17/12/2015

Le Conseil d'Etat valide les dérives kafkaïennes du Ministère de l'Ecologie sur les ouvrages hydrauliques

Le décret du 1er juillet 2014 (voir notre commentaire à ce sujet, ainsi que ceux sur l'arrêté complémentaire du 11 septembre 2015 ici et ici) vient d'être validé en Conseil d'Etat, les fédérations de moulins ayant été déboutées de leur requête en annulation.  Cette nouvelle couche de contrainte et de contrôle, s'ajoutant à des dispositifs d'une complexité déjà écrasante, promet un pourrissement de la situation en bord de rivière. La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie persiste dans sa stratégie extrémiste : compliquer au maximum la vie des ouvrages hydrauliques pour pousser leurs propriétaires à en accepter la destruction, promue au titre de la continuité écologique. Cette politique est déjà un échec programmé au plan des résultats, car elle se fonde sur des postulats erronés. A défaut d'améliorer l'état des rivières, elle est en train de dégrader à vitesse vertigineuse les rapports des riverains à l'administration, et d'entamer la crédibilité même de l'action publique dans le domaine de l'eau.

Le seul point positif de l'arrêt n°384204 du Conseil d'Etat est l'interprétation de l'article R 214-51-1 CE, qui énonce :
I. - Sauf cas de force majeure ou de demande justifiée et acceptée de prorogation de délai, l'arrêté d'autorisation ou la déclaration cesse de produire effet lorsque l'installation n'a pas été mise en service, l'ouvrage n'a pas été construit ou le travail n'a pas été exécuté ou bien l'activité n'a pas été exercée, dans le délai fixé par l'arrêté d'autorisation, ou, à défaut, dans un délai de trois ans à compter du jour de la notification de l'autorisation ou de la date de déclaration.
On aurait pu craindre que l'administration tire argument de l'absence d'activité pendant 3 ans pour casser l'autorisation des ouvrages fondés en titre ou autorisés avant 1919. Cet argument est écarté par le Conseil d'Etat, qui précise que l'article R214-51 CE ne s'applique qu'aux autorisations nouvelles.

Des dispositions dont on peut craindre une grande difficulté d'application...
Le droit d'eau fondé en titre et sur titre persiste donc. Mais il est de plus en plus vidé de toute substance à mesure que l'administration s'arroge des pouvoirs de contrôle et de déchéance sur ce droit. Ainsi, le point manifestement négatif de l'arrêt est la validation de l'article R 214-18-1 CE, qui s'applique désormais sans modification de son énoncé initial :
"I.-Le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation d'installations ou d'ouvrages existants fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW sont portés, avant leur réalisation, à la connaissance du préfet avec tous les éléments d'appréciation.
II.-Le préfet, au vu de ces éléments d'appréciation, peut prendre une ou plusieurs des dispositions suivantes :
1° Reconnaître le droit fondé en titre attaché à l'installation ou à l'ouvrage et sa consistance légale ou en reconnaître le caractère autorisé avant 1919 pour une puissance inférieure à 150 kW ;
2° Constater la perte du droit liée à la ruine ou au changement d'affectation de l'ouvrage ou de l'installation ou constater l'absence d'autorisation avant 1919 et fixer, s'il y a lieu, les prescriptions de remise en état du site ;
3° Modifier ou abroger le droit fondé en titre ou l'autorisation en application des dispositions du II ou du II bis de l'article L. 214-4 ;
4° Fixer, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires dans les formes prévues à l'article R. 214-17."
Plusieurs personnes réfléchissent à la possibilité d'un recours européen contre cette décision. Nous verrons ce qu'il en est de la concevabilité et de la recevabilité d'une telle action.

Quel est l'objectif de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie avec cette disposition? Obliger le propriétaire de moulin ayant un projet à contacter les services de la Préfecture pour soit casser son droit d'eau (campagne déjà largement lancée après le classement des rivières), soit compliquer la restauration du site en multipliant les entraves et les prescriptions, de manière tout à fait disproportionnée à l'intérêt réel des milieux aquatiques (mais parfaitement proportionnée à la volonté très idéologique du Ministère de faire disparaître le maximum d'ouvrages, point que ne cachent pas à l'oral certains hauts fonctionnaires rédigeant ces textes).

Le non-respect de l'article R 214-18-1 CE entraîne une contravention de 5e classe qui coûte 1500 euros au maximum. En comparaison, faire venir la DDT et l'Onema chez soi par signalement au Préfet peut aujourd'hui faire perdre le droit d'eau du moulin (contesté pour ruine, non entretien, etc.) ou aboutir à des impositions de dispositifs coûtant des dizaines ou des centaines de milliers d'euros (ceux qui sont justement prévus dans l'arrêté de 2015). Nous n'appelons évidemment pas nos lecteurs à désobéir à la réglementation, mais nous soulignons que beaucoup de personnes pourraient être tentées de le faire au regard du caractère déraisonnable, excessif et partial que prend parfois l'action administrative. Si le fait de contacter une administration déchaîne des procédures de rétorsion sans mesure ni proportion, les gens éviteront tout simplement de le faire...

Ce problème nous paraît d'autant plus aigu qu'il est fort difficile de distinguer entre des travaux (libres) de "nettoyage", "bricolage", "dépoussiérage" d'une part, des travaux (appelant déclaration au Préfet) de "confortement", "remise en eau", "remise en exploitation" d'autre part. Le Conseil d'Etat n'a pas jugé ces points ambigus ou flous, nous pensons qu'ils le sont manifestement : va-t-on déranger le Préfet à chaque fois qu'on prend une pioche ou qu'on serre un boulon? En ce qui nous concerne, nous nous garderons d'émettre un avis public sur ces subtilités sémantiques, mais nous discuterons de ces points avec chacun de nos adhérents et, en fonction de leur situation, nous leur donnerons les conseils que nous estimons les plus avisés pour défendre leurs droits et leurs libertés dans le respect d'une interprétation raisonnable des dispositions réglementaires.

Il faut aussi rappeler aux lecteurs ignorant les subtilités de la bureaucratie aquatique que tous les travaux en lit mineur et en berge sont déjà encadrés par un régime complexe de déclaration et autorisation (régime dit IOTA loi sur l'eau de l'article R214-1CE), de sorte que le dispositif ajoutant sans cesse de nouvelles couches aux anciennes est de moins en moins lisible. Nul n'est censé ignorer la loi, disait l'adage antique quand ces lois étaient peu nombreuses. Mais quand la loi commune est devenue une immense boursouflure réglementaire ad hoc, créée par des hauts fonctionnaires ayant manifestement perdu tout garde-fou démocratique et tout sens des réalités, il est à peu près impossible d'exiger sa connaissance et son respect jusque dans les moindres détails.

Vers un pourrissement et un durcissement des rapports aux DDT(-M) et à l'Onema: la DEB en aura pris toute la responsabilité
A travers les dispositions de ce décret de 2014 et de son arrêté complémentaire de 2015, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie a suivi sa mauvaise habitude : pourrir la situation des moulins et étangs (plus généralement des ouvrages) en faisant supporter à ses services déconcentrés (DDT) et ses services techniques d'évaluation (Onema) le poids de ce pourrissement.

Car il faut être clair : quand l'administration vous désigne de manière constante, répétitive et compulsive comme un soi-disant ennemi de la rivière, quand cette administration met tout en place pour détruire votre propriété ou vous accabler de dépenses au coût exorbitant, elle ne doit pas s'attendre à autre chose qu'un durcissement de la situation au bord de l'eau.

La validation formelle par le Conseil d'Etat de ce décret de 2014 ne fait que conforter le diagnostic sévère que nous portons déjà :
  • l'encadrement administratif et le matraquage réglementaire étouffent toute activité en rivière, en particulier dans le domaine des seuils et barrages de moulins et usines à eau;
  • la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie est responsable de dérives graves et répétées visant à décourager la restauration du patrimoine hydraulique français et finalement à le détruire, aggravant l'absurdité de son action par l'hypocrisie de son déni ;
  • le caractère extrémiste, non démontré et non concerté des choix de continuité écologique en particulier provoque une incompréhension généralisée en dehors du petit cercle des lobbies et instances subventionnés par ledit Ministère, qui ne représentent nullement l'ensemble de la société civile;
  • propriétaires, exploitants, usagers et riverains sont littéralement excédés par le harcèlement dont ils sont victimes, et la résistance à ce qui est désormais perçu comme une oppression administrative permanente ne pourra prendre que des dimensions de plus en plus conflictuelles;
  • nous appelons nos élus à mesurer la perte grave d'équilibre, de crédibilité et de légitimité de l'action publique, pour rejoindre plus de 1200 grandes signatures qui appellent déjà à cesser les dérives dans le domaine des ouvrages hydrauliques. 
Associations : il ne faut plus seulement se défendre, mais répondre coup pour coup aux dérives administratives.  C'est de votre vigueur que dépend le reflux de l'arbitraire et de la manipulation entourant les dispositions adverses sur les ouvrages hydrauliques. 

Illustration : DR

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire