26/10/2025

Une passe à poissons par capture et transport améliore la répartition des espèces

Une étude  vient d’évaluer, sur trois ans, les effets de la réouverture d’un axe migratoire pour les poissons sur l’Amblève. L’installation d’un système de capture et transport des poissons au pied de la cascade de Coo a permis de documenter, avec une précision inédite, la recolonisation d’un tronçon de rivière resté fermé pendant plus d’un demi-siècle. Une solution à étudier quand la hauteur de chute (ici 11 m) rend trop importants les coûts de chantier et de foncier.


Le système étudié, illustration extraite de Gelder et al 2025, art cit. 

Les cours d’eau européens sont fragmentés par plus d’un million d’obstacles, perturbant les cycles biologiques des poissons. Dans ce contexte, la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne (2000/60/CE) et diverses lois nationales encouragent la restauration de la continuité écologique, notamment par l’installation de dispositifs de franchissement. L’étude de Justine Gelder, Jean-Philippe Benitez et Michaël Ovidio (Université de Liège) cherche à mesurer, de manière intégrée, les effets d’une passe à poissons sur la diversité, la biomasse et la dynamique des populations après la réouverture d’un axe migratoire.

Le site d’étude est la cascade de Coo, sur la rivière Amblève, affluent de l’Ourthe (bassin de la Meuse). Cet obstacle de 11,8 mètres, d’origine médiévale puis modifié au XXe siècle pour un usage hydroélectrique, bloquait toute migration amont depuis 1970. En 2021, un dispositif de capture-transport a été installé dans le canal de restitution de la centrale : les poissons venant de l'aval et empruntant le canal sont piégés, identifiés, mesurés, puis transportés manuellement et relâchés 500 mètres en amont.

Le suivi a combiné deux approches :
  • des campagnes d’électropêche menées en amont et en aval avant et après l’ouverture (2005–2023), permettant de comparer l’abondance, la biomasse et la diversité des peuplements ;
  • un monitoring continu de la passe à poissons sur trois ans (2021–2024), avec identification, pesée, mesure et marquage RFID des individus capturés.

Des indices classiques de diversité (Shannon, Simpson, Pielou) et de dissimilarité (Bray-Curtis) ont été calculés pour évaluer l’évolution des communautés, tandis que les distributions saisonnières et la taille des individus ont permis de distinguer migrations adultes et déplacements juvéniles.

Avant l’ouverture, la diversité était bien plus élevée en aval (20 espèces, H’ de Shannon–Wiener = 2,93) qu’en amont (13 espèces, H’ = 1,21). Après l’installation de la passe, 17 espèces et plus de 2 300 individus ont été recensés dans le dispositif, révélant une recolonisation rapide et variée. Les espèces rhéophiles (barbeau, spirlin, truite, chabot) ont largement dominé les captures. Le spirlin, absent en amont avant 2021, est apparu en grand nombre dès la deuxième année, marquant un succès de recolonisation.


Fréquence cumulée des individus de diverses espèces en amont de l'ouvrage, sur 3 ans de suivi. 

Les données montrent un effet d’ouverture net : 50 % des captures de barbeaux et de brochets ont eu lieu dès la première année. Les adultes migrent principalement entre avril et juillet pour la reproduction, tandis que les juvéniles se déplacent surtout à l’automne pour trouver des habitats favorables à la croissance ou à l’hivernage. La taille médiane des individus capturés dans la passe était supérieure à celle observée en aval, signe que les poissons les plus robustes ont d’abord colonisé les nouveaux habitats.

Les auteurs soulignent la valeur d’un suivi multi-méthodes et pluriannuel pour comprendre la dynamique de recolonisation après la restauration de la continuité. La passe à poissons de Coo, bien que perfectible (efficacité estimée à 7,9 %), permet déjà à de nombreuses espèces potamodromes de franchir l’obstacle et d’exploiter de nouveaux habitats en amont. Les recaptures de poissons marqués confirment également des allers-retours entre les deux tronçons, preuve d’une reconnexion fonctionnelle du milieu.

L’étude plaide pour le maintien d’un suivi à long terme afin d’observer l’évolution des peuplements sur plusieurs décennies et d’ajuster la conception des dispositifs. Elle démontre que la restauration de la connectivité n’est pas qu’un enjeu pour les espèces migratrices emblématiques. 

Enfin, pour une chute importante, un tel dispositif de capture et transport est bien moins coûteux en foncier et en chantier qu'une passe à poissons classique. En outre, le dispositif est plus sélectif pour les espèces exotiques ou envahissantes, que l'on peut exclure du relargage à l'amont.

Référence :
Gelder J et al (2025), A check-up of the opening of a fish migratory axis on multi-dimensional and multi-annual scales, Journal of Ecohydraulics, 1–13. DOI: 10.1080/24705357.2025.2523799

17/10/2025

Le Conseil d’État met un coup d’arrêt à l’arbitraire administratif contre les moulins fondés en titre

Sous prétexte d’écologie, l’administration avait fini par s’arroger le pouvoir d’effacer des droits réels multiséculaires attachés aux moulins et ouvrages hydrauliques. Par une décision du 10 octobre 2025, le Conseil d’État rappelle fermement que nul, pas même le préfet, ne peut abolir un droit fondé en titre sans loi ni indemnité. Une victoire majeure pour le respect du droit et la défense des patrimoines de l’eau.


Par une décision rendue le 10 octobre 2025, le Conseil d’État a partiellement annulé le refus du ministre de la Transition écologique d’abroger l’article R.214-18-1 du Code de l’environnement. Cette décision marque une étape importante pour la défense des ouvrages hydrauliques fondés en titre.

Depuis 2014, l’article R.214-18-1 du Code de l’environnement imposait aux propriétaires d’ouvrages fondés en titre — des droits réels immobiliers antérieurs à la Révolution — une procédure déclarative lourde et inédite pour toute remise en eau, remise en service ou confortement. Aucune obligation comparable ne pesait sur les ouvrages plus récents, simplement autorisés ou déclarés. Cette différence de traitement, fondée non pas sur un motif environnemental mais sur l’ancienneté du droit, créait une rupture manifeste du principe constitutionnel d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Un pouvoir préfectoral contraire à la Constitution
Surtout, le texte controversé permettait au préfet, saisi d’une déclaration, d’abroger purement et simplement le droit fondé en titre, même en l’absence de ruine ou de changement d’affectation de l’ouvrage. Autrement dit, l’administration pouvait faire disparaître un droit réel attaché à un bien, sans procédure d’expropriation ni indemnisation — une atteinte directe au droit de propriété garanti par la Constitution.

Le Conseil d’État a jugé cette disposition illégale : il a enjoint au Premier ministre d’abroger sous six mois les mots “le droit fondé en titre ou” figurant à l’article R.214-18-1 II 3° du Code de l’environnement. Le pouvoir réglementaire, rappelle la haute juridiction, ne peut remettre en cause la substance d’un droit réel garanti par la loi et la Constitution (article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958).

Cette décision n’annule pas l’ensemble de l’article R.214-18-1, mais elle rétablit une limite essentielle : le préfet ne peut pas supprimer un droit fondé en titre sous couvert de police de l’eau. Il ne peut agir que sur les autorisations d’exploitation, non sur le droit d’usage lui-même, qui reste attaché à l’immeuble.

Une mise en garde adressée au ministère
Au-delà de son aspect juridique, cette affaire illustre une nouvelle fois les dérives du ministère de la Transition écologique, dont certaines pratiques consistent à interpréter les textes de manière extensive, au mépris des principes supérieurs de notre droit.

Le Conseil d’État rappelle ici que l’administration est tenue par la hiérarchie des normes et que les droits anciens, même modestes, bénéficient d’une protection constitutionnelle.

Me Jean-François Remy (ayant porté l'affaire au nom du cabinet Cassini Avocats) se félicite de cette décision, qui met fin à une dérive emblématique et consacre la primauté du droit sur l’arbitraire administratif.

Pour les propriétaires de moulins, d’étangs ou d’ouvrages fondés en titre, cette jurisprudence constitue un précédent fort : la pérennité de leurs droits ne peut être remise en cause sans base légale claire ni indemnisation.

Référence : Conseil d'État, arrêt n°495104, 10 octobre 2025

12/10/2025

Les barrages ne tuent pas la biodiversité, ils la transforment (Dodson et Piller 2025)

Entre 1977 et 1995, la Red River, en Louisiane, a été transformée en voie navigable par la construction de cinq barrages à écluses. Une étude récente, menée à partir de rares relevés piscicoles complets avant, pendant et après la construction de barrages, montre que cette régulation n’a pas entraîné de perte majeure d’espèces, mais a modifié la structure écologique du fleuve. Derrière une richesse spécifique stable, les auteurs observent une homogénéisation fonctionnelle : les poissons migrateurs et inféodés aux courants rapides ont régressé ou disparu, tandis que des espèces sédentaires adaptées aux eaux calmes ont pris leur place. Ces changements, notables pour des écologues et hydrobiologistes, suffisent-ils à blâmer les nouveaux systèmes éco-hydrauliques ainsi mis en place? Doit-on faire de l'écart de peuplement par rapport à un ancien fleuve sauvage un casus belli pour l'aménagement de l'eau et du territoire? 



Le Lindy Claiborne Boggs Lock and Dam.

L’étude de Thomas A. Dodson et Kyle R. Piller, publiée en 2025 dans River Research and Applications, s’intéresse aux effets écologiques de la construction d’un système d’écluses et de barrages sur la Red River, en Louisiane. Cette rivière, historiquement l’une des plus riches en biodiversité du sud-est des États-Unis, a été profondément transformée par le projet fédéral de navigation entrepris entre 1977 et 1995, qui a vu l’édification de cinq ouvrages successifs entre Shreveport et l’Atchafalaya. Les auteurs ont cherché à comprendre comment cette artificialisation du cours d’eau avait modifié les communautés de poissons, non seulement du point de vue taxonomique, mais aussi sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire en termes de traits écologiques et de stratégies de vie.

Leur travail repose sur l’exploitation d’un corpus exceptionnel de 10 962 relevés de poissons collectés entre 1966 et 2002 par le biologiste Royal D. Suttkus et conservés à l’université Tulane. Ces données, réparties sur 57 localités, couvrent trois grandes périodes : avant la construction des barrages (1966-1985), pendant les travaux (1986-1995) et après leur mise en service (1996-2002). Pour chaque année, les chercheurs ont converti les captures en matrice de présence-absence, ce qui permet d’éviter les biais liés à des efforts d’échantillonnage inégaux. Ils ont ensuite analysé les changements d’assemblage à l’aide de tests multivariés (PERMANOVA, SIMPER) et d’indices de diversité fonctionnelle : l’entropie quadratique de Rao (RaoQ), qui mesure la diversité des traits, et la redondance fonctionnelle (FRed), qui indique combien d’espèces remplissent des rôles écologiques similaires. Enfin, chaque espèce a été classée selon le modèle de Winemiller et Rose (1992), qui distingue trois types de stratégies de vie : les espèces « périodiques » (forte fécondité et migrations longues), « équilibrées » (faible fécondité mais forte survie des jeunes) et « opportunistes » (cycle de vie court et reproduction rapide).

Les résultats montrent que la richesse spécifique globale de la Red River est restée relativement stable à travers le temps – 69 espèces recensées avant les travaux, 73 pendant, et 66 après – mais que la composition des assemblages a  changé. Les tests multivariés révèlent des dissimilarités importantes entre les périodes (de 26 % à 32 % selon les comparaisons). Plusieurs espèces emblématiques des milieux à courant rapide ou des migrations de longue distance, comme Ammocrypta clara, Lepisosteus platostomus, Mugil cephalus ou Hiodon alosoides, ont disparu des relevés après la construction. À l’inverse, des espèces associées à des eaux calmes et sédimentées, telles qu’Ameiurus natalis, Fundulus chrysotus, Lepomis cyanellus ou Micropterus nigricans, se sont multipliées.

Sur le plan fonctionnel, la tendance est nette : la diversité des traits a diminué tandis que la redondance a augmenté. L’indice RaoQ est passé de 0,491 avant construction à 0,483 après, indiquant un appauvrissement de la variété écologique, tandis que FRed est passé de 0,495 à 0,502, signe qu’un plus grand nombre d’espèces partagent désormais les mêmes fonctions au sein de l’écosystème. Cette homogénéisation s’accompagne d’un basculement marqué dans les stratégies de vie. La proportion d’espèces périodiques, typiques des grands migrateurs, a fortement chuté (F = 14,9 ; p < 0,0001), alors que les espèces à stratégie équilibrée ont progressé de manière significative (F = 27,46 ; p < 0,0001). Les espèces opportunistes, quant à elles, varient peu, bien que certaines, adaptées aux habitats marginaux et aux courants lents, comme Fundulus chrysotus, aient profité des nouvelles conditions.

Ces transformations traduisent un phénomène de filtrage environnemental typique des cours d’eau régulés : les barrages bloquent les migrations, modifient les régimes d’écoulement et uniformisent les habitats, éliminant ainsi les niches favorables aux grands migrateurs et aux espèces dépendantes des crues saisonnières. À l’inverse, les poissons tolérant les eaux stables et les substrats fins trouvent dans ces nouveaux milieux des conditions plus favorables à leur reproduction et à leur croissance.

Discussion
Dodson et Piller montrent que la construction des cinq écluses et barrages sur la Red River n’a pas entraîné de perte majeure de biodiversité en nombre d’espèces, mais a profondément altéré la structure fonctionnelle des communautés. Le fleuve, autrefois dynamique et hétérogène, s’est transformé en un système plus stable et homogène où dominent les espèces sédentaires. Cette étude illustre la manière dont les écologues et hydrobiologistes utilise moins les approches taxonomiques classiques que des indicateurs fonctionnels et des analyses de stratégies de vie : c’est à ce niveau plus subtil que se révèlent les conséquences écologiques durables des aménagements hydrauliques. 

La question posée par ces recherches est cependant de savoir si les altérations ainsi décrites sont graves ou non, du point de vue des citoyens et de leurs représentations ou usages des cours d'eau. Les variations des indices fonctionnels (RaoQ ou FRed) sont faibles, bien que statistiquement significatives: elles signalent un glissement écologique lié à un changement de milieu, non un effondrement. Autrement dit, les barrages et leurs milieux ne sont pas des tombeaux de biodiversité, mais des transformateurs de cette biodiversité. Ils substituent à une diversité de formes et de comportements aquatiques un régime un peu plus "monotone", dominé par des espèces tolérantes et généralistes. 

Référence : Dodson TA et Piller KR (2025), Lock and dam construction changes a large river fish assemblage structure, River Research and Applications, 41, 7, 1456-1467.

05/10/2025

La gestion des crues et inondations doit changer de dimension et d'orientation !

Face au risque croissant d'inondations, une gestion moderne et efficace de l'eau est plus que jamais nécessaire. Loin de se limiter à une seule approche, la lutte contre les crues repose sur un éventail de solutions complémentaires. Cet article explore les trois piliers fondamentaux de cette stratégie : le génie civil pour maîtriser les flots, les solutions fondées sur la nature pour renforcer la résilience, et enfin, l'anticipation grâce à l'information en temps réel pour une gestion de crise optimale. Nous sommes très loin d'avoir une prise de conscience des moyens humains et financiers nécessaires à cela. L'argent public étant limité, il faut désormais changer les arbitrages de l'eau tels qu'ils étaient posés depuis la loi de 1992. 




Le constat est reconnu par tous : les événements climatiques extrêmes s'intensifient et imposent des conditions nouvelles, parfois jamais vues. Au regard du rythme des émissions carbone qui ne faiblit pas, nous savons d'ores et déjà que nous devrons affronter des épisodes critiques sur la plupart des bassins, à horizon 2050 et 2100. 

Le génie hydraulique : maîtriser et contrôler les eaux
Les solutions issues de l'ingénierie hydraulique visent à contrôler, contenir et réguler les flux d'eau. Elles sont au cœur de la sécurisation des aménagements existants face aux aléas naturels.

Les ouvrages de protection : la contention et diversion des flots
Ces infrastructures sont la première ligne de défense pour protéger des zones spécifiques, qu'elles soient urbaines ou économiques.
  • Digues et systèmes d'endiguement : Il s'agit d'ouvrages longitudinaux comme des remblais en terre, des murets ou des quais, qui assurent la protection d'un périmètre défini. Leur bonne gestion est un enjeu majeur pour la sécurité publique.
  • Ouvrages complémentaires : Pour être pleinement efficaces, les digues doivent être associées à des dispositifs comme des vannes ou des stations de pompage.
  • Gestion des surverses : Il est crucial de prévoir une hauteur de sécurité (revanche) sur les digues. En cas de crue exceptionnelle, un déversoir aménagé peut permettre une inondation contrôlée, bien moins dangereuse qu'une rupture brutale de l'ouvrage.
  • Entretien des fossés, curage local des cours d'eau : Les chantiers d'entretien des fossés de bords de route, bords de champs et  traversées urbaines, ainsi que localement le curage de sédiments en excès dans les lits des rivières sont indispensables pour divertir et écouler les eaux de fortes précipitions et les débits de crue. Ces chantiers doivent être simplifiés pour les propriétaires, communes et aménageurs (guide de bonnes pratiques, sans délai / complexité de déclaration ou autorisation). 
Les ouvrages de régulation : ralentir et stocker la crue
Plutôt que de simplement contenir l'eau, ces solutions visent à atténuer les pics de crue en amont des zones sensibles, principalement par du stockage temporaire.
  • Barrages écrêteurs de crue : Ces ouvrages barrent un cours d'eau pour intercepter la crue. Un orifice de fond laisse passer les débits habituels, mais lorsque le débit augmente, la retenue se remplit et "écrête" le pic de la crue.
  • Bassins de stockage en dérivation : Implantés dans le lit majeur, ces "retenues sèches" sont souvent constituées d'endiguements qui se remplissent temporairement lors d'une crue, tout en conservant leur usage agricole ou forestier le reste du temps.
  • Ouvrages anciens (moulins, étangs) : Il ne faut pas sous-estimer le rôle historique des milliers de retenues de moulins et d'étangs. Ils sont cruciaux pour la régulation des débits, le stockage de l'eau et l'alimentation des nappes phréatiques. Leur destruction est aujourd'hui considérée comme une politique contre-productive face à l'augmentation des risques hydrologiques.

Les solutions fondées sur la nature (SBN) : travailler avec les écosystèmes
En complément des approches techniques, les SBN utilisent les processus naturels pour ralentir, infiltrer et stocker l'eau.
  • Restauration du lit majeur : Préserver et restaurer les champs d'expansion des crues (ZEC) permet à la rivière de déborder naturellement, ce qui limite les débits en aval et favorise l'infiltration.
  • Aménagements des versants : Des actions comme la revégétalisation des berges, la réhabilitation de haies ou la création de talus permettent de ralentir le ruissellement de l'eau avant même qu'elle n'atteigne le cours d'eau principal.
  • Gestion des sols : La désimperméabilisation des sols, en ville comme à la campagne, est essentielle pour permettre à l'eau de pluie de s'infiltrer directement sur place et de recharger les nappes.
  • Restauration de zones humides : Les mares, étangs et autres zones humides agissent comme de véritables éponges naturelles, absorbant les excès d'eau tout en jouant un rôle de filtre et de puits de carbone.

L'anticipation et l'information : la clé de la gestion de crise
Pour les inondations rapides, l'anticipation est la clé. Une information en temps réel permet aux élus et aux citoyens de prendre les bonnes décisions au bon moment.

Les outils d'information et action en temps réel
Ces dispositifs permettent d'estimer le délai entre la détection d'un danger et ses premiers effets.
  • Vigilance Météo & Crues : Météo-France et VigiCrues sont les services de référence pour les prévisions et le suivi des phénomènes hydrométéorologiques et des niveaux d'eau.
  • Zones inondées potentielles (ZIP) : Ces cartes, destinées aux services de l'État et aux collectivités, définissent les zones à risque et aident à améliorer la planification de crise.
  • Système d'information géographique (SIG) : Des outils comme le SIRS digues permettent de conserver la mémoire des événements et de gérer les informations sur les ouvrages pour faciliter la prise de décision.
La planification de la réponse locale
L'information n'est utile que si elle est intégrée dans une organisation de réponse claire. C'est le rôles des programmes comme  le Plan Communal de Sauvegarde (PCS) ou le Plan d'intervention gradué, ainsi que des outils de pilotage (main courante,  tableau de suivi,  cartographie opérationnelle, poste de commandement).

Face aux discours officiels : un décalage criant avec les urgences du terrain
Les gestionnaires publics de l'eau affirment souvent que tout le nécessaire est déjà mis en œuvre pour faire face aux nouveaux risques. Pourtant, un examen attentif des budgets, des choix stratégiques et des résultats sur le terrain révèle une réalité bien différente.

Des budgets inadaptés aux nouvelles priorités. Face à l'urgence climatique, la répartition des budgets des Agences de l'eau semble figée dans le passé. La gestion quantitative de l'eau, essentielle pour lutter contre les sécheresses, ne représente qu'environ 11% des aides, tandis que la prévention des inondations est soutenue à hauteur de 13%. Ces chiffres sont manifestement insuffisants au regard des menaces. Les interventions crues et sécheresses demandent des budgets important pour faire la différence, car elles impliquent du génie civil et du foncier. Certaines opérations "cosmétiques" et isolées donnent un faux sentiment de sécurité, mais ont une faible capacité de stockage d'eau. C'est une intervention systémique et sur tous les postes qui est nécessaire.  À budget global constant, les budgets de gestion quantitative et de risque inondation des agences doivent impérativement augmenter, quitte à sacrifier une partie des financements alloués à la gestion qualitative, dont l'urgence est  moindre que la protection des vies et des biens.

La marginalisation scandaleuse des solutions hydrauliques. Depuis les lois sur l'eau de 1992 et 2006, les solutions fondées sur l'hydraulique et le génie civil ont été progressivement marginalisées au profit d'une approche favorisant la "renaturation". Pire encore, on estime que 5 à 10% des budgets publics des 20 dernières années ont pu être consacrés à la destruction d'ouvrages hydrauliques (seuils, petits ou grands barrages, biefs de moulins, canaux irrigation, étangs et plans d'eau en lit mineur) qui jouent pourtant un rôle utile dans la régulation des débits et le stockage de l'eau. Cette politique, menée au nom d'une vision dogmatique de l'écologie, nous a privés d'outils précieux pour la gestion des crues et des étiages. Elle doit disparaître des SAGE, des SDAGE et des plans de gestions. Les acteurs de l'hydraulique petite ou grand doivent être associés à l'enjeu de régulation de l'eau, les ouvrages doivent être entretenus, restaurés, gérés ave l'accompagnement positif des pouvoirs publics, et non l'indifférence ou l'hostilité comme aujourd'hui. 

Une alerte des populations qui reste trop souvent un vœu pieux. On le constate à presque chaque drame : l'alerte en temps réel et l'information des populations et des élus restent un maillon faible. Les alertes arrivent souvent trop tard, et les bonnes pratiques, pourtant bien documentées dans les plans de sauvegarde, ne sont pas toujours intégrées dans les réflexes locaux. Tant que la culture du risque et les systèmes d'alerte ne seront pas considérés comme une priorité, nous continuerons de déplorer des catastrophes qui auraient pu être évitées.

Conclusion : une stratégie intégrée pour un avenir plus sûr
La gestion moderne des inondations ne peut se permettre d'opposer les solutions les unes aux autres. La protection efficace de nos territoires repose sur une mobilisation de toutes les options, sans exclusive. Le génie hydraulique reste un impératif pour la sécurité des zones à enjeux, tandis que les solutions fondées sur la nature apportent une résilience de fond aux bassins versants. Ces stratégies de prévention doivent impérativement être couplées à des systèmes d'information et de planification de crise performants pour garantir une réponse rapide et coordonnée.

Face à un climat qui change, la prudence commande de renforcer nos capacités dans chacun de ces domaines, en assurant que les compétences techniques et les financements soient à la hauteur des défis qui nous attendent.

28/09/2025

Quand la rivière tue, priorité doit être donnée à la sécurité des citoyens

Le 22 septembre 2025, une femme de 55 ans perdait la vie à Guingamp, emportée par une crue soudaine. Un drame terrible, rendu encore plus insupportable par le lieu de l'accident : la vallée de Cadolan, qui venait de faire l'objet d'un chantier de "renaturation" à près d'un million d'euros, censé lutter contre les inondations. Cet événement tragique rappelle que la rivière tue : le risque zéro est impossible, mais le devoir du gestionnaire public de l'eau est de protéger les citoyens. Or la politique de l'eau a fait depuis des décennies le choix idéologique de la "restauration écologique des rivières" au détriment du génie hydraulique et de la protection des populations, qui se retrouvent sous-financés. Face à l'urgence climatique, il est temps de replacer la sécurité des personnes et la maîtrise de l'eau au cœur d'une véritable politique de gestion des bassins versants.


(DR, actu.fr)

Le lundi 22 septembre 2025, à 7h15 du matin, une agente du lycée Pavie s'engage sur la route du lieu-dit Cadolan. Le département est en proie à ce que Météo France qualifie d'"épisode pluvieux remarquable", avec des cumuls atteignant plus de 150 mm dans le secteur de Plouha entre le dimanche midi et le lundi matin. Alors qu'il fait encore nuit, sa voiture est surprise par une montée des eaux fulgurante. L'issue sera fatale.

Ce drame exprime aussi un échec. Car la vallée de Cadolan n'est pas un lieu anodin. C'est le site d'un projet phare de l'agglomération Guingamp-Paimpol, une opération de réhabilitation écologique à 840 000 euros. L'aménageur lui-même expliquait que l'idée initiale était de créer cet espace "pour éviter la construction d'un nouveau barrage qui permettait de lutter contre les inondations". 

Le résultat ? Face à une crue réelle, le secteur engorgé s'est transformé en piège mortel.

La politique de l'eau : tout pour l'écologie, plus grand chose pour l'hydraulique
Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il faut se plonger dans les documents qui orientent la politique de l'eau sur chaque territoire, comme le SAGE voisin de la Baie de Lanion ou les documents de l'Agglomération de Guingamp-Paimpol. On y parle de préserver les "zones d'expansion des crues" ou de "sensibiliser à la culture du risque". On y évoque des "solutions fondées sur la nature" et des "restaurations écologiques". Pas un mot sur les solutions de génie hydraulique qui ont fait leurs preuves depuis des décennies. Pas un mot sur des barrages de retenue en amont, des digues de protection ou des canaux de contournement pour dévier les crues des zones habitées. La doctrine publique de gestion de l'eau est devenue : on ne s'oppose plus à l'eau, on lui laisse de la place. C'est un choix politique qui, au nom de la nature, abandonne des décennies de savoir-faire en matière de sécurité hydraulique.

Pire, cette doctrine publique a conduit à se priver des outils de régulations de l'eau, en particulier les barrages et canaux qui soit sont découragés et sous-financés, soit carrément détruits volontairement quand ils existent. 

Dans cette région de Guingamp-Paimpol-Lannion, l'idéologie de la destruction des barrages et la vénération des rivières "sauvages" n'est pas nouvelle. On peut remonter à 1996. Cette année-là, le barrage de Kernansquillec sur le Léguer, un ouvrage de 15 mètres de haut, fut entièrement démoli. Bien que situé sur un bassin versant voisin du Trieux (donc sans impact sur le cas de Guingamp), son démantèlement fut érigé en exemple régionale et national ; il a servi de déclencheur politique et idéologique à la doctrine de "l'effacement" systématique des ouvrages hydrauliques, qui fut ensuite le dogme appliqué partout, en Bretagne et en France.

La circulation de la truite ou du saumon passe après les vies humaines
Face à la tragédie de Guingamp, les citoyens sont en droit de demander des comptes à l'agence de l'eau, à l'agglomération Guingamp-Paimpol et aux acteurs à compétence Gemapi, qui appliquent ces orientations.

Comment peut-on justifier de dépenser des millions d'euros d'argent public dans une politique qui fait de la circulation de la truite ou du saumon une priorité, tout en ignorant les outils les plus efficaces pour protéger les vies humaines ? Comment peut-on se contenter de brandir des "solutions fondées sur la nature" sans garantir qu'elles seront efficaces en crue, sans évaluer l'eau stockée par ce biais, sans alerter les citoyens du nouveau régime d'écoulement que cela implique ? 

La priorité absolue doit être la sécurité et la santé des personnes. L'écologie de la "restauration", aussi louable soit-elle, ne peut primer sur cet impératif. Que l'on investisse dans des solutions fondées sur la nature, comme de véritables zones humides d'expansion de crues, pourquoi pas. Mais d'abord à condition que l'efficacité soit démontrée. Ensuite en complément, et non en remplacement, des ouvrages de protection active ainsi que de la gestion technique des ruissellements en zone urbaine.

L'aménagement de la vallée de Cadolan a montré les limites de la seule renaturation, et cela de la plus tragique des manières.

Pour un changement de cap : la sécurité d'abord
L'heure est à l'action. Il faut un moratoire immédiat sur toute destruction de barrages et de seuils qui participent, même modestement, à la régulation des eaux. Il est vital de réinvestir dans une approche hydraulique robuste, et même de reprendre la construction d'ouvrages de protection là où c'est nécessaire. Cela implique également de financer en priorité des systèmes d'alerte météo et de crues plus réactifs et plus localisés, pour que ni les citoyens, ni même les élus, ne soient surpris par une montée des eaux fulgurante en pleine nuit.

Cela passe aussi par un changement dans les mentalités et les compétences. Les agents publics qui gèrent nos rivières doivent être formés au génie hydraulique et à la gestion des risques, pas seulement à la biologie et à la morphologie des cours d'eau.

Cet impératif est rendu encore plus criant par le réchauffement climatique. Les experts nous alertent depuis plus de 20 ans : les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus intenses. Pourquoi, dans ce cas, nos aménageurs n'ont-ils pas réfléchi plus tôt au dimensionnement des projets ? Pourquoi ne pas avoir compris le coût énorme que représente une maîtrise correcte des écoulement en zone agricole et urbaine, donc la nécessité de concentrer et non disperser l'effort public en subventions et en personnels ?  

Continuer sur la voie actuelle, c'est faire le choix de l'impréparation. Un choix inacceptable. Un choix qui doit disparaître des SDAGE et des SAGE. 

Protéger la biodiversité est nécessaire, restaurer des naturalités peut être utile. Mais garantir la sécurité et la santé des habitants est le premier devoir du gestionnaire public. Il est temps de remettre l'ingénierie, la prudence et le bon sens au cœur de la gestion de nos rivières. Avant qu'une autre crue ne vienne nous rappeler, de la plus brutale des manières, le coût de nos égarements par rapport à la hiérarchisation et la priorisation des actions.