21/12/2017

Le Conseil d'Etat rappelle que l'on peut augmenter la puissance d'équipement d'un ouvrage hydraulique autorisé

Dans un contentieux opposant l'association syndicale autorisée du canal de Gap, exploitant d'une centrale hydro-électrique, à des communes, le Conseil d'Etat vient de donner raison à la première. Dans cet arrêt, les conseillers rappellent que l'augmentation de puissance hydraulique (ici par l'ajout d'une turbine), même assez conséquente, n'implique pas l'obligation de solliciter une nouvelle autorisation spécifique si l'ouvrage concerné est déjà autorisé et constitue l'accessoire d'un usage principal (L 511-3 code de l'énergie), ici l'irrigation. Dans ce cas d'espèce, l'administration avait agi correctement (la région Rhône-Alpes est connue pour sa tradition hydro-électrique et la bienveillance de représentants de l'Etat à son endroit). Mais ailleurs, on observe souvent des conflits de même nature, où l'administration refuse de reconnaître des droits fondés en titre ou sur titre d'une puissance supérieure à l'équipement ancien de sites. On voit aussi parfois des acteurs de la rivière, comme les fédérations de pêche ou les associations écologistes, refuser des augmentations de puissance équipée. Cet arrêt rappelle le droit à ce sujet. 



Voici le rappel des faits :

  • par un décret impérial du 11 avril 1863, l’autorisation de prélever une part des eaux du Drac a été donnée au concessionnaire du canal du Drac, au droit duquel est venue l’association syndicale autorisée du canal de Gap, avec un débit maximal de 4 mètres cubes par seconde en temps d’étiage, en vue notamment, outre la satisfaction des besoins liés à l’irrigation, de «la mise en jeu des usines qui seront établies sur son cours»; 
  • par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 2 septembre 1976, l’exploitation, par la société d’équipement hydraulique des Alpes, de la micro-centrale hydroélectrique de Pont-Sarrazin, établie sur le long de ce canal, a été autorisée pour une durée de trente ans pour une puissance maximale brute de 500 kW représentant un débit de 0,16 mètre cube par seconde ; 
  • sans que cette autorisation ait fait l’objet d’une modification, sa puissance maximale brute est passée à 1 647 kW à la suite de l’installation d’une seconde turbine par l’exploitant, représentant un débit de 0,46 mètre cube par seconde; 
  • la micro-centrale a été cédée par l’exploitant à l’association syndicale autorisée du canal de Gap, à laquelle l’autorisation a été transférée par un arrêté du préfet des Hautes-Alpes en date du 10 juillet 2006; 
  • l’autorisation initiale venant à expiration, l’association syndicale autorisée du canal de Gap a sollicité du préfet des Hautes- Alpes une nouvelle autorisation, qui lui a été délivrée, par un arrêté en date du 1er décembre 2006 fixant à 1 647 kilowatts la puissance maximale brute hydraulique autorisée; 
  • à la demande de la communauté locale de l’eau du Drac amont, la communauté de communes du Haut-Champsaur et la commune de Saint-Jean-Saint-Nicolas, le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté; 
  • l’association syndicale autorisée du canal de Gap et le ministre de l’environnement se pourvoient en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative de Marseille a rejeté leurs appels contre ce jugement et a confirmé l’annulation de l’arrêté préfectoral au motif qu’il aurait dû être précédé d’une étude d’impact ou d’une enquête publique

Le Conseil d'Etat pose d'abord :
"lorsqu’un ouvrage a été autorisé en application d’une législation ou d’une réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992, il est dispensé des régimes de concession ou d’autorisation du livre V du code de l’énergie dès lors que la production d’énergie qui lui est adjointe constitue un accessoire à son usage principal, et sous réserve que, en cas de modifications regardées comme nécessaires, celles-ci ne soient pas de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau, impliquant alors une nouvelle autorisation au titre de la législation et de la règlementation sur l’eau"
Ce point rappelle qu'il n'y a pas lieu de solliciter une nouvelle autorisation pour un ouvrage déjà autorisé, les seules modifications éventuelles de l'ouvrage devant être évaluées au regard du droit, et appeler si besoin une nouvelle autorisation.

Les conseillers ajoutent :
"ainsi que l’a relevé la cour, le canal de Gap, ouvrage autorisé en vertu du décret impérial du 11 avril 1863, est réputé autorisé au titre de la police de l’eau en application de l’article L. 214-6 du code de l’environnement ; (…) en se fondant, pour juger que la micro-centrale de Pont-Sarrazin n’entrait pas dans le cadre de la dispense d’autorisation rappelée au point précédent, sur la circonstance que sa puissance de 1647 kW résultait de l’ajout d’une seconde turbine qui n’avait pas été précédemment autorisée et ne pouvait être regardée comme une «petite turbine», sans rechercher si cette micro-centrale présentait un caractère accessoire par rapport à l’usage pour lequel le canal de Gap était autorisé ni si sa mise en place était de nature à entraîner des dangers ou des inconvénients significatifs pour les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, la cour a commis une erreur de droit"
Ce considérant spécifie que le fait de mettre sur un ouvrage autorisé une turbine de plus grande puissance n'est pas de nature en lui-même à justifier la nécessité d'une nouvelle autorisation (et de l'enquête publique afférente).

On retiendra donc que ni les services instructeurs de l'Etat (ici dans leur bon droit) ni des tiers ne sont fondés à demander un changement du régime d'autorisation d'un ouvrage hydraulique au motif que la puissance exploitée en est changée sans modification de l'ouvrage lui-même et de ses impacts tels qu'ils sont précisés dans le code de l'environnement, en particulier pour "les éléments énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement qui ont pour objet une gestion équilibrée de la ressource en eau".

Texte complet (pdf) de l'arrêt du Conseil d'Etat, lecture du 18 décembre 2017, arrêt n°387577 et n°387639.

6 commentaires:

  1. le mot "bienveillance" ligne 9 du chapô me semble inapproprié et lourd de sous-entendus; il s'agit plus exactement de "clairvoyance" ou de "pertinence" de l'administration.

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  2. Bonjour
    Cette phrase sous votre plume m'étonne, car vous savez que les associations ou Fédérations, fussent-elles nationales n'ont rien à "autoriser" ni "refuser"; telles ne sont pas leurs prérogatives...et heureusement!

    On voit aussi parfois des acteurs de la rivière, comme les fédérations de pêche ou les associations écologistes, refuser des augmentations de puissance équipée.
    voir ci-dessous:
    On voit aussi parfois des acteurs de la rivière, comme les fédérations de pêche ou les associations écologistes, refuser des augmentations de puissance équipée

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    1. Parcourez un peu la littérature des ces milieux, les pétitions qu'ils lancent, les avis qu'ils donnent en enquêtes publique, etc. Un "dada" souvent trouvé dans leurs forums est de dire : "s'il faut relancer les moulins, c'est comme ils existaient jadis, avec la même puissance, des jours chômés, quelques heures de travail par jour, etc."

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    2. Quand vous défendez l'absence d'impact des moulins sur la faune aquatique, vous ne faites jamais mention du fait que leur fonctionnement était très différent de celui d'une centrale électrique connectée au réseau qui fonctionne en continu.
      Par ailleurs vous ne commentez jamais les articles scientifiques prouvant l'impact important de ces artifices comme par exemple "Historical rise of waterpower initiated the collapse of salmon stocks"H.J.R. Lenders, T.P.M Chamuleau, A.J. Hendriks, R.C.G.M Lauwerier....

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    3. Vous nous lisez mal, nous avons commenté ce travail dès qu'il est paru:
      http://www.hydrauxois.org/2016/11/les-moulins-auraient-ils-fait.html

      Mais nous ne sommes pas une instance de recherche ou un organisme public : notre vocation est d'abord de recenser les travaux dont ne parle pas l'AFB-Onema, ce qui est anormal pour une agence censée conseiller le décideur public à partir de l'état non biaisé de la littérature scientifique. Si l'AFB-Onema met en avant les travaux montrant des impacts, mais oublie ceux n'en montrant pas ou ceux discutant la pertinence de la méthode d'évaluation de l'impact ou ceux rappelant que l'ouvrage doit scientifiquement s'apprécier sous d'autres angles que l'ichtyologie / la sédimentologie ou encore ceu rappelant que la biodiversité aquatique dépasse largement les poissons, c'est un problème, non?

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  3. Un commentateur parle ci-dessus de " l'absence d'impact des moulins sur la faune aquatique" : c'est tout à fait inexact de dire cela. Ce que montre la recherche et ce que rappelle notre association, c'est que l'impact des petits ouvrage est à ce jour très peu étudié, que les analyses sur les poissons ou les invertébrés (à partir de critères DCE) ne montrent pas de perturbation très grave de la qualité des milieux, que la biodiversité évolue dans le temps et qu'elle est de toute façon modifiée par l'homme depuis des millénaires, particulièrement depuis deux siècles. Le pêcheur de truite ou de saumon qui est mécontent de ne pas retrouver la biomasse espérée de sa proie favorite sur une station n'a qu'un lointain rapport avec l'écologie. Hélas, c'est sur ce genre de considération que la continuité en long a pris une importance démesurée dans les politiques publiques des rivières en France. Il faut juste cesser de prendre les gens pour des idiots, de prétendre que des espèces lentiques plutôt que lotiques sur un site seraient un drame pour le vivant aquatique, de limiter ce vivant à quelques espèces de poissons spécialisés.

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