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30/11/2025

Un rapport parlementaire menace la riveraineté et amplifie la dérive autoritaire de la restauration écologique des rivières

Le nouveau rapport parlementaire sur les rivières reprend les doctrines administratives existantes sans aucun examen critique : priorité à l’hydromorphologie, durcissement de la continuité écologique, extension des servitudes et préemptions sur les rives privées. Les députés à l’origine du texte ont annoncé qu’ils allaient rédiger une proposition de loi, ouvrant la voie à une transformation majeure de la gouvernance locale et des droits des riverains. Notre vigilance devra être renforcée en 2026, car beaucoup de ces évolutions sont inacceptables. L'association Hydrauxois informera les parlementaires de ces nouvelles dérives, et de la nécessité de rejeter leur inscription dans la loi. 


Le rapport d’information Ozenne–Sertin ambitionne de dresser un panorama complet de la situation des cours d’eau français. Les auditions ont été nombreuses, les déplacements étendus, et la synthèse minutieuse. Pourtant, malgré cet appareil imposant, la perspective demeure étonnamment uniforme. Le document s’inscrit dans la continuité directe des doctrines administratives dominantes depuis deux décennies ; il reprend les catégories, les priorités et les interprétations du DEB et de l’OFB comme si elles étaient dépourvues de biais, comme si elles n’avaient jamais été contestées, comme si leur efficacité n’avait pas fait l’objet de débats croissants dans les milieux scientifiques, techniques et locaux.

Cette incapacité à mettre en regard les discours administratifs avec des analyses contradictoires, à évaluer les résultats des politiques existantes, à examiner les controverses, fragilise l’ensemble. Le rapport décrit, recommande, consolide ; il n’interroge jamais. C’est pourtant cette fonction qui fonde l’utilité même d’un travail parlementaire sur le contrôle de l’action publique.

L’absence de distance critique : l’avis administratif érigé en vérité
La première faiblesse du rapport est méthodologique : il ne distingue jamais clairement expertise et doctrine, observation et orientation, faits mesurés et prescriptions d’action. La quasi-totalité de l’analyse repose sur les données et interprétations produites par les DDT-M, l’OFB, le DEB et les agences de l’eau — des institutions dont l’action est elle-même évaluée à l’aune des objectifs qu’elles contribuent à définir. Cette circularité n’est pas questionnée. Elle conduit le rapport à reconduire des cadres conceptuels qui sont moins le reflet d’un consensus scientifique que le produit d’une culture administrative homogène, structurée par vingt ans de mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau.

Aucune réflexion n’est conduite sur la qualité des diagnostics existants, ni sur les incertitudes qui pèsent pourtant lourdement sur certains paramètres biologiques, hydromorphologiques ou chimiques. Les marges d’erreur, les limites de la surveillance, les zones où les données sont extrapolées plutôt que mesurées, ne sont jamais présentées comme des variables susceptibles d’affecter le récit général. De même, aucune contradiction scientifique n’a été mobilisée : ni hydrologues travaillant sur les systèmes anthropisés, ni spécialistes de la géohistoire fluviale, ni chercheurs ayant documenté les limites observées à l’international des programmes de restauration écologique. Si certains ont été auditionnés, leur apport n’apparaît nulle part dans la synthèse.

Cette absence d’ouverture s’observe également dans le traitement du bilan de la DCE. Le rapport rappelle que seuls 43 % des cours d’eau français sont en bon état écologique et 44 % en bon état chimique, mais il ne fournit aucun élément permettant d’apprécier les moyens engagés pour atteindre ces résultats assez médiocres : pas d’inventaire des dépenses réalisées depuis 2000, pas d’analyse coût-bénéfice, pas de mise en regard des montants mobilisés par les agences de l’eau avec les améliorations réellement constatées sur les masses d’eau. On ne sait donc ni combien a été investi, ni si ces investissements ont été efficaces, ni si d’autres stratégies auraient produit des effets plus mesurables sur les indicateurs biologiques. Or, depuis plus de 20 ans déjà, et encore tout récemment, la recherche scientifique pointe que les restaurations écologiques de cours d'eau ont des résultats médiocres. 

Le silence est tout aussi notable concernant les espèces emblématiques censées justifier une large part des politiques de continuité et de restauration. Le rapport mentionne que 15 espèces de poissons d’eau douce sont menacées en France, mais il ne documente nulle part leur évolution, en particulier celle des migrateurs amphihalins — alors même que ces espèces justifient depuis trente ans des budgets importants en équipements, passes à poissons et destruction de barrages. Les données scientifiques, pourtant disponibles, convergent vers un constat pessimiste : l’état des populations de saumon, d’anguille ou d’alose demeure globalement mauvais, et les pressions marines, climatiques ou liées aux usages du bassin versant expliquent une part significative de ces tendances. Rien de tout cela n’est interrogé. La même lacune concerne les espèces exotiques envahissantes, dont l’essor est identifié comme un facteur majeur d’altération écologique, mais qui n’apparaissent jamais dans une réflexion critique sur les résultats attendus ou obtenus des politiques publiques.

En l’absence de ces analyses, le rapport finit par prendre les institutions pour la science elle-même, et la doctrine administrative pour un savoir avéré. Ce glissement n’est pas seulement regrettable : il prive le Parlement de sa fonction première, celle d’éprouver la robustesse des choix publics, d’en examiner l’efficacité et d’en interroger les présupposés. Un document d’information parlementaire ne devrait pas confirmer un cadre existant, mais éclairer ce qu’il réussit, ce qu’il échoue, et ce qui demeure inconnu. Ici, ces trois dimensions restent largement dans l’ombre.

Une focalisation excessive sur l’hydromorphologie
Un point particulièrement problématique du rapport est la place exorbitante accordée à l’hydromorphologie dans l’explication de la « dégradation » des cours d’eau. L’idée n’est pas nouvelle : depuis vingt ans, une partie de l’administration a progressivement basculé vers une lecture où les altérations morphologiques — rectifications, seuils, digues, berges consolidées — deviennent les facteurs premiers, presque uniques, du mauvais état écologique. Le rapport reprend cette hiérarchie comme si elle relevait d’un consensus scientifique stabilisé, alors qu’elle constitue d’abord une construction institutionnelle, produite par un cadre d’évaluation particulier (DCE, critères français), et comme telle  contestable.

Les chiffres mis en avant suffisent à mesurer ce biais. Le rapport affirme que les pressions hydromorphologiques affecteraient 51,5 % des cours d’eau français et seraient « la première cause d’effondrement de la biodiversité » selon l’OFB.

Ces pourcentages, cités sans précaution méthodologique, donnent l’illusion d’une causalité : si l’hydromorphologie est la première pression identifiée, ce serait donc là que se jouerait l’essentiel de la dégradation des milieux. Or ce raisonnement ne tient que parce que les méthodes d’évaluation assignent mécaniquement un rôle structurant aux paramètres morphologiques (dans les analyses OFB comme dans le principe du "one-out, all-out" de la DCE), et parce que les pressions chimiques ou diffuses sont souvent mal suivies, sous-échantillonnées ou mal représentées dans la base de données.

Ce paradigme repose ainsi sur trois postulats implicites : l’existence d’un état « naturel » antérieur, défini par la mobilité maximale du lit et la continuité dans ses quatre dimension (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) ; l’équivalence entre dynamique libre et bon fonctionnement écologique ; la réduction des ouvrages anciens à de simples obstacles, sans valeur d’habitat ni rôle stabilisateur ou régulateur. Le rapport ne questionne jamais cette grammaire idéologique qui oriente l'administration et une fraction de la recherche en écologie. Il fait comme si les rivières françaises n’étaient pas, depuis des siècles, des systèmes hybrides où les ouvrages, les usages, les prélèvements, les terres agricoles et les zones urbanisées contribuent ensemble à la structure écologique réelle.

Plus problématique encore : cette focalisation morphologique écrase d’autres facteurs pourtant souvent plus déterminants dans la littérature scientifique. Les études d’hydro-écologie quantitative montrent, depuis plus de vingt ans, que la qualité chimique, les pollutions diffuses (notamment agricoles), et les usages du sol dans le bassin versant sont les premiers déterminants mesurables de l’état biologique des cours d’eau (invertébrés, poissons, macrophytes) — avant les altérations morphologiques. 

