24/03/2024

Un barbeau ibérique profite des aménagements de barrages hydro-électriques (Santos et al 2023)

L'examen d'un aménagement de barrage hydro-électrique sur la rivière Vilariça révèle des résultats intéressants pour la survie et la reproduction d'une espèce de barbeau ibérique. Il est possible de concilier les usages humains de la rivière et le maintien de la biodiversité fluviale. 


Les interventions humaines comme la construction de barrages modifient les conditions de connectivité dans les rivières, affectant ainsi la vie des organismes aquatiques, en particulier les poissons migrateurs. Les chercheurs en Europe comme dans le monde étudient comment divers procédés de compensation permettent d'améliorer malgré tout le cycle de vie des poissons par rapport à l'obstacle à leur circulation. Voici le résumé d'un travail mené sur une espèce de barbeau ibérique :

"Dans les systèmes fluviaux, où les organismes aquatiques sont limités à la vie au sein des réseaux de rivière, les barrières anthropiques peuvent interrompre la connectivité et contribuer à la fragmentation de l'habitat. La connectivité de l'habitat est particulièrement importante pour les poissons migrateurs qui doivent parcourir des distances considérables pour se rendre dans les zones de frai, d'alevinage et de refuge. 

Afin de soutenir les étapes cruciales du cycle de vie des espèces de poissons indigènes, des mesures compensatoires ont été établies dans la rivière Vilariça grâce à la construction de l'aménagement hydroélectrique de Baixo Sabor (BSHS). Ainsi, le but de ce travail est d'évaluer si les mesures mises en œuvre, telles que des seuils d'amélioration de l'habitat et un système de dérivation du débit libérant l'eau du BSHS, ont amélioré la survie et la reproduction d'une espèce indigène, le barbeau ibérique (ou barbeau du Tage, Luciobarbus bocagei). L'évaluation comprenait le calcul du nombre d'individus reproducteurs et de la superficie utilisable pondérée (WUA) de l'habitat de frai. De plus, pour évaluer l'activité de frai, une méthodologie de frai par unité d'effort (SPUE) a été développée. 

Les résultats ont montré que la migration et le frai de L. bocagei étaient améliorés par l'augmentation de la vitesse d'écoulement du système de dérivation. Les fascines installées ont également contribué au succès de la reproduction, car elles ont permis l'établissement d'aires de repos et de fraie essentielles à la période de reproduction. Il a été possible d'estimer la SPUE maximale de 5,4 frayères par minute dans les frayères avec une portée de 20 m et le nombre de poissons observés, qui variait entre 251 et 800 dans les frayères et les aires de repos. De plus, la WUA maximale a été estimée à 1 580 m2 pour un débit de 1 m3/s (entre le débit médian et maximum pour la saison de frai) dans un tronçon de 2 km de la rivière Vilariça. 

Ce travail a montré que la réhabilitation d'un affluent d'une rivière fragmentée suite à la construction de barrages était une procédure compensatoire valable car elle permettait la migration et le frai des poissons."

Cette recherche, comme bien d'autres, montre l'efficacité réelle des débits réservés, des aménagements d'habitats et des dispositifs de franchissement au droit des ouvrages hydrauliques barrant les lits mineurs. Cela plaide pour une restauration de continuité écologique conciliant les divers usages de la rivière.

Référence : Santos RMB et al (2023), Effect of river restoration on spawning activity of Iberian barbel (Luciobarbus bocagei), Journal for Nature Conservation, 76, 126488

10/03/2024

Le conseil d’Etat constate l’illégalité de la destruction de l’étang de Bussières par la fédération de pêche et la préfecture de l’Yonne

Après 6 années de procédure, l’association Hydrauxois obtient enfin la condamnation par la justice de l’opération de destruction et assèchement de l’étang de Bussières : ce magnifique patrimoine hydraulique et écologique des marges du Morvan avait été détruit dans des conditions opaques, en absence de toute étude environnementale et de toute enquête publique. Il va sans dire que cette décision légitime la défiance que l’on peut avoir envers une administration eau & biodiversité qui a engagé depuis la décennie 2010 une longue dérive sur le dossier de la continuité écologique des cours d’eau. Nous attendons des préfets un rappel à l’ordre de leurs agents comme des fédérations de pêche à agrément public. 


Rappelons les faits : la fédération de l’Yonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FYPPMA) a acquis en 2015 de l’étang de Bussières, situé sur le passage de la rivière la Romanée, sur le territoire de la commune de Bussières (Yonne). Ce site était dans une zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2, notamment classée en raison des habitats des marges et queues d’étang. Outre sa belle biodiversité, l’étang de Bussières apportait une précieuse réserve d’eau sur un bassin où la rivière est souvent à sec en été. Déjà présent sous l’Ancien Régime, c’était aussi un beau patrimoine hydraulique et paysager

Devenue propriétaire, la fédération de pêche de l’Yonne a informé le directeur départemental des territoires de l’Yonne de son intention de réaliser une vidange complète de l’étang à la fin du mois d’octobre 2017, en vue de son effacement ultérieur. A la suite de la vidange de l’étang, la FYPPMA a sollicité, le 27 novembre 2017, l’autorisation de réaliser des travaux présentant un caractère d’urgence sur la Romanée : la préfecture a accepté sans même que soit déposé un dossier de déclaration au titre de la loi sur l’eau, conformément aux dispositions de l’article R. 214-44 du code de l’environnement. Enfin, par un courrier du 13 mars 2018, le directeur départemental des territoires a indiqué à la fédération qu’il ne comptait pas faire opposition à la déclaration déposée le 10 janvier 2018 aux fins de détruire la digue de l’étang de Bussières.

Par ce subterfuge d’une série d’actes pris isolément, alors même que le but de la destruction de ce magnifique étang était établi dès le départ et avait fait l’objet d’une subvention publique de l’agence de l’eau, la fédération de pêche de l’Yonne et la préfecture ont sciemment contourné  l’article R. 214-42 du code de l’environnement, dont les termes comme le rappelle le conseil d’Etat «impliquent que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement.»

Le tribunal administratif de Dijon puis la cour administrative d’appel de Lyon n’avaient pas retenu cette interprétation. Ces jugements sont censurés par le conseil d’Etat : «En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

L’Etat est donc condamné dans cette triste affaire, qui est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.


Quelques observations
L’association Hydrauxois est satisfaite que justice soit rendue. Elle déplore que les services de l’Etat et la fédération de pêche de l’Yonne, cette dernière disposant d’un agrément public, se soient comportés en se croyant au-dessus des lois sous prétexte qu’il était question de supposé rétablissement de la continuité écologique ou de "renaturation". Nous avions saisi en urgence la DDT de l'Yonne sur les anomalies de ce dossier, sans succès, comme nous avions alerté l'OFB de Bourgogne Franche-Comté, également sans effet. Nous avions pourtant raison.

Le fait d’avoir perdu aux deux premières instances mais gagné au conseil d’Etat rappelle à tous les plaignants de ce genre d’affaire (nombreux en France) qu’il faut s’engager en justice en prévoyant d'aller jusqu’au terme de la procédure : ce n’est pas la première fois que le conseil d’Etat donne raison à des riverains, collectivités et propriétaires d’ouvrages hydrauliques malgré des avis contraires des cours inférieures.

Enfin, un seul moyen juridique suffisant à casser en droit un jugement ou à annuler un texte attaqué, le conseil d'Etat n'a malheureusement pas apprécié nos autres arguments sur la valeur intrinsèque de l'étang comme zone humide et comme milieu d'intérêt écologique. Mais d'autres contentieux sont en cours qui, espérons-le, nous permettront d'obtenir un arrêt sur ce point. Car le fond du problème est là: on dilapide l'argent public à détruire des milieux aquatiques utiles et appréciés, au bénéfice d'une vision marginale du retour à la nature sauvage n'ayant jamais été inscrite comme telle dans le droit français, et au détriment de l'investissement pour réduire les vrais impacts dégradant l'eau.

Pour la suite sur l'étang de Bussières, nous demanderons à la cour d’appel de Lyon d’ordonner la remise en état du site illégalement détruit. 

Source : Conseil d’Etat, arrêt n°460964, 8 mars 2024 

Engageons-nous pour le retour en eau de ce magnifique site!


29/02/2024

Luttes riveraines pour les patrimoines de l'eau et leur gestion partagée

Partout en France, et aussi en Europe, des citoyens et des élus sont confrontés à certaines règlementations aberrantes de l'eau. Elles menacent en particulier des patrimoines hydrauliques comme les étangs, plans d'eau, canaux, barrages ou moulins. Quelques témoignages de ces luttes extraits de notre revue de presse de février. 


Barrage en péril à Pont-Rolland, mauvaise affaire pour la transition. En péril depuis plusieurs années, le barrage hydroélectrique du Pont-Rolland, situé entre Hillion et Morieux (Lamballe-Armor), pourrait être détruit dans les Côtes-d’Armor. « On nous prive d’une production locale d’électricité », observent les riverains. Mais les opposants n’ont pas dit leur dernier mot et continuent de se battre pour le maintien de cette usine fermée depuis plus de dix ans. En lire plus sur Ouest France Signer la pétition.

Un seuil qui maintient les niveaux d'eau indispensables aux populations. La seuil de Beauregrad sur la Garonne avait été endommagé par des crues, et les services de l'Etat répugnent à sa reconstruction. Elus locaux et citoyens doivent se battre pour retrouver une précieuse régulation des niveaux d'eau. Afin de sécuriser l’approvisionnement en eau des habitants de l’Agglomération d’Agen dont la station de pompage est située à Boé, les élus de l’Agglomération et la maire de Boé, proposent ainsi à la population de signer la lettre – pétition adressée à Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires de France demandant la réhabilitation du seuil de Beauregard. En lire plus sur Petit Bleu 

Spoliation de patrimoine à  Célas. L’Asec, Association de sauvegarde environnementale de Célac, estime qu’il y a d’autres moyens de restaurer la rivière Saint-Eloi que l’effacement de l’étang de Questembert (Morbihan). Pour elle, supprimer l’étang de Célac « est une spoliation du patrimoine ». L'association a fait entendre à la réunion de concertation du 24 février 2024. En lire plus sur Ouest France

Simplifier les curages pour protéger les personnes et les biens. Crues à répétition : dénonçant l'inaction de l'État, les agriculteurs du Pas-de-Calais curent eux-mêmes un cours d'eau, lors d'opérations coup de poing à Béthune. Les formalités et délais demandés par les services eau et biodiversité pour intervenir sur des milieux aquatiques sont parfois incompatibles avec la protection des biens et la sécurité. Voir le reportage sur TF1

Mobilisation des citoyens pour un étang en zone Natura 2000. "NON" à la disparition de l'étang de Chawion! C'est le message lancé par une bonne soixantaine de citoyens réunis au bord de ce trésor naturel situé dans le Bois de Staneux à Theux (Belgique), en zone Natura 2000. Ils s'opposent en fait au projet de la ministre wallonne de l'Environnement et de la Nature, qui souhaite remblayer l'étang. Une pétition a vu le jour et a déjà recueilli près de 700 signatures. En lire plus sur Vedia

Les moulins de l'Evre menacés au lieu d'être valorisés. L’Amicale des propriétaires privés des moulins de l’Èvre, dans les Mauges (Maine-et-Loire) a écrit au ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. L’objet de cette lettre ouverte ? Leur désaccord avec le programme de travaux du Smib (Syndicat mixte des bassins Èvre-Thau-Saint-Denis-Robinets-Haie d’Alot) sur les cours d’eau, notamment ceux prévus sur l’Èvre. Les gestionnaires publics de l'eau n'intègrent pas le fait que la loi française demande désormais de protéger et valoriser le patrimoine hydraulique, en particulier celui des moulins à eau, non de la détruire. En lire plus sur Ouest France

La population d'Aigurande se battra pour garder son étang. Partout les services de l'Etat font pression pour détruire et assécher des plans d'eau : l’annonce en 2023 de la destruction de l’étang du Grand Moulin à Aigurande (Indre) a fait l’effet d’un choc. Une association de défense s’est montée, lundi 12 février 2024, lors d’une réunion publique. En lire plus sur la Nouvelle République 

Vigilance pour le plan d'eau de Pierrefitte-ès-Bois. Lieu emblématique de la petite commune de Pierrefitte-ès-Bois, l’étang communal est menacé par la préfecture, en raison de ses supposés impacts sur les milieux aquatiques. Mais les dernières mises à jour du dossier, rendent plus optimiste la mairie quant au maintien du site. Les citoyens restent vigilants. En lire plus sur la République du Centre

Des étangs médiévaux attendent de retrouver leurs eaux en Bourgogne. A Châtillon-sur-Seine (Côte d'or), incompréhension et colère de citoyens, réunis dans un collectif, suite au recours de deux associations de protection de la nature et de l'environnement contre l'arrêté du préfet de Côte-d'Or. Les naturalistes militants prétendent contre toute raison que ces étangs médiévaux sont néfastes aux milieux et doivent être asséchés définitivement, tout en méprisant la souhait massif des riverains et élus locaux de retrouver les plans d'eau. A lire dans le Châtillonais et l'Auxois

18/02/2024

Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Dans l'article publié le 5 février 2024 (Bien Public), la nouvelle maire de Longvic, Céline Tonot, discute des priorités de la ville. Elle mentionne l'impossibilité de remettre en eau un bief pour des raisons réglementaires, contrairement aux engagements antérieurs, alors qu'une crue avait partiellement emporté un seuil de répartition des eaux de l'Ouche. Notre association réagit.


© Damien Rabeisen / France 3 Bourgogne

Commentaire de l'association Hydrauxois
Le moulin et le bief de Longvic peuvent renaître

Suite à l'article paru le 5 février 2024, il est nécessaire de rectifier certaines informations concernant le projet de remise en eau du bief à Longvic. José Almeida, l'ancien maire, s'était engagé à cette remise en eau avant la fin de son mandat, selon le BP du 7 mars 2023. Hélas, il n'en a rien été, les dossiers sur l'eau étant toujours entravés en France par un harcèlement normatif peu gérable. Contrairement aux déclarations de Céline Tonot, la nouvelle maire, aucune considération réglementaire ne s'oppose formellement à ce projet. En effet, le site est soumis à l'obligation de rétablir la continuité écologique, ce qui inclut la protection des poissons et des sédiments, mais la loi et la jurisprudence permettent de reconstruire totalement ou partiellement un ouvrage.

Il serait inexact  d'affirmer que la loi demande la destruction du bief ou de l’ouvrage; aucune loi ne le stipule. Au contraire, les moulins et leurs ouvrages sont protégés par la législation depuis la loi de 2021 ayant réformé l'article L 214-17 du code de l'environnement, interdisant même l'obtention de subventions pour leur destruction. Ce moulin de Longvic, fondé sur titre en 1858, avec son bief, représente un patrimoine à valoriser pour ses aspects culturels, historiques, et écologiques. Il contribue à la gestion des risques d'inondation en servant de bras secondaire à la rivière Ouche. Il abrite une faune et une flore spécifiques.

La remise en eau du bief offrirait un espace de refuge pour la faune aquatique en période de sécheresse et permettrait la production d'énergie renouvelable, comme le démontre l'exemple de Plombières-les-Dijon qui relance un projet hydro-électrique. En 1921, la puissance du moulin était de 89,2 kW, preuve de son potentiel énergétique notable. La loi française demande aux collectivités de développer les énergies renouvelables sur leur territoire, or l'énergie de l'eau est parmi les plus populaires : il appartient aux élus de l'inventorier et d'aider à la développer.

Notre volonté de voir un projet alternatif se réaliser reflète l'intérêt patrimonial, écologique, et énergétique que représente le bief pour Longvic et ses habitants. Nous appelons les citoyens à se manifester en ce sens.

07/02/2024

Les effets des barrages sur les poissons migrateurs : ce que disent les données

Claude Delobel, chercheur en informatique et mathématiques appliquées, expert en analyse de données, revient sur un article scientifique récemment paru et dédié à l'influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis. Il souligne que la lecture des données disponibles dans cet article doit être correctement hiérarchisée selon les poids des variables analysées. Car si l'on peut tirer une première conclusion d'importance, c'est que les variations actuelles de poissons migrateurs du réseau hydrographique nord-américain ne sont liées que marginalement aux barrages par rapport aux autres facteurs étudiés, en particulier naturels. 


Barrage de Glenn Canyon et réservoir du Lac Powell (source). 


Etude complémentaire de l’article de Dean et al. sur l’influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis
Claude Delobel

Le site Hydrauxois (1) fait une analyse de l’article (2) publié en 2023 sur les facteurs qui influencent la richesse en poissons migrateurs dans 9 régions des USA en fonction des barrages sur les cours d’eau. La fragmentation des rivières due à la présence de barrages est un facteur pris en compte en le décomposant en différentes métriques selon la densité des barrages sur un segment de rivière mais aussi en intégrant les effets cumulatifs des barrages sur la totalité du bassin versant aval et amont. D’autres facteurs sont aussi étudiés comme ceux relatifs à l’environnement immédiat d’un segment de rivière en prenant en compte des facteurs naturels du territoire (température, pluviométrie, débit de base, pente) et les facteurs humains dans l’utilisation des sols (urbanisation, nature des cultures, prélèvement en eau, densité des croisements route-rivière). Cette étude est effectuée à grande échelle puisqu’elle porte sur 9 régions des USA avec 45 989 sites d’observations où les données sur les espèces de poissons sont collectées sur une large période de 1990 à 2019. Pour la description des grandes régions et la répartition des espèces on se reportera au site Hydrauxois. 

Le réseau fluvial est modélisé comme un ensemble de segments de longueurs variables dont les extrémités sont des confluences de rivières, des lacs ou réservoirs, les océans ou les grands lacs. A chaque segment est associé localement une portion de territoire qui représente la zone qui draine directement ce segment, mais aussi les surfaces relatives aux bassins versants aval et amont. On pourra ainsi associer à ces surfaces les facteurs naturels ou humains qui les caractérisent. 

Pour étudier ces corrélations multifactorielles entre la diversité des espèces migratrices et les facteurs environnementaux deux techniques informatiques développées à partir des années 2000 sont utilisées : «Canonical Correspondance Analysis » (CCA) et « Boosted Regression Tree » (BRT). Ces techniques permettent de traiter des grandes masses de données et sont particulièrement bien adaptées à la situation. Pour la compréhension de l’analyse BRT et son application en écologie on peut se reporter à l’article (3) sur l’étude des facteurs influençant les populations d’anguille en Nouvelle Zélande. 

Le site Hydrauxois décrit le cadre général de l’étude en ce qui concerne les principales régions des USA et les différentes familles de poissons migrateurs. Il commente les résultats de la première technique utilisée (CCA) sur les 9 régions. Nous reprenons la principale conclusion : «Le premier point remarquable est que le modèle des chercheurs ne parvient à expliquer que 32,7% au mieux de la variance des poissons. Cela signifie que les facteurs pris en compte laissent, selon les bassins, 70 à 90% des variations de poissons sans explication causale décisive. … Le second point est que la part des barrages au sein de la variance expliquée est encore plus faible, même si elle significative dans quatre bassins sur neuf. Il est logique que certains grands barrages non équipés de dispositifs de franchissement dépriment des populations de poissons de migrateurs et favorisent des espèces non migratrices, notamment adaptées aux milieux lentiques ou semi-lotiques de retenues. A l’ère anthropocène marquée par la transformation diffuse et continue des déterminants du vivant, il existe rarement une cause simple pouvant expliquer pourquoi les populations actuelles des espèces divergent de celles des époques précédentes.».
 
Nous souhaitons compléter ces commentaires en examinant l’autre partie de l’article relative à l’utilisation de la technique BRT. Nous verrons qu’elle apporte un éclairage complémentaire et surtout qu’elle met en lumière le rôle prépondérant des facteurs naturels du territoire dans la préservation des espèces migratrices. Cette deuxième technique utilisée est appliquée aux 4 régions de l’est des USA où la fragmentation des rivières est la plus sensible. Le modèle repose sur 14 variables explicatives classées selon trois catégories : les facteurs naturels du territoire, les facteurs humains dans l’utilisation des sols, et les métriques de fragmentation du réseau de rivières : 
  • Facteurs naturels du territoire : surface de drainage du territoire associé au segment local de rivière, index de base de débit, moyenne annuelle de précipitation, moyenne annuelle de température, pente ;
  • Facteurs humains dans l’utilisation des sols : urbanisation, culture des sols, prairie, prélèvement en eau, densité croisement route-rivière ; 
  • Fragmentation du réseau de rivière : densité de barrage sur le segment principal (nombre de barrages par 100 km de longueur), degré de régulation, nombre total de barrages sur le réseau aval, nombre total de barrages sur le réseau amont. 
Analyser et hiérarchiser les rangs des variables prédictives
Le modèle évalue l’importance de ces 14 variables sur une partie des espèces migratrices, les poissons potamodromes (poisson ayant un cycle de vie en eau douce), et les résultats sont rassemblés dans la figure 1 ci-dessous. 
 

Figure 1. Extrait. TABLE 5 Mean rank (mean relative contribution, %) of environmental variables used to predict relative abundances of potamodromous fishes using BRTs in ecoregions of the UMW, SAP, CPL, and NAP within the eastern conterminous USA. 

Pour les 4 régions de l’est des USA dénommées respectivement UMW, SAP, CPL et NAP on trouve pour les 14 variables un premier chiffre qui donne le rang, c'est-à-dire l’importance relative de la variable, puis entre parenthèse le poids relatif de cette variable en %. Plus l’importance relative d’une variable sera grande plus le rang sera important. Rappelons que ces 4 régions correspondent respectivement : UMW, la région des grands lacs, SAP, la région sud des Appalaches, NAP, la région nord des Appalaches, et CPL les plaines de la côte ouest et sud-ouest. 

Les auteurs de l’article font les commentaires suivants. «Le rang le plus élevé des facteurs naturels du territoire est la température annuelle dans les régions NAP et SAP, la surface de drainage pour la région UMW, et la pente de la rivière pour la région CPL. La variable index de base de débit comme les variables surface de drainage et pente ont des rangs similaires dans les régions UMW et CPL. Parmi les facteurs humains, les espèces potamodrome de poisson sont influencées par un sol de type prairie dans les régions UMW et SAP, les sols cultivés dans la région CPL, et le prélèvement en eau dans la région NAP. Le nombre de barrages sur le réseau aval dans les régions SAP et UMW et la densité de barrages sur le segment principal dans les régions SAP et NAP ont des rangs plus déterminants que tous les facteurs humains de l’utilisation des sols. Plus particulièrement, l’influence des barrages sur le réseau amont (degré de régulation et nombre total de barrages sur le réseau amont) est moindre que tous les facteurs anthropogéniques, contrairement à l’influences des barrages sur le réseau aval qui est le facteur déterminant dans ces régions.».

Cette conclusion qui permet aux auteurs d’affirmer que dans trois régions de de l’est des USA (UMW, SAP, NAP) l’influence des barrages dans le réseau aval est plus déterminante que les facteurs humains doit être fortement relativisée, même si elle est réelle. En effet, ce constat est fondé sur la notion de rang d’une variable sans regarder son importance relative par rapport à l’ensemble de toutes les variables, le rang d’une variable peut être élevé alors que son poids relatif est faible. Par exemple la variable nombre de barrages sur le réseau aval pour la région SAP a le rang 5 sur 14, alors que son poids relatif est de 7% de toutes les variables prédictives. 

A partir du tableau de la figure 1, il est possible de le synthétiser en regroupant l’influence des variables par nature, les facteurs naturels du territoire (N), les facteurs humains dans l’utilisation des sols (H) et la fragmentation des rivières par les barrages (R). 


En effectuant ce regroupement il ne faut pas se méprendre sur l’interprétation de ce tableau. Nous n’avons pas fusionné les 5 variables relatives aux facteurs naturels en une seule variable prédictive, nous disons seulement, par exemple, que le poids relatifs de ces 5 variables pour la région UMW est de 60.2%. 

A partir de là, il est important de constater : (1) les facteurs naturels sont prépondérants et majoritaires dans les 4 régions et conditionnent la relative abondance des espèces de poissons potamodrome, (2) dans toutes les régions l’aspect fragmentation des rivières est moins important que les facteurs humains dans l’utilisation des sols, seule dans la région SAP les facteurs humains sont du même ordre de grandeur que les aspects fragmentation. 
 
Certes, ce regroupement nous a fait perdre en finesse, mais il nous a permis de mettre en lumière ce qui est essentiel. Dans toute interprétation d’un modèle il est bon à la fois de raisonner en grandes masses et aussi de se focaliser sur des aspects secondaires. 

La fragmentation figure dans les variables les moins significatives
Comme nous venons de le voir, l’aspect fragmentation existe mais constitue l’ensemble des variables les moins significatives. Toutefois quand nous examinons cet aspect, les 3 variables, densité moyenne d’un segment, nombre total de barrages sur le secteur aval ou amont ont des rôles différents. On constate tout d’abord que la variable relative au secteur amont joue un rôle négligeable, elle intervient au 13e rang sur 14 dans 3 régions UMW, SAP, et NAP, et elle apparait au 10e rang dans la région CPL. La densité moyenne en barrages d’un segment est seulement significative dans les régions NAP et SAP alors que dans les autres régions elle figure au dernier rang. Enfin, l’influence des barrages dans le réseau aval est la variable la plus sensible dans les régions UMW et SAP pour prédire la relative abondance des poissons potamodromes.

Les auteurs de l’article associeraient ce dernier fait à la position relative d’un segment de rivière dans le réseau fluvial, si un segment est en fin de bassin avec une surface de drainage importante : «la taille de rivière augmente, les canaux deviennent de plus en large et profond avec une surface et un volume d’eau offrant des habitats plus complexes pour une plus large diversité d’espèces.». 

La variable qui mesure le nombre de barrages du réseau aval d’un segment donné est dépendante de la position relative de ce segment, elle est d’autant plus grande que le segment est en tête de bassin versant et prend la valeur 0 pour un segment terminal à l’embouchure. Dans le cas des régions UMW et SAP la très grande majorité des segments de rivières sont des affluents directs ou indirects du fleuve Mississipi et la distance moyenne de ces segments à l’embouchure est très grande. En conséquence le nombre de barrages sur le réseau aval est important et peut impacter l’abondance des poissons potamodromes, ce qui pourrait expliquer la sensibilité et l’influence du réseau aval. Toutefois, dans le cas des poissons potamodromes les déplacements se font sur des distances assez courtes selon les espèces, de l’ordre de la dizaine de kilomètres, et restent donc localisés à une très faible zone du cours d’eau par rapport à la longueur totale du réseau hydrographique. En conséquence, l’abondance des poissons potamodromes devraient être plus influencés par la densité moyenne des barrages sur un segment que par l’importance du réseau aval. Il faut aussi constater que dans ces deux régions, UMW et SAP, c’est la surface de drainage qui est le facteur primordial de la diversité en poissons potamodromes. 

Ainsi, nous voyons la difficulté à faire une interprétation d’un phénomène complexe. Pour approfondir cette analyse, il faudrait disposer des graphiques qui décrivent l’effet de chaque variable sur l’abondance des poissons. Même si ces graphiques ne sont pas parfaits, car toutes les variables ne sont pas indépendantes les unes des autres, ce qui est le cas, ils fournissent une base solide à toute interprétation. En général les logiciels BRT fournissent ces résultats, mais ils ne sont pas présents dans l’article. 

Parmi d’autres études qui ont étudié l’influence des barrages sur les populations piscicoles on peut mentionner celle réalisée sur le bassin de la Loire (4) avec un indice de connectivité dépendant de la densité des barrages dans le réseau fluvial. Cette étude avait montré de façon générale une faible corrélation entre l’indice de connectivité et la qualité de l’indice poisson IPR avec toutefois des modulations plus fortes pour les espèces rhéophiles dans les régions où les pentes sont plus fortes sans toutefois mettre en évidence le rôle du réseau aval. De plus cette étude ne prenait pas en compte ni les propriétés naturelles du territoire ni les facteurs humains. 

En conclusion, si cette étude récente sur un vaste territoire comme celui des USA montre bien les difficultés à appréhender une réalité complexe où de multiples facteurs environnementaux interviennent, elle permet de mettre en lumière plusieurs phénomènes en les hiérarchisant les uns par rapport aux autres. Les facteurs naturels du territoire sont les plus importants dans l’abondance des espèces de poisson potamodromes avec en particulier trois facteurs essentiels relatifs à la température, à l’index de base de débit des cours d’eau et la surface de drainage, ceci doit être mis en rapport avec les évolutions climatiques prévisibles. Dans le futur, les conditions optimales de vie des espèces migratrices risquent d’être profondément affectés par ces changements comme ceci est d’ailleurs souligné par les auteurs de l’article. 

Notes
(2) E. M. Dean, Dana M. Infante, Arthur Cooper, Lizhu Wang, Jared Ross. Cumulative effects on migratory fishes across the conterminous United Stares Regional patterns in fish response to river network fragmentation. River Res. Applic. 2023, 39 : 1736-1748.
(3) J. Elith, J. R. Leathwick, T. Hastie. A working guide to boosted regression trees. Journal of Animal Ecology, 77(4), 802-813.
(4) Van Looy K., Tormos T., Souchon Y. Disentangling dam impacts in river networks. Ecological Indicators 37,10-20, 2014. 

A propos de l'auteur
Ancien Professeur des Universités de Grenoble et Paris XI. Ancien Directeur du laboratoire d'Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble (IMAG) associé au CNRS. Auteur d'un article sur les indices de connectivités dans les réseaux hydrographiques publié au Colloque de limnologie «étangs et lacs» à l'Université d'Orléans en 2021. Membres des Associations des Riverains de France (ARF) et des riverains de l'Indre et de ses affluents (ARDI). Co-fondateur de la coopérative Force Hydro Centre (FHC) pour le développement des énergies hydroélectriques.