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18/02/2024

Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Dans l'article publié le 5 février 2024 (Bien Public), la nouvelle maire de Longvic, Céline Tonot, discute des priorités de la ville. Elle mentionne l'impossibilité de remettre en eau un bief pour des raisons réglementaires, contrairement aux engagements antérieurs, alors qu'une crue avait partiellement emporté un seuil de répartition des eaux de l'Ouche. Notre association réagit.


© Damien Rabeisen / France 3 Bourgogne

Commentaire de l'association Hydrauxois
Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Suite à l'article paru le 5 février 2024, il est nécessaire de rectifier certaines informations concernant le projet de remise en eau du bief à Longvic. José Almeida, l'ancien maire, s'était engagé à cette remise en eau avant la fin de son mandat, selon le BP du 7 mars 2023. Hélas, il n'en a rien été, les dossiers sur l'eau étant toujours entravés en France par un harcèlement normatif peu gérable. Contrairement aux déclarations de Céline Tonot, la nouvelle maire, aucune considération réglementaire ne s'oppose formellement à ce projet. En effet, le site est soumis à l'obligation de rétablir la continuité écologique, ce qui inclut la protection des poissons et des sédiments, mais la loi et la jurisprudence permettent de reconstruire totalement ou partiellement un ouvrage.

Il serait inexact  d'affirmer que la loi demande la destruction du bief ou de l’ouvrage; aucune loi ne le stipule. Au contraire, les moulins et leurs ouvrages sont protégés par la législation depuis la loi de 2021 ayant réformé l'article L 214-17 du code de l'environnement, interdisant même l'obtention de subventions pour leur destruction. Ce moulin de Longvic, fondé sur titre en 1858, avec son bief, représente un patrimoine à valoriser pour ses aspects culturels, historiques, et écologiques. Il contribue à la gestion des risques d'inondation en servant de bras secondaire à la rivière Ouche. Il abrite une faune et une flore spécifiques.

La remise en eau du bief offrirait un espace de refuge pour la faune aquatique en période de sécheresse et permettrait la production d'énergie renouvelable, comme le démontre l'exemple de Plombières-les-Dijon qui relance un projet hydro-électrique. En 1921, la puissance du moulin était de 89,2 kW, preuve de son potentiel énergétique notable. La loi française demande aux collectivités de développer les énergies renouvelables sur leur territoire, or l'énergie de l'eau est parmi les plus populaires : il appartient aux élus de l'inventorier et d'aider à la développer.

Notre volonté de voir un projet alternatif se réaliser reflète l'intérêt patrimonial, écologique, et énergétique que représente le bief pour Longvic et ses habitants. Nous appelons les citoyens à se manifester en ce sens.

19/11/2022

Les habitats aquatiques humains et la conservation des moules d’eau douce (Sousa et al 2021)

Des chercheurs ont passé en revue la littérature scientifique et documenté que les habitats anthropiques (retenues, canaux, plans d’eau) pouvaient servir à plus de 200 espèces de moules d’eau douce, dont 34 espèces menacées sur les listes rouges de l’UICN. Mais ces habitats ont un intérêt dépendant de leur gestion : parfois ils peuvent devenir des pièges écologiques si leurs manoeuvres hydrauliques ou leurs abandons produisent des détériorations de milieux ou des mortalités. Les chercheurs soulignent qu’il est devenu urgent de documenter systématiquement les peuplements des habitats aquatiques d’origine humaine, ainsi que de travailler à des règles d’aménagement et gestion favorables au vivant. C’est la position de notre association. Et ce qui est dit ici des mollusques concerne aussi bien les invertébrés, les poissons, les amphibiens, les oiseaux, les mammifères… Sortons au plus vite de l’opposition stérile entre naturel et artificiel qui conduit à négliger une part importante des milieux aquatiques et humides, voire à assécher ces milieux en dehors de toute précaution et réflexion. 

Exemple d’habitats anthropiques colonisés par les moules d’eau douces : biefs de moulins à eau, canaux d’usine ou d’irrigation, étangs et plans d’eau…. Extrait de Sousa et al 2021

Trente-six spécialistes de la conservation des moules d’eau douce viennent de publier une synthèse sur les connaissances concernant le rôle des habitats anthropiques.

Voici le résumé de leur étude : 
«Les habitats anthropiques d’eau douce peuvent offrir des perspectives sous-évaluées de conservation à long terme dans le cadre de la planification de la conservation des espèces. Cette question fondamentale, mais négligée, nécessite une attention particulière compte tenu de la vitesse à laquelle les humains ont modifié les écosystèmes d’eau douce naturels et des niveaux accélérés de déclin de la biodiversité au cours des dernières décennies. Nous avons compilé 709 enregistrements de moules d’eau douce (Bivalvia, Unionida) habitant une grande variété de types d’habitats anthropiques (des petits étangs aux grands réservoirs et canaux) et examiné leur importance en tant que refuges pour ce groupe faunique. La plupart des enregistrements provenaient d’Europe et d’Amérique du Nord, avec une nette dominance des canaux et des réservoirs. L’ensemble de données couvrait 228 espèces, dont 34 espèces menacées figurant sur la Liste rouge de l’UICN. Nous discutons de l’importance de la conservation et fournissons des conseils sur la façon dont ces habitats anthropiques pourraient être gérés pour assurer une conservation optimale des moules d’eau douce. Cet examen montre également que certains de ces habitats peuvent fonctionner comme des pièges écologiques en raison de pratiques de gestion contraires à la conservation ou parce qu’ils agissent comme un puits pour certaines populations. Par conséquent, les habitats anthropiques ne devraient pas être considérés comme une panacée pour résoudre les problèmes de conservation. Il est nécessaire de disposer de plus d’information pour mieux comprendre les compromis entre l’utilisation humaine et la conservation des moules d’eau douce (et d’autres biotes) dans les habitats anthropiques, compte tenu du faible nombre d’études quantitatives et du fort biais des connaissances biogéographiques qui persiste.»
Les travaux recensés dans ce passage en revue montre que l’on trouve des moules d’eau douce et notamment des espèces protégées dans des milieux anthropiques très divers : «Nos données indiquent que les moules d’eau douce peuvent coloniser les canaux (y compris les  canaux d’irrigation, de transport et de refroidissement, des moulins à eau et les fossés), les rivières canalisées, les réservoirs (y compris les  réservoirs d’exploitation minière), les  étangs artificiels, les lacs artificiels (y compris les lacs  urbains et  les gravières), les  rizières, les bassins de navigation et les ports».

Mais l’étude des chercheurs montre l’importance du cas par cas. Il n’y a pas de règles prédéfinies : des aménagements de rivières peuvent agir comme refuges et d’autres comme pièges ou comme dégradations. 

Par exemple, un ouvrage mal géré peut entraîner des mortalités de moules, comme cet exemple de vidange intempestive de réservoir :


Ou bien encore, un habitat anthropique peut se dégrader faute d’entretien ou à cause de pollution, et en ce cas sa fonction de refuge de biodiversité est perdue, comme l’illustre cet autre exemple :


Ces spécialistes de la biodiversité insistent néanmoins sur le fait qu’il est impossible désormais de négliger l’importance des habitats anthropiques dans la conservation de biodiversité, ce qui est l’objet principal de leur article :
« Dans un monde presque totalement dominé par l’homme et ses infrastructures, il ne fait aucun doute que les habitats anthropiques augmenteront en nombre et en étendue spatiale à l’avenir. Par exemple, 3700 barrages hydroélectriques de plus de 1 MW sont actuellement proposés ou en construction, et de nombreux autres barrages de plus petite taille devraient être construits pour répondre à la demande mondiale croissante d’énergie, de contrôle des inondations et d’irrigation (Thieme et al., 2020; Zarfl et coll., 2015). Une situation similaire est vraie pour les canaux, car, par exemple, des dizaines de mégaprojets de transfert d’eau (c’est-à-dire des interventions d’ingénierie à grande échelle pour détourner l’eau à l’intérieur des bassins fluviaux et entre ceux-ci; Shumilova et al., 2018) sont prévus dans un avenir proche (Daga et al., 2020; Shumilova et coll., 2018; Zhan et coll., 2015; Zhuang, 2016). Par conséquent, l’importance écologique, conséquente et socio-économique des habitats anthropiques ne doit pas être ignorée et devrait augmenter.

Les fonctions sociales et les services des habitats anthropiques peuvent changer au fil du temps, et influencer les objectifs de gestion. Par exemple, le passage d’une focalisation sur la navigation commerciale à des activités récréatives et à la préservation du patrimoine, ou le remplacement des anciens canaux d’irrigation par des technologies d’irrigation modernes, peut entraîner la désactivation ou même la destruction de certains habitats anthropiques (Hijdra et coll., 2014; Lin et coll., 2020; Walker et coll., 2010). Ces situations doivent être soigneusement évaluées, car certains de ces habitats anthropiques peuvent être colonisés par des moules d’eau douce et d’autres espèces présentant un intérêt pour la conservation. 

Les différences environnementales et biologiques entre les habitats anthropiques et naturels sont dans certains cas mineures et peuvent souvent être surmontées par l’ingénierie écologique, afin de rendre l’environnement plus approprié pour les moules d’eau douce et d’autres espèces endémiques, et/ou d’assister la dispersion pour permettre aux organismes endémiques appropriés d’atteindre ces écosystèmes artificiels (Lundholm et Richardson, 2010). Parfois, des activités mineures d’ingénierie écologique peuvent créer des habitats propices à la conservation de la biodiversité (par exemple, l’ajout de substrats appropriés et le contrôle des hydropériodes) qui imitent les conditions naturelles. La mise en œuvre de mesures susceptibles d’accroître l’hétérogénéité de l’habitat (ajout de bois ou de gros rochers, augmentation des refoulements) et l’utilisation de matériaux plus respectueux de l’environnement dans les cours d’eau canalisés (par exemple, dépôt de substrat avec des granulométries appropriées, utilisation de matériaux perméables autres que le béton) peuvent mieux convenir aux moules d’eau douce (et d’autres espèces) et même améliorer les services écosystémiques tels que la lutte contre les inondations et l’attrait des loisirs (Geist, 2011). Il y a beaucoup à apprendre sur ce sujet des habitats anthropiques situés dans des écosystèmes marins (voir par exemple Strain et al., 2018). De même, une gestion prudente des niveaux d’eau dans ces habitats anthropiques en utilisant, par exemple, des techniques de télédétection pour évaluer les changements spatiaux et temporels de l’hydropériode (voir Kissel et al., 2020; encadré 3), en particulier dans des conditions de sécheresse, peut être essentiel pour réduire la mortalité. En fait, de nombreux barrages disposent déjà de programmes en place de surveillance des données à petite échelle pour s’assurer que les niveaux d’eau n’atteignent pas des niveaux critiques et ces programmes peuvent être utilisés pour mieux gérer les niveaux des rivières et réduire la mortalité des moules. »

En piste pour la recherche, voici les propositions des auteurs :
« Notre compréhension de la façon dont les habitats anthropiques affectent les moules d’eau douce en est à ses balbutiements, avec plus de questions que de réponses (c.-à-d. certains exemples montrant leur importance pour la conservation et d’autres montrant leur rôle en tant que pièges écologiques). Par conséquent, des comparaisons écologiques minutieuses devraient être effectuées en tenant compte des échelles spatiales et temporelles appropriées. La connectivité et le temps écoulé depuis la construction peuvent être des aspects clés auxquels il faut prêter attention, car nous prévoyons qu’une connectivité accrue et des structures plus anciennes permettront la succession à une communauté plus stable, avec une augmentation de la diversité et de l’abondance des espèces de moules d’eau douce. Un autre aspect clé à prendre en compte est le type de matériau utilisé dans la construction de ces structures. Par exemple, on s’attendrait à ce que la valeur de conservation d’un canal entièrement en béton soit très différente de celle d’un canal contenant des sédiments naturels. Pour une espèce benthique, telle qu’une moule d’eau douce, cette situation devrait être soigneusement évaluée et guider la mise en œuvre future de solutions fondées sur la nature (voir Palmer et coll., 2015). Compte tenu de la prédominance des structures en béton dans les écosystèmes aquatiques et de leurs effets négatifs sur de nombreux aspects écologiques (pour une revue, voir Cooke et al., 2020), les études futures devraient viser à développer des matériaux plus respectueux de l’environnement et plus durables. Ces nouveaux matériaux, y compris le béton plus perméable et les matériaux fibreux tels que les cordes floues (Cooke et al., 2020), peuvent bénéficier non seulement au biote, mais aussi aux humains (par exemple grâce à un cycle biogéochimique amélioré), avec des coûts environnementaux, sociaux et économiques plus faibles (Palmer et al., 2015).

Les recherches futures devraient comprendre l’élaboration de programmes de surveillance axés sur la comparaison des habitats anthropiques avec les écosystèmes naturels adjacents. Des outils nouveaux et émergents tels que les technologies de télédétection et l’ADN environnemental peuvent être d’une grande aide non seulement pour détecter les espèces rares et envahissantes, mais aussi pour caractériser les écosystèmes terrestres adjacents (Prié et al., 2020; Togaki et coll., 2020). Les données générées par de nouvelles techniques de télédétection, telles que l’imagerie aérienne pour estimer la surface et l’hydropériode (voir Kissel et al., 2020), peuvent être essentielles pour améliorer la comprendre la dynamique hydrologique des habitats anthropiques. Dans le même ordre d’idées, étant donné que les habitats anthropiques sont affectés par des facteurs de stress mondiaux, tels que la perte d’habitat, la pollution, les espèces envahissantes et le changement climatique, leurs effets devraient être évalués simultanément. 

La valeur sociale des habitats anthropiques est également particulièrement importante à évaluer à l’avenir, en utilisant, par exemple, les connaissances écologiques locales et l’i-écologie ainsi que des outils culturomiques (voir Jarić et al., 2020; Sousa et al., 2020) pour déterminer comment le grand public perçoit ces habitats en termes de conservation de la biodiversité. De plus, les études évaluant les réponses fonctionnelles, telles que les taux de filtration, le cycle des nutriments et la bioturbation dans les écosystèmes anthropiques par rapport aux écosystèmes naturels, sont totalement inexistantes et ces lacunes limitent notre compréhension des réponses fonctionnelles des moules d’eau douce à ces infrastructures. Enfin, et bien que complètement spéculatives compte tenu de l’inexistence d’études, ces structures anthropiques aquatiques pourraient avoir des implications évolutives (voir Johnson & Munshi-South, 2017; Schilthuizen, 2019 pour les zones urbaines). Les moules d’eau douce pourraient s’adapter à ces habitats anthropiques, et cette situation pourrait être extrêmement intéressante à étudier à l’avenir. » 
Discussion
Le travail de Sousa et de ses collègues rejoint une littérature croissante qui appelle à prendre en considération les milieux aquatiques et humides d’origine artificielle, dit aussi anthropiques (voir recensions de Lin 2020, Koschorrek et al 2020, Zamora-Martin et al 2021). Car le travail fait ici sur les moules peut être étendu à d’autres mollusques, aux invertébrés, aux poissons, aux amphibiens, aux oiseaux, aux mammifères, aux végétaux. 

La France accuse un retard évident en ce domaine, comme on a pu le voir dans les campagnes de restauration de continuité longitudinale fondées sur une indifférence totale et un assèchement massif de milieux anthropisés – une politique faisant perdre, et non gagner, de la surface aquatique et humide. 

L’idée qu’un habitat d’origine artificielle serait sans intérêt biologique est pourtant contredite par les faits, de plus en plus massivement à mesure que la recherche progresse. Il en résulte d’abord que détruire ou perturber de tels habitats sans précaution n’est pas souhaitable pour ce qui concerne la gestion des milieux aquatiques et humides. Il en résulte ensuite qu’avant de vouloir systématiquement «renaturer» des milieux anthropisés au risque de les assécher, comme la restauration tend parfois à le faire de manière précipitée, systématique et avec peu de connaissances, le plus urgent serait déjà de les étudier et de proposer lorsque c’est possible quelques règles écologiques de bonne gestion. 

Ces travaux en écologie de conservation devraient être phasés avec ceux d’économistes pour aller plus loin. En effet, la gestion attentive à la biodiversité représente presque toujours des contraintes nouvelles de temps et d’argent, parfois des budgets conséquents. Le particulier ou le professionnel qui dispose d’un habitat d’intérêt ne pourra pas aller loin s’il supporte de tels coûts sans aide ni compensation. Les paiements pour services écosystémiques, tels que l’on commence à les proposer dans le cadre agricole, peuvent être des voies à creuser. 

Enfin, notre association recevant souvent des plaintes de riverains d’habitats anthropiques menacés d’assèchement et de destruction (canaux, étangs, plans d’eau), nous rappelons que le code de l’environnement ne distingue pas les milieux aquatiques ou les zones humides selon leur origine (naturelle, artificielle). Tout projet qui menace un tel habitat doit commencer par un diagnostic de biodiversité et une étude d’impact des options proposées : en cas d'indifférence, le rappel doit en être fait au maître d'ouvrage avec copie au préfet et au procureur. Si cet habitat est dégradé de manière intentionnelle, durable et sans précaution, une plainte peut être déposée. N'hésitez pas à nous signaler par courrier des menaces, particulièrement sur les hydrosystèmes de types plans d'eau et canaux.

Référence : Sousa R et al (2021), The role of anthropogenic habitats in freshwater mussel conservation, Global Change Biology, 27, 11, 2298-2314

03/11/2022

Biefs et canaux, les grands oubliés du débat sur la continuité des rivières

Le débat sur la continuité écologique des rivières s'est focalisé sur l'ouvrage hydraulique barrant le lit mineur, que ce soit une chaussée, un seuil ou un barrage. Eventuellement sur sa retenue en amont. Mais on a oublié que dans de nombreux cas, cet ouvrage dérive un canal appelé bief ou béal. Il sert à la production d'énergie dans le cas des moulins, à l'irrigation dans le cas de l'agriculture traditionnelle, parfois à des agréments urbains lorsque le canal traverse la ville. Dans les campagnes, il n'est pas rare que le bief soit de bonne longueur et représente à lui seul un milieu aquatique avec des marges humides. Mais les services instructeurs de la biodiversité montrent souvent une indifférence complète à cette réalité. Le motif de ce mépris: tout ce qui est "artificiel" n'aurait aucun intérêt, le seul objectif est la rivière "naturelle". Une erreur dont il faut sortir, y compris pour conseiller les propriétaires et riverains de canaux et biefs sur la bonne gestion écologique et hydraulique de ce milieu.



Le mot bief (langue d'oïl) ou béal (langue d'oc) désigne un canal dérivé d'un ouvrage hydraulique sur la rivière. Le plus souvent, ce canal dessert un moulin, qui produisait (ou produit encore) de l'énergie à partir d'une chute. Ce peut être aussi une usine hydro-électrique. La fonction du bief est alors de créer une chute, de hauteur à peu près équivalente au dénivellé entre la prise d'eau du bief en amont et la restitution d'eau du bief en aval. Parfois, le canal sert à l'irrigation et dérive dans des parcelles agricoles qui se partagent un droit d'usage de l'eau (béalières du Midi, par exemple). Il arrive aussi que les ouvrages hydrauliques servent à des canaux urbains, jadis pour des usages usiniers et des évacuations de déchets, désormais surtout avec des fonctions d'agrément, de fraîcheur en été parfois d'arrosage des jardins.

La longueur des biefs est très variable. Certains ouvrages dérivent un canal d'une dizaine de mètres seulement, juste pour permettre la chambre d'eau ou le radier de roue d'un moulin. Mais parfois le canal peut faire plusieurs kilomètres. A notre connaissance, il n'existe aucune statistique disponible sur le linéaire total des biefs et canaux en France.

Les canaux et biefs sont les grands oubliés des discussions sur les ouvrages hydrauliques, la continuité écologique et la restauration de rivières. Les analyses se focalisent sur l'ouvrage barrant le lit mineur de la rivière (seuil, chaussée , barrage), sur la retenue / plan d'eau d'eau dans le lit mineur de la rivière, mais le bief lui-même est rarement considéré. Dans les travaux de bureaux d'études procédant à la restauration de continuité écologique, le bief est mentionné mais il est très souvent laissé de côté et ne fait l'objet d'aucune investigation poussée. 
  • On n'étudie pas sa longueur, sa profondeur, ses berges, ses sédiments, sa faune ni sa flore, son hydraulicité. 
  • On ne regarde pas s'il est associé à des zones humides (ni s'il faut le considérer comme zone humide ou cours d'eau lui-même).
  • On ne mesure pas son fonctionnement en crue et en sécheresse.
  • On n'analyse pas sa connexion aux nappes d'accompagnement.
  • On ne s'intéresse pas à ses usages sociaux.
Nous connaissons l'origine de cette indifférence : l'idéologie actuelle de la "restauration de rivière" ou "renaturation" considère que tout milieu d'origine artificiel est sans intérêt. Inutile de l'étudier, inutile de le conserver, ce n'est pas grave si les travaux font disparaître 100 mètres ou 1000 mètres de milieux aquatiques et humides liés à un bief, ainsi que les fonctions hydrologiques de ce canal.


Exemple d'un système complexe de biefs dans une rivière de zone rurale (Ource, Côte d'Or). On voit que le linéaire en eau des biefs est supérieur à celui de la rivière, et que ces biefs forment des annexes de cette rivière dans le lit majeur (souvent les dernières avec les fossés, quand on a drainé les zones humides lors des siècles passés).

Il va sans dire que nous considérons cette vision comme délétère pour la ressource en eau comme pour les milieux aquatiques. En particulier quand on parle de biefs de moulin ou de canaux d'irrigation qui ont plusieurs siècles d'âge et qui ont souvent donné lieu à des processus de renaturation partielle spontanée, donc qui se rapprochent fortement de ces milieux dits naturels que l'on juge seuls dignes d'intérêt. Ce cas est assez fréquent dans les campagnes. 

Il nous est arrivé de voir des biefs charmants et complexes de plus d'un kilomètre mis à sec sans la moindre étude au nom du dogme de l'intérêt unique du lit mineur de la rivière. Ce sont les ravages de l'idéologie. Car quand nous disions à nos interlocuteurs que la moindre des choses était d'étudier ce milieu avant de le détruire, photos  à l'appui sur des habitats et peuplements d'intérêt, nous rencontrions un silence buté et un déni de réalité. Tout ce qui disjonctait le dogme "un milieu naturel c'est bien; un milieu artificiel c'est mal" ne parvenait pas à se frayer un chemin dans l'esprit des gestionnaires de rivières concernées. Ce n'était pas marqué dans le manuel, donc ce ne pouvait être vrai. Ce n'était pas non plus l'idéologie dominante de l'Office français de la biodiversité, dont le seul intérêt était centré sur les lits mineurs et leur restauration en cours d'eau lotique, le reste étant négligé (et donc sans examen dans l'instruction des dossiers). Un vrai problème puisqu'en cas de contentieux, le juge administratif (qui n'est pas un spécialiste) a tendance à suivre ce que dit l'OFB sans se poser trop de questions. Il faut alors faire des contre-expertises, mais elles coûtent cher si elles sont réalisées par des entreprises spécialisées, alors que le rôle d'un établissement public devrait être un inventaire objectif et complet des réalités.

Le problème est qu'à détruire les ouvrages en lit mineur, on réduisait la rivière à ce seul lit, on asséchait les biefs formant les annexes latérales, on perdait sur surfaces parfois considérables de milieux aquatiques et humides, ainsi que des annexes appréciables en diversion de crue, alimentation en eau du lit majeur, approvisionnement de la nappe et des aquifères.  


Biefs et canaux urbains, souvent dérivés d'anciens ouvrages usiniers.

Cette position de déni des biefs et canaux est d'autant moins soutenable qu'une littérature scientifique convergente dit que les milieux aquatiques d'origine artificielle peuvent aussi avoir de l'intérêt pour la biodiversité (même de simples fossés, a fortiori des biefs anciens). C'est aussi vrai des fonctionnalités, comme l'aide à la prévention des crues par diversion latérale, des sécheresses par diffusion de l'eau dans les berges et les sols (télécharger notre dossier de synthèse sur quelques-uns de ces travaux). Sans parler des dimensions sociales d'agrément et de l'aide à l'adaptation climatique, par exemple quand les canaux urbains réduisent les chaleurs pénibles des canicules.

Il est donc nécessaire que l'instruction administrative des ouvrages hydrauliques intègre pleinement la réalité des canaux et des biefs, en visant leur étude, leur préservation et leur bonne gestion. Les milieux anthropiques ne doivent plus être délaissés; ils sont issus de plusieurs siècles voire millénaires d'évolution des lits, ce qui rend peu sensé de les opposer à une nature antérieure qui serait idéalement vierge de présence humaine. Ces canaux et biefs ont un potentiel très intéressant pour l'environnement et la société, mais l'indifférence à leur encontre nous prive actuellement d'une valorisation intelligente.

25/12/2020

Les moulins alimentent les sols, aquifères et zones humides lors des saisons pluvieuses

Sur certains bassins versants, les biefs des moulins forment les dernières annexes hydrauliques de la rivière en lit majeur. Ces canaux sont le lieu d'échanges d'eau toute l'année. En saison pluvieuse, l'eau excédentaire s'y diffuse, gorge les sols et aquifères, nourrit des zones humides. Une connaissance et une gestion de ces phénomènes peuvent avoir des rôles très bénéfiques pour le stockage de l'eau d'hiver et pour l'amélioration des habitats du vivant aquatique. Le monde des moulins doit documenter sur site ces phénomènes actuellement ignorés de l'expertise publique, pour demander qu'ils soient étudiés plus systématiquement dans le cadre de la gestion de l'eau en phase d'adaptation au changement climatique.


La saison des pluies est revenue. Mais où vont ces précipitations? Si le ruissellement superficiel ne permet pas de stocker, l'eau file rapidement dans la rivière, qui l'amène vers l'océan. Cette eau non retenue ne sera pas disponible à la prochaine saison sèche. Ces dernières années ont montré que de nombreuses régions de France subissent des sécheresses importantes, dont il est probable qu'elles deviendront plus intenses et plus fréquentes dans les décennies à venir.

Pour remplir les nappes alluviales du lit majeur de la rivière et les nappes libres dans les aquifères du sous-sol, il faut donc retenir l'eau et non chercher à accélérer son écoulement dans la rivière, puis vers la mer.

Parmi les aménagements qui aident cette rétention, on compte notamment les moulins, leur retenues et leurs biefs. Le cas est particulièrement favorable si le moulin est aménagé et géré pour optimiser cette fonction de rétention d'eau.

Ce schéma montre le principe de stockage en surface et sol de l'eau autour d'un système de moulin.



Les pluies d'hiver permettent d'observer le phénomène de surface. En voici un exemple sur un site.


Bief se gorgeant d'eau les jours de crue.


Débordement de déversoir


Mouille sur sol saturé.


Mares en pied de bief.

Nous incitons les propriétaires de moulins (ou étangs et plans d'eau) à documenter les cycles de l'eau sur leur site. Les associations et fédérations doivent demander aux services de l'Etat de procéder à des études hydrologiques et écologiques de ces réalités, qui sont actuellement totalement négligées. Il existe des dizaines de milliers de moulins (davantage d'étangs et plans d'eau), ce qui représente un linéaire non négligeable de biefs. Sur certaines rivières, les réseaux de biefs de moulins dérivés par leurs ouvrages forment les dernières annexes hydrauliques du lit majeur en lit majeur, en raison des incisions de lits et rehausses de berges, des drainages agricoles, des artificialisations urbaines.