Autrement dit, alors que la dégradation écologique est principalement corrélée à l’usage des sols — urbanisation, agriculture intensive, extraction d'eau, imperméabilisation, ruissellement chargé en nitrates, pesticides, métaux lourds — le rapport choisit d’enfermer son récit dans une correction morphologique permanente : restaurer, reconnecter, reméandrer, effacer. Cette vision oublie que les rivières fonctionnent avant tout comme le miroir des sols et des activités du bassin. 

Ce choix doctrinal n’est pas anodin : il oriente la dépense publique, hiérarchise les cibles, justifie des programmes nationaux et, pour tout dire, évite soigneusement de regarder les déterminants réellement dominants, car ceux-ci impliquent des arbitrages plus difficiles — agricoles, industriels, urbanistiques — bien loin du confort politique des « restaurations » morphologiques de vitrine.


La continuité écologique : un impératif reconduit malgré vingt ans de controverses
La partie du rapport consacrée à la continuité écologique illustre de manière particulièrement nette le manque de recul général du texte. Les rapporteurs ne se contentent pas de réaffirmer la priorité donnée à la continuité longitudinale ; ils souhaitent désormais intégrer pleinement les continuités latérales et verticales dans la planification des interventions. Soit. Mais cette extension du champ d’application intervient alors même que la mise en œuvre des politiques existantes suscite un mélange persistant d’indifférence, de scepticisme et d’hostilité locale — un constat que le rapport reconnaît par endroits, sans en tirer de conséquences sur sa lecture globale. Malgré ce décalage, les auteurs préconisent une accélération des procédures, un renforcement des moyens des services instructeurs, et un retour sur la dérogation accordée par la loi Climat et Résilience aux moulins à eau, afin de permettre la suppression simplifiée des ouvrages jugés “abandonnés”.

L’approche retenue est donc cumulative : les difficultés rencontrées n’incitent pas à réévaluer la doctrine, mais à la durcir. Le rapport ne discute pas la possibilité que les controverses, bien documentées depuis vingt ans y compris par la recherche en sciences sociales, révèlent un problème structurel dans les hypothèses initiales de la politique. Il ne mobilise ni les travaux scientifiques ayant mis en évidence l’absence de lien robuste entre continuité longitudinale et restauration des populations de poissons migrateurs, ni les études historiques montrant que ces espèces occupaient les têtes de bassin à la fin du XVIIIᵉ siècle alors que la plupart des ouvrages aujourd’hui ciblés existaient déjà. Il ne rappelle pas non plus que certaines rivières où des destructions ont été menées ont connu des abaissements de lit, des assecs plus fréquents ou une diminution des habitats lentiques utiles en période d’étiage.

À cela s’ajoute une dimension sociale et patrimoniale absente du rapport : les mobilisations ne concernent pas seulement les moulins à eau, mais aussi les plans d’eau, étangs, grands barrages, retenues d’irrigation, canaux, biefs et, plus largement, tout un ensemble d’ouvrages et de paysages hydrauliques présents depuis des siècles. Les contestations sur le terrain — manifestations, pétitions, actions en justice — ont été suffisamment fortes pour que l’État commande un audit interne dès 2016, lequel signalait une “difficulté notable” à articuler une politique nationale descendante avec les réalités territoriales de la gestion de l’eau. Des rapports parlementaires ultérieurs ont également documenté cet échec de gouvernance : celui de Chevrollier (2021), explicitement intitulé "Rompre avec la continuité écologique destructive", proposait de revenir à une approche au cas par cas et à un dialogue effectif avec les acteurs. Cette dimension  ne disparaît pas faute d’exister : elle disparaît parce que le rapport choisi de ne pas s’y confronter.

L’angle juridique est omis de la même manière. Le Conseil d’État a rappelé que les obligations liées à la continuité écologique doivent être appréciées site par site, et non imposées selon des grilles uniformes, tandis que le Conseil constitutionnel a affirmé que les ouvrages hydrauliques et leur usage potentiel relevaient de l’intérêt général, notamment au titre du patrimoine et de la production d’énergie. Ces décisions informent pourtant aujourd’hui le cadre légal dans lequel la politique est supposée évoluer ; le rapport n’en tire aucun enseignement, comme si la jurisprudence n’avait aucune incidence sur la pertinence ou la faisabilité des recommandations proposées.

Ainsi, le rapport réaffirme la continuité écologique comme un principe intangible plutôt que comme une politique publique à examiner, ajuster ou réorienter. Il ne discute ni les controverses scientifiques, ni les échecs documentés, ni les résistances sociales, ni les contraintes juridiques. Cette absence de mise en perspective transforme une doctrine en dogme, et un objectif technique en impératif politique détaché de son bilan réel. C’est précisément là que réside le problème.

Une dérive vers la collectivisation foncière des rives, sans débat démocratique
Dernier élément problématique du rapport, et sans doute le plus structurant pour l’avenir, l’extension continue des instruments publics de maîtrise foncière sur les rives non domaniales. Le texte ne l’affirme jamais explicitement, mais l’enchaînement des propositions dessine une même orientation : réduire progressivement le rôle du propriétaire privé dans la gestion des cours d’eau, affaiblir les droits de riveraineté — pourtant ancrés dans le Code civil depuis deux siècles — et transférer aux structures publiques ou para-publiques la maîtrise des bords de rivière.

Les recommandations sont nombreuses et convergentes. La plus significative est l’instauration d’un droit de préemption Gemapi sur les parcelles riveraines, destinée à “faciliter les acquisitions stratégiques” nécessaires aux projets de restauration écologique. Le rapport reprend explicitement les demandes d’agences de l’eau, dont l’une indique que la préemption est “le seul levier permettant de s’affranchir de l’accord du propriétaire riverain”. Ce simple ajout juridique suffirait, s’il était adopté, à reconfigurer en profondeur la propriété privée sur 95 % du linéaire des cours d’eau français, puisque seuls 16 320 km sont domaniaux sur les 428 906 km recensés par le Sandre.

Le texte propose également d’élargir l’usage des servitudes d’utilité publique afin de créer des zones de mobilité, de préserver des zones humides ou d’interdire certains usages du sol en bordure de rivière, y compris hors des zones urbanisées. Il encourage le recours accru à la déclaration d’utilité publique (DUP) pour contourner l’accord du propriétaire, comme le suggère l’agence Rhin-Meuse, et confie aux agences de l’eau une stratégie foncière nationale destinée à financer ou cofinancer les acquisitions nécessaires au reméandrage, aux renaturations et aux opérations de continuité écologique. Le rapport invite encore à renforcer le rôle des conservatoires régionaux d’espaces naturels et du Conservatoire du littoral, qui disposent de droits de préemption, voire d’expropriation en cas de carence départementale, et à mobiliser davantage les Safer, déjà titulaires d’un droit de préemption environnementale qu’elles exercent sur 1 % des ventes rurales chaque année.

À cela s’ajoute la volonté de couvrir l’ensemble du territoire par des SAGE (aujourd’hui 56 % seulement), instruments de planification opposables, et celle de faciliter l’usage des DIG (déclarations d’intérêt général) permettant aux collectivités d’intervenir sur les propriétés privées pour l’entretien, les travaux d’office ou les aménagements hydromorphologiques. Pris séparément, ces outils existent déjà. Mais leurs usages étaient jusqu’ici ponctuels ou limités à des contextes précis. Pris ensemble, et inscrits dans une stratégie nationale de “maîtrise foncière” présentée comme nécessaire à la restauration des cours d’eau, ils dessinent une transformation structurelle qui dépasse largement le champ technique : une mise sous contrôle progressif des rives non domaniales afin d’assurer, envers et contre tout, la continuité écologique et les opérations de reméandrage.

