Affichage des articles dont le libellé est Continuité écologique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Continuité écologique. Afficher tous les articles

28/05/2023

Olivier Thibault, le nouveau directeur de l’OFB, trompe les parlementaires sur la continuité écologique

Auditionné par les parlementaires afin de valider sa nomination comme directeur de l’Office français de la biodiversité, Olivier Thibault a tenu des propos imprécis ou faux sur la continuité écologique. Il est manifestement impossible de concilier l’idéologie administrative du retour à la rivière sauvage avec un minimum de bonne foi dans l’analyse des réalités hydrauliques, en particulier les ouvrages anciens des moulins et étangs. 




Interrogé sur le thème de la continuité écologique et des moulins (voir la vidéo, vers 1’10), Olivier Thibault a commencé par leur attribuer la responsabilité de la disparition des poissons migrateurs. 

Ce propos est inexact. Une analyse de l’histoire des poissons migrateurs a montré que ceux-ci étaient encore présents un peu partout sur le territoire français au milieu du 18e siècle (Merg et al 2020). Or à cette époque les rivières étaient déjà couvertes de moulins et d’étangs, car l’hydraulique était la première énergie mécanique du pays et la pisciculture une activité vivrière. Une autre étude ayant analysé l’évolution des poissons migrateurs sur les 40 dernières années (1983-2017) ne trouve aucun lien significatif avec la continuité écologique (Legrand et al 2020). L’échec de la restauration fluviale s’observe aussi sur des bassins pilotes qui ont mobilisé de forts investissements à compter des années 1970, comme par exemple le saumon de l’axe Loire-Allier : malgré les efforts sur un demi-siècle, le taux de retour du saumon se situe à des niveaux historiquement très bas, outre que ces saumons relèvent désormais de souches d’élevage et non de souche sauvage. Pour ce cas du saumon atlantique, les chercheurs montrent que les baisses de recrutement depuis quelques décennies ne sont probablement pas liées aux facteurs usuellement mis en avant (pollution et continuité) car même dans des bassins très préservés, le saumon reste rare ou absent (Dadswell et al 2022). La même remarque pourrait être faite sur l'anguille : l'effondrement des stocks de ce migrateur date des années 1980, sans rapport temporel avec des ouvrages anciens présents depuis des siècles. 

Olivier Thibault a ensuite affirmé que 11% seulement des rivières françaises faisaient l’objet d’une politique de continuité écologique.

Ce propos est imprécis et trompeur. Suite à la loi de 2006, les préfectures de bassin ont classé 11% des rivières en liste 2 (obligation d’assurer la continuité au droit des ouvrages) et 30% en liste 1 (interdiction d’obstacle à la continuité écologique), voir données du CGEDD 2016. Mais surtout, les services de l’OFB que dirige Olivier Thibaut comme les services des DDT-M et des DREAL tendent désormais à exiger la continuité écologique à toute occasion de travaux sur un ouvrage. Ces services administratifs tirent argument que la continuité hydrographique figure dans les règles générales de gestion équilibrée et durable de l’eau (article L 211-1 code de l’environnement), donc qu’elle est exigible sur toute rivière, pas seulement sur celles spécifiquement classées à cette fin. Ces services tendent à donner des avis négatifs aux demandes de travaux sur des sites hydrauliques si ces travaux ne prévoient pas le poste (très coûteux) de continuité. C'est la raison pour laquelle nous demandons aux parlementaires de modifier la loi, afin d'empêcher ces attitudes de sur-administration et sur-réglementation qui bloquent l'hydraulique française depuis 20 ans.


Olivier Thibault a prétendu qu’il était « archi-faux » d’affirmer que les seuils en rivière aident à retenir l’eau et peuvent avoir des effets positifs sur les nappes ou les sécheresses.

Ce propos est « archi-faux ». D’abord, comme l’a reconnu l’expertise collective Irstea-Onema sur les effets cumulés des retenues d’eau, il existe très peu de données d’observation dans le monde sur les effets hydrologiques des petits ouvrages et de leurs plans d’eau (Carluer et 2016). Cette expertise signale que les retenues perdent de l’eau par infiltration et échange avec les aquifères, retenant une valeur médiane de 1 à 2 mm par jour pour le flux de transfert vers les aquifères. Ensuite, les règles de base de la physique (hydrostatique, hydrodynamique) comme l’observation empirique des puits et captages en bord d’ouvrages montrent que la création d’un plan d’eau et d’une lame d’eau plus haute augmente le niveau de la nappe sous-jacente. Le BRGM a rappelé cette évidence aux parlementaires dans une autre audition. De très nombreux travaux ont été menés pour étudier les barrages de castors – ce qui soit dit en passant montre une anomalie de la programmation de la recherche publique, car le même travail n’est même pas fait sur les ouvrages humains malgré leur ancienneté et omniprésence : tous ces travaux sur les castors documentent des effets positifs des petits barrages en lit mineur  pour la rétention d’eau dans les bassins (voir par exemple revue chez Larsen et al 2021). Enfin, de rares travaux ont été menés sur des rivières où l'on avait effacé des ouvrages, d'autres où l'on avait cessé de gérer les retenues de moulins : ces travaux documentent des incisions des lits et des baisses de niveau des nappes, deux phénomènes négatifs pour la retenue d'eau en sol et sous-sol (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). On lira également avec profit la monographie de Pierre Potherat sur l'analyse des ouvrages hydrauliques et de leur gestion en lien aux recharges d'aquifères (Potherat 2021). 

Concernant l’évaporation, citée par Olivier Thibault comme un grave problème lié aux retenues d’eau, rappelons que tous les milieux de surface évaporent, qu’ils soient naturels ou artificiels. L’une des seules études menées en France pour comparer l’évaporation de retenues artificielles avec des zones humides ou des forêts a montré que les retenues humaines évaporent moins sur l’année (Al Domany et al 2020). De tels travaux doivent être répliqués, mais ils tirent déjà un signal d’alarme assez fort sur l’effet des « solutions fondées sur le nature » en ce qui concerne spécifiquement la lutte contre les sécheresses. Les parlementaires ne doivent pas suivre aveuglément des idées floues et à la mode, mais exiger des preuves scientifiques fortes avant d’engager un programme public sur des sujets importants pour la société et le vivant. Si l’OFB prétend que les ouvrages hydrauliques ont un effet négatif sur le stockage d’eau, il faut publier les travaux scientifiques qui le démontrent. Sinon, il faut arrêter de propager des fausses informations au nom d’une idéologie du retour à la rivière sauvage.  

Conclusion : l’Office français de la biodiversité (ex Onema, ex Conseil supérieur de la pêche) a largement contribué à transformer la continuité écologique en dogme et à bloquer toute analyse sérieuse des services écosystémiques rendus par les ouvrages hydrauliques. Olivier Thibault commence sa mandature à la direction de cette institution sur un très mauvais départ, avec la redite des éléments de langage relevant d’une idéologie administrative davantage que de la précision scientifique. 

06/05/2023

Où sont passés les saumons de l’Atlantique ? (Dadswell et al 2022)

Nous allons faire disparaître les obstacles des rivières (seuils, barrages), reconnecter des habitats fluviaux, et le saumon Atlantique reviendra à son abondance passée. Cette promesse majeure de la politique dite de continuité écologique est fondée sur une science du 20e siècle. Problème : cette vision est fausse. Dans un passage en revue critique de l’état des stocks de saumon Atlantique, des scientifiques montrent que si le saumon a souffert dans le passé des barrages, de la pollution et de la surexploitation de pêche continentale, ces causes n’expliquent pas le fort déclin observé depuis le milieu des années 1980, même dans des rivières sans obstacle, sans polluant et à pêche interdite ou très restreinte. L’hypothèse dominante retenue par ces chercheurs est une pression de la pêche illégale, non déclarée, non réglementée (INN), d’autant plus forte que le bassin de retour des saumons est situé loin du gyre subpolaire formant une étape de leur migration marine.


Illustration par Timothy Knepp, U.S. Fish and Wildlife Service.

La présence des saumons atlantiques adultes (Salmo salar Linnaeus, 1758), retournant dans les rivières autour de l'océan Atlantique Nord, a été étroitement surveillée depuis que les humains ont commencé à exploiter la ressource. Historiquement, les populations de saumon ont été très abondantes, même si les chroniques historiques évoquent des périodes de pénurie. L'examen des retours d'adultes au cours des 100 à 200 dernières années où nous disposons de chroniques historiques fiables et continues suggère qu'il existait un cycle naturel d'abondance annuelle, avec des quantités de saumons en rivière pouvant varier d’un facteur 10 entre les période d’abondance et les périodes de rareté. La quantité globale  de saumons a cependant décru régulièrement au fil du temps en raison de causes anthropiques connues (grands barrages, pollutions, surpêche). Mais, depuis les années 1980, une nouvelle baisse globale et mal expliquée est observée alors que les pressions anciennes se sont stabilisées ou ont régressé.

