07/12/2012

La Commission européenne juge la politique française de l'eau

Chez les administrations françaises de l'eau (Agences de l'eau ou Onema), il est d'usage de présenter la politique actuelle d'effacement systématique des ouvrages hydrauliques en rivière comme une conséquence de la directive cadre sur l'eau (DCE) européenne de 2000. La Commission européenne vient de publier un rapport de suivi sur l'implémentation de cette DCE (téléchargeable sur ce lien). C'est l'occasion de juger précisément ce que disent les experts européens.

Pas de liens clairs entre mesures hydromorphologiques 
et bon état de la masse d'eau
En ce qui concerne la France, on observe la remarque suivante pour la section « hydromorphologie » (celle associée à l'effacement des seuils et barrages) du rapport de la Commission : « La base de sélection des mesures hydromorphologiques n'est pas claire. Les mesures hydromorphologiques ne sont pas clairement liées aux usages de l'eau et aux pressions sur l'eau. De surcroît, il n'y a pas de lien clair entre les mesures et l'état actuel [du cours d'eau] ou d'explications sur l'amélioration potentielle de cet état » (vol 3, p. 62, nous traduisons de l'anglais, les répétitions sont d'origine).

A notre modeste niveau d'analyse des rivières de Côte d'Or, nous retrouvons très précisément le problème soulevé par les experts de la Commission : la littérature hydrologique abonde de descriptions plus ou moins impressionnistes sur les obstacles à l'écoulement (et les altérations hydromorphologiques en général), mais elle ne propose finalement pas de mesures fiables et reproductibles des altérations en question, pas plus qu'elle n'indique leur part exacte dans la qualité écologique globale (biologique chimique, physique) des rivières.

La seule fois où il nous a été donné de dialoguer à ce sujet avec un syndicat de rivière et un bureau d'études (Sirtava, Cariçaie) sur un projet d'effacement concret (Semur-en-Auxois), nous n'avons jamais obtenu la réponse claire à une question simple : quels sont les objectifs de résultat de la restauration écologique, c'est-à-dire les gains prédictibles et observables à telle ou telle échéance si l'obstacle était effacé ?

Il est tout de même gênant que, dans cet exemple parmi bien d'autres, l'Agence de l'eau Seine-Normandie ait proposé de financer (sur l'argent des contribuables) des mesures à un demi-million d'euros sans être capable d'énoncer clairement les améliorations qu'elle en attendait.

« Le coût des décisions inappropriées... »
La Commission européenne relève dans son rapport (vol I, p. 8) : « Une surveillance fiable et des méthodes permettant une évaluation complète de l'état des masses d'eau sont des éléments essentiels d'une bonne gestion de l'eau. Le coût de la surveillance est beaucoup moins élevé que le coût des décisions inappropriées. (…) Il ressort clairement des informations communiquées à la Commission qu’il y a une lacune dans la surveillance ». Cela tombe en effet sous le sens, et nous l'indiquions récemment dans un commentaire de colloque de l'Onema : tant que l'on ne dispose pas des bases empiriques (programmes de mesures complètes et cohérentes dans la durée) et des modèles théoriques adéquats pour expliquer les mesures, nous prendrons des décisions sans certitude aucune sur leur efficacité relative (par rapport à d'autres décisions dont le bénéfice écologique serait supérieur pour un coût économique identique ou moindre).

On notera enfin que la Commission déplore la même absence de clarté pour les mesure de pollutions chimiques : « La plupart des bassins hydrographiques ont eu recours à l'annexe I du standard de qualité environnementale pour juger de l'état chimique des masses d'eau (Directive 2008/105/EC), mais pas tous. Qui plus est, différentes substances ont été utilisées dans diférentes programmations (et pas toutes celles figurant dans l'annexe). Pour ces raisons, les méthodes d'évaluation de l'état chimique sont très peu claires, ce qui concerne les substance analysées ou les raisons de sélectionner certaines substances ».

Il existe une incapacité manifeste de la France à lutter contre la pollution des rivières depuis 30 ans – incapacité déjà observée par la Cour des Comptes en 2010 dans son rapport sur les Agences de l'eau et par la Cour de Justice européenne dans sa procédure actuelle contre la France à propos des nitrates. La focalisation récente de la « suppression des obstacles à l'écoulement » ne changera pas ce problème de fond, et ne permettra certainement pas à la France d'afficher un résultat correct pour le bon état des masses d'eau en 2015. En tout état de cause, les administrations de l'eau ne peuvent prétendre qu'elles sont confortées dans leurs choix actuels par l'Union européenne

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