Cette inflexion majeure, pourtant lourde d’enjeux démocratiques, est présentée comme une évidence administrative. Aucun examen de proportionnalité n’est proposé, aucune évaluation socio-économique n’anticipe les effets d’un tel transfert de foncier sur les propriétaires familiaux ou agricoles, aucune comparaison internationale ne vient étayer l’idée qu’une gestion effective des cours d’eau passe nécessairement par une prise de contrôle foncière publique. Le rapport note pourtant que la maîtrise du foncier est la “principale difficulté” rencontrée par les maîtres d’ouvrage et que les refus de propriétaires empêchent parfois de traiter des linéaires entiers, mais il en déduit non pas une réflexion sur les modalités de concertation, mais la nécessité de neutraliser ce blocage par des outils juridiques plus contraignants.

Enfin, le rapport insiste sur la “démocratie de l’eau” et sur la nécessité “d’embarquer la population” pour massifier les restaurations. Dans les faits, la participation des riverains reste très limitée : les SAGE restent dominés par les représentants institutionnels ; les DIG, servitudes et préemptions placent les propriétaires devant des décisions déjà prises ; et les outils véritablement volontaires, comme les obligations réelles environnementales (ORE), sont jugés peu attractifs et très peu mobilisés par l’IGEDD (environ 300 contrats à l’échelle nationale). La participation existe donc surtout comme registre discursif, tandis que les leviers effectifs demeurent entre les mains d’acteurs politico-administratifs éloignés des riverains et peu redevables vis-à-vis d’eux.

Au total, le rapport enregistre et amplifie une dynamique de collectivisation silencieuse des rives, présentée comme purement technique mais porteuse d’un basculement profond dans la gouvernance de l’eau. Il reconduit ainsi une doctrine administrative sans interroger ni sa légitimité, ni ses effets secondaires, ni les implications démocratiques d’une telle transformation.


Conclusion : vigilance sur une proposition de loi 2026 et engagement pour un cap radicalement différent
Le rapport Ozenne–Sertin aurait pu offrir une lecture pluraliste des cours d’eau français, examiner les controverses, évaluer les politiques menées et intégrer les dimensions historiques, hydrauliques, patrimoniales et sociales qui façonnent depuis des siècles les rivières de ce pays. Il aurait pu questionner les doctrines établies, confronter les résultats aux investissements, mettre en regard les ambitions écologiques et les réalités hydrologiques, ouvrir un débat national sur la hiérarchie des priorités. Il choisit une autre voie : reconduire sans réserve les cadres administratifs existants, élargir les instruments de contrôle, étendre les prérogatives publiques sur les rives privées, et réaffirmer une lecture strictement morphologique des milieux aquatiques.

Ce texte manque ainsi sa fonction première : éclairer les choix publics à partir d’un examen critique des faits. Il ne questionne pas les bilans, ne distingue pas les réussites des échecs, ne discute pas des alternatives possibles. Pourtant, la gestion de l’eau exige aujourd’hui l’inverse : une réflexion capable d’articuler écologie et usages, continuité et stockage, renaturation et patrimoine, adaptation climatique et réalités territoriales. Elle exige une compréhension fine des rivières comme systèmes hybrides, façonnés à la fois par les dynamiques naturelles et par des siècles d’ouvrages, d’étangs, de barrages, de cultures et de savoir-faire locaux. Elle exige enfin qu’on cesse d'opposer abstraitement un “état naturel” idéalisé à la diversité des trajectoires historiques et géographiques.

La portée du rapport est d’autant plus préoccupante qu’il ne restera pas au stade du diagnostic. Les rapporteurs ont annoncé publiquement qu’ils allaient déposer une proposition de loi, potentiellement dès la niche parlementaire écologiste. Autrement dit, les orientations décrites ici ne sont pas un simple exercice intellectuel : elles constituent le socle d’une future action législative visant à transformer en profondeur la gouvernance de l’eau, la maîtrise foncière des rives, et le statut même des ouvrages hydrauliques. Une doctrine présentée comme technique pourrait ainsi devenir, très rapidement, un cadre légal opposable à tous.

Dans ce contexte, le mouvement des riverains, des propriétaires d’ouvrages, des associations patrimoniales et des acteurs de terrain n’aura d’autre choix que de défendre des orientations radicalement différentes. Non pour refuser toute évolution, mais pour rappeler qu’une politique de l’eau efficace doit s’appuyer sur des bilans rigoureux, une pluralité d’expertises, un respect des territoires, et une vision élargie du vivant — y compris celui qui dépend des étangs, des biefs, des canaux, des retenues et des hydrosystèmes anthropisés.

