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19/02/2023

Réponse du vivant aquatique à la baisse des nutriments dans les rivières françaises (Rosebery et al 2023)

Des chercheurs français ont analysé 20 ans de données sur les diatomées, insectes et poissons des rivières françaises. Leurs résultats montrent une réponse des espèces à la baisse des nutriments en rivière, suite aux politiques de réduction des pollutions engagées dans les années 1980-1990.

Les données de diatomées benthiques, de poissons et de macro-invertébrés utilisées dans cette recherche proviennent respectivement de 258, 222 et 253 sites distincts, acquises entre 1994 et 2013 selon des protocoles normalisés, associées aux conditions du milieu prélevé : variables physico-chimiques (hors micropolluants toxiques) et variables climatiques. Au total : 2 613 échantillons de diatomées pour 977 espèces dénombrées. Concernant les , 2 868 échantillons de macro-invertébrés pour 133 familles, 3 638 échantillons de poissons pour 49 espèces.

Les données physico-chimiques ont montré une tendance à la baisse des nutriments (phosphore total, orthophosphates et ammonium) responsables de l'eutrophisation. En réponse et comme le montre le schéma ci-dessous, les espèces sensibles à la pollution en ont profité, comme les espèces de milieux plus oligotrophes (moins riches en nutriments).




Concernant les différentes formes de biodiversité, les tendances sont variables, comme le montre le schéma ci-dessous.


Commentaire des chercheurs : "Concernant les diatomées, les changements temporels les plus marqués ont été observés au niveau de la richesse spécifique et fonctionnelle, qui diminuent dans 58,6 % et 53,1 % des sites, respectivement. En revanche, la richesse taxonomique des macro-invertébrés a connu une tendance temporelle positive dans la majorité des cas (51,8 %). Chez les poissons, les métriques de diversité n'ont montré aucune tendance temporelle dans la plupart des sites. Nous avons néanmoins observé une légère tendance à la baisse de la richesse taxonomique et fonctionnelle (respectivement dans 15,8 et 14,4 % des sites)."

Discussion
Il est intéressant de constater que la baisse des nutriments a des effets concrets sur les assemblages d'espèces et réseaux trophiques, ce qui avait déjà été observé chez les invertébrés (Van Looy et al 2016). Tout ne va pas toujours mal en écologie, et il est utile de le rappeler quand on obtient des résultats. Mais pour caractériser l'évolution du vivant aquatique, il manque cependant ici des données quantitatives sur la biomasse, c'est-à-dire le nombre total d'individus hébergés par unité de surface dans le milieu. On sait que dans le domaine terrestre, par exemple, la biomasse de la plupart des insectes est en chute libre dans certains milieux depuis 30 ans. Le même phénomène existe-t-il dans les rivières? Le maintien d'une diversité taxonomique et fonctionnelle peut être accompagné d'une baisse numérique des populations si les conditions sont défavorables.

Par ailleurs, les nutriments azotés et phosphorés ne sont qu'un des marqueurs de la pollution et de l'influence du bassin versant sur la rivière. Les micropolluants agricoles, industriels et domestiques sont aussi très nombreux, mais mal mesurés. En outre, la quantité d'eau peut devenir de plus en plus problématique sur certains bassins versants où les assecs deviennent plus fréquent au fil du temps. 

Finalement, nous souhaitons aussi que des études se consacrent à corréler systématiquement les indices de biodiversité des cours d'eau de la source à la confluence avec les indices de fractionnement / étagement de ces cours d'eau par les ouvrages de retenues et diversion, en incluant une typologie des ouvrages (hauteur, pente). Ce travail n'a jamais été fait de manière systématique, alors que la politique publique des ouvrages hydrauliques accorde une grand importance à leur supposé effet négatif sur les différentes formes de biodiversité. Un effet que rien ne démontre à échelle d'un cours d'eau — contrairement à l'impact avéré et documenté de certains ouvrages sur certains taxons précis (comme les migrateurs longue distance). Mais ces taxons ne résument pas à eux seul les enjeux de biodiversité des milieux aquatiques, humides et rivulaires.

Références : Rosebery J et al (2023), Dynamique temporelle de la biodiversité en cours d’eau, Sciences Eaux & Territoires, (42), 43–47. Tison-Rosebery J et al (2022), Decadal biodiversity trends in freshwater ecosystems reveal recent community rearrangements, Science of the Total Environment, 823, 153431

13/01/2023

Etangs, pesticides et effets épurateurs des retenues (Le Cor 2021)

La très intéressante thèse de François Le Cor, consacrée à l'étude des pesticides et de leurs produits de transformation dans l'eau des têtes de bassin versant, particulièrement dans les systèmes d'étangs, a été publiée en ligne. Ce travail confirme que les retenues d'eau ont un pouvoir épurateur vis-à-vis des intrants chimiques indésirables. Tout le contraire de ce qui avait été affirmé par certains acteurs publics (agences de l'eau, OFB, syndicat de rivières) sur la soi-disant capacité d'auto-épuration de la rivière par destruction de ses ouvrages hydrauliques et de ses retenues. Cette manipulation flagrante de l'opinion dans les années 2010 avait contribué à miner la crédibilité des politiques de continuité écologique, fondées sur la négation de tout intérêt des ouvrages et sur la survalorisation des effets positifs de leur disparition.  


Résumé de la thèse
"L’utilisation des produits de protection des plantes (PPP) dans les systèmes agricoles conventionnels depuis les années 1960 a conduit à une large contamination des écosystèmes aquatiques. Des travaux récents ont mis en évidence un transfert de PPP depuis les parcelles agricoles vers les cours d’eau de tête de bassin versant (BV) ainsi que vers les plans d’eau qui ponctuent ces réseaux hydrographiques: les étangs. En aval de ces derniers, les concentrations en PPP dissous mesurées étaient significativement plus basses qu’en amont, traduisant un effet tampon de ces systèmes lentiques.

Dans le cadre des travaux de thèse présentés, nous nous sommes fixés pour objectif d’apprécier, d’une part, l’occurrence des PPP au sein de ces masses d’eau de tête de BV, et, d’autre part, de leurs produits de transformation (TP). Ensuite, nous nous sommes attachés à déterminer l’abattement des PPP et TP par l’étang dans les fractions dissoutes et particulaires. En complément, le suivi de la contamination de différentes matrices environnementales (i.e. eau, sédiments, ichtyofaune) au sein de l’étang a été entrepris dans l’objectif d’apporter des éléments d’appréciation des processus susceptibles d’intervenir dans cet abattement. La mise en place de stations de prélèvement asservies au volume en entrée et en sortie d’étang de barrage a permis un échantillonnage exhaustif des masses d’eau de tête de BV durant un cycle piscicole complet. Ensuite, le suivi mensuel des compartiments sédimentaires et aquatiques, ainsi que l’échantillonnage en début et fin de cycle piscicole des poissons produits, ont permis d’apprécier les contaminations des différentes matrices sélectionnées. La méthodologie analytique mise en œuvre, basée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem a permis la recherche de composés d’intérêts, en lien avec les traitements réalisés sur le bassin versant, dans les différentes matrices échantillonnées.

Ces travaux de thèse mettent en évidence l’occurrence des PPP et de certains TP dès la base du réseau hydrographique. Les échantillons d’eau récoltés attestent de la présence a minima de cinq composés différents par échantillon, à des concentrations maximales cumulées pouvant atteindre 27 µg/L en amont. Les TP représentent plus de 50 % des composés détectés. En aval de l’étang, les concentrations maximales (2,2 µg/L) ainsi que le nombre de composés détectés sont atténués. Le suivi annuel des volumes d’eau ainsi que des quantités de matières en suspension a permis de réaliser un bilan des flux amont/aval des contaminants, mettant en avant l’abattement de 74,2 % des quantités globales en PPP et TP. L’exploration des compartiments intra-étang met en évidence la présence majoritaire des TP dans la colonne d’eau et, selon les molécules, la diminution de leur concentration moyenne au cours du cycle piscicole avec des maximums observés lors des premières précipitations qui font suite aux périodes d’épandage sur les parcelles agricoles. De même, dans les sédiments, certains PPP et TP présentent des diminutions significatives de leurs concentrations moyennes au cours de ce cycle. Enfin, nous avons mis en évidence l’accumulation de prosulfocarbe chez trois espèces de poisson d’étang (C. carpio, S. erythrophthalmus et T. tinca) pendant le cycle piscicole, en lien avec la contamination constatée dans les sédiments de l’étang au cours de l’année.

Les résultats obtenus fournissent des données de référence sur l’occurrence des PPP/TP dans différentes matrices environnementales en tête de BV. Une réduction des concentrations en PPP an aval de l’étang a été confirmée. Ce travail de thèse a permis de mettre en évidence que cet abattement est observable aussi bien pour les formes dissoutes que particulaires des PPP étudiés mais également pour leurs TP dont l’occurrence s’est avérée déjà conséquente en amont de l’étang."

