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27/08/2023

Pas d’effet cumulatif d’une chaîne d’étangs sur la température de l’eau (Touchart et al 2023)

Etudiant une chaîne d’étangs sur une petite rivière du Limousin, des chercheurs montrent qu’il n’existe pas d’effet cumulatifs de réchauffement de l’eau. L’ombrage est le premier facteur de prévention de la hausse de température qui, avec une moyenne de 2°C en été, reste cependant raisonnable. Ces travaux font suite au constat de manque de connaissance scientifique de terrain sur l’effet cumulé des plans d’eau.


Dans le décret du 29 décembre 2011 «portant réforme des études d'impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements», l’Etat français a imposé que, pour toute nouvelle création de retenue d’eau, les effets cumulés du projet avec ceux des plans d’eau déjà existants soient analysés. Cette obligation institutionnelle a réveillé une attention scientifique à un sujet déjà étudié par la recherche, mais de manière peu poussée : l’effet d’une chaîne de plans d’eau sur l’hydrologie et la température de l’eau. Une expertise collective sur l’état du savoir a acté en 2016 que les connaissances de terrain sont encore très rares.

Laurent Touchart et ses collègues ont étudié un cas sur le bassin de l’Oncre, en Limousin.

Au nord-ouest de Limoges, les plateaux du Haut Limousin sont drainés par un affluent de rive droite de la Vienne d’une quarantaine de kilomètres de longueur, la Glane. La rivière a trois plus grands affluents: la Vergogne (cours influencé par une grande retenue), le Glanet (cours peu impacté) et l’Oncre (cours influencé par une succession de plans d’eau). L’Oncre a donc été choisi comme objet d’étude. Les chercheurs exposent le système de retenues : « D’amont en aval, les superficies et les hauteurs e chaussée sont de 0,48 ha et 2,2 m pour l’étang à moine de Boscartus, 0,93 ha et 1,5 m pour les étangs Jumeaux (séparés par une digue longitudinale), dont 0,24 ha pour la partie ouest, la seule suivie, 3 ha et 3,5 m pour l’étang de la Cascade, 2 ha et 2 m pour celui Trois Iles, 17,5 ha et 4,5 m pour celui de Fromental et 2,5 ha et 2,5 m pour celui du Brudou. »

Ce schéma montre le site de l’étude (cliquer pour agrandir).


Cet autre schéma montre le bilan thermique sur un an (cliquer pour agrandir) :




Nous reproduisons la conclusion des chercheurs :

«Tant en valeur moyenne de réchauffement (environ 2 °C en été) qu’en longueur d’influence sur l’émissaire (environ 1,5 km), l’effet des cinq derniers étangs de la chaîne de l’Oncre est finalement du même ordre que celui d’un seul grand étang isolé (Touchart, 2001) ou d’un petit barrage (Zaidel et al., 2021) à déversoir. Le sixième étang, en remontant de la fin de la chaîne vers l’amont, étant le seul pourvu d’un moine, la température de référence de cette recherche, sans pouvoir être assimilée à celle de la source de l’Oncre, a néanmoins des caractères de fraîcheur et de faible amplitude diurne qui permettent de l’envisager comme un point de départ.

Dans le cas de la valeur de la température de l’eau, l’effet de la succession des plans d’eau est infraadditif, au sens de LaGory et al. (1989). L’impact cumulé géographique correspond ici à la somme du linéaire directement modifié par la chaîne étangs et du linéaire de l’émissaire influencé en aval sur la distance précédemment citée. Au lieu d’un effet cumulatif en valeur de réchauffement, il y a plutôt un fonctionnement presque indépendant de chaque étang de la chaîne. Cela tendrait à confirmer ce que Bolsenga (1975) avait exprimé il y a déjà longtemps pour les grands lacs naturels et qui a été validé depuis par Momii et Ito (2008), c’està-dire que la part radiative du bilan thermique d’un plan d’eau est en général si écrasante que la part hydrologique d’entrée et de sortie des cours d’eau est comparativement négligeable. Ici, dans le cas de la chaîne de l’Oncre, le filet d’eau qui passe d’un étang à l’autre, très réduit en été, ne pèse pas grand-chose sur le plan calorifique par rapport au bilan radiatif. Précédemment, Choffel (2019) avait montré qu’il existait des différences de température notables entre les parties ombragées et ensoleillées d’un étang isolé. Quant à Maxted et al. (2005) et Zaidel et al. (2021), ils concluaient que le réchauffement du réseau hydrographique dû aux petits plans d’eau à déversoir était surtout causé par le fait qu’ils fabriquent un espace plus large, donc ensoleillé, là où le cours d’eau était à l’ombre avant leur construction. D’une façon plus générale, la littérature internationale des dernières années commence à montrer que, même non barrés de plans d’eau, les petits cours d’eau présentent une hétérogénéité thermique conditionnée non seulement par les apports d’eau souterraine ou hyporhéique, mais aussi par les différences entre les parties à l’ombre et au soleil (Story et al., 2003, Malcolm et al., 2004, Webb et al. 2008, Marteau et al., 2022, Hoess et al., 2022).

Dans ce cadre, la présente étude aura donné quelques premiers résultats mesurant que, dans le cas d’étangs en chaîne, cette variable ombre/soleil est plus forte que l’effet de cumul de la succession des plans d’eau. Au moins de façon ponctuelle, un étang à l’ombre situé en milieu de chaîne est capable de laisser sortir de son déversoir une eau plus froide que celle qui y entre. Dans les moyennes cependant, la chaîne étudiée ici est construite de sorte que les deux étangs les plus en amont sont aussi les plus forestiers, les plus ombrés, si bien que, à l’intérieur du bilan calorifique, la variable radiative va dans le même sens que la variable hydrologique. Il conviendrait à l’avenir de lancer des études sur une autre chaîne d’étangs, où ces variables iraient dans un sens opposé.

En termes de recherche appliquée, il semblerait opportun de préconiser l’ombrage des déversoirs de surface des étangs et des premiers décamètres de leur émissaire fluvial là où ce n’est pas le cas, car l’efficacité de cette opération n’est pas n’est pas loin d’atteindre à celle de la construction d’un moine. D’autre part, le dernier étang de la chaîne est celui sur lequel doivent porter les principaux efforts. C’est lui qui, plus que le cumul de ce qui se passe en amont, conditionne la qualité de l’eau de l’émissaire fluvial.»

Discussion
L’absence d’effet de cumul thermique est une bonne nouvelle si elle se confirme par d’autres travaux comme un trait constant du bilan énergétique des successions de plans d’eau. La prédominance du terme radiatif du bilan (ensoleillement) suggère que le gestionnaire public doit avant tout proposer des bonnes pratiques de gestion des berges (ombrage).

Avec plus de 100 000 ouvrages formant retenues en lit mineur et sans doute près de 1 million de plans d’eau de toutes dimensions en lit majeur, les systèmes lentiques et semi-lotiques sont une composante à part entière des bassins versants français.  Ils ont été très négligés comme objet d’étude, hormis les lacs (plus de 50 ha) et grands réservoirs pouvant être reconnus dans une nomenclature administrative. Ce décalage important entre la connaissance scientifique et la politique publique a suscité des controverses lorsque la seconde a prétendu statuer sur les plans d’eau d’origine artificielle en le désignant presque toujours comme des problèmes, mais sans réellement disposer à leur sujet de données hydrologiques, écologiques, sociologiques, géographiques ou historiques. Statuer sans savoir ou en sachant très peu est la définition du préjugé. Nous assistons à une lente correction de cette anomalie, ce dont il faut se féliciter.

25/07/2023

Faible impact d'un moulin à eau sur la température de la rivière (Donati et al 2023)

Etudiant un moulin à eau dont le seuil et la retenue sont typiques de ce patrimoine hydraulique, des chercheurs ont analysé son impact sur les températures de l'eau. Leur travail très précis montre un impact faible en moyenne journalière, variable en tranche horaire et selon le niveau de la colonne d'eau, avec parfois des réchauffements et des refroidissements. Les auteurs concluent au faible effet thermique global de ce type de moulins à eau. Ces études sur les ouvrages hydrauliques sont à généraliser, car les politiques publiques les concernant ont une base scientifique faible en données, ainsi que des biais bien identifiés. 


Le moulin étudié sur l'Erve en Mayenne, photos et illustrations extraites de Donati et al 2023, art. cit.

La question de l'impact des retenues d'eau sur le régime thermique des rivières est souvent évoquée, mais il existe encore peu de données précises de terrain. C'est le cas en particulier pour les moulins à eau, qui forment avec les étangs l'une des principales sources de retenues en lit mineur de rivière.  

Sept chercheurs (Francesco Donati, Laurent Touchart, Pascal Bartout, Quentin Choffel, François Le Cor, Célia Carceles et Alban Cairault) ont procédé à une analyse détaillée d'un moulin de la rivière Erve. Le moulin de Thévalles est situé sur cet affluent de rive droite de la Sarthe, dont le bassin versant couvre 380 km2. À son exutoire, la rivière a une longueur de 71 km et un module de 2,72 m3/s – "dans la classe des cours d'eau mésoréiques modérés, l'une des plus répandues en métropole"; précise l'étude. 

Le moulin exploite le cours d'eau grâce à un seuil de 10 m de large et 2 m de haut. La hauteur nette de la chute du déversoir varie de 1,40 à 1,50 m en débit moyen. En période de hautes eaux, la chute peut disparaître par effacement de la différence entre l’amont et l’aval. Au centre du lit, deux vannes de décharge servent à vidanger la retenue. La surverse se fait à un niveau égal à celui du seuil en rivière. Au niveau du moulin proprement dit, une vanne ouvrière permet la mise en mouvement de la roue hydraulique, d'un diamètre de 5,60 m. La retenue créé par le seuil a une surface de 2 ha, une longueur de 1500 m et un volume de 31000 m3. Ces caractéristiques placent plutôt le moulin à eau étudié dans la catégorie des ouvrages les plus importants de ce type. Donc a priori les plus impactants pour la grandeur ici étudiée, à savoir la température de l'eau. 

Cette température de l'eau a été mesurée sur une année complète par des chaînes de 6 capteurs à différentes profondeurs, avec un point de mesure dans la retenue, un point de mesure à 100 m en amont du remous de la retenue, un autre à 100 m en aval du seuil, dans l'émissaire. "Grâce à cette méthodologie, 75177 données de température ont été collectées pour l'ensemble des stations de mesures pendant la période d'observation. Elles donnent un aperçu des effets du moulin et de ses annexes sur la température de l'eau", notent les auteurs.

Voici leurs principales conclusions :

"L'étude menée au niveau du moulin de Thévalles, un site assez représentatif de la réalité française en termes d'hydrologie et d'infrastructures qui l'équipent, donne un aperçu inédit des effets thermiques de ce type d'ouvrage, notamment en ce qui concerne les moments de fonctionnement de leur roue hydraulique. Des effets sur la température de l'eau ont été observés uniquement pendant l'été et le début de l'automne, quand la retenue de seuil qui s'étale à l'amont du moulin était stratifiée. Pendant les périodes d'inactivité du moulin, les eaux rejetées par le seuil en rivière ont engendré à la fois des réchauffements et des refroidissements de l'eau, perceptibles uniquement à l'échelle horaire et rarement supérieurs au degré centigrade. Pendant les périodes d'activité du moulin, les eaux qui franchissent la vanne de fond et actionnant la roue hydraulique ont eu un effet à peine observable sur la température de l'eau du tributaire, majoritairement dû à l'effet dilution des eaux rejetées par le seuil en rivière. Ainsi, bien que d'autres études soient sans doute nécessaires pour pouvoir les confirmer, les résultats obtenus montrent une faible emprise de l'activité des moulins à eau sur la température de l'eau pour des rivières comme l'Erve."

Plus en détail, la recherche montre qu'il existe une amplitude thermique entre la température de surface et la température de fond (image ci-dessous, cliquer pour agrandir), surtout marquée en été. Cela souligne qu'un seul point de mesure ne permet pas forcément de trancher. Et que le régime des petites retenues est complexe, avec une stratification thermique à variation saisonnière. 



Cette autre figure montre la différence de température dans la colonne d'eau un jour d'été. 


Si l'écart moyen journalier est faible entre l'amont et l'aval, il peut varier au sein de la journée, avec des hausses ou des baisses comme le montre cette autre figure ci-dessous (cliquer pour agrandir). 


Le tableau ci-dessous montre finalement les températures moyennes mensuelles à l'amont et à l'aval de la retenue de seuil de Thévalles pendant les périodes d'inactivité du moulin :


Les auteurs remarquent : "Pour mieux comprendre l'ampleur des effets thermiques engendrés par la retenue de seuil de Thévalles quand le moulin n'est pas en activité, nous les avons comparés à ceux observés par L. TOUCHART (2001) au niveau de l'étang du Theil, dans le département de la Haute- Vienne. En effet, ce plan d'eau présente un volume (23300 m3) similaire à celui de la retenue de Thévalles et il est équipé d'un déversoir de surface, dont le fonctionnement est similaire à celui d'un seuil en rivière. À l'échelle journalière, cet étang réchauffe son émissaire de mars à octobre et le refroidit de novembre à février : juin est le mois où l'on observe les augmentations de température les plus fortes, +6,97°C en moyenne, alors que janvier est celui où les diminutions de température sont les plus marquées, -2,19°C en moyenne. Sur trois années de mesure, le réchauffement moyen de l'émissaire a été de 2,1°C. En raison de ces considérations, nous pouvons affirmer que l'effet des moulins sur la température des cours d'eau quand ils ne sont pas en activité semblerait être faible, voire négligeable comparé à d'autres facteurs pouvant altérer la température de l'eau (radiation solaire, température de l'eau, ripisylve), du moins pour ce qui concerne les rivières qui présentent des conditions similaires à celles de l'Erve."

Discussion
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les politiques publiques concernant les ouvrages hydrauliques (directive cadre européenne sur l'eau 2000, loi française sur l'eau 2006) ont été lancées sur une base scientifique faible. Les retenues sont très nombreuses (sans doute un demi-million en France sur lit mineur ou en connexion directe de lit mineur), mais elles sont très peu étudiées, contrairement à d'autres milieux (rivière, lac, estuaire). Dans les travaux qui se publient et qui informent les politiques publiques, ces retenues sont presque toujours analysées sous un angle naturaliste et ichtyologique assez ciblé (la déviation locale de population biologiques en lien à un ouvrage, en particulier les assemblages de poissons ou les poissons migrateurs), mais elles ne sont pas considérées comme des biotopes à part entière dont les propriétés physiques, chimiques, biologiques doivent être inventoriées et comprises avec précision. Au demeurant, les sciences sociales de l'eau sont aussi très lacunaires concernant les représentations, pratiques et usages de la petite hydraulique. Pourtant, l'ouvrage en rivière est au centre de nombreux choix publics sur l'énergie, le patrimoine, le paysage, la régulation de l'eau, la biodiversité, le tourisme, les loisirs et agréments. Mais cette complexité a été gommée au profit d'un discours simpliste ne voyant qu'un "obstacle à l'écoulement". 

Ce travail mené par Francesco Donati et ses collègues est donc précieux. Il confirme ce que pressentait le sens commun, à savoir que l'effet d'un ouvrage est proportionné en premier ordre à ses dimensions. L'hydraulique ancienne est de taille modeste, pas si différente de phénomènes naturels comme des barrages d'embâcles ou de castors : on ne s'attend donc pas à des impacts très significatifs, hors la création d'un milieu propre (retenue, bief) qui aura localement un fonctionnement et un peuplement un peu différents des tronçons non barrés de la rivière en amont et en aval. 

Nous souhaitons la généralisation de tels travaux, tant au plan de la recherche scientifique que dans les programmes d'acquisition de données des syndicats de rivières, fédérations de pêche, bureaux d'études, agences de l'eau, offices de la biodiversité, conservatoires d'espaces naturels et autres acteurs locaux de l'eau. Nous souhaitons également que certains biais de perception et de représentation disparaissent dans la conception des politiques publiques, en particulier l'incroyable négligence des milieux semi-anthropisés et anthropisés, qui forment l'essentiel des linéaires de rivière et plans d'eau dans les bassins versants à très ancienne occupation humaine. Nous avons grand besoin d'une écologie, d'une hydrologie, d'une géographie et d'une sociologie des milieux hybrides comme les retenues et biefs de moulins, mais aussi tout le reste du patrimoine hydraulique et des écosystèmes transformés par les occupations successives des bassins versants. 


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10/05/2021

Les ouvrages hydrauliques réchauffent ou refroidissent l'eau selon leur nature (Seyedhashemi et al 2021)

Une étude française sur le bassin de Loire montre que, par rapport à une rivière non fragmentée, la présence de grands barrages tend à diminuer la température estivale de l'eau de 2°C, celle de succession de retenues plus petites tend à l'augmenter de 2,3°C. Cette moyenne recouvre néanmoins des dispersions notables dans le cas des rivières avec ou sans retenue. 

Le barrage de Naussac, situé dans la zone d'étude (CC BY-SA 2.0, Dimitri)

Hanieh Seyedhashemi et ses collègues ont étudié dans le bassin de Loire la signature thermique des rivières selon la présence de grands barrages, de retenues de plus petites dimensions ou d'un style fluvial plus naturel. 

Ils introduisent ainsi l'objet de leur recherche : "Les corridors fluviaux stockent, transforment et transportent la masse et l'énergie depuis les sources vers les océans. Bien que les rivières soient généralement analysées comme des systèmes lotiques, la distribution des plans d'eau lentiques (p. ex. lacs, réservoirs, étangs) le long du continuum fluvial est récemment apparue comme un facteur critique dans l'élimination de l'azote (Harrison et al., 2009; Schmadel et al., 2018) et le stockage du phosphore (Grantz et al., 2014) et des sédiments (Vörösmarty et al., 2003). Une préoccupation émergente concerne les effets cumulatifs des systèmes lentiques sur la température de l'eau des cours d'eau et des rivières, qui est un paramètre critique affectant l'eutrophisation des plans d'eau (Minaudo et al., 2018; Le Moal et al., 2019) et la répartition des communautés aquatiques (Cox et Rutherford, 2000; Poole et Berman, 2001; Ducharne, 2008)."

Les effets des masses d'eau lentiques sur la température des cours d'eau dépendent fortement de leurs caractéristiques individuelles et de leurs distributions spatiales. Ce qui complique les échelles d'analyse. Les auteurs proposent d'étudier le rapport entre température de l'air et de l'eau dans les bassins pour comprendre la dynamique des échanges de chaleur selon que les rivières sont fragmentées par divers types de retenues. 

Voici le résumé de leur recherche :

"Les ouvrages anthropiques (par exemple les grands barrages, les petits réservoirs et les retenues) se multiplient à l'échelle mondiale, influençant les régimes de température en aval de diverses manières, qui dépendent de leur structure et de leur position le long du continuum fluvial. 

En raison des multiples réponses thermiques en aval, il y a peu d'études caractérisant les tailles d'effet cumulatif à l'échelle du bassin versant. Ici, nous introduisons cinq indicateurs thermiques basés sur la relation de la température eau-air qui, ensemble, peuvent identifier les signatures thermiques modifiées par des barrages et des retenues. Nous avons utilisé cette approche de signature thermique pour évaluer un ensemble de données régionales de 330 séries chronologiques quotidiennes de température des cours d'eau provenant de stations du bassin de la Loire, en France, de 2008 à 2018. Ce bassin (100000 km2) est l'un des plus grands bassins versants européens avec des caractéristiques anthropiques et naturelles contratsées. Les signatures thermiques dérivées ont été contre-validées avec plusieurs caractéristiques connues du bassin versant, qui ont fortement soutenu leur séparation en signatures de type barrages, retenues et naturelles. Nous caractérisons le régime thermique de chaque signature thermique et nous le contextualisons à l'aide d'un ensemble de métriques thermiques pertinentes sur le plan écologique. 

Les résultats indiquent que les grands barrages ont réduit la température estivale des cours d'eau de 2 ° C et retardé le pic annuel de température des cours d'eau de 23 jours par rapport aux régimes naturels. En revanche, les effets cumulatifs des retenues en amont ont augmenté la température estivale des cours d'eau de 2,3 ° C et accru la synchronisation avec les régimes de température de l'air. Ces signatures thermiques permettent ainsi d'identifier et de quantifier les influences thermiques et écologiques en aval de différents types d'infrastructures anthropiques, sans information préalable sur la source de modification et les conditions de température de l'eau en amont."

Ce graphique montre la différence entre température de l'air (en gris) et température de l'eau dans les rivières à barrages (rouge), à retenues (vertes) ou de type naturel (bleu).

Extrait de Seyedhashemi et al 2021, art cit.


Cet autre graphique montre les variations observées selon les cours d'eau pour la température de l'eau en été (Tw summer), la température maximale mensuelle (maxTw), le nombre de jours à température > 20°C ou 15°C (DTw20), la différence maximale de température de l'eau dans l'année (max deltaTw), avec les mêmes codes couleur (rouge barrages, vert retenues, bleu naturel).


Extrait de Seyedhashemi et al 2021, art cit.

On observe au passage que les distributions de température d'été de l'eau (Tw) et températures maximales d'été (max Tw) se recoupent pour un grand nombre des sites naturels ou avec retenues. 

Concernant les retenues, les auteurs signalent notamment dans leur article que la couverture arborée a une influence négative notable sur la température. 

Discussion
Cette recherche confirme d'autres travaux ayant montré que les grands barrages tendent à refroidir l'eau quand les petits tendant à la réchauffer. Les déterminants sont notamment la hauteur de la colonne d'eau de retenue, la largeur de la surface de retenue, la présence ou non d'arbres en berge de la retenue. 

Il serait intéressant d'affiner le travail en précisant la nature des retenues. Le texte signale simplement une hauteur de moins de 15 m (pour les retenues hors barrage), mais cela laisse de la marge d'interprétation. Il existe en effet plusieurs dizaines de milliers d'ouvrages sur les rivières françaises, allant  de simples chaussées de moulins de 0,5m de hauteur à la retenue à peine perceptible jusqu'à des lacs de centaines d'hectares. Une prochaine étape pourrait être d'affiner le cas des rivières à retenue (le plus fréquent en France) pour analyser plus en détail les facteurs faisant varier la température, comme la densité, la surface, la spatialisation, la végétalisation de ces retenues sur le continuum.  

Référence :  Seyedhashemi H et al (2021), Thermal signatures identify the influence of dams and ponds on stream temperature at the regional scale, Science of the Total Environment, 766, 142667

11/03/2020

Effet de petits barrages sur la température estivale de l'eau en rivières de Bresse (Chandesris et al 2019)

Des chercheurs ont analysé les températures estivales en amont et en aval de 11 seuils sur 5 rivières de la région de la Bresse. Deux de ces seuils ont montré un effet marqué sur les températures minimales et maximales, la surface de la retenue et le temps de résidence hydraulique étant les prédicteurs de ce signal thermique. La moitié des barrages a un effet non significatif sur la température maximale, et un effet peu marqué sur la température minimale. Ce travail montre que les gestionnaires doivent éviter les généralités que l'on entend encore trop souvent sur la température en lien aux ouvrages: les SAGE et les contrats rivière ont vocation à financer en premier lieu des mesures sur les régimes thermiques (et hydriques) des cours d'eau, pour analyser les bassins versants et leurs ouvrages sur la base de données tangibles. Par ailleurs, des travaux complémentaires sont attendus pour analyser comment les communautés vivantes de ces rivières aménagées ont évolué dans le temps, et continuent de le faire. Car viser le retour à un régime thermique antérieur alors que nous sommes en situation de changement climatique ne peut tenir lieu aujourd'hui de projet à long terme.  


Les sites de l'étude, extrait de Chandesris et al 2019, art cit.

André Chandesris et trois collègues ont analysé pendant 8 ans les effets thermiques de 11 petits barrages dans la Bresse, à des altitudes variant de 170 à 320 m. La hauteur de ces seuils varie de 1 à 2,4 m, avec des retenues d'une longueur de 280 à 2950 m, d'un volume de 1200 à 53000 m3.

Voici le résumé de ce travail :

"Le but de cette étude était de quantifier les impacts en aval de différents types de petits barrages sur la température de l'eau d'été dans les cours d'eau de plaine. Nous avons examiné (1) les régimes de température en amont et en aval des barrages avec différentes caractéristiques structurelles, (2) les relations entre les anomalies de température du cours d'eau et les variables climatiques, la superficie du bassin versant, la hauteur du barrage, la longueur et la surface du bassin de retenue et le temps de résidence, (3) les variables les plus significatives expliquant les différents comportements thermiques, et (4) l'effet thermique du barrage considérant un seuil biologique de 22°C, avec un calcul à la fois du nombre de jours avec une température supérieure à ce seuil et de la durée horaire moyenne supérieure ce seuil.

Des enregistreurs de température de l'eau ont été installés en amont et en aval de 11 barrages dans la région de Bresse (France) et surveillés à des intervalles de 30 min pendant l'été (de juin à septembre) sur la période 2009-2016, résultant en 13 séries chronologiques de température de l'eau appariées (deux sites ont été suivi pendant deux étés, ce qui permet de comparer les étés froids et chauds).

Dans 23% des barrages, nous avons observé une augmentation des températures quotidiennes maximales en aval de plus de 1°C; aux barrages restants, nous avons observé des changements dans la température quotidienne maximale de -1 à 1°C. Dans tous les sites, l'augmentation moyenne en aval de la température quotidienne minimale était de 1°C, et pour 85% des sites, cette augmentation était supérieure à 0,5°C.

Nous avons regroupé les sites de manière hiérarchique en fonction de trois variables d'anomalie de température: les différences amont-aval en (1) température quotidienne maximale (􏰀Tmax), (2) température quotidienne minimale (􏰀Tmin) et (3) amplitude quotidienne de la température (􏰀Tamp). L'analyse en grappes a identifié deux principaux types d'effets de barrage sur le régime thermique: (1) une augmentation en aval de Tmin associée à Tmax soit inchangée soit légèrement réduite pour les retenues de faible volume (c'est-à-dire un temps de séjour inférieur à 0,7 j et une surface inférieure de 35 000 m2), et (2) une augmentation en aval de Tmin et Tmax du même ordre de grandeur pour des retenues de plus grand volume (c'est-à-dire un temps de séjour supérieur à 0,7 j et une surface supérieure à 35 000 m2). Ces augmentations de température en aval ont atteint 2,4°C à certaines structures, susceptibles de perturber la structure des communautés aquatiques et le fonctionnement de l'écosystème aquatique.

Dans l'ensemble, nous montrons que les petits barrages peuvent modifier de manière significative les régimes thermiques des eaux courantes, et que ces effets peuvent être expliqués avec une précision suffisante (R2 = 0,7) en utilisant deux mesures simples des attributs physiques des petits barrages. Cette découverte peut avoir de l'importance pour les modélisateurs et les gestionnaires qui souhaitent comprendre et restaurer les paysages thermiques fragmentés des réseaux fluviaux."

Le schéma ci-après montre les 3 groupes de barrages. Ligne rouge = indicateur de variation de température (à 1°C pour la T min 0°C pour la T max), lignes pointillées = séparation des 3 types d'impact selon l'analyse en grappes, point bleu = les minima et maxima.


Extrait de Chandesris et al 2019, art cit.

A propos de l'effet écologique, les chercheurs observent :

"Les changements dans les pattern et processus écologiques en aval dépendent de l'ampleur du changement thermique de l'amont vers l'aval. Pour les poissons, la littérature suggère que des augmentations en aval d'environ 2°C (Hay et al 2006) ou 3°C (Verneaux 1977) peuvent entraîner des changements de communautés importants pour de nombreuses biotypologies. De ce point de vue, la majorité de nos sites appartenant aux groupes A et B1 présentent un risque faible en ce qui concerne le changement potentiel dans les communautés de poissons car ils ont montré une augmentation modérée de la température absolue en aval de 0–1°C. Cependant, les augmentations plus élevées en aval de notre groupe B2 (1,2–2,4°C) sont susceptibles d'influencer la composition des communautés de poissons. Cela est particulièrement vrai pour certaines espèces proches du seuil de leur confort thermique, qui sont souvent les mêmes espèces déjà en effort de conservation."

Concernant la nécessité de mesure appropriée sur chaque bassin, il est souligné :

"Compte tenu de la complexité et de la grande variabilité des systèmes fluviaux rencontrés dans cette étude (ordonnances Strahler s'étalant de 3 à 5), il nous semble essentiel (et voir Isaak et al 2017, 2018; Steel et al 2017; Dzara et al 2019) de continuer à mener et à étendre une surveillance bien ciblée de la température du cours d'eau. Ce type de surveillance est nécessaire avant de pouvoir modéliser la température du cours d'eau avec une résolution spatiale et temporelle suffisante. La modélisation précise de ces systèmes est un défi majeur, car ces espaces aquatiques subiront une altération thermique et hydrologique majeure avec le changement climatique, où des points de basculement dans les distributions biotiques sont susceptibles de se produire."

Discussion
Il faut saluer l'arrivée de travaux scientifiques sur les petits ouvrages hydrauliques, domaine où les politiques publiques manquent souvent de données élémentaires alors qu'elles prétendent multiplier les décisions. Notamment parfois les décisions radicales de faire disparaître purement et simplement l'écosystème en place depuis longtemps des rivières étagées avec leur alternance de zones lentiques et lotiques.

Cette étude montre plusieurs points:
  • on ne peut pas énoncer des généralités sur les ouvrages, car leur effet sur le milieu dépend de leurs caractéristiques physiques et des conditions locales;
  • selon les cas, le signal peut être négligeable ou significatif, dans certains cas on peut même observer une tendance à la baisse de la température maximale (malgré l'effet contraire plus souvent mesuré);
  • les variations thermiques les plus marquées sur certains sites sont du même ordre que celles prévues du fait du réchauffement climatique;
  • si les communautés faune-flore de la rivière sont déjà adaptées au régime thermique créé par le nouvel état écologique né des ouvrages (en général anciens), le gestionnaire doit exposer le gain qu'il y aurait à faire disparaître ces ouvrages et les communautés inféodées, donc à perturber l'état présent des milieux;
  • au regard des premières sécheresses sévères (comme 2019) avec canicules associées et parfois assecs, qui seraient appelées à devenir plus fréquentes dans les décennies à venir, le gestionnaire doit projeter l'état hydrologique et thermique en 2050 et 2100 à diverses hypothèses, car des gains à court terme sur tel ou tel assemblage d'espèces lotiques (ou sténothermes "froids") ne sont plus la bonne manière de poser l'enjeu;
  • enfin les propriétaires d'ouvrage doivent intégrer la température dans leur réflexion de gestion (déjà la mesurer s'ils le peuvent), notamment pour les paramètres pouvant avoir une influence (boisement des rives de la retenue et du bief, restitution de l'eau en surverse ou en fond). 

Le régime thermique estival n'est qu'un élément de la vie des rivières. Nous sommes toujours en attente de travaux scientifiques comparant les rivières à bassins versants d'usage des sols similaire, avec et sans ouvrages, sur l'ensemble des hydro-écorégions, dans leur biodiversité et leur biomasse. Cela afin de partir des réalités du vivant aquatique, amphibien et rivulaire formant l'objectif de dernier ressort des politiques écologiques.

Référence : Chandesris A et al (2019), Small dams alter thermal regimes of downstream water, Hydrol. Earth Syst. Sci., 23, 4509–4525

28/05/2018

Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)

Quand on prend une décision d'aménagement sur un barrage, on regarde aujourd'hui les conditions passées et présentes. Mais quelle sera la situation future, en période de  changement climatique rapide? Une dizaine de biologistes publie une perspective à ce sujet dans Biological Conservation. Ces chercheurs soulignent que les réservoirs des grands barrages ont aussi des intérêts écologiques : ils servent de refuges face aux sécheresses, bloquent des espèces invasives, forment des écosystèmes lacustres ayant leur propre diversité. L'avenir à long terme du vivant après leur effacement n'est pas garanti si l'écosystème originel de la rivière a été très modifié. Et la valeur de l'eau stockée dans les retenues a par ailleurs toute chance de devenir plus forte en situation de réchauffement. Non seulement il faut décider de l'avenir des barrages au cas par cas, mais l'estimation des options doit impérativement intégrer la situation climatique et hydrologique du bassin dans l'avenir. 



Il existe dans le monde plus de 50 000 barrages d'une hauteur supérieure à 15 m. Ils permettent l'approvisionnement en eau potable, le contrôle des crues, l'irrigation, la navigation, la production d'énergie et des loisirs. Alors que la construction de barrages se poursuit dans de nombreuses régions du monde, en particulier en Chine, en Inde et en Afrique, elle a ralenti en Amérique du Nord et en Europe. Leur effacement dépasse maintenant leur construction aux États-Unis.

Pour Stephen Beatty et ses collègues, "cette poussée de l'effacement des barrages est principalement attribuable à des facteurs économiques, beaucoup ont été construits au milieu du 20e siècle, et les coûts de réparation des infrastructures vieillissantes dépassent largement les coûts de suppression (Stanley et Doyle 2003). Plus récemment, l'impulsion pour l'effacement de nombreux barrages a été d'atténuer leurs impacts écologiques; habituellement pour rétablir les voies de migration des poissons et restaurer les régimes naturels d'écoulement (Service 2011, O'Connor et al 2015)".

Les impacts écologiques négatifs des grands barrages sont bien connus dans la littérature scientifique: ils ennoient des habitats dans leur retenue, bloquent la migration des poissons, retiennent les sédiments devenant déficitaires à l'aval, modifient la variabilité naturelle des crues et étiages ponctuant la vie des espèces aquatiques et rivulaires comme la dynamique des lits mineur et majeur. Aussi pense-t-on qu'une rivière sans grand barrage serait, toutes choses égales par ailleurs, une rivière présentant davantage de diversité.

Les auteurs mettent toutefois un bémol à ce point de vue : "alors que les impacts écologiques négatifs des barrages sont bien reconnus, nous soutenons que les influences du changement climatique sur les futurs impacts et valeur des barrages nécessitent une plus grande considération dans les processus de prise de décision visant à les éliminer dans les régions tempérées soumises à sécheresse".

Il est d'abord rappelé que l'effacement de barrage "doit être considéré comme une perturbation écologique en soi", avec certains changements écologiques plus coûteux que bénéfiques. C'est le cas bien connu de la remobilisation des sédiments accumulés, et parfois pollués.

Mais les chercheurs soulignent aussi qu'un barrage crée un écosystème à part entière : "Nous devons aussi être conscient qu'une fois un barrage construit, l'écosystème aquatique antérieur a été modifié et, bien que physiquement altérés par rapport à cet état originel, les nouveaux écosystèmes lentiques peuvent soutenir une biodiversité aquatique considérable. Ces valeurs potentiellement positives doivent être prises en compte dans les propositions d'élimination des barrages, car nous ne pouvons pas toujours supposer qu'un écosystème reviendra à son état initial après l'élimination d'une barrière. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer et quantifier les impacts de l'enlèvement des barrages sur des échelles spatiales et temporelles plus longues (Graf 2003)".

Ainsi, "on reconnaît de plus en plus que les plans d'eau créés artificiellement peuvent jouer un rôle important dans la création d'habitats pour les organismes aquatiques (par exemple, Chester et Robson 2013, Halliday et al 2015, Beatty et Morgan 2016). Ces refuges artificiels comprennent des réservoirs de stockage d'eau, des fossés de drainage, des chenaux d'irrigation, des gravières, des canaux de transport d'eau et des lacs de golf, entre autres (voir Chester et Robson 2013). Fait important, ils ont également été identifiés comme habitat de refuge pour une gamme d'organismes aquatiques menacés, notamment les poissons d'eau douce (Tonkin et al 2010, 2014; Ebner et al 2011), les mollusques (Clements et al 2006) et les oiseaux aquatiques (Li et al 2013)."

À ce jour, la plupart des études sur les effets du changement climatique se sont concentrées sur la hausse de la température de l'eau comme facteur de stress sur les communautés de poissons d'eau froide. Or, se pose aussi la question de la ressource en eau: "Les changements hydrologiques ont rarement été envisagés, mais au cours des 50 dernières années, le débit a diminué de plus de 30% dans de vastes régions du sud de l'Europe, du Moyen-Orient, de l'Afrique occidentale et australe, du sud-est asiatique et de l'Australie, et 10-30% dans l'ouest de l'Amérique du Nord et une grande partie de l'Amérique du Sud (Milliman et al 2008), la plus grande partie de cette diminution étant due au forçage climatique (Dai et al 2009). Les projections tirées des modèles de changement climatique suggèrent que les diminutions de débit continueront dans ces régions à l'avenir (Jiménez Cisneros et al 2014, Schewe et al 2014)".

Autre enjeu : les espèces envahissantes et les maladies exotiques qu'elles introduisent, représentant une menace pour les écosystèmes aquatiques du monde entier. Les températures plus élevées de l'eau peuvent accroître la transmission et la virulence des parasites exotiques et des agents pathogènes, de même qu'elles augmentent la probabilité d'arrivée de nouvelles espèces. "Alors que les réservoirs créés par les barrages sont souvent des points chauds d'espèces exotiques, en particulier les poissons carnassiers prédateurs, plusieurs exemples de barrages (intentionnels et non intentionnels) limitent la propagation des espèces envahissantes (McLaughlin et al 2007; Rahel 2013; voir notre étude de cas). En outre, bien que souvent difficile, l'éradication des espèces exotiques des réservoirs est possible (Meronek et al 1996) et peut directement faciliter leur utilisation comme refuges par les poissons indigènes (Beatty et Morgan 2016). La valeur relative de la restauration de la connectivité pour les espèces indigènes par rapport à la limitation de la propagation des espèces envahissantes nécessite un examen attentif lors de la décision d'enlever des barrages ou d'installer des passes à poissons."

Une grille de décision est proposée, consistant à objectiver les effets écologiques positifs et négatifs actuels des barrages, ainsi que leurs usages, puis à analyser l'évolution des coûts et bénéfices en situation de changement climatique (cliquer pour agrandir) :


Extrait de Beatty et al, art cit. 

En conclusion, les scientifiques demandent un ré-examen attentif de ces questions: "Compte tenu des impacts biologiques et écologiques néfastes des barrages dans le monde entier, leur effacement aurait un impact positif net significatif sur les écosystèmes fluviaux et la biodiversité aquatique dans la grande majorité des cas (Williams et al 1999; Perkin et al 2015). Néanmoins, davantage de recherches sont nécessaires pour quantifier les valeurs écologiques existantes des retenues artificielles, et pour prédire comment ces valeurs pourraient changer à l'avenir. Plus particulièrement, dans des cours d'eau menacés de sécheresse où les refuges naturels seront perdus, l'implication des projections climatiques sur la valeur des barrages et les impacts de leur suppression doit être prise en compte par les chercheurs et les décideurs".

Discussion
Les sociétés humaines ont construit des barrages (petits et grands) depuis des millénaires, produisant des changements profonds dans le régime naturel des débits, la configuration sédimentaire des bassins, les peuplements biologiques. La prise en considération des effets environnementaux des barrages est récente à échelle de cette longue histoire. Elle a été accélérée par la multiplication des grands barrages depuis 1900, ces majestueux ouvrages de génie civil étant à la fois témoins spectaculaires de la puissance de la modernité industrielle et agents de modification radicale des milieux naturels.

Pour une écologie de la conservation valorisant les systèmes naturels pré-humains, le schéma est assez simple : le barrage représente un impact au fonctionnement spontané du cours d'eau, sa disparition est donc toujours profitable. Mais cette écologie de la conservation est une discipline en construction, et la réalité est finalement un peu plus complexe que certains discours formalisés dans les années 1960-1980. L'empreinte écologique de 9 à 11 milliards d'humains d'ici 2050 sera très difficile à réduire, la trajectoire de changement climatique par hausse du carbone atmosphérique est déjà engagée, la majorité des espaces naturels continentaux sont désormais des espaces anthropisés, c'est-à-dire des co-produits de processus naturels et d'interventions humaines. A cela s'ajoute que les barrages ont des enjeux socio-économiques notables et qu'ils sont une des meilleures sources d'énergie renouvelable (selon les critères de pilotage, stockage, puissance, empreinte carbone, empreinte matières premières, taux de retour énergétique). Les rares pays pauvres ou émergents qui arrivent à produire une électricité 100% renouvelable le font aujourd'hui avec une très forte base hydro-électrique. Et dans les autres, aucun scénario ne permet la sortie du carbone d'ici le milieu de siècle en sacrifiant l'énergie hydraulique.

Outre ces  contraintes globales que l'on doit garder à l'esprit, ce sont aussi les conditions locales qu'il faut examiner. Que disent les modèles climatiques sur l'avenir de chaque rivière? Quelle est la probabilité d'une hausse de fréquence des épisodes de sécheresse sévère (ou à l'inverse de crue)? Cet avenir probable suppose-t-il de conserver des capacités de régulation et de refuge? Que trouve-t-on aujourd'hui comme biodiversité aquatique et rivulaire dans le bassin, non seulement dans les zones naturelles, mais aussi dans les habitats artificiels? Ceux qui portent aujourd'hui la politique d'effacement sont-ils prêts à engager leur responsabilité en cas d'erreur de jugement observée dans 10, 20 ou 50 ans (tant de politiques publiques ayant produit des effets adverses et non anticipés par la planification…)? On aimerait avoir la réponse à ces questions aujourd'hui en France, dans le cadre de débats démocratiques apaisés et de discussions scientifiques transparentes.

Référence : Beatty S et al (2017), Rethinking refuges: Implications of climate change for dam busting, Biological Conservation, 209, 188–195

11/12/2015

Idée reçue #10 : "Etangs et retenues réchauffent toujours les rivières et nuisent gravement aux milieux"

"Votre barrage réchauffe l'eau". Cette idée, que l'on entend le plus souvent dans la bouche des pêcheurs de truite mécontents de ne pas avoir des conditions halieutiques idéales pour leur loisir, vient tout juste d'être reprise dans la communication du Ministère de l'Ecologie. Il est exact que certaines retenues réchauffent l'eau de la rivière. Mais parfois, c'est l'inverse qui se produit. En fait, les transferts thermiques eau-air-sol sont particulièrement complexes et, en la matière, seules des études de terrain peuvent faire un bilan thermique des seuils et barrages. Accuser les seuls ouvrages de réchauffer l'eau méconnaît bien d'autres facteurs à l'oeuvre : le changement climatique bien sûr, la baisse quantitative de la ressource, la suppression des ripisylves. Et à l'heure où le premier facteur de réchauffement attendu est la hausse de concentration atmosphérique des gaz à effet de serre, la mobilisation des ouvrages existants dans la transition énergétique bas-carbone paraît une nécessité plus urgente que leur effacement.

Voici ce que dit notamment le Ministère sur son site (mise à jour du 7 décembre 2015) à propos du réchauffement et de l'évaporation des eaux dans les retenues : "La restauration hydromorphologique des cours d’eau, à travers des effacements d’ouvrages notamment, permet de lutter contre le changement climatique en supprimant les effets aggravants des seuils et retenues sur le réchauffement et l’évaporation des eaux. Les retenues génèrent une évaporation forte d’eau en période estivale car une eau stagnante peu profonde se réchauffe beaucoup plus vite et plus fortement qu’une eau courante. Sur une longue durée d’ensoleillement, plus la surface d’eau exposée est importante plus les pertes par évaporation seront significatives. Ce phénomène est aggravé par le comblement progressif, parfois quasi-total, des retenues, par des sédiments, notamment dans le cas de seuil ancien qui ne sont plus gérés. Le volume d’eau est en effet alors diminué et étalé sur une très faible profondeur, accélérant son réchauffement."

Une remarque en passant : le Ministère préfère les adjectifs aux chiffres ("forte", "beaucoup lus vite", "importante", "très faible"). C'est assez classique en communication d'influence, il s'agit d'impressionner le public par des mots grandiloquents, en évitant de donner des ordres de grandeur, de préciser des mesures exactes ou d'apporter une intelligence plus globale du phénomène décrit.

Par exemple, les premières questions qui viennent à l'esprit en lisant le texte ci-dessus sont:
  • quel réchauffement observé des eaux (par rapport au réchauffement total attendu comme à l'amplitude thermique naturelle hiver-été, jour-nuit)? 
  • quel volume d'eau évaporé (par rapport à l'évaporation totale d'un cours d'eau)? 

On ne saura pas. Le Ministère n'explique pas les phénomènes, il instruit désormais un procès à charge. Il serait nettement préférable que ce même Ministère demande à la recherche académique de produire des analyses systématiques sur le régime thermique des rivières en fonction de leur fragmentation (et de la typologie de cette fragmentation)… mais en dehors de quelques études de cas rassemblées de manière un peu impressionniste dans le dernier rapport de l'Onema sur les poissons à l'heure du réchauffement climatique (voir infra), on ne dispose pas à notre connaissance de tels travaux en France. Pourtant, bien que l'enjeu soit important à tout point de vue pour l'avenir des milieux aquatiques, ce n'est pas simple de modéliser la température d'une rivière.

Commençons par quelques étonnants phénomènes locaux : les barrages présents sur la Dordogne diminuent jusqu'à 4°C la température de la rivière à l'aval (Lascaux et Cazeneuve 2008, cité in Baptist et al Onema 2014, p. 112). Sur l'Yonne amont, la retenue de Pannecière refroidit l'eau à l'aval, au point que les truites – espèce aimant pourtant l'eau froide – en sont perturbées (Lascaux et al. 2001, ibid). Voilà qui est curieux : les retenues, que l'on accuse d'un effet de réchauffement, auraient-elles finalement un pouvoir rafraichissant?

La réponse n'est pas univoque : elle s'explique par les échanges d'énergie au sein de la masse d'eau et avec son environnement. Rappelons que les transferts de chaleur se font par radiation (rayonnement entrant ou sortant qui apporte ou dissipe de l'énergie), par convection (différentiel de température et de densité des corps fluides), par conduction (diffusion de mélange) et par advection (échange de flux quand le système est ouvert) à quoi s'ajoutent le changement d'état de l'eau (enthalpie de vaporisation ou transfert de chaleur latente) et la friction (interne à l'écoulement du fluide, ainsi qu'avec le sol et les parois du chenal).

La température d'un cours d'eau est déterminée par de multiples facteurs qui vont influencer le poids relatif de ces modes de transfert thermique. Le schéma ci-dessous, extrait de Dallas 2008, en donne quelques-uns (les principaux, mais pas tous).


Un modèle énergétique de la rivière doit donc intégrer tout ce qui est susceptible de faire varier les  transferts thermiques. Il existe différentes familles de modèles, déterministes ou probabilistes (voir des revues chez Benyahya et al 2007, Caissie 2006), et ceux-ci doivent être paramétrés pour interpréter chaque système à étudier. La chose est loin d'être aisée. Par exemple, l'extension de la surface du miroir d'eau tend à augmenter le rayonnement solaire entrant dans le volume de la retenue, et donc son réchauffement. La même extension de surface tend à aussi à augmenter l'évaporation et le rayonnement infrarouge sortant, qui sont deux modes de refroidissement.

L'importance relative de ces phénomènes énergétiques et thermiques change d'une saison à l'autre. On voit par exemple dans le schéma ci-dessous (cliquer pour agrandir) les processus dominants de transfert thermique non advectifs (c'est-à-dire ne venant pas d'affluents ou de la nappe dans la zone hyporhéique de fond) selon chaque mois d'une année (extrait de Webb et al 2008), sur une petite rivière anglaise. On observe en particulier qu'en été, les rayonnements ondes courtes (solaire entrant) et l'évaporation (changement de phase, chaleur latente) jouent des rôles accrus et symétriques (en gain et perte de chaleur pour la masse d'eau concernée).


On observe de surcroît que ce comportement thermique change au fil des mois et des années, avec une variabilité inter-annuelle parfois notable. Le schéma ci-dessous (même source Wood et al 2008) en donnent un exemple (cliquer pour agrandir). L'analyse concerne 25 ans de suivi d'une rivière, avec comparaison de la température de l'eau à l'aval d'une retenue et plus loin dans une zone naturelle sans impact, en janvier et en juillet. On s'aperçoit pour le mois d'été que l'effet peut même changer de signe d'une année sur l'autre (et qu'il est globalement négatif, c'est-à-dire un rafraîchissement).


Les conditions locales (hydrologiques, géologiques, topologiques et même biologiques) viennent notamment compliquer les choses. Par exemple la surface de l'eau, si elle est peuplée de macrophytes flottants (nénuphars, potamots) comme c'est le cas de certaines retenues, laissera moins pénétrer le rayonnement solaire.

La hauteur de lame d'eau est déterminante dans le phénomène appelé stratification thermique : si l'eau est assez profonde (et plus encore si elle est turbide), le fond restera frais quand la surface se réchauffera (en été), phénomène dû pour une part à un différentiel de densité entre eau chaude et froide et pour une autre part à la moindre pénétration du rayonnement solaire (qui réchauffe la couche où il transfère son énergie). Une stratification inverse s'observera en hiver. Cela explique les phénomènes de la Dordogne ou de l'Yonne évoqués plus haut : des barrages laissent passer une eau de fond qui est nettement plus fraîche (en été) que celle de surface, cette dernière tendant à s'homogénéiser avec la température de l'air ambiant.

Le même mécanisme peut s'appliquer à des ouvrages plus modestes de moulins ou étangs. Si l'eau passe en surverse du seuil (on parle d'un écoulement épilimnique), elle sera plus chaude en été. Si elle passe par une vanne guillotine ouverte au fond (ou une buse ou un moine, écoulement hypolimnique), elle sera plus fraîche… à condition cependant qu'il y ait une profondeur suffisante. En tout état de cause, accuser sans nuance ni explication les seuils et retenues de réchauffer l'eau n'a pas trop d'intérêt : tout va dépendre de la configuration locale des différents facteurs qui établissent le régime thermique de l'eau. Et il existe des cas (bien sûr plutôt rares et concernant des grands barrages vers les têtes de bassin) où le problème peut devenir un refroidissement excessif, comme indiqué.

On le voit, les choses ne sont jamais aussi simple que ne l'affirment les adversaires des ouvrages hydrauliques. A ces considérations sur les échanges thermiques, il faut ajouter d'autres arguments:
  • les sécheresses et canicules sont des phénomènes courants aux échelles locales (même en dehors de l'influence anthropique récente sur le climat) et si la présence des retenues et étangs devait provoquer des fortes mortalités piscicoles, celles-ci seraient observées fréquemment et sur la plupart de rivières, ce qui n'est pas le cas à notre connaissance; 
  • même quand on constate un réchauffement sur des petits ouvrages, cela n'implique pas une moindre diversité spécifique à l'aval, dans les eaux réchauffées, le contraire s'observant aussi bien (par exemple les résultats de Lessard et Hayes 2003 sur 10 rivières);
  • dans les plaines alluviales et rivières à faible pente, les espèces de poissons sont souvent thermophiles et ubiquistes, elles supportent des températures élevées et l'impact halieutique reste modeste;
  • il existe une hétérogénéité thermique à toutes les échelles d'espace, y compris par exemple des différences parfois importantes (jusqu'au 7°C, Webb et al 2008 op cit)  entre le cours principal et des annexes latérales, de sorte que les zones refuge des poissons dans les périodes chaudes de la journée doivent s'apprécier localement;
  • il est observé couramment (y compris par des mesures malencontreuses d'ouverture de vanne à fin supposée écologique, cf cet article) que des poissons de toutes espèces trouvent refuge dans des biefs à eau assez profonde (en particulier sur des rivières karstiques lorsque des canaux de dérivation ont des fonds artificiellement imperméabilisés et préservent leur hauteur d'eau);
  • il a été montré que la présence ou absence de ripisylve (végétation de berge) peut faire varier de plus de 3°C la température moyenne d'un tronçon (Clim-arbres 2012) de sorte que la baisse de température par revégétalisation des berges serait une mesure non destructive plus intéressante pour la biodiversité et la thermie que la suppression de seuils ;
  • l'eau potable, l'irrigation, l'industrie consomme de l'eau de surface qui n'est pas toujours restituée près du point de pompage (contrairement à l'hydro-électricité dans 90% des cas), donc le réchauffement futur de l'eau dépend aussi de la manière dont nous serons capable de respecter les volumes estivaux, quand il y a davantage de besoins pour les milieux et pour certains usages ;
  • l'adaptation aux conséquences du changement climatique est un pis-aller par rapport à l'urgence de la prévention de ses causes. Si l'on brûle tout le charbon et tous les hydrocarbures non-conventionnels des sous-sols de la planète, la question des retenues sera assez secondaire pour nos sociétés et nos milieux... Il en résulte que l'équipement hydro-électrique des ouvrages reste dans cette première partie de XXIe siècle une stratégie bas-carbone à envisager en priorité, en particulier en zone non-tropicale (là où le bilan carbone et climatique est excellent);
  • au lieu de vouloir effacer les ouvrages, il existe divers moyens d'en contrôler ou corriger les effets thermiques non désirés, voire de leur faire jouer un rôle régulateur (options de décharge épi-, méso- ou hypolimnique). Ce devrait être la première proposition du gestionnaire, mais hélas celui-ci s'est enfermé dans un programme d'effacement de soi-disant "urgence" sur des rivières classées, ce qui interdit un dialogue constructif et des expérimentations là où elles sont possibles.  
Remettons donc les idées à l'endroit : il est exact que toutes choses égales par ailleurs, une zone large, peu profonde et à faible vitesse de retenue ou d'étang aura tendance à se réchauffer plus vite qu'une zone d'eau courante, ce qui peut avoir un effet significatif en été. Mais cette situation est loin de refléter tous les cas au bord des rivières, et il arrive que les retenues aient des effets opposés de rafraîchissement de l'eau à l'aval. La profondeur de la retenue, la turbidité de son eau, la végétation de ses berges et de sa surface, le mode d'écoulement vers l'aval sont des critères importants. Le régime thermique des rivières est un phénomène complexe, et la réponse biologique à la température l'est également. Dans certaines zones, le réchauffement de l'eau affecte peu les milieux aquatiques et ne modifie qu'à la marge la composition des assemblages biologiques ; dans d'autres, il est localement pénalisant pour des espèces adaptées aux eaux fraîches. En situation de réchauffement climatique – dont la première cause est l'émission carbone et dont l'hydro-électricité est une forme de prévention –, il est possible de procéder à des aménagements d'ouvrages favorables au milieu (par exemple curage de retenue et écoulement hypolimnique qui va refroidir). D'autres solutions non destructives, comme la revégétalisation des berges nues, permettent aussi de diminuer sensiblement la température estivale du réseau hydrique tout en améliorant les biodiversités locales. A cela s'ajoute que les eaux plus profondes des biefs et retenues peuvent servir de refuges dans certaines conditions. Le choix d'effacement des ouvrages n'est certainement pas la réponse la plus intelligente ni la plus prudente au problème du réchauffement des eaux.