03/12/2017

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)

La biodiversité aquatique se limite-t-elle aux poissons des rivières courantes? Le grand public le pense parfois et les agences de l'environnement (notamment Onema, aujourd'hui Agence française pour la biodiversité) ont fait en France de la petite rivière à écoulement rapide le paradigme du milieu naturel à protéger ou à restaurer. Mais il n'en est rien, car les prémisses de ce raisonnement sont fausses. Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. Ce travail, qui a eu le mérite d'être la première étude comparative systématique des masses d'eau sur ce type de paysage, est loin d'être isolé dans la littérature scientifique. Il doit conduire à repenser la manière dont la biodiversité aquatique est aujourd'hui analysée et gérée, avec notamment une prise en compte plus systématique des espèces autres que les poissons, et des milieux aquatiques autres que les rivières à écoulement lotique. On attend notamment de l'AFB qu'elle s'affranchisse définitivement du centrage halieutique sur quelques espèces d'intérêt, qui a biaisé trop longtemps en France l'exercice diagnostique et pronostique sur la biodiversité des masses d'eau.

B. R. Davies et ses quatre collègues ont étudié une zone de 13x11 km en Angleterre (limite de l'Oxfordshire, du Wiltshire, du Gloucestershire). L'usage dominant des sols est agricole avec 75% de terres arables, 9% de forêts, 7% de prairies, 2% de zones urbaines. Le but de leur recherche était notamment de comprendre comment, dans un usage des sols agricoles connu pour son impact négatif sur la biodiversité (pollution, érosion, eutrophisation, etc.), le vivant aquatique se maintient et se répartit dans les différentes catégories de milieux aquatiques.

Les auteurs ont étudié cinq types de masse d'eau :
  • les lacs (naturels ou artificiels, plus de 2 ha de superficie), 
  • les mares et étangs (ponds, naturels ou artificiels, entre 25 m2 et 2 ha), 
  • les rivières (écoulement lotiques de plus de 8,25 m de large), 
  • les petites rivières et ruisseaux (streams, moins de 8,25 m de largeur),
  • les fossés (à usage généralement agricole, ou routier). 
Ils ont collecté des plantes et insectes, selon une méthodologie comparable pour chacune des masses d'eau : 20 sites de collecte sur chaque type de milieu, d'une surface de 75m2 chacun.

Les données retenues sont la richesse totale (nombre d'espèces) et la rareté (Species Rarity Index SRI, indice évaluant si les espèces sont rares ou menacées dans l'écorégion).

Les graphiques ci-dessous donnent les résultats.


Richesse spécifique des 5 milieux analysés (macrophytes, macro-invertébrés). Les mares et étangs sont les milieux les plus riches. Les rivières et ruisseaux ont un profil équivalent aux lacs.


Indice de rareté spécifique dans les 5 milieux.  On observer que les rivières petites ou grandes ne sont pas les mieux notées, en particulier pour les invertébrés.

A propos des fossés, mares et étangs et autres plans d'eau de petites dimensions, les auteurs soulignent : "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

Discussion
Le travail de ces chercheurs anglais a eu le mérite de comparer de manière assez systématique la biodiversité de masses d'eau sur un même territoire. Mais les monographies plus ciblées montrant l'importance des petites zones lentiques pour la biodiversité ordinaire sont innombrables.

Cette approche est malheureusement mal représentée en France, où l'approche de la biodiversité aquatique est dominée par les rivières et leurs poissons, ainsi que par des zones humides souvent limitée à des vestiges d'habitats naturels ou à des plans d'eau de grandes dimensions, au lieu d'intégrer aussi les milieux ordinaires des paysages anthropisés.

Notre association l'a observé à diverses reprises dans son principal domaine d'intervention à ce jour, la mise en oeuvre de la continuité écologique. Non seulement les porteurs de projets, mais aussi les agents de l'environnement en charge des suivis, développent des grilles d'analyse où l'on compare seulement des peuplements attendus en zone lentique et lotique, le plus souvent sur des poissons (parfois aussi des insectes), cela en partant du principe que les espèces lotiques (rhéophiles, lithophiles) sont d'un intérêt majeur en biodiversité ou relèvent une "naturalité" qui serait désirable (un état antérieur figé dans l'histoire). Mais cela peut conduire à des choix aberrants, comme des propositions de mises à sec de milliers de mètres de milieux aquatiques (biefs canaux zones humides attendantes) et des disparitions de retenues sans même avoir pris la précaution de réaliser des inventaires de biodiversité.

Ces pratiques doivent changer, non seulement parce qu'elles sont insatisfaisantes au plan de la rigueur scientifique dans l'examen de la biodiversité réelle des milieux aquatiques et ripariens, mais aussi parce qu'elles sont en décalage croissant par rapport aux attentes du droit de l'environnement. Nous avons ainsi demandé à l'AFB les conditions d'analyse d'un étang avant son éventuelle disparition, et nous jugerons à la réponse la capacité de l'Agence à traiter pleinement les enjeux de biodiversité.

Référence : Davies BR et al (2008), A comparison of the catchment sizes of rivers, streams, ponds, ditches and lakes: implications for protecting aquatic biodiversity in an agricultural landscape, Hydrobiologia, 597, 1,7–17

11 commentaires:

  1. Mais tous cela est bien connu et personne ne le conteste et surtout pas au sein de l'AFB. Que voulez-vous prouver au juste ? Que les milieux lotiques sont aussi intéressants que les milieux lentiques ? Personne n'en doute ! vous pensez que si un seuil détermine un milieu humide intéressant ce qui au demeurant est tout à fait possible il n'en sera tenu aucun aucun compte ... c'est vraiment se moquer du monde et dire que des parlementaires se sont pris à croire vos billevesées et à vous accompagner dans votre paranoïa ...

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    1. "Supprimer des plans d’eau sur cours d’eau permet de rétablir la dynamique fluviale et la continuité écologique."
      http://www.onema.fr/recueil_restauration_hydromorphologie

      Pouvez-vous simplement nous indiquer quelle grille d'analyse l'Onema (2007-2016) a produite à l'intention des bureaux d'études, fédérations de pêche, syndicats de rivières quand elle appelait ainsi à supprimer des plans d'eau? Pouvez-nous nous donner des liens vers les inventaires de biodiversité qui ont été systématiquement réalisés dans ces campagnes de suppression, afin que nous analysions leurs protocoles et leurs résultats?

      Quand nous lisons les "recueils d'expérience" en lien ci-dessus, nous ne trouvons rien de tel : comment l'expliquez-vous?

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    2. "l'expertise halieutique domine la restauration écologique sur les autres aspects de la biodiversité (macro-invertébrés, macrophytes etc.) et l'expertise géomorphologique est souvent une part intégrée au projet sur les poissons. La situation s'explique principalement pour des raisons institutionnelles. La dimension scientifique du management des rivières est sous la responsabilité de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), une organisation largement dérivée du Conseil supérieur de la pêche (CSP) où les experts des espèces rhéophiles et lithophiles d'eaux vives, parmi eux des migrateurs, sont principalement représentés"

      Ce n'est pas Hydrauxois qui constate cela, mais une équipe universitaire :
      Lespez L et al (2015), The anthropogenic nature of present-day low energy rivers in western France and implications for current restoration projects, Geomorphology, 251, 64–76

      Mais au demeurant, l'analyse quantitative des écrits Onema 2007-2016 devrait permettre de clarifier les choses. Sur quelques millions de mots de corpus formant l'expression de l'Office vers ses parties prenantes, nous devrions vérifier aisément que tous les milieux aquatiques et toutes les espèces sont cités de manière bien répartie, sans observer de biais particulier par rapport à la biodiversité dont il est question. Il a dû y avoir un quantité considérable de mentions des lacs, mares et étangs (sans lien à leur destruction pour refaire une rivière lotique, juste pour l'étude propre de ces milieux). Restez connecté pour avoir les résultats de cette analyse en 2018.

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  2. Tous ces milieux dont vous parlez abritent une vraie biodiversité et nul ne le conteste. La nuance est que ces milieux "naturels" sont créés par l'homme et donc artificiels. Il est possible de créer ces milieux et de les multiplier mais il est impossible de créer un cours d'eau au fonctionnement naturel, il faut le restaurer. Sinon la biodiversité propre à ces cours d'eau risque de disparaître.

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    1. La distinction entre milieu naturel et artificiel ne tient pas, lisez par exemple l'article de Lespez et al 2015 en lien ci-dessus.

      L'état "naturel" de la France sans l'homme (=sans modification des milieux), ce serait 90% de couverts forestiers et des rivières n'ayant ni les mêmes espèces ni la même morphologie ni guère de propriétés communes (lumière, chimie, etc.) avec celles présentées indument comme "naturelles" aujoud'hui. inversement, des hauts lieux de biodiversité (marais poitevin, Camargue, Dombe, Brenne, Der, etc.) sont des zones crées et/ou aménagées par l'homme. Et l'étude ici commentée suggère que c'est aussi vrai pour la biodiversité ordinaire.

      Il faut donc cesser d'opposer la nature et l'histoire, l'évolution et l'homme : cela n'a pas de sens, les milieux ont co-évolué avec les sociétés humaines.

      L'écologie est d'abord écologie de la conservation. Quand vous avez des plans d'eau qui hébergent des espèces, leur préservation est d'intérêt qu'ils soient artificiels ou naturels. Cela n'empêche nullement de préserver aussi certains cours d'eau restés moins impactés que d'autres, ce qui est l'objet des classements en liste 1 par exemple, des réservoirs de biodiversité, des coeurs de parc naturel, etc. Nous n'y sommes pas pour notre part opposés, bien au contraire.

      L'écologie de la restauration quant à elle est une tendance récente, se révélant coûteuse à l'usage, et avec des résultats pour le moins ambivalent sur les divers types d'opérations, voir :
      http://www.hydrauxois.org/2015/11/idee-recue-08-les-operations-de.html

      Et en France
      http://www.hydrauxois.org/2016/03/faiblesse-scientifique-dimension.html

      On peut toujours continuer la langue de bois ("nos résultats sont formidables, mettons encore plus de moyens, n'écoutons pas les critiques, restons le nez sur le guidon des planifications"), mais ce ne sera pas convaincant.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  4. La seule chose au monde qui semblait obséder l'agent de police de l'eau en visitant mon moulin, c'étaient les truites. Il ne fallait pas les déranger celles-là, qu'elles aient des fraïères, et pas trop chaud, et pas trop d'eau,et pas trop peu d'eau, et pas de sédiments, et patin-couffin. Je lui disait que j'en ai aussi dans mon bief et que ma digue s'appelait dans le temps le saut de la truite, mais ca ne l'intéressait pas. Le reste il s'en fichait comme d'une guigne, je ne l'ai jamais entendu causer que de ses poissons.

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  5. Ces dossiers sont gérés de manière politique. Observez les projets éoliens qui mitent les paysages, il y a pression pour négliger les mortalités d'oiseaux et d'insectes, les artificialisations des sols, ce qui n'a rien d'écologique. Mais les ordres viennent du ministère. Et certaines associations subventionnées de défense de la nature ferment les yeux ou protestent mollement, alors qu'elles se montrent usuellement intraitables.

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  6. Le commentateur du 3 décembre 2017 à 20:33 parle "des parlementaires" , il peut aussi aller lire ce texte instructif que vous aviez fait
    http://www.hydrauxois.org/2015/11/extension-du-domaine-du-migrateur-ce.html

    Ses amis de l'Onema AFB (ou ses collègues?) trompent ces parlementaires en leur parlant esturgeon et saumon pendant qu'ils couvrent la destruction de sites sans grand migrateur pour faire plaisir à leurs amis pêcheurs, ce qu'ils sont souvent eux-mêmes d'ailleurs.

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  7. Quand ces mêmes agents donnent des avis favorables sur des projets de remise en service de micro-centrales ou de réhabilitation de PAP, ils militent pour qui?

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    1. Vous n'avez pas lu l'article. Ce qui est demandé à l'AFB dans la discussion, c'est de :

      - développer des grilles d'analyse des milieux qui n'accordent pas une place centrale aux poissons, mais prennent raisonnablement en compte l'ensemble de la biodiversité aquatique et riparienne (notamment lorsque l'on fait le bilan avant / après d'un chantier se donnant pour but une restauration écologique) ;

      - envisager plus largement que l'opposition milieux anthropisés versus milieux naturels, avec comme objectif la "renaturation" des premiers, doit être relativisée au profit d'une analyse factuelle des espèces et habitats présents sur les stations et tronçons.

      Après, l'AFB autorise (ou n'interdit pas) des usines hydro-électriques, des élevages intensifs, des cultures céréalières, des champs d'éoliennes, des fermes solaires, des constructions... donc cela n'a pas trop de sens de dire qu'elle "milite" ou pas pour ces usages. On observe cependant qu'elle insiste sur certaines pressions davantage que sur d'autres, comme en témoigne la surfréquence de la continuité longitudinale dans son expression institutionnelle à l'époque de l'Onema, alors même que la densité de barrages n'est pas le premier prédicteur de qualité d'une rivière au sens des indicateurs DCE.

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