Référence : Le Cor François (2021), Etangs et qualité des cours d’eau de têtes de bassins versants agricoles : impact sur le devenir des pesticides et leurs produits de transformation, thèse doctorale, Université de Lorraine, École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

18/12/2022

Les pesticides sous-évalués dans la mise en œuvre de la directive cadre européenne sur l’eau (Weisner et al 2022)

En échantillonnant des cours d’eau de zones agricoles, des chercheurs montrent que la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau minore largement la pollution des rivières par les pesticides. Ils proposent de changer les méthodologies pour avoir une mesure plus juste du poids des toxiques dans les impacts aquatiques. Leur étude est allemande, mais les mêmes problèmes se posent en France et dans les autres Etats-membres. Alors que toutes les analyses en hydro-écologie quantitative ont montré que les pollutions et les usages des sols du bassin versant sont les deux premiers prédicteurs de mauvaise qualité écologique d’une masse d’eau, trop de gestionnaires publics divertissent l’attention sur des sujets très secondaires. 


La directive cadre européenne sur l’eau 2000 a exigé de tous les Etats-membres une analyse par indicateur de la qualité chimique et écologique des cours d’eau, des plans d’eau, des estuaires et des nappes. Mais encore faut-il que les indicateurs soient corrects. Oliver Weisner et huit collègues viennent de montrer que l’analyse de la présence des pesticides dans l’eau est défaillante.

Voici le résumé de leur étude

« La directive-cadre sur l'eau (DCE) exige qu'un bon état soit atteint pour toutes les masses d'eau européennes. Alors que la surveillance gouvernementale dans le cadre de la DCE conclut principalement à un bon état de la pollution par les pesticides, de nombreuses études scientifiques ont démontré des impacts écologiques négatifs généralisés de l'exposition aux pesticides dans les eaux de surface. 

Pour identifier les raisons de cet écart, nous avons analysé les concentrations de pesticides mesurées lors d'une campagne de surveillance de 91 cours d'eau agricoles en 2018 et 2019 en utilisant des méthodologies qui dépassent les exigences de la DCE. Cela comprenait une stratégie d'échantillonnage qui prend en compte l'occurrence périodique des pesticides et un spectre d'analytes différent conçu pour refléter l'utilisation actuelle des pesticides. Nous avons constaté que les concentrations acceptables réglementaires (RAC) étaient dépassées pour 39 pesticides différents dans 81 % des sites de surveillance. En comparaison, la surveillance conforme à la DCE des mêmes sites n'aurait détecté que onze pesticides comme dépassant les normes de qualité environnementale (NQE) basées sur la DCE sur 35 % des sites de surveillance. 

Nous suggérons trois raisons pour cette sous-estimation du risque lié aux pesticides dans le cadre de la surveillance conforme à la DCE : 
(1) L'approche d'échantillonnage - le moment et la sélection du site sont incapables de saisir de manière adéquate l'occurrence périodique des pesticides et d'enquêter sur les eaux de surface particulièrement sensibles aux risques liés aux pesticides ; 
(2) la méthode de mesure - un spectre d'analytes trop étroit (6 % des pesticides actuellement autorisés en Allemagne) et des capacités analytiques insuffisantes font oublier des facteurs de risque; 
(3) la méthode d'évaluation des concentrations mesurées - la niveau de protection et la disponibilité de seuils réglementaires ne suffisent pas à assurer un bon état écologique. 

Nous proposons donc des améliorations pratiques et juridiques pour améliorer la stratégie de surveillance et d'évaluation de la DCE afin d'obtenir une image plus réaliste de la pollution des eaux de surface par les pesticides. Cela permettra une identification plus rapide des facteurs de risque et des mesures de gestion des risques appropriées pour améliorer à terme l'état des eaux de surface européennes. »

Discussion
Le problème pointé ici en Allemagne est répandu dans toute l’Europe (voir nos articles sur les pollutions par pesticides). Les chercheurs admettent qu’il circule bien davantage de substances toxiques que celles «officiellement» et occasionnellement mesurées sur les points de contrôle de la DCE. Le problème ne concerne d’ailleurs pas que les pesticides (par exemple les microplastiques et les médicaments sont mal cernés), ni que l’eau (les sédiments sont aussi contaminés).

Cette sous-estimation pose un problème évident dans la construction des politiques publiques. L’objectif de bonne qualité écologique de l’eau suppose que l’on mesure et pondère correctement ce qui affecte la vie aquatique. Or, si un facteur connu comme nuisible au vivant est ignoré ou minimisé, cela fausse les analyses, les conclusions et les orientations d’action.  Aujourd’hui, les études d’hydro-écologie quantitative comparent l'état de nombreuses rivières en fonction des impact connus de leur bassin versant, afin de hiérarchiser ces impacts et de définir les plus délétères. La pollution chimique y est souvent estimée à partir des marqueurs nitrates et phosphates, faute de données suffisantes sur d’autres substances. Même avec cette limitation, ces études concluent déjà que la pollution est (avec l’usage des sols du bassin versant) le premier prédicteur de dégradation écologique. D’autres causes qui sont souvent mises en avant par des gestionnaires publics (comme la morphologie et, en particulier, les ouvrages hydrauliques) n’ont qu’un poids faible sur les différences écologiques entre masses d’eau, au moins telles que les mesure la DCE. 

Référence : Weisner O et al (2022), Three reasons why the Water Framework Directive (WFD) fails to identify pesticide risks, Water Research,  208, 117848

25/10/2022

Les têtes de bassin versant ont aussi des eaux et sédiments pollués (Slaby et al 2022)

Alors que la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en l'an 2000, le réseau de surveillance des pesticides et autres substances toxiques dans les rivières ou plans d'eau reste très lacunaire. Un groupe de chercheurs français montre que ces eaux et sédiments d'un étang ancien de tête de bassin sont contaminés par 26 substances différentes, pesticides ou produits de décomposition des pesticides. Les poissons montrent cependant une faible accumulation, hors l'herbicide prosulfocarbe. Mais les effets cumulés et croisés des expositions sur l'ensemble de la faune aquatique ou amphibie restent largement sous-documentés. Il est vrai que démolir et assécher cet étang ancien au nom de la continuité dite "écologique" pourrait éviter de se poser trop de questions... 

Résumé graphique de l'étude de Slaby et al 2022, art cit.


Le site étudié par Sylvain Slaby et ses collègues est un étang pisicicole ancien (15e siècle) situé dans la région Grand Est. Il est placé en amont d'un cours d'eau dans un petit bassin versant (81 ha), dominé par les terres arables (42 %) et les pâturages (49 %). Les cultures pratiquées dans ce bassin versant sont courantes dans la région (blé, orge, tournesol, colza, maïs ensilage).

Voici le résumé de leur étude :

"Plus de 20 ans après l'adoption de la directive-cadre sur l'eau, des lacunes importantes subsistent concernant l'état sanitaire des petites rivières et des masses d'eau en tête de bassin. Ces petits cours d'eau alimentent en eau un grand nombre de zones humides qui abritent une riche biodiversité. Plusieurs de ces plans d'eau sont des étangs dont la production est destinée à la consommation humaine ou au repeuplement d'autres milieux aquatiques. Cependant, ces écosystèmes sont exposés à des contaminants, notamment des pesticides et leurs produits de transformation. Ce travail vise à fournir des informations sur la distribution, la diversité et les concentrations des contaminants agricoles dans les compartiments abiotiques et biotiques d'un étang piscicole situé en tête de bassins versants. Au total, 20 pesticides et 20 produits de transformation ont été analysés par HPLC-ESI-MS/MS dans de l'eau et des sédiments prélevés mensuellement tout au long d'un cycle de production piscicole, et chez trois espèces de poissons au début et à la fin du cycle.

Les concentrations moyennes les plus élevées ont été trouvées pour le métazachlor-OXA (519,48 ± 56,52 ng.L-1) dans l'eau et le benzamide (4,23 ± 0,17 ng.g-1 en poids sec) dans les sédiments. Jusqu'à 20 contaminants ont été détectés par échantillon d'eau et 26 par échantillon de sédiments. Les produits de transformation de l'atrazine (interdit en Europe depuis 2003 mais encore largement utilisé dans d'autres parties du monde), du flufenacet, de l'imidaclopride (interdit en France depuis 2018), du métazachlore et du métolachlore étaient plus concentrés que leurs composés parents. Moins de contaminants ont été détectés chez les poissons, principalement du prosulfocarbe accumulé dans les organismes au cours du cycle.

Nos travaux apportent des données innovantes sur la contamination des petites masses d'eau situées en tête de bassin. Les produits de transformation avec la fréquence d'occurrence et les concentrations les plus élevées devraient être priorisés pour des études de surveillance environnementale supplémentaires, et des seuils de toxicité spécifiques devraient être définis. Peu de contaminants ont été trouvés dans les poissons, mais les résultats remettent en question l'utilisation à grande échelle du prosulfocarbe."

Discussion
La pollution des milieux aquatiques a pris une dimension massive à compter de la seconde partie du 20e siècle, tout comme des travaux lourds de recalibrage des cours d'eau permis par des engins mécaniques à énergie fossile. Même les têtes de bassin versant sont concernées, alors que certains prétendent que ces milieux seraient plus ou moins épargnés. Le réseau de surveillance mis en place à la suite de la DCE 2000 est très loin d'analyser l'ensemble des bassins, pas plus que l'ensemble des contaminants de l'eau et des sédiments. L'histoire retiendra qu'au début du 21e siècle, les administrations françaises de l'eau et de la biodiversité se sont livrées à une destruction acharnée des moulins et des étangs d'Ancien Régime pendant que les causes manifestes de dégradation de l'eau et de la biodiversité étaient minorées ou acceptées comme des fatalités. Mais peut-être que l'un va avec l'autre : procéder à des destructions spectaculaires et photogéniques pour ne pas avoir à engager des réformes difficiles de nos modes de production et de consommation? 

06/10/2022

Les seuils contribuent à dépolluer les rivières, leur suppression élimine cet effet bénéfique (Teran-Velasquez et al 2022)

Des chercheurs ont utilisé un modèle à haute résolution spatiale pour vérifier le bilan nitrate d’une rivière avec retenues d’eau créées par des seuils. Leur travail confirme que les ouvrages hydrauliques tendent à améliorer la qualité de l’eau à l’aval de manière significative, en comparaison d'un tronçon sans seuil ou à seuil supprimé. Ils soulignent que la politique de destruction des ouvrages devrait exiger de meilleures informations sur leurs avantages et inconvénients, au lieu de l’actuel procès à charge par nombre de gestionnaires publics. 

Les pollutions des rivières comprennent les émissions de nutriments, de matières organiques et de produits chimiques toxiques provenant de sources diffuses et ponctuelles comme les rejets agricoles, industriels ou ceux des systèmes d'épuration mal conçus. L'azote est considéré comme le principal polluant des écosystèmes aquatiques et terrestres car  les activités anthropiques ont considérablement modifié et intensifié son cycle naturel. L'excès continu d’azote dans le sol et l'eau entraîne acidification et eutrophisation. 

Dans les systèmes aquatiques, la présence d'azote dépend de plusieurs facteurs : les réactions de minéralisation et d'hydrolyse de la matière organique selon la libération d'ammoniac, l'oxydation de l'ammoniac en nitrite et en nitrate (nitrification),  la réduction du nitrate en azote gazeux dans des conditions anaérobies (dénitrification) ainsi que l'absorption de nitrate par les algues fixatrices.

La fonction de dénitrification des eaux plus lentes est connue, mais mal quantifiée. Geovanni Teran-Velasquez et deux collègues de la faculté des sciences environnementales de Dresde ont étudié le phénomène avec un modèle haute résolution sur un tronçon du Freiberger Mulde (land de Saxe). La section étudiée contient des linéaires avec seuils et d’autres en libre écoulement.

Voici le résumé de leur étude :

«La dynamique fluviale de l'azote aux abords des seuils est encore rarement étudiée en détail. Les données eulériennes, souvent utilisées par les approches conventionnelles de surveillance et de modélisation des rivières, manquent de résolution spatiale pour une représentation sans ambiguïté. Dans le but de combler cette lacune dans les connaissances, la présente étude applique un modèle couplé hydrodynamique-qualité de l'eau 1D à un tronçon de 26,9 km d'une rivière en amont. 

Des simulations sur mesure ont été réalisées pour les tronçons de rivière avec rétention d'eau et conditions d'écoulement libre afin de quantifier les influences des déversoirs sur la dynamique de l'azote. Les données sur la qualité de l'eau ont été échantillonnées avec des stratégies eulériennes et lagrangiennes. Malgré les limitations en termes de discrétisation spatiale requise et de temps de simulation, des calibrages de modèles affinés à haute résolution spatio-temporelle ont corroboré les taux d'ammonification élevés (0,015 j−1) sur les tronçons de rivière sans déversoirs et les taux de nitrification élevés (0,17 j−1 ammonium en nitrate, 0,78 d−1 nitrate à nitrite) sur les tronçons de rivière avec déversoirs. 

De plus, en utilisant des estimations de la dénitrification basées sur des valeurs typiques pour les sédiments du lit de la rivière comme référence, nous avons pu démontrer que dans notre étude de cas, les déversoirs peuvent améliorer considérablement la dénitrification. Les longueurs de remous produites peuvent induire un moyen d'élimination supplémentaire de l'azote de 0,2 tonne j−1 (10,9 %) pendant les périodes chaudes et d'étiage.»

Ce graphique montre la différence en hypothèse «seuil présent» et «seuil supprimé» dans la réduction de l’azote :

Les auteurs prennent soin de préciser :

« Bien que la suppression des seuils soit la mesure la plus répandue pour la restauration des rivières, dans la pratique, il ne s'agit pas d'un processus décisionnel simple pour sa mise en œuvre. L'impact de l'enlèvement des déversoirs peut ne pas bénéficier à tous les services écosystémiques connexes, comme également discuté dans Cisowska et Hutchins 2016. Bien que cela permettrait principalement une connectivité fluviale quasi naturelle, améliorant la migration des poissons et les habitats écologiques, cela pourrait également entraîner une exportation plus élevée de nutriments (par exemple, les formes N) vers les sections fluviales en aval et la perte de certains autres services historiques intrinsèques tels que les loisirs, la pêche, la navigation et la protection contre les crues. Par conséquent, d'autres études et évaluations des coûts pour les différents échanges entre les services écologiques sont nécessaires. »

Discussion
Au début des années 2010, dans le but de « vendre » la politique de continuité écologique par destruction d’ouvrages aux élus et aux populations, les autorités publiques françaises avaient prétendu que ce choix permettrait de retrouver «l’auto-épuration» de la rivière et d’atteindre plus facilement les objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau. Merveilleux : on détruisait moulins et étangs, la pollution disparaissait.

Non seulement cette assertion divertissait les esprits de la nécessité de lutter contre les pollutions à la source, mais elle était fausse : d’innombrables travaux sur les ouvrages des humains comme des castors ont montré que des successions de retenues permettent plutôt d’épurer l’eau des intrants indésirables. 

Les choix d’effacer les seuils contredisent les obligations légales d’une gestion durable et équilibrée de l’eau quand ils abaissent les capacités d’épuration du milieu en place et contribuent à détériorer la qualité physico-chimique de la masse d’eau au sens de la directive cadre sur l’eau. La non-prise en compte de cet élément dans les dossiers déposés en préfecture figure parmi les nombreux problèmes que pose cette politique de destruction des ouvrages. 

L’incapacité à réduire à la source les nombreux polluants de l’eau couplée à la suppression des ouvrages nuit à la qualité des milieux aquatiques.

Référence : Teran-Velasquez, G et al  (2022), Longitudinal river monitoring and modelling substantiate the impact of weirs on nitrogen dynamics, Water, 14, 2, 189.

26/04/2022

La pollution touche aussi les lacs isolés de montagne (Machate et al 2022)

Une étude révèle que 151 molécules chimiques ont été détectées dans les eaux de huit lacs d’altitude en Ariège, dans les Hautes-Pyrénées et le Béarn. Ces substances incluent des pesticides,​ des fongicides,​ des biocides d’usage courant et soixante composés utilisés dans les parfums et les produits de nettoyage. Au moins deux composés sont en concentration suffisante pour induire une baisse de la population de crustacés. Ce travail confirme la pollution massive et ubiquitaire de tous les milieux aquatiques, phénomène dont il a été montré qu'il est la première cause de dégradation du vivant. A quand un retour aux vraies priorités pour la politique publique de l'eau?



Voici la synthèse de cette recherche :

"Les lacs de montagne ont longtemps été perçus comme des environnements vierges. Cependant, il a été démontré que les dépôts atmosphériques de polluants organiques persistants (POP) exposent ces écosystèmes sensibles à la pollution chimique. On sait peu de choses sur l'impact de cette pollution sur les écosystèmes aquatiques à haute altitude. 

Nous avons combiné l'échantillonnage passif avec la chromatographie liquide et gazeuse et la spectrométrie de masse à haute résolution (LC- et GC-HRMS) pour filtrer l'eau de huit lacs dans trois régions différentes des Pyrénées françaises. Au total, nous avons recherché 479 produits chimiques organiques, notamment des POP, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des pesticides anciens et actuels, des biocides et des composés de parfums. 

Nous avons détecté un cocktail complexe de 151 produits chimiques individuels et utilisé leur somme d'unités toxiques (ΣTU) pour évaluer la toxicité pour les crustacés et les algues. Si les risques pour les algues n'ont jamais atteint le niveau des risques chroniques, cela a toujours été le cas pour les crustacés. Les seuils de risque toxique aigu pour les crustacés ont même été dépassés sur plusieurs de nos sites. Sur les sites présentant des niveaux de risque toxique aigu (> 0,1 ΣTU), les crustacés étaient totalement absents ou présentaient une faible abondance. 

