24/07/2025

Le conseil d'Etat suspend un effacement d’ouvrage hydraulique et exige la prise en compte des propriétés du barrage

Le Conseil d’État, par une décision du 16 juillet 2025, a suspendu l’exécution d’une déclaration de travaux délivrée par le préfet de l’Indre pour l’effacement de l’étang du Grand Moulin (Aigurande), chantier mené par la fédération de pêche. Cet arrêt éclaire les conditions dans lesquelles une opération de restauration des milieux aquatiques doit relever d’un régime d’autorisation, et non d’une simple déclaration, en particulier lorsqu’un barrage classé est en cause.


Le 4 mars 2024, la fédération départementale de pêche et des milieux aquatiques de l’Indre dépose une déclaration de travaux auprès de la préfecture, visant l’effacement de l’étang du Grand Moulin, à Aigurande (Indre), impliquant l’ouverture partielle ou totale du barrage retenant l’étang. Le préfet délivre un récépissé le 15 avril 2024, assorti de prescriptions.

Deux associations — la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM) et l’Association pour la sauvegarde de l’étang du Grand Moulin — saisissent en urgence le juge des référés du tribunal administratif de Limoges pour suspendre cette décision. Elles soutiennent notamment que les travaux nécessitaient une autorisation au titre de la législation sur l’eau, et non une simple déclaration. Par ordonnance du 8 août 2024, le juge des référés rejette leur demande. Les associations se pourvoient alors en cassation.

Dans son arrêt, le Conseil d’État reproche à la juge des référés de ne pas avoir appliqué correctement les critères du code de l’environnement pour apprécier le régime applicable aux travaux :

L’article R. 214-1 distingue les travaux soumis à déclaration ou à autorisation selon leur impact potentiel sur les milieux aquatiques.

Les travaux d’effacement de barrage sont soumis à autorisation s’ils portent sur un barrage classé, au sens de l’article R. 214-112 (hauteur, volume, présence d’habitations à l’aval).

Or, la juge a estimé que le barrage n’était pas classé, non pas au regard de ces critères techniques, mais parce qu’un arrêté préfectoral avait abrogé son droit d’eau. Cette substitution de critères juridiques à des critères techniques constitue une erreur de droit.

Le Conseil d’État constate que le barrage présente :
  • une hauteur supérieure à 2 mètres,
  • une superficie de 27 000 m²,
  • et potentiellement un volume supérieur à 50 000 m³, avec des habitations à moins de 400 mètres à l’aval.
Ces éléments sont suffisants pour faire naître un doute sérieux quant au caractère classé de l’ouvrage et à la légalité du régime de simple déclaration retenu.

Les travaux ayant débuté le 16 juillet 2024, soit bien avant qu’un jugement au fond puisse intervenir, l’urgence à suspendre l’exécution est reconnue.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés de Limoges, fait droit à la demande de suspension, et condamne solidairement l’État et la fédération départementale de pêche de l’Indre à verser 3 000 euros aux associations requérantes au titre des frais de procédure.

Les apports de cet arrêt :
  • Le juge administratif doit appliquer strictement les critères techniques du classement des barrages (R. 214-112 C. env.) pour déterminer si un effacement relève du régime d’autorisation.
  • Le droit d’eau abrogé n’a pas d’incidence sur la qualification physique de l’ouvrage au regard du classement réglementaire.
  • Une intervention rapide est possible si les travaux ont commencé et qu’un doute sérieux sur la légalité existe.
Cet arrêt protège les intérêts patrimoniaux et écologiques liés à certains étangs et moulins menacés d’arasement précipité. Il montre la capacité à résister juridiquement à des politiques publiques aberrantes, coûteuses et clientélistes, qui sont vivement critiquées par les riverains. Bravo aux plaignants. 

Référence : Conseil d’État, 16 juillet 2025, arrêt n° 497179, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins et Association pour la sauvegarde de l’étang du Grand Moulin, ECLI:FR:CECHS:2025:497179.20250716.

07/07/2025

Quand les truites de nos rivières contredisent le dogme de la continuité écologique

Dans une analyse appuyée sur des données de terrain, Patrice Cadet et Christian Lévêque questionnent les fondements scientifiques de la politique française de «restauration de la continuité écologique». À travers l’étude de populations de truites fario dans le bassin de la Loire, les deux chercheurs révèlent des effets contre-intuitifs des petits seuils et alertent sur les menaces que représentent certaines espèces invasives comme le goujon asiatique (pseudorasbora). Une contribution critique, nourrie de science de terrain, au débat sur la gestion des rivières.


La «continuité écologique», principe annexe de la directive cadre européenne sur l’eau (DCE 2000) et central dans la loi frnaçaise sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA 2006), vise à garantir la libre circulation des poissons et le transport naturel des sédiments, en supprimant ou aménageant les ouvrages transversaux des rivières (seuils, digues, barrages). Ce concept repose selon les auteurs sur trois axiomes peu débattus scientifiquement : 1. cette continuité est essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes ; 2. sa restauration nécessite de supprimer les ouvrages ; 3. tous les obstacles ont des effets comparables. Or, rappellent-ils, les petits seuils historiques n’ont ni la hauteur ni l’impact des grands barrages modernes, souvent confondus à tort dans les politiques publiques.

Cadet et Lévêque analysent les données de la Fédération de Pêche de la Loire sur 17 sites des bassins de l’Aix, du Lignon et de la Coise. Ils confirment que la biomasse de truites fario est corrélée positivement à l’altitude — donc à la fraîcheur de l’eau — et que la température, dépassant parfois les 25 °C, constitue un facteur critique de stress. Mais au-delà de cette logique thermique, un autre facteur ressort avec force : la présence du goujon asiatique (Pseudorasbora parva), vecteur d’un parasite mortel pour les salmonidés.

Là où Pseudorasbora est absent, les densités de truites sont jusqu’à 78 % plus élevées. Même en tenant compte du biais altitudinal, l’impact reste majeur : en moyenne -60 à -65 % de densité. Pourtant, cette espèce invasive semble stoppée en tête de bassin… par la présence de seuils ! L’ironie est mordante : les mêmes ouvrages que l’administration souhaite effacer empêchent peut-être la progression d’un vecteur pathogène destructeur.

Les données statistiques confirment également que plus le nombre de seuils est élevé, plus la densité de truites est importante, corrélée à l’altitude. Deux hypothèses sont alors discutées : soit les truites franchissent les obstacles (et la continuité n’a pas à être restaurée), soit elles n’en ont pas besoin, étant sédentaires — une hypothèse largement étayée par des études génétiques antérieures (Berrebi, Caudron, Ovidio). Cette sédentarité permettrait d’expliquer la diversité génétique locale et les capacités de reproduction autonomes dans chaque tronçon de rivière.

Les auteurs étendent leur analyse aux paramètres abiotiques : altitude, débit minimal par habitat, pourcentage de couverture forestière, etc. Ils montrent que les têtes de bassin les plus favorables aux truites sont aussi celles qui présentent paradoxalement un fort taux de fragmentation — ce qui est fort contre-intuitif par rapport aux discours dominants ! Un seuil élève la ligne d’eau, favorise l’infiltration vers la nappe phréatique, puis la restitution d’eau fraîche en été. Ce mécanisme naturel de régulation hydrique, appuyé par les lois de Darcy et observé par l’OFB et le BRGM, est ignoré dans l’approche actuelle, focalisée sur l’effacement des obstacles.

Le texte interroge également les idées fausses sur la pénurie d’eau. Les auteurs rappellent que la France dispose de ressources considérables (nappes, pluie, cours d’eau) mais qu’elle ne mobilise qu’une fraction infime de son potentiel, et la mauvaise gestion semble prévaloir sur la véritable rareté.

Enfin, Patrice Cadet et Christian Lévêque dénoncent une politique publique incohérente : alors que des castors ou des écologistes peuvent construire des barrages pour restaurer les milieux, les seuils des moulins sont détruits sans égard pour leur fonction écologique ou patrimoniale. Cette asymétrie de traitement, jugée idéologique, s’oppose aux logiques scientifiques de terrain. La fragmentation, au lieu d’être un mal, pourrait s’avérer un rempart face au changement climatique et à la perte de biodiversité aquatique.

Une étude à lire, puis à diffuser auprès d'un maximum d'élus et de syndicats de rivières !

Référence : Cadet P., & Lévêque C. (2025). La continuité écologique, qu’en pensent les truites de la Loire ? Rapport scientifique, 21 p. (lien pdf)

30/06/2025

Objectif 10 milliards de m³ de stockage d'eau

Sécheresses, conflits d’usage, crues brutales : la France subit un cycle de l’eau déstabilisé. Pourtant, nous laissons partir vers la mer des dizaines de milliards de m³ d’eau sans en maîtriser les flux. Et si l’on changeait d’échelle ? Pour un plan national de stockage et régulation de l’eau


Chaque année, 503 milliards de m³ d’eau tombent sur le territoire de la France métropolitaine sous forme de pluie ou de neige. Pourtant, moins de 1 % de cette ressource est réellement utilisée par la société : seulement 4,2 milliards de m³ sont captés de manière nette pour l’eau potable, l’agriculture ou l’industrie. Le reste s’évapore (314 milliards), s’infiltre dans les sols (120 milliards) et surtout repart vers la mer (176 milliards), souvent sans profiter aux milieux ni aux humains (source).

Dans un contexte de dérèglement climatique, où les sécheresses s’intensifient et les conflits d’usage se multiplient, cette situation n’est plus tenable. Il devient urgent de reprendre la main sur le cycle de l’eau, en favorisant sa rétention, sa régulation et son partage intelligent dans le temps.

C’est tout le sens de l’objectif que nous proposons : créer, restaurer ou sécuriser 10 milliards de m³ de stockage d’eau en France. Ce volume peut paraître impressionnant, mais il représente à peine 2 % des précipitations annuelles, ou environ 6 % de l’eau qui s’écoule chaque année vers la mer. C’est un objectif à la fois ambitieux et atteignable, à condition de mobiliser toutes les solutions disponibles — hydrauliques et naturelles — de manière complémentaire.

Retrouver le sens d’une hydraulique maîtrisée
Longtemps, la France a su s’équiper d’ouvrages hydrauliques pour sécuriser ses ressources, irriguer ses terres, soutenir ses étiages. Mais depuis deux décennies, la dynamique s’est inversée. Le démantèlement d’étangs, de seuils, de canaux s’est accéléré, au nom d'idées parfois légitimes (réduction de certains impacts), mais appliqués de manière systématique voire dogmatique, et sans stratégie de substitution.

Il faut sortir de cette logique de disparition des retenues et diversions d'eau. Une hydraulique moderne, raisonnée et multi-usages est aujourd’hui indispensable pour amortir les effets du changement climatique. Cela implique :
  • de revaloriser les grands barrages existants, et d’en créer de nouveaux là où les besoins sont criants (soutien d’étiage, réserve incendie, agriculture, hydroélectricité souple) ;
  • de réhabiliter les petits plans d’eau, étangs, réservoirs collinaires, canaux, biefs souvent détruits alors qu’ils jouaient un rôle local essentiel de régulation ;
  • de remettre en fonction ou créer certains canaux en tant que vecteurs de redistribution locale et territoriale de la ressource ;
  • de déployer des bassins de retenue temporaire, qui stockent l’eau excédentaire en hiver pour la restituer en été ;
  • de développer la récupération et la réutilisation de l’eau, y compris les eaux usées traitées, pour des usages non domestiques.
Cette hydraulique ne doit pas être opposée à l’écologie : elle doit au contraire devenir un outil au service des milieux — à condition d’être pensée dans une logique intégrée et multi-usage.

Renforcer les capacités naturelles de stockage
L’autre levier fondamental, complémentaire du précédent, réside dans les solutions fondées sur la nature. L’enjeu ici n’est pas de stocker l’eau dans des ouvrages dédiées, mais dans les sols, les nappes, les zones humides, en profitant de certaines dynamiques physiques (comme les crues) ou biologiques (comme la végétation). Ces capacités naturelles de rétention ont été gravement amoindries au fil des décennies par l’urbanisation, la suppression des haies, la destruction des marais ou la compaction des sols.

Il est temps d’inverser la tendance. Un plan national de stockage doit aussi viser à :
  • restaurer et reconnecter les zones humides, qui fonctionnent comme des éponges naturelles capables de retenir de grandes quantités d'eau par hectare ;
  • désimperméabiliser les sols urbains, en supprimant le bitume inutile, en réintroduisant des noues, des trames vertes, des zones végétalisées ;
  • favoriser l’infiltration lente en milieu agricole, par la couverture permanente des sols, le maintien des prairies, l’agroforesterie, la restauration des ripisylves ;
  • rendre de l’espace aux rivières, en rouvrant des zones d’expansion de crue là où cela est possible, notamment dans les plaines alluviales.
Ces solutions dites “naturelles” ne sont pas moins techniques que les infrastructures classiques. Elles demandent des compétences, des financements, du foncier, une gouvernance locale forte, une écoute (et non un mépris) de certaines professions impactées dans leurs pratiques actuelles. Mais elles ont l’avantage de combiner régulation hydrologique, résilience écologique et co-bénéfices multiples (sols vivants, biodiversité, microclimat…).

Pour une stratégie de régulation de l’eau à long terme
L’objectif de 10 milliards de m³ de stockage ne se résume pas à un chiffre. Il trace une vision d’aménagement du territoire, fondée sur la répartition équilibrée de la ressource, la préservation des milieux et la sécurité des usages. C’est un projet qui suppose une mobilisation de l’État, des collectivités, des agences de l’eau, du monde agricole et des citoyens. Une révision des lois sur l'eau de 1992 et 2006 sera nécessaire, car l'approche hydraulique y avait été complètement sacrifiée et elle a quasi-disparu de la culture des gestionnaires publics de l'eau. C'est évidemment intenable.

Il est temps de sortir du l'attitude de court terme, qui alterne sécheresses et arrêtés de crise, inondations et plan de catastrophes naturelles. Il faut redonner à la France une capacité structurelle de stockage et de régulation, en conformité avec son histoire multiséculaire de maîtrise de l'eau. Non pour consommer plus, mais pour subir moins. Non pour figer l’eau, mais pour mieux la faire circuler, au bon moment, au bon endroit.

Objectif 10 milliards de m3 d'eau : une ambition nécessaire pour un pays qui veut rester maître de son avenir hydrique !

16/06/2025

Les roues hydrauliques de Venise (Gentilcore 2025)

À la Renaissance, Venise dépendait largement de la récupération de l’eau de pluie pour alimenter ses citernes, mais cela ne suffisait pas. Pour compléter cette ressource, l’eau douce de la rivière Brenta était transportée par barges depuis le site de Lizzafusina, grâce à des dispositifs de levage hydraulique. L’historien David Gentilcore explore comment ces roues hydrauliques furent au cœur d’un étonnant système d’innovation, de brevets et de rivalités d’inventeurs.


Venise, encerclée par l’eau salée de sa lagune, manquait cruellement d’eau douce. Des barges acheminaient l’eau depuis le continent, mais il fallait la hisser depuis le canal de la Brenta jusqu’aux réservoirs des bateaux. Cette tâche difficile fut confiée à des machines hydrauliques, dont la plus emblématique fut une roue à godets actionnée par des chevaux, installée à Lizzafusina.

Dès 1474, Venise mit en place un système de "privilegi" — l’un des tout premiers régimes de brevets d’invention en Europe. Cela ouvrit un espace de concurrence entre artisans, ingénieurs et inventeurs de tous horizons : horlogers, charpentiers, médecins, mathématiciens… Tous voulaient proposer une machine "nouvelle", mais souvent, il s’agissait d’améliorations modestes. Le prestige de noms comme Galileo ou Torriani côtoie ici les efforts obscurs d’artisans locaux.

Les pétitionnaires promettaient souvent monts et merveilles, mais très peu de leurs machines furent réellement construites. Ce n’était pas tant l’innovation technique qui intéressait les autorités que l’efficacité : un engin fonctionnel, économique, facile à entretenir. L’autorité publique se montrait pragmatique, accordant le privilège seulement après démonstration concrète, et parfois en échange d’une exemption de taxe ou d’une charité à un hôpital.

Trois témoins de l’époque — Montaigne, Schickhardt et Zonca — ont laissé des descriptions et dessins précieux des dispositifs. Zonca, en particulier, fournit une représentation technique crédible dans son Teatro di Machine, montrant une roue logée dans un bâtiment en bois, alimentant une goulotte vers les barges. Contrairement à bien des "machines de théâtre", celle-ci était réelle, fonctionnelle et rustique.

Lizzafusina devient ainsi un véritable "carrefour technique" où se croisent savoir-faire artisanal, ambitions sociales et enjeux politiques. Sans école d’ingénieurs à l’époque, les savoirs circulent librement, de l’atelier du charpentier aux académies humanistes, en passant par les couloirs du Sénat de Venise.

Au début du XVIIe siècle, les roues hydrauliques de Lizzafusina sont démontées. Un nouveau canal est creusé depuis Dolo pour amener l’eau jusqu’à Venise, mettant fin à cette aventure mécanique. Mais l’histoire de ces machines, bien qu’éphémères, raconte une autre histoire : celle d’une ville qui, en quête de solutions concrètes, sut stimuler l’ingéniosité de ses habitants autant que celle d’inventeurs venus d’ailleurs.

12/06/2025

Appel d'une sénatrice à la prudence scientifique sur la continuité écologique

Dans une question écrite adressée à la ministre de la transition écologique, la sénatrice Nadia Sollogoub alerte sur les fondements scientifiques fragiles de la politique de continuité écologique. S’appuyant sur une expertise coordonnée par l’INRAE et l’OFB, elle souligne les nombreuses incertitudes entourant les effets réels des effacements d’ouvrages. Face aux échecs mal documentés, aux contestations riveraines et à l'absence de cadre expérimental rigoureux, elle plaide pour une révision en profondeur des méthodes et des normes, avant toute généralisation des interventions. Une prudence salutaire que la ministre de la transition écologique serait avisée de respecter...


Dans une question écrite adressée à la ministre de la transition écologique le 15 mai 2025, la sénatrice de la Nièvre Nadia Sollogoub alerte sur les lacunes scientifiques entourant les opérations de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle s’appuie sur une synthèse récente du Réseau des zones ateliers françaises, coordonnée par l’INRAE et soutenue par l’OFB, qui souligne les incertitudes persistantes quant aux effets réels de la fragmentation des cours d’eau et à l’efficacité des opérations de restauration. Nous avions recensé cette publication de Maria Alp et al 2024

Nous remercions la sénatrice de sa vigilance pour tous les sujets liés à l'eau, et en particulier à la gestion des ouvrages hydrauliques. Hélas, la politique de continuité écologique a été adoptée sur la base fragile des vues particulières d'une fraction de l'administration, de la recherche, des ONG et de certains usagers (pêcheurs de salmonidés). Elle a pourtant donné lieu à un classement massif des cours d'eau et à des campagnes systématiques de destruction d'ouvrages anciens, sans l'élémentaire prudence de faire des tests plus limités et d'analyser les résultats. Nous payons le prix de cette manière délétère de construire des politiques publiques.

La prochaine loi sur l'eau en France comme la révision de la directive cadre sur l'eau en Europe doivent être impérativement les occasions de revoir les normes et procédures en tenant compte des échecs, des lacunes et des incertitudes. Les politiques environnementales, comme toutes les autres, doivent intégrer les retours d'expérience et s'amender quand elles ne donnent pas satisfaction.

Texte de la question :
"Mme Nadia Sollogoub attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur la nécessité d'encadrer scientifiquement les opérations de restauration de la continuité écologique des cours d'eau.
En fin d'année 2024, un groupe d'experts du Réseau des zones ateliers françaises coordonné par l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRAE) et soutenu par l'Office français de la biodiversité (OFB) a fait le point de l'état des connaissances scientifiques relatives à la restauration de la continuité écologique des cours d'eau. Le constat est clair. Le poids relatif de l'interruption de la continuité, par rapport aux autres pressions anthropiques qui pèsent sur les hydrosystèmes, reste difficile à quantifier. Une estimation des effets de la fragmentation (interruption anthropique de la continuité dans sa dimension longitudinale) reste complexe à réaliser pour de nombreuses variables biologiques. Cette synthèse fait le constat que la restauration de la continuité écologique des cours d'eau est soumise à des sources d'incertitudes techniques, scientifiques et sociales. Il est indispensable que se développent des études scientifiques qui croisent les perspectives biophysiques et socio-économiques. Parallèlement, la communauté scientifique doit pouvoir mieux documenter les échecs de restauration de la continuité écologique. Par ailleurs, il est indiqué que l'équivalence écologique de nouveaux milieux et fonctionnements semi-naturels, voire complétement artificiels par rapport aux milieux naturels ainsi que la valeur patrimoniale de la biodiversité qu'ils abritent, n'est pas tranchée. Enfin, les études scientifiques soulignent l'importance de collecter des données de suivi sur plusieurs années, avant et après les opérations. En conclusion, la production de ce groupe d'experts met indirectement en exergue une insuffisance d'évaluation scientifique. Face à un tel constat, elle lui demande si le Gouvernement envisage, désormais, que toute opération de restauration de la continuité écologique d'un cours d'eau ne se conduise que dans un cadre expérimental soumis à un encadrement et une évaluation scientifique pluridisciplinaire de longue haleine."

Référence : Sénat 2025, Question écrite n°04649, Restauration de la continuité écologique des cours d'eau et exigence d'une approche scientifique experte et globale