À la lumière des ambitions législatives désormais exprimées, il serait irresponsable de rester spectateur. L’heure est à la mobilisation, afin que la politique de l’eau qui émergera après 2027 soit réellement au service des milieux, des usages, des territoires, et non l’application mécanique d’une doctrine administrative devenue imperméable à la réalité.

Référence : Assemblée nationale, Mission d’information sur l’état des cours d’eau, Rapport n° 2070, Rapport d’information déposé le 12 novembre 2025, Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire — corapporteurs : Mme Julie Ozenne & M. Freddy Sertin. 

28/09/2025

Quand la rivière tue, priorité doit être donnée à la sécurité des citoyens

Le 22 septembre 2025, une femme de 55 ans perdait la vie à Guingamp, emportée par une crue soudaine. Un drame terrible, rendu encore plus insupportable par le lieu de l'accident : la vallée de Cadolan, qui venait de faire l'objet d'un chantier de "renaturation" à près d'un million d'euros, censé lutter contre les inondations. Cet événement tragique rappelle que la rivière tue : le risque zéro est impossible, mais le devoir du gestionnaire public de l'eau est de protéger les citoyens. Or la politique de l'eau a fait depuis des décennies le choix idéologique de la "restauration écologique des rivières" au détriment du génie hydraulique et de la protection des populations, qui se retrouvent sous-financés. Face à l'urgence climatique, il est temps de replacer la sécurité des personnes et la maîtrise de l'eau au cœur d'une véritable politique de gestion des bassins versants.


(DR, actu.fr)

Le lundi 22 septembre 2025, à 7h15 du matin, une agente du lycée Pavie s'engage sur la route du lieu-dit Cadolan. Le département est en proie à ce que Météo France qualifie d'"épisode pluvieux remarquable", avec des cumuls atteignant plus de 150 mm dans le secteur de Plouha entre le dimanche midi et le lundi matin. Alors qu'il fait encore nuit, sa voiture est surprise par une montée des eaux fulgurante. L'issue sera fatale.

Ce drame exprime aussi un échec. Car la vallée de Cadolan n'est pas un lieu anodin. C'est le site d'un projet phare de l'agglomération Guingamp-Paimpol, une opération de réhabilitation écologique à 840 000 euros. L'aménageur lui-même expliquait que l'idée initiale était de créer cet espace "pour éviter la construction d'un nouveau barrage qui permettait de lutter contre les inondations". 

Le résultat ? Face à une crue réelle, le secteur engorgé s'est transformé en piège mortel.

La politique de l'eau : tout pour l'écologie, plus grand chose pour l'hydraulique
Pour comprendre comment on a pu en arriver là, il faut se plonger dans les documents qui orientent la politique de l'eau sur chaque territoire, comme le SAGE voisin de la Baie de Lanion ou les documents de l'Agglomération de Guingamp-Paimpol. On y parle de préserver les "zones d'expansion des crues" ou de "sensibiliser à la culture du risque". On y évoque des "solutions fondées sur la nature" et des "restaurations écologiques". Pas un mot sur les solutions de génie hydraulique qui ont fait leurs preuves depuis des décennies. Pas un mot sur des barrages de retenue en amont, des digues de protection ou des canaux de contournement pour dévier les crues des zones habitées. La doctrine publique de gestion de l'eau est devenue : on ne s'oppose plus à l'eau, on lui laisse de la place. C'est un choix politique qui, au nom de la nature, abandonne des décennies de savoir-faire en matière de sécurité hydraulique.

Pire, cette doctrine publique a conduit à se priver des outils de régulations de l'eau, en particulier les barrages et canaux qui soit sont découragés et sous-financés, soit carrément détruits volontairement quand ils existent. 

