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08/07/2020

C'est l'été, pensez à respecter le débit minimum biologique des rivières

Comme chaque année, nous rappelons les obligations des propriétaires de moulins, étangs, canaux. Les étiages s'installent sur les rivières, avec les plus faibles débits de l'année jusqu'à septembre, voire octobre. Pour les propriétaires d'un ouvrage hydraulique, il s'agit de la période critique pour respecter le débit minimum biologique (ancien débit réservé), visant à laisser en priorité une quantité suffisante d'eau dans le tronçon naturel des rivières. Explications et tableau des débits sur une quarantaine de stations sur les rivières de Nord Bourgogne, bassin séquanien.

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Le loi le précise dans l'article L 214-18 du du code de l'environnement :

"Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l'installation de l'ouvrage ainsi que, le cas échéant, des dispositifs empêchant la pénétration du poisson dans les canaux d'amenée et de fuite.
Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage correspondant au débit moyen interannuel, évalué à partir des informations disponibles portant sur une période minimale de cinq années, ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Pour les cours d'eau ou parties de cours d'eau dont le module est supérieur à 80 mètres cubes par seconde, ou pour les ouvrages qui contribuent, par leur capacité de modulation, à la production d'électricité en période de pointe de consommation et dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil supérieur de l'énergie, ce débit minimal ne doit pas être inférieur au vingtième du module du cours d'eau en aval immédiat ou au droit de l'ouvrage évalué dans les mêmes conditions ou au débit à l'amont immédiat de l'ouvrage, si celui-ci est inférieur. Toutefois, pour les cours d'eau ou sections de cours d'eau présentant un fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal dans les conditions prévues ci-dessus, le débit minimal peut être fixé à une valeur inférieure."

Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5% du débit moyen) sur les petites installations. Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 0,3 m3/s soit 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau.

Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

La loi prévoit cependant la possibilité d'un "fonctionnement atypique rendant non pertinente la fixation d'un débit minimal". Le cas se pose notamment sur certaines rivières de terrains karstiques présentant des pertes en été (voir cet exemple problématique). En ce cas, la rivière peut se trouver en situation d'assecs, donc de discontinuités hydriques et biologiques. Dans la mesure où les biefs anciens des moulins ont parfois des fonds étanchés à l'argile, et une hauteur d'eau plus importante que celle de la rivière, il peut être intéressant pour la sauvegarde locale des espèces aquatiques de privilégier le maintien en eau du bief. C'est une appréciation au cas par cas qui doit prévaloir, après examen de la situation du tronçon par la police de l'eau.

La valeur de 10% est un plancher ("pas être inférieur"). L'administration peut estimer qu'un DMB supérieur à 10% du module est souhaitable. Toutefois, cette demande doit faire l'objet d'une motivation de la part des services administratifs, montrant qu'elle est justifiée hydrologiquement et biologiquement, proportionnée à l'effet attendu, conforme à ce qui se pratique sur des rivières similaires, ne produisant pas de nuisances aux tiers et aux milieux, ne représentant pas une entorse exorbitante à la consistance légale autorisée dans le droit d'eau de l'ouvrage. Un simple courrier de l'AFB ou de la DDT-M ne suffit pas, il faut un dossier de la part de l'administration.



Pour vous aider à apprécier le débit minimum biologique, ce tableau donne les valeurs des modules et des DMB sur les stations de mesure hydrologique des bassins Seine et Yonne, en Nord-Bourgogne. Vous pouvez trouver les valeurs en temps réel des débits de certaines stations sur le site Vigicrues.

Il est complexe de connaitre le débit moyen de la rivière au droit d'un ouvrage hydraulique en particulier. Une approximation grossière est de situer le barrage ou le seuil par rapport à la station de mesure (cf fiches d'identité des stations sur la banque Hydro), de prendre la distance à la source (de l'ouvrage, de la station), de faire une règle de trois. Mais cela ne permet pas de prendre en compte les emplacements des affluents, des résurgences, etc. faisant que le débit ne croît pas de manière linéaire de la source à l'exutoire d'une rivière. Sur les rivières disposant de plusieurs stations, on peut faire la moyenne entre les deux stations les plus proches amont / aval en pondérant par la position du barrage par rapport à ces stations, ce qui est déjà un peu plus réaliste. Dans le doute, le propriétaire doit demander à la DDT-M de son département, à la DREAL de la région ou au syndicat de rivière une estimation du module de la rivière au droit de l'ouvrage, et en déduire lui-même le DMB.

Enfin, dans la mesure où de nombreux biefs anciens se sont "renaturés" au fil du temps et abritent eux aussi du vivant, il serait intéressant de réfléchir pour l'avenir à une évolution législative où l'on peut prévoir une quantité minimale d'eau attribuée à ces canaux également, pour assurer la survie de leurs habitants. La gestion écologique des milieux doit être fondée sur le cas par cas, l'information et la responsabilité de chacun.

A lire sur ce thème:
Un guide Onema pour le débit minimum biologique

15/07/2019

Enquête sur les assecs induits par les destructions d'ouvrages (moulins, étangs, canaux): nous avons besoin de votre participation!

Alors que le gouvernement vient de demander un inventaire des zones humides de France et de faire du maintien de la ressource en eau une priorité nationale, les chantiers de destruction de moulins, étangs, canaux conduisent à des pertes de milieux aquatiques et humides ains qu'à des régressions du vivant. Mais cette réalité, physiquement évidente vu l'effet d'une destruction, est niée par les gestionnaires ayant conduit ces chantiers et par certains experts administratifs ayant prétendu à leur nécessité comme à leurs bénéfices. A l'occasion de l'étiage, nous demandons à nos lecteurs et aux associations correspondantes d'aller documenter sur leur région ces assecs induits par des choix de continuité en long, afin de nourrir un dossier qui sera transmis d'ici la fin de l'année aux élus et décideurs. Aucun chantier de continuité induisant des pertes de surface en eau et des pertes de milieux aquatiques ou humides ne doit plus être engagé en France tant que ce sujet n'est pas étudié sérieusement et contrôlé par les autorités (défaillantes) en charge de l'eau et de la biodiversité.



La destruction des digues d'étangs et des seuils de moulin a de nombreux effets secondaires sur l'eau et sur les milieux annexes des ouvrages : disparition des retenues, abaissement local de la nappe, assec estival ou permanent des biefs et des milieux humides attenant à ces biefs.

Ce schéma en expose le principe :


(cliquer pour agrandir ; vous pouvez télécharger et utiliser l'image librement pour votre communication locale)

Effacer des ouvrages revient à supprimer des milieux aquatiques et humides, alors même qu'en situation de changement climatique, la capacité à retenir l'eau partout sur les bassins versants est définie comme stratégique pour chaque territoire. Au demeurant, la plupart des arrêtés sécheresse des préfets demandent de maintenir fermées les vannes des moulins, étangs, usines, afin de préserver localement la lame d'eau.

Car la suite risque d'être difficile sur certains territoires :



Parce qu'une vision dogmatique refuse encore de reconnaître l'existence et la valeur de certains écosystèmes d'origine anthropique (moulins, étangs), ces réalités sont aujourd'hui niées, euphémisées ou mises de côté par l'Office français de la biodiversité (ex AFB, ex Onema), par les services techniques des agences de l'eau et par les gestionnaires publics (syndicats, EPCI-EPTB). Nous devons donc documenter nous-mêmes ces faits, afin de donner l'alerte et de demander aux décideurs l'arrêt d'une politique coûteuse et aberrante de destruction des milieux aquatiques anthropisés.

Nous demandons en conséquence à tous les volontaires de :

  • repérer dans votre secteur des chantiers de continuité ayant conduit à des destructions;
  • aller sur site en fin d'étiage (août-octobre) pour faire des vidéos et photos de l'état des milieux ayant perdu de l'eau (les retenues, les marges et queues d'étang, les biefs et déversoirs de moulins, les zones humides annexes qui étaient alimentées par des ouvrages, les prairies et ripisylves qui étaient nourries par nappe affleurante, etc.);
  • nous faire parvenir les documents avec indication rivière, lieu;
  • si possible, estimer la surface en eau qui a été perdue du fait du chantier;
  • si possible, joindre des photos ou vidéos des mêmes milieux en eau, pour comparaison.


Ce travail est d'autant plus nécessaire qu'à la clôture des assises de l'eau, le gouvernement vient de demander à l'OFB de procéder à un inventaire des zones humides en vue de programmer la protection de la ressource en eau en France. Ce travail n'aura aucune valeur scientifique et technique si l'OFB persiste à ignorer l'existence de centaines de milliers de retenues, canaux, zones humides latérales qui proviennent des écosystèmes d'origine humaine. Nous avons donc besoin de réaliser rapidement un dossier complet d'information afin de prévenir ce déni.

La recherche scientifique internationale en écologie reconnait aujourd'hui l'intérêt des milieux aquatiques anthropisés (Chester et Robson 2013, Beatty et al 2017Clifford et Hefferman 2018, Hill et al 2018, Tonkin et al 2019),  et cette recherche insiste sur le fait qu'il n'y a pas de milieu "négligeable" quand on s'attache à maintenir la biodiversité locale (bêta et gamma notamment).

Nous ne pouvons donc pas continuer en France avec une expertise administrative qui est restée sur des concepts et des priorités datant des années 1980. En tant que citoyens et associations, nous ne pouvons pas non plus accepter la disparition de l'eau et de la vie dans ces milieux au nom des approches destructrices de la continuité écologique, alors que des solutions "douces" de continuité en long sont disponibles et évitent les conséquences négatives.

Nous vous demandons de participer à votre niveau à cette enquête et de nous faire parvenir votre documentation. Merci d'avance de votre mobilisation pour l'avenir de l'eau, du vivant et des ouvrages!

Illustrations : en haut, bief de l'Ource à sec ; en bas, sur l'Ource, réponse de la nappe et végétation de prairie aux vannages (photos et commentaires P. Potherat, droits réservés).

A lire en complément 
Identifier, protéger et gérer les habitats aquatiques et humides du moulin
Eau, climat, vivant, paysage: s'engager pour les biens communs

23/08/2017

Dogmes de la continuité écologique: la biodiversité de l’Ource à nouveau sacrifiée à Thoires

Truites, chabots, lamproies, épinoches et divers mollusques morts en nombre, c'est le bilan macabre de la mise en oeuvre absurde du débit minimum biologique sur l'Ource. Une forte mortalité y a déjà été observée en 2015, pour les mêmes raisons. Les administrations et gestionnaires de l'eau posent comme dogme que les biefs sont forcément des milieux dégradés et inhospitaliers au vivant, que la rivière doit donc toujours avoir priorité en débit réservé estival. Mais c'est faux, de nombreuses espèces trouvent refuge dans les eaux profondes des biefs en été. Couper l'alimentation d'un canal d'amenée et de restitution conduit inexorablement à le vider, en raison des pertes et fuites inévitables dans ce type d'annexe hydraulique. Un riverain de l'Ource à Thoires a fait un reportage que nous publions ci-dessous, et il souhaite que cessent ces pratiques. Les associations Hydrauxois et Arpohc se joignent à lui et diffuseront son message au préfet comme aux élus. 

[Ajout 05/09/2017 : précision du syndicat SMS, le technicien n'a pas manoeuvré les vannes de Thoires, il travaillait sur Belan à ce moment là. Le problème est celui du maître d'ouvrage en lien aux impératifs de manoeuvre exigés par l'AFB et la préfecture]

Vendredi 19 aout 2017, l'ex SICEC (Syndicat mixte Sequana), sous réserve d’une forte amende, a enjoint J.L. Troisgros, propriétaire du moulin du bas à Thoires, d’ouvrir les vannes de son bief afin de faire bénéficier le cours principal de l’Ource du «débit minimum réservé» [NDLR : débit minimum biologique désormais]. Cette notion de «débit minimum réservé» s’applique en période de sécheresse quand le débit des rivières atteint une valeur plancher déterminée par un «savant calcul» en un point donné du cours d’eau, (en l’occurrence, pour l’Ource, cette valeur plancher est obtenue du côté de Voulaines les Templiers). Les agences de l’eau recommandent, en cas de besoin, de faire bénéficier les cours d’eau principaux de la totalité du débit disponible afin d’y maintenir en vie la faune et la flore aquatiques.

La motivation de cette mesure n’est pas mauvaise en elle-même puisqu’elle permet d’assurer une meilleure qualité de vie aux poissons et autres organismes situés dans la portion de cours d’eau concernée, mais sa mise en pratique est extrêmement critiquable car elle conduit à la mort certaine tous les organismes vivant aussi bien dans le bief que dans son chenal d’évacuation.

Il faut bien prendre conscience que la vidange du bief et de la retenue d’eau située à l’amont d’un vannage ne procure une augmentation du débit de la rivière principale que le temps nécessaire à cette vidange, soit environ 24 h pour le plan d’eau et 24 h supplémentaires pour abaisser la nappe alluviale de 50 à 60 cm.

Si l’on se contentait de fermer la vanne du moulin, on obtiendrait le même résultat, au débit de fuite de la vanne près, soit au moins 95% du débit souhaité, et on éviterait une catastrophe écologique certaine en gardant un niveau d’eau appréciable dans le bief et dans le plan d’eau situé en amont du vannage. Cette disposition aurait l’avantage, en cas de trop forte montée de la température dans le bief, de permettre aux poissons de rejoindre la rivière principale.

Pour information la température relevée le 5 août au niveau du vannage principal, coté amont, était de 13,9 °C, en raison de venues d’eau fraîche (12,1 °C) de la source de Thoires dont le confluent est situé à 100m en amont du vannage.

Cette opération s’était déjà produite fin aout 2015 et avait conduit à la mort de dizaines, voire de centaines de poissons, aussi bien dans le bief principal que dans le bas bief.
Cette année, quelques pécheurs de la commune de Thoires prévenus le jour de la vidange, ont exercé une vigilance dès le lendemain matin mais c’était déjà trop tard : une bonne dizaine de truites avaient péri dans des flaques d’eau dont quelques belles truites indigènes (photos 1 et 2).


Photo 1.Truites fario de 700 à 800 grammes Photo 2.Truite fario de 55cm

A notre grande surprise, de nombreux chabots étaient, soit déjà morts, soit en voie d’asphyxie. Nous avons pu en sauver une bonne centaine, mais on peut considérer que sur tout le linéaire concerné plus d’un millier ont péri. (photos 3 à 6).

Pour mémoire, les chabots qui vivent dans les eaux vives et fraîches sont des indicateurs d’un milieu aquatique de bonne qualité (eau et faune) et sont une espèce classée parmi les poissons vulnérables au niveau européen. La Directive européenne (Directive Faune-Flore- Habitat n° CE/92/43, Annexe 2) impose par ailleurs la protection de son habitat.


Photo 3. Chabots morts Photo 4. Chabots morts dans flaque d’eau Photo 5. Chabots relâchés en eau vive Photo 6. Chabots et lamproie morts sur graviers
     
Des dizaines de lamproies ont pu également être remises à l’eau (photos 7et 8) mais un nombre au moins équivalent n’a pas survécu.

Parmi les autres organismes morts, citons quelques épinoches ainsi que des mollusques d’eau douce.
Quelques brochets ont été vus dans les poches d’eau les plus profondes ainsi que des myriades d’alevins qui, si l’eau vient encore à baisser, ne survivront pas longtemps.

Bilan de l’opération :

  • une dizaine de truites mortes et probablement plus d’un millier de chabots ;
  • des dizaines de lamproies, des épinoches ainsi que de très nombreux mollusques d’eau douce ont également péri ;
  • une dizaine de brochets et des milliers d’alevins, piégés dans des petits trous d’eau, sont gravement menacés ;
  • cet inventaire, opéré en trois heures sur le site n’est pas exhaustif au regard de la faune aquatique et ne tient pas compte de la flore.

Notons que le bief du lavoir de Vanvey, site touristique emblématique du parc des forêts de feuillus, qui avait été asséché en 2015, ce qui avait suscité un émoi considérable parmi la population locale, ne l’a pas été cette année et nous devons nous en réjouir.

Il faut également ajouter que la retenue d’eau de Thoires est un site très prisé par les familles qui viennent s’y baigner en période de canicule, en particulier celles de Belan sur Ource, commune dont les ouvrages hydrauliques ont été détruits ces dernières années.


Photo 7. Mollusques d’eau douce (limnées). Photo 8. Lamproies mortes
     
En conclusion il apparait que le bief de Thoires n’est pas qu’un simple chenal d’amenée d’eau au moulin comme en témoigne la diversité de vie aquatique qui s’y est réinstallée en seulement deux ans. Afin que cette situation ne se reproduise pas à l’avenir, nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur ce sujet par les pouvoirs publics et qu’une autre manière d’opérer soit mise en pratique à l’avenir.
Thoires, le 21 août 2017, Pierre Potherat, ICTPE retraité

A lire :

12/07/2017

La gestion écologique des barrages, une alternative à leur destruction

Un temps valorisée comme la meilleure solution pour améliorer l'écologie des rivières, la destruction des barrages est de plus en plus contestée : coût élevé, résultats pas toujours démontrés ni surtout à hauteur des investissements, forte opposition des riverains, persistance des besoins en eau et en énergie, nécessité de conserver des outils de gestion des niveaux et débits en vue de s'adapter au changement climatique. Aussi les scientifiques et gestionnaires en écologie sont-ils à la recherche de solutions plus intelligentes et plus ouvertes aux besoins sociaux. Parmi elles, la gestion écologique des débits suscite le plus grand intérêt.

Construit en 1964 sur le Drac, le barrage EDF de Notre-Dame-de-Commiers ne laissait que 1,5 m3/s au lit naturel. Ce "débit réservé", aujourd'hui appelé débit minimum biologique, n’était pas suffisant  pour la faune et la flore, avec 84 km du Drac qui se retrouvaient quasiment sans eau plus de 300 jours par an. Après plusieurs années d'études, le débit réservé vient d’être augmenté à 5,5 m3/s (voir cet article et la vidéo ci-dessous).



Le cas n'est pas isolé. Un peu partout dans le monde, on cherche à mieux concilier les ouvrages hydrauliques et les besoins des milieux naturels. Dans un article du New Scientist (1er juillet 2017), Terri Cook expose une nouvelle tendance des gestionnaires de rivières : la gestion écologique des débits de barrage plutôt que leur destruction.

Au cours des 130 dernières années, il s'est construit chaque jour dans le monde un barrage de plus de 15 m de haut, plus de 7000 aux Etats-Unis et 9000 en Europe. Ce mouvement a été associé à la hausse de la démographie, au développement économique, à la recherche de source d'énergie et d'eau pour la consommation ou l'irrigation.

Si les nations industrialisées n'ont quasiment plus de projet de construction de grands barrages, plus de 3200 sont en chantier dans les pays en développement – Asie, Afrique ou Amérique latine. On réfléchit donc à ne pas reproduire dans ces travaux les mêmes erreurs qui ont pu être faites lors du siècle précédent.

Outre l'ennoiement de vallées entières et l'obligation de déplacer leure habitants, ces grands ouvrages ont eu des impacts écologiques désormais connus : barrière à la migration des poissons, rétention des sédiments, baisse des débits naturels du tronçon de rivière court-circuité quand le barrage alimente une conduite forcée et ne restitue l'eau que très loin à l'aval.

A partir des années 1970 et 1980, d'abord aux Etats-Unis puis en Europe, des voix se sont élevées en vue de faire disparaître les barrages et de "renaturer" totalement l'écoulement des eaux.  Ces solutions ont cependant des problèmes. Les barrages ont des usages et leurs retenues sont souvent appréciées des riverains. Le coût de leur démantètelement est considérable : aux Etats-Unis, la suppression des deux barrages de l'Elwha a déjà coûté 26,9 millions de $, le coût total de la restauration de la rivière étant estimé à 320 millions de $. En France, le projet de destruction des ouvrages de la Sélune a été gelé en raison de son coût considérable et de la forte opposition des milliers de riverains des deux lacs. Le bilan est donc très mitigé et l'effacement de barrages est devenu une solution conflictuelle, y compris aux Etats-Unis où le mouvement avait été amorcé (voir Magilligan et al 2017, ainsi que Lespez et Germaine 2016 sur la comparaison France, Etats-Unis, Royaume-Uni).

Mais la destruction est-elle une si bonne idée? Les écologues proposent aujourd'hui une solution plus originale, "utiliser les barrages eux-mêmes comme des outils de conservation".

Le premier impact d'un barrage concerne la modification du régime du débit. Une rivière et sa plaine d'inondation vivent normalement au rythme des flots, avec des étiages et des crues. Le barrage va lisser le débit sortant en faisant perdre ces variations hydrologiques et le "régime naturel du débit" (natural flow regime), comme on le nomme en hydro-écologie. Mais ce n'est pas une fatalité : le barrage peut très bien reproduire des variations de débit.

Cette hypothèse a été testée en grandeur nature aux Etats-Unis sur le fleuve Colorado, qui a été massivement artificialisé par des grands barrages. Au niveau du barrage de Morelos, près de la frontière mexicaine, un lâcher d'eau de 132 millions de m3 a été réalisé en mars 2014. Les chercheurs ont observé dans l'année suivante une régénération de la végétation native sur les rives aval asséchées de longue date. Mais l'effet n'a pas duré plus d'un an : un lâcher d'eau ne suffit pas, il faut imiter plus durablement les variations naturelles.

Une expérience plus approfondie est menée en Suisse sur la rivière Spöl, fragmentée de deux barrages construits dans les années 1960. Des arbres ont commencé à pousser dans le lit ancien ne recevant que le débit réservé, et des groupes rares dans les rivières alpines, comme les gammares, s'y sont installés. Les chercheurs suisses, en accord avec les hydro-électriciens et les riverains, ont donc travaillé sur le débit optimum pour éviter la trop forte croissance des crustacés invasifs et retrouver des populations invertébrées d'intérêt. Au final, l'organisation de 20 torrents dans l'année permet de restaurer des habitats et peuplements plus conformes à la rivière. D'autres tests sont déjà menés sur la Sarine, et les autorités suisses de l'environnement envisagent de généraliser l'expérience à 40 installations dans les 13 prochaines années.

Mieux gérer les ouvrages hydrauiques selon la nature de leurs impacts : cette solution a certainement un avenir. Elle gagnerait à être promue en France, en lieu et place des pressions de plus en plus impopulaires pour détruire les seuils et barrages.

16/03/2016

Cartographie: un bief classé cours d'eau ne devrait plus être soumis au débit minimum biologique

Si l'administration persistait à classer par défaut les biefs comme cours d'eau – ce que nous ne souhaitons pas, sauf exception motivée par la renaturation complète du bief après son abandon ou des cas hydrologiques très particuliers –, elle devrait admettre que l'obligation de débit minimum biologique ne s'applique plus à l'ouvrage. Un bief réputé cours d'eau aurait en effet le droit de capter (et turbiner) tout le débit en étiage, puisqu'il est ipso facto considéré comme l'un des deux bras de la rivière, aussi "naturel" que le lit mineur d'origine. Voilà qui promet de belles complications, dans une réglementation déjà illisible et inapplicable à force d'exprimer l'obsession de contrôle administratif sur chaque action au bord des rivières. 


Notre association considère par défaut les biefs et autres écoulements dérivés de moulins ou usines à eau (canaux de décharge ou de vidange, exutoires des déversoirs) comme n'étant pas des cours d'eau. Il y manque en effet un élément essentiel de la jurisprudence, l'origine naturelle de l'écoulement. Le bief est un canal artificiel créé de main d'homme : il n'a pas la même hydraulicité que la rivière, pas les mêmes besoins d'entretien ni le même régime d'autorisation et de propriété. Le bief n'a donc pas à être soumis aux mêmes règles de gestion que le lit mineur du cours d'eau. Cela reste vrai même s'il abrite diverses espèces (en contradiction avec la doxa les réputant comme habitats très dégradés) dont l'existence n'est pas spécialement menacée par la reconnaissance du caractère artificiel de l'écoulement.

Ce qui aurait dû être simple – naturel ou pas naturel, c'est facile à déterminer par la présence du moulin – devient immanquablement compliqué avec l'administration française en charge de l'eau. Aussi nombre de biefs ont-ils été classés comme cours d'eau dans les premières cartographies publiées, à ce jour sans explication ni motivation aux propriétaires et à leurs associations par les DREAL et les DDT. Nous n'acceptons pas ce classement a priori, et nous déplorons surtout cette nouvelle manifestation d'indifférence envers les riverains. Nous attendons un service public de l'eau destiné à aider les citoyens en concertation avec leurs besoins, pas un organe arbitraire de contrôle et de répression dont le seul horizon semble être devenu l'imposition de contraintes imprévisibles et de règles illisibles.

Sur cette question de la cartographie, nous signalons ici un point qui n'a éventuellement pas été envisagé par les services de l'Etat : tant qu'un bief est classé comme cours d'eau, nous considérons qu'il n'a plus à respecter le débit minimum biologique (art L 214-18 CE), c'est-à-dire s'obliger à garantir 10% du module dans le lit mineur de la rivière.

Assimiler un bief à un cours d'eau, c'est en effet considérer que la rivière se sépare en deux bras créés au droit de l'ouvrage répartiteur (le lit mineur et le bief). Peu importe dans ce cas qu'un bras soit à sec (y compris le lit mineur naturel) pourvu que l'autre soit en eau. On ne peut pas jouer sur les deux tableaux, essayer de naturaliser un bief tout en prétendant ensuite qu'il n'est pas vraiment naturel et ne mérite pas d'avoir un débit préférentiel à l'étiage. Si les services de l'Etat cherchent vraiment des complications, on voit qu'ils ne vont pas manquer d'en trouver. Mais tout le monde gagnerait à la simplicité.

L'incapacité de l'actuelle Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, de ses services déconcentrés et de ses agences administratives à produire une gouvernance apaisée et concertée devrait quand même alerter le gouvernement et les parlementaires sur le dysfonctionnement manifeste de l'Etat. D'autant que la Cour des comptes a déjà dénoncé à plusieurs reprises la gestion défaillante des mêmes administrations. La fronde des moulins, c'est plus que jamais le signal d'alerte d'une dérive grave qui, bien au-delà du cas particulier des ouvrages hydrauliques, concerne le manque d'efficience et de transparence de la gestion publique de l'eau, ainsi que ses inquiétantes pulsions autoritaires.

A lire en complément
Cartographie des cours d'eau: gare aux qualifications arbitraires des biefs comme rivières
Cartographie des cours d'eau: où est la concertation?

Illustration : départ de bief sur la Seine en Châtillonnais, avec ouvrage répartiteur sur la droite. Si le bief est classé cours d'eau et donc bras de la rivière au même titre que le lit d'origine dans la cartographie, il devient légitime qu'il prenne si nécessaire tout le débit à l'étiage. Il faudrait alors faire exception à la règle du débit minimum biologique, qui perd son sens. C'est le genre de complication où peut mener le refus par l'administration de classer les biefs comme canaux artificiels, avec des règles très simplifiées de gestion permettant leur bon entretien. Mais le mot "simplifiées" heurte à n'en pas douter les principes de certains hauts fonctionnaires du Ministère de l'Ecologie, dont l'objectif est manifestement de multiplier les normes, règles, contraintes et contrôles inapplicables pour mieux prétendre ensuite que les moulins sont mal gérés et que leur destruction est une issue désirable.

27/04/2014

Un guide Onema pour le débit minimum biologique

Depuis le 1er janvier 2014, tous les barrages en rivière (seuils, chaussées, déversoirs et autres prises d'eau) doivent laisser un débit minimum biologique (DMB) de 10% du module (débit moyen) dans le lit de la rivière. Ce DMB remplace l'ancien débit réservé, qui était parfois du 1/40e (soit 2,5%). Exemple numérique : si la rivière a un module de 3 m3/s au droit de votre ouvrage, vous devez faire en sorte qu'il reste en permanence 300 litres par seconde (10%) à l'aval immédiat du seuil, dans le tronçon court-circuité du cours d'eau. Cette exigence est particulièrement sensible vers l'étiage, puisque c'est à cette époque que le stress hydrique est le plus marqué pour les espèces aquatiques. S'il n'y a plus assez d'eau dans la rivière pour atteindre les 10%, celle-ci doit primer sur le bief et conserver tout son débit disponible dans le lit mineur.

L'Onema a édité un guide technique pour assurer le débit minimum. Le document est intéressant, il rappelle les formules hydrauliques permettant le calcul du débit dans les différents dispositifs : échancrure, déversoir à mince ou large paroi, orifice et ajutage, ouverture en fond de vanne guillotine, modules à masque… Tous les moyens sont possibles pourvu que le débit soit exact dans son calcul, et garanti quand la rivière est à l'étiage. Gare aux contrôles !

En l'absence de production, et s'ils n'ont pas eu le temps de concevoir un dispositif spécifique, les moulins doivent fermer à l'étiage (ou en basses eaux) les vannes ouvrières en entrée de bief ou de chambre d'eau, éventuellement fermer les directrices de la turbine en chambre si c'est le seul dispositif de contrôle du débit amont. Dans ce cas, le débit de la rivière passera entièrement sur le déversoir.

Référence : Baril D., Courret D., Faure B., (2014), Note technique sur la conception de dispositifs de restitution de débit minimal, 23 p. (lien pdf)

Illustration : orifice en vanne, dénoyé à l'aval. © Onema