26/12/2015

On peut construire ou reconstruire des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 1

Deux décisions judiciaires (Cour d'appel de Bordeaux et surtout Conseil d'Etat) viennent de mettre fin à une interprétation tendancieuse de la loi par l'administration. Le législateur n'a pas interdit de construire des ouvrages en rivières classées en liste 1, mais simplement demandé que ces ouvrages ne soient pas des obstacles à la continuité écologique. Ce qui s'apprécie au cas par cas, selon les enjeux locaux de l'environnement et les mesures compensatrices proposées par l'exploitant. Le choix des juges administratifs et conseillers d'Etat porte comme doctrine sous-jacente que les ouvrages hydrauliques sont appelés à disposer de fonctionnalités d'intérêt écologique, en aucun cas qu'ils doivent être interdits (ou détruits s'ils existent) sur le principe car ils nuiraient par nature à une intégrité biotique/morphologique de la rivière. C'est donc une évolution importante de la jurisprudence.

Les classements des rivières de 2012 et 2013 à fin de continuité écologique – qui sont toujours en examen contentieux, de manière indépendante des décisions commentées ici – soulèvent de vives oppositions. Certaines d'entre elles concernent les rivières classées en liste 1, soit que ce classement concerne des soi-disant "réservoirs biologiques" dont la justification scientifique est absente, soit qu'il implique des refus non motivés de projets hydro-électriques. C'est ce dernier point qui était en cause dans les cas jugés à Bordeaux et à Paris.


Cour d'appel de Bordeaux: un projet hydro-électrique est recevable s'il respecte les milieux
La SARL Olympe Energie s'était vue refuser par le Préfet l'autorisation de disposer de l'énergie des cours d'eau du Payfoch et du Gérul, sur le territoire des communes d'Axiat, Lordat et Garanou (Ariège). Un bon exemple des complications, entraves voire stigmatisations que subissent aujourd'hui les porteurs de projet en petite hydro-électricité, cela alors que la loi européenne sur la transition énergétique et les décisions prises à la COP21 devraient encourager le développement des énergies bas-carbone. Le tribunal de Toulouse, puis la Cour d'appel de Bordeaux (CAA de Bordeaux, n°15BX00459, 3 novembre 2015) ont donné raison à l'exploitant contre le Ministère de l'Ecologie.

Les magistrats relèvent notamment que dans le cas examiné:
  • l'ouvrage fonctionnera au "fil de l'eau", sans diminution de la masse d'eau;
  • les débits réservés seront respectés;
  • un suivi hydrologique sera réalisé pendant trois campagnes afin, le cas échéant, de pouvoir adapter le fonctionnement des installations aux éventuels impacts négatifs;
  • la population piscicole constituée de truites fario, estimée dans la zone en cause comme importante et bien équilibrée, est respectée par les prises d'eau et consignes de vannage;
  • aucune des espèces protégées susceptibles d'appeler des mesures spéciales sur le bassin du Gérul, à savoir le desman des Pyrénées, l'écrevisse à pattes blanches, l'euprocte des Pyrénées, le triton palmé, la salamandre tachetée et le grand tétras, n'a pu en fait être observée dans les tronçons concernés.
Donc seule l'appréciation par les faits (in concreto) permet de dire que l'exploitant respecte les milieux, et notamment la continuité écologique.

Conseil d'Etat: l'administration doit instruire toute demande de création d'ouvrage en liste 1
Le Conseil d'Etat vient de donner une portée plus générale à ce principe. France Energie Planète l'avait saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la Circulaire du 18 janvier 2013 et l’association s'est vue donner raison dans un arrêt du 11 décembre 2015 (CE n° 367116).

Dans la circulaire d'application incriminée, le Ministère de l'Ecologie prétendait que sur une rivière classée en liste 1, tout projet hydro-électrique créant un ouvrage pouvait être débouté "sans avoir à examiner des dossiers de demande d’autorisation ou de concession au cas par cas (…) sans qu’il y ait besoin d’instruire les dossiers de demande".

Le Conseil d'Etat annule cette disposition en précisant :
"que la construction d’un ouvrage sur un cours d’eau figurant sur la liste établie en application du 1° du I de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement ne peut être autorisée que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le respect de cette exigence s’apprécie au regard de critères énoncés à l’article R. 214-109 du même Code, qui permet d’évaluer l’atteinte portée par l’ouvrage à la continuité écologique ; que, par suite, en dispensant, de manière générale, les services compétents de l’instruction des demandes de construction de tout nouveau seuil et barrage sur ces cours d’eau, au motif que ces ouvrages constituent nécessairement des obstacles à la continuité écologique et ne peuvent par principe être autorisés, l’auteur de la circulaire a méconnu les dispositions applicables".
La haute juridiction administrative précise que cette interprétation vaut pour la reconstruction d'ouvrage autorisés mais tombés en ruine partielle ou totale:
"la reconstruction d’un ouvrage fondé en titre dont le droit d’usage s’est perdu du fait de sa ruine ou de son changement d’affectation ne peut légalement être regardée comme faisant par nature obstacle à la continuité écologique et comme justifiant le refus de l’autorisation sollicitée, sans que l’administration n’ait à procéder à un examen du bien fondé de la demande".

Nos commentaires
La Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie a lancé depuis un certain temps déjà une campagne de harcèlement des ouvrages hydrauliques, provoquant une crise de confiance sans précédent entre les riverains et l'administration. Il est heureux que les cours administratives aient limité les interprétations tendancieuses dans le cas des projets hydro-électriques sur rivières classées en liste 1 (ce qui dans notre département concerne par exemple le contentieux en cours du Moulin du Boeuf sur la Seine). Incidemment, le choix des conseillers d'Etat signale que l'objectif n'est pas la "renaturation" intégrale des rivières ou la préservation d'une "intégrité biotique" synonyme d'absence totale d'impact humain – sinon, le choix aurait été d'interdire tout ouvrage. On veut simplement que les ouvrages hydrauliques respectent certaines fonctionnalités d'intérêt écologique. C'est donc une inflexion importante de la jurisprudence, signalant une défaite du parti des effaceurs et des excommunicateurs au sein de l'appareil d'Etat.

Selon notre association, la DEB s'est également livrée à deux interprétations tendancieuses du classement en liste 2 dans sa circulaire de 2013 :
  • en prétendant qu'il revient au propriétaire de payer à ses frais des études de continuité en vue de faire des propositions (alors que la loi demande à l'administration elle-même de proposer des mesures de gestion, entretien et équipement, sans charge spéciale ou exorbitante, sur la base de preuves d'un impact) ; 
  • en prétendant que l'effacement (arasement, dérasement) est une solution que l'administration peut prescrire dans le cadre de la continuité écologique (alors que cette option est absente du texte de loi L 214-17 CE et qu'elle est limitée à des cas précis de déchéance du droit d'eau pour atteinte grave à la sécurité ou aux milieux). 
Nous appelons donc l'ensemble des propriétaires, riverains, exploitants et leurs associations ou syndicats à préparer le maximum de contentieux contre les dérives administratives en liste 1 comme en liste 2, cela jusqu'à temps que le gouvernement redéfinisse une doctrine équilibrée des ouvrages hydrauliques et sanctionne les insupportables dérives observées depuis quelques années.

Informez-vous, défendez-vous, engagez-vous !
Vade-mecum de l'association face aux effacements

Plus de 1300 élus, associations et personnalités demandent déjà un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Plusieurs dizaines de questions ont été posées au gouvernement par des députés et sénateurs inquiets des dérives en rivière et du désarroi des riverains. Diffusez le message et engagez vos représentants à rejoindre le mouvement. Nous porterons des propositions au Ministère en 2016.

Illustrations : paysages hydrauliques de la Seine en son bassin amont, où elle est classée liste 1 et liste 2. L'administration n'a pas le droit d'arguer du classement en liste 1 pour refuser d'examiner des projets hydro-électriques. Le seul bassin cote-dorien et aubois de la Seine et du chevelu de ses affluents compte plusieurs centaines d'ouvrages qui pourraient être équipés afin de produire une énergie locale et propre. Au lieu de cela, la DDT, l'Onema et le syndicat Sicec consacrent le plus clair de leur temps passé sur les ouvrages hydrauliques à compliquer la vie des propriétaires et riverains, à livrer des interprétations maximalistes de la continuité (comme à Vanvey) et à engager des projets de destruction sans motif écologique clair ni résultats probants (comme à Nod-sur-Seine ou à Essarois), le tout sur financement public d'une Agence de l'eau acquise sans aucun esprit critique aux dogmes de la continuité écologique. Ces pratiques punitives et destructives doivent cesser, pour laisser place à une politique ouverte et constructive sur l'avenir des ouvrages hydrauliques.

5 commentaires:

  1. A Vanvey, rien à voir avec la continuité écologique mais avec le respect des débits biologiques, comme d'habitude vous faites des amalgames erronés ainsi le tous pourri l'emporte. Je m’étonne d'une telle erreur vous qui habituellement êtes prompt à faire la leçon de droit. D'autres part, 2 ou 3 ouvrages arasés sur plusieurs centaines selon vos chiffres ne semble pas une politique très punitive ni acharnée.

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    1. Le débit minimum biologique fait bien évidemment partie des mesures de continuité écologique (continuité du débit dans le lit mineur). DDT, Onema et Sicec refusent de reconnaître les faits, à savoir que des mesures supposées bonnes pour les milieux ont provoqué des mortalités piscicoles (parce que DDT, Onema et Sicec refusent de sortir du dogme selon lequel un bief est forcément sans intérêt écologique).

      Quant aux chiffres d'arasement, si vous pensez qu'il y en aura 2 ou 3 en tout sur les 300 ouvrages classés L2 de Côte d'Or, c'est une bonne nouvelle. Bizarre parce que pour le moment, sur les seuls ouvrages traités par le Sicec en bassin sequanien, nous lisons davantage d'arasement / dérasement que de passes à poissons. Combien de dispositifs de franchissement versus effacement depuis 4 ans sur la Seine et affluents ? Idem pour Armançon, Serein, etc. ?

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    2. Nota pour les lecteurs : nous avons demandé au SICEC de publier l'ensemble des rapports d'activités des dernières années sur son site (les liens étaient inactifs), résultat on ne trouve plus qu'un seul RA 2014. Difficile dans ces conditions de faire la comptabilité des ouvrages effacés, ce qui se trouve dans les bilans annuels depuis la création du syndicat.
      http://www.contrat-sequana.fr/?page_id=237

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    3. Je viens de tomber sur cet article et j'avoue avoir beaucoup ri (jaune) : un moratoire sur des classements hérités de classements centenaires encore, qui étaient encore plus contraignants... quand accepterez-vous que dans certaines rivières l'eau, les sédiments et la faune doivent circuler librement ? Cet enjeu d'intérêt général ne vaut il pas de renoncer aux gains financiers de quelques particuliers ?

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    4. @Unknown 19:47 : la circulation de sédiments ou de poissons n'est pas en soi une question d'intérêt général, c'est une propriété morphologique et biologique de cours d'eau. Il faut examiner dans quels cas ou à quelles conditions elle correspond à cet intérêt général.

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