Dans cette région de Guingamp-Paimpol-Lannion, l'idéologie de la destruction des barrages et la vénération des rivières "sauvages" n'est pas nouvelle. On peut remonter à 1996. Cette année-là, le barrage de Kernansquillec sur le Léguer, un ouvrage de 15 mètres de haut, fut entièrement démoli. Bien que situé sur un bassin versant voisin du Trieux (donc sans impact sur le cas de Guingamp), son démantèlement fut érigé en exemple régionale et national ; il a servi de déclencheur politique et idéologique à la doctrine de "l'effacement" systématique des ouvrages hydrauliques, qui fut ensuite le dogme appliqué partout, en Bretagne et en France.

La circulation de la truite ou du saumon passe après les vies humaines
Face à la tragédie de Guingamp, les citoyens sont en droit de demander des comptes à l'agence de l'eau, à l'agglomération Guingamp-Paimpol et aux acteurs à compétence Gemapi, qui appliquent ces orientations.

Comment peut-on justifier de dépenser des millions d'euros d'argent public dans une politique qui fait de la circulation de la truite ou du saumon une priorité, tout en ignorant les outils les plus efficaces pour protéger les vies humaines ? Comment peut-on se contenter de brandir des "solutions fondées sur la nature" sans garantir qu'elles seront efficaces en crue, sans évaluer l'eau stockée par ce biais, sans alerter les citoyens du nouveau régime d'écoulement que cela implique ? 

La priorité absolue doit être la sécurité et la santé des personnes. L'écologie de la "restauration", aussi louable soit-elle, ne peut primer sur cet impératif. Que l'on investisse dans des solutions fondées sur la nature, comme de véritables zones humides d'expansion de crues, pourquoi pas. Mais d'abord à condition que l'efficacité soit démontrée. Ensuite en complément, et non en remplacement, des ouvrages de protection active ainsi que de la gestion technique des ruissellements en zone urbaine.

L'aménagement de la vallée de Cadolan a montré les limites de la seule renaturation, et cela de la plus tragique des manières.

Pour un changement de cap : la sécurité d'abord
L'heure est à l'action. Il faut un moratoire immédiat sur toute destruction de barrages et de seuils qui participent, même modestement, à la régulation des eaux. Il est vital de réinvestir dans une approche hydraulique robuste, et même de reprendre la construction d'ouvrages de protection là où c'est nécessaire. Cela implique également de financer en priorité des systèmes d'alerte météo et de crues plus réactifs et plus localisés, pour que ni les citoyens, ni même les élus, ne soient surpris par une montée des eaux fulgurante en pleine nuit.

Cela passe aussi par un changement dans les mentalités et les compétences. Les agents publics qui gèrent nos rivières doivent être formés au génie hydraulique et à la gestion des risques, pas seulement à la biologie et à la morphologie des cours d'eau.

Cet impératif est rendu encore plus criant par le réchauffement climatique. Les experts nous alertent depuis plus de 20 ans : les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus intenses. Pourquoi, dans ce cas, nos aménageurs n'ont-ils pas réfléchi plus tôt au dimensionnement des projets ? Pourquoi ne pas avoir compris le coût énorme que représente une maîtrise correcte des écoulement en zone agricole et urbaine, donc la nécessité de concentrer et non disperser l'effort public en subventions et en personnels ?  

Continuer sur la voie actuelle, c'est faire le choix de l'impréparation. Un choix inacceptable. Un choix qui doit disparaître des SDAGE et des SAGE. 

Protéger la biodiversité est nécessaire, restaurer des naturalités peut être utile. Mais garantir la sécurité et la santé des habitants est le premier devoir du gestionnaire public. Il est temps de remettre l'ingénierie, la prudence et le bon sens au cœur de la gestion de nos rivières. Avant qu'une autre crue ne vienne nous rappeler, de la plus brutale des manières, le coût de nos égarements par rapport à la hiérarchisation et la priorisation des actions. 

24/07/2025

Le conseil d'Etat suspend un effacement d’ouvrage hydraulique et exige la prise en compte des propriétés du barrage

Le Conseil d’État, par une décision du 16 juillet 2025, a suspendu l’exécution d’une déclaration de travaux délivrée par le préfet de l’Indre pour l’effacement de l’étang du Grand Moulin (Aigurande), chantier mené par la fédération de pêche. Cet arrêt éclaire les conditions dans lesquelles une opération de restauration des milieux aquatiques doit relever d’un régime d’autorisation, et non d’une simple déclaration, en particulier lorsqu’un barrage classé est en cause.


Le 4 mars 2024, la fédération départementale de pêche et des milieux aquatiques de l’Indre dépose une déclaration de travaux auprès de la préfecture, visant l’effacement de l’étang du Grand Moulin, à Aigurande (Indre), impliquant l’ouverture partielle ou totale du barrage retenant l’étang. Le préfet délivre un récépissé le 15 avril 2024, assorti de prescriptions.

Deux associations — la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins (FFAM) et l’Association pour la sauvegarde de l’étang du Grand Moulin — saisissent en urgence le juge des référés du tribunal administratif de Limoges pour suspendre cette décision. Elles soutiennent notamment que les travaux nécessitaient une autorisation au titre de la législation sur l’eau, et non une simple déclaration. Par ordonnance du 8 août 2024, le juge des référés rejette leur demande. Les associations se pourvoient alors en cassation.

Dans son arrêt, le Conseil d’État reproche à la juge des référés de ne pas avoir appliqué correctement les critères du code de l’environnement pour apprécier le régime applicable aux travaux :

L’article R. 214-1 distingue les travaux soumis à déclaration ou à autorisation selon leur impact potentiel sur les milieux aquatiques.

Les travaux d’effacement de barrage sont soumis à autorisation s’ils portent sur un barrage classé, au sens de l’article R. 214-112 (hauteur, volume, présence d’habitations à l’aval).

Or, la juge a estimé que le barrage n’était pas classé, non pas au regard de ces critères techniques, mais parce qu’un arrêté préfectoral avait abrogé son droit d’eau. Cette substitution de critères juridiques à des critères techniques constitue une erreur de droit.

Le Conseil d’État constate que le barrage présente :
  • une hauteur supérieure à 2 mètres,
  • une superficie de 27 000 m²,
  • et potentiellement un volume supérieur à 50 000 m³, avec des habitations à moins de 400 mètres à l’aval.
Ces éléments sont suffisants pour faire naître un doute sérieux quant au caractère classé de l’ouvrage et à la légalité du régime de simple déclaration retenu.

Les travaux ayant débuté le 16 juillet 2024, soit bien avant qu’un jugement au fond puisse intervenir, l’urgence à suspendre l’exécution est reconnue.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés de Limoges, fait droit à la demande de suspension, et condamne solidairement l’État et la fédération départementale de pêche de l’Indre à verser 3 000 euros aux associations requérantes au titre des frais de procédure.

Les apports de cet arrêt :
  • Le juge administratif doit appliquer strictement les critères techniques du classement des barrages (R. 214-112 C. env.) pour déterminer si un effacement relève du régime d’autorisation.
  • Le droit d’eau abrogé n’a pas d’incidence sur la qualification physique de l’ouvrage au regard du classement réglementaire.
  • Une intervention rapide est possible si les travaux ont commencé et qu’un doute sérieux sur la légalité existe.
Cet arrêt protège les intérêts patrimoniaux et écologiques liés à certains étangs et moulins menacés d’arasement précipité. Il montre la capacité à résister juridiquement à des politiques publiques aberrantes, coûteuses et clientélistes, qui sont vivement critiquées par les riverains. Bravo aux plaignants. 

Référence : Conseil d’État, 16 juillet 2025, arrêt n° 497179, Fédération française des associations de sauvegarde des moulins et Association pour la sauvegarde de l’étang du Grand Moulin, ECLI:FR:CECHS:2025:497179.20250716.

22/03/2025

Des députés de tous bords interpellent le gouvernement sur la destruction des ouvrages hydrauliques en rivière

En ce moment, les politiques environnementales sont sous pression en raison de leurs contraintes et coûts mal acceptés pour des résultats incertains. Ce sont logiquement les choix les plus contestables et contestés de ces politiques qui refont surface dans le débat public. En particulier la fameuse "continuité écologique et renaturation des rivières" : cette politique incompréhensible a conduit l'administration française à privilégier la destruction du patrimoine des seuils et barrages desservant des moulins, étangs, petites usines à eau partout dans les territoires. Comme le soulignent les parlementaