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10/11/2023

Cinq scientifiques défendent le rôle bénéfique des petites retenues d'eau et appellent à le reconnaître

En France, et en Europe, une politique publique a valorisé l'assèchement des petites retenues d'eau au nom de la continuité en long: des milliers de réservoirs et biefs associés à des moulins et étangs anciens ont déjà été détruits. Une collectif pluridisciplinaire de scientifiques souligne les limites et carences de ce choix à l'heure où la gestion et régulation de l'eau comme la préservation de milieux pour la biodiversité aquatique sont un enjeu critique.




Préservation de la ressource en eau, protection des zones humides et de la biodiversité :  le rôle des petites retenues d’eau en France 
 
Avis de scientifiques français - octobre 2023 
 
Introduction

Ces 10 à 15 dernières années plusieurs milliers de retenues d’eau ont été détruites en France dans le cadre de la politique de « restauration de la continuité écologique ». Ces retenues sont des petits seuils de moulins et certaines digues d’étangs, installés en grand nombre et de longue date sur notre territoire. 
 
Cette politique a fait l’objet du vote d’un article 49 dans le cadre de la loi « climat résilience face aux effets du dérèglement climatique » visant à proscrire cette pratique en raison de ces conséquences préjudiciables à nos ressources en eaux et aux milieux naturels. 
 
Si l’édification d’importants barrages dès le XIXème siècle en France a provoqué la disparition documentée du saumon, tel n’est pas le cas de ces petits barrages traditionnels qui apparaissent aujourd’hui indispensables à la préservation des eaux et au maintien d’habitats aquatiques propres à la vie en particulier lors des périodes subissant des sécheresses, lesquelles ont tendance à s’accentuer depuis quelques années. 
 
Les éléments décrits ci-après que nous avons voulu le plus synthétique possible reposent sur nos propres travaux, direction de thèses, rédaction d’ouvrages incluant la relecture de plusieurs centaines d’études scientifiques françaises et internationales consacrées aux eaux, aux rivières et à leur aménagement. 
 
1- Un climat à la saisonnalité accrue : crues hivernales, assecs estivaux 

La pluviométrie sur le territoire français est globalement stable mais irrégulière à l’échelle interannuelle et en fonction des régions. Les précipitations hivernales sont étalées sur une saison « froide » plus courte alors qu’augmente la durée de la sécheresse de saison chaude.  
 
La sécheresse caractérise les sols, les nappes souterraines et les écoulements de surface ; l’été 2023 a montré que, dans le Sud-Est de la France, des précipitations orageuses localement supérieures à 50 et même à 100 mm sont incapables de recharger les nappes en raison de la sècheresse des sols et de de la consommation des eaux par le couvert de la végétation et son système racinaire.  
 
Il s’ensuit que le débit des sources n’augmente pas, même après de fortes pluies et que le débit des rivières demeure pendant de longs mois celui de l’étiage.  

En d’autres termes, la recharge des nappes et l’augmentation des débits fluviaux sont limités dans l’espace et éphémères. La traditionnelle saison de recharge de saison froide reste efficace mais sa durée se réduit. Sur les cours d’eau, en particulier en tête de bassin, l’écart entre le débit journalier le plus faible (fin août) et le plus important (mi-janvier) est fréquemment de 1 à 20 voire de 1 à 100. Aux forts débits hivernaux succèdent parfois des assecs estivaux quand le niveau de l’eau a été abaissé par des travaux d’arasement de seuils.  
 
Dans cette perspective, la présence de milliers de petites retenues qui ont la fonction de stocker d’importants volumes d’eau dans les rivières mais plus encore dans la nappe alluviale vont nous faire gravement défaut en période de réchauffement climatique. Ces petits ouvrages, en ralentissant la vitesse des eaux et en favorisant les débordements réguliers dans le lit majeur, jouent le rôle d’atténuateur de crues et favorisent la recharge hivernale des nappes alluviales connues pour restituer une partie de leurs eaux fraîches en période estivale. Notons que dans les régions de basse altitude au substrat imperméable, la seule possibilité de conserver l’eau durant la période déficitaire a toujours été la création de petites retenues, ceci étant attesté depuis plus de 10 siècles, quel que soit le lieu en Europe. 
 
Ce constat a de longue date été pris en compte sur la façade méditerranéenne de la France. Les retenues sont officiellement préservées sur un fleuve côtier, le Vidourle. Une étude recommandant la protection des retenues (Bernot et al., 1996) est toujours d’actualité car ces retenues tiennent la nappe, sont des refuges pour la faune et préservent la ripisylve. Au printemps 2023, un autre fleuve côtier, l’Hérault n’avait pas eu de crue d’hiver et la faune résistait grâce aux seules retenues. Dans la péninsule ibérique, l’assèchement des cours d’eau est si grave que des modèles prédisent la contraction de l’aire couverte par diverses espèces de moule d’eau douce. Des études scientifiques menées à l’échelle de l’Europe ont montré la gravité de la sécheresse chronique qui rend des cours d’eau éphémères ou intermittents alors qu’ils avaient de l’eau en permanence ; une partie de la faune souffre, s’appauvrit et est menacée d’extinction par l’effet du manque d’eau. Le problème est une préoccupation européenne. 
 
Dans ce contexte, stocker les eaux par l’intermédiaire de petites retenues artificielles devrait être une priorité des gestionnaires. Les scientifiques devraient être sollicités pour améliorer la connaissance actuelle portant sur le rôle positif des petites retenues fluviales et notamment la protection contre l’intermittence des eaux lors des sècheresses. La science évolue, s’adapte à de nouvelles réalités et la gestion doit faire de même. 
 
 
2- Des cours d’eau européens fragmentés pendant des millions d’années par des embâcles et des barrages de castors  

Le cours des rivières naturelles ou « sauvages », était autrefois fait de chenaux plus ou moins anastomosés délimitant entre eux de nombreux îlots. Dans les rivières de plaines la cote du fil de l’eau était proche de la surface de la plaine inondable. Le lit était encombré d’obstacles constitués d’embâcles causés par des chutes d’arbres mais également, fait notable, d’innombrables barrages de castors en particulier sur les têtes de bassin. 
 
Ces derniers ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques outre-Atlantique mais également en Europe à la suite de sa réintroduction (notamment de l’Université d’Exeter en Angleterre). Ils ont des effets positifs à très positifs à la fois sur la recharge des nappes, sur l’atténuation des crues « éclairs », sur la qualité de l’eau mais également sur la biodiversité aquatique ainsi que sur les écosystèmes associés (insectes, batraciens, mammifères, oiseaux). Ils permettent en particulier lors des saisons sèches, de conserver des volumes d’eau importants dans les rivières et dans les nappes superficielles (nappes alluviales).  
 
La fragmentation par de petits barrages (nous insistons sur la taille de ces obstacles) anciennement de castors, puis de moulins ou d’étangs est donc une constante de l’histoire des rivières de l’hémisphère nord, largement profitable aux milieux aquatiques, qui répondent à la saisonnalité marquée des pluies et des débits.  
 
3- Le cas français 

La politique de continuité écologique des cours d’eau en France, qui s’est manifestée par des campagnes d’arasement de ces petits barrages anciens s’est traduite par une baisse sensible du niveau d’eau à l’amont des ouvrages concernés. Les effets de ces travaux, combinés à ceux des surcreusements opérés en période de crue en raison de l’accroissement de la force érosive ont conduit à sensiblement abaisser le fil de l’eau et consécutivement le niveau de la nappe alluviale (de 1 à 2 m).  
 
A l’occasion de la nouvelle sècheresse qu’a connue la France en 2022, de nombreux articles de presse ont relaté que des rivières sur lesquelles ont été détruites ces retenues anciennes, ont connu des situations d’assec partiel, voire complet, entrainant avec elles la disparition des milieux aquatiques. Là où elles ont été conservées, la biodiversité aquatique a pu trouver refuge sur les linéaires d’eau préservés par ces retenues. 
 
4-  La continuité hydraulique au service des continuités longitudinales et latérales : le rôle clé de la cote du fil de l’eau  

Le rôle des nappes alluviales, ou nappes d’accompagnement, a de tout temps été primordial dans le maintien du débit des rivières de plaines. Ainsi que l’a modélisé Henry Darcy en 1850, la recherche permanente d’un équilibre piézométrique, calé sur la cote du fil de l’eau, est une caractéristique dominante des relations entre nappes et rivières. En raison de la faible vitesse de circulation de l’eau dans les sédiments cet équilibre ne peut s’opérer que si la nappe alluviale est correctement rechargée chaque hiver par débordement des eaux de la rivière.  
 
En période d’étiage, les eaux de la nappe alluviale s’écoulent vers la rivière et viennent en complément des apports de la nappe de versant. La nappe d’accompagnement, en restituant à la rivière et à la nappe sous-jacente une partie de l’eau emmagasinée lors des pluies d’automne et d’hiver, joue donc un rôle majeur dans le soutien du débit de la rivière même en l’absence de pluie pendant plusieurs semaines et favorise ainsi la continuité hydraulique.  
 
Une baisse du niveau d’eau dans la rivière de 1 mètre, à raison d’une porosité des sédiments de 25%, provoquera au bout de quelques années une perte de l’ordre de 250 000 m3 d’eau par km2 de plaine alluviale.  
 
Rétablir la continuité longitudinale en détruisant un seuil a pour effet immédiat d’abaisser le niveau d’eau du cours principal et de vidanger progressivement la nappe alluviale. Cette baisse du niveau de l’eau et de la nappe met ainsi en péril la continuité latérale par assèchement progressif des annexes hydrauliques (fossés, biefs) ainsi que des zones humides connexes. 
 
En outre, ces destructions aggravent, voire provoquent, des situations d’assecs lors des épisodes à forts déficits pluviométriques et mettent bien souvent en cause la continuité longitudinale sur des tronçons de rivières qui n’avaient jusqu’alors jamais connu de telles situations. 
 
Ainsi la présence de petites retenues le long des cours d’eau de l’hémisphère nord favorise la continuité hydraulique (permanence des eaux dans la rivière), la continuité latérale et la continuité longitudinale. 
 
Chaque année, en février, sont célébrées les zones humides partout en Europe. A cette occasion, il est important de pointer du doigt toutes les actions concourant à la baisse du niveau de la nappe alluviale dont les conséquences seront néfastes pour les zones humides de bordure, la biodiversité et la ressource en eau. 
 
5- Qualité de l’eau et retenues d’eau 

L’unanimité des études scientifiques françaises et internationales mettent en exergue le processus de dénitrification qui se produit dans les eaux fluviales ralenties et d’autre part dans la nappe alluviale grâce à la végétation riveraine. Dans ce dernier cas tout abaissement de la nappe a des répercussions négatives sur les prélèvements de nitrates assurés par cette végétation. 
 
Le ralentissement de l’écoulement des eaux dans les rivières en raison de la présence de petits seuils, joue à cet égard un rôle de dépollution, processus que ne permettent pas les eaux «vives».  

Dès lors, la destruction des petites retenues traditionnelles apparaît comme un facteur dégradant de la qualité des eaux. 

 Cette évolution est sensible aujourd’hui du fait du réchauffement climatique et des modifications du cycle de l’eau au détriment de l’écoulement de surface. La modélisation du changement climatique à terme renforce l’inquiétude des scientifiques à ce sujet. 
 
Conclusion 
 
La préservation des petites retenues d’eau aménagées de longue date sur nos bassins apparait primordiale et leur destruction nous privera des effets positifs escomptés, comme nous le constatons en France. 
 
Les petits barrages d’autrefois, grâce au maintien d’une cote élevée de l’eau, ont permis à la nappe alluviale d’assurer en saison sèche des débits minimums nécessaires à la vie aquatique tout en préservant des zones humides. 
 
S’agissant des poissons migrateurs, faute de pouvoir détruire les barrages plus récents et plus importants qui coupent l’accès à leurs frayères traditionnelles, il convient de faire en sorte que toutes les retenues dépassant les capacités de nage et de saut de ces espèces soient équipées de dispositifs de franchissement adéquats et avant cela que les zones de frayères potentielles soient suffisamment bien identifiées. 
 
Par ailleurs, lors des périodes de sècheresse prolongée, telles que celles que nous connaissons chaque été depuis 5 à 6 ans, les retenues d’eau sont souvent les seuls points d'eau accessibles à de nombreuses espèces terrestres. Elles jouent donc également un rôle important pour la préservation de la faune terrestre et pas seulement aquatique. 
 
Est-il préférable pour la biodiversité d’avoir des rivières à sec plutôt que des rivières permettant à la flore et à la faune d’y trouver temporairement refuge dans des secteurs plus profonds ? Pour une gestion optimale de l’eau ne faut-il pas tout faire pour maintenir l’eau dans les rivières et les nappes superficielles plutôt que de l’évacuer rapidement vers la mer ? 
 
Nous, hydrobiologistes, limnologues, géologues, géographes devons informer les différents acteurs agissant dans le domaine de l’eau que la politique d’effacement des petits ouvrages hydrauliques met immanquablement en péril la préservation de nos réserves d’eau douce, la sauvegarde des milieux humides ainsi que la biodiversité associée. 
 
Pascal Bartout géographe (limnologue), Jean-Paul Bravard (géographe), Christian Lévêque (hydrobiologiste), Pierre Potherat (géologue), Laurent Touchart (géographe, limnologue)

Texte diffusé par la FFAM



16/09/2023

La notion de "limite planétaire" de l'eau douce a-t-elle un sens?

Une étude récemment parue et fort commentée affirme que l'humanité aurait dépassé la "limite planétaire" de l'eau douce. Voilà qui soulève stupeur et frayeur. Mais qu'en est-il vraiment? L'analyse de la publication concernée montre que le calcul choisi est pour le moins étrange : les scientifiques y considèrent simplement qu'un écart de 10% des écoulements (en excès ou en défaut) par rapport à l'époque pré-industrielle formerait une "limite". Nous suggérons ici que ce choix méthodologique (contesté par d'autres chercheurs) n'a guère de sens, une déviation de la situation passée du Holocène n'étant pas assimilable en soi à une limite, ni même forcément à un danger. Cette approche facile à médiatiser mais difficile à justifier n'offre de surcroît aucun intérêt pour les enjeux concrets de gestion de l'eau douce : l'agrégat planétaire théorique est un artefact statistique découplé des réalités physiques et socio-économiques du cycle de l'eau.


Les médias ont parlé ces derniers temps du travail de Katherine Richardson et de ses collègues, qui aurait montré que l'humanité a franchi la "limite planétaire" de l'eau douce. Cette assertion pour le moins étonnante et inquiétante nous a conduit à examiner comme les chercheurs avaient calculé une telle limite.

Nous reproduisons ci-dessous l'extrait complet de l'article concerné sur l'eau douce (eau bleue des rivières et des nappes, eau verte du sol), résumant la méthode et la conclusion : 

"Afin de refléter de manière exhaustive les modifications anthropiques des fonctions de l’eau douce dans le système terrestre, cette limite est révisée pour prendre en compte les changements sur l’ensemble du cycle de l’eau sur terre. Nous utilisons ici le débit comme indicateur pour représenter l’eau bleue (eaux de surface et souterraines) et l’humidité du sol dans la zone racinaire pour représenter l’eau verte (eau disponible pour les plantes). Les variables de contrôle sont définies comme le pourcentage de la superficie annuelle mondiale libre de glace présentant des écarts de débit des cours d’eau / d’humidité du sol dans la zone racinaire par rapport à la variabilité préindustrielle. La nouvelle composante eau verte représente directement la régulation hydrologique des écosystèmes terrestres, du climat et des processus biogéochimiques, tandis que la composante eau bleue représente la régulation des rivières et l’intégrité des écosystèmes aquatiques. De plus, cette limite capture désormais les impacts sur le système Terre des augmentations et des diminutions d'eau sur une échelle mensuelle et inclut leurs modèles spatiaux.

Les variables de contrôle décrivent les écarts par rapport à l’état préindustriel (ici, 1661-1860), déterminés pour la première fois à l’échelle de la grille de 30 minutes d’arc, puis regroupés en une valeur annuelle globale. Pour les variables de contrôle de l'eau bleue et verte, les limites sont fixées au 95e centile de la variabilité préindustrielle, c'est-à-dire la variabilité du pourcentage de la superficie mondiale présentant des écarts [~ 10 % pour l'eau bleue et ~ 11 % pour l'eau verte]. Nous supposons que les conditions préindustrielles sont représentatives des conditions à plus long terme de l’Holocène et qu’un écart notable par rapport à cet état met en danger les fonctions du système terrestre d’eau douce. En attendant une évaluation complète des impacts des différents niveaux de transgression des limites des eaux bleues et vertes (par exemple, capacité réduite de séquestration du carbone, régulation climatique et perte de biodiversité ; voir les documents supplémentaires), les paramètres des limites sont préliminaires et hautement prudents. Actuellement, environ 18 % (eau bleue) et environ 16 % (eau verte) de la superficie terrestre mondiale connaissent des écarts humides ou secs d’eau douce. Ainsi, contrairement aux évaluations précédentes des limites planétaires où seule l’élimination de l’eau bleue était prise en compte, cette nouvelle approche indique une transgression substantielle de la limite de changement d’eau douce. Les transgressions des limites des eaux bleues et vertes se sont produites il y a un siècle, respectivement en 1905 et 1929. Ainsi, avec la définition révisée des variables de contrôle, l’eau douce aurait déjà été considérée comme transgressée lors des précédentes évaluations des limites planétaires. La précédente variable de contrôle à l’échelle mondiale indiquerait toujours que l’utilisation de l’eau douce reste dans la zone de sécurité, même avec des sources de données plus récentes que celles utilisées dans (1, 2). Les estimations récentes de la consommation mondiale d’eau bleue s’élèvent à environ 1 700 km3 an−1, soit bien en dessous de la limite précédente fixée à 4 000 km3 an−1."
(Source : Richardson et al 2023, Earth beyond six of nine planetary boundaries, Science Advances, DOI: 10.1126/sciadv.adh2458)

Plusieurs points de méthode posent problème dans cette démarche, en particulier dans le domaine de l'eau bleue (les écoulements des rivières ou nappes) :
  • la notion de limite planétaire est ici ramenée à un simple écart par rapport à la moyenne pré-industrielle du Holocène, mais sans préciser en quoi un écart représente en soi une limite, en comptant les excès d'eau comme des limites au même titre que les défauts (alors que l'idée de limite est associée à l'idée que la ressource est indisponible, pas simplement à l'idée qu'elle varie dans le temps selon différents facteurs de variation) ;
  • le choix du débit comme variable de contrôle est réducteur par rapport à la complexité des dimensions de l'eau;
  • l'anthropisation de l'eau ne signifie pas la disparition des structures et fonctions écologiques de l'eau, un bassin anthropisé peut aussi entrer dans un état écologique alternatif durable (pas les mêmes populations biologiques, pas les mêmes traits fonctionnels, mais un nouvel équilibre après perturbation initiale), ce qui a déjà été documenté dans la littérature scientifique examinant notamment l'aménagement de fleuves au fil des siècles;
  • la recherche scientifique montre que la modification du cycle de l'eau et du fonctionnement des bassins versants s'inscrit dans le temps long de la sédentarisation des sociétés humaines, sur plusieurs millénaires; il est intellectuellement peu sensé de suggérer que la forte croissance démographique et économique des sociétés humaines au fil des siècles pourrait se traduire par le maintien de conditions similaires de variabilité;
  • le calcul est globalisé alors que le cycle continental de l'eau douce se réalise dans des bassins versants qui n'ont pas la même situation et qui ne transfèrent pas entre eux les écoulements ; on ne voit pas le sens ni l'intérêt opérationnel d'une agrégation planétaire alors que la réalité de l'eau et de la tension sur l'eau dépend toujours de conditions locales (géologie, hydrologie, climatologie, écologie, démographie, usages des sols et de l'eau).
En fait, ce calcul des "limites planétaires" est loin de faire consensus dans la recherche internationale, pas seulement sur l'eau qui en est une dimension. La démarche a été initiée par l'équipe de Johan Rockström à la fin des années 2000, et elle a bénéficié d'une certaine médiatisation car elle donne des raccourcis frappants que les médias apprécient. Mais elle a reçu diverses critiques scientifiques concernant le cadre méthodologique et les conclusions (voir par exemple Brook, Ellis et Buettel 2017, une synthèse dans Biermann et Kim 2020). 

