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19/05/2022

Les réservoirs atténuent les effets des crues et sécheresses (Brunner 2021)

Une chercheuse a comparé plusieurs milliers de jauges dans des bassins versants avec ou sans barrages réservoirs aux Etats-Unis. Son travail montre que les rivières régulées ont des crues et des sécheresses moins intenses au niveau local que les rivières non régulées. Au niveau régional, l'effet protecteur se vérifie pour les crues, pas pour les sécheresses. L'usage premier des réservoirs (eau potable, énergie, irrigation, loisir...) n'influence pas le résultat. Ce travail contredit la petite musique militante de certains experts selon laquelle les retenues et réservoirs ne serviraient à rien. Au contraire, la politique publique de l'eau doit développer une vision ambitieuse de stockage, régulation et distribution de l'eau, cela par moyens naturels aussi bien qu'artificiels, les deux stratégies s'additionnant. C'est l'ensemble du bassin de la source à la mer qui doit coordonner cette ambition, afin d'obtenir les effets locaux et régionaux désirés. Face aux risques hydroclimatiques accrus, l'heure n'est pas à l'idéologie, mais à la protection des citoyens, des usages et des milieux. 


Comme l'actualité le rappelle, les sécheresses et les inondations peuvent avoir des impacts prononcés sur les sociétés et les milieux, formant une préoccupation humaine depuis toujours. Les retenues et réservoirs, souvent exploités à des fins différentes (production hydroélectrique, loisirs, irrigation, eau potable), sont une stratégie parmi d'autres pour réduire le risque lié aux crues et sécheresses. 

Manuela I Brunner (Université de Fribourg, NCAR de Boulder, Colorado) a analysé l'effet à grande échelle de réservoirs aux Etats-Unis. Voici le résumé de son travail :

"Les extrêmes hydrologiques peuvent particulièrement impacter les bassins versants à forte présence humaine, où ils sont modulés par l'intervention humaine telle que la régulation par réservoirs. Pourtant, nous savons peu de choses sur la façon dont l'exploitation des réservoirs affecte les sécheresses et les inondations, en particulier à l'échelle régionale. Ici, je présente un vaste ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés aux États-Unis et j'évalue comment la régulation par des réservoirs affecte les caractéristiques locales et régionales de sécheresse et d'inondation. 

Mes résultats montrent que (1) la régulation des réservoirs affecte les risques de sécheresse et d'inondation à l'échelle locale en réduisant la gravité (c'est-à-dire l'intensité/l'ampleur et le déficit/le volume) mais en augmentant la durée ; (2) la réglementation affecte les aléas régionaux en réduisant la connectivité spatiale des inondations (c'est-à-dire le nombre de bassins versants avec lesquels un bassin co-subit des inondations) en hiver et en augmentant la connectivité spatiale de la sécheresse en été ; (3) l'effet d'atténuation locale n'est que faiblement affecté par la fonction du réservoir, pour les sécheresses comme les inondations. 

Je conclus que les caractéristiques locales et régionales des inondations et des sécheresses sont considérablement modulées par la régulation des réservoirs, un aspect qui ne doit pas être négligé dans les évaluations des aléas ou des impacts climatiques."

La chercheuse observe que les études par modèle ou par observation confirment que les réservoirs jouent des rôles efficaces de régulation de sécheresses ou de crues :

"Il a été démontré que les réservoirs atténuent principalement les sécheresses et les inondations dans différentes parties du monde dans des études basées sur des modèles et des observations (Verbunt et al 2005, He et al 2017, Wang et al 2017, Tijdeman et al 2018). Les études basées sur des modèles simulent le débit naturel avec un modèle hydrologique et comparent ce débit naturel simulé au débit régulé observé. En revanche, les études basées sur l'observation comparent soit les conditions régulées en aval d'un réservoir aux conditions naturelles en amont, soit les conditions avant la construction du barrage aux conditions après la construction du barrage (Rangecroft et al 2019, Van Loon et al 2019). Les études basées sur l'observation sont souvent limitées à quelques bassins versants, tandis que les évaluations à grande échelle sont principalement basées sur des modèles et reposent sur des hypothèses spécifiques concernant la demande en eau et la régulation du débit (Yassin et al 2019). L'effet d'atténuation de la sécheresse des réservoirs a par ex. été démontré dans des études basées sur l'observation pour le Royaume-Uni (Tijdeman et al 2018) et dans des études basées sur des modèles pour la Californie (He et al 2017), en Chine (Tu et al 2018, Chai et al 2019), aux États-Unis (Wan et al 2017) et à l'échelle mondiale (Wanders et Wada 2015) tandis que d'autres études ont signalé une augmentation de la sévérité et de la durée de la sécheresse pour certains réservoirs en Chine (Zhang et al 2015). De même, des études basées sur des modèles et des observations ont montré des réductions des pics d'inondation, par ex. pour le bassin du Rhin, en Italie et aux États-Unis (Verbunt et al 2005, Wang et al 2017, Volpi et al 2018), et dans les volumes d'inondation, par ex. en Thaïlande (Mateo et al 2014)."

Mais Manuela I Brunner fait observer que l'on manque d'analyse à échelle de bassins versants et sur de nombreux ouvrages. La chercheuse a compilé un ensemble de données de paires de bassins versants naturels et régulés en amont et en aval des réservoirs aux États-Unis. Le travail est mené sur la base de 2683 jauges exploitées par l'US Geological Survey (USGS) en distinguant les catégories "presque naturelles" (bassins avec une altération humaine minimale) et "régulés" (avec retenues de stockage).

Ce schéma montre en particulier les effets des réservoirs : à gauche, on voit que les pics et volumes de crues sont réduits (mais la durée allongée car lissée), à droite on voit l'intensité de la sécheresse et le déficit d'eau sont réduits, sans effet clair sur la durée.


A propos de la connexion régionale des sécheresses, la chercheuse précise : "Alors que l'effet réservoir-régulation est principalement positif à l'échelle locale, les dépendances spatiales à la sécheresse peuvent être légèrement renforcées en été, c'est-à-dire que la synchronisation de la sécheresse entre les bassins versants s'intensifie en présence de réservoirs. Cette synchronisation augmente la probabilité de sécheresses généralisées et introduit de nouveaux défis de gestion car les transferts d'eau vers des bassins versants secs à partir d'eau abondante en amont ou de bassins versants voisins peuvent ne plus être réalisables. Cette constatation contraste avec les conclusions de Wan et al (2017) qui ont montré que la gestion de l'eau réduit l'étendue spatiale de la sécheresse, en particulier pendant la saison d'irrigation. Mes résultats suggèrent également de telles diminutions, mais pas pour la saison estivale. L'effet potentiel d'atténuation de la sécheresse peut aussi concerner la pénurie d'eau, comme le montrent des études antérieures qui ont mis en évidence le potentiel des réservoirs pour atténuer cette pénurie (Liu et al 2018, Brunner et al 2019, Kellner et Brunner 2020)."

Il convient donc d'insérer la gestion des retenues et réservoirs dans une stratégie régionale qui, outre les effets locaux bénéfiques, s'assure que l'ensemble du bassin pourra bénéficier d'apport d'eau utile.

Discussion
En ce printemps 2022, la France est à nouveau menacée par la sécheresse, avec un hiver et un printemps peu pluvieux, et des vagues de chaleur précoces. Certains "sachants" et "experts" font entendre dans les médias une petite musique : les retenues ne servent à rien, voire aggravent la situation. Ces propos sont inexacts et dangereux, comme nous l'avions déjà rappelé. Nous demandons au gouvernement, au parlement et aux établissements en charge des bassins versants de développer une politique ambitieuse de retenue et stockage d'eau partout, et par tous les moyens, à fin de régulation des crues et sécheresses risquant de devenir plus graves en période de changement climatique. 

Il n'y a aucun sens à opposer les solutions fondées sur la nature (restauration de zones humides, préservation de forêts et bois, etc.) avec les solutions fondées sur la technique (retenues, canaux, injection en nappe, etc.). Les deux stratégies sont complémentaires. Et la destruction des retenues existantes sur les bassins versants est bien sûr une aberration coûteuse et dangereuse, n'ayant aucune place dans une politique publique. 

Référence : Manuela I Brunner MI (2021), Reservoir regulation affects droughts and floods at local and regional scales, Environ. Res. Lett. 16 124016

12/09/2021

Sur l'Ahr, fallait-il protéger en priorité le saumon ou la population?

Les inondations de l'été 2021 ont été meurtrières en Europe centrale, avec plus de 200 victimes. Et des dizaines de milliards d'euros de dégâts. Sur le bassin versant de la rivière Ahr (Allemagne), qui a été l'un des plus touchés, le risque de crue était parfaitement documenté depuis des siècles. Mais alors que le réchauffement climatique crée des conditions pour des épisodes de crues plus intenses, les décideurs ont jugé depuis 20 ans qu'une des priorités d'aménagement du bassin était... la restauration écologique en faveur du saumon. Pourquoi l'argent public est-il ainsi détourné des enjeux essentiels de régulation des crues et des sécheresses en vue de protéger les populations, mais aussi de prévention du réchauffement climatique? Va-t-on continuer à disperser l'argent des citoyens dans des nostalgies de nature sauvage alors que des enjeux existentiels autrement plus graves sont devant nous? 


Entre le 12 et le 15 juillet 2021, de fortes précipitations associées au système dépressionnaire «Bernd» ont entraîné de graves inondations en Europe, en particulier dans les États allemands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat, au Luxembourg et le long de la Meuse et certains de ses affluents, en Belgique et aux Pays-Bas.

Au moment des pluies, les sols étaient en partie déjà saturés suite à un printemps et un été plutôt humides. Certaines sections de vallée sont très étroites avec des pentes abruptes conduisant à des effets d'entonnoir en cas de crues extrêmes. 

Les inondations ont fait au moins 184 morts en Allemagne et 38 en Belgique et des dommages considérables aux infrastructures, y compris les maisons, les autoroutes, les voies ferrées et les ponts. Les fermetures de routes ont laissé certains endroits inaccessibles pendant des jours, coupant certains villages des voies d'évacuation et des interventions d'urgence. Les zones les plus touchées se trouvaient autour des rivières Ahr, Erft et Meuse.

Des scientifiques d'Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Suisse, France, États-Unis et Royaume-Uni ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique induit par l'homme a modifié la probabilité et l'intensité de si fortes précipitations provoquant de graves inondations (consortium World Weather Attribution). Ils concluent notamment : 
"le changement climatique a augmenté l'intensité de l'événement pluviométrique maximal d'une journée pendant la saison estivale d'environ 3 à 19 % par rapport à un climat mondial 1,2 °C plus froid qu'aujourd'hui. L'augmentation est similaire pour l'événement de 2 jours. La probabilité qu'un tel événement se produise aujourd'hui par rapport à un climat plus frais de 1,2 °C a augmenté d'un facteur compris entre 1,2 et 9 pour un événement d'une journée. L'augmentation est à nouveau similaire pour un événement de 2 jours. Dans un climat plus chaud de 2 °C qu'à l'époque préindustrielle, les modèles suggèrent que l'intensité d'un événement d'une journée augmenterait encore de 0,8 à 6 % et la probabilité d'un facteur de 1,2 à 1,4. L'augmentation est à nouveau similaire pour l'événement de 2 jours."
Au début d’août, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a également pointé dans son nouveau rapport un réchauffement de la planète plus rapide qu’on ne le pensait, avec des effets significatifs à venir sur le cycle de l'eau

Toutefois, si le changement climatique augmente les conditions de fréquence et d'intensité de ces événements extrêmes, il est loin d'être le seul coupable. 

Le climat n'est pas le seul responsable des bilans des crues
D'abord, de tels événements peuvent toujours survenir par hasard, et les crues de la période prémoderne occasionnaient déjà de nombreuses victimes. Ensuite, les choix que l'on fait dans l'aménagement des rivières et des bassins versants ont une influence majeure sur les écoulements locaux et les risques humains. Les observations rapportées sur la page Wikipedia des inondations sont ainsi intéressantes à examiner.

Dans la vallée de l'Ahr (district d'Ahrweiler), il y a eu déjà de graves inondations en 1601, 1804 et 1910, certaines avec des pics de crue plus élevés. En réponse à la crue de 1910, des bassins de rétention des crues à grande échelle d'une capacité de 11,5 millions de m3 ont été prévus dans le cours supérieur de l'Ahr, sur le Trierbach, dans le Wirftbachtal et sur l'Adenauer Bach. En raison d'un manque d'argent, les plans n'ont pas été mis en œuvre et à la place, on a construit le circuit automobile Nürburgring. 


La vulnérabilité du bassin versant a été exacerbée par le fait que les cours d'eau ont été redressés lors du remembrement des terres dans les années 1970 et que des canaux de drainage ont été créés dans les vignobles, à travers lesquels les précipitations sur les pentes sont déversées verticalement, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée augmente rapidement. De plus, la roche d'ardoise typique de la région est presque imperméable à l'eau et donc de fortes pluies s'écoulent facilement. Les ruisseaux latéraux sont également très raides et donnent à l'eau une vitesse élevée, de sorte que le niveau d'eau dans la vallée monte rapidement. D'autres facteurs pouvant aggraver la situation lors de fortes précipitations sont l'imperméabilisation des terres, la déforestation, les sols asséchés et les mesures de protection contre les inondations manquantes ou mal dimensionnées, entre autres sur les ruisseaux de basse montagne qui sont jusqu'à présent rarement apparus comme un risque.

Selon les géographes Thomas Roggenkamp et Jürgen Herget, la carte des risques d'inondation pour la vallée de l'Ahr est basée sur les valeurs mesurées collectées depuis 1947 seulement. Bien que les incertitudes des statistiques des valeurs extrêmes soient connues lorsque la taille de l'échantillon est petite, les graves inondations des siècles passés n'ont pas été prises en compte dans l'évaluation de l'évaluation des risques. Selon leur évaluation, la crue de juillet 2021 est une répétition de la crue de juillet 1804. Malgré des débits comparables (quantités d'eau en mètres cubes par seconde), la crue de juillet 2021 a atteint des niveaux d'eau plus élevés que ceux de 1804. La raison est qu'aujourd'hui, le développement plus dense du lit majeur d'inondation a réduit la surface traversée par l'eau et les niveaux ont augmenté localement de manière disproportionnée. 

Depuis 20 ans on a investi... pour le saumon
Le gouvernement fédéral et le Land de Rhénanie-Palatinat avaient encouragé des mesures de renaturation dans la vallée de l'Ahr. Selon Wolfgang Büchs, il s'agissait de mesures judicieuses, mais les bassins de rétention des crues et autres systèmes de rétention des pluies - également dans les vallées latérales - sont les seules mesures efficaces contre les événements pluvieux extrêmes.

Savoir si les mesures en question furent "judicieuses" se discute et devra être examiné avec la plus grande attention dans le bilan définitif de ces inondations de l'Ahr. 

En effet, la rivière Ahr fait l'objet depuis plus de 20 ans de plans pour la réintroduction du saumon du Rhin dans ses habitats d'origine. Plusieurs barrages ont été effacés ou aménagés sur argent public (Bad Bodendorfer, Heimersheimer, Bad Neuenahrer...). Bien entendu, au regard de la gravité de la crue de 2021, ces aménagements n'ont eu qu'une influence mineure. Mais c'est la question inverse qu'il faut poser: pour éviter des dizaines de morts et de milliers de destructions dans le bassin versant de l'Ahr, quels étaient les aménagements à envisager en priorité depuis 20 ans, et avant déjà? S'il est reconnu que le bassin est à haut risque historique et s'il a été envisagé voici un siècle déjà des retenues pour tamponner les crues, pourquoi ce genre de projet n'a-t-il pas été au centre de la réflexion des décideurs? Si les choix du lit majeur sont plus impactants que ceux du lit mineur, pourquoi ne traite-t-on pas les choses dans l'ordre? Si l'on juge "normal" que les rivières reprennent leur droit en crue, cela signifie-t-il que l'on assume comme "normales" les pertes humaines et destructions de biens? La même question valant pour les sécheresses, autre spectre du changement climatique : au nom de la nature rendue à sa naturalité, les populations doivent-elles accepter demain des lits secs tous les étés? 

Les gestionnaires de l'écologie des rivières et plans d'eau ont aujourd'hui des discours contradictoires et des actions confuses. D'un côté, ils reconnaissent que les conditions naturelles sont changées par le réchauffement climatique – plus généralement par la démographie et l'économie humaines – ; d'un autre côté, ils proposent simplement de restaurer des portions de conditions naturelles antérieures, comme si de rien n'était. D'un côté, le climat est reconnu par les rapports GIEC comme une menace existentielle de premier ordre pour les sociétés humaines et pour le vivant ; d'un autre côté, on refuse d'en faire le critère prioritaire quand on gère les rivières pour l'énergie, les crues, les sécheresses et autres éléments liés au climat. 

Ces contradictions et confusions doivent cesser. La France aussi connaîtra des crues terribles et des sécheresses sévères. La France aussi doit faire sa part pour sortir au plus vite de l'énergie fossile sur son territoire et dans ses importations. C'est en ayant à l'esprit ces événements extrêmes et ces priorités publiques que l'on doit aménager désormais nos rivières. 

05/10/2020

La Vésubie, dix siècles de furie

La vallée de la Vésubie dans le bassin versant du Var a connu un épisode méditerranéen ("cévenol") exceptionnel, avec 500 mm de cumul de pluie sur une journée, entraînant crues, éboulements, dégâts et victimes. Les chercheurs pensent que ces phénomènes se renforceront en intensité, mais pas forcément en fréquence, avec le réchauffement de la zone méditerranéenne. Ce n'est toutefois pas une première pour cette vallée du Haut-Var : plusieurs fois depuis dix siècles, les villages ont été en partie détruits par des crues et éboulements torrentiels, dont l'épisode de 1926 qui avait provoqué 19 morts. La nature ne fait pas toujours bien les choses, contrairement à ce que certains aimeraient penser... Ces tragédies nous rappellent à chaque fois que la connaissance, la gestion et la maîtrise de l'eau sont un enjeu essentiel pour notre société, ainsi que la culture des risques qui a été souvent oubliée. 

La Vésubie (affluent du Var) est entrée en crue, provoquant de nombreux dégâts et des morts. En cumuls de pluies sur une journée, on a dépassé 500 mm à Saint-Martin-Vésubie, record des archives modernes pour cette station, comme à l’échelle départementale. C’est la deuxième fois cette année que l’on atteint un tel cumul de plus de 500 mm sur l’arc méditerranéen, après l’épisode du 19 septembre dans le Gard, qui a fait deux morts. 

Ces épisodes méditerranéens, parfois dits cévenols, désignent des pluies intenses qui tombent au même endroit pendant plusieurs heures, avec des crues rapides à la clé. Ils surviennent plusieurs fois chaque année sur tout l’arc méditerranéen, depuis l’Espagne jusqu’à la Grèce, particulièrement à la fin de l’été et à l’automne. Ils sont plus fréquents dans les Cévennes, d’où l'ancien nom d’épisodes cévenols. Le mécanisme est le suivant: un vent chaud et humide de basse altitude, provenant de la Méditerranée, vient buter sur des reliefs montagneux. Il s'élève, se refroidit et entraîne la formation de précipitations intenses par un système orageux stationnaire, qui se réalimente aussi longtemps qu'il reçoit l'apport du vent chaud et humide venu de la mer. 

On parle de forts épisodes méditerranéens à partir de 200 mm: un épisode à 500 mm est donc exceptionnel. 

Comme le fait observer Véronique Ducrocq, chercheuse à Météo France (Le Monde, 5 octobre 2020), à propos des épisodes méditerranéens  : "Les ingrédients qui conduisent à la formation de ces phénomènes ont toujours existé. Les observations réalisées depuis 1960 montrent que la fréquence des épisodes est restée stable mais que ces épisodes sont plus intenses : l’intensité des plus forts événements a augmenté de l’ordre de 20 %."

Le faciès très pentu de la tête de bassin versant du Var, sa configuration particulière en éventail et la forte intensité de certains évènements de pluie sont des générateurs de crues particulièrement violentes et torrentielles qui s’accompagnent souvent d’un transport solide important.

Ainsi, la vallée de la Vésubie a déjà connu de semblables drames dans le passé.

En 1094, une crue de la Vésubie emporte le village de Roquebillière à l'exception de l'église. Le lit de la rivière se trouve déplacé sur la rive droite, les habitants vont s'installer sur la rive gauche. Le 22 février 1743, une crue emporte encore une partie des habitations du village. D'autres épisodes violents sont rapportés dans les archives locales en 1772, 1889, 1892 (voir Nice-Martin, 4 octobre 2020). 

En octobre et novembre 1926, les hauts bassins des Alpes Maritimes connaissent des pluies exceptionnelles, avec 2000 mm en 2 mois à Venanson, dont 1662 mm entre le 21 octobre et le 21 novembre (un an de pluie en un mois). La Vésubie déborde partout et endommage gravement le réseau routier. Le haut bassin de la Vésubie est isolé plusieurs semaines. Plusieurs immeubles dont la mairie sont emportés à Roquebillière, on compte 19 morts.

Ce passé et cette actualité tragiques doivent nous inciter à faire de la gestion hydrologique des bassins versants un enjeu de premier plan. Compte-tenu des contraintes climatiques nouvelles qui vont s'ajouter à une variabilité naturelle pouvant être délétère pour la société, nous avons besoin d'une culture partagée du risque et de la maîtrise de l'eau.

Sources complémentaires :

Préfecture PACA (2015), Règlement de surveillance, de prévision et de transmission de l’information sur les crues , Service de Prévision des Crues Méditerranée Est, 57 p.

Lang M, Coeur D (ed) (2014), Les inondations remarquables en France, Quae, 640 p.

11/05/2020

Hausse des pluies extrêmes en France et rôle des ouvrages hydrauliques

Ces derniers jours ont vu en France des épisodes de pluies extrêmes. L'analyse du répertoire Meteo France montre que ces phénomènes sont de plus en plus nombreux depuis 1980, occasionnant parfois des crues éclairs et des inondations destructrices en zone aval. La France possède un atout : des dizaines de milliers de petits ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages, plans d'eau) qui agissent chacun à leur mesure comme une retenue et une diversion de l'eau de crue. Chaque ouvrage est modeste, c'est l'effet cumulé qui compte davantage que l'effet isolé. Et divertir les crues de l'automne au printemps, c'est aussi stocker localement l'eau en nappes et en sols. Or, depuis plus de 10 ans, les gestionnaires de l'eau détruisent ces sites dans de nombreux bassins versants au nom de la continuité dite "écologique". Cette politique doit cesser : face à la hausse prévisible des événements extrêmes liés au changement climatique (tant les pluies intenses que les sécheresses), nous avons au contraire besoin de gérer l'eau de manière adaptative, de la retenir et divertir sur les bassins, avec des outils de gestion (vannes) qui permettent de moduler les débits et retenues au gré des besoins locaux du vivant et de la société. C'est un complément des solutions fondées sur la nature, à développer également. Le temps de l'insouciance est passé : une nouvelle culture de l'eau et de l'environnement doit émerger sur chaque bassin. 



La courbe ci-dessus montre l'évolution du nombre annuel d'épisodes de pluies extrêmes rapportés sur le site de Meteo-France, pour la période 1980-2018. La ligne pointillée est la tendance linéaire sur cette période de près de 40 ans.

La hausse de fréquence et intensité des épisodes extrêmes en pluviométrie est une prévision de la plupart des modèles du climat, en raison de l'intensification du cycle de l'eau (une atmosphère plus chaude contient plus d'humidité) et des phénomènes convectifs (orages, tempêtes, cyclones).

Ces pluies extrêmes provoquent parfois des crues éclairs qui tiennent au ruissellement de surface, et non à la saturation en eau des sols et des nappes (crues lentes). Le risque inondation est aggravé par plusieurs facteurs : artificialisation (bétonisation en ville ou tassement en zone agricole) des sols, occupation des zones à risque des lits majeurs d'inondation, incision et perte de connexions latérales permettant aux rivières d'épancher le surcroît d'eau.


Un facteur de prévention est aujourd'hui négligé par le gestionnaire de l'eau : l'existence des ouvrages hydrauliques (de type moulins, étangs). Au nom de la continuité en long, les gestionnaires de l'eau détruisent ces ouvrages depuis une dizaines d'années, en vue notamment de donner un écoulement plus rapide (lotique) à l'eau. Or, ces ouvrages agissent comme des retenues en lit mineur et comme des annexes latérales en lit majeur, contribuant à ralentir une onde de crue. Concrètement, lors des pluies extrêmes, l'eau remplit les retenues, les biefs et canaux, les zones humides annexes. Cette expansion favorise aussi l'infiltration dans les nappes et les sols sur une plus grande surface. Inversement, la suppression d'un ouvrage tend à inciser le lit et à accélérer l'écoulement, ce qui augmente la puissance de la crue vers l'aval.

Un exemple : notre association et ses consoeurs de Bourgogne et Champagne ont participé en 2019 à l'enquête publique du PAPI (plan action et prévention inondation) Seine Supérieure. Ce PAPI comprenait des assertions erronées sur les ouvrages hydrauliques et il n'envisageait aucune étude de leur rôle cumulé, alors que nous parlons des milliers de sites sur le réseau des rivières de têtes de bassin, dont l'effet cumulé est évident lorsqu'il y a un fort épisode pluvieux régional. Cette légèreté des gestionnaires est inacceptable. Toute étude de bassin versant en vue de limiter les risques crues et inondations doit intégrer le rôle de l'ensemble des ouvrages qui permettent de retenir et divertir l'eau. Et toute altération de ces ouvrages doit être associée à une compensation au moins équivalente.

Bien entendu, les ouvrages hydrauliques ne sont qu'une (petite) partie des solutions à mettre en œuvre. C'est toute une culture de l'eau et de l'environnement qui doit se développer sur les bassins versants, chez les propriétaires riverains, les usagers et les collectivités. Mais cette culture doit se développer sur de bonnes bases : la négation de la gestion hydraulique des rivières et bassins au profit des seules vertus de la nature "sauvage" est une erreur. La conservation de zones d'intérêt écologique, nécessaire, et la recréation de zones humides d'expansion latérale, utile, n'impliquent pas la destruction des aménagements humains. L'argent public de l'eau doit aller à l'essentiel et non à l'accessoire, voire au nuisible.


Exemple de recherche scientifique menée en Allemagne et montrant que la destruction des ouvrages incise les lits mineurs. Moins de débordements en lits majeurs et un flot contenu en lit mineur qui s'accélère vers l'aval. (Maaß et Schüttrumpf 2019)

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08/09/2019

Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire

Depuis deux millénaires, les étangs et moulins se sont développés sur les rivières et bassins versants de France. Outre leur fonction piscicole et énergétique d'origine, ces ouvrages ont aussi créé sur tous les bassins des rétentions et des diversions d'eau, dont les fonctionnalités sont parfois proches de celles des zones humides naturelles. Ces dernières ont pour la plupart disparu par drainage et recalibrage, à partir du Moyen Âge, puis avec une forte accélération au XXe siècle. Pierre Potherat, ICTPE en retraite ayant longtemps travaillé sur l'hydro-géomorphologie des bassins versants, rappelle ces réalités dans le cas du Châtillonnais, au nord-ouest du plateau de Langres. Il déplore la politique de destruction des ouvrages de moulins et étangs au nom de la continuité dite "écologique", appelant les décideurs à changer clairement d'orientation. Extrait et lien de téléchargement de son rapport. 


Introduction :
"Les sécheresses estivales des quatre à cinq dernières années ont contraint les décideurs à envisager de changer leur fusil d’épaule en matière de gestion de l’eau de nos rivières. Une mission parlementaire réfléchit actuellement aux moyens les plus pertinents pour répondre aux attentes des personnes directement concernées sur le terrain.