Nous concluons que les crustacés ont été au moins en partie impactés par les risques toxiques élevés induits par les insecticides diazinon et perméthrine. Ces médicaments sont largement utilisés pour protéger le bétail contre la maladie de la fièvre catarrhale ovine transmise par les insectes suceurs, suggérant que le bétail en liberté est une source locale. Nos résultats fournissent des preuves importantes sur la pollution chimique toxique dans les zones montagnardes relativement isolées, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes aquatiques de montagne."

10/07/2021

Une retenue d'étang tend à éliminer les pesticides et à livrer une eau moins polluée à l'aval (Le Cor et al 2021)

Des chercheurs français montrent qu'une retenue d'eau sur une rivière joue un rôle bénéfique dans une tête de bassin agricole, en ayant tendance à éliminer les résidus de pesticides et à délivrer une eau moins polluée à l'aval. Cette recherche, qui s'ajoute à de nombreuses autres, permet de constater à nouveau le flagrant délit de mensonge du ministère de l'écologie et des agences de l'eau. Ces autorités publiques ont vendu la continuité écologique par destruction d'ouvrages et de retenues en prétendant que cela favorisait l'auto-épuration de l'eau. C'est totalement faux et c'est d'autant plus grave que ces mêmes autorités sont incapables de réduire les pollutions à la source. On préfère casser du moulin et de l'étang que traiter les vrais problèmes de l'eau. 


La pollution diffuse et aiguë de l'eau par les pesticides est aujourd'hui une préoccupation mondiale majeure pour la santé et l'environnement. En Europe, la quantité totale de pesticides utilisés annuellement est passée de 440000 tonnes à plus de 475000 tonnes entre 2000 et 2017 (FAO, 2020). La France (16 % de toutes les terres agricoles de l'Union européenne) se classe parmi les pays ayant la plus forte consommation de pesticides, avec plus de 69600 tonnes utilisées pour l'agriculture.

Outre la réduction des pesticides à la source et l'interdiction des plus dangereux se pose la question des meilleurs moyens de réduire et éliminer les charges toxiques dans les milieux. 

Comme le notent François Le Cor et ses collègues dans une recherche venant de paraître, "les petits plans d'eau (c'est-à-dire de 0,1 à 100 ha) semblent également jouer un rôle important dans la préservation des cours d'eau d'amont. Les étangs semblent avoir des capacités d'atténuation des pesticides importantes, mais sous-estimées (Gaillard et al., 2015, 2016 ; Grégoire et al., 2009). Bien que de petite taille, ces plans d'eau, additionnés, couvrent une superficie trois fois plus grande que celle couverte par les grands lacs naturels et artificiels en France. A l'échelle européenne, elles couvrent près de 270 000 km2 (Bartout et Touchart, 2018). Habituellement, une forte densité de petits plans d'eau se produit en tête des bassins versants agricoles (Drożdżyński, 2008 ; Lazartigues et al., 2012) ; ils sont donc, dès l'origine des réseaux hydrographiques, sur le chemin de la contamination par les pesticides. De plus, ils peuvent aussi être particulièrement sujets à des transferts de produits de transformation (TP) (Ulrich et al., 2018), ce qui les rend encore plus pertinents dans la compréhension des deux niveaux de contamination (c'est-à-dire avec les composés parents et le TP). Les données de terrain concernant la contamination des étangs par les pesticides sont rares et, même si certaines existent (Gaillard et al., 2016 ; Lazartigues et al., 2013 ; Ulrich et al., 2018), elles prennent rarement en compte la TP. La collecte de données environnementales sur les pesticides et les TP semble donc nécessaire pour prédire les effets écotoxicologiques qui peuvent survenir."

Les chercheurs ont donc examiné les concentrations en pesticides et en transfert de leurs produits transformés en amont et en aval d'un étang de Lorraine, situé sur la rivière Seille.


Voici le résumé de leur recherche :

"En France, plus de 90 % des cours d'eau surveillés sont contaminés par des pesticides. Ce niveau de contamination élevé augmente en tête des bassins versants agricoles, où les capacités de dilution sont faibles et le transport depuis les terres traitées est direct. Les étangs, nombreux autour des cours d'eau d'amont, pourraient offrir une protection supplémentaire contre la pollution par les pesticides. En raison de leur long temps de séjour hydraulique et de leurs grands volumes d'eau, ils atténuent les concentrations de pesticides entre amont et aval des rivières. Cependant, les produits de transformation des pesticides peuvent également être responsables de la dégradation des milieux, du fait de leur présence à des concentrations élevées et de leur persistance, mais les données associées sont rares, notamment en raison de leur niveau élevé de diversité moléculaire. 

Nous avons d'abord rendu compte de l'état de contamination de l'eau dans les cours d'eau de tête de bassin agricole, sur la base d'échantillonnages d'eau à haute fréquence. L'analyse de 67 molécules (HPLC-ESI-MS/MS) a montré des mélanges de pesticides et de produits de transformation de pesticides contenant jusqu'à 29 composés différents dans un échantillon. Quel que soit le lieu d'échantillonnage, les produits de transformation représentaient au moins 50 % des composés détectés. 

Ensuite, nous avons démontré la capacité d'un étang à réduire les concentrations de contaminants dans les rivières en aval pour 90 % des composés détectés. En amont de ce bassin, les normes de qualité environnementale ou écotoxicologiques ont été dépassées lors des prélèvements, avec des concentrations cumulées de pesticides et de produits de transformation pouvant atteindre 27 27g/L. En aval du bassin d'étude, peu de dépassements ont été observés, avec une concentration totale maximale de 2,2 μg/L, traduisant une amélioration significative de la qualité de l'eau."

Discussion
Notre association a documenté depuis 10 ans que les retenues et plans d'eau ont des effets plutôt bénéfiques sur l'épuration de l'eau, pour les nutriments comme pour certains polluants. Cela fait partie des services écosystémiques reconnus de ces milieux, qui sont souvent d'origine humaine. Cette nouvelle recherche ajoute donc une pièce à un dossier déjà bien rempli. Elle nourrit une réflexion nécessaire sur des paiements pour services écosystémiques qui pourraient être associés à la bonne gestion des retenues et plans d'eau. 

Bien entendu, l'objectif n'est pas de se satisfaire des pollutions à la source. Mais à pollution donnée, il est préférable de conserver les nombreuses retenues qui agrémentent les rivières françaises et qui agissent comme des filtres évitant l'excès de pollution de l'aval et des estuaires. 

Le point scandaleux dans le cas français est que les autorités en charge de l'eau (ministère de l'écologie, agences de l'eau, syndicats de rivières) ont diffusé et diffusent parfois encore des informations fausses et trompeuses à ce sujet. Il a en effet été prétendu aux décideurs et aux citoyens que la destruction des ouvrages et de leurs retenues aurait un effet bénéfique sur "l'auto-épuration", c'est-à-dire la capacité de la rivière à éliminer elle-même des polluants. C'est inexact et cette doctrine n'a encouragé que la libre-circulation des toxiques dans les eaux de surface et dans les nappes. Il est vrai que casser du moulin et de l'étang, c'est plus facile que s'attaquer aux sources des pollutions... 

05/07/2021

L'Europe ouvre une procédure en justice contre la pollution des eaux usées en France

La Commission européenne vient de constater que la France ne traite toujours pas correctement ses eaux usées, alors que la directive concernée devait être appliquée depuis 2005. La Cour de justice européenne a été saisie, avec risque d'amende pour l'Etat et les collectivités concernées. Ces collectivités devraient demander aux agences de l'eau de cesser de dilapider l'argent public dans des dépenses somptuaires: notre pays a déjà été régulièrement condamné pour son mauvais traitement des pollutions affectant la santé humaine et les milieux naturels. Il y a plus urgent et plus utile pour l'eau en France que de détruire des moulins et des étangs. 


Eutrophisation et prolifération d'algues bleues, CC AS-A 3.0, Lamiot.

Déjà en retard sur la transition bas carbone, la France l'est aussi sur la dépollution de ses rivières, plans d'eau, estuaires et nappes. 

La Commission européenne a saisi en juin 2021 la Cour de justice de l'Union européenne d'un recours contre la France pour non-respect des exigences de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (directive 91/271/CEE). Cette directive impose aux États membres de veiller à ce que les collectivités (villes, métropoles, agglomérations d'assainissement) collectent et traitent leurs eaux usées. Ces dernières peuvent être contaminées par des microbes présentant un risque pour la santé humaine, mais contiennent aussi des polluants et nutriments (azote, phosphore) susceptibles de nuire aux réserves d'eau douce et au milieu marin  (eutrophisation, prolifération d'algues). 

Le retard français n'est pas nouveau : notre pays aurait dû se conformer pleinement aux exigences de la directive depuis 2005. Mais aujourd'hui encore, plus de 100 agglomérations de plus de 2 000 habitants ne respectent pas la loi. Quinze d'entre elles sont aussi en infraction sur d'autres exigences de la directive de protection des zones sensibles contre les nutriments. 

La Commission avait adressé une lettre de mise en demeure aux autorités françaises en octobre 2017, puis un avis motivé en mai 2020. Les lacunes de la réponse des autorités françaises ont conduit la Commission à saisir la Cour de justice.

La loi Notre a établi un partage de la responsabilité financière entre l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements en cas de condamnations pécuniaires décidées par la CJUE.

Comme d'habitude, on se demande pourquoi les agences de l'eau (principale planificateur et financeur public des bassins) dépensent des sommes considérables pour des restaurations morphologiques qui ne sont nullement obligatoires au terme des directives européennes, alors que notre pays est en retard dans l'application de plusieurs textes sur les pollutions de l'eau. 

07/04/2021

Quels facteurs de stress expliquent les variations de l'état écologique des rivières européennes? (Lemm et al 2021)

Une nouvelle étude menée sur 50 000 tronçons de rivière en Europe suggère que les dégradations relatives de l'état écologique de l'eau au sens de la directive-cadre européenne s'expliquent à 34% par l'excès de nutriment (nitrates, phosphore), 26% par la présence de polluants toxiques, 23% par la morphologie (au sens d'usage des sols du bassin versant par l'urbanisme et l'agriculture), 16% par l'hydrologie (déviation du régime naturel de débit par extraction, dont barrage-réservoir). Cette recherche confirme que la pollution des eaux et l'artificialisation des sols sont les premiers facteurs à contrôler. Evidemment très loin du récit fantasmatique des gestionnaires publics de l'eau insistant en France sur les discontinuités liés à des ouvrages anciens de moulins et d'étangs, tout en faisant croire indûment aux citoyens et aux décideurs que la "morphologie" concernerait au premier chef ces ouvrages. 

Les zones étudiées et leur état écologique DCE 2000, extrait de Lemm et al 2021, art cit


Malgré un nombre croissant d'études sur les multiples effets de stress dans les systèmes aquatiques, l'état des connaissances reste incomplet. La plupart des analyses portant sur les effets des impacts humains combinent deux ou trois facteurs. De tels résultats expérimentaux ne sont pas nécessairement bien mis à l'échelle dans l'espace et dans le temps, car ils ne sont qu'un instantané d'un contexte particulier à un moment donné. De plus, la plupart des masses d'eau sont souvent affectés par plus de trois facteurs de stress. Les études de terrain à l'échelle régionale ont donné des résultats contradictoires, même en ciblant une zone identique. Le rôle de la qualité de l'eau par rapport à l'hydromorphologie pour l'état écologique reste controversé avec des résultats dépendant de la sélection, de la résolution spatio-temporelle et de la qualité des données sur les facteurs traités dans l'analyse.

Jan U. Lemm et ses collègues apportent une nouvelle pierre à cet édifice complexe de la désintrication des facteurs modifiant l'état écologique tel que défini par la directive cadre européenne 2000 sur l'eau. La DCE prend le biote en entrée d'analyse (c'est-à-dire les taxons de poissons, insectes, plantes, micro-organismes dans le milieu aquatique) et déduit des altérations sur la qualité de ce biote. Voici le résumé des travaux de ces chercheurs :

"Le biote des rivières européennes est affecté par un large éventail de facteurs de stress qui nuisent à la qualité de l'eau et à l'hydromorphologie. Environ 40% seulement des cours d’eau européens atteignent un «bon état écologique», un objectif fixé par la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) et indiqué par le biote. On ne sait pas encore comment les différents facteurs de stress affectent de concert l'état écologique ni comment la relation entre les facteurs de stress et l'état diffère entre les types de rivières. 

Nous avons lié l'intensité de sept facteurs de stress aux données récemment mesurées sur l'état écologique de plus de 50000 unités de sous-bassin (couvrant près de 80% de la superficie de l'Europe), qui étaient réparties entre 12 grands types de rivières. Les données sur les facteurs de stress ont été soit dérivées de données de télédétection (étendue de l'utilisation des terres urbaines et agricoles dans la zone riveraine), soit modélisées (modification du débit annuel moyen et du débit de base, charge totale de phosphore, charge totale d'azote et pression toxique du mélange, une métrique composite pour les substances toxiques), tandis que les données sur l'état écologique ont été tirées des rapports nationaux des deuxièmes plans de gestion des bassins hydrographiques de la DCE pour les années 2010-2015. Nous avons utilisé des arbres de régression accélérée pour relier l'état écologique aux intensités des facteurs de stress. 

Les facteurs de stress expliquaient en moyenne 61% de la déviance de l'état écologique pour les 12 types de rivières, les sept facteurs de stress contribuant considérablement à cette explication. En moyenne, 39,4% de la déviance s'expliquait par une hydromorphologie altérée (morphologie: 23,2%; hydrologie: 16,2%), 34,4% par un enrichissement en nutriments et 26,2% par des substances toxiques. Plus de la moitié de la déviance totale était expliquée par l'interaction des facteurs de stress, l'enrichissement en nutriments et les substances toxiques interagissant le plus fréquemment et le plus fortement. Nos résultats soulignent que le biote de tous les types de cours d'eau européens est déterminé par de multiples facteurs de stress concomitants et interagissants, étayant la conclusion que des stratégies de gestion fondamentales à l'échelle du bassin versant sont nécessaires pour atteindre l'objectif ambitieux d'un bon état écologique des eaux de surface."

Ce graphique montre le poids estimé des impacts selon les types de rivières (de plaine, de moyenne altitude, de montagne ; grands fleuves ; méditerranéennes ; géologie sédimentaire ou cristalline):

Le poids des facteurs de stress dans la variance de l'état écologique DCE, extrait de Lemm et al 2021, art cit.


Discussion
Quand la morphologie et l'hydrologie sont séparées, cette étude confirme que l'enrichissement en nutriments et la présence de toxiques sont les deux premiers prédicteurs de baisse de qualité écologique au sens de la DCE : "les trois catégories de facteurs de stress «hydromorphologie» (y compris l’utilisation des terres riveraines), «nutriments» et «substances toxiques» affectent l’état écologique des cours d’eau européens dans un rapport approximatif de 1,5 à 1,3 à 1,0. Si la morphologie et l'hydrologie sont séparées, le rapport est de 1,3 (nutriments) à 1,0 (substances toxiques) à 0,9 (morphologie) à 0,6 (hydrologie)."  Ce n'est pas nouveau, les mêmes facteurs de variance ont été observés en France dans des analyses à grande échelle aussi (voir Villeneuve et al 2015). 

Par ailleurs, cette étude rappelle ce que les chercheurs entendent par morphologie ou hydromorphologie: ce n'est pas au premier au premier chef la présence d'ouvrages anciens en rivière, comme le prétendent en France les administrations et lobbies de la casse des moulins et étangs, mais d'abord les usages des sols du bassin versant (agriculture, urbanisation) et les extractions d'eau diminuant le débit naturel de base des rivières (notamment des barrages d'irrigation). Il paraît de plus en plus clair que l'acharnement français à détruire les ouvrages est une diversion de l'impuissance française à réduire des polluants agricoles, urbains et domestiques, ce qui représente évidemment une autre ambition et un autre coût que l'image symbolique d'une pelleteuse cassant une chaussée de moulin...

Notons enfin que 40% de la variance du score écologique n'a pas d'explication claire. Cela devrait inciter le gestionnaire à un peu d'humilité quand il prétend expliquer par quelques règles généralistes la diversité des rivières et de leurs peuplements. Cela devrait aussi inciter l'Union européenne à réviser la directive cadre de 2000, qui a été lancée sur des bases naïves et contestées concernant la possibilité de définir partout des "états de référence" des rivières. 

04/12/2020

Les stations d'épuration laisseraient passer plus de 100 molécules toxiques dans les eaux françaises (Aemig et al 2021)

Si les années 1980 et suivantes ont vu se développer la lutte contre les nitrates et phosphates, encore inachevée dans plusieurs régions, on commence seulement à mesurer les volumes de micropolluants circulant dans les eaux en France. Dans la première étude de ce genre pour quantifier les contaminants à échelle du pays, les chercheurs ont identifié en sortie de station d'épuration 94 molécules organiques pouvant avoir des effets toxiques sur la santé humaine (88 écotoxiques), 15 molécules inorganiques pouvant avoir une toxicité humaine (19 écotoxiques), pour un total de près de 147 tonnes. Les stations d'épuration ne sont pas prévues pour traiter ces contaminants d'origines très diverses : pesticides, médicaments humains et vétérinaires, hormones, hydrocarbures, métaux lourds, composés de synthèse. L'effet de cette charge toxique sur les milieux aquatiques est très mal documenté à ce jour, malgré leur hausse constante depuis l'après-guerre. Il serait temps que les gestionnaires français de l'eau, au lieu de détruire maladivement des moulins et étangs d'Ancien Régime comme soi-disant pinacle écologique de la rivière "sauvage", s'intéressent sérieusement au dossier de la pollution ainsi qu'à la santé des humains comme à celle des milieux.


Quentin Aemig, Arnaud Hélias et Dominique Patureau (INRAE, ITAP Montpellier, ELSA Montpellier) ont pour la première fois en France tenté de quantifier les micropolluants rejetés par les stations d’épuration. Selon leur modélisation, les 5 milliards de mètres cubes d’eau qui sortent chaque année de ces stations comporteraient environ 147 tonnes de micropolluants.

Voici le résumé de leur travail :
"Les micropolluants émis par les activités humaines représentent une menace potentielle pour notre santé et notre environnement aquatique. Des milliers de substances actives sont utilisées et vont à la STEP via les eaux usées. Pendant le traitement de l'eau, une élimination incomplète se produit. Les effluents rejetés dans l'environnement contiennent encore une partie des micropolluants présents dans les effluents. Ici, nous avons étudié les impacts potentiels sur la santé humaine et le milieu aquatique du rejet de 261 micropolluants organiques et de 25 micropolluants inorganiques à l'échelle de la France. Les données ont été recueillies à partir d'enquêtes nationales, de rapports, d'articles et de travaux de doctorat. Le modèle USE-tox ® a été utilisé pour évaluer les impacts potentiels. Les impacts sur la santé humaine ont été estimés pour 94 micropolluants organiques et 15 inorganiques et sur le milieu aquatique pour 88 micropolluants organiques et 19 inorganiques, soulignant le manque de concentration et de données toxicologiques dans la littérature. Certains hydrocarbures aromatiques polycycliques et pesticides ainsi que l'As et le Zn ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur la santé humaine. Certains pesticides, le PCB 101, la βE2, l'Al, le Fe et le  Cu ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur l'environnement aquatique."

Ce schéma résume les molécules organiques et inorganiques étudiées (liste des substances, nombre de substances avec au moins une concentration détectable, nombre de substances dépassant la limite de détection dans plus de 10% des prélèvements, substances à toxicité humaine ou environnementale). 




Voici leur conclusion :

"Les impacts potentiels totaux sur la santé humaine ont varié entre 3 et 14 et 761 à 904 DALY [Disability Adjusted Life Year = cumul année de vie perdue] pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques. Les impacts potentiels totaux sur l'environnement aquatique ont varié entre 18 et 22 et 2 408 à 3 407 milliards de PDF.m3.j [Potentially Disappeared Fraction potentielle d'espèces disparues d'un volume) pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques.

Pour la toxicité et l'écotoxicité, les impacts potentiels ont été calculés avec un petit nombre de molécules par rapport à celles qui avaient été sélectionnées. Cela a mis en évidence le manque de données de concentration et de facteurs de caractérisation. La connaissance réelle des effets des micropolluants sur la santé humaine et l'environnement aquatique est limitée.

Nos études ont soulevé la question de la solution pour réduire les impacts des micropolluants organiques sur la santé humaine et l'environnement aquatique. La réduction ou l'interdiction d'utilisation est préférée en France; ici, nous avons mis en évidence que les micropolluants omniprésents (HAP), interdits (PCB) ou naturels (hormone) sont toujours présents dans les effluents et ont contribué à l'impact calculé signifiant que cette solution n'est pas appropriée pour tous les micropolluants. Les traitements tertiaires sont un autre moyen de réduire les rejets dans l'environnement, mais nous devons savoir s'ils sont suffisants pour réduire les micropolluants ayant les impacts les plus élevés et des études pour prouver que les produits de dégradation, le cas échéant, ne sont pas plus toxiques que les composés d'origine. De plus, on peut également s'interroger sur le coût impliqué par l'ajout de traitements tertiaires: il faut savoir si les options de traitement tertiaire disponibles sont efficaces pour éliminer les micropolluants et si elles sont rentables compte tenu de leur coût et de la diminution de l'impact. Nos résultats ont soulevé des questions sur les impacts des micropolluants inorganiques; en effet, ils sont naturellement présents dans l'eau, la plupart des concentrations dans les effluents des stations d'épuration sont proches des concentrations en rivière mais les impacts estimés montraient un risque élevé en raison de ces substances.

USETox® est basé uniquement sur des données de toxicité chronique et ne tient pas compte des perturbations endocriniennes. De plus, les effets des nanomatériaux, des microplastiques, des gènes de résistance, etc. n'ont pas été pris en compte par cette méthode mais peuvent représenter un impact important sur la santé humaine et l'environnement aquatique. Cependant, cette méthode pourrait être utilisée pour comparer différents scénarii: ajout de traitement tertiaire, réduction des émissions à la source, etc. Ici, comme première étape d'estimation des impacts potentiels, nous nous concentrons sur les valeurs de masse moyennes à l'échelle de la France. On sait qu'il existe une variation spatiale et temporelle des émissions de micropolluants (Lindim et al., 2019); une perspective est d'utiliser ce type de méthode à l'échelle du bassin versant, en considérant d'autres émissions provenant de l'agriculture ou des industries."
Parmi les substances les plus nocives pour les humains, 8 représentent seulement 4 % de la masse totale des 94 micropolluants, mais 94 % de leur impact potentiel. Elles se composent de quatre hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du dicofol (insecticide organochloré interdit depuis 2010), d’un retardateur de flammes (banni depuis 2004) ainsi que de deux anti-inflammatoires. Du côté de la faune aquatique, les cinq substances ayant le plus d’effet représentent 2 % du total des flux, mais comptent pour 99 % de l’impact. La cyperméthrine (un insecticide), un PCB, un type d’œstrogène naturel (ßE2), l’amoxicilline (un antibiotique) se révèlent comme les plus dommageables.

Discussion
Les pollutions des cours d'eau et des nappes restent mal évaluées, en raison du très grand nombre de substances chimiques (plusieurs dizaines de milliers) qui sont utilisées dans l'agriculture et l'industrie. Bien que présentes en faibles doses, ces molécules peuvent être toxiques dans certains cas, et leurs effets cumulés sont quasi-impossibles à estimer sur l'ensemble des organismes cibles présents dans les rivières et les plans d'eau. 

Ces résultats sont aussi très inquiétants pour la capacité de la France à respecter la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance ultime de résultat est fixée en 2027. Plus des deux-tiers des rivières sont en mauvais état chimique, notamment en raison des HAP et des pesticides. Mais les mesures de routine faites dans le cadre de l'évaluation DCE sont loin de comptabiliser toutes les molécules à effet toxique. 

Il est navrant que l'argent public de l'eau continue d'être dilapidé en France dans des mesures absurdes, comme la destruction des ouvrages anciens (moulins, étangs, plans d'eau), alors que la restauration de la qualité chimique de l'eau n'est toujours pas à portée de vue. Les administrations n'ayant pas été capables de hiérarchiser les enjeux et les priorités pour la société porteront une lourde responsabilité en ce domaine. 

19/11/2020

Des insecticides antipuces surpuissants dans les rivières et plans d'eau (Perkins et al 2020)

Une recherche menée au Royaume-Uni a trouvé du fipronil dans 99% des échantillons de 20 rivières et le niveau moyen d'un produit de dégradation particulièrement toxique de ce pesticide était 38 fois supérieur à la limite de sécurité. Le fipronil et un autre agent neurotoxique appelé imidaclopride, lui aussi retrouvé dans les milieux aquatiques, ont été interdits d'utilisation en agriculture depuis quelques années. Principal suspect: les traitements antipuces des 21 millions de chiens et de chats du pays. Ces produits sont hautement toxiques pour les invertébrés — à titre d'exemple, une seule dose de traitement pour chien a un potentiel toxique suffisant pour tuer 60 millions d'abeilles. L'impact sur les insectes des rivières comme sur les poissons, amphibiens et oiseaux qui en dépendent est à explorer. Espérons que la France se penche aussi sur cette question, car l'analyse des pollutions chimiques et de leurs effets biologiques reste à ce jour très lacunaire au regard du nombre de substances circulant dans les eaux.


Voici le résumé de la recherche des quatre scientifiques anglais :

"On en sait peu sur le devenir environnemental ou l’impact des pesticides utilisés pour lutter contre les parasites des animaux de compagnie. À l'aide des données de l'Agence pour l'environnement, nous avons examiné l'occurrence du fipronil, des métabolites du fipronil et de l'imidaclopride dans 20 rivières anglaises de 2016 à 2018, comme indicateurs de la contamination potentielle des cours d'eau par leur utilisation comme ectoparasiticide sur les animaux de compagnie. Des échantillons d'eau ont été prélevés par l'Agence pour l'environnement dans le cadre de son programme de surveillance chimique et analysés à l'aide des méthodes de spectrométrie de masse par chromatographie liquide / spectrométrie de masse à temps de vol quadripolaire (LC / Q-TOF-MS). Au total, 3861 analyses chimiques ont été examinées et l'importance et les sources potentielles de cette contamination ont été évaluées. 

Le fipronil, le fipronil sulfone, le sulfure de fipronil (collectivement appelés fiproles) et l'imidaclopride ont été détectés dans 98,6%, 96,5%, 68,7% et 65,9% des échantillons, respectivement. Sur l'ensemble des sites fluviaux échantillonnés, les concentrations moyennes de fipronil (17 ng/l, fourchette <0,3–980 ng/l) et de fipronil sulfone (6,5 ng/l, fourchette <0,2–39 ng/l) étaient de 5,3 et 38,1 fois leurs limites de toxicité chronique de 3,2 et 0,17 ng/l, respectivement. L'imidaclopride avait une concentration moyenne de 31,7 ng/l (intervalle <1 à 360 ng/l), qui était inférieure à sa limite de toxicité chronique de 35 ng/l, mais 7 sites sur 20 dépassaient cette limite. Les quotients de risque chronique indiquent un risque environnemental élevé pour les écosystèmes aquatiques dû aux fiproles et un risque modéré à l'imidaclopride. 

Les sites immédiatement en aval des ouvrages de traitement des eaux usées présentaient les niveaux les plus élevés de fipronil et d'imidaclopride, ce qui étaye l'hypothèse selon laquelle des quantités potentiellement importantes de pesticides provenant de produits vétérinaires contre les puces pourraient pénétrer dans les cours d'eau par les égouts ménagers. Ces résultats suggèrent la nécessité d'une réévaluation des risques environnementaux associés à l'utilisation de produits antiparasitaires pour animaux de compagnie et des évaluations des risques que ces produits subissent avant l'approbation réglementaire."

Référence : Perkins R et al (2020), Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science of The Total Environment,, 143560

11/10/2020

Echec de la réduction des pollutions diffuses en bassin de Seine depuis l'adoption de la DCE 2000 (Bouleau et al 2020)

Une équipe de chercheurs montre que si les nitrates et phosphates ont régressé dans les années 1980 et 1990, les progrès semblent avoir ralenti depuis les années 2000 dans le bassin de Seine. La cause est de moins en moins des pollutions ponctuelles ou l'élevage, mais des sources diffuses, notamment en lien à certaines pratiques de l'agriculture intensive. Par ailleurs, la meilleure prise en compte des pesticides montre qu'ils dégradent la qualité d'au moins 25% des eaux de surface et 61% des eaux souterraines en Seine-Normandie. Un sujet qui préoccupe de plus en plus les citoyens, et qui peut devenir plus problématique pour l'eau potable avec les vagues de sécheresse entraînant une moindre dilution des polluants.

Gabrielle Bouleau et cinq co-auteurs, membres passés ou présents du comité scientifique de l'agence de l'eau Seine-Normandie, analysent dans un numéro spécial de la revue Water Alternatives l'échec de la réduction des pollutions diffuses après l'adoption de la directive cadre sur l'eau (DCE 2000).

Voici le résumé de leur travail :

"Les parties prenantes européennes engagées dans la lutte contre l'eutrophisation de la mer du Nord ont salué trois innovations de la directive-cadre sur l'eau: une approche plus holistique de la qualité, le caractère contraignant des objectifs de la DCE et une plus grande participation du public. Vingt ans plus tard, cependant, il y a eu des progrès décevants dans la réduction de la pollution diffuse. Dans le bassin de la Seine, la présence de l'élevage est faible; pourtant le bassin est soumis à une pollution diffuse importante due à l'agriculture. Cet article rapporte notre étude de ce cas; nous examinons la littérature sur la politique de mise en œuvre de la DCE afin d'identifier les causes physiques et sociales de cette incapacité à réduire la pollution diffuse. Nous montrons que les nitrates, le phosphore et les pesticides qui affectent les eaux souterraines, de surface et marines sont attribuables à des changements structurels dans la production agricole plutôt qu'à des pratiques agricoles inefficaces. Nous décrivons comment une série d'instruments conçus pour lutter contre les origines agricoles diffuses des polluants ont eu peu d'effet. Nous identifions les principaux obstacles à l'amélioration comme étant la dispersion du public ciblé et la dispersion des bénéfices, compte tenu de la nature actuelle de la légitimité dans l'Union européenne. Ce cas illustre le fait que la production agricole intensive a un impact sur la qualité de l'eau bien au-delà du problème de l'excès de fumier provenant de l'élevage."

Le constat est d'abord fait qu'après la régression des nitrates et des phosphates dans les années 1980 et 1990, les progrès ont été ralentis et non accélérés après l'adoption de la directive cadre européenne sur l'eau en 2000. Concernant la charge en phosphates et nitrates, on l'estime à 1000-2000 tonnes par an pour les phosphates, 93 000 tonnes par an pour les nitrates. Dans 82% des cas, la source des nitrates est diffuse et non ponctuelle (dans 50% des cas pour les phosphates). 

Par ailleurs, les pollutions par pesticides sont davantage prises en compte.

Cette image montre par exemple la pollution des captages AEP par les pesticides. La dégradation des aquifères par les pesticides concernent 61% des sites du bassin Seine-Normandie (25% des eaux de surface).


A paramètres constants, l'état chimique des masses d'eau (toutes confondues) avait progressé de 38 à 41% entre 2004 et 2019, ce qui est modeste, mais en incluant la nouvelle obligation de prendre en considération 14 pesticides, le chiffre a chuté à 32%, donc une régression en réalité, quand on affine les mesures. Encore cette estimation est-elle conservatrice : la DCE obligeait à suivre 5 pesticides jusqu'en 2012, puis 14 pesticides, mais il y a plusieurs centaines de principes actifs à effets toxiques qui circulent dans les eaux. Pas uniquement issus de l'agriculture au demeurant (polluants médicamenteux, industriels, domestiques).

La conclusion des auteurs :

"Le bassin de la Seine a bénéficié d'objectifs ambitieux au niveau national, d'une réduction réussie de la pollution ponctuelle et d'une compréhension scientifique de la dynamique du bassin. Des mécanismes de contrôle plus stricts pour l'utilisation d'engrais sont mis en œuvre au niveau des exploitations en vertu de la directive sur les nitrates et de la politique agricole commune (Commission européenne, 2019d: 148). Les condamnations pendantes de la France pour non-respect de la directive sur les nitrates ont conduit les experts gouvernementaux à suggérer le transfert du système wallon Nitrawal, qui rend obligatoire la mesure des résidus d'azote dans le sol et prévoit des sanctions en cas d'excédents (Barthod et al. ., 2019); grâce à ce système, l'administration agricole deviendrait responsable des nitrates. Une telle mise en œuvre réussie de la directive sur les nitrates marquerait néanmoins un retour à une approche plus sectorielle et moins holistique; il est également trompeur de se concentrer uniquement sur les rejets existants de nitrates. L'abandon de l'élevage extensif dans les prairies ouvre une voie à l'urbanisation et à l'intensification agricole; cela entraînerait la régression des zones humides et des prairies, qui représentent une grande partie des nitrates évités du bassin. De plus, si seul le problème des nitrates était résolu, la pollution par les pesticides et les phosphates continuerait. Compte tenu du temps de séjour de ces substances toxiques dans les eaux souterraines, la tolérance politique actuelle de ces rejets est susceptible d'entraîner des coûts supplémentaires pour la production d'eau potable et la protection des écosystèmes à l'avenir. Cependant, la préoccupation du public pour la qualité des eaux souterraines est restée faible jusqu'à présent. Avec le changement climatique, de plus en plus de communes de France sont confrontées à des pénuries estivales d'eau potable. Si la concentration de pesticides ou de nitrates augmente alors que la dilution devient plus difficile, on peut s'attendre à une plus grande implication du public dans la question. Eau de Paris, le service public d'eau qui approvisionne la région parisienne en eau potable, a récemment commencé à tenter de répondre à ces problèmes en proposant des contrats préférentiels aux agriculteurs qui se convertissent à l'agriculture biologique".

Référence : Bouleau G et al (2020), Despite great expectations in the Seine River Basin, the WFD did not reduce diffuse pollution, Water Alternatives, 13, 3, 534-555

01/10/2020

Estimation des pollutions de l'Eure et de la Seine par les sédiments des barrages (Gardes et al 2020)

Les sédiments bloqués dans les barrages révèlent souvent le passé industriel des rivières. Et ils portent parfois encore leurs contaminants. Des chercheurs de l'université de Rouen ont ainsi pu reconstituer la manière dont l'estuaire de la Seine et la rivière Eure ont été pollués dans la seconde moitié du 20e siècle par des émissions de plomb, de zinc, de cuivre et de nickel venant d'industries installées non loin des cours d'eau. Certains parlent avec enthousiasme de la "libre circulation des sédiments", mais encore faut-il s'assurer au préalable que ceux-ci ne soient pas porteurs de contaminants. Ou de faible intérêt écologique, comme les excès de matières fines en suspension. 


Le bassin versant de la Seine a fait l'objet d'études de ses pollution dans les secteurs Oise, Marne et Eure. Extrait de Gardes et al 2020, art. cit.

Les sédiments produits par les actions humaines ont reçu une attention croissante ces dernières années. Ils ont été classés dans un type particulier, connu sous le nom de "sédiments hérités" (James 2013): des dépôts alluviaux issus de perturbations anthropiques dans un bassin versant. Ces sédiments hérités sont souvent stockés dans les retenues des barrages. Il est alors possible de retrouver les témoignages industriels et agricoles des activités passées. C'est particulièrement précieux dans l'étude des estuaires, milieux dynamiques où il est difficile de reconstituer les tendances temporelles de la contamination et les origines de ces dernières. Pour cela, il faut alors étudier ses affluents. En particulier si ceux-ci disposent de barrages formant les archives des activités humaines. C'est le travail entrepris par une équipe de chercheurs de l'université de Rouen.

Les scientifiques observent : "La révolution industrielle a considérablement augmenté la pression anthropique sur la Seine sur une période d'environ 150 ans, entraînant des changements spécifiques et drastiques dans la morphologie des cours d'eau. Ces modifications ont permis de réguler le débit de la Seine, principalement pour faciliter la navigation au XIXe siècle (Horowitz et al 1999; Lestel et al 2019). Les modifications morphologiques ont également impacté les affluents de la Seine. Ainsi, l'Eure, principal contributeur de l'estuaire de la Seine, a vu son exutoire détourné de 11 km en aval entre 1929 et 1939. Tous ces aménagements ont abouti à la mise en place d'environnements de dépôt favorisant le stockage des sédiments hérités, propices à la reconstitution des activités anthropiques dans le bassin versant. Cependant, si l'histoire de la Seine est bien connue, il y a moins d'informations historiques sur ses affluents; ce dernier pourrait potentiellement être la principale source de contamination dans le cours inférieur du bassin versant, c'est-à-dire l'estuaire"

C'est la raison pour laquelle les activités anthropiques dans le bassin versant de la rivière Eure ont été étudiées à travers des carottes sédimentaires dans deux retenues (Martot, Les Damps) afin d'analyser les signatures sédimentologiques et géochimiques.

L'analyse des carotte sédimentaires montre des contaminations au plomb : "Dans les grands bassins versants européens, les niveaux de Pb présentent généralement des tendances temporelles similaires avec des augmentations des années 1940 aux années 1970, puis diminuent jusqu'aux années 1990 (Danube et Rhin: Winkels et al 1998; Loire: Grosbois et al 2006; Seine: Le Cloarec et al 2011; Ayrault et al 2012; Rhône: Ferrand et al 2012). Inversement, dans l'Eure, les niveaux de plomb sont restés stables dans les années 60, ont augmenté à la fin des années 80 et ont atteint un maximum dans les années 90 et 2000 suivi d'une diminution après 2006." Cette pollution au plomb est attribuée à usine de tubes cathodiques puis de composants électroniques, implantée à Dreux.

Autre découverte : des contaminations de l'eau au zinc, au cuivre et au nickel: "la forte augmentation de Zn, Cu et Ni à la transition entre la Seine et les unités de l'Eure montre comment la modification du chenal de la Seine (pour la navigation) a immédiatement impacté la qualité des sédiments déposés dans la retenue Martot. Les tendances historiques de Zn, Cu et Ni, rapportées par plusieurs études dans de grands fleuves européens, tels que les bassins du Danube, du Rhin, de la Loire et de la Seine, montrent que les concentrations ont augmenté entre 1940 et les années 1970, puis ont diminué (Winkels et al 1998; Grosbois et al 2006; Le Cloarec et al 2011). Tout comme dans ces bassins versants, les teneurs en Zn, Cu et Ni dans le bassin versant de la rivière Eure étaient élevées jusqu'aux années 1980 et ont culminé au cours des années 1960 et 1970." Les fortes corrélations observés entre ces éléments suggèrent une source unique pour la rivière Eure: probablement l'usine de batteries Wonder. "En raison d'une évolution globale de l'industrie (délocalisation, changement de type de batteries), cette industrie a décliné à la fin des années 1960, ce qui se reflète dans la teneur en Zn, Cu et Ni dans les sédiments. Après la fin de l'activité industrielle (1994), la teneur en Zn, Cu et Ni reste stable. Ici, le bassin versant semble réagir instantanément avec le changement de l'activité anthropique."

Les chercheurs concluent : "Au cours de l'Anthropocène, les zones de sédimentation contenant des sédiments contaminés peuvent être impactées par des événements extrêmes (par exemple des inondations) ou modifiées par des activités humaines (par exemple la destruction de barrages, le dragage et la canalisation), ce qui peut provoquer une remise en suspension de ces sédiments dans les rivières. , constituant une nouvelle source de contamination. Ces processus complexes concernent la plupart des fleuves du monde."

Discussion

Cette recherche montre d'une part que l'on peut retracer l'histoire des pollutions, au moins celles qui ont des signatures persistantes comme les traces métalliques, d'autre part que les chantiers d'effacement de barrage exigent des précautions (voir aussi Howard et al 2017), ce qui est trop souvent négligé par un personnel mieux formé à prendre en compte la morphologie que la chimie. 

Une autre équipe française a récemment montré qu'au cours du 20e siècle, la Seine de l'aval de Paris à l'estuaire a été massivement polluée (Le Pichon et al 2020). Ces "bouchons chimiques" formaient une discontinuité susceptible de bloquer les poissons migrateurs, déjà entravés par des barrages de navigation qui n'avaient pas tous été mis aux normes. Si les pollutions aux nitrates et phosphates ont beaucoup attiré l'attention au 20e siècle, en raison du caractère visible et massif de l'eutrophisation, d'autres polluants sont finalement bien moins connus et étudiés

Référence : Gardes T et al (2020), Reconstruction of anthropogenic activities in legacy sediments from the T Eure River, a major tributary of the Seine Estuary (France), Catena, 190, 104513

A lire sur le même thème

Le rôle historique des pollutions chimiques dans le blocage des poissons migrateurs de la Seine (Le Pichon et al 2020)

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La pollution, menace n°1 des estuaires et eaux de transition (Teichert et al 2016)

La Seine, ses poissons et ses pollutions (Azimi et Rocher 2016)

28/07/2020

La Loue victime au premier chef des pollutions, et non des changements morphologiques

Des chercheurs du laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC (Franche-Comté) viennent de publier la synthèse de 8 ans d'études sur la Loue et ses affluents. Nous reproduisons et commentons leurs conclusions, qui imputent les dysfonctionnements écologiques des rivières comtoises en zone karstique aux excès de diverses pollutions, entraînant des proliférations précoces de végétation et des baisses de qualité d'eau. Les ouvrages en travers ne sont pas mentionnés comme cause majeure d'altération des bassins, la morphologie ayant été davantage impactée par les incisions et chenalisations (extraction de matériaux, évacuation de crue). Cela rejoint les conclusions des études de Jean Verneaux réalisées il y a déjà 40 ans, au début du phénomène. Le milieu des pêcheurs se trompe de cible sur la question de la continuité en long: les moulins étaient déjà là de longue date quand la Loue était un spot international réputé pour ses abondances de truites. 




Résumé présenté par les chercheurs 

L’étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants a été réalisée par le laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC, co-financée par la région Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs et l’agence de l’eau.

Les objectifs de ce travail, mené sur la Loue en tant que cours d’eau caractéristique et représentatif des rivières karstiques, étaient de définir l’état de la rivière, d’identifier les contaminants présents et de hiérarchiser leurs impacts.

Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.

1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles

2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires

3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).

4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau

5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).

6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.

7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.

Source

Commentaires
On notera que le bassin de la Haute Loue (jusqu'à la confluence avec la Furieuse) compte 50 ouvrages transversaux, cf bilan du SAGE 2013. Ceux-ci ne sont pas signalés dans l'étude des chercheurs francs-comtois comme faisant obstacle à la présence de salmonidés ou réchauffant les eaux au-delà de la limite de tolérance de ces espèces.

Déjà dans sa thèse célèbre soutenue en 1973 et faisant suite à 10 ans d'observations et mesures sur ces cours d'eau au moment des Trente Glorieuses, l'hydrobiologiste Jean Verneaux ne mentionnait nullement des ruptures de pentes, habitats ou températures comme un facteur de disparition des salmonidés. En revanche, il pontait déjà la disparition des taxons polluo-sensibles. Les travaux conduits sous la direction François Degiorgi et  Pierre-Marie Badot n'isolent pas non plus l'ouvrage transversal comme problème, en tout cas majeur. Les altérations morphologiques notables sont des incisions de lit par extraction de matériaux et chenalisation d'évacuation rapide de crue, des pertes de ripisylves et des bienfaits associés (zones tampon, déchets de bois en lit).

Les rivières comtoises ont été jusque dans les années 1950 des spots très réputés en France et en Europe de pêche à la mouche. Des ouvrages présents depuis un à six siècles n'avaient en rien empêché cette richesse faunistique. On se trompe de combat, on divise les riverains, on dilapide l'argent rare de l'écologie  et on détourne l'attention publique à harceler et démanteler les ouvrages hydrauliques anciens au lieu de traiter les pollutions. Il est bien dommage qu'une partie du lobby pêche agisse en complice de cette impasse, alors que des ouvrages bien gérés sont des facteurs utiles pour la gestion des eaux, surtout en période de changement hydroclimatique et de multiplication des assecs meurtriers pour toute la faune.

Référence disponible : François Degiorgi, Pierre-Marie Badot (2020), Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles.