21/02/2018

Bussières : plainte pour destruction illégale d'ouvrage et de zone humide

Face à la carence de l'administration dans son rôle de protection des milieux et de garantie du droit de l'environnement, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte contre la fédération de pêche de l'Yonne pour destruction illégale d'ouvrage, d'étang et de zones humides à Bussières. En parallèle, une requête sera faite au préfet de l'Yonne en vue d'un arrêt immédiat des travaux, de mesures de sauvegarde et d'une reprise du chantier dans le cadre normal des procédures visant à protéger les milieux et les droits des tiers. Un refus ouvrirait un second contentieux dans l'ordre administratif. Nous reproduisons ci-dessous notre dernier échange avec la DDT de l'Yonne, expliquant les motivations de cette malheureuse issue face à un chantier géré de manière opaque et catastrophique.

Nous accusons réception de votre courrier du 15 février 2018 et nous avons immédiatement demandé en retour à M. le directeur départemental des territoires de nous faire parvenir copie de l'intégralité des pièces que vous y mentionnez, censées justifier les travaux, autorisations et absence d'investigation de la DDT. Nous regrettons au demeurant que vous n'ayez pas joint directement ces pièces puisque nous étions en phase pré-contentieuse sur la gestion catastrophique de l'étang de Bussières par la Fédération de pêche de l'Yonne, ci-après dénommée FYPPMA.

Etant donné la difficulté de nos échanges, le caractère ad hoc et confus des justifications successives qui nous sont apportées, le trouble manifeste des milieux aquatiques et humides, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte pénale contre la FYPPMA pour destruction non autorisée d'ouvrage, d'étang et de zone humide.

Cette plainte sera doublée d'une requête à M. le préfet de l'Yonne de stopper le chantier, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, d'instaurer la procédure normale d'autorisation de travaux (article R 214-1 à R 214-6 code environnement), en particulier l'analyse d'incidence, les mesures compensatoires, l'étude des alternatives, l'enquête publique. Un refus de la préfecture d'y procéder conduirait notre avocat à engager une seconde procédure contentieuse, cette fois par la voie administrative.


Nous sommes contraints à cette issue par l'opacité totale de ce chantier comme par le caractère insatisfaisant et incohérent des éléments qui nous sont opposés. Votre courrier suscite en effet de nombreuses interrogations.

La préfecture de l'Yonne nous a d'abord parlé dans son courrier du 1er décembre 2017 d'un dossier de "vidange" au titre de la simple gestion de "pisciculture", cette motivation justifiant que le chantier soit fondé sur un seul recto-verso très sommaire de descriptif malgré l'importance de l'hydrosystème modifié.

La préfecture de l'Yonne nous parle maintenant dans son courrier du 15 février 2018 d'un chantier sur la base de l'article R 214-44 du code de l'environnement procédure tout à fait exceptionnelle supposant un "danger grave" et un "caractère d'urgence" qu'à date, rien ne justifie dans vos propos. La remobilisation de sédiments lors des fortes eaux est un phénomène courant pour l'étang de Bussières, dont le déversoir a toujours été surversé lors des crues. Cela ne présente pas de caractère exceptionnel et nous attendons des pièces demandées qu'elles démontrent éventuellement le contraire. Par ailleurs, il est étrange que la FYPPMMA ait choisi de faire ses travaux en pleine période de ponte, croissance et éclosion des œufs de truite, sans que leurs experts s'avisent du problème et sans que vos services objectent des risques afférents pour le milieu, cela dès le mois d'octobre.

"Malencontreusement", la vanne de l'étang a dû être détruite dans la première phase. Et "malencontreusement" encore, la digue de l'étang a été en partie détruite dans la seconde phase. Le contentieux et son instruction permettront d'étudier sur pièces le rôle de la négligence et de l'intention dans cette altération du patrimoine paysager, historique et naturel de l'étang.

Vous avancez maintenant une troisième phase de chantier, qui nous paraît toujours aussi problématique. Pour la suite de ces travaux, vous persistez en effet à parler d'une simple "déclaration" pour permettre à la FYPPMA de détruire la totalité de la digue.

Or, cette destruction ne correspond ni au chantier de vidange d'étang piscicole déclaré en octobre 2017, ni au chantier R 214-44  CE autorisé en janvier 2018, en situation de danger allégué.

Cette destruction relève du R 214-1 CE  sur les  "installations, ouvrages, travaux ou activités", et en particulier du 3.1.2.0. "conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau (…) sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m". Il est établi qu'à la date du 9 janvier 2018 où la FYPPMA signale à vos dires son projet de chantier de destruction auprès de votre service, nous avons simplement un étang vidangé dans le cadre de sa gestion piscicole. Mais l'étang en question correspond au profil du site en sa consistance légale autorisée.

Cette position aurait dû être celle de la préfecture et du maître d'ouvrage dès le départ : nous assistons en réalité depuis 6 mois à des contorsions juridiques pour essayer d'échapper à l'étude d'un écosystème d'étang de 5 ha menacé de destruction et à l'examen par enquête publique d'un chantier modifiant plus de 1000 m de rivière.

Une position contraire de votre part - c'est-à-dire le démantèlement d'un ouvrage et d'un étang  sur lit mineur par cette succession de simples déclarations ad hoc  - conduirait à des conséquences parfaitement absurdes. Par exemple, un propriétaire de berge et de lit pourrait édifier en lit mineur un seuil de 10 cm de hauteur, attendre que l'eau se rééquilibre, ajouter dessus un nouveau seuil de 10 cm, et ainsi de suite jusqu'à édifier un barrage de 1, 2 ou 3 m, cela sans avoir à demander d'autorisation (ni même en l'occurrence à faire de déclaration), puisque l'administration ne devrait jamais considérer l'état initial de la masse d'eau, simplement constater étape par étape des évolutions du lit, sans rien y redire.

Nous doutons que l'administration souhaite encourager pour l'avenir ce genre d'interprétation acrobatique de la loi et les comportements que cela permettrait.


Sans préjuger du dossier de la FYPPMA relatif à la solution définitive pour le site de Bussières, plusieurs de vos propos sont problématiques de la part d'un service instructeur.

Vous affirmez ainsi sans autre forme de démonstration que "les travaux sont sans conséquence sur la stabilité de la route".

Cette légèreté étonne : il paraît difficile de modifier la stabilité géotechnique (liée notamment à la pression de l'eau de part et d'autre) d'une route publique au milieu d'un étang sans prendre quelque précaution sur la composition et l'évolution du sol, ni envisager les conséquences futures de la reprise végétative ou des érosions successives que produirait la Romanée en crue. Le cas est encore plus manifeste pour le pont, dont le régime hydrologique est changé au niveau des piles et fondations en cas de projet de destruction du plan d'eau les immergeant en permanence.

Nous vous demandons d'analyser ces points de sécurité autrement que par votre intime conviction - plus précisément, de demander au pétitionnaire de démontrer l'absence de risque dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.

Par la suite, vous affirmez encore que "la biodiversité d'un plan d'eau n'est pas comparable à la définition d'une zone humide au sens de l'arrêté ministériel du 2-1-06-2008 modifié par celui du 01-10-2009, et le projet de la FYPPMA vise au contraire une remise en état du site avec un gain réel pour la biodiversité notamment par la création d 'une zone humide plus diversifiée que celle actuelle constituée du plan d'eau".

Vous n'apportez là encore aucune pièce pour asseoir ces propos, notamment pas de rapport d'expertise de l'AFB - Agence que nous avons saisie en vertu de l'article L 131-8 CE lui assignant une mission de préservation de la biodiversité, mais sans réponse de sa part à ce jour.

Concernant la qualification d'une "zone humide", il n'est pas sérieux de prétendre que l'étang et ses marges humides n'en seraient pas une : tous les éléments de la loi et de la jurisprudence du conseil d'Etat sont réunis (sols hydromorphes, plantes hygrophiles), attestés par de nombreuses prises de vue et observations des habitats à fort intérêt de l'étang de Bussières et de ses marges humides, avant leur désorganisation par les travaux de la FYPPMA. Les étangs sont considérés dans toute la littérature scientifique et dans la classification Ramsar comme des zones humides : nous serions fort étonnés qu'un seul chercheur ou ingénieur de l'environnement nie cette évidence, dans une procédure préparatoire ou devant un tribunal.

Nous suggérons aux services instructeurs en charge de l'eau de lire en toute urgence le remarquable ouvrage collectif dirigé par Beat Oertli et Pierre-André Frossard (Mares et étangs. Ecologie, gestion, aménagement et valorisation), qui fait notamment le point sur les avancées de la recherche concernant l'intérêt majeur de ces petits hydrosystèmes pour la biodiversité, mais aussi pour la protection de la ressource (épuration, expansion de crues, etc.)

L'étang de Bussières figure dans la ZNIEFF 260014888 de type 2 " vallée du Cousin aval, Romanée et leurs abords ". Les étangs font partie de la motivation de ce classement, comme vous pourrez le lire sur sa fiche descriptive. Parmi les habitats déterminants à étudier avant perturbation, on note entre autres (ref Corinne) :
  • 37.7 Lisières humides à grandes herbes
  • 53.214 Cariçaies à Carex rostrata et à Carex vesicaria
  • 22.43 Végétations enracinées flottantes
  • 44.9 Bois marécageux d'Aulne, de Saule et de Myrte des marais
  • 22.31 Communautés amphibies pérennes septentrionales
  • 22.4 Végétations aquatiques
Parmi les espèces susceptibles de profiter de l'étang, de sa queue marécageuse ou de ses marges humides comme habitat ou nourricerie, on note entre autres :
  • Crapaud accoucheur
  • Rainette verte
  • Grenouille agile
  • Mulette épaisse
  • Anguille européenne
  • Loutre
  • Végétations des étangs et zones humides acides du Nord Morvan
Le classement ZNIEFF précise : "ce patrimoine dépend (…) d'un élevage extensif respectueux des milieux prairiaux, des linéaires de haies interconnectés, des cours et plans d'eau, et des zones humides". Le respect des "plans d'eau" comme des "zones humides" de la ZNIEFF figure donc dans les préconisations du Museum national d'histoire naturelle. La FYPPMA devra justifier de leur éventuelle disparition et des compensations qu'elle entend engager.

A notre connaissance, imparfaite en raison de l'opacité constante du chantier depuis nos premières requêtes de 2016, le projet de la FYPPMA consiste à restaurer la Romanée dans son lit mineur comme zone à truite et espèces d'accompagnement ou espèces commensales.  Aucun élément ne garantit la "création d'une zone humide plus diversifiée" dont vous parlez, sauf si la FYPPMA dispose d'un projet dédié en ce sens.

La Romanée a un débit très faible : c'est un filet d'eau à l'étiage, de surcroît un filet subissant des pollutions vis-à-vis desquelles l'étang et ses marges ne joueront plus de rôle épurateur en cas de destruction.

Nous vous rappelons les données de sa station moyennées sur plus de 20 ans : 0,088m3/s et 2 mm de lame d'eau seulement au mois le plus sec de septembre, 2,190 m3/s de 58 mm de lame d'eau au mois le plus pluvieux de février. La restauration de zone à truite dans le lit mineur incisé et à très faible débit n'a pas de raison particulière d'alimenter une zone humide attenante (et non une simple reprise des végétations pionnières banales de bord de rivière, soit un type de milieu déjà très présent au long de la Romanée, dans la ZNIEFF 260014888, et plus largement dans le Nord-Morvan). La destruction de l'étang sans autre compensation ou aménagement abaisserait donc selon nous la biodiversité alpha et bêta de l'hydrosystème en réduisant la diversité de ses habitats aquatiques et humides.

Nous vous demandons en conséquence d'analyser ces éléments de biodiversité, de précaution, de compensation - plus précisément de demander au pétitionnaire de les analyser dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.


La question des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique est aujourd'hui reconnue comme problématique en France, que ce soit par le rapport d'audit CGEDD 2016, par la recherche universitaire (voir le livre universitaire collectif Barraud et Germaine 2017 sur le démantèlement des barrages) ou encore par les participants au groupe de travail du Comité national de l'eau, qui échangent en ce moment même sur ce sujet conflictuel.

La confiance est déjà très fragilisée entre votre administration et les riverains, particulièrement sur cette zone Cousin-Romanée où nombre de propriétaires d'ouvrages sont adhérents de notre association et suivent de très près vos instructions des questions aquatiques.

La manière dont vous gérerez la suite du chantier catastrophique de l'étang de Bussières définira si cette confiance dans l'équité et l'impartialité de l'action administrative peut être restaurée, ou si elle tendra un peu plus vers son point de rupture. Il n'est pas ici question d'obliger le propriétaire de l'étang de Bussières à choisir telle ou telle option pour le bien qu'il possède : mais simplement de le soumettre comme tous les autres propriétaires aux dispositions du code de l'environnement qui protègent les milieux, régulent les chantiers d'importance et garantissent les droits des tiers.

Illustrations : le plan d'eau de Bussières à travers les âges (carte de Cassini du milieu du XVIIIe siècle, carte d'étang major du milieu du XIXe siècle, photographie aérienne du milieu du XXe siècle). 

6 commentaires:

  1. Pour ce qui concerne les piliers du pont, je rappel que l'étang fut vide pendant plus de 30 ans, ce qui n'a pas impacté les fondations..

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    1. Quand un projet est définitif, il vaut mieux prendre des précautions. Et comme vous le savez sans doute, "avant", on faisait des tas de choses sans précaution particulière. Mais l'administration ne le permet plus car les règlements se sont développés et complexifiés.

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  2. Je vous signal qu'il n'y a pas d'impact et vous répondez à coté du sujet..

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    1. Non, nous vous répondons sur le sujet.

      Si nous observons qu'une maison construite dans un lit d'inondation n'a pas été détruite par une crue pendant 30 ans, cela ne veut pas dire qu'elle ne sera pas détruite en année 31, ou plus tard. Idem si nous observons qu'un barrage n'a jamais été fragilisé pendant 30 ans, etc.

      En d'autres termes, une absence de risque ne s'apprécie pas uniquement par référence à une expérience passée (c'est un élément empirique d'appréciation), mais par l'examen géotechnique du site que l'on modifie.

      Donc vous ne signalez pas "qu'il n'y a pas d'impact" en toute généralité, simplement "qu'il n'y a pas eu d'impact sur 30 ans". A supposer que l'on retrouve les éléments sur cet assec et sur ce qui fut fait en terme d'entretien de la route et du pont pendant cette période. Ce que ne manquera pas de faire la fédération de pêche de l'Yonne dans son dossier d'autorisation.

      Est-ce plus clair ?

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  3. Cette destruction relève du R 214-1 CE sur les "installations, ouvrages, travaux ou activités", et en particulier du 3.1.2.0. "conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau. Tout faux cette opération est sur un plan d'eau et non sur un cours d'eau, donc le IOTA ne s'applique pas. Pas de procédure et en avant Guingamp.

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