Le présent document a été rédigé à la suite d’une réunion d’information et d’échanges, tenue à Montbard en juillet dernier en présence de trois parlementaires. Il a pour but d’apporter, en premier lieu, un éclairage sur les pratiques anciennes de gestion des cours d’eau, sur les pratiques des années d’après-guerre puis sur celles des vingt dernières années. En second lieu un diagnostic des difficultés rencontrées a été formulé accompagné de pistes d’amélioration.

Les cours d’eau du plateau de Langres ont été aménagés depuis près d’un millénaire pour tirer bénéfice d’une énergie hydraulique gratuite. Des retenues d’eau, des biefs servant à faire tourner moulins, scieries et autres installations ont été créées et ont fonctionné tout ce temps sans porter atteinte à l’environnement et à la qualité des ressources halieutiques. 


En outre, ces installations, en favorisant le maintien d’un niveau d’eau élevé dans la rivière et dans les alluvions, ont permis, d’une part, de stocker une importante quantité d’eau utile en période de sécheresse, aussi bien pour la sauvegarde des poissons que pour la préservation des milieux humides, d’autre part de faciliter le débordement de l’eau et son stockage dans la plaine inondable en cas de crue.

Les pratiques des années cinquante à soixante ont surtout été axées sur la lutte contre les inondations par l‘augmentation du gabarit des rivières et la suppression des méandres. Ces travaux ont contribué à abaisser de près d’un mètre le niveau de l’eau dans la rivière ainsi que dans la nappe alluviale avec pour effet indésirable l’assèchement estival des chenaux, des praires et de certains milieux humides.

Au début des années 2000, l’application volontariste de la directive européenne relative au bon étal écologique et chimique des masses d’eau, par suppression des seuils et vannages, a contribué à amplifier le phénomène d’asséchement des zones humides et a accru la vitesse du courant en période de crue sans apporter la moindre amélioration du peuplement piscicole.

Des pistes d’amélioration sont proposées en conclusions. Il est notamment proposé de rendre à la rivière son rôle dans le stockage de l’eau en cas de sécheresse ou d’inondation."

Téléchargez le document complet :
Potherat P (2019), La gestion de l’eau des rivières de plaines. Cas du versant NW du plateau de Langres, 15 p.

01/09/2019

Le gouvernement doit cesser de négliger le rôle des plans d'eau, biefs et zones humides

Le gouvernement réfléchit aujourd'hui aux réponses à apporter aux sécheresses futures. La création d'une soixantaine de retenues agricoles à fin d'irrigation a été annoncée. Mais avant de créer des retenues nouvelles, il conviendrait déjà de s'intéresser à celles qui existent. Et d'arrêter leur destruction. Les zones humides naturelles comme artificielles ont de l'intérêt pour l'adaptation au changement hydro-climatique. Dans la phase de préparation d'une expertise sur l'effet cumulé de ces retenues, l'Irstea et l'Onema (aujourd'hui OFB) avaient analysé le rôle des petites zones humides de type mares, lacs et étangs. Nous publions les extraits de ce chapitre, suivis de quelques commentaires sur les changements attendus dans les politiques de l'eau et des rivières. 



Extraits de l'expertise Irstea-Onema 2015

Les zones humides, mares et étangs : des modèles pour évaluer l’impact cumulé des retenues ?
"Il est reconnu depuis longtemps que les patrons spatiaux jouent un rôle important sur l’hydrologie, la physico-chimie et l’écologie des milieux lentiques. A contrario, il existe à l’heure actuelle peu d’éléments concernant les impacts cumulés des retenues. Dans la mesure où les milieux lentiques sont «des objets hydroécologiques» présentant des analogies avec les retenues, le paragraphe qui suit présente un bref point bibliographique sur le thème de l’effet cumulé des zones humides sur la qualité des eaux, pour faire ressortir les mécanismes et les métriques envisagées pour les décrire, et permettre d’alimenter la réflexion.

3.a Définitions et éléments d’analogie avec les réservoirs des retenues
La plupart des retenues de petite taille incluses dans cette expertise (d’une profondeur inférieure à 8 m pour fixer les idées) correspondent à des mares ou étangs d’origine anthropique. Même s’il n’y a pas de consensus universel sur la définition des mares et étangs (ponds) dans le monde scientifique, ils se définissent le plus souvent comme des étendues d’eau auxquelles il manque la zone aphotique (sans lumière) des lacs ou de petites étendues d’eau d’origine naturelle ou humaine, d’une superficie comprise entre 1m2 et quelques hectares, d’une profondeur comprise entre quelques centimètres et plusieurs mètres, avec une présence d’eau permanente ou temporaire. En France, ils sont estimés à un million de mares et étangs d’une surface de moins de 0.5 hectare.

Selon la convention de Ramsar, les zones humides sont définies comme «une portion du territoire, naturelle ou artificielle, caractérisée par la présence de l'eau». Cette définition inclut également les cours d’eau et les eaux souterraines.

En France, on appelle ces zones humides au sens large «milieux humides» et on définit la zone humide comme des «terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année» (Art. L.211-1 du Code de l’Environnement). Cette définition exclut les cours d’eau, mais inclut les mares, étangs, tourbières.

Les zones humides sont donc des écosystèmes se développant sur des sols saturés en eau pendant des périodes prolongées et présentant en conséquence une végétation spécifique et adaptée. Elles se caractérisent par une accumulation d’eau au moins périodique, une accumulation de matières organiques et des conditions réductrices plus ou moins intenses dont il résulte des propriétés biogéochimiques spécifiques (transformation de spéciations, couplage de flux, émission de GES, etc...). Les processus sous-jacents sont bien spécifiques et documentés, le plus célèbre étant la dénitrification.

Les zones humides sont alimentées en eau par la pluie, par des écoulements de surface, par l’affleurement de la nappe, par le cours d’eau voisin, ou par un mélange de ces sources. Certaines zones humides, dites ripariennes, sont en continuité avec la rivière ou une autre masse d’eau (fleuve, lac, mer) et des échanges latéraux s’y produisent : selon les périodes, déversement dans la masse d’eau ou alimentation par celle-ci. D’autres sont «endoréiques». Les zones humides constituent donc dans un bassin versant donné, un ensemble de milieux hydroécologiques, à fortes variabilité de rapports avec le réseau hydrographique (autant pour les entrées que pour les sorties). La variabilité s’exprime aussi pour leur géométrie (taille forme..) ou leur organisation dans le paysage. Elles sont parfois organisées en réseau, organisation spatiale hiérarchisée avec divers types de connexions... L’analogie de la typologie hydrologique des zones humides en tête de bassin, esquissée ci-dessus, avec celle des réservoirs peut être relevée.

3.b Rôle des zones humides, mares et étangs.
Ces éléments sont souvent présentés comme des régulateurs hydrologiques, des surfaces hydrologiques ayant un rôle «d’éponge» (on le dit ainsi, à tort ou à raison...), atténuant crues et étiages, et comme des zones tampons susceptibles d’atténuer les charges polluantes.

En ce qui concerne l’impact des zones humides sur le cycle des nutriments et la dynamique de certains polluants, de nombreuses études de cas individuels sont disponibles. Bien qu’une majorité d’études montrent le rôle de « filtre » vis-à-vis de la pollution des eaux et vis-à-vis des matières en suspension, les résultats sont dans le détail très variables, avec de grandes différences d’une zone humide à l’autre, dans les bilans (par exemple dénitrification), voire contradictoires (notamment pour P, qui est soit fixé soit libéré et ce même au sein du même bassin versant. Les facteurs observés de forçage des bilans et donc de l’impact sur la qualité des eaux sont : l’hydrologie (temps de résidence, mode de restitution), les modalités de circulation de l’eau au sein de la zone humide, qui déterminent l’intensité du contact eau–végétation et eau-sols, les «aménagements», les concentrations des flux entrants et leurs effets sur les stocks.

Les mêmes processus spécifiques de base existent dans les diverses zones humides d’un bassin, mais ils se développent avec une très forte variabilité d’intensité d’un milieu à un autre, selon les caractéristiques hydrologiques et la position dans le paysage. C’est cette variabilité plus ou moins hiérarchisée qui rend complexe l’évaluation des effets des zones humides sur les flux cumulés à l’échelle bassin versant. On retrouve là une nouvelle analogie avec la question des réservoirs. Comme pour les réservoirs la question des effets cumulatifs est largement ouverte posée, et peu documentée L’hypothèse d’effets non linéaires ou en cascade est évoquée.

Les mares et étangs, en particulier, sont des écosystèmes peu considérés par la DCE, mais qui abritent de nombreuses espèces patrimoniales sous protection de la Directive Habitats-Faune-Flore et ont une forte valeur écologique. A l’échelle du paysage, mares et étangs sont des habitats exceptionnels vis-à-vis de la biodiversité des eaux douces puisqu’ils contribuent autant que les fleuves ou les lacs au pool régional d’espèces74. Ils jouent un rôle essentiel, d’ailleurs reconnu par l’article 10 de la Directive Habitats, dans l’amélioration de la connectivité entre les habitats d’eau douce en tant que «biotopes-relais» ou «stepping-stone». L’importance de biotopes relais a été démontrée pour de nombreuses espèces dont certaines rares et protégées par la réglementation, comme la libellule Coenagrion mercuriale.

3.c «Patron paysager» et impact des zones humides sur les flux
Si on prend comme exemple l’effet des marais sur les transferts de phosphore, leur effet global, en tant que catégorie de «land cover» est un «effet puits». Cet effet est quantifié, dans le bassin du lac Champlain, à l’aide de modèles empiriques (régressions) reliant flux exportés dans des bassins versants et caractéristiques d’occupation des sols. L’effet semble cependant mieux corrélé pour les marais qui sont connectés aux ordres inférieurs du réseau hydrographique (en l’occurrence ordre 1 à 4 dans l’étude de Weller) que pour les ordres supérieurs. Le type et la position des marais, leur configuration spatiale, sont très souvent cités comme facteurs clés . Le même type de résultats est obtenu dans des sous bassins du lac Léman.

Certaines études prennent comme support la disparition progressive des marais dans un bassin et s’interrogent sur l’effet cumulé de celle-ci. L’étude de Johnston et al. (1990) met en évidence, dans ce contexte, un seuil d’impact hydrologique : pour les bassins ayant moins de 10% de surface de marais il existe une perturbation hydrologique lors des crues. Ces auteurs montrent également qu’il existe une forte corrélation entre la proximité d’un marécage et les paramètres de la qualité des eaux (baisse des NO3 en étiage, baisse de P total, des MES, de NH4 en crue) sur un vaste bassin du Minnesota.

Quelques résultats, notamment ceux relevés par Grimaldi et Dorioz (2014), montrent tout l’intérêt de lier patrons paysagers et effets des zones humides sur les flux hydrochimiques à l’échelle bassin versant.

Les travaux réalisés à l’INRA (UMR SAS Rennes) montrent que l’efficacité sur la réduction des flux de NO3 de zones humides ripariennes, dépend de critères morphologiques comme la concavité ou la convexité du bas de versant, sa pente, le type d’écoulement parallèle ou convergeant; elle dépend aussi de l’ordre des cours d’eau. La dénitrification se développe particulièrement aux frontières, aux interfaces entre le versant et la zone humide. Tout ceci révèle l’importance des formes, des positions dans le paysage des différents compartiments hydrologiques du bassin, des zones humides en particulier.

Autre exemple assez documenté, le pouvoir tampon de zones humides vis-à-vis des transferts de subsurface de phosphore varie avec leur forme, leur taille, leur localisation. Leur effet cumulé à l’échelle du bassin versant dépend alors de caractéristiques globales, telles que la «continuité» des marécages ripariens ou la « sinuosité » du cours d’eau.

Les mares et étangs en particulier jouent également un rôle de puits de carbone, important dans le contexte des changements climatiques. Une étude récente a démontré que les mares et étangs pourraient absorber autant de carbone que les océans à l’échelle mondiale. Leur étude aux Etats-Unis a montré que les étangs et lacs artificiels absorbent plus rapidement le carbone que prévu, jusqu’à 20-50 fois plus rapidement que les arbres. De plus, les mares et étangs absorbent plus rapidement le carbone que les plus grands lacs.

Plusieurs auteurs cités précédemment plébiscitent et de longue date, l’approche paysage (landscape approach) ou la «perspective paysage» comme cadre organisateur de l’étude des effets cumulés. Dans cet objectif les outils de spatialisation type SIG ouvrent des perspectives intéressantes.

3.d Liens entre les populations locales
Ecologiquement, chaque population locale n’est pas totalement déconnectée des populations spatialement proches. Les populations locales sont liées par la dispersion de différentes espèces potentiellement en interaction. La composition des espèces dans un site donné est liée aux interactions entre les conditions biotiques et abiotiques locales et les effets régionaux de la dispersion. Cette théorie a été appliquée dans l’écologie des cours d’eau comme des petits plans d’eau et pourrait permettre de définir un cadre conceptuel des impacts cumulés des retenues. La localisation et le type de retenue a donc vraisemblablement un fort effet sur les communautés. Prendre en compte les paysages et leur biodiversité associée à différentes échelles spatiales pourrait permettre de mieux comprendre les dynamiques et les patterns de population et ainsi l’impact cumulé des retenues."


Nos attentes
Il existe aujourd'hui des dizaines de milliers de retenues en lit mineur, certaines formées d'un simple réservoir plus ou moins grand, profond et complexe (étang, plan d'eau, lac), d'autres produisant des chenaux de dérivation de diverses longueurs (biefs de moulins, canaux d'usines hydro-électriques, canaux d'irrigation gravitaire). Il existe un nombre inconnu d'autres retenues qui ne sont pas construites sur le lit mineur, mais en dérivation de celui-ci, ou encore en contrebas de biefs, en exutoire de fossés, en fond de prairie et de vallée (mares agricoles et d'agrément, étangs d'eaux closes).

Bien que "non naturels", ces milieux partagent certaines fonctionnalités avec des zones humides d'origine non humaine, diversement selon les cas : ralentissement d'écoulement, sédimentation, échanges carbone, azote, phosphore, milieux d'accueil de divers assemblages biologiques, expansion des surfaces d'échange eau-sol-nappe lors des saisons pluvieuses, etc.

A l'heure où se pose la question de l'adaptation au changement climatique, en particulier la gestion des crues et des sécheresses, il est incompréhensible que cette réalité hydrologique massive, présente dans tous nos territoires, soit ignorée des plans de gestion nationaux et par bassins versants. On connaît l'origine de ce retard, ou du moins l'une de ses causes majeures depuis 10 ans: la politique de continuité écologique a été développée en France sous l'angle d'une "renaturation" visant à détruire les aménagements humains, en particulier les retenues et canaux sur lit mineur. Pour justifier cette politique, l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité a eu besoin de mettre en avant les seuls défauts de ces ouvrages et de leurs milieux, sans rappeler ni même étudier leurs possibles effets bénéfiques.

Nous souhaitons que dans le cadre de la "politique apaisée de continuité", l'administration engage l'analyse hydrologique, biologique et chimique des bassins versants sans faire l'impasse sur les zones humides, plans d'eau et canaux d'origine humaine. Nous souhaitons également qu'à budget limité, on se penche désormais davantage sur les options de continuité latérale et de recréation de zones humides dans les lits majeurs, ce choix étant associé à des gains de biodiversité et à des recharges en eau des sols comme des nappes.

Source : Irstea-Onema (2015), Rapport préliminaire en vue de l’expertise collective sur l’impact cumulé des retenues, 125 p.

Illustrations : bief d'un moulin ancien du Morvan et ses débordements en saison pluvieuse. De tels milieux, créés par dérivation d'une fraction de l'eau de la rivière, ont des fonctionnalités similaires aux zones humides naturelles et forment des habitats intéressants. Leur effet sur l'hydrologie n'est généralement pas étudié. Cette ignorance doit cesser à l'heure où tous les territoires s'interrogent sur l'avenir de l'eau et de la biodiversité.

23/07/2019

Les solutions fondées sur la nature ont de l'avenir, mais ne seront pas la négation des solutions héritées de l'histoire

On parle de plus en plus des "solutions fondées sur la nature" dans le domaine de la gestion de l'eau. Il s'agit par exemple d'ouvrir des lits majeurs d'inondation pour prévenir les crues ou de restaurer des zones humides pour stocker l'eau. Nous soutenons ces initiatives, qui actent des limites de l'artificialisation excessive des bassins versants au 20e siècle. Mais avec plusieurs réserves de précaution. D'abord, il s'agit d'expérimentation : toute "solution" promue sur argent public doit répondre devant les citoyens de ses résultats et de ses coûts, la "nature" n'étant pas ici un argument suffisant si le service attendu pour la société n'est pas aussi au rendez-vous. Ensuite, la puissance publique française ayant tendance à convertir les approches empiriques en doctrine rigide, on se gardera de toute généralisation avant les retours d'expériences menés avec rigueur et transparence, dans une expertise ouverte aux observations citoyennes. Enfin, certains adeptes des solutions fondées sur la nature se montrent parfois des partisans aveugles de la destruction des solutions fondées sur l'histoire qui ont largement fait leur preuve, en particulier les retenues et diversions d'eau attachées aux ouvrages hydrauliques en place. Face aux risques de crue comme de sécheresse, nous n'avons surtout pas besoin de détruire les héritages du passé qui restent utiles et permettent des gestions de l'eau sur les bassins versants. Par ailleurs, la création de retenues peut aussi rester nécessaire sur certains territoires. Ici comme ailleurs, l'écologie devra être pragmatique, intelligente et inclusive. 


Crue en lit majeur de l'Armançon au niveau de Senailly (21)

Les solutions fondées sur la nature désignent la capacité à utiliser l'environnement naturel et ses écosystèmes pour offrir des services de gestion des risques et de production d'agrément. Les exemples en sont nombreux, comme favoriser la végétation en ville afin de rafraîchir l'atmosphère, créer des dunes pour contenir l'avancée de la mer sur le littoral, planter des forêts pour stocker le carbone en excès ou encore recréer des haies pour éviter l'érosion des sols agricoles.

Dans le domaine de l'eau, plusieurs de ces solutions fondées sur la nature sont promues, par exemple restaurer des zones humides qui servent à stocker et épurer l'eau, outre leur valeur de biodiversité ; permettre des inondations du lit majeur des rivières afin de dissiper des crues et de limiter leur effet à l'aval ; planter des ripisylves pour atténuer l'effet du réchauffement sur la température de l'eau ; végétaliser les bassins versants pour réduire le ruissellement superficiel et l'érosion, etc. (voir Rey et al 2018 ; voir les deux rapports parlementaires en référence en bas de l'article).

Ce concept de solutions fondées sur la nature n'est pas directement scientifique pour le moment. Il a émergé du monde des ONG, sous l’impulsion de l’UICN, lors de la conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements cli­matiques qui s'était tenue en 2009, à Copenhague (voir UICN 2018). L'Union européenne a lancé plusieurs programmes (BiodivERsA 2014, ThinkNature 2018 dans le cadre de la programmation scientifique de l'Union Horizon 2020) pour travailler sur ces solutions fondées la nature, évaluer leurs domaines, leur faisabilité et leur efficacité.

Les solutions fondées sur la nature ont eu rapidement du succès au ministère de l'écologie et dans les organismes administratifs qui en dépendent, comme l'office français de la biodiversité (exemple AFB 2017) ou les agences de l'eau (exemple AERMC 2018). Le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (2018) et le nouveau Plan biodiversité (2018) promeuvent l’utilisation de ces solutions.

C'est à ce point que nous exprimons quelques inquiétudes : l'expérience des dernières décennies montre que le fonctionnement excessivement bureaucratique et centralisé de la France peut facilement conduire à des déboires. Ce qui fut vrai à l'époque des 30 glorieuses dans le sens d'une artificialisation outrancière (soutenue alors par les pouvoirs publics au nom de "la science") pourrait très bien devenir vrai demain sous la forme d'une naturalisation outrancière (toujours soutenue au nom de "la science"). Cette crainte n'est pas théorique : nous en avons de bien tristes exemples depuis quelques années dans la politique aberrante de destructions des moulins et étangs d'Ancien Régime au nom d'une soi-disant modernité écologique. De telles pratiques autoritaires, sous-informées et conflictuelles n'ont pas d'avenir et doivent plutôt servir de contre-exemples sur ce qu'il ne faut pas faire.

On prendra garde ici à un certain "scientisme" écologique qui, ignorant les vertus de l'empirisme et l'examen des solutions concrètes déjà déployées dans le passé, prétendrait ré-inventer l'aménagement du territoire sans esprit critique et sans garde-fou sur la qualité de ses réalisations. Nous devons certes innover, et il est certain que la politique brutale de "correction" des  aléas de la nature au fil du dernier siècle a entraîné des détériorations d'écosystèmes, parfois des effets pervers multipliant les coûts de gestion et les externalités négatives. Les milieux ont besoin d'être protégés, respectés, parfois restaurés. En sens inverse, gardons-nous de l'amnésie ou de la naïveté car la nature laissée à elle-même produisait parfois des désagréments, et ne suffit pas à elle seule à satisfaire les attentes de la société. A cela s'ajoute que les experts eux-mêmes, quand on prend le temps de lire attentivement leurs travaux, admettent la grande incertitude des connaissances (voir le travail Inra-Irstea 2016 sur l'effet des retenues, par exemple) et donc l'inanité qu'il y aurait à propager des propos définitifs sur les avantages ou les inconvénients de chaque option. L'humilité et l'honnêteté intellectuelles sont de mise pour construire les politiques publiques, le premier enseignement de la science étant la complexité du réel et la difficulté à anticiper les conséquences à long terme de nos actions.

Les solutions fondées sur la nature visent avant tout à être des "solutions". A ce titre, elles doivent donner lieu à des expérimentations suivies d'évaluations.

L'évaluation du rapport coût-efficacité : les solutions fondées sur la nature occupent un certain espace et demandent des chantiers d'aménagement, parfois de suivi dans le temps et de ré-intervention pour corriger des erreurs ou des dégradations de fonctionnalité. Cela a des coûts qu'il convient d'estimer et de mettre en regard de leur efficacité à atteindre l'objectif assigné. Par exemple, il s'agira de définir le volume d'eau réellement retenu par une zone humide lors d'une crue (toute personne vivant au bord de la rivière constate que dans les périodes de crues par accumulation, les sols sont vite gorgés d'eau, donc la capacité de rétention des lits majeurs est saturé, ce qui demande évaluation précise en gestion des risques).

Le respect de la concertation sociale : la simple invocation de la nature ne suffit nullement à créer du consensus, car les solutions fondées sur elle ont aussi des coûts, des contraintes, des impacts sur les riverains. Il peut être difficile de faire accepter des inondations de terrains, même si elles ne sont pas permanentes comme dans le cas d'un barrage (voir par exemple le suivi instructif de chantier relaté et analysé dans Riegel 2018).

Le pragmatisme sans dogme : on observe avec perplexité que certains défenseurs des solutions fondées sur la nature peuvent aussi se faire les idéologues du refus de toute autre solution (par exemple France Nature Environnement). Or, au regard des prévisions de changement climatique, notamment dans le Sud et l'Est de la France déjà soumis au stress hydrique chronique, les stratégies d'adaptation doivent rester ouvertes et ne pas sacrifier des territoires au nom de positions intransigeantes. Une écologie trop dogmatique produit des résistances évitables et nourrit finalement des retards sur des solutions consensuelles et faciles à implanter.

La conservation des (bonnes) solutions fondées sur l'histoire : les solutions fondées sur la nature sont des pistes prometteuses qui méritent l'exploration et l'expérimentation. Mais elles ne doivent pas conduire à la négation des solutions héritées de l'histoire qui ont déjà fait amplement leur preuve en matière de prévention des inondations et de gestion des sécheresses. C'est notamment le cas de tous les ouvrages de retenues présents en France, que l'on se gardera de détruire alors que le changement hydroclimatique ouvre une période d'incertitude forte sur l'avenir de l'eau, avec nécessité de préserver les outils de gestion adaptative des rivières et des bassins versants (voir Beatty et al 2017, Clifford et Hefferman 2018Tonkin et al 2019). Il est de ce point de vue navrant de lire que certains valorisent des fonctionnalités des zones humides naturelles (retenir plus longtemps l'eau, charger des nappes, écrêter des crues, épurer des intrants) tout en dévalorisant par pur dogmatisme des fonctionnalités parfaitement identiques dans des hydrosystèmes artificiels créés par nos ancêtres.

Prétendre tout casser ici et tout reconstruire ailleurs, ce serait encore une politique de l'hubris qui oublie le besoin de sobriété et d'économie des moyens propre à la transition écologique.

A lire aussi 2 rapports parlementaires récents
Rapport d'information sur la ressource en eau, Adrien Morenas et Loïc Prud’homme
Terres d'eau terres d'avenir. Sur les zones humides, Frédérique Tuffnell et Jérôme Bignon


Sur la rivière Armançon, le barrage de Pont-et-Massène a une capacité de stockage de 6 millions de m3 d'eau, permettant de gérer les crues et les étiages. 

27/10/2018

Négocier et construire des ouvrages hydrauliques face aux crues (Riegel 2018)

Socio-anthropologue à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Centre européen de sociologie et de sciences politiques (CESSP), Julie Riegel s’intéresse à l’action publique environnementale “par le bas”, telle qu’elle est portée, vécue, ignorée ou requalifiée par les acteurs concernés. Elle vient de publier un article intéressant sur le processus de concertation dans un chantier de construction d'ouvrages hydrauliques en lit mineur de rivières visant à limiter un risque de crue à l'aval, sur la Brévenne et la Turdine. Outre que ce travail rappelle que l'on construit aussi des ouvrages face aux crues (posant la question insistante de la rationalité de leurs destructions actuelles au nom de la continuité écologique), la recherche de Julie Riegel montre en détail comment les acteurs négocient les contraintes mais aussi se sentent dépossédés de leur autonomie, et comment l'imposition de projets fléchés à l'excès dans leur conception et leur financement laisse trop peu de place à une vraie démocratie locale de l'eau. 



La problématique examinée par Julie Riegel a concerné un projet du Syndicat de rivières Brévenne Turdine (SYRIBT).  "Les lits et les berges des rivières Brévenne et Turdine appartiennent aux propriétaires riverains, mais les eaux sont considérées comme patrimoine de la nation. Ce bassin versant est marqué par un régime des eaux contrasté, qui combine de forts étiages estivaux, de hautes eaux hivernales et des crues rapides et récurrentes, provoquant des inondations brutales et dévastatrices. Les agglomérations en aval du bassin versant, en particulier L’Arbresle, ont été marquées par les crues de 1983 et de 2008, qui ont généré des dégâts matériels et psychologiques considérables."

Les débats sur le contrat de rivière porté par le syndicat ont pris une teneur plus vive à la suite de la crue exceptionnelle de 2008. Une association - Tous Unis Contre les Inondations (TUCLI) - a mobilisé la presse et porté plainte en 2009 contre le syndicat, la mairie de l’Arbresle et l’État.

En 2012, le syndicat répond par un projet de «restauration hydraulique et écologique du bassin versant Brévenne-Turdine». Avec deux objectifs : la protection contre le risque d’inondation par la construction d’ouvrages hydrauliques, et la restauration morphologique des rivières. Cinq sites sur la Brévenne et la Turdine sont identifiés, devant accueillir quatre ouvrages de ralentissement dynamique et trois opérations de restauration écologique. Afin de favoriser l’acceptabilité du projet, le syndicat mandate la coopérative DialTer (spécialisée dans le dialogue territorial) pour conduire une concertation.

Mais la concertation prend une tournure plus âpre que prévu, avec diverses oppositions relatives au foncier agricole impacté. Il y a donc révision à la baisse de l'ambition : "Après six mois d’allers-retours entre groupe de travail principal, comité de pilotage et réunions délocalisées, le projet a largement évolué. Trois sites seulement au lieu des cinq initiaux ont finalement été retenus. Ils doivent accueillir deux barrages écrêteurs de crue à la place des quatre ouvrages modélisés initialement, ainsi que deux opérations de restauration écologique (Syndicat Brévenne Turdine, 2015). L’emprise des nouveaux ouvrages sur la rivière et l’impact global sur le foncier agricole sont bien moindres."

Au cours de la concertation, les enjeux se sont déplacés : la protection des agglomérations contre les inondations est reconnne, mais la préservation du foncier agricole avec une juste indemnisation des exploitants riverains est mise en avant :

"Le rachat des terres directement dans l’emprise des travaux a ainsi été validé à hauteur de 2,50 € le mètre carré, la même pour tous les riverains, contrastant avec la fourchette de 0,90 à 1,10 € des projets d’aménagement précédents. Le détail des indemnisations prévues est complexe, mais il faut en souligner d’une part la définition à l’amiable avec chacun des riverains, d’autre part l’effort de lisibilité et de traçabilité réalisé par le Syndicat. Au-delà des barèmes standard proposés par la Chambre, la situation singulière de chaque agriculteur riverain a été considérée : par exemple, la prise en compte de la dégradation des clôtures par le passage d’engins, la perte de fertilité tem- poraire de parcelles occupées par les travaux de chantier, l’adaptation des indemnisations sur les servitudes d’inondation selon les assolements, le temps de décrue et de remise en état des parcelles, les circuits de déplacement des bêtes modifiés le cas échéant…"

Le projet avance donc car des concessions sont faites. Il est à noter que la dimension écologique du chantier est celle qui attire le moins d'attention et de soutien : "au cours de ces étapes de requalification, les enjeux écologiques du projet semblent être passés au second, puis au troisième plan. La restauration écologique des rivières Brévenne et Turdine, objectif initial aux côtés de la gestion du risque d’inondation, est moins visible dans les archives de la concertation, et peu audible lors des entretiens. Elle ne semble pas avoir acquis le statut d’intérêt commun."

J. Rigel donne des précisions intéressantes sur les positions des acteurs à ce sujet : "Lors de notre enquête, certaines parties prenantes s’avèrent dubitatives au regard du double objectif initial du projet du Syndicat – la construction d’ouvrages hydrauliques et la restauration écologique. Pour certains pêcheurs, ce projet est incohérent : il s’agit en fin de compte d’enlever des enrochements de berges pour les remettre plus haut dans des ouvrages. Les représentants des organisations environnementales ont également perçu ce projet comme principalement dédié à la protection contre les inondations, et comme imposé par la demande sociale. La dimension écologique leur semble d’emblée biaisée, tant les barrages n’ont aucune vocation environnementale, et bien que ce biais leur paraisse légitime. Les deux barrages vont artificialiser des portions de la Turdine en bon état écologique, et nécessairement modifier la dynamique liquide et solide de la rivière. Et puis les propositions techniques en matière écologique laissent circonspects certains acteurs : les seuils constituent-ils vraiment une entrave à la circulation piscicole, sur des rivières qui justement entrent en crue ? Quant à la renaturation des berges de la Turdine, avec l’enlèvement des roches apposées il y a plusieurs décennies pour diminuer l’érosion, la replantation de végétaux va-t-elle suffire à les stabiliser ? (…) De plus, pour les organisations environnementales, l’enjeu sur le bassin versant est ailleurs : il concerne la gestion quantitative de l’eau et les problèmes d’étiage, certains cours d’eau étant complètement à sec en saison estivale. En toile de fond se profile une controverse récurrente avec la profession agricole, et notamment avec la Chambre d’agriculture, sur la question des retenues collinaires qui jalonnent le bassin versant et ne respectent pas l’obligation de débit réservé."

La socio-anthropologue souligne quelques problèmes d'appropriation des projets portés par les gestionnaires publics.

Excès de technocratie "préformatée" de certains discours publics : "Dans ce projet, la restauration écologique est sous-tendue par un discours technico-rationnel généralisant, rattaché à des prescriptions et des normes publiques environnementales surtout véhiculées par l’agence de l’eau. Ces prescriptions ne convergent pas avec un discours d’attachement sur le registre du proche et du sensible, ou encore de l’esthétique, de l’héritage, toutes motivations possibles d’un discours de sensibilité écologique (Bozonnet, 2012)."

Sentiment de perte d'autonomie des riverains : "Le manque de prise des riverains sur le déroulement des chantiers d’aménagement, et leur perte de visibilité sur la gestion des inondations, semblent s’ajouter à un sentiment global de perte d’autonomie. En tant que propriétaires riverains, ils disposent de droits individuels historiques, mais ces droits sont de plus en plus encadrés et contrôlés par l’administration. L’entretien des berges, la taille et le prélèvement des boisements, le prélèvement d’eau nécessitent des déclarations régulières et des autorisations auprès de différents corps administratifs. M. D. a ainsi préféré creuser un étang sur sa propriété pour abreuver ses vaches afin de s’affranchir de la tutelle administrative, ce qui a déclenché une visite impromptue de la police de l’eau. L’administration dispose d’un pouvoir réglementaire et envisage les eaux courantes comme un bien commun (res communis), dont la préservation est d’intérêt général. Alice Ingold (2011) a montré les liens et les tensions depuis le XIXe siècle entre les droits juridique et administratif, et les conflits de savoirs sur la gestion des eaux qu’ils véhiculent, relevant soit d’une histoire socio-écologique et territorialisée, soit d’une approche technique et scientifique des cours d’eau."

Julie Riegel conclut : "En première lecture, cette concertation n’a donc pas permis de construire un intérêt commun relevant du volet écologique, mais un tel constat est réducteur, car biaisé par un point de vue naturaliste et hydrologique. Le caractère initialement binaire du projet, structuré en un volet hydraulique censé être purement anthropocentré, et un volet écologique purement écocentré, reflète surtout les thématiques fléchées par les bailleurs de fonds. Or le projet dans sa mouture finale s’avère bien moins consommateur de foncier agricole et de prairies de pâture que dans sa version initiale, et la continuité écologique dans les ouvrages hydrauliques y est mieux prise en compte. Le cadre initial de ce dialogue, corseté par la commande de départ, n’a pas donné aux parties prenantes la marge de manœuvre pour questionner l’énonciation des enjeux écologiques du projet ni le périmètre territorial à considérer. Les parties prenantes ont été sollicitées pour délibérer sur les solutions proposées par le projet et pour en négocier ses externalités."


Discusion
Cet article montre les intérêts et les limites de la concertation publique dans les projets hydrauliques et écologiques. Par rapport à notre expérience associative, nous observons ici un cas très favorable : les associations écologistes et de pêche acceptent la construction d'ouvrages (que d'habitude elles veulent détruire), les riverains obtiennent des dédommagements conséquents et une baisse d'emprise notable du projet initial, les services de l'Etat valident ces évolutions. Cela n'a rien à voir avec les discussions que nous observons sur la question des moulins, étangs et petits ouvrages non professionnels : elles restent largement bloquées sur des positions antagonistes sans aucune concession des services de l'Etat (sans doute parce que les propriétaires des ouvrages sont de simples particuliers non organisés en syndicats et chambres comme les agriculteurs, avec bien moins de poids dans la négociation publique.)

Au-delà, le texte de Julie Riegel montre que l'écologie négociée avec les premiers concernés (riverains) n'est pas toujours l'écologie rêvée par des décideurs et des sachants.

Un idéal avait émergé voici une vingtaine d'années : la démocratie participative devait mieux garantir la protection de l’environnement. L’implication des citoyens à la décision publique est portée par le principe 10 de la convention de Rio, la convention d’Aarhus, la Commission nationale du débat public en France et les attendus de la loi sur l’eau de 2006.

Aujourd'hui, certains considèrent que cette option de la consultation et participation du public est un échec, notamment car elle ne résout pas les conflictualités ou donne lieu à des appropriations non prévues dans l'esprit du législateur. Nous pensons au contraire que les dissensions dans la gestion participative de l'environnement révèlent des évolutions de fond, dont le déni serait une impasse. D'une part, les politiques publiques doivent s'adapter aux nouvelles conditions d'horizontalité de nos démocraties, où l'on supporte de moins en moins des approches déconnectées des réalités vécues et des contraintes dépourvues de services rendus ;  d'autre part, les politiques de la nature doivent accepter l'idée qu'il existe une pluralité de représentations de cette nature dans la société, pluralité non soluble dans une technocratie scientiste à qui il suffirait d'invoquer le mot "écologie" pour clore tout débat sur les fins et les moyens des choix collectifs des humains.

Référence : Riegel J (2018), Le dialogue territorial au risque de l' écologie? Traces et effets d'une concertation entre aménagements hydrauliques et restauration écologique, Participations, 1, 20, 173-198, doi 10.3917/parti.020.0171

Illustrations : en haut, l'inondation de l'Arbresle les 1er et 2 novembre 2008 : la pire crue des 200 dernières années, droits réservés © SYRIBT / IRMa ; en bas, la Brévenne à l'Arbresle. "Aux environs de Lyon / Monsieur Josse", édition illustrée de 250 dessins de Jean-Baptiste Drevet - Bibliothèque nationale de France, domaine public.

A lire sur ce thème
L'écologie de la restauration et l'oubli du social (Martin 2017) 
Les fonctionnaires de l'eau sont-ils indifférents au social? (Ernest 2014) 

17/10/2018

Après les sécheresses, les crues tragiques : la gestion publique de l'eau doit revenir à ses fondamentaux

Après les sécheresses, voici les crues et inondations, qui ont durement frappé l'Aude les 15 et 16 octobre 2018. Ces événements ne sont pas exceptionnels dans l'histoire de la région. Hélas, leur intensité et leur fréquence risquent d'augmenter avec le changement climatique, et les premiers signaux semblent là. Nous avons besoin d'une gestion publique de l'eau dont les investissements garantissent les priorités de notre société, à commencer par la sécurité des biens et personnes. Au cours des décennies passées, des erreurs d'aménagement du territoire et d'usage des sols ont été faites en lit majeur : aujourd'hui, un Français sur quatre vivrait en zone inondable. Mais comme le montrent l'ancienneté des crues et leurs lourds bilans passés, le simple retour à des règles plus proches du fonctionnement naturel des cours d'eau ne suffira pas. La catastrophe naturelle tuait hier aussi, quand les bassins étaient moins artificialisés qu'aujourd'hui : il s'agit donc d'étudier là où un meilleur respect de la nature est bénéfique, mais parfois de corriger et d'aménager là où la rivière est dangereuse. Par ailleurs, le réchauffement va rebattre les cartes des variations naturelles et confronter la société à la montée des extrêmes climatiques. Cela appelle une gestion adaptative - sociale, écologique, hydraulique - de l'eau en son bassin, posant sans préjugé les différentes options, tant face à la crue que face à la sécheresse. Les barrages réservoirs font partie de ces options, au même titre que l'usage des retenues collinaires, la préservation des ouvrages en place en lits mineurs de têtes de bassins, les champs d'expansion de crue, la maîtrise des mitages péri-urbains et de la bétonisation du territoire, la prime aux pratiques culturales favorables à des sols vivants.


Crue de l'Aude 2018 vue par drone, DR, l'Indépendant   

Les 15 et 16 octobre 2018, à la suite de pluies exceptionnelles, la partie médiane et aval l'Aude est entrée en crue. Plusieurs communes ont été particulièrement affectées: Trèbes, Villegailhenc, Villemoustaussou, Pezens, Coursan, Saint-Marcel-sur-Aude. À Trèbes, la pointe de crue de l'Aude a été atteinte le matin du 15 octobre avec une hauteur de 7,68m, proche de la hauteur de référence de la crue centennale du 25 octobre 1891 (7,95m). Dans cette ville, on a mesuré 295 mm de cumul de précipitation en l'espace de quelques heures.

Au moment où nous écrivons, on relève douze morts et deux disparus à la décrue.

Cette crue éclair relève de ce que l'on appelle un épisode méditerranéen (localement appelé aussi un épisode cévenol, quand la présence de montagnes favorise le choc de masses d'air donnant des épisodes convectifs intenses). Comme l'expliquent les ingénieurs de Météo France, "trois à six fois par an en moyenne, de violents systèmes orageux apportent des précipitations intenses (plus de 200 mm en 24 heures) sur les régions méditerranéennes. L'équivalent de plusieurs mois de précipitations tombe alors en seulement quelques heures ou quelques jours."

Si ces épisodes liées à la chaleur accumulée par la Méditerranée en été sont connus, leur nombre et leur intensité pourraient évoluer défavorablement au cours de ce siècle. Davantage de chaleur, c'est davantage d'évaporation et d'énergie disponible pour nourrir les systèmes convectifs.

Ainsi, selon les simulations de deux chercheurs français récemment parues dans la revue Climatic Change (Tramblay et Somot 2018), le changement climatique devrait favoriser les précipitations dans le Sud de la France au cours du XXIe siècle. Comme l'a déclaré Y. Tramblay : "Plus l’air est chaud, plus il emmagasine de l’humidité : un degré Celsius en plus se traduit par 7 % d’humidité supplémentaires. On peut donc dire avec certitude que les épisodes méditerranéens vont devenir plus intenses." (Le Monde, 16 octobre 2018)

Toutefois, si le réchauffement de la Méditerranée aggrave le risque de fortes précipitations, on ne doit pas oublier que ce risque est connu et présent depuis longtemps.




Inondations dans le Roussillon, Archives INA. La violence des crues rappelle le premier devoir du responsable public et appelle à une gestion adaptative des bassins, en situation de changement climatique rebattant les cartes. 

Le site pluies extrêmes rappelle que ces événements sont récurrents. En voici quelques exemples.

Le 25 octobre 1891, les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales sont dévastés par de terribles inondations. Les communes de Rennes-les Bains et de Couiza dans la haute-vallée de l’Aude ont été très durement éprouvées, ainsi que les communes de Limoux, Carcassonne et de Narbonne et toute la plaine littorale. Les valeurs maximales observées au cours de cet épisode des 24 et 25 octobre - dont la durée n’est que d’environ 24 heures - sont faramineuses sur les vallées du Rialsesse, de la Sals et de la Blanque : 306 mm à Montlaur, 290.6 mm à Arques (l’Estagnol, près du col de Paradis). A Carcassonne, l’épisode a duré 20 heures, il a été mesuré 281 mm.

Du 16 au 20 octobre 1940, un épisode pluvieux fantastique a touché les Pyrénées-Orientales, l’Aude, ainsi que la Catalogne espagnole. Il y eut 57 morts en France, dont près de la moitié à Amélie-les-Bains et ses environs. Il a été mesuré 840 mm de pluie le 17 octobre à l’usine électrique de la Llau (valeur officialisée comme record de pluie en 24 heures pour l’Europe). Sur l’Aude, les précipitations ont atteint 150 à 200 mm en quelques heures.

Le 12 novembre 1999,  l'Aude connaît une crue majeure : la zone la plus sévèrement touchée est la région des Corbières où il est tombé à Lézignan 620 mm en 36 heures (plus des deux tiers d'une année habituelle de pluie).

Que signifient ces données historiques, et cette actualité?

- La gestion publique du bassin versant, c'est d'abord la gestion de ces phénomènes extrêmes mettant en péril la sécurité des biens et des personnes. Le premier devoir du responsable administratif et politique est d'anticiper les risques dans la gestion des écoulements et des occupations du sol sur le lit majeur, ainsi que d'assurer la bonne information des riverains. La simulation hydroclimatique des crues et étiages de chaque bassin doit désormais se généraliser, cela en lien avec les hypothèses de changement des températures et des précipitations dû au réchauffement. On ne peut plus aménager la rivière et ses berges sans avoir à l'esprit ces contraintes et leur dynamique à venir.

- Le risque zéro n'existe pas : il y a toujours eu des phénomènes extrêmes peu prévisibles, il y en aura toujours. Cependant, on peut limiter les risques, par exemple en limitant l'implantation des habitations dans les lits d'inondation et assurant la prévention des crues ainsi déjà que le ralentissement des ondes de crues (zones expansion latérale de crues en lit majeur, barrages réservoirs, retenues collinaires et en lit mineur en tête de bassin, etc.). L'alerte aux riverains doit être améliorée (l'Aude était en vigilance orange seulement, l'estimation des pluies trop faible d'un facteur 3).

- La méconnaissance passée de l'hydrologie et de l'écologie des bassins versants a conduit à des erreurs : imperméabilisation et artificalisation des sols, incision et chenalisation des lits de rivière ce qui ne fait que repousser la crue plus bas et plus vite, spéculation immobilière et construction en zone inondable, etc. Corriger cela prendra beaucoup de temps : pour renaturer des lits majeurs, il faut disposer du foncier. Mais on peut déjà éviter de persister dans ces erreurs, ce qui serait un retour au bon sens.

- Toutefois, l'option écologique aura ses limites et les exemples des crues passées le montrent bien : même à une époque sans béton, sans agriculture intensive, moindrement peuplée et urbanisée, les crues étaient tragiques, les bilans humains étaient lourds. On peut utiliser la nature plus intelligemment (par exemple restaurer des zones humides pour éponger des surplus d'eau), mais ce serait mentir que de croire en la toute-puissance de telles solutions : elles ne seront jamais qu'une partie de la réponse, il faut aussi du génie hydraulique pour gérer les écoulements.

- Avec le changement climatique, on ne peut plus séparer les problématiques de la sécheresse et de la crue : selon les saisons, ce sont tous les phénomènes extrêmes qui peuvent devenir plus fréquents ou plus intenses, comme on le vit déjà depuis une ou deux décennies. On doit donc gérer les bassins versants en retenant l'eau trop rare lors des étiages ou trop rapide lors des crues. Cela passe par une révision rapide des paradigmes actuels du ministre de l'écologie et des agences de l'eau, trop orientés vers la "renaturation" des rivières au détriment de leur gestion adaptative qui utilise toutes les options sans dogmatisme, et qui se projette sur le long terme.

A lire sur ce thème
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités 
Idée reçue: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"
Quelques réflexions sur les inondations du printemps 2016 

25/03/2018

Les crues de janvier 2018 en Châtillonnais

Pierre Potherat, ingénieur en chef des travaux publics de l’Etat aujourd'hui retraité, livre une réflexion intéressante sur les dernières crues de la Seine et ses affluents en Châtillonnais. L'auteur demande notamment aux autorités d'évaluer les impacts des actions en rivières et berges, notamment la destruction des ouvrages hydrauliques qui tend à accélérer l'écoulement dans le lit mineur et à limiter des expansions de crue en amont des points durs que représente chaque ouvrage. Nous souhaitons que cette démarche d'expertise publique soit menée, à l'heure où certains apprentis sorciers ont décidé de détruire le maximum de moulins, étangs et plans d'eau sans procéder à une évaluation des conséquences de leurs actions cumulées à échelle du bassin versant. 



Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.

Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.

Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.

Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.

Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.

Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?

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Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.

A lire sur le sujet
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités 
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La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages, rapport OCE