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04/04/2025

Réservoirs artificiels et zones humides ont un rôle clé dans le bilan carbone (Bar-On et al 2025)

Depuis des décennies, la planète absorbe une partie du carbone que nous rejetons dans l’atmosphère. Mais où va-t-il, exactement ? Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Yinon M. Bar-On, propose une réponse inattendue : la majeure partie du carbone stocké récemment sur les terres ne l’est pas dans les forêts vivantes, mais dans des réservoirs non vivants, souvent liés à l’activité humaine. Et en particulier dans les milieux en eau.



Les auteurs ont compilé et croisé des dizaines de jeux de données mondiaux sur les stocks de carbone, en distinguant soigneusement le carbone vivant (comme la biomasse végétale) du carbone non vivant (comme la matière organique enfouie dans les sols, les sédiments, les décharges ou les réservoirs aquatiques). À l’aide de modèles, de mesures satellitaires et de bases de données d'inventaires forestiers, ils ont reconstitué les évolutions des stocks de carbone entre 1990 et 2019.

Leur démarche originale a été de réconcilier les flux de carbone observés à grande échelle (par exemple, la différence entre les émissions humaines et l’augmentation du CO₂ atmosphérique) avec les lieux réels de stockage sur Terre. Ils ont porté une attention particulière à des compartiments souvent négligés, comme les zones humides, les lacs ou les réservoirs artificiels.

L’enjeu de cette étude tient à un déficit de comptabilité dans la science du climat : le « puits de carbone terrestre » absorbait bien plus de CO₂ que ce qu’on pouvait expliquer par la seule croissance des forêts. Or, cette surcapacité restait mystérieuse. Était-ce une erreur de mesure ? Ou bien existait-il d’autres réservoirs discrets mais efficaces, que la science ignorait jusqu’alors ?

La littérature laissait entendre que les compartiments non vivants du carbone (comme les sols ou les sédiments) pouvaient jouer un rôle plus important qu'on ne le pensait. Mais personne n’avait jusqu’ici quantifié leur poids réel à l’échelle globale, ni relié cela aux activités humaines contemporaines.


Le modèle des auteurs suggère que le plus gros du carbone (courbe grise) est stocké ailleurs que dans la biomasse vivante, en particulier celle des forêts (courbe verte).

Résultat marquant : près de 70 % des gains récents de carbone sur les terres sont stockés dans des formes non vivantes, et non dans les arbres ou les plantes. En particulier :
  • Le carbone est enfoui dans les sols, les décharges, les réservoirs, les lacs ou les zones humides.
  • Une grande part de ces puits est liée à des processus anthropiques : barrages, agriculture, exploitation forestière, mise en décharge.
  • Le rôle des forêts reste important mais moins central qu’attendu : les hausses de biomasse vivante expliquent moins de la moitié du puits terrestre global.
Ce stockage non vivant s’explique par des mécanismes lents mais puissants d’enfouissement : matière organique piégée dans des sédiments, débris végétaux décomposés dans des sols pauvres en oxygène, déchets organiques enterrés. Ces milieux ralentissent fortement la dégradation du carbone, prolongeant sa rétention sur des décennies, voire des siècles.

Certains de ces processus sont naturels (ex. : les zones humides ou les lacs), d’autres induits par l’homme, notamment via les infrastructures hydrauliques.

Les auteurs identifient clairement les milieux aquatiques stagnants comme des acteurs majeurs du puits de carbone non vivant :
  • Les lacs : ils piègent des matières organiques dans leurs sédiments, surtout en zones froides et peu oxygénées. Les études récentes montrent un accroissement de ces enfouissements au cours du XXe siècle.
  • Les zones humides, notamment les tourbières et les marais côtiers, enfouissent environ 0,2 GtC/an, grâce à leurs sols saturés d’eau.
  • Les eaux intérieures en général (lacs, rivières lentes, étangs) contribuent à hauteur de ≈0,1 GtC/an d’enfouissement net.
Ces milieux transforment la matière organique mobile en carbone fixé, jouant ainsi un rôle écologique majeur dans le cycle du carbone. Parmi tous ces réservoirs, les réservoirs artificiels créés par des barrages jouent un rôle bien documenté :
  • Leur surface mondiale est immense, notamment à travers les grands barrages (plus de 470 000 km² selon la base GRanD).
  • Les conditions anoxiques au fond des réservoirs favorisent la préservation de la matière organique.
  • Les barrages perturbent le transport naturel des sédiments, concentrant le carbone en amont plutôt qu’en mer.
Les auteurs estiment que ces réservoirs enfouissent ≈0,1 ± 0,1 GtC/an, un chiffre comparable aux zones humides. Et ce chiffre monte encore si l’on inclut les petites retenues (étangs agricoles, mares) : on peut y ajouter ≈0,1 GtC/an supplémentaires.

Autrement dit, les réservoirs artificiels (grands ou petits) sont devenus, par effet collatéral de l’ingénierie humaine, des puits de carbone comparables à ceux de la nature. Mais attention : les auteurs rappellent que ces puits ne sont ni éternels, ni sans risque. Un changement d’usage des sols, la destruction de barrages ou une gestion inappropriée des déchets pourrait réactiver une partie du carbone enfoui. 

Discussion
Alors que certaines politiques de continuité écologique visent à effacer des plans d’eau artificiels — comme des étangs, des petites retenues ou des réservoirs issus de barrages — au nom de la restauration des cours d’eau, il est important de reconnaître leur rôle dans le cycle du carbone. 

L’étude de Bar-On et de ses collègues montre que ces eaux stagnantes contribuent significativement à l’enfouissement du carbone organique. Les supprimer sans discernement et sans compensation systématique par créations de zones humides à surface et fonctionnalité équivalentes pourrait donc réduire la capacité des milieux à stocker durablement du carbone, malgré des bénéfices écologiques ponctuels sur la biodiversité ou l’hydrologie. En outre, les ouvrages concernés ont souvent une capacité hydro-électrique bas-carbone : il y a un coût d'opportunité supplémentaire à les détruire plutôt que les équiper et décarboner ainsi l'énergie. 

Une évaluation fine et intégrée des services écosystémiques rendus par ces milieux ainsi qu'un bilan carbone de la continuité écologique à échelle des bassins sont donc indispensables pour mesurer le réel bilan coût-bénéfice.

Référence :Bar-On YM et al (2025), Recent gains in global terrestrial carbon stocks are mostly stored in nonliving pools,  Science,  387,   6740, 1291–1295. DOI: 10.1126/science.adk1637.

22/04/2020

Pour une relance économique cohérente avec les enjeux climatiques et énergétiques

Le Haut Conseil pour le climat demande au gouvernement de prioriser la dépense publique afin que la relance économique soit orientée partout où c'est possible en direction de la transition bas-carbone et de l'atténuation du changement climatique. Une telle orientation exige de notre point de vue la révision immédiate de certaines politiques publiques des rivières, avec en particulier le soutien clair à l'énergie hydro-électrique, la préservation de tous le milieux aquatiques et humides, y compris d'origine humaine, qui sont appelés à atténuer les effets attendus du changement climatique (canicules, sécheresses, crues). Les associations devront exiger que ces principes s'appliquent dans les SAGE et les SDAGE, mais également protéger des sites menacés par des chantiers de destructions qui dilapident l'argent public et nuisent à la résilience des territoires au cours de ce siècle. 



Le Haut Conseil pour le climat est une instance scientifique et technique créée par le gouvernement afin d'orienter les choix de la France pour la transition bas-carbone. Le dernier rapport du Haut Conseil, publié à l'occasion de la crise du covid-19 et de ses suites économiques, énonce des "principes pour une transition" (p. 13):

"A l’inverse des mesures prises dans le sillage de la crise de 2008, une « relance » qui prend sérieusement en compte les facteurs profonds de la situation actuelle sera plus un renouveau qu’une reprise et orientera vers une rupture plutôt qu’un rebond. Elle évitera les effets de verrouillage carbone pour les prochaines décennies. Elle renforcera le signal de la transition vers une économie décarbonée compatible avec les réponses aux enjeux de la santé et de l’emploi, qui seront légitimement, au quotidien, les préoccupations premières. La transition bas-carbone doit être accélérée pour que la France parvienne enfin au rythme de ses engagements : « le rythme de cette transformation est actuellement insu ffisant, car les politiques de transition, d'efficacité et de sobriété énergétiques ne sont pas au cœur de l’action publique ». Les demandes de certains acteurs économiques d’alléger les contraintes liées au climat ne sont pas une réponse, ni de court ni de long terme, aux enjeux. 

Quelques principes simples peuvent aider à prioriser la dépense publique d’un plan d’urgence : 

  • elle doit contribuer directement à une transition bas-carbone juste – atténuation, adaptation, réduction des vulnérabilités et renforcement des capacités de résilience ;
  • si elle est principalement affectée à un autre objet de dépense (notamment santé ou biodiversité), elle a un co-bénéfice climat en faveur de l’atténuation ou de l’adaptation ;
  • elle ne doit pas nuire et ne pas être incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris, en écartant notamment tout effet de verrouillage carbone.

Par ailleurs, le besoin d’évaluation continue, qui aide à la redevabilité, doit être rappelé. Les recommandations du rapport du HCC sur l’évaluation des politiques climatiques demeurent valables alors que les outils – comme le budget vert, déjà mentionné – se développent et se perfectionnent. En outre, un usage plus opérationnel des indicateurs de bien-être (nouveaux indicateurs de richesse, indicateurs des objectifs de développement durable) permettra de mieux éclairer cette transition."

Les associations de défense des patrimoines des rivières et plans d'eau doivent demander aux préfets, aux parlementaires, aux élus locaux et aux gestionnaires de l'eau que ces principes soient pris en compte dans toute la programmation publique.

Cela exige notamment :
Référence citée : Haut Conseil pour le climat (2020), Climat, Santé, mieux prévenir, mieux guérir. Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques, 24 p.

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25/03/2013

Le bilan carbone de l'énergie hydraulique

La raison pour laquelle nous développons des énergies renouvelables dans le cadre de la transition énergétique est double. D’une part, les énergies fossiles ne sont pas durables, leur stock géologique offre une quantité finie à un coût d'extraction économiquement accessible et la forte demande mondiale risque de se traduire par une déplétion rapide des ressources en pétrole, puis en gaz puis en charbon. On observe déjà que la hausse du prix du pétrole depuis le milieu de la décennie 2000 affecte les économies, particulièrement les économies totalement dépendantes des importations comme la France.

D’autre part, la combustion des ressources fossiles (pétrole, gaz, charbon) produit des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Ce gaz à effet de serre à longue durée de vie atmosphérique (plus d’un siècle) a pour propriété d’absorber et réemettre le rayonnement infra-rouge émis par le Terre, agissant comme une sorte de couverture qui augmente la température de la surface et de la basse atmosphère : c’est le mécanisme bien connu du réchauffement climatique.

Les sources d’énergie les plus intéressantes sont donc celles qui émettent le moins de CO2 tout au long de leur cycle de vie. Cette notion d’analyse par cycle de vie (LCA en littérature anglo-saxonne) est importante. En effet, un dispositif de production et conversion d’énergie coûte lui-même de l’énergie pour sa production, son installation, son entretien, son démantèlement. Dans la mesure où cette énergie est fossile — car le fossile reste dominant en cimenterie, métallurgie, transport, etc. —, mêmes les sources renouvelables produisent en réalité du CO2.

4 g eqCO2 par kWh produit : le meilleur bilan de toutes les énergies productrices d’électricité
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a produit un rapport sur les énergies renouvelables et leur capacité à limiter la probabilité d’un réchauffement climatique dangereux à l’horizon 2050 (GIEC 2012). Ce rapport inclut notamment une synthèse de toutes les analyses cycles de vie réalisées sur les différentes formes d’énergie. Le tableau de synthèse (cliquer l’image) donne les estimations de ces travaux.

Voici donc en grammes d’équivalent-CO2 par kWh produit la valeur moyenne (50e percentile) constatée pour les différentes sources d’énergie (électrique).
Hydraulique : 4 g
Hydraulique marine : 8 g
Eolien : 12 g
Nucléaire : 16 g
Biomasse : 18 g
Solaire thermodynamique : 32 g
Géothermie : 45 g
Solaire photovoltaïque : 80 g
Gaz naturel : 469 g
Pétrole : 840 g
Charbon : 1001 g

On observe donc que l’hydraulique de fleuve et rivière possède le meilleur bilan CO2 de toutes les sources connues d’énergie électrique. Bien sûr, et sans surprise, l’hydraulique produit 250 fois moins de dioxyde de carbone que les centrales thermiques à charbon. Mais aussi 3 fois moins que les éoliennes, 4 fois moins que le nucléaire, 20 fois moins que le solaire photovoltaïque.

Il faut noter que cette estimation se fait dans le cadre de projet de novo (création de site), c’est-à-dire en incluant le coût carbone (important) de la construction du barrage béton. Quand en plus l’énergie hydraulique se contente de réinvestir un site existant (seuil de moulin ou barrage d’usine), sa charge carbone n’en est qu’améliorée.

Ce bilan carbone très favorable s’ajoute donc aux autres avantages connus de l’énergie hydro-électrique, et en particulier de la petite hydraulique que nous défendons sur notre département. Il rend décidément incompréhensible la timidité du soutien public dont bénéficie aujourd’hui cette source d’énergie — elle devrait être la première à être déployée pour atteindre dans de bonnes conditions les objectifs 2020 de 23% d’énergie produite par source renouvelable et 14% de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Son seul désavantage connu (modification du transit sédimentaire et de la circulation piscicole) peut être aisément corrigé par des aménagements ou des mesures compensatrices, lorsqu’il est avéré que l’effet est nuisible.

Référence : GIEC (2012), Renewable Energy Sources and Climate Change Mitigation. Special Report, Cambridge University Press. Voir annexe II, pp. 979 suiv. pour les modes de calcul.

Illustration : Lucy, centrale thermique charbon de Montceau-les-Mines.