19/02/2017

Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production?

Le gouvernement, les parlementaires et les territoires sont mobilisés pour la transition énergétique bas-carbone, y compris d'origine hydraulique comme l'a montré le vote récent d'une loi pour protéger et valoriser les ouvrages en rivière. Mais l'administration en charge de l'eau suit-elle le mouvement? Un média en ligne nous apprend que l'Agence de l'eau Seine-Normandie serait prête à financer une opération visant à la fermeture d'une centrale hydro-électrique à Pont-Audemer (Eure), avec arrêt de la production pour rendre un barrage franchissable aux poissons. Certains évoquent une dépense d'argent public de l'ordre d'un million d'euros, sans compter le manque à gagner lié à la disparition de l'activité et le futur chantier. Cela alors qu'un industriel était disposé à reprendre le site. Ces informations sont-elles exactes? Comment justifier ces choix? Où peut-on lire l'analyse coût-bénéfice complète de cette opération appelée à être payée par les citoyens? Pourquoi ne pas concilier continuité écologique, énergie propre et activité économique, ce qui est le souhait massivement exprimé par les députés et sénateurs? L'Agence de l'eau Seine-Normandie doit garantir toute la transparence sur cette affaire. Nous vous communiquons les coordonnées des députés et sénateurs de l'Eure à cette fin. Merci de les interpeller: la vigilance citoyenne sera le seul moyen de clarifier les éventuels décalages entre arbitrages administratifs et choix démocratiques. 



La centrale de la Madeleine est la propriété de la société d'économie mixte Gédia. Elle est alimentée par un ouvrage autorisé, que l'Agence de l'eau Seine-Normandie souhaite néanmoins voir disparaître. Un industriel (Spepa) exploitant déjà des ouvrages dans la région s'est dit intéressé par la reprise de cette centrale, parfaitement fonctionnelle, et par la mise en conformité du barrage (passe à poisson). La centrale produirait 1,5 GWh à l’année pour 110 000 € de chiffre d’affaires. C'est la plus puissante du bassin, qui en comporte d'autres en activité. Rappelons que l'énergie hydraulique est une énergie locale très bas-carbone, en particulier quand les installations existent (pas de coût carbone de chantier).

Selon les informations données par Paris-Normandie, l'industriel aurait été écarté au profit d'un montage entre la mairie de Pont-Audemer et l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il proteste : "Quand j’ai entendu parler de cette vente, j’ai fait une offre de 1,20 M€ pour conserver l’activité. Quand la mairie de Pont-Audemer a été au courant, une offre supérieure de 50 000 € à la mienne a été formulée par la commune. Elle est entièrement financée par de l’argent public, les subventions de l’Agence de l’eau, bref, l’argent de nos impôts".

Déclaration d'André Berne, directeur territorial Seine Aval à l'Agence de l'eau: "La Risle a un potentiel extraordinaire en termes de poissons migrateurs. Sauf qu’un barrage fait encore obstacle à leur circulation. Comme le précédent propriétaire ne pouvait pas l’équiper d’une passe à poissons, qui était obligatoire, le choix fait par la collectivité a été celui du rachat et de l’enlèvement de l’ouvrage. Il s’agit d’une obligation réglementaire (...) Certes, cette énergie renouvelable n’émettait pas de CO2 mais il s’agit d’une toute petite centrale. Sa perte est un inconvénient mais nous allons améliorer la Risle de façon considérable."

Déclaration de Michel Leroux, maire de Pont-Audemer : "Ce rachat a été effectué en partenariat avec l’Agence de l’eau pour débloquer ce point de la Risle. Actuellement, il bloque l’accès de la totalité du bassin de la Risle aux poissons migrateurs mais aussi ses affluents : la Tourville, la Véronne, la Charentonne... En aval de ce barrage, l’espace de reproduction est surpeuplé (…) je trouve scandaleux que le privé ait gardé ce qui pouvait rapporter, les turbines, tout en redonnant au public, à la mairie, ce qui ne rapportait rien : les barrages. Sans doute y a-t-il besoin de retrouver des équilibres dans tout cela…"

Assez de belles paroles, de la clarté sur les faits et les chiffres !
Pour éclaircir cette situation qui paraît opaque, nous appelons donc nos lecteurs à saisir les élus de l'Eure, afin d'exiger la pleine transparence sur :
  • le coût du rachat de la centrale et le montage,
  • le coût lié à la cessation d'activité,
  • le coût lié à l'aménagement du barrage à fin de continuité,
  • le bilan carbone du projet,
  • l'estimation exacte du potentiel piscicole du chantier (sur le linéaire libéré entre ce barrage et le prochain barrage amont infranchissable, puisqu'en matière de continuité les coûts s'accumulent sur chaque ouvrage et un chantier ne libère qu'un tronçon, pas une rivière entière)
  • l'analyse coût-bénéfice de la solution retenue, en comparaison d'une solution alternative de passe avec maintien de la centrale.
Et en complément, il serait opportun d'obtenir de l'Agence de l'eau :
  • les sommes déjà dépensées pour les ouvrages hydrauliques du bassin de la Risle,
  • le nombre total d'ouvrages du bassin encore à aménager,
  • l'estimation du coût global de rétablissement de la continuité sur ce secteur (chantiers achevés et chantiers à venir).
Les belles paroles sur les potentiels extraordinaires nous intéressent nettement moins que des faits et des chiffres offerts au débat public en toute clarté et toute honnêteté.

Merci d'avance de prendre quelques minutes pour écrire aux parlementaires:
Lien pour écrire aux députés de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)
Lien pour écrire aux sénateurs de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)

Les élections approchent : les citoyens sont en ce moment intéressés par la capacité des élus à sortir de certains jeux de pouvoir et de la langue de bois qui les accompagne parfois, ainsi qu'à apporter les réponses au souci démocratique du bon usage de l'argent public.

Vous pouvez également écrire à la direction de l'AESN Seine-Aval. Dans le cadre du droit d'accès aux informations relatives à l'environnement, notre association va requérir les pièces complètes du dossier.

Nota : il se trouve que M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure, siégeait à la commission mixte paritaire et a pris une part active dans le vote de l'article 3bis de la loi d'autonconsommation énergétique, incitant à préserver les ouvrages. Il sera certainement intéressé, comme les autres parlementaires, par les explications sur une dépense d'argent public éventuellement destinée à fermer une centrale hydro-électrique en production.

A savoir : en Bourgogne, la même Agence de l'eau Seine-Normandie a également exercé des pressions pour faire arrêter la production d'un moulin en autoconsommation sur le Cousin (Yonne), alors que le site n'est pas raccordé au réseau. De la tête à l'exutoire du bassin versant, une politique de pression en vue de détruire préférentiellement certaines catégories d'ouvrages serait-elle à l'oeuvre? Pourquoi l'Agence propose-t-elle 0% de subvention pour les passes à poissons ou rivières de contournement lorsqu'il a été montré qu'une destruction est "techniquement possible"? Cette politique très orientée et très variable de subvention respecte-t-elle l'égalité des citoyens devant les charges nées de l'exécution de la loi? L'association Hydrauxois a déjà prévenu les représentants de l'Agence : tous nos adhérents contraints à un chantier de continuité feront une demande écrite de subvention et tout refus de l'Agence fera l'objet d'un contentieux. Nous incitons nos consoeurs du bassin à faire de même, avec copie à leurs parlementaires.

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5 commentaires:

  1. Si la Risle est classée en liste 2, l'article 214-18-1 du code de l'environnement s'applique et la centrale de la Madeleine peut s'en prévaloir pour ne pas être démantelée.

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    1. Oui mais il semble y avoir entente entre l'AESN et la commune pour choisir volontairement une solution non compatible avec la production. Au conditionnel tant que nous n'avons pas accès aux sources (mais déjà certaines citations rapportés par le journaliste sont explicites).

      Le nouvel article L 214-18-1 CE exempte de l'obligation née du classement en L2, pour autant il laisse le maître d'ouvrage libre de ses choix.

      Ce département et cette région hydrographique ont déjà donné lieu à des protestations contre des postures jugées intégristes sur le débit minimum biologique et sur la continuité écologique. Si l'administration s'écarte du texte et de l'esprit de la loi – clairement favorables à la conciliation entre patrimoine, énergie et écologie –, elle prend la responsabilité de déprécier la légitimité et l'autorité de l'action publique, en la réduisant à une posture "clanique" au service de certaines visions très minoritaires et très idéologisées de la rivière. On ne peut évidemment s'y résoudre, aucune politique durable de l'eau ne se construira sur de tels antagonismes.

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  2. Hydrauxois prévient beaucoup ....

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  3. Que des désinformation et d'informations erronées ou approximatives dans cet article comme dans celui du journal Paris-Normandie! Mais on est habitué avec ces 2 protagonistes caractérisés par un manque flagrant de sérieux dans la vérification des informations et de la fiabilité de leur source d'information, quand ce n'est pas tout simplement des erreurs de retranscrition de propos... le tout à des fins de propagande démagogique.
    C'est dommage car certaines réflexions amenées par certains articles de ce site sont interessantes mais il y a toujours une impartialité et/ou mauvaise foi manifeste qui vient tout discréditer...

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    1. Bien sûr, bien sûr... peut-être que la direction territoriale de l'AESN a reçu des observations de son niveau supérieur, et essaie maintenant de dire qu'il n'y a jamais eu de problème? Mais on verra bien la suite.

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