Sept spécialistes nord-américains et européens du saumon Atlantique ont publié un passage en revue critique des causes possibles de déclin récent du saumon Atlantique. Voici le résumé de leur étude :
« Les retours d'adultes dans de nombreux stocks de saumon atlantique sauvage et d'écloserie de l'Atlantique Nord ont diminué ou se sont effondrés depuis 1985. L'amélioration, les fermetures de la pêche commerciale et les restrictions de pêche à la ligne n'ont pas réussi à enrayer le déclin. Les impacts humains tels que les barrages, la pollution ou la surexploitation marine étaient responsables de certains déclins de stocks dans le passé, mais les retours d'adultes dans les stocks de rivières et d'écloseries sans impacts locaux évidents ont également diminué ou se sont effondrés depuis 1985. De nombreuses études ont postulé que la récente occurrence généralisée de faibles retours d'adultes peuvent être causés par le changement climatique, la salmoniculture, la disponibilité de nourriture en mer ou les prédateurs marins, mais ces possibilités ne sont pas soutenues par certains  stocks qui persistent près des niveaux historiques, la perte de stocks éloignés des sites d'élevage, un éventail de proies marines diversifié et la rareté des grands prédateurs du large. 

Le déclin et l'effondrement des stocks ont des caractéristiques communes : 1) les retours cycliques annuels d'adultes cessent, 2) les retours annuels d'adultes sont stables, 3) la taille moyenne des adultes diminue et 4) les effondrements de stocks se sont produits le plus tôt parmi les bassins versants éloignés du gyre subpolaire de l'Atlantique Nord (NASpG). Les montaisons annuelles cycliques d'adultes étaient communes à tous les stocks dans le passé qui n'étaient pas touchés par des changements anthropiques dans leurs cours d'eau natals. 

Une ligne plate d'abondance des adultes et une réduction de la taille moyenne des adultes sont des caractéristiques communes à de nombreux stocks de poissons surexploités et suggèrent une exploitation de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) en mer. L'éloignement de la NASpG entraînant une mortalité plus élevée des post-saumoneaux migrateurs augmenterait le risque d'effondrement de ces stocks dû à l'exploitation INN. Les prises accessoires de post-saumoneaux et d'adultes dans les pêches au chalut en couple au large de l'Europe et les captures d'adultes interceptés au large du Groenland, dans le golfe du Saint-Laurent et au large de l'Europe ont été des sources de mortalité marine, mais il semble peu probable qu'elles soient la principale cause de la déclin. La répartition dans le temps et dans l'espace des anciennes pêcheries hauturières légales indiquait que les pêcheurs connaissaient bien le schéma migratoire océanique du saumon et, combiné au manque de surveillance depuis 1985 en dehors des zones économiques exclusives ou dans les régions nordiques éloignées, cela pourrait signifier une mortalité élevée en mer à cause de la pêche INN. Le problème des pêcheries océaniques INN est aigu, a entraîné l'effondrement de nombreux stocks d'espèces recherchées dans le monde entier et est probablement lié au déclin et à l'effondrement imminent de la population de saumons de l'Atlantique Nord. »

Estimation de l'abondance avant la pêche (lignes pleines) et retours d'adultes (lignes pointillées ou tirets) de saumons atlantiques sauvages unibermarins (gris) et bibermarins (noir) en millions provenant du stock d'Amérique du Nord (AN), d'Europe du Nord (NE) et d'Europe du Sud (SE) dans l'Atlantique Nord entre 1971 et 2019. Extrait de Dadswell et al, art cit.

Le cas emblématique de deux rivières à bonnes conditions où le saumon décline malgré tout
Un exemple de ce qui est arrivé aux stocks de saumon dans certaines parties de l'Atlantique Nord est illustré par l'histoire récente de deux rivières tributaires de la baie de Fundy, au Canada. Il est utile de s’attarder sur le récit des chercheurs, car la description des actions menées sur ces bassins rappelle ce qui est fait en France depuis 50 ans de plans grands migrateurs, avec la même absence de résultat probant.

Voici ce qu’expliquent les chercheurs : 
« La rivière Upper Salmon (USR) et la rivière Point Wolfe (PWR) sont de petits bassins hydrographiques situés dans le parc national Fundy avec respectivement 10 et 23,3 km d'habitat du saumon accessible. Les rivières ont été endiguées à la tête de la marée dans les années 1800 à des fins d'exploitation forestière et leurs populations ont disparu. Après la création du parc en 1948, l'exploitation forestière a été interdite, les barrages sont tombés en désuétude et se sont finalement effondrés ou ont été enlevés.

Le cours supérieur de la rivière Upper Salmon est devenu accessible au saumon en 1954 et, en 1963, la population de la rivière était estimée à 100 adultes par les gardes du parc. La rivière a une eau extrêmement claire et les poissons sont visibles même dans les bassins les plus profonds depuis les hautes berges rocheuses. La réintroduction s'est probablement produite par divagation naturelle ou à partir d'une petite population survivante dans les affluents en aval de l'ancien barrage. Lorsque les premiers relevés scientifiques ont été menés de 1965 à 1968, on estimait que la montaison annuelle variait de 312 à 1 363 poissons. Pendant la période d'augmentation de la population, une pêche commerciale au saumon au filet dérivant existait encore dans la baie de Fundy et la pêche à la ligne dans la rivière était autorisée après 1965. Les prises à la ligne variaient de 4 à 113 poissons/an ou un taux d'exploitation de 1,1 à 27,5 %.

La rivière Point Wolfe n'était pas accessible au saumon jusqu'en 1984, lorsque les installations de franchissement du poisson ont été achevées au barrage à marée. L'ensemencement annuel de 42 000 alevins d'automne a été réalisé de 1982 à 1985 (Gibson et al. 2003).

Les montaisons annuelles d'adultes dans l’USR ont persisté à des niveaux durables jusqu'en 1985, mais la pêche à la ligne a été fermée en 1991, après que les montaisons annuelles eurent diminué rapidement. En 1998, des enquêtes sur les retours d'adultes ont révélé que la montaison de frai s'était effondrée avec peu ou pas de poissons. De petits nombres de retours d'adultes provenant de l'empoissonnement des REP ont été observés (peu de comptages disponibles) mais la montaison annuelle n'a jamais établi un niveau durable.

À partir de 2006, Canada Parks a lancé un effort concerté pour rétablir le saumon atlantique dans les deux rivières. Entre 2006 et 2017, un total de 968 670 tacons et 1 679 adultes élevés en écloserie ont été stockés dans les rivières et des pièges à vis, la surveillance des montaisons de smolts a capturé jusqu'à ∼ 2 000 smolts quittant les rivières chaque année. De 2011 à 2019, un total de 4 534 adultes de smolts capturés dans l’USR  ont été élevés jusqu'à maturité dans une ferme salmonicole marine et, une fois mûrs, relâchés dans la rivière pour frayer (∼400–900/an). (...) Bien que la production de juvéniles ait augmenté en raison de cet effort, en 2019, les retours d'adultes sauvages (3 en USR) n'avaient toujours pas augmenté de manière substantielle dans les deux rivières. »
Discussion
Les causes alléguées de déclin des saumons et d’autres grands migrateurs comme l’anguille (qui a connu le même effondrement dans les années 1980) sont nombreuses : surpêche en haute mer dans le cadre légal, acidification des océans, changement climatique, polluants émergents, salmoniculture, retour de prédateurs en conséquence de protection (phoques et cétacés par exemple). Mais aucune n’est convaincante pour Michael Dadswell et ses collègues, d’où l’hypothèse privilégiée par eux de la pêche illégale, non déclarée  et non réglementée. 

Nous ne savons pas si cette hypothèse se confirmera et il faudrait déjà mettre des moyens pour contrôler les effets de ces pêches océaniques dans la zone Atlantique nord. En revanche, le travail des chercheurs montre combien la politique publique des migrateurs en France est éloignée de l’état actuel de la réflexion scientifique. 

La guerre des seuils et des barrages lancée au nom de la continuité écologique est une représentation du 20e siècle, qui ne correspond plus à la réalité. Elle est en fait une redite des politiques halieutiques commencée au 19e siècle, comme nous l'avions exposé, sans réflexion de fond sur les nouvelles conditions à l'Anthropocène et en particulier la bifurcation sensible après le milieu du 20e siècle. Sans surprise, même sur les rivières ayant fait l’objet de politique saumon depuis longtemps, on n’assite pas au retour en masse du migrateur malgré des ouvertures de nouveaux habitats (voir nos articles sur la Loire, sur la Vire).  Cela signifie que l’argent public est mal dépensé à deux titres : d’une part, on se trompe sur les problèmes du saumon et on investit sur de mauvais chantiers, en particulier quand ils concernent des seuils anciens n’ayant jamais entravé historiquement le saumon (voir Merg et al 2020) ; d’autre part, en détruisant les ouvrages, on se prive de leurs services écosystémiques rendus à la société, en particulier leurs possibles usages pour la transition énergétique comme l’adaptation climatique et la régulation des niveaux d'eau.

Référence : Dadswell M et al (2022), The decline and impending collapse of the Atlantic Salmon (Salmo salar) population in the North Atlantic Ocean: A review of possible causes, Reviews in Fisheries Science & Aquaculture, 30,2, 215-258.

20/04/2023

Pas d'impact sédimentaire notable d'un seuil en rivière (Rollet el al 2022)

Des chercheurs ont étudié le seuil le plus important du fleuve côtier Gapeau, dans le sud de la France. A l'occasion de trois crues, ils montrent que la retenue de 700 m créée par cette chaussée ancienne ne sédimente pas la charge grossière et évacue les charges plus fines de sables et graviers. Les scientifiques concluent que se focaliser sur les seuils dans ce contexte ne sera pas de nature à recharger en sédiment les côtes et les plages à l'aval, car le déficit sédimentaire a d'autres causes. Leur travail rappelle aussi que la plupart des recherches menées sur la sédimentation dans les ouvrages modestes (seuils, chaussées, petits barrages et déversoirs) ne montrent pas d'effet notable. Soit le contraire de ce qui est affirmé dans le discours du gestionnaire public.



Le seuil de Sainte-Eulalie, étudié par les chercheurs. DR.

Anne-Julia Rollet, Simon Dufour, Romain Capanni et Mireille Lippmann Provansal ont analysé l'impact sédimentaire d'un seuil sur une petite rivière du Sud de la France. Le Gapeau est un fleuve côtier de 47,5 km de long (pente : 0,7 m.m-1) qui draine un bassin versant de 564 km² entre les crêtes montagneuses de la Sainte Baume et de Morières au nord et à l'ouest et la crête montagneuse des Maures à l'est. La rivière s'ouvre au sud sur la plaine et se jette dans la rade d'Hyères. Le bassin versant du Gapeau contient deux sous-bassins aux caractéristiques géologiques contrastées : le sous-bassin versant ouest, où la rivière Gapeau coule sur un substrat calcaire, perméable et favorable à l'infiltration, et  le sous-bassin versant est de la rivière Réal-Martin (principal affluent de la rivière Gapeau), qui coule sur des substrats métamorphiques imperméables. La rivière Gapeau présente un chenal étroit et profond sur la majeure partie de sa longueur ainsi que des berges élevées. Cette morphologie est particulièrement adaptée au transit des flux d'eau et de sédiments. 

Dans la partie aval du Gapeau, le seul ouvrage pouvant piéger les sédiments en transit est le seuil de Sainte Eulalie. Cette chaussée est un ouvrage en maçonnerie de 3,75 m de haut et génère en amont un plan d'eau d'environ 700 mètres de long en régime d'étiage. Sa date exacte de construction est inconnue, mais elle est indiquée sur des cartes de 1896. 

Pour déterminer l'influence du seuil sur la continuité sédimentaire de la rivière, les chercheurs ont suivi l'évolution du stock sédimentaire en amont du seuil de Sainte Eulalie, qui est la principale zone de piégeage. La capacité de piégeage des sédiments du déversoir a été évaluée en analysant les différentiels bathymétriques avant vs après les crues, avec quatre mesures par point pour assurer une marge d'erreur verticale de ± 0,10 m après post-traitement. Trois relevés bathymétriques ont été réalisés pour décrire la mobilité sédimentaire générée lors de crues de trois intensités différentes : débit d'eau instantané de 42 m3.s-1, 57 m3.s-1 et 67 m3.s-1.

Voici le résumé de leur travail :
"Dans les systèmes littoraux et fluviaux en déficit sédimentaire la restauration du transport solide fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière. La suppression d’ouvrages transversaux (seuils, barrages) est parfois préconisée même si l’effet réel   des petits seuils sur le transport de la charge de fond n’est pas démontré dans tous types de contexte. Dans ce cadre, notre étude a pour objectif d’apporter des éléments quantifiés pour (i) documenter l’interruption des transferts sédimentaires grossiers (> sables fins) par un petit seuil sur un système fluvial côtier méditerranéen (le Gapeau), et (ii) discuter la pertinence de sa suppression pour la restauration de la continuité sédimentaire. Ces éléments sont produits partir d’approches croisées de suivis de la dynamique sédimentaire du fond du lit (bathymétrie, traçages sédimentaires, chaines d’érosion et suivis topographiques) et de modélisation de capacités de transport. Nos résultats nous permettent de conclure que le seuil étudié ne semble pas constituer d’entrave physique au transfert de la charge de fond dans la mesure où aucune accrétion nette n’a été observée en amont de l’ouvrage malgré des crues importantes enregistrées durant le suivi. Néanmoins, la mesure indirecte du transport solide montre qu’il n’existe pas ou plus de charriage sur ce cours d’eau qui connait un fort déficit sédimentaire. Ainsi, la suppression de seuil sur le Gapeau serait insuffisante pour atténuer le déficit sédimentaire fluvial et/ou littoral. Il conviendrait plutôt de concentrer la réflexion sur la réalité des entrées sédimentaires et l’efficacité des connexions entre les versants et le chenal."
Les auteurs précisent encore :
"La mesure indirecte du transport sédimentaire a montré que la charge de fond n'est pas (ou plus) transportée le long de la rivière Gapeau (à l'exception d'un peu de transport résiduel de sable et de gravier que nous n'avons pas réussi à quantifier). Le transport sédimentaire mesuré, même lors d'une crue de 5 ans, avait un volume extrêmement faible (456 m3) et était très inférieur à la capacité de transport (20 200 m3). Cette différence indique que la rivière Gapeau présente un important déficit sédimentaire. Nous avons également observé un pavage important du lit de la rivière qui variait de 2,1 à 10,5 en aval de la zone d'étude. Le lit de la rivière Gapeau est ainsi quasi stable lors des crues les plus courantes, et il ne reste qu'une faible coulée sédimentaire composée de sable et de gravier. Ce débit est trop faible pour être détecté par des mesures indirectes de transport sédimentaire, mais nous l'avons détecté lors du suivi de la retenue de Sainte Eulalie.

Des mesures bathymétriques supplémentaires effectuées à l'embouchure de la rivière Gapeau avant et après la crue de décembre 2008 ont indiqué que 1 300 à 1 400 m3 de sédiments (sable moyen à grossier) ont été apportés aux plages (Brunel, 2010; Capanni, 2011). Cependant, ces apports en conditions hydrologiques actives (Q5) ne compensent pas les 2 700 m3.an-1 estimés d'érosion côtière (Capanni, 2011). Ainsi, les apports fluviaux de la rivière Gapeau semblent peu contribuer au trait de côte. Les volumes actuels de sédiments grossiers fluviaux ne sont pas suffisants pour maintenir la rivière en bon état, et le système fluvial du Gapeau présente un déficit sédimentaire sévère malgré la présence du seuil de Sainte Eulalie. Ces éléments soulèvent ainsi des questions sur l'utilité de retirer le seuil pour rétablir la continuité sédimentaire et entretenir le trait de côte. Le déversoir n'entrave pas l'écoulement du sable, dont le volume est beaucoup trop faible pour contrebalancer les déficits côtiers en sable. Sur la base de nos observations du seuil de Sainte Eulalie, nous émettons l'hypothèse que la plupart des autres ouvrages du bassin versant ne gênent pas le transfert sédimentaire soit parce qu'ils sont déjà engorgés soit parce qu'ils n'ont jamais complètement interrompu le transfert sédimentaire. Le seuil de Sainte Eulalie, comme tous les seuils de la rivière Gapeau, était déjà présent dans le « profil des grands efforts hydrauliques » en 1954 (et probablement bien avant). Avant les années 1970, cependant, les données topographiques indiquent qu'aucune incision ou rétraction n'a eu lieu (Capanni, 2011). Les autres ouvrages sont situés en amont dans la zone du bassin versant, dans des contextes aux pentes souvent plus fortes que ceux de Sainte Eulalie, qui est aussi l'ouvrage le plus haut (3,5 m, contre 2,0 m pour les autres). Ainsi, si le seuil de Sainte Eulalie ne stocke pas de charriage, les autres seuils ne le sont probablement pas non plus. Ces observations sont cohérentes avec les résultats de la plupart des études sur l'influence des petites structures sur le transport du charriage dans des contextes géomorphologiquement dynamiques."

Discussion
Le faible effet sédimentaire des petits ouvrages hydrauliques est un trait récurrent des recherches menées sur ce sujet. Dans leur travail, les chercheurs le rappellent : "De nombreuses études ont mis en évidence l'influence des petites structures sur la morphologie des chenaux (Fencl et al., 2015), mais seules quelques études morphologiques se sont concentrées sur l'influence des déversoirs sur la continuité des sédiments grossiers. Les modifications morphologiques qu'entraînent les seuils couvrent souvent une superficie relativement réduite et sont liées soit à un engorgement de l'ouvrage en amont (ex. : sédimentation), soit à une poussée hydraulique en aval (ex. : incision en aval de l'ouvrage, apparition de berges médianes). A ce jour, aucun changement morphologique en aval des seuils n'a été explicitement corrélé au déficit sédimentaire qu'ils ont généré. Les quelques études portant sur l'influence des déversoirs sur la continuité sédimentaire suggèrent qu'ils ne l'influencent pas fortement (Csiki et Rhoad, 2010 ; Pearson et Pizzuto, 2015 ; Peeters et al., 2020 ; Casserly et al., 2021). Les sédiments de charriage peuvent quitter un réservoir lors d'épisodes de débit élevé (Pearson et al., 2011; Casserly et al., 2021) ou après avoir dépassé la capacité de stockage du réservoir (Major et al., 2012). Pearson et Pizzuto (2015) ont suggéré que toutes les fractions granulométriques dans le matériau du lit fourni en amont auraient pu être transportées à travers le réservoir qu'ils ont étudié, le long de la rampe en pente et au-dessus du barrage de 2,5 m, tandis que Peeters et al. (2020) ont observé un transfert sélectif de particules autour de la médiane. Cependant, la réponse des rivières à l'existence à long terme de déversoirs varie considérablement (Csiki et Rhoad, 2010) et dépend principalement des caractéristiques des ouvrages (c'est-à-dire la forme, la hauteur de la crête, la présence ou l'absence de systèmes de vannage), la rivière (c.-à-d. occurrence de grandes crues, taille des sédiments, capacité de l'hydraulique fluviale à transporter les sédiments au-dessus de la crête du déversoir) et les caractéristiques générales du bassin versant (p. ex. densité du déversoir en amont, apport de sédiments disponible) (Pearson et Pizzuto, 2015) . Par conséquent, comprendre l'influence des déversoirs sur les flux de sédiments (et donc la pertinence de les enlever) nécessite une approche de recherche et de gestion différente et plus intégrée que l'approche individualiste qui a été appliquée aux grands barrages (Fencl et al., 2015)."

A rebours du discours public tenu depuis 15 ans pour justifier la destruction des petits ouvrages, ceux-ci ne représentent donc pas a priori un problème grave de transfert sédimentaire. Le même discours public avait déjà menti sur la soi-disant "auto-épuration" des rivières, que les barrages entraveraient alors que l'inverse est vrai (toutes choses égales par ailleurs, une retenue tend à éliminer divers intrants et polluants). La rhétorique est désormais connue : on ne met en avant que des aspects négatifs des ouvrages hydrauliques, quitte à les exagérer voire les inventer dans certains cas, alors que l'on passe sous silence leurs aspects positifs. Cette politique publique partisane et nuisible aux patrimoines des rivières doit cesser.

Référence : Anne-Julia Rollet et al (2022), Is removing weirs always effective at countering the sediment deficit? Case study in a Mediterranean context: the Gapeau River, Géomorphologie : relief, processus, environnement, 28,3, 187-200

08/04/2023

Le gouvernement reconnaît la nécessité de mieux stocker l'eau dans les ouvrages hydrauliques déjà en place

Confronté aux sécheresses, le gouvernement français vient d'annoncer un "plan eau". On y observe la timide reconnaissance de la nécessité de stocker l'eau avec, parmi les mesures citées, l'aide à l'entretien des ouvrages existants. Pour le moment, cette mesure est limitée à l'hydraulique "agricole". Mais il faut bien évidement l'étendre aux centaines de milliers de retenues, plans d'eau, canaux issus de l'hydraulique ancienne et permettant de stocker l'eau un peu partout sur le territoire. 


Après avoir financé pendant une décennie la destruction à marche forcée des seuils, digues, barrages, avec en conséquence l'assèchement des retenues et canaux dérivés de ces ouvrages hydrauliques, le ministère de l'écologie entame une timide marche arrière. Il faut dire que là où cette politique a été appliquée, le retour à la rivière dite "naturelle" n'a nullement tenu les promesses naïves de paradis retrouvé: on a observé partout en 2022 des rivières et ruisseaux à sec ou réduits à un filet d'eau chaude. Ceux des riverains qui jouissaient auparavant de retenues y ont vu à juste titre une catastrophe locale pour l'eau, le vivant, l'agrément. La délégation à la prospective du Sénat avait déjà publié quelques mois plus tôt un rapport appelant à cesser la disqualification du stockage

Le plan eau, révélé au début de ce mois par le président de la république et porté par le ministère de l'écologie, reconnait la nécessité d'améliorer le stockage de l'eau dans les ouvrages, et d'investir à cette fin afin déjà d'améliorer les ouvrages existants. 

Dont acte. Mais que les préfets fassent immédiatement cesser les programmes de syndicats de rivière et financements des agences de l'eau qui persistent à dilapider l'argent public dans ces destructions et assèchements, alors que cette nouvelle politique exige l'aménagement et la gestion des ouvrages. Ce que demandait déjà la loi de 2006, non appliquée par une administration eau & biodiversité ayant préféré un programme douteux de retour aux rivières sauvages. Nous le payons aujourd'hui par le retard dans l'adaptation hydroclimatique comme dans la transition énergétique

Extraits :

AMÉLIORER LE STOCKAGE DANS LES SOLS, LES NAPPES, LES OUVRAGES

OBJECTIF : Remobiliser les ressources existantes et répondre au besoin de développer l’hydraulique agricole, dans le respect de la réglementation

• La préservation des zones humides sera renforcée avec 50 M€/an supplémentaires de paiements pour services écosystémiques et le Conservatoire du littoral consolidera sa stratégie d’acquisition foncière. Dès 2024

• Un fonds d’investissement hydraulique agricole sera abondé à hauteur de 30M€/ an pour remobiliser et moderniser les ouvrages existants (curages de retenues, entretien de canaux…) et développer de nouveaux projets dans le respect des équilibres des usages et des écosystèmes. Dès 2024

• Une stratégie nationale et un guide technique relatifs à la mise en place de systèmes de recharge maîtrisé des aquifères seront élaborés. 2024

16/02/2023

Le ministère de l’écologie prépare un nouveau décret sur les chantiers de renaturation des cours d’eau

Certains voudraient «renaturer» les cours d’eau à la pelleteuse et sur argent public sans être ennuyés par des détails comme l’étude d’impact réel du chantier, l’analyse de son coût-bénéfice ou l’avis des citoyens en enquête : le conseil d’Etat avait douché leurs espoirs en annulant un décret de 2020 permettant de faire n’importe quoi sur un cours d’eau sous ce prétexte de «renaturation». Le ministère vient d'annoncer qu'il remettrait en mars un projet de nouveau décret au comité  national de l'eau. Mais les mêmes causes produiraient les mêmes effets : si les services eau & biodiversité du ministère de l’écologie préparent à nouveau un décret d’exception permettant de modifier de larges pans de l’environnement des riverains sans leur permettre une bonne information et une participation à la décision, nous irons en justice pour faire annuler le décret (et pour attaquer des chantiers problématiques). La gestion écologique doit être démocratique, et non pas un dogme d’expert imposé : c’est le fond du problème sur certains chantiers engagés contre l’avis des citoyens et contre la vision de la nature défendue par ces citoyens.  


Le Sénat a vu un échange intéressant entre le Sénateur Jean-Raymond Hugonet (Essonne) et le Ministre Christophe Béchu (transition écologique), au sujet du décret du 30 juin 2020  relatif aux travaux de renaturation des cours d'eau - et de son annulation partielle par l'arrêt du Conseil d'Etat de 2022, suite à une requête co-portée par notre association. Le ministre promet un nouveau décret : on va le suivre de près, car s'il reprend la simplification bâclée de la casse des ouvrages hydrauliques et des assèchements de milieux sans étude d'impact et sans enquête publique, nous irons de nouveau en justice.

Rappelons les faits. Par décret scélérat du 30 juin 2020, le gouvernement avait tenté de faire passer tout chantier de restauration de la nature sous le régime ultra-simplifié de la simple déclaration administrative, sans étude d'impact ni enquête publique, sans aucune limitation sur la surface concernée. Un blanc-seing à n'importe quelle dépense publique et n'importe quelle altération de l'environnement local par les syndicats de rivière ou autres instances pouvant intervenir sur cours d'eau et zones humides. Ce décret a été annulé à notre demande par le conseil d'Etat.

Pourquoi ce sujet est-il polémique ? Car sous couvert de "renaturation" ou de "restauration",  le gestionnaire public de l'eau a également détruit et asséché des milliers de moulins, étangs, barrages, retenues, plans d'eau, canaux, biefs depuis des années. Ce qui soulève tant la protestation locale des citoyens que l'opposition nationale des associations, fédérations, syndicats concernés par les usages, paysages et patrimoines de l'eau. 

Plusieurs syndicats de rivière de l'Essonne avaient écrit en début d'année au ministre de l'écologie pour se plaindre de cette annulation du décret de 2020, qui bloque leurs chantiers. Leur sénateur a interpellé le ministre à ce sujet, échange que l'on peut suivre dans cette vidéo :




De son côté, le sénateur demande un nouveau décret, en prenant soin de préciser que celui-ci doit exclure des travaux qui posent problème comme la destruction de moulins, l'augmentation du risque inondation, la nuisance à la mobilisation hydro-électrique pour la transition énergétique. 

Le ministre affirme qu'un nouveau projet de décret sera soumis mi-mars au comité national de l'eau, pour publication dès cette année.

Nous verrons ce qu'il en est. Mais nous rappelons ce que nous avons rappelé aux conseillers d'Etat :
  • l'écologie n'est pas un sujet mystique qui doit étouffer toute analyse critique, un chantier écologique est un chantier comme un autre, il peut très bien avoir des effets secondaires indésirables pour les populations, la vigilance est donc de mise ;
  • certains risques sont oubliés par le sénateur, par exemple l'asséchement (et non l'inondation), la fragilisation du bâti riverain (rétraction argile, pourrissement fondation bois), la remontée d'espèces invasives, la perte de réserve incendie... c'est tout cela qu'une étude d'impact et une enquête publique visent justement à prévenir, à partir du moment où les effets du chantier sont conséquents (cela vise aussi à prévenir le risque de plaintes pénales si un chantier mal préparé nuit aux tiers ou aux milieux, donc à sécuriser le projet);
  • la question n'est pas de faire telle ou telle exception pour tel ou tel ouvrage particulier comme le moulin, la question est de reconnaître que tout ouvrage hydraulique est susceptible de rendre des services écosystémiques, d'avoir des avantages environnementaux / sociaux, donc que le gestionnaire public doit désormais l'étudier avant de prendre la moindre décision, cesser de suivre un dogme naturaliste idiot ("c'est artificiel donc c'est mal, même pas la peine d'analyser la réalité") ;
  • Il y a en outre un problème d’égalité devant la loi, puisque modifier des centaines de mètres voire des kilomètres de linéaire de rivière serait simplement déclaratif pour certains chantiers (par exemple restaurer un habitat, ce qui est dans le code de l’environnement) mais pas pour d’autres (par exemple produire de l’énergie bas-carbone, ce qui est aussi une injonction du code de l’environnement) ; or si la puissance publique simplifie, elle doit le faire pour tous et de manière cohérente au droit, non pas créer des exceptions parce que c'est l'idéologie d'une sous-direction ministérielle.
Les hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie nous lisent : ils savent donc que s’ils tentent encore une rédaction aberrante et ad hoc pour passer en force, ce sera la reprise des hostilités et l’incertitude juridique pour les chantiers. Une bonne gestion écologique de l’eau stoppe les dogmes et permet aux acteurs locaux de débattre librement des rivières, plans d’eau et zones humides qu’ils désirent, sans diktat du ministère, des agences de l’eau et des préfectures en faveur d’ une seule solution financée au détriment de toutes celles qui sont négligées.

11/02/2023

Le ministère de l’écologie continue de tromper les parlementaires sur les ouvrages hydrauliques

Aucun changement en vue dans l’idéologie des hauts fonctionnaires du ministère de l’écologie qui rédigent les réponses des ministres et secrétaires d’état lorsqu’ils sont interrogés, comme cela fut le cas par le député Christophe Bentz. Propos faux, imprécis, incomplets, arguments toujours à charge contre les ouvrages en rivière, aucun signe de reconnaissance de l’échec de la continuité écologique. Notre  conclusion est simple : tant que ces hauts fonctionnaires ne sont pas remerciés et remplacés, tant que l’idéologie naturaliste du retour à la rivière sauvage sera la pensée des dirigeants de l’administration eau & biodiversité, la politique des rivières ne sera pas apaisée, les décisions absurdes de détruire ou d’interdire des ouvrages continueront, la France prendra du retard sur les dossiers critiques de la maîtrise de l'eau, de l'énergie et du climat. 


Le député Christophe Bentz a posé la question N° 3270 au Secrétariat d'état à l’écologie, le 22 novembre 2022.
« M. Christophe Bentz interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite « loi Climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. Dans sa rédaction antérieure, l'article L. 214-17 du code de l'environnement prévoyait déjà que tout ouvrage de ce type devait être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire - ou à défaut l'exploitant -, afin de permettre la circulation des poissons migrateurs. Or cette politique publique s'est traduite par une destruction desdits ouvrages et ce alors que cela n'était ni la lettre, ni l'esprit de la loi. Durant une quinzaine d'années, les services de l'État ont ainsi encouragé la destruction des retenues d'eau de rivière. Ces retenues - constituées pour l'essentiel de milliers de chaussées de moulins à eau qui retenaient depuis des siècles des centaines de millions de mètres cubes d'eau douce dans les rivières - ralentissaient pourtant les écoulements et jouaient un rôle majeur dans le cycle de l'eau des vallées. Les associations de défense des moulins à eau estiment que 3 000 à 5 000 chaussées de moulins ou digues d'étang auraient été détruites en France. Cela représente une perte de plusieurs dizaines de millions de mètres cubes d'eau douce qui ont été soustraits aux rivières et ne participent plus à l'alimentation des nappes. Des centaines de kilomètres de rivières et de vallées ont ainsi été asséchés partiellement ou totalement. La disparition de ces eaux a aussi entraîné celle des milieux aquatiques et rivulaires antérieurs. Par ailleurs, ce patrimoine pluriséculaire faisait non seulement des rivières un atout écologique, mais il ouvre aujourd'hui la possibilité de production d'une énergie verte. Dans ce contexte, le législateur est intervenu dans le cadre de l'article 49 de la loi Climat et résilience afin d'expliciter davantage l'article L. 214-17 du code de l'environnement qui permet la gestion, l'entretien et l'équipement des moulins à eau et interdit désormais leur destruction. C'est pourquoi M. le député souhaite connaître les modalités réglementaires et administratives de mise en œuvre de cette nouvelle disposition - notamment les actions et les indicateurs destinés à empêcher toute nouvelle destruction de moulin à eau. Il souhaite également savoir s'il est prévu une reconstruction des ouvrages détruits. »

Nous venons d’avoir la réponse du ministère de l’écologie, le 7 février 2023. Nous allons donc la commenter argument par argument. 
« La politique de restauration de la continuité écologique n'encourage pas l'effacement systématique des moulins à eau et autres ouvrages en cours d'eau. 
C’est faux. Depuis 15 ans, les programmes publics des agences de l’eau (planification des SDAGE et financement de cette planification) affirment que la destruction des ouvrages hydrauliques est la solution préférable, donc la mieux financée — parfois la seule financée à certaines époques et dans certaines agences. Ce sont les représentants de l’Etat et de l’administration publique au sein des agences qui rédigent les programmes, donc s’ils recevaient une orientation contraire du ministère, de telles préconisations n’apparaîtraient pas. Les citoyens sont fatigués des mensonges et des langues de bois bureaucratiques : si le ministère de l’écologie n’est même pas capable de reconnaître la réalité de base, à savoir qu’il a bel et bien favorisé la destruction massive des ouvrages et que ses hauts fonctionnaires ont tenu des propos véhéments en ce sens (voir DEB 2011), la discussion n’est pas possible. 
« Sous la responsabilité des préfets, c'est la loi sur l'eau qui permet aujourd'hui une gestion équilibrée des projets de petites hydroélectricité au plus près des territoires. Il s'agit d'une politique ciblée et mesurée, qui cherche à concilier les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d'eau avec le déploiement de la petite hydroélectricité. Dans certains cas, l'effacement d'un ouvrage peut être nécessaire pour restaurer le bon état écologique d'un cours d'eau, comme indiqué dans la directive-cadre sur l'eau et rappelé par la Commission européenne lors de la table ronde du 6 juillet 2022 organisée par la Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. 
C’est faux. D’une part, la morphologie de la rivière est considérée comme un élément du «très bon» état écologique au sens de la DCE (soit l’équivalent d’une rivière à forte naturalité), mais le «bon» état écologique a des exigences moindres, et il commence par le contrôle du bon état chimique et physico-chimique. La même DCE laisse aux Etats-membres la possibilité de classer une masse d'eau comme fortement modifiée ou comme artificielle si son cours a été beaucoup changé par les humains dans l'histoire, ce qui est évidemment le cas de la grande majorité des rivières françaises (voir l'indicateur de naturalité des cours d'eau de l'OFB). D’autre part, à notre connaissance, aucune preuve scientifique n’a jamais été apportée qu’une rivière à ouvrages détruits obtient de meilleures avancées de son score écologique DCE par rapport à une rivière dont les ouvrages ne sont pas détruits. Les travaux d'hydro-écologie quantitative ne concluent pas que l'ouvrage hydraulique a un impact notable sur l'état DCE, alors que les pollutions et les usages du sol du bassin versant sont, et de loin, les premiers facteurs corrélés à la dégradation écologique dans ces recherches (voir cette synthèse). Nous avons déjà documenté sur ce site des rivières à politique ambitieuse de destruction d’ouvrage où l’état écologique DCE n’a pas bougé, voire a empiré (cf Vicoin). Une étude historique sur les poissons migrateurs en France depuis 30 ans n'a trouvé aucune amélioration significative de ces populations cibles en lien à la continuité écologique (Legrand et al 2020). 
« Entre 2012 et 2021, environ 1 400 ouvrages ont été effacés sur les cours d'eau où une obligation de restauration de la continuité écologique existe au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : cela représente environ 1 % de l'ensemble des ouvrages présent sur les cours d'eau français et constituant un obstacle à l'écoulement naturel du cours d'eau. 
C’est imprécis. D’abord on ne sait pas d’où vient ce chiffre, et le ministère omet de rappeler que la grande majorité des ouvrages classés en continuité écologique liste 2 n’a pas été traitée. Ensuite, l’important est la dynamique : il y a 20 665 ouvrages en obligation de continuité écologique, que fait-on de tous ceux encore orphelins de solutions ? Enfin le référentiel des obstacles à l’écoulement compte environ 110 00 entrées, donc le risque est de détruire env. 20% des ouvrages hydrauliques, avec certains rivières où ce chiffre atteint déjà 90 à 95%. Rien à voir avec le chiffre rassurant du ministère.


« Par ailleurs, ces effacements n'ont pas induit de perte d'eau douce ou d'assèchement de cours d'eau. Le libre écoulement de l'eau au sein d'un bassin versant, notamment à travers son réseau de cours d'eau, est un processus structurant du grand cycle de l'eau : cette eau qui s'écoule contribue au bon fonctionnement de l'écosystème et du cycle. De plus, la quantité d'eau dans une rivière se mesure par le débit, et les petites retenues en cours d'eau ne renforce pas ce dernier. En outre, la recharge des nappes phréatiques n'est pas systématiquement favorisée par les retenues en lit mineur, car cette recharge dépend essentiellement de la connexion nappe-rivière, qui se fait aussi bien par des eaux courantes que stagnantes. Il est même fréquent que certaines retenues en lit mineur dégradent la recharge des nappes, dès lors que leur fond est colmaté par les sédiments fins issus de l'érosion des sols qui s'y stockent. 
Aucune base scientifique pour apporter des preuves aux allégations. Il est reconnu (déjà par les règles élémentaires de l’hydrostatique et de l’hydrodynamique) que toutes choses égales par ailleurs, des retenues en lit mineur contribuent à la rétention d’eau en surface et la hausse du niveau de la nappe sous-jacente. C’est pourquoi les barrages naturels comme ceux des castors sont vus comme positifs pour le cycle local de l’eau et la biodiversité (par exemple Dittbrenner et al 2022 sur la rétention d’eau). Aucun travail n’a montré que la retenue globale d’eau sur un bassin versant est meilleure si on supprime ses ouvrages. Plusieurs recherches scientifiques adressées sur ce point précis des petits ouvrages ont conclu l’inverse (Maaß et Schüttrumpf 2019, Podgórski et Szatten 2020). D'autres travaux montrent que les retenues ont des effets locaux bénéfiques sur les crues comme les sécheresses (Brunner 2021). Sur les rivières où les ouvrages ont été détruits, les riverains observent des lames d’eau résiduelles ou des assec complets, là où les ouvrages gardaient un certain volume en été, même à débit faible.
« Enfin, le potentiel de production hydroélectrique par des petits ouvrages en cours d'eau est intrinsèquement limité : selon les projets identifiés auprès de la filière, ce sont 250 MW qui pourraient être installés d'ici 2028 (en sites vierges comme sur ouvrages existants), toutes tailles d'installations confondues. Cela représente environ 1% des objectifs nationaux d'installation d'énergies renouvelables sur la même période (programmation pluriannuelle de l'énergie 2023-2028). Le potentiel de développement peut donc objectivement être qualifié d'intrinsèquement limité. 
Cet argument est un truisme : aucune source d’énergie n’est infinie, donc toutes les sources d’énergies sont «limitées». Le chiffre de 250 MW de potentiel est en deçà des travaux scientifiques sur la petite hydraulique (Punys et al 2019, Qaranta et al 2022), également en deçà de l’estimation produite par la fédération de moulins (FFAM 2022). En période d’accélération de la transition énergétique face au retard français et à la condamnation de l’Etat en justice pour inaction climatique, le rôle du ministère de l’écologie n’est pas de faire plaisir à quelques lobbies clientèles (pêcheurs de salmonidés, naturalistes) en insistant sur les limites d’une source renouvelable bas carbone, mais de mobiliser tous les fonctionnaires pour exploiter au mieux et au plus vite cette source. Le blocage du ministère est inacceptable et contraire à tous les engagements climatiques du pays. 
« L'article 49 de la loi dite « Climat et résilience » d'août 2021 précise effectivement que, s'agissant des moulins à eau, l'effacement des seuils ne peut désormais plus constituer une solution dans le cadre de l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments. En conséquence, depuis la publication de la loi, les services préfectoraux ne sont plus en mesure de prescrire l'effacement d'un ouvrage comme solution de rétablissement de la continuité écologique. 
Le ministère affirme que l’effacement n’est plus une solution, mais les préfectures continuent à effacer (exemple récent), ce qui implique des contentieux en justice. Là encore, une parole mensongère ou floue est créatrice de défiance vis-à-vis de l’Etat et de ses fonctionnaires. 
« Cette évolution législative tend à contraindre les propriétaires d'ouvrages, avec obligation de restaurer la continuité à assumer les dépenses d'entretien liées à leurs seuils, même lorsqu'ils souhaiteraient les effacer. Or, cet entretien est jugé par certains propriétaires comme chronophage, coûteux et techniquement compliqué. Les effacements réalisés avant la loi « Climat et résilience » ayant toujours été réalisés avec l'accord du propriétaire de l'ouvrage, le ministère ne projette pas de reconstruire les ouvrages effacés.
Il est touchant que le ministère de l’écologie s’émeuve des coûts de la continuité écologique imposés aux particuliers et aux collectivités. Une solution très simple consiste à déclasser tous les cours d’eau qui ont été mis en catégorie liste 2 d'obligation de continuité sans aucune base scientifique concernant la présence d’espèces menacées et bénéficiant du classement. De la même manière, les coûts de gestion des ouvrages hydrauliques ont été alourdis par des exigences procédurales et règlementaires qui demandent de multiplier des études et des contraintes là où certains travaux (curages, réfection de seuils) étaient bien plus simples avant. Ce surcoût ne peut pas reposer sur les seules épaules des particuliers ou des collectivités puisqu’il est motivé par des exigences d’intérêt général : il revient donc au ministère de l’écologie de chiffrer exactement le coût des règlementations qu’il impose et de prévoir un co-financement suffisant par les agences de l’eau ; dans le cas contraire, de s’abstenir de règlementation. L’écologie sous-financée n’a aucun avenir, elle sera déclarative ou fera peser des charges exorbitantes que les citoyens rejetteront de plus en plus brutalement. 

Photos : destruction en 2022 du moulin de Houetteville, ouvrage en parfait état sur une rivière en bon état écologique et en adjacence d'une zone humide Natura 2000. Un exemple de la poursuite de la politique absurde de casse du patrimoine sur argent public et un contentieux en cours porté par Hydrauxois avec la FFAM et d'autres associations. Les parlementaires doivent prendre conscience de l'idéologie naturaliste anti-ouvrage qui structure profondément l'administration eau & biodiversité, détourne le sens des lois, poursuit un agenda contre l'intérêt général et contre l'apaisement au bord des rivières, entrave la France dans la transition énergétique bas-carbone et l'adaptation climatique par rétention d'eau. Les porteurs de cette politique dans l'appareil public doivent cesser leurs actions, ou être remerciés pour aller militer dans des structures naturalistes privées conformes à leur idéologie, qui n'est pas celle des lois de la république. 

16/01/2023

Bilan de la continuité en long des rivières sur le bassin Adour-Garonne

L’agence de l’eau Adour-Garonne (Eau Grand Sud Ouest) a commandité un audit sur le classement des rivières en continuité écologique depuis 10 ans. Un premier rapport de synthèse donne quelques faits et chiffres globaux du bassin ici reportés. Si le bassin Adour-Garonne est loin d’être le pire en matière de mise en œuvre de la continuité écologique, notamment pour ce qui est du dogme de l’effacement d’ouvrage, on y constate les mêmes problèmes qu’ailleurs : retard considérable sur la mise en conformité des ouvrages, dimension irréaliste du classement de 2012-2013, situation illégale de la grande majorité des sites à l’arrivée au terme du classement, pas de résultats très probants sur les migrateurs malgré les dizaines de millions d’euros déjà dépensés et les dommages causés sur les usages des ouvrages hydrauliques… Le gouvernement, le parlement, les agences de l’eau et les préfectures n’échapperont pas au besoin de redéfinir sérieusement cette politique de continuité écologique, qui est controversée pour de bonnes raisons. 


La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 prévoyait des rivières où serait demandée au niveau des  ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, écluses, gués, etc.) la capacité de circulation des poissons migrateurs et de transit des sédiments. Cette loi posait ainsi le principe dit de "continuité écologique" mais sans préciser le détail des rivières où il y avait de tels enjeux. 

Voici 10 ans, par une série d’arrêtés, les préfets de bassin hydrographique ont classé des rivières françaises au titre de cette continuité écologique en long.  Dans le cas des classements dits en liste 1, cela signifie qu’aucun obstacle au franchissement de poisson ou au transit de sédiment ne peut être construit (mais un ouvrage assurant ces deux fonctions peut l'être). Dans les classements dits en liste 2, cela signifie que tous les obstacles présents (seuils, chaussées, digues, vannes, barrages) devaient obligatoirement être aménagés dans un délai de 5 ans, prorogé une fois de 5 ans par la suite.

Ce classement a dans l’ensemble été aberranthttp://www.hydrauxois.org/2022/11/voici-dix-ans-le-classement-aberrant-de.html, comme nous l’avons récemment rappelé, en raison du nombre délirant de rivières et d’ouvrages concernés sur un délai légal aussi court, ainsi que du manque total de rigueur et de méthode dans la priorisation des enjeux écologiques par l’administration en charge du sujet. 

L’agence de l’eau Adour-Garonne a profité des dix ans du classement des rivières pour commanditer un rapport d’audit. Nous publions et commentons ici quelques données-clés de ce rapport. 

Linéaire de rivières classées
  • les tronçons de cours d’eau classés en liste 2 représentent 7 598 km soit 6,4% du réseau hydrographique
  • le linéaire de cours d’eau classé en liste 1 est de 34 693 km, soit 29,3% du réseau hydrographique, dont 6 815 km en double classement liste 1 et liste 2
Espèces concernées
  • le saumon et la truite de mer constituent des espèces cibles du classement avec respectivement 34 et 37% des linéaires de rivières
  • l’anguille constitue une espèce cible sur pratiquement 71% des cours d’eau classés
  • la lamproie marine est un enjeu sur pratiquement la moitié des rivières classées tandis qu’1/4 des cours d’eau sont concernés par l’enjeu grande alose.
  • sur l’ensemble des rivières, 1/5ème est concerné par un seul enjeu propre à la truite commune
Ouvrages concernés
  • environ 3 500 ouvrages concernés par le classement en liste 2, soit environ 17,5% du nombre total d’ouvrages recensés sur le bassin.
  • 16% des ouvrages sont dédiés à la production hydroélectrique.
  • 68% des ouvrages classés se situent dans des tronçons à enjeu biologique grand migrateur et 32% à enjeu d’espèces holobiotiques.
Aides agence de l’eau
  • 407 ouvrages ont reçu une aide de l’Agence de l’eau entre 2013 et 2020 (moins de 12% des ouvrages classés liste 2),
  • 63% des aides ont concerné des équipements d’ouvrages et 37% des effacements (effacements majoritaires sur les cours d’eau à enjeux holobiotiques),
  • 41% des aides ont été versées à des aménagements hydroélectriques,
  • montant total d’aide versé : 50.8 M€, 87% pour les équipements (259 ouvrages), 13% pour les effacements (148 ouvrages)
Concernant l’efficacité de cette politique, les auteurs redoublent de prudence pour dire que le bilan biologique doit être fait sur une longue période, qu’il doit intégrer les autres impacts environnementaux et la chronologie des interventions, etc. 

Les rares données globales (à échelle du bassin) produites dans le rapport ne suggèrent pas pour le moment un bilan très enthousiasmant. 


Ainsi l’évolution du saumon atlantique (ci-dessus) montre un schéma en dent de scie, sans que l’ouverture de nouveaux axes ou de nouveaux habitats par la continuité se traduise par une évolution démographique remarquable sur dix ans (malheureusement, on n’a pas de données des trente années précédentes, mais voir la publication de Legrand et al 2020 pour une analyse des migrateurs sur la France entière et en longue période).


Quant à la lamproie marine (ci-dessus), elle connaît un effondrement démographique sur la période récente, ce qui rappelle que la continuité est loin d’être le seule problème des espèces migratrices. 

En conclusion
  • Il est bon que les agences de l’eau fassent de tels bilans sur la politique très contestée de continuité écologique.
  • En Adour-Garonne comme ailleurs, la grande majorité des ouvrages ne sont pas en conformité à la continuité écologique alors que le délai légal est dépassé. Il est inacceptable de laisser pourrir la dimension juridique du sujet : soit la loi supprime la notion de délai (dépassé), soit le préfet de bassin publie un nouveau classement (plus réaliste, donc avec beaucoup moins de tronçons) des rivières en liste 2. 
  • En terme de révision des classements, on doit poser la question des cours d'eau classés uniquement pour la truite commune, espèce largement répandue et non menacée, car ce choix correspond éventuellement à des attentes halieutiques mais pas à une priorité écologique en niveau de menace d'extinction.
  • Le bilan doit intégrer des chiffres clairs sur l’évolution de toutes les espèces de poissons cibles, bassin par bassin et au global, car la hausse démographique de ces poissons est bien la promesse de cette politique et la justification des nuisances qu’elle crée par ailleurs.
  • L’agence de l’eau Adour-Garonne est loin d’être l’institution la plus problématique pour la mise en œuvre de la continuité écologique. Comme sa consœur Rhône-Méditerranée, et sans doute en raison d’une composante hydraulique et hydro-électrique dans la culture gestionnaire, cette agence a classé un nombre raisonnable de rivières en 2012-2013 au titre de la continuité écologique. Et elle n’a pas engagé des incitations politiques fortes en direction de la seule destruction. On ne peut en dire autant d’autres agences de l’eau, comme Loire-Bretagne ou Seine-Normandie, qui ont cumulé les deux défauts : irréalisme du classement continuité écologique, sectarisme dans sa mise en œuvre (voir les chiffres comparés disponibles dans le rapport CGEDD 2016)..
  • En 2023 comme auparavant, cette politique de continuité écologique est problématique : chère, mal acceptée par les riverains pour des raisons de patrimoine, de paysage ou d’usage, contradictoire avec le rôle des ouvrages pour l’énergie et le stockage d’eau, sans résultat très intéressant et sans démonstration que les résultats (in fine des variations de densités de poissons) représentent un intérêt général prioritaire.

20/12/2022

L'échec français de la continuité des rivières par destruction de seuils et barrages, une leçon pour l'Europe

Dans les années 2000 et surtout 2010, la France est le premier pays européen à avoir testé une politique systématique de destruction des ouvrages des cours d'eau par pressions financières et règlementaires en ce sens. Une controverse est née immédiatement autour d'ouvrages présentant un fort attachement riverain et certains usages comme les moulins, les étangs, les plans d'eau, les lacs de barrage ou les canaux. Le résultat du choix français de prime à la destruction des ouvrages hydrauliques est un échec social, écologique, juridique et politique, avec de fortes contestations et la délégitimation d'une politique publique de l'eau. Alors que l'Europe songe à engager une "restauration de la nature" fondée sur la même idéologie en ce qui concerne les rivières, nous constatons que ses décideurs ne sont pas informés des controverses et que les experts naturalistes conseillant la Commission ne manifestent guère d'intérêt pour les enjeux riverains ni pour l'examen concret des résultats dans les rivières aux ouvrages détruits. La négation des retours d'expérience ne produira que des confusions évitables. Avec la coordination Eaux et rivières humaines, nous proposons un dossier d'information en langue française et anglaise pour que les décideurs européens développent une pensée critique sur le sujet.








16/12/2022

La LPO ne laissera pas assécher l'étang du Pont de Kerlouan au nom de la continuité écologique

Le dogme de la continuité écologique des rivières conduit partout en France à assécher des étangs, des plans d'eau, des canaux et leurs marges humides, au nom du retour à une hypothétique "naturalité". Mais dans les faits, cela concerne des milieux en place depuis des décennies à des siècles, ayant été colonisés par le vivant et présentant parfois de l'intérêt pour la faune et la flore. En Bretagne, la tentative de destruction de l'étang du Pont de Kerlouan vient de rencontrer l'opposition de l'antenne locale de la LPO, qui souligne la présence de 112 espèces d'oiseaux dont 57 patrimoniales et 36 protégées. Le bureau d'études en charge de certifier l'intérêt du projet pour la biodiversité n'avait curieusement rien vu... Mais pour un site étudié par des amoureux des oiseaux, combien d'autres plus modestes ont été négligés et condamnés au terme d'une instruction bâclée et à charge?  



Les défenseurs du site soulignent ses multiples intérêts (source). 

Depuis quelques années, un projet d'imposition de la continuité écologique est porté sur le ruisseau du Quillimadec, à hauteur de l'étang du Pont sur la commune de Kerlouan, malgré l'avis négatif de nombreux riverains attachés au site (voir cet article de 2021 et la pétition des citoyens). 

Aujourd'hui, les protecteurs de l'étang et de ses marges humides viennent de trouver un allié de poids : la ligue de protection des oiseaux.

Nous publions ci-après un extrait de la lettre de la LPO à la Communauté Lesneven Côtes des Légendes, porteur du projet.

"Datant probablement du 19ème siècle, l'étang du Pont a été créé sur le cours d'eau du Quillimadec. Les ouvrages hydrauliques situés en aval de l'étang, liés à l'histoire du site et l'activité meunière, entravent aujourd'hui la libre circulation des poissons et des sédiments. Identifié comme cours d'eau à intérêt pour les grands migrateurs, l'enjeu actuel imposé par la DCE1 est de rétablir la continuité écologique du Quillimadec. Le bureau d'études SINBIO, missionné sur ce dossier a rendu son rapport et présenté 5 scénarios et ses variantes pour répondre à l'enjeu précité. La majorité des acteurs consultés se sont positionnés en faveur du scénario 1 présenté par le bureau d'études SINBIO, soit l'effacement de l'étang et le reméandrage du cours d'eau ; choix validé par les élus communautaires en octobre 2021 d'après la presse.

Il s'avère en effet que dans de nombreux cas d'étangs sur cours d'eau, ce choix technique est pertinent pour de multiples raisons que la LPO Bretagne partage. Cependant dans le cas de l'étang du Pont, il nous apparaît que les conséquences de ce scénario sur la biodiversité n'ont pas été correctement évaluées. Nous faisons en effet le constat que le dossier ne prend pas suffisamment en compte les implications du projet sur les milieux naturels impactés et sur l'ensemble des espèces présentes. Or, le site concentre de forts enjeux pour l'avifaune nicheuse et migratrice, qui semblent avoir été totalement oubliés.

Les études naturalistes réalisées par Bretagne Vivante ont ainsi démontré que le site de l'Étang du Pont est un « site original et attractif en l'état pour les oiseaux». Sur la période 2019-2020, 112 espèces d'oiseaux ont été recensées sur le site dont 57 patrimoniales ou indicatrices et 36 autres intégralement protégées.

Il est donc absolument nécessaire que le projet intègre à sa réflexion les enjeux liés à l'avifaune nicheuse, laquelle comporte notamment un cortège très spécifique d'oiseaux paludicoles, présentant des enjeux de conservation (espèces inféodées aux étendues de roselières, cariçaies, mégaphorbiaies), mais aussi les enjeux liés à l'avifaune migratrice et hivernante, très riche et originale sur le site, et qui exploite les surfaces de vasière et d'eaux peu profondes.

La restauration du lit naturel du cours d'eau, telle que prévue, bouleverserait les habitats naturels en place, et de fait, les cortèges faunistiques associés. Ce phénomène n'est pas décrit dans le dossier.

Par ailleurs, il est constaté que le projet d'effacement de l'étang s'accompagne de la création de mares, qui vise à recréer des niches écologiques intéressantes. Cependant, cette mesure condui­rait à un fractionnement des habitats naturels dont dépendent des espèces à enjeux de conserva­tion aujourd'hui présentes. Certaines de ces espèces à enjeux de conservation ne se reporteront pas sur les espaces humides plus petits et moins homogènes que sont les mares. Par ailleurs la pérennité de ces mares n'est pas garantie, elles seront très vite colonisées par le saule et natu­rellement comblées en quelques années. La création de mares ne compenserait donc pas les ha­bitats humides en place aujourd'hui, et conduirait à un appauvrissement et à une banalisation du milieu naturel.

On ne peut donc pas résumer le scénario 1 à « un gain de biodiversité », comme cela est présenté actuellement, car il convient de bien considérer la perte des habitats occasionnée pour de nom­breuses espèces protégées. La LPO Bretagne craint donc au contraire que ce projet, en l'état, soit facteur d'une baisse notable de biodiversité sur le site.

Il est en outre à noter que lors d'échanges que nous avons partagés avec des riverains, il semble­ rait que toutes les pistes n'aient pas été explorées à ce jour: la restauration du lit mineur, l'exis­tence d'une échelle à poissons à réhabiliter, la piste d'entretien de l'étang par pompage dans un puits à sédiments avant l'exutoire, etc..

C'est pourquoi, au regard des éléments énoncés en substance, la LPO Bretagne demande à relan­cer le débat avec l'ensemble des acteurs afin de trouver une issue technique qui n'oppose surtout pas la faune piscicole et l'équilibre de la rivière à l'avifaune. Elle alerte par ailleurs le porteur de projet et les autorités sur la nécessité de déposer une demande de dérogation espèces protégées dans l'hypothèse où le scénario 1 serait mis en œuvre et de présenter le cas échéant des mesures d'évitement, de réduction et/ou de compensation."

Commentaire
Le déni de l'intérêt des milieux aquatiques et humides créés par les ouvrages hydrauliques est un véritable scandale public, qui a déjà abouti à la disparition de milliers de sites dans la plus grande indifférence des services officiels de la biodiversité. 

Partout en France, on a détruit et asséché des retenues, de plans d'eau, des canaux, parfois vieux de plusieurs siècles, sans aucune étude sérieuse de leur biodiversité aquatique et terrestre. Tout cela au nom de deux dogmes qui dominent trop souvent les instructions : un milieu artificiel ne peut pas être intéressant par principe (position de nombreux agents instructeurs de l'OFB et de techniciens de syndicats de rivière); l'enjeu essentiel est censé être le retour à des rivières lotiques pour des poissons de milieux lotiques (position de diverses fédérations de pêche qui prétendent monopoliser la définition des milieux d'intérêt, en particulier en zone salmonicole). 

Nous avons maintes fois alerté les services de l'Etat, diffusé des dossiers montrant que des chercheurs soulignent la nécessité d'étudier la faune et la flore des habitats anthropiques avant d'intervenir. En vain dans la plupart des cas. Notre association est toujours en contentieux concernant la destruction de l'étang de Bussières, en Bourgogne, malgré l'intérêt de ses habitats et la présence d'espèces patrimoniales.

Désormais et fort heureusement, le conseil d'Etat a rétabli la nécessité de l'étude d'impact et de l'enquête publique avec d'imposer des solutions perturbant un site. Nous appelons évidemment tous les citoyens à recenser l'ensemble des services écosystémiques associés aux plans d'eu et canaux, ainsi qu'à inventorier leur faune et leur flore pour répondre au déni des services instructeurs et de certains lobbies.

13/12/2022

L’Europe va-t-elle voter en catimini la destruction en série des barrages, moulins, étangs, retenues, canaux et plans d’eau ?

La règlementation Restore Nature, inspirée à la commission européenne par les lobbies et experts militant pour le retour à la rivière sauvage, prévoit comme seule option sur les cours d’eau concernés la destruction des ouvrages hydrauliques. Ce choix radical a pourtant déjà mené à des conflits, contentieux et condamnations en France, pays qui a tenté d’en faire l’essentiel de sa politique publique des ouvrages en 2010, avant d’abandonner. Nous appelons les députés européens à mener leur travail politique d’analyse critique des positions bien trop radicales de la commission sur ce sujet, d’autant qu’elles viennent d’être aggravées et non améliorées par le rapporteur environnement du Parlement. L’eau et l’énergie sont des dimensions critiques pour les populations européennes , elles vont le devenir de plus en plus au cours de ce siècle. L'avenir des ouvrages hydrauliques se réfléchit à la lumière de ces enjeux. Quant à la négation de six millénaires de relations humaines aux rivières au nom d’une vision théorique de la nature déshumanisée, c’est un choix idéologique n’ayant certainement pas vocation à inspirer une politique publique à échelle du continent. Une réécriture plus démocratique, plus intelligente et plus inclusive du texte est indispensable.


La commission environnement du parlement européen vient de rendre un premier rapport préliminaire d’évolution de la règlementation «Restore Nature» (lien pdf).

Nous sommes au regret de constater que le rapporteur principal Cesar Luena (S&D, Espagne) n’a pour le moment tenu aucun compte de nos observations faites sur les défauts du texte de la commission concernant la restauration de rivière, et qu’il les a même aggravés.

Rappelons que cette règlementation européenne, dans son article 7, propose la seule «destruction d’obstacle» comme outil de restauration de rivière. Concrètement, détruire les barrages, seuils, chaussées, digues, assécher leurs milieux aquatiques attenants, faire disparaître leur patrimoine paysager et culturel, éliminer leurs usages sociaux. Ce choix est navrant par sa radicalité, car il correspond aux seules demandes des lobbies intégristes du retour à la rivière sauvage – lobbies soutenus par une fraction de la recherche en écologie de la conservation, qui est sur cette même ligne idéologique (mais qui ne résume évidemment et heureusement pas tout ce que les sciences peuvent dire des ouvrages hydrauliques). Il est possible de restaurer des fonctionnalités au droit d’un ouvrage en rivière par des mesures de gestion ou d’équipement, options qui doivent donc figurer dans le texte de la réglementation. La destruction doit être l'exception, pas la norme.

Par ailleurs, si le texte actuel rappelle que la mesure est censée concerner des sites «obsolètes» sans usage d’énergie ou de stockage d’eau, il oublie de nombreuses dimensions qui ont été soigneusement niées par les lobbies (et parfois les experts) : existence d’habitats anthropiques d’intérêt sur les  sites anciens , patrimoines locaux, régulation de crues et sécheresses, etc. L’ajout fait par Cesar Luena et deux co-rapporteurs tend même à aggraver le texte initialement proposé par la Commission, puisqu’il inclut désormais sans réserve d’usage des «barrières dont la suppression a un fort impact écologique». C’est notamment ici la demande du lobby naturaliste WWF, de Dam Removal et de quelques autres acteurs ne faisant pas mystère de leur souhait de détruire des barrages même s’ils produisent de l’hydro-électricité ou assurent des stocks d’eau. Un choix qui indigne le citoyens partout où il est proposé.

Nous allons bien évidemment appeler les parlementaires européens à revenir à la raison. Un dossier consacré à l’échec français en matière de continuité écologique commence à leur être diffusé (il sera bientôt disponible sur ce site). 

Ce texte européen  se veut un banc d’essai sur quelques dizaines de milliers de kilomètres de rivières à restaurer, avec une amplification après 2030. Il doit partir sur des bonnes bases :
  • L’Europe affrontera des besoins critiques en eau et en énergie, qui doivent avoir primauté normative non ambigüe sur les options de «ré-ensauvagement» des milieux aquatiques.
  • Les tentatives d’imposer aux populations locales des solutions uniques décidées par des technocraties lointaines échouent partout, elles se traduisent par des injustices territoriales et par une régression de la perception de l’écologie.
  • Les rivières européennes sont des réalités anthropisées depuis 6 millénaires, tandis que le réchauffement climatique est en train de changer les conditions de tous les systèmes aquatiques. Il est donc simpliste et même aberrant de faire encore croire aux citoyens qu’une «nature» se «restaure» dans un état antérieur sous prétexte que tel ouvrage est ou non présent.
  • L’obsession du retour à une nature pré-humaine peut aussi se traduire par la destruction d’habitats anthropiques d’intérêt, cette issue doit donc être clairement traitée par le droit en exigeant des inventaires préalables complets de biodiversité sur site, en interdisant des perturbations ne correspondant à aucun intérêt public réel, ou ayant des alternatives meilleures. 
  • Il est tout à fait possible de préférer des aménagements de tronçons de rivière en vue d’avoir une  haute «naturalité» (entendue comme faible impact humain), mais un tel choix doit relever des préférences locales au cas par cas, avec justification forte et adhésion réelle. Un tel choix constitue par ailleurs lui aussi et en dernier ressort un aménagement anthropique (la création d’un certain type de paysage fluvial désiré par des riverains). Opposer l’humain et la nature n’a pas ici de sens, ce sont toujours des relations nature-culture qui se décident et se déploient. 
  • La technocratie européenne doit écouter l'ensemble des parties prenantes concernées dans la construction de ses décisions, et non une sélection d'acteurs confortant des choix administratifs sectoriels. Elle doit aussi respecter le principe de subsidiarité et ne pas imposer aux Etats et aux communautés des choix prédéfinis là où il existe des alternatives.