14/09/2017

Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)

Une équipe de chercheurs écossais vient de montrer par un suivi radiotélémétrique que les saumons atlantiques parviennent à franchir un ouvrage de moulin sur la rivière Mourne tout en évitant pour 92% d'entre eux d'utiliser les passes Denil et Larinier installées sur la chaussée. L'ouvrage hydraulique est pourtant considéré comme "infranchissable" selon les critères d'évaluation en vigueur. Cette étude rappelle que nos connaissances sur l'écologie des poissons sont encore loin d'être consolidées. Elle incite à une certaine modestie là où nous entendons trop souvent des propos définitifs et inexacts sur l'impact des moulins et autres petits ouvrages hydrauliques.

Le bassin versant de la rivière Foyle (4450 km2), au nord-ouest de l'Irlande, est une zone spéciale de conservation pour le saumon atlantique (Salmo salar). Son principal affluent, la Mourne, compte de nombreux obstacles sur son linéaire. Le premier d'entre eux à l'aval est au moulin de Sion. La chaussée de ce moulin est large de 265 m, formant un angle de 50° avec la rivière et détournnant l'eau vers un bief qui alimente une petite usine hydro-électrique.

Lentement altérée par le temps, la chaussée du moulin de Sion forme un dispositif complexe, avec plusieurs voies de passage. Le parement aval du seuil forme une pente de 9,5 à 24% selon les zones, sur une longueur de 13 à 22 m. Sur une de ses extrémités il existe une fosse d'environ 1 m de profondeur. La chaussée est aussi équipée de deux passes à poissons, une à chacun de ses bords (une passe dite Denil et une autre dite Larinier), avec deux chenaux d'attraction à l'aval pour y conduire les saumons remontants.


Le profil du seuil analysé, extrait de Newton et al 2017, art cit, droit de courte citation.

M. Newton et ses trois collègues de l'Université de Glasgow (Scottish Centre for Ecology & the Natural Environment) ont analysé en détail le comportement des saumons atlantiques pendant leur montaison de fraie, en 2012 et 2013. Ils ont sélectionné des poissons ne présentant aucun signe de maladie ni blessure, les ont taggés et équipés d'un dispositif de radiotélémétrie. Des capteurs ont été placés à différents endroits de la chaussée du moulin pour mesurer le détail des comportements de montaison.

Sur 132 poissons taggés (longueur moyenne 609,2 mm ± 41,65), 51 ont pu être suivis. Parmi eux 40 (77%) ont réussi le franchissement de l'obstacle. Sur les 11 poissons n'ayant pas réussi, un a tenté mais a échoué, les 10 autres n'ont pas essayé et sont repartis vers l'aval. Seules 36 mesures sur les 40 succès se sont révélées interprétables spatialement.

Concernant les données comportementales, les chercheurs notent :

  • 46% des saumons ont franchi au premier essai, 43% au second essai. Les autres ont eu besoin de 3, 5, 7 ou 11 tentatives,
  • le temps moyen de passage était de 561 minutes, mais le temps médian de 132 minutes,
  • 8,2% des observations se sont faites à l'entrée des chenaux de passes à poissons mais l'essentiel de ces observations viennent d'un seul poisson,
  • 3 poissons ont utilisé la passe Denil, aucun la passe Larinier,
  • 33 sur 36 franchissements se sont faits directement sur la pente du seuil de moulin dans la zone centrale 4 (la plus difficile physiquement, avec un premier saut épuisant l'impulsion, suivi d'une course sur pente forte de 13%),
  • les poissons les plus grands et les plus gras ont tendanciellement un peu moins de chance de réussir le passage.

Les chercheurs écossais observent que selon les critères de franchissabilité utilisés au Royaume-Uni pour l'évaluation des obstacles à la migration, la chaussée du moulin de Sion serait considérée comme un obstacle infranchissable pour les saumons adultes : "l'évaluation les obstacles reste un défi pour les ichtyo-biologistes".

Discussion
Le travail de M. Newton et de ses collègues ne vient pas comme une surprise. Les ouvrages hydrauliques anciens des moulins ont probablement tendance à limiter et retarder la migration des saumons, agissant comme un filtre sélectif sur les poissons ayant de moindre capacité de nage et de saut. Mais des témoignages historiques abondants montrent que ces ouvrages n'ont pas été des barrières totales à la migration, la disparition des grands migrateurs en tête de bassin coïncidant avec l'émergence de la moyenne et grande hydraulique moderne de navigation et d'énergie (voir cet exemple sur le bassin de Loire). Le même phénomène s'observe au demeurant pour les anguilles, dont le récent déclin n'est nullement corrélé à l'existence d'ouvrages pluricentenaires sur les rivières (voir par exemple Clavero et Hermoso 2015).

Concernant les passes à poissons et les estimations de franchissabilité, il est intéressant d'observer que les connaissances sont encore loin d'être consolidées. Les ouvrages soumis à une obligation de franchissement pour le saumon comme espèce cible prioritaire gagneront à citer ce travail de Newton et al. dans le cadre de la procédure contradictoire, afin que les services en charge de l'environnement apportent des éléments probants sur la nécessité et la proportionnalité des dispositifs coûteux. Il n'empêche que les passes à poissons non spécialisées en grands migrateurs peuvent avoir des intérêts pour le brassage des autres espèces, comme l'avait montré par exemple le travail de Bénitez et al 2015.

Autant les impacts de la grande hydraulique ont été abondamment étudiés depuis plusieurs décennies, quoique souvent sous un prisme halieutique qui n'en épuise pas les effets sur la biodiversité, autant la petite hydraulique reste le parent pauvre de l'écologie scientifique des rivières. Il est dommage que la France prétende se doter de politiques ambitieuses et coûteuses en ce domaine sur la base de connaissances lacunaires et monodisciplinaires. Une gestion intelligente des bassins versants demande davantage de rigueur, de recul et d'ouverture d'esprit dans l'appréciation des différentes dimensions de la rivière et de son évolution historique.

Référence : Newton M et al (2017), The impact of a small-scale riverine obstacle on the upstream migration of Atlantic Salmon, Hydrobiologia, e-pub, DOI 10.1007/s10750-017-3364-3

4 commentaires:

  1. l'effacement est la seule passe à poissons efficace ! Heureusement les saumons sautent plus haut que les autres poissons et qu'ils peuvent franchir quelques ouvrages quand ils ne sont pas trop hauts, nombreux ou quand le débit de la rivière n'est pas un débit réservé par rapport à la date de création des ouvrages. Sinon ils auraient totalement disparus. Nous savons sur les rivières où ils remontent un peut où se situent les points bloquants et il s'agit systématiquement de barrages.

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    1. Un classement de continuité intelligent est celui qui adresse vos "points bloquants" pour les espèces d'intérêt, pas celui qui classe des rivières entières et efface un peu au hasard, parce qu'il y a une pelleteuse et un budget. On ne reviendra pas aux rivières telles qu'elles étaient voici quelques siècles ou millénaires, autant en faire son deuil qu'entretenir la coûteuse illusion d'une "renaturation" généralisée. On en est même aujourd'hui à pêcher des saumons du Pacifique dans la Canche, alors ne rêvons pas sur les livres d'image du temps passé! Il y a simplement des fonctionnalités à restaurer (ici montaison), à condition qu'elles aboutissent à des résultats sur la cible et sans effet négatif sur le reste (par exemple la diffusion rapide des invasives, exotiques, souches d'élevage, régulièrement citée dans la littérature scientifique comme un problème afférent à la continuité en long).

      Après, le retour du saumon sur le maximum de rivières est principalement exigé par une classe d'usagers, les pêcheurs. Il intéresse aussi des naturalistes, qui ne sont pas bien nombreux dans la population. La loi vise l'intérêt général et n'a pas à pénaliser certains citoyens pour faire plaisir à d'autres, ni à engager des dépenses sans proportion au bénéfice retiré, que celui-ci soit écologique ou social. Que quelques rivières dont on estime qu'elles seront épargnées par le changement hydroclimatique redeviennent des pépinières à saumons (à supposer que ceux-ci continuent de descendre au Sud comme aujourd'hui), c'est très bien. Que l'on veuille sauver la souche préservée du saumon de la Loire et ses migrations à très longue distance, cela se conçoit. Mais que l'on exige d'avoir très rapidement des saumons jusqu'à la source de chaque rivière où ils étaient historiquement attestés, c'est bien trop extrémiste comme objectif, cela représente des coûts, des contraintes et des nuisances pour trop de gens par rapport à l'intérêt intrinsèque de la démarche. Restaurons déjà des rivières pilotes, faisons le bilan coût-bénéfice des opérations, analysons la durabilité des retours et des assemblages, on verra ensuite. Quand on voit les budgets limités de l'écologie par rapport à la somme des besoins, au grand nombre d'espèces et milieux menacés, au coût faramineux de transition vers une agriculture et d'une énergie durables, il faudrait que certains n'aient pas les yeux plus gros que le ventre...

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  2. 51 poissons suivis 11 qui ne franchissent pas le 1 er obstacle sur cet affluent. Vous avez raison, il serait temps d'étudier cela de plus près. Quand un obstacle bloque 20 % des poissons ayant la plus grosse capacité de nage et de saut, on peut s'interroger sur les autres espèces et sur l'impact réel des petits seuils. Votre article est tronquée, rien sur les débits au moment de l'etude, rien sur l'état réel de l'ouvrage, rien sur les populations de saumons du cours principlal et sur l'état des populations sur ce bassin versant. Rigueur...

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    1. Vous avez le lien en bas pour lire l'article complet, qui se trouve être en open access. Nos articles donnent quelques résultats essentiels et insistent sur ceux que nous avons envie de commenter, ils n'ont pas vocation à reproduire la totalité du contenu des recherches. On peut "s'interroger" sur des tas de choses, et cela tombe bien, c'est le travail des scientifiques payés à cette fin par la société.

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