liée aux besoins de certains usagers. Par exemple, les moulins et usines hydro-électriques risquent de voir les biefs, les prises d'eau de conduite ou les grilles de chambre d'eau obstrués de bois mort, ce qui crée des pertes de charge et d'exploitation. Dans ce cas précis, les embâcles sur un seuil ou un barrage peuvent aussi élever la lame d'eau au-dessus du niveau légal autorisé, ce qui est interdit. Enfin, en milieu urbain, le ruissellement sur sols artificialisés augmente les risques liés aux crues, et il est indispensable pour la sécurité que tous les exutoires soient non encombrés pour permettre la bonne évacuation des eaux.

Au-delà de ces cas particuliers, la perturbation des embâcles pose deux types de problème hydraulique : l'inondation et l'érosion.

L'inondation tient au fait que les embâcles, s'ils barrent totalement le lit des petits cours d'eau, vont avoir pour effet d'augmenter la hauteur d'eau à l'amont. Il peut alors y avoir débordement des berges et déversement dans les propriétés riveraines, qui font office de champ d'expansion de la rivière, particulièrement en crue. On notera que l'augmentation du risque à l'amont diminue le risque à l'aval, car les embâcles limitent le débit de pointe et lamine la crue. Le même type de problème est posé par les barrages de castors dans les zones colonisées par cette espèce.

L'érosion dépend de la géométrie locale des embâcles. Quand ceux-ci ne bloquent que partiellement le cours d'eau, la section restant libre voit une accélération du flot (effet Venturi). Si l'embâcle dirige ce flot accéléré vers une berge (ou une construction comme une pile de pont), il augmente l'érosion et peut donc dégrader le foncier ou le bâti.

Des intérêts écologiques avérés
Malgré ces problèmes, la représentation des embâcles a changé au cours des dernières décennies. On a même vu parfois des gestionnaires recharger artificiellement des rivières en débris ligneux. La raison en est que les embâcles présentent des intérêts écologiques :

  • en modifiant localement la vitesse, la hauteur et la granulométrie, les embâcles créent une mosaïque de micro-habitats dans les petites rivières; 
  • dans les cours d'eau aval, les embâcles peuvent faire émerger des habitats plus importants (mésoformes) comme des bras, des tresses ou des îles, dont l'intérêt pour la biodiversité est établi;
  • les zones calmes à l'amont des embâcles servent d'abri ou de refuge (repos lors de migration piscicole notamment), et les mouilles assez profondes en été peuvent avoir un intérêt thermique et hydrologique à l'étiage;
  • les débris ligneux et bois pourris alimentent une faune spécialisée d'invertébrés.

On notera au passage que certains avantages écologiques liés aux obstacles formés par les embâcles sont aussi valables pour des petits seuils de moulins et leur bief dérivé.

Comme souvent sur les questions d'eau et de milieux aquatiques, il est donc difficile d'édicter des règles homogènes. La ligne de partage semble ici définie par le risque de dommage sur les personnes et les biens : si ce risque est avéré, la gestion des embâcles doit éviter la perturbation locale de l'écoulement, surtout en crue. S'il n'y a pas d'enjeux de riveraineté (friches, vallées encaissées et non peuplées), laisser tout ou partie des embâcles à la rivière paraît préférable. En prenant tout de même garde au fait qu'une forte crue tendra à emporter les flottants laissés dans le lit, et représentera donc une charge solide conséquente à gérer vers l'aval. Enfin, l'avis des riverains est un paramètre à prendre en compte : le cours d'eau répond à des attentes sociales, pas seulement à des impératifs écologiques.

Lectures : Piégeay H et al (2005), Les risques liés aux embâcles de bois dans les cours d’eau : état des connaissances et principes de gestion, TEC&DOC et Lavoisier in Bois mort et à cavité, une clé pour des forêts vivantes, oct 2004, Chambéry, France. pp.193-202 ; Maridet L et al (1996), L'embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique ? un facteur de risques naturels ?, Houille Blanche, 96 5., 32-37

Illustrations : embâcles encastrés sur une pile de pont (Kenneth Allen CC BY SA 2.0), déposés en berge (Franzfoto CC BY SA 3.0), dans le lit d'une rivière du Morvan (Hydrauxois).