Dans une période déjà marquée par un scepticisme croissant sur des travaux scientifiques et leur vulgarisation, il paraît important que le débat public discerne plus clairement ce qui relève d'hypothèses de travail et ce qui relève de connaissances robustes. Pour la gestion de l'eau douce en particulier, le cadre des "limites planétaires" ne semble apporter ni pertinence ni efficacité pour les décideurs et les populations, confrontés avant tout à des équilibres locaux entre ressources et usages. Enfin, il se développe un discours selon lequel nous pourrions et devrions revenir à une "nature antérieure" d'il y a quelques siècles vue comme la "normalité" ou la "référence" : ce refus de l'évolution mène souvent à des impasses car il radicalise l'opposition entre la nature et l'humanité, nie les réalités déjà anciennes de leur hybridation, paralyse certaines réponses urgentes au changement climatique, n'offre guère d'horizon réaliste et consensuel pour guider l'action de 8 milliards d'humains.

13/07/2023

Le règlement européen de restauration de la nature voté dans la douleur, premiers commentaires du texte

Signe des temps : le règlement européen « Restaurer la nature » a été adopté à une très courte majorité par le parlement européen, et amendé de diverses limitations. Nous exposons ici ses mesures applicables dans le cas des cours d’eau. Ce règlement risque de généraliser les conflits sociaux et judiciaires déjà observés en France, en Espagne et dans les pays menant des politiques agressives de destruction du patrimoine hydraulique, du potentiel hydro-électrique et des retenues d’eau, au nom de la vision théorique d’une nature sans humain, sans histoire et sans usage. Mais il présente aussi des garde-fous qui vont obliger l'administration française à changer ses méthodes autoritaires et opaques dans la construction de ses politiques publiques.


Le Règlement de restauration de la nature a été adopté par une très courte majorité au Parlement européen, dans une version modifiée du texte initialement proposé par la Commission européenne. La phase suivante vers une adoption définitive est le trilogue entre le conseil des Etats, la Commission et le Parlement. Cette phase est encore incertaine car 6 pays vont connaître prochainement des élections (dont l'Espagne où les enjeux de l'eau ont été au coeur des élections récentes et de la crise gouvernementale). 

Notre association a exprimé ses critiques sur l’édifice intellectuel du texte Restore Nature, fondé sur une opposition théorique de la nature et de l’humanité ne correspondant pas à la réalité hybride des milieux et nourrissant une vision socialement conflictuelle de l’écologie. De plus, le texte ignore totalement la biodiversité et les services écosystémiques des milieux aquatiques anthropisés alors que ceux-ci sont largement attestés dans la littérature scientifique. Hélas, la direction générale environnement de la Commission a choisi ses experts lors de la conception du texte, ce défaut de pluralisme à la source  devant être soit corrigé soit publiquement dénoncé pour la future révision de la directive cadre sur l’eau. Et les parlementaires manquent de compréhension des réalités concernées par les projets normatifs, donc un travail de pédagogie est nécessaire pour l’avenir.

Concernant les ouvrages et les cours d’eau, voici un aperçu du texte tel qu’il est adopté par le Parlement européen, avec quelques commentaires. 

Article 1er
2 bis. Le présent règlement doit créer des synergies et être cohérent avec la législation existante et en cours, en tenant compte des compétences nationales, et garantir la consistance et la compatibilité avec la législation de l’Union concernant, entre autres, les énergies renouvelables, les produits phytopharmaceutiques, les matières premières critiques, l’agriculture et la foresterie. 
Les mesures de restauration de nature ne doivent pas s’opposer aux mesures de développement des énergies renouvelables. 

Article 4
10 bis. Lors de l’élaboration des mesures qu’ils sont tenus d’adopter au titre du présent article, les États membres prennent en considération les exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que les particularités régionales et locales, conformément à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE. 
Les mesures de restauration de nature doivent se plier aux exigences économiques, sociales et culturelles, ce qui dans le cas du patrimoine hydraulique limite l’intervention à des ouvrages dont il est démontré que l’intérêt dans ces trois dimensions n’existe pas.

Article 5 bis
Énergie produite à partir de sources renouvelables 
Aux fins de l’article 4, paragraphes 8 et 8 bis et de l’article 5, paragraphes 8 et 8 bis, la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau et le réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage, sont présumés relever d’un intérêt public supérieur. Les États membres peuvent les exempter de l’obligation de prouver qu’il n’existe pas de solution de remplacement moins préjudiciable au titre de l’article 4, paragraphes 8 et 8 bis, et de l’article 5, paragraphes 8 et 8 bis, si une évaluation environnementale stratégique a été réalisée conformément aux conditions énoncées dans la directive 2001/42/CE ou s’ils ont fait l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement conformément aux conditions énoncées dans la directrice (UE) 2011/92. Les États membres peuvent, dans des circonstances dûment justifiées et spécifiques, limiter l’application des présentes dispositions à certaines parties de leur territoire ainsi qu’à certains types de technologies ou à des projets présentant certaines caractéristiques techniques conformément aux priorités énoncées dans leurs plans nationaux intégrés en matière d’énergie et de climat, conformément au règlement (UE) 2018/1999. Les États membres informent la Commission des limites appliquées et les justifient.
Cette disposition renforce l’article 1er et rappelle que les mesures de restauration de nature ne peuvent aller à l’encontre de l’intérêt public supérieur des énergies renouvelables. Elle laisse aux Etats-membres le soin de préciser les énergies ayant la primauté dans leurs plans énergie-climat. 
Article 7
Restauration de la connectivité naturelle des cours d’eau et des fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes 
1. Les États membres réalisent un inventaire des obstacles artificiels à la connectivité des eaux de surface, en tenant compte de leurs fonctions socio-économiques, et recensent les obstacles qui doivent être supprimés pour contribuer à la réalisation des objectifs de restauration fixés à l’article 4 du présent règlement et de l’objectif consistant à rétablir au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre sur le territoire de l’Union d’ici à 0, sans préjudice de la directive 2000/60/CE, et notamment de son article 4, paragraphes 3, 5 et 7, ni du règlement 1315/2013, et notamment de son article 15.
2. Les États membres suppriment les obstacles artificiels à la connectivité des eaux de surface sur la base de l’inventaire visé au paragraphe 1 du présent article, conformément au plan de suppression visé à l’article 12, paragraphe 2, points e) et f). Lorsqu’ils suppriment ces obstacles, les États membres visent principalement les obstacles obsolètes, c’est-à-dire ceux qui ne sont plus nécessaires pour la production d’énergie renouvelable, pour la navigation intérieure, pour l’approvisionnement en eau, pour la protection contre les inondations ou pour d’autres usages.
3. Les États membres complètent la suppression des obstacles visés au paragraphe 2 par les mesures nécessaires à l’amélioration des fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes.
4. Les États membres veillent à ce que la connectivité naturelle des cours d’eau et les fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes restaurées conformément aux paragraphes 2 et 3 soient maintenues.
Notons d’abord que 25 000 km de cours d’eau libre à échelle de l’Europe représente un objectif à décliner au pro rata de chaque linéaire national. La France a en quelque sorte surtransposé l’objectif à l’avance puisqu’elle a classé en continuité écologique de liste 2 environ l’équivalent de ce linéaire total, mais pour notre seul pays. Ce qui rappelle au passage la dimension assez radicale et hors-sol de l’administration de l’eau en France, puisqu’elle prétendait en 2012 faire en 5 ans et dans un seul pays ce que l’Europe envisage en 10 ans et pour toute l’Union.

Notons ensuite que, pour les autorités européennes, une rivière qui n'aurait pas d'obstacle mais serait par ailleurs polluée ou privée d'eau la moitié de l'année par des usages excessifs serait néanmoins "restaurée". Cette focalisation obsessionnelle sur la connectivité est intellectuellement aberrante et scientifiquement infondée, les études montrant que les premiers impacts sur la biologie aquatique viennent des polluants et des usages du sol en bassin versant, pas des ouvrages transversaux.

Les notions d’ «obstacle à la connectivité» et de «suppression d’obstacle» ne sont pas définies. En revanche la notion de «cours d’eau à courant libre» est définie (article 3 du Règlement) de la sorte «un cours d’eau ou un tronçon de cours d’eau dont la connectivité longitudinale, latérale et verticale n’est pas entravée par des structures artificielles formant un obstacle et dont les fonctions naturelles ne sont quasiment pas affectées». La définition est donc quelque peu circulaire et mal spécifiée. La jurisprudence française a déjà établi qu’un ouvrage n’est pas forcément en soi un obstacle ou une entrave à la connectivité (circulation de l’eau, des sédiments, des espèces), ce point devant être démontré au cas par cas. Par ailleurs la suppression de l’entrave à la continuité n’implique pas la suppression de tout l’ouvrage si la connectivité est assurée par des dispositifs ad hoc. Si besoin, la justice devra préciser ce point.

Concernant les obstacles visés, ils doivent être «obsolètes» et ne pas avoir des «usages». Cela exclut a priori la majeure partie des ouvrages existants. 

Le règlement Restore Nature est silencieux sur la compatibilité de la notion de suppression d’obstacle (dans l’hypothèse d’une destruction physique) avec le droit de propriété, alors qu’un ouvrage est assimilable à une propriété (et crée un droit réel immobilier dans le cas des droits d’eau en France). Ce point devra lui aussi être précisé le cas échéant en justice. 

Enfin, il est demandé de compléter la suppression d’un obstacle par la restauration de la plaine inondable adjacente, ce qui ne manquera pas d’augmenter le coût de chaque chantier et, dans le cas des arasements de seuils, d’éviter des chantiers bâclés et contre-productifs ne faisant qu’inciser les lits. La connectivité des cours d'eau va coûter de plus en plus cher, ce qui justifie des objectifs assez modestes compte tenu des problèmes de financements publics de la transition en Europe. 

Article 11
Préparation des plans nationaux de restauration 
1. Les États membres élaborent des plans nationaux de restauration et effectuent la surveillance et les recherches préparatoires permettant de déterminer les mesures de restauration nécessaires pour contribuer aux objectifs de l’Union et répondre aux obligations énoncées aux articles 4 à 10, en tenant compte des données scientifiques les plus récentes, des besoins des communautés locales, y compris des communautés locales urbaines, des mesures présentant le meilleur rapport coût-efficacité et de l’incidence socio-économique desdites mesures. Il est indispensable que les parties prenantes, notamment les propriétaires fonciers et les gestionnaires de terres, participent de manière appropriée à chaque étape du processus. 
(…)
11. Les États membres veillent à ce que l’élaboration du plan de restauration soit ouverte, transparente, inclusive et efficace et à ce que le public, en particulier les propriétaires fonciers, les gestionnaires de l’occupation du sol, les acteurs du secteur maritime et d’autres acteurs pertinents, tels que les services de conseil et de vulgarisation, conformément au principe de consentement préalable et éclairé, disposent, à un stade précoce, de possibilités effectives de participer à l’élaboration du plan. Les autorités régionales et locales ainsi que les autorités de gestion concernées sont dûment associées à l’élaboration du plan. Les consultations respectent les exigences énoncées dans la directive 2001/42/CE. 
Cet article exige que chaque propriétaire soit associé au plan de restauration de la nature et cela dès la phase de son élaboration, à chaque étape du processus. Être associé ne signifie évidemment pas être informé que sa propriété est concernée sans avoir eu des échanges préalables à ce sujet. Cela implique que la France ne peut réputer son actuel plan de restauration de continuité écologique des cours d’eau comme valant réponse à ce règlement de restauration de nature, puisque de manière démontrable en justice, chaque propriétaire n’a pas participé de manière ouverte, transparente et inclusive à chaque étape du processus. 

Le monde européen des ouvrages et de leurs riverains doit se mobiliser à Bruxelles et Strasbourg
Pour la suite, nous évaluons avec nos conseillers juridiques l’opportunité de demander l’annulation partielle du texte s’il devait être promulgué en l’état, essentiellement dans ses dimensions floues et litigieuses de l’article 7. Cette démarche permettrait au juge, même s’il n’annule pas le texte, de clarifier dans quelles conditions une injonction à «suppression» d’obstacle est compatible avec le droit. 

En cas d'adoption définitive du règlement, nous demanderons au gouvernement français d'en respecter strictement les conditions d'application, notamment l'association systématique des propriétaires concernés à toutes les étapes d'élaboration ainsi que le respect des usages des ouvrages. 

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, de nombreux pays européens devraient connaître les conflits sociaux et juridiques liés à la politique aberrante de suppression des ouvrages hydrauliques en pleine phase de changement climatique, de stress hydrique et de transition énergétique. Ce doit être l’occasion pour le mouvement des ouvrages de se structurer à échelle européenne et, surtout, de peser à Bruxelles et à Strasbourg afin d’exposer les réalités ignorées ou niées par certaines administrations et certains acteurs de l’écologie. 

Les prochaines échéances sont les nouvelles élections de 2024 au plan politique, et au plan juridique la révision déjà amorcée de la directive cadre européenne sur l'eau, qui arrive au terme de sa planification 2000-2027.

Nous devons dès à présent organiser la mise sous surveillance et si besoin sous pression de la direction générale environnement de la Commission européenne, afin de garantir une prise en compte complète des données de la science, et non plus une sélection d'analyses d'orientation naturaliste qui semblent voir dans un improbable retour à un état passé du vivant et des milieux la priorité environnementale de l'Europe au 21e siècle. En outre, ce naturalisme de vitrine sert souvent d'alibi à des logiques productivistes qui n'engagent pas une réflexion de fond sur la durabilité de nos sociétés, de leurs pratiques et de leurs milieux.

A lire pour comprendre les enjeux eau, connectivité et usages :

27/06/2023

Le rejet provisoire du règlement européen de restauration de la nature vaut avertissement pour une certaine vision de l’écologie

Après les commissions de l’agriculture et de la pêche, la commission environnement du Parlement européen vient de voter le rejet du projet de règlement de restauration de la nature. L’avenir du texte est suspendu à la séance plénière de l’été. Mais quand la «restauration de la nature» prend des formes sectaires et radicales, comme par exemple la destruction du patrimoine hydraulique européen contre l’avis des riverains et en pleine crise hydroclimatique, faut-il s’étonner de la difficulté à trouver de larges compromis ? Quelques réflexions à ce sujet. 


La commission environnement du parlement européen vient de voter ce 27 juin 2023 contre le projet de règlement sur la restauration de la nature. Après avoir achevé l’examen article par article, la commission a finalement voté un amendement de rejet de l’ensemble du projet. Quinze jours plus tôt, le 15 juin, les mêmes eurodéputés avaient pourtant voté… contre un tel amendement de rejet ! Dans les deux cas, 44 élus ont voté pour, 44 contre, mais les règles d’identité de vote ont été cette fois favorables au rejet. La suite du texte pourrait se jouer à la séance plénière du parlement, les 10-13 juillet prochains. Même s'il était adopté, il faudrait encore l'avis des gouvernements, dont plusieurs ont émis des réserves sérieuses.

Les politiques de biodiversité doivent réfléchir à l'impasse de l'opposition nature-humanité 
Les députés hostiles au projet l’ont été principalement au titre de la mise en danger d’activités comme la pêche ou l’agriculture, à une époque où la question de la souveraineté alimentaire est redevenue de première importance en Europe et dans le monde. Mais au-delà de ces arguments dont la valeur est discutée, cela montre que les politiques de biodiversité ont désormais du mal à trouver une voie aisément majoritaire, contrairement à celles du climat et de l’énergie.

Notre association avait exprimé à l’automne dernier ses plus vives réserves sur le volet «eau» de ce règlement européen de restauration de la nature. Et plus généralement sur sa philosophie sous-jacente, inspirée de chercheurs et d’ONG spécialisés qui tendent à dissocier et opposer la nature et l’humanité

Nous avons vu en France où mène notamment ce choix sur le cours d’eau : refus de reconnaitre la valeur des ouvrages hydrauliques, indifférence au patrimoine et au paysage, information lacunaire et biaisé des citoyens, pressions et conflits avec les riverains, volonté d’imposer une vision très théorique de la rivière sauvage selon une «référence» pré-industrielle d’une nature qui n’existe plus, destruction inouïe de barrages hydro-électriques et de nombreuses retenues d’eau alors que tous les efforts devraient être concentrés sur l’atténuation et l’adaptation climatiques.

Une certaine écologie de la conservation et de la restauration doit entendre le message. Elle doit travailler davantage avec les sciences sociales et les humanités de l’eau, s’ouvrir davantage à la pluralité des associations et usagers  qui, en démocratie, ont aussi le droit de défendre leur vision de la nature.

Mener la bataille européenne pour une autre écologie
L’association Hydrauxois est bien entendu favorable à des mesures permettant de retrouver des fonctionnalités et de sauvegarder des biodiversités dans les écosystèmes. Nous espérons que le règlement sera amendé pour arriver à un équilibre. 

Tout programme sur l’environnement doit être co-construit avec les citoyens, en retenant ce qui est accepté et en rejetant ce qui ne l'est pas, d’abord au niveau local concerné et pas par décision lointaine d'une technocratie. Un tel programme doit aussi cesser de raisonner selon un état antérieur idéal du vivant, qui ne reviendra jamais à l’identique, surtout pas en période de changement climatique où les paramètres essentiels du vivant évoluent très vite. Il faut aussi accepter que les milieux changent et sont hybridés de longue date par les humains. Il faut entendre que nos artefacts humains, nos existences humaines, nos animaux et plantes domestiques font aussi partie des biotopes et des biocénoses – rien n’est en fait séparé dans l'évolution de la terre et de la vie. Parfois, les actions humaines ont créé de nouveaux habitats d’intérêt ou de nouvelles biodiversités, augmenté des services écosystémiques. Parfois elles ont des effets essentiellement délétères et doivent alors se modérer. 

Enfin, notre association rappelle à ses consoeurs en France et en Europe, amoureuses de tous les patrimoines de l’eau, que la bataille normative se joue à Bruxelles et à Strasbourg. C’est vrai aujourd’hui pour le règlement de restauration de la nature. Ce sera vrai demain pour la révision de la directive cadre sur l’eau. Certaines erreurs ont été commises dans les politiques publiques : il est de notre devoir d’en témoigner auprès des fonctionnaires et des élus, afin de ne plus les répéter et de trouver des moyens plus durables, plus inclusifs, plus intelligents de protection de l’eau et des rivières. 

12/05/2023

Les politiques publiques de l'eau dans l'impasse naturaliste

Les politiques publiques de l’eau et des rivières s’alimentent toujours à des visions sous-jacentes. Il y a eu voici 40 ans une crise du productivisme suite aux pollutions massives de l’eau. Mais la solution trouvée pour y répondre tend à devenir un naturalisme qui flatte l’utopie d’un retour à la rivière sauvage et le blâme de principe des usages humains de l'eau. Ce n’est pas le bon remède. D’une part cette vision ne correspond pas à l’eau et à la rivière que vivent et désirent tous les humains. D’autre part elle nie la réalité telle que l’observe la science, à savoir le caractère désormais hybride des milieux où se mêlent depuis des millénaires actions humaines et non -humaines. Nous appelons les décideurs à engager des débats de fond sur ces sujets, avant de se noyer dans le détail de normes détachées d'une vision d’ensemble. Car les législations françaises et européennes sur l’eau doivent refléter des vues claires pour l'avenir, et fuir les constructions utopiques qui ne nourrissent que des déceptions. 


Les administrations en charge de l’eau ont été saisies voici une trentaine d’années d’une nouvelle idéologie, que l’on peut appeler l’idéologie de la rivière sauvage. Celle-ci consiste à poser que l’état désirable d’une rivière est d’être indemne de toute influence humaine. Ou, ce qui revient au même, que toute modification de la dimension chimique, biologique, thermique, morphologique d’une rivière par les humains doit être lue comme une anomalie et une dégradation, à éviter pour ce qui regarde l’avenir et à supprimer pour ce qui relève des héritages du passé. 

Les universitaires parlent d’une «ontologie naturaliste» pour désigner le socle de cette position idéologique. Derrière ce mot compliqué, l’idée est que la nature est une réalité différente de l’humain, qu’elle est séparée et dans une certaine mesure opposée à l’humain, que défendre la nature consiste à y repousser l’humain. Intellectuellement, on divise la nature entre l’humain et le non-humain comme des réalités séparées, on analyse la nature selon des déviations observables par rapport à une nature idéale et théorique sans humain. Pratiquement, on blâme l’humain dès qu’on observe une altération du non-humain. Une telle vision binaire s'entoure de sophistication chez les experts, mais elle peut vite prendre l’allure d’une religion chez certains

Appliquée au domaine de l’eau et des rivières, cette vision naturaliste a conduit à envisager des processus de «renaturation» (retour à la nature sauvage) par destruction des traces de présence humaine. Pas seulement à titre d’expérience locale parce qu’une population le désirait, mais dans le cas français et européen à titre de programme d’Etat comme avenir désirable des cours d’eau et plans d’eau. Le sujet le plus visible et le plus polémique a été la destruction planifiée des ouvrages hydrauliques humains (moulins, étangs) formant des milieux d’origine artificielle comme des retenues, des plans d’eau, des canaux, des biefs, etc. Plus récemment, on a aussi vu émerger des groupe activistes plus ou moins violents, dont le comportement suggère un refus pathologique d'envisager des stockages d'eau à fin d'usage agricole. 


Cette position naturaliste est soutenue à divers degrés par des administrations, des ONG, des chercheurs, des intellectuels. Elle n’est pas en soi blâmable comme telle : en démocratie, chacun est heureusement libre de développer sa vision de la nature, ici de l’eau, des rivières, des plans d’eau et des zones humides. Mais pour qui ne la partage pas, et c'est notre cas, le problème est double concernant la translation de cette idéologie dans le droit commun : 
  • d’abord cette idéologie s’est imposée de manière subreptice et non ouverte, par petites touches et non par grands débats, par voie d'expertise dans les élites et non de discussions sur les territoires – il n’y a jamais eu de débat démocratique clair pour savoir si nous voulions ou non entrer dans un nouveau régime de retour à une rivière sauvage ; 
  • ensuite cette idéologie est intellectuellement aberrante, car la réalité n’est pas cette eau sauvage, mais une eau hybride, c’est-à-dire une co-construction des rivières et généralement des hydrosystèmes par les actions humaines qui ne sont pas séparées des processus « naturels » au sens de non-humain. 
Une recherche scientifique désormais abondante montre que le régime de l’eau est modifié par la sédentarisation humaine, depuis des millénaires. Ce n’est pas une anomalie : c’est ainsi que fonctionne la réalité. Cela concerne au premier chef le volume de l’eau et sa répartition, qui est modifiée par les usages sociaux et économiques, mais aussi  tout le reste : le cycle des sédiments est modifié par les usages des sols, la faune et la flore sont modifiées par des introductions et disparitions d’espèces, la composition chimique de l’eau est modifiée par des soustractions et des rejets de molécules, la température de l’eau est modifiée par les changements climatiques

Le vivant s’automodifie en permanence, par l'effet de l’espèce humaine comme par les autres. L’humain étant une espèce ingénieure qui construit par artificialisation ses propres écosystèmes de vie, cela conduit à ce que nous observons : une eau hybride qui conserve la puissance de son grand cycle physique au niveau de la planète Terre, mais qui est partout modifiée localement par les actions des humains dans les bassins versants. Les chercheurs ne savent pas quand a commencé ce qu'ils nomment "Anthropocène", l'époque géologique où l'action humaine devient une force dominante. Pour ce qui concerne l'eau, cet Anthropocène a débuté précocément.

Dans des zones très anciennement et densément peuplées, comme l’Europe, aucune rivière, aucun plan d’eau ne peut être dit naturel ou sauvage au sens d’indemne d’influences humaines ; on peut tout au plus voir des degrés de «naturalité» ou «anthropisation» selon qu’on observe une faible ou une forte intensité des actions humaines. Mais cette manière de voir est encore un dualisme binaire qui suppose de réfléchir depuis une nature théorique qui n’existe pas (la nature sauvage sans humain) au lieu de penser les dynamiques depuis ce qui existe (l'évolution hybride entremêlant les actions humaines et non-humaines). En outre, cette vision se concentre souvent sur la morphologie (la forme des écoulements et la disposition de certains habitats), elle oublie que de toute façon, certains changements globaux comme le réchauffement climatique agissent partout : une rivière adaptée à une espèce d’eau froide voici 500 ou 5000 ans ne le sera pas pour autant demain si elle est à sec ou si son eau atteint 25°C en été.

Le caractère hybride de l’eau et des rivières doit-il être un blanc-seing pour n’importe quelle action humaine? Est-ce à dire qu’il faut modifier à marche forcée le cycle de l’eau et de ses espèces? Que nous n'avons pas à nous préoccuper des conséquences de nos actions? Non, évidemment. Aussi tôt que l'on en trouve une trace dans l'histoire, les humains discutent au contraire de ce qu'ils font.

L’idéologie qui précédait le naturalisme en la matière, et qu’on peut appeler pour simplifier le productivisme (voir la nature uniquement comme ressource exploitable à court terme), a montré ses défauts, notamment à compter de la grande accélération de l'Anthropocène de la période 1930-1970 : pollutions innombrables entraînant des coûts et des problèmes de santé, disparition locale de l’eau par surexploitation, perte de diverses expériences sensibles sur l’eau comme paysage, parfois disparition massive de la faune et de flore ayant des effets indésirables. Tout cela est reconnu par la science, tout cela a déjà suscité des évolutions des pratiques.

Mais ces reproches que l’on peut faire à l’âge productiviste n’impliquent pas d’adopter sa symétrie naturaliste avec son utopie de retour à une nature sauvage. Il s’agit simplement pour les humains de discuter des eaux et rivières qu’ils veulent. Sans manquer toutes les informations utiles à cette discussion, qu'elles concernent les humains ou les non-humains. Sans verser dans des croyances simplistes, des mots d'ordre sectaires, des dogmes détachés des retours d'expérience. 

28/03/2023

Les seuils et ouvrages en rivière aident à stocker l'eau face aux sécheresses

Un ouvrage en lit mineur de rivière ralentit, retient et infiltre l'eau. C'est vrai pour les ouvrages de castors comme pour ceux des humains. Le mouvement de défense des ouvrages hydrauliques le sait bien, mais il affronte un déni totalement aberrant de la part des pouvoirs publics en charge de l'eau et de la biodiversité, qui s'obstinent à nier, minimiser ou invisibiliser les intérêts des seuils et barrages.  Toutefois, lors d'une audition au Sénat, c'est la pdg du Bureau des ressources géologiques et minières (BRGM) qui a cru bon rappeler aux parlementaires les règles élémentaires de l'hydrologie, et notamment ce rôle des seuils. Les élus vont-ils en tirer la conclusion qui s'impose, à savoir valoriser et non plus vandaliser ces ouvrages? 



En février dernier, le Sénat a créé une mission d’information intitulée : "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement". Le 15 mars, cette mission auditionnait les experts en hydrogéologie du Bureau de recherches géologiques et minières.

A cette occasion, une mise au point intéressante a été faite : "Sur un sujet qui est polémique dans le domaine de l'eau, sur le sujet des obstacles ou seuils en rivières, quand il y a des seuils l'eau stagne un peu et donc cela s'infiltre davantage", a expliqué Michèle Rousseau (présidente-directrice générale du BRGM), en faisant le panorama des possibilités d'amélioration du stockage de l'eau en France métropolitaine.

En fait, ce phénomène est connu. Dans le monde naturel de l'aire européenne et nord-américaine, ce sont les barrages en série de castors qui jouent ce rôle de création de multiples retenues par petits barrages, et tous les travaux étudiant le phénomène concluent que ces aménagements ont un bilan hydrologique positif, tant pour l'infiltration dans les sols que pour les débordements par rehausse de niveau de la lame d'eau (voir nos publications sur le thème castor).  

Les propriétaires ou riverains de retenues et de biefs observent eux aussi le phénomène : si le niveau est baissé un certain temps par ouverture de vanne, alors le niveau des puits baissent, comme celui des éventuelles zones humides d'accompagnement à eau affleurante de type mare, prairie humide. Au demeurant, quand un projet d'aménagement de seuil concerne une retenue en zone de captage, des relevés piézométriques sont faits et la conclusion est immanquablement que le niveau du captage va baisser en cas d'effacement de la retenue et d'abaissement de sa ligne d'eau. On peut aussi lire la remarquable monographie de l'ingénieur public Pierre Potherat, qui a documenté le rôle des ouvrages dans le cas particulier des bassins sédimentaires des sources de la Seine et de l'Ource (voir cette recension). 


Ces constats n'ont rien d'extraordinaire, ils relèvent de lois bien connues en hydrostatique et hydrodynamique depuis le 19e siècle.

Ce qui est assez extraordinaire en revanche, c'est la politique de déni de ces réalités par les politiques publiques de l'eau, qui sont en France et pour partie en Europe arcboutées sur le nouveau dogme de la "continuité écologique", vu sous l'angle de l'effacement des ouvrages humains et du retour à une supposée "naturalité" de type sauvage. 

Refusant de reconnaître le moindre élément négatif de ce choix public, ces politiques passent sous silence le rôle des ouvrages dans la rétention et régulation de l'eau. Elles ne parlent immanquablement que de l'évaporation – comme si une zone humide naturelle ou une prairie ou une forêt n'évaporaient pas aussi en été, par un étonnant miracle physique! En fait, des travaux de recherche scientifique ont quantifié toutes ces évaporations et montré qu'elles sont du même ordre de grandeur, voire pire dans le cas de milieux naturels (cf Al Domany et al 2020).

La politique de continuité écologique est devenue le faux-nez d'une écologie assez radicale et polémique, dont la philosophie sous-jacente entend diaboliser et interdire la présence humaine au bord des rivières. Non seulement elle est nuisible à la régulation de l'eau alors que nous affrontons une multiplication des risques crues et sécheresses, mais elle heurte de nombreuses autres dimensions qui concourent à l'intérêt général et au bénéfice des riverains : patrimoine historique, culturel et paysager, production d'énergie renouvelable locale, réserve incendie, stockage pour abreuvement et irrigation, adaptation climatique, usages partagés. 

Nous demandons donc à nouveau à l'administration eau et biodiversité de respecter le choix parlementaire plusieurs fois réaffirmé de la nécessité de préserver, valoriser et exploiter les ouvrages hydrauliques, au lieu d'envisager leur effacement au nom d'un idéal non légal et non légitime de retour à la rivière sauvage. Nous demandons également au financeur public de solvabiliser les aménagements écologiques de ces ouvrages, qui optimisent certaines dimensions environnementales (franchissement piscicole, transit sédimentaire) sans en perdre les avantages. Nous demandons enfin une politique positive et intelligente des ouvrages hydrauliques, car l'amélioration de leur gestion et la responsabilisation de leur propriétaire sont un vrai enjeu public, bien plus nécessaire que la tentative d'ores et déjà ratée de détruire et assécher ces biens utiles. 

11/03/2023

La crise de la ressource en eau réveille le problème de l'inefficacité et de l'incohérence des politiques publiques

La cour des comptes consacre une partie de son rapport annuel à la critique de l'inefficacité de l'Etat et des collectivités publiques dans la gestion quantitative de l'eau. La cour critique l'organisation trop complexe et trop redondante, l'excès d'ambition de contrôle de l'Etat qui ne met pas les moyens et personnels à hauteur de ses règlementations et programmations, le manque de leadership politique local, le manque d'information de qualité à échelle bassin versant alors que la donnée est cruciale pour la discussion et la décision. Nous publions un extrait de ce rapport agrémenté de quelques commentaires. Car la crise de la ressource révélée par les sécheresses hivernales concerne aussi un modèle de pensée adoptée dans les années 1990 par le ministère de l'écologie et certaines agences de l'eau.


Extraits du rapport de la cour des comptes, "Une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion quantitative de l’eau".

Une action affaiblie par son manque de cohérence

"Les administrations de l’État ne partagent pas la même vision stratégique de la gestion des ressources hydrologiques du pays. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires privilégie l’atteinte des objectifs de bon état des masses d’eau fixés par la directive-cadre sur l’eau à l’échéance 2027. Le ministère chargé de l’agriculture entend pour sa part préserver les possibilités de prélèvement d’une agriculture confrontée à des épisodes de sécheresse plus fréquents et prolongés. Le ministère de la santé veille d’abord à la qualité sanitaire de l’eau potable.

C’est ainsi que le Gouvernement a convoqué des Assises de l’eau, de novembre 2018 à juin 2019, dont les conclusions ont privilégié la préservation qualitative et quantitative de l’eau en limitant les prélèvements et en protégeant les zones de captage. Puis, au milieu de l’année 2021, le Gouvernement a organisé un « Varenne de l’eau et du changement climatique », boycotté par une partie des participants aux Assises de l’eau, pour répondre aux revendications de certains syndicats agricoles qui souhaitent constituer des réserves d’eau à certains moments de l’année pour irriguer. Un délégué interministériel a été nommé pour suivre la mise en œuvre des décisions prises à cette occasion, ce qui ne simplifie pas l’organisation administrative.

De la même façon, les ministères chargés de l’industrie et de l’énergie cherchent à préserver les intérêts de ces secteurs d’activité, qui connaissent des difficultés croissantes d’approvisionnement en eau conduisant à des pertes de production.

Les décisions prises par les représentants de l’État sur le territoire sont le fruit de compromis entre ces intérêts et priorités contradictoires.

Au niveau local, un bassin hydrographique s’étend généralement sur plusieurs régions administratives et le territoire d’une région peut recouper plusieurs bassins hydrographiques. Un sous-bassin versant peut s’étendre sur plusieurs départements et le territoire d’un département être partagé entre plusieurs sous-bassins versants. Ainsi, les préfets de région et de département sont en lien avec plusieurs préfets coordonnateurs de bassin et doivent composer avec des réalités politiques locales diverses, voire contradictoires, qui sont autant de motifs d’apporter des solutions différentes dans un territoire administratif donné à des problèmes de même nature.

Cette situation rend la coordination des services déconcentrés de l’État complexe. Les préfets coordonnateurs de bassin parviennent difficilement à maîtriser la diversité des situations de vastes bassins hydrographiques. Les préfets de départements limitrophes prennent parfois des mesures contradictoires pour un même cours d’eau. C’est pourquoi une nouvelle procédure de gestion de crise a été instituée en 2019, qui permet au préfet coordonnateur de bassin de désigner des préfets coordonnateurs de sous-bassins versants interdépartementaux. C’est ainsi que le préfet coordonnateur du bassin Adour-Garonne a désigné les préfets de département coordonnateurs interdépartementaux des principaux cours d’eau du bassin hydrographique.

Pour surmonter l’inadéquation entre la carte administrative de l’État et celle des organismes de gestion de l’eau, des dispositifs de coordination ont été mis en place. Les missions interservices de l’eau et de la nature coordonnent ainsi au niveau départemental les services de l’État ayant des missions de gestion et de police de l’eau et élaborent un plan de contrôle interservices. Mais cela ne suffit pas toujours pour surmonter les divergences de position.

Le rôle de l’Office français de la biodiversité (OFB), issu de la fusion récente de plusieurs organismes publics, reste mal connu des parties prenantes. De ce fait, il est parfois mis en cause.

Enfin, l’État se présente comme le garant d’un système d’information et de connaissance sur l’eau. Il est certes chargé du réseau de surveillance national mais la connaissance est partagée entre diverses administrations (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, agences de l’eau, BRGM, OFB, entités locales, etc.) et il reste difficile d’obtenir une vision globale de la situation d’un cours d’eau ou d’une nappe et d’en déduire des mesures de gestion qui puissent être considérées par tous comme légitimes.

Les contrôles réalisés par les chambres régionales des comptes montrent à quel point l’information dont disposent les directions départementales des territoires est fragmentaire et peu fiable. Les systèmes d’information utilisés pour remonter les contrôles ne sont pas utilisés par tous les partenaires et contiennent des données partielles et discordantes avec les bilans des missions interservices de l’eau et de la nature.

L’État éprouve des difficultés réelles à faire respecter les règles du jeu qu’il détermine. Il doit concilier une logique administrative (régions, départements) et une logique hydrographique (sous-bassins versants). Les moyens dont il dispose pour assurer ses missions de police et de contrôle sont insuffisants. Présent partout, l’État est souvent trop faible pour assumer les responsabilités auxquelles il prétend. L’intrication entre ses responsabilités et celles des collectivités locales rend leur répartition incompréhensible et contribue à la dilution des responsabilités de chacun.

Conscient de ces difficultés, le Gouvernement a donné mission à quatre inspections de tirer les leçons de la crise de l’été 2022, marquée par une chaleur et une sécheresse exceptionnelle, afin de faire des propositions d’amélioration de la gouvernance territoriale de l’eau et de la coordination des services de l’État."

Commentaires
  • Depuis 50 ans, l'essentiel de l'effort public porte sur la qualité de l'eau, soit la qualité chimique dès les années 1970, soit la qualité biologique et morphologique (milieux naturels, biodiversité) depuis les années 2000. Or, le focus sur la qualité (nécessaire évidemment par rapport à l'indifférence des 30 glorieuses) a parfois fait oublier la question de la quantité (régulation et stockage de l'eau). L'hydro-écologie (gestion de l'eau vue comme milieu naturel) a supplanté l'hydraulique (gestion de l'eau vue comme ressource), notamment à compter de la loi de 1992 et des programmes subséquents des agences de l'eau (voir Morandi et al 2016). Mais l'eau est aussi une ressource critique pour l'économie et la société, pas juste pour le vivant non-humain. 
  • Les crises de sécheresse, dont les chercheurs nous disent qu'elles vont devenir plus fréquentes ou plus intenses dans certains territoires, révèlent ainsi certaines absurdités publiques, comme par exemple la destruction des ouvrages de retenues et diversions d'eau au prétexte que le retour à la rivière sauvage (vue hydro-écologique naturaliste) prime sur la régulation des écoulements (vue éco-hydraulique de maîtrise raisonnée).
  • La décentralisation n'a été faite qu'à moitié, donc il n'existe pas de portage politique fort sur les territoires, faute de responsabilité clairement assignée et de moyens à disposition. En réalité, le contrôle normatif appartient toujours aux instances supérieures (Bruxelles, Paris, agences de l'eau) et les territoires ne sont vus que comme exécutants de programmes très cadrés réglementairement et très fléchés financièrement. Ce système manque de liberté et d'agilité, il manque aussi de représentativité démocratique. Les rapporteurs de la cour des comptes appellent à renforcer les SAGE comme outils locaux, mais encore faut-il que les parlements de ces SAGE (les commissions locales de l'eau) soient représentatifs de tous les acteurs (par exemple, les moulins, étangs, riverains n'y sont généralement pas représentés d'office) et que les débats au sein des SAGE puissent conduire à des alternatives en choix publics (au lieu d'acter ce qui est de toute façon imposé par l'échelon supérieur et exigé par le préfet).
  • Les contradictions entre les ministères pointées par la cour des comptes sont, fondamentalement, des divergences idéologiques ou philosophiques dans la vision de l'eau. Une partie de l'action publique défend une approche naturaliste (la prime à la nature non impactée par l'humain, le retour à la rivière et aux zones humides "sauvages"), une autre défend une approche fonctionnaliste (continuer l'usage humain de l'eau mais en l'aménageant dans un sens plus durable et notamment plus écologique). 
  • Les représentants élus des citoyens doivent trancher parmi ces choix et les administrations doivent les exécuter. Il n'est pas normal que des administrations non élues infléchissent les politiques publiques par des débats internes opaques alors que la seule légitimité à définir des choix publics réside dans la sanction du vote.
  • La dispersion de l'argent public dans tout et n'importe quoi (greensplashing) est une catastrophe à l'époque où les tensions et crises s'accélèrent. Nous pointons depuis la naissance de notre association l'absolue nécessité de disposer d'un système d'information solide, interopérable, ouvert (accessible à tous), avec des données bancarisées et des politiques cohérentes dans l'acquisition de ces données. C'est à cette condition qu'il sera facile sur chaque bassin versant de trouver toutes les données nécessaires pour connaître le diagnostic et observer les dynamiques (précipitation, eau de surface, humidité du sol, eau souterraine, etc. au niveau quali et quanti), pour débattre sur des bases tangibles et pas des effets d'autorité ou des déclarations non fondées sur des faits. Ce système scalable à échelle locale et interprété par modèle robuste n'existe toujours pas. Au lieu de servir des politiques cohérentes d'acquisition de données et de créations de bases / modèles interopérables, l'argent public se disperse dans des études locales non exploitables ailleurs, souvent non normalisées et aux résultats non versés dans un système d'information commun. 
Source : Cour des comptes (2023), Rapport public annuel, Chapitre 6: Une organisation inadaptée aux enjeux de la gestion quantitative de l’eau, 471sq

25/11/2022

Les Parisiens (comme les autres) aiment bien profiter des barrages fluviaux


Ci-dessus, on voit à quoi ressemble le cours naturel estival de la Seine à Paris, ce qui vaut pour la région parisienne.


Ci-dessus, on voit le bord de Seine lors de la terrible sécheresse de 2022.

Par quel prodige Parisiens et Franciliens bénéficient-ils d'un fleuve au si bon maintien de sa ligne d'eau, malgré le manque de précipitations?

La raison est simple à comprendre : la première photo a été prise en 1942, dans le cadre d'une inspection de piles de ponts de la Seine. Pour l'occasion, tous les barrages à l'aval de Paris ont eu leurs vannes ouvertes, tandis que les barrages à l'amont laissaient passer le débit minimum. Cette image donne donc une idée du cours "naturel" de la Seine en étiage. En année sèche dans le passé, on pouvait même traverser le fleuve à pied. Il faut noter qu'en crue, ce serait l'inverse : s'il n'y avait pas les réservoirs de stockage et les protections de berges latérales, Paris serait régulièrement noyée car la ville est dans le lit majeur d'inondation du fleuve. Le quartier du Marais est, comme son nom l'indique, une ancienne zone humide. Il en va de même pour beaucoup d'habitations de l'Ile-de-France.

La seconde photo montre que le débit de la Seine est artificiellement soutenu par les grands barrages et lacs réservoirs gérés par Seine Grands Lacs. Mais aussi par des milliers d'ouvrages plus modestes en amont, qui forment de petits stocks d'eau. Par ailleurs, le niveau est aussi soutenu par les barrages aval de la Seine, qui rendent le fleuve navigable en rehaussant sa lame d'eau. Même en année sèche comme 2022, les riverains ne voient guère la différence.

Les Parisiens sont évidemment heureux de profiter d'un fleuve assez constant, en particulier dans le cadre du réchauffement climatique qui peut augmenter les étiages et les crues sévères. Alors comme beaucoup de décisions françaises se prennent à Paris, les élus et les hauts fonctionnaires doivent comprendre que de nombreux territoires sont comme la capitale: ils apprécient si des barrages maintiennent et régulent l'eau, agrémentent l'existence en été et préviennent les dangers en hiver. 

En situation de changement climatique qui peut favoriser la survenue de sécheresses de plusieurs années, l'amont comme l'aval des bassins versants ont désormais vocation à retenir l'eau. Il est peu acceptable d'entendre certains suggérer aujourd'hui que l'amont peu peuplé pourrait plus ou moins accepter de voir ses rivières à sec au cours de ce siècle, pour que toute l'eau serve à l'aval davantage peuplé. Si nous ne retenons pas l'eau partout, de la source à l'estuaire, nous souffrirons de terribles déconvenues et de redoutables conflits dans les années et décennies à venir. 

21/11/2022

Pour que les rivières vivent et nous fassent vivre

La France dispose d'un riche héritage hydraulique de moulins, forges et autres petits barrages. Des dizaines de milliers de sites en place peuvent être équipés pour produire de l'énergie locale et propre, très appréciée des riverains car déjà intégrée dans le paysage des vallées. Ces sites doivent aussi retrouver leur usage de gestion de l'eau, alors que le stress climatique risque de devenir extrême en période de crues et de sécheresses. A l'occasion de la loi sur les énergies renouvelables, et en réponse à la campagne du lobby de la pêche tentant à nouveau d'entraver la transition énergétique, la coordination Eaux & rivières humaines appelle les députés français à tourner définitivement la page de la continuité écologique destructrice et à valoriser le patrimoine hydraulique de nos rivières. Face à la nécessité de baisse drastique et rapide des émissions carbone, face au besoin critique de conserver tous nos outils de régulation de l'eau.


Evaluation régionale des sites de moulins pouvant faire l'objet d'une relance énergétique selon le projet européen de recherche Restore Hydro.


Pour que les rivières vivent et nous fassent vivre
La petite hydro-électricité mérite votre soutien !

La Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) mène une campagne de lobbying visant à empêcher le développement de la petite hydro-électricité en France et in fine à détruire les ouvrages des moulins et usines à eau, en les prétendant «sans usage et sans utilité». Cette politique voulue et soutenue par la FNPF a déjà soulevé des conflits sociaux partout. Et quand les ouvrages ont été détruits, les résultats ne sont bons ni pour le vivant, ni pour les sécheresses, ni pour les crues, ni pour le bilan carbone. Conscient de leur intérêt, le Parlement a déjà interdit en 2021 par la loi de remettre en question l’usage actuel et potentiel des ouvrages hydrauliques, en particulier la production d’énergie. 

Localement, beaucoup de pêcheurs apprécient les zones poissonneuses des retenues, biefs, lacs associés à des productions énergétiques. Certaines de leurs associations ont d’ailleurs milité contre la disparition de barrages producteurs, entraînant la disparition locale de leur loisir. Il conviendrait donc de vérifier si le propos de la fédération nationale reflète véritablement l’expérience des pêcheurs de terrain sur ce sujet. 

Concernant les rapports entre hydro-électricité, environnement et biodiversité, la CNERH a produit une synthèse que vous trouverez en pièce jointe. Le sujet est important : les acteurs y sont tous attentifs. Aujourd’hui, les techniques employées pour produire de l’énergie hydroélectrique travaillent à réduire au minimum la mortalité des poissons : dispositifs ichtyocompatibles (roues, vis), zone de dévalaison, grilles fines, etc. 

Mais il faut surtout avoir une vision d’ensemble des enjeux de l’eau : par exemple, la sécheresse terrible de 2022 a démontré que sans les retenues des moulins et petits barrages, les rivières tendent à s’assécher complètement, produisant des mortalités massives de poissons, qu’ils soient migrateurs ou pas, comme du reste de la faune aquatique et amphibie, non moins importante que les poissons. Moulins et barrages aident à sécuriser la présence permanente d’eau pour le vivant. Et quand il y a un stress de sécheresse ou de pollution, les préfets disposent dans leurs arrêtés du pouvoir d’indiquer aux moulins et barrages les manœuvres les plus à-mêmes de protéger l’eau pour le vivant et la société. Les outils de production d’énergie peuvent donc aussi servir à nos régulations d’intérêt général en hydrologie et écologie. 
 
Pour mettre fin au réchauffement climatique, la recette est connue de tous : il faut réduire nos émissions de CO2. La petite hydroélectricité contribue de manière non négligeable à cet objectif, grâce à sa production hivernale d’énergie renouvelable, tout en répondant à une urgence absolue pour le futur : préserver de l’eau pour la biodiversité aquatique et terrestre en créant des retenues et en ajoutant à la rivière des canaux de diversion qui se remplissent en saison pluvieuse. 

Selon M. Hamid Oumoussa, directeur général de la FNPF s’exprimant dans Actu Environnement (17/11/2022), les dégâts soi-disant causés à l’environnement par cette production énergétique «artisanale» ne pourraient pas être compensés par leur production «confidentielle» d’énergie renouvelable, égale à 1% de la production française. Pourtant, face aux menaces de délestage, le Ministère de la Transition écologique a remis en route la centrale thermique de Cordemais qui, pour produire le même 1% d’électricité, va brûler 1,2 million de tonnes de charbon, importé d’Afrique du Sud et d’Australie. Anéantissant du même coup une bonne partie des efforts des citoyens pour réduire les émissions de CO2 de notre pays. La petite hydroélectricité peut faire la même chose mais sans émettre un gramme de CO2 !

La loi examinée aujourd’hui par le Parlement vise l’accélération de l’énergie renouvelable. L'accord de la COP 27 vient encore de rappeler que la première urgence est «d'accélérer le déploiement des énergies propres». Les mots des traités signés par la France ont un sens : accélérer, ce n'est pas entraver.

 L’énergie hydraulique est la plus populaire et la plus bas-carbone des énergies renouvelables, ainsi que la mieux intégrée dans les paysages. Poursuivre son blocage et sa destruction comme c’est le cas depuis 20 ans en France s’apparente à un désormais à un choix climaticide Mais aussi un choix écocide, puisque le changement climatique est en train de devenir le premier facteur d’impact sur le vivant aquatique. Par exemple, les truites et les espèces d’eau froide ne sont pas menacées par l’hydro-électricité, mais par la disparition totale de leur zone thermique en France au cours de ce siècle, si le réchauffement continue au rythme actuel. 

Alors que des particuliers, des communes, des entreprises veulent relancer un site en énergie, ils affrontent trop souvent une administration hostile. Pourtant, les ouvrages hydrauliques dont nous parlons ne sont pas des nouvelles artificialisations : ils sont déjà autorisés. La seule chose requise, c’est de relancer leur dispositif énergétique. Il est incompréhensible que l’administration impose des procédures à coûts inaccessibles et à complexités exorbitantes sur des sites déjà en place. Les administrations eau, biodiversité et énergie doivent désormais travailler ensemble à une hydro-électricité durable, avec un triple réalisme des délais, des coûts et des enjeux. 

Nous vous remercions par avance de votre soutien à cette belle cause, si chère à nos territoires ruraux et si nécessaire à l’heure où toutes les sources d’énergie renouvelable doivent se mobiliser. 

17/11/2022

La renaturation fait l’apprentissage de la démocratie, réponse à Truites & compagnie

Par leur récente victoire au conseil d’Etat, notre association et ses consœurs ont rétabli la démocratie riveraine et la démocratie environnementale en soumettant à l’étude d’impact et à l’enquête publique tout chantier qui modifie un linéaire conséquent de milieux aquatiques. Un billet de Truites & compagnie déplore cette décision du conseil d’Etat, prétend qu’elle serait contraire à l’intérêt général et accuse notre association d'être mue par la simple quête d'un intérêt privé lié à l'hydro-électricité. Réponse et précisions à ce sujet.


L’article de Truites et compagnie est principalement axé sur l’idée que «l’intérêt général» et «les intérêts privés» s’opposent. En forçant le trait (mais à peine, car le billet est assez caricatural), il y a les gentils défenseurs de l’intérêt général qui veulent renaturer les rivières selon leur vision de l’écologie et sans qu’on les importune, les méchants défenseurs des intérêts privés qui osent leur mettre des bâtons dans les roues (car leur désir secret serait de se faire plein d’argent avec de l'hydro-électricité). 

L’intérêt général, ce n’est pas chacun qui le proclame
Depuis 1789, et comme l’observe un universitaire spécialiste du sujet (Truchet 2017), «l’intérêt général désigne toujours les besoins de la population, ou pour reprendre une expression de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, «la nécessité publique» : est d’intérêt général ce que ces besoins ou cette nécessité commandent ou permettent en un lieu donné et à un moment donné.» Il est donc pour le moins curieux de considérer comme contraire à l’intérêt général une avancée du droit qui permet à la population de donner son avis (ici, sur des chantiers en rivière). En fait, tout le sens de la démocratie environnementale depuis 30 ans est justement de conférer ce droit aux citoyens.

L’intérêt général s’exprime dans la loi, après que le législateur a entendu l’ensemble de la société. Eventuellement, si les citoyens sont en désaccord sur le sens de la loi, l’intérêt général se tranche par le juge. L’intérêt général n’est donc pas la décision arbitraire d’une faction administrative et gestionnaire qui estimerait être au-dessus des autres citoyens, ici dans sa vision et gestion de la nature. Ne pas comprendre cela, c’est avoir un problème profond de cohérence vis-à-vis de ce que sont la démocratie et l’état de droit. Ce n’est pas tenable longtemps pour une action publique.

L’auteur du billet de Truites & compagnie dit à ses pairs qu’il leur faut se pencher sur le droit. C’est en effet indispensable et il est bien dommage que le personnel d’instances publiques ou d’associations à agrément public ne dispose pas d’une solide formation en ce domaine. Se pencher sur le droit, c’est découvrir que les normes de l’action humaine ne sont pas réductibles à l’idéologie de tel ou tel citoyen ou de telle ou telle faction de citoyen. Le droit est donc une bonne école de découverte du pluralisme, de compréhension de la complexité et de respect de la diversité des vues en démocratie. 

Les chantiers de renaturation sont des chantiers comme les autres
Comme nous l’avions déjà exposé, le droit français et plus précisément le code de l’environnement définit les termes de la gestion durable et équilibrée de la rivière. Les chantiers dit de renaturation ou restauration de rivière sont des chantiers de gestion : ils doivent donc respecter ce que dit le droit à ce sujet. Or il suffit de lire le texte de la loi pour comprendre que les dimensions naturelles de l’eau (fonctionnalités, biodiversités, etc.) y sont équilibrées par des considérations sociales, sanitaires, sécuritaires, économiques. Demander un « blanc-seing » pour changer des linéaires importants de milieux aquatiques sans contrôle du citoyen et sans étude d’impact de ce que l’on fait, c’est évidemment arbitraire. 

Il faut aussi rappeler qu’un chantier est un chantier. N’importe quel manuel de génie écologique reconnaît que certains travaux, et en particulier les destructions d’ouvrages hydrauliques, ont des effets adverses et indésirables à contrôler. Citons notamment :
  • incision de lit,
  • affaissement de berge,
  • risque géotechnique par rétraction argile ou pourrissement de fondation bois, 
  • remobilisation de sédiments pollués, 
  • baisse du niveau de la nappe et effet sur les réseaux d’eau, 
  • changement du régime local des crues et des sécheresses, 
  • risque de destruction d’espèces protégées ayant colonisé l’habitat, 
  • risque de remontée d’espèces invasives. 
Cette liste ne concerne que des dimensions physiques, chimiques, biologiques, sans parler de l’appréciation des citoyens sur les usages et les paysages, ainsi que des droits de propriété protégés constitutionnellement. 

Et vous voulez que tout cela se passe d’étude d’impact et d’enquête publique ? C’est vraiment inquiétant si vous prétendez avoir un rôle de gestionnaire public… 

L’hydro-électricité sans caricature
Concernant l’hydro-électricité, le billet est franchement caricatural. Mais assez classique des éléments de langage du milieu pêcheur, qui fait croire aux élus que les personnes relançant des moulins à eau sont d’affreux capitalistes voulant amasser des fortunes immenses en tuant des poissons. Ce type de discours est un résidu assez archaïque des années 1980,  déconnecté de la réalité des sites et des pratiques. Il est à peu près inaudible à l’heure où tout le monde a désormais conscience des risques climatiques et où chaque kWh compte pour éviter les émissions carbone, tant en production (élimination du carbone) qu’en consommation (sobriété du carbone).

En tout état de cause, Hydrauxois n’est pas un syndicat de producteur d’hydro-électricité, c’est une association de riverains qui défend l'eau et le droit de l'eau (voir le PS plus bas). Cela inclut l’écologie et le climat mais aussi bien la culture, le paysage, la société, l’économie. Car justement, l’intérêt général ne peut pas être confisqué par une seule vision de l’eau, ses usages, ses imaginaires. 

L’hydro-électricité fait partie des énergies soutenues à échelle nationale, européenne et mondiale dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et de l'urgence à ne pas dépasser les 2°C de hausse de température, si possible les 1,5°C. Elle est aussi promue comme option par le GIEC. C’est donc difficile de recevoir des leçons d’intérêt général de la part de gens qui s’opposent au développement de cette hydro-électricité, voire qui détruisent des ouvrages producteurs, même des ouvrages EDF détenus par l'Etat, donc les citoyens

La renaturation n’est pas une mission sacrée, elle est objet d’examen critique
A dire vrai, beaucoup de chantiers de restauration des milieux aquatiques sont intéressants et notre association y est favorable. Ce sont certains travaux qui ont focalisé une forte opposition, dont la nôtre, et il faut comprendre pourquoi. 

La restauration de continuité écologique en long est la plus contestée des politiques publiques de l’eau, car elle a de nombreux défauts quand elle se fonde sur la destruction des ouvrages hydrauliques (choix français ultra-majoritaire de la décennie 2010). Elle nuit en ce cas à des éléments de biens communs comme à des règles inscrites dans la loi sur la gestion durable et équilibrée de l’eau : protection des milieux aquatiques et humides en place, stockage de la ressource en eau, adaptation climatique, lutte contre la pollution, promotion de l’énergie renouvelable, protection du patrimoine culturel. C’est justement son défaut d’intérêt général qui a mené à sa réforme et, parfois, à sa condamnation par la justice. Cette destruction d'ouvrages et de milieux liés aux ouvrages est d'autant plus déplorable qu'il existe diverses options non destructrices pour assurer la continuité.

Plus largement, les politiques de renaturation ou restauration de rivière doivent être soumises à l’examen critique et à l’avis des citoyens. Les rivières sont un hybride de nature et de culture, il est impossible de prétendre les confisquer dans une vision purement naturaliste alors que c’est contraire à l’expérience humaine depuis toujours. L’écologique contre le social, cela ne marche pas. Il est symptomatique que l’auteur voit sa mission comme «offrir aux milieux les moyens d’être plus résilients face aux agressions de notre société».

Les humains vivent avec l’eau comme l’eau vit avec les humains, une séparation mentale à ce sujet est une sorte de contradiction insoluble (je défends l’eau contre les humains… alors que je suis humain et que mon action vise comme celle des autres humains à un certain état de l’eau). 

Même le choix de «renaturer» est lui aussi un choix humain de configuration de la rivière selon certains objectifs et certaines préférences. Mais ce choix se discute forcément, il ne peut pas être arbitraire. Au demeurant, les politiques de renaturation affirment en général qu’elles vont apporter d’autres choses que la seule nature (baisser des pollutions, réduire des crues, adapter au climat, élargir les services de la biodiversité, etc.) et il faut donc au minimum démontrer que leurs chantiers parviennent vraiment à de tels objectifs. 

Qui a gâché l’idée de continuité au nom de dogmes et d’intérêts particuliers ? 
La restauration de continuité écologique en long par démolition des sites et milieux en place échoue souvent à cette démonstration de son intérêt, elle a donc suscité une forte résistance citoyenne dont notre association est l'une des voix. Dans bien des cas, la continuité en long aura été l’alibi de publics particuliers pour des intérêts particuliers (par exemple, dépenser l'argent public rare de l'écologie pour maximiser des salmonidés à la demande des pêcheurs de salmonidés). Cela s’explique notamment par le fait que cette continuité a été reprise en France de la loi pêche 1984, c’est-à-dire par le petit bout de la lorgnette halieutique.

En fait, la continuité ou connectivité de milieux est plutôt une idée intéressante issue de la recherche écologique, mais elle a été largement gâchée par une approche dogmatique, une mise en œuvre brutale et centrée sur les buts de certains publics. 

Le principal enjeu de la continuité de l’eau est la continuité latérale, bien plus importante pour la biodiversité et pour la régulation de l’eau. Or elle a été ignorée dans la loi et reléguée au second plan parce que certains voulaient juste casser du moulin et de l’étang au nom de leurs dadas. Un autre enjeu est la continuité temporelle, les assecs sont un facteur de destruction massive de la biodiversité ainsi que de mise en péril de la santé et de la sécurité de nos sociétés. Mais cette continuité temporelle de l’eau n’a pas à être prisonnière, elle non plus, d’un dogme de «naturalité» : des solutions humaines et des habitats anthropiques peuvent aussi aider à conserver de l’eau, donc à avoir davantage de vivant aquatique et humide qu’en laissant les rivières et plans d’eau se vider. Opposer les solutions fondées sur la nature et sur la technique relève, là encore, d’un dogmatisme dont notre société n’a pas besoin. Et le vivant non plus.

En conclusion
Si certains se pensent comme des croisés de la nature en lutte contre la société, ils doivent donc mener un important travail de réflexion critique et de recul sur soi. Une telle posture mène à l’impasse. La nature (pour peu que ce terme ait un sens) est un objet de la discussion démocratique, elle n’est pas séparable de la société. Les citoyens sont égaux devant elle comme devant la loi.  C’est pourquoi les citoyens disposent du droit d’être informés et de donner leur avis sur toute évolution des milieux naturels, peu importe les motivations de cette évolution.  

Post scriptum
L'objet légal de l'association Hydrauxois est le suivant.
L’association a pour objet la protection de la nature, de l’environnement et des patrimoines de l’eau dans une perspective de développement durable, et donc notamment de :
Protéger et restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux de la biosphère, l'eau, l'air, le sol, le sous-sol, les sites et paysages, le cadre de vie,
Promouvoir une utilisation de l'énergie sobre et efficace, un développement des énergies renouvelables compatible avec les intérêts environnementaux, sociaux, économiques et paysagers,
Prévenir les dommages écologiques et les risques naturels et technologiques et leurs impacts sanitaires, notamment dans le domaine des déchets et pollutions,
Exiger un urbanisme économe, harmonieux et équilibré dans l'aménagement du territoire et défendre la protection du littoral et de la montagne,
Susciter l'intérêt, la connaissance et la participation des citoyens à la protection des patrimoines naturels et bâtis, encourager l’information, la formation et l’éducation en ce sens,
Agir pour une meilleure transparence des décisions publiques, de favoriser l'information et la participation des organisations représentatives de la société civile et du public à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement,
Veiller à la bonne application de la législation et de la réglementation ainsi qu'au bon emploi des fonds publics en matière d'environnement, cela dans tous les domaines liés à l'eau et aux usages de l’eau,
Agir en justice pour faire valoir la défense des intérêts qu'exprime son objet statutaire et ceux de ses membres.

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