21/02/2017

Sauvegarde de la Boivre: ce que les juges administratifs exigent d'un projet de restauration de rivière

Dans le projet annulé de restauration physique de la Boivre (voir cet article), les juges administratifs de Poitiers ont produit une décision très intéressante. Nous en détaillons ici les moyens juridiques, qui peuvent le cas échéant servir pour s'opposer à d'autres projets présentant les mêmes défauts de construction — car si l'administration devait persister dans sa position agressive et destructrice vis-à-vis des moulins et étangs, le maximum de chantiers futurs devraient faire l'objet de contentieux de la part des associations, propriétaires et riverains. Pour la Boivre, la préfecture a annoncé qu'elle ne ferait pas appel de ce jugement et le président du nouveau syndicat (Clain aval) a dit vouloir "retravailler en concertation". Dont acte, mais le principal enjeu de la concertation est simple: vu le coût inaccessible de la restauration physique  de rivière pour les particuliers et les petites collectivités, le financement maximal de l'Agence de l'eau (80-100%) a vocation à soutenir désormais les projets qui concilient le plus efficacement écologie, patrimoine, paysage, énergie et autres usages entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau. La doctrine de la renaturation comme primauté programmatique des milieux aquatiques sur toute autre considération doit être abandonnée au profit d'une écologie plus inclusive, ouverte à la diversité et la complexité des situations locales, ainsi qu'à des diagnostics du vivant non limités à certains poissons. 

Nécessité d'une étude d'impact plus solide qu'une étude d'incidence
Un chantier ne peut pas être programmé sur la base d'études futures qui en détailleront les conditions et les effets, l'étude d'impact doit être complète lors du dépôt du dossier d'autorisation.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa version alors en vigueur : « I. ― Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact. Ces projets sont soumis à étude d'impact en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement.»; qu’aux termes de l’article R. 122-2 du même code, dans sa version alors en vigueur : « I.-Les travaux, ouvrages ou aménagements énumérés dans le tableau annexé au présent article sont soumis à une étude d'impact soit de façon systématique, soit après un examen au cas par cas, en fonction des critères précisés dans ce tableau. » ; qu’à l’article 2 de l’arrêté attaqué, le préfet a délivré l’autorisation de réaliser des travaux visés aux rubriques 3.1.1.0 (obstacles à la continuité écologique), 3.1.2.0 (modification de profils en long ou en travers du lit mineur), 3.2.1.0 (entretien), 3.3.1.0 (assèchement ou remise en eau de zones humides), 3.1.5.0 (destructions de zones de frayères ou de croissance de la faune piscicole) ; qu’aux termes des dispositions précitées, le pétitionnaire était tenu de diligenter une étude d’impact sur ces travaux ; que l’étude d’incidence produite par le Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre ne peut en tenir lieu, dès lors qu’elle renvoie à des études ultérieures, portant notamment sur « certains cas d’aménagement lourd », les « risques potentiels » liés au départ de fines lors des travaux, les incidences des travaux et des actions en elles mêmes sur les zones d’intérêt écologique et les actions concernant l’effacement ou l’aménagement des ouvrages hydrauliques, à diligenter lorsque les travaux autorisés seront définis avec plus de précision. 

Nécessité d'une demande de travaux complète et motivée
Même motif que précédemment mais sur la base d'un autre article du code de l'environnement.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 214-6 du code de l’environnement, dans sa version applicable : « I.-Toute personne souhaitant réaliser une installation, un ouvrage, des travaux ou une activité soumise à autorisation adresse une demande au préfet du département ou des départements où ils doivent être réalisés. II.-Cette demande, remise en sept exemplaires, comprend : (...) 2° L'emplacement sur lequel l'installation, l'ouvrage, les travaux ou l'activité doivent être réalisés ; 3° La nature, la consistance, le volume et l'objet de l'ouvrage, de l'installation, des travaux ou de l'activité envisagés, ainsi que la ou les rubriques de la nomenclature dans lesquelles ils doivent être rangés ; (...) » ; 4° Un document : a) Indiquant les incidences directes et indirectes, temporaires et permanentes, du projet sur la ressource en eau, le milieu aquatique, l'écoulement, le niveau et la qualité des eaux, y compris de ruissellement, en fonction des procédés mis en oeuvre, des modalités d'exécution des travaux ou de l'activité, du fonctionnement des ouvrages ou installations, de la nature, de l'origine et du volume des eaux utilisées ou affectées et compte tenu des variations saisonnières et climatiques ; (...) d) s’il y a lieu, les mesures correctives ou compensatoires envisagées (...) ». Considérant que le dossier établi par le pétitionnaire ne fournit les informations requises par l’article précité que de façon très imprécise, comme il ressort de ses termes mêmes, selon lesquels : « la définition précise des travaux n’est pas l’objet du présent dossier. Il donne le cadre global des aménagements. Ces travaux seront précisés (sous la forme de scenarii) par l’intermédiaire d’études complémentaires » 

Nécessité d'une nouvelle délibération quand l'enquête publique a donné un avis défavorable
Un point souvent négligé (ce fut le cas à Tonnerre), quand le commissaire enquêteur donne un avis défavorable, il ne suffit pas de l'ignorer superbement en Coderst, il faut encore que les collectivités concernées (par la maîtrise d'ouvrage) procèdent à une nouvelle délibération à la lumière de l'avis du commissaire enquêteur. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-16 du code de l’environnement : «Tout projet d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ayant donné lieu à des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête doit faire l'objet d'une délibération motivée réitérant la demande d'autorisation ou de déclaration d'utilité publique de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement de coopération concerné. » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’organe délibérant du Syndicat d’aménagement de la vallée de la Boivre n’a pas délibéré pour réitérer sa demande après l’avis défavorable rendu le 21 avril 2014 par le commissaire enquêteur sur la demande de travaux au titre de la législation sur l’eau 

Nécessité de fouilles archéologiques préventives lorsque la DRAC a souligné une présomption d'intérêt sur des sites
Point rarement rencontré : l'avis de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) doit faire l'objet de prescriptions en sauvetage archéologique si nécessaire.
Considérant qu’aux termes de l’article R. 523-17 du code du patrimoine: « Lorsque des prescriptions archéologiques ont été formulées ou que le préfet de région a fait connaître son intention d'en formuler, les autorités compétentes pour délivrer les autorisations mentionnées à l'article R. 523-4 les assortissent d'une mention précisant que l'exécution de ces prescriptions est un préalable à la réalisation des travaux. Lorsque l'aménageur modifie son projet en application du 3° de l'article R. 523-15, les modifications de la consistance du projet indiquées par le préfet de région ont valeur de prescription. Si celles-ci ne sont pas de nature à imposer le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation, ou d'une demande de modification de l'autorisation délivrée, l'aménageur adresse au préfet de région une notice technique exposant le contenu des mesures prises. » ; qu’aux termes de l’article R. 214-16 du code de l’environnement, concernant les autorisations requises pour des opérations au titre de la loi sur l’eau : « Lorsque l'autorisation se rapporte à des ouvrages, travaux ou activités qui sont subordonnés à une étude d'impact, elle mentionne en outre que, dans le cas où des prescriptions archéologiques ont été édictées par le préfet de région en application du décret du 3 juin 2004 précité, la réalisation des travaux est subordonnée à l'accomplissement préalable de ces prescriptions. » ; que par sa lettre du 4 mars 2014, le directeur régional des affaires culturelles a relevé six ouvrages en zone A de présomption de prescriptions archéologiques où une autorisation de travaux du service régional de l’archéologie est nécessaire, et notamment les marais bordant le Moulin du Roy susceptibles d’avoir été occupés à l’époque préhistorique ; que, dès lors, l’arrêté du 5 août 2014 ne pouvait valoir autorisation au titre de la loi sur l’eau sans comporter des dispositions précisant que les travaux ne peuvent être entrepris avant l’achèvement des opérations relatives à l’archéologie préventive ; que le défaut de cette mention entache sa légalité ;

Nécessité d'une déclaration d'utilité publique pour divertir les eaux d'un chenal ancien
Moyen très intéressant : le juge considère que le chenal de dérivation (bief) étant ancien, il est assimilable à un cours d'eau non domanial et demande une déclaration d'utilité publique pour en altérer le cours (pas seulement une déclaration d'intérêt général). Donc les administrations qui classent aujourd'hui les biefs comme cours d'eau dans leur cartographie s'exposent à des contraintes fortes si elles veulent en modifier le débit.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 215-13 du code de l’environnement : « La dérivation des eaux d'un cours d'eau non domanial, d'une source ou d'eaux souterraines, entreprise dans un but d'intérêt général par une collectivité publique ou son concessionnaire, par une association syndicale ou par tout autre établissement public, est autorisée par un acte déclarant d'utilité publique les travaux. » ; que, compte tenu de l’ancienneté du chenal d’amenée des eaux au Moulin du Roy, datant de l’époque médiévale, la distraction d’une partie de ses eaux vers le marais des Ragouillis constitue une « dérivation » au sens de l’article précité ; que dès lors, les travaux ne pouvaient être autorisés sans avoir été déclarés d’utilité publique ; que l’absence de cette déclaration entache la légalité de l’arrêté attaqué

Nécessité de maintenir un débit minimum biologique dans un bief hébergeant la vie 
Même logique que le moyen précédent : si le bief héberge du vivant, alors on ne peut pas l'assécher et empêcher d'y garantir les conditions de la vie en permanence (principe du débit minimum biologique). 
Considérant, par ailleurs, qu’aux termes de l’article L. 214-18 du code de l’environnement : « I.-Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite. (...) » ; qu’en méconnaissance de ces dispositions, l’arrêté attaqué autorise la dérivation d’une partie indéterminée des eaux de la Boivre du chenal d’alimentation du Moulin du Roy vers le marais des Ragouillis, sans prescriptions permettant de garantir la permanence de la vie dans ce chenal

Nécessité d'une conformité au PLU pour les affouillements et exhaussements
Si le plan local d'urbanisme prohibe les exhaussements ou affouillements du sol sur certaines zones, un chantier de "renaturation" (qui mobilise des sédiments et modifie des profils à l'engin mécanique) sera tout aussi bien concerné qu'un chantier de construction. 
Considérant qu’aux termes de l’article L. 123-5 du code de l’urbanisme, relatif aux plans locaux d’urbanisme : « Le règlement et ses documents graphiques sont opposables à toute personne publique ou privée pour l'exécution de tous travaux, constructions, plantations, affouillements ou exhaussements des sols, pour la création de lotissements et l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. » ; que le marais des Ragouillis, où l’arrêté attaqué autorise des travaux d’affouillements, se trouve en zone N du plan local d’urbanisme de Montreuil-Bonnin, où sont interdits tous exhaussement ou affouillement du sol qui ne sont pas autorisés par un permis de construire ou d’aménager, et où ne sont autorisés que les aires de stationnement, les ouvrages nécessaires à l’irrigation, certains aménagements légers et les aménagements de constructions existantes, sous de nombreuses conditions ; que les travaux de remise en eau du marais des Ragouillis, n’entrant pas dans le champ de ces exceptions, ont été autorisés par l’arrêté attaqué en méconnaissance des dispositions du plan local d’urbanisme de la commune de Montreuil-Bonnin

Nécessité de justifier la non-atteinte aux intérêts entrant dans la gestion équilibrée et durable de l'eau
Ce considérant est rarement retenu: l'article L 211-1 CE fixant l'ensemble des usages de l'eau entrant dans sa "gestion équilibrée et durable", l'arrêté du préfet doit montrer que les intérêts liés à ces usages ne sont pas lésés. A noter que cet article L 211-1 CE a été récemment modifié et qu'outre l'agriculture, l'hydro-électricité, la pêche et divers usages, il inclut désormais également le stockage de l'eau et le respect du patrimoine hydraulique.
Considérant qu’aux termes de l’article L. 214-3 du code de l’environnement : «I.-Sont soumis à autorisation de l'autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d'accroître notablement le risque d'inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. Les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1, les moyens de surveillance, les modalités des contrôles techniques et les moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident sont fixés par l'arrêté d'autorisation et, éventuellement, par des actes complémentaires pris postérieurement. » ; que l’autorisation de l’article 2 de l’arrêté attaqué ayant été donnée au titre de l’article précité, devait fixer les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement ; que l’absence de ces prescriptions entache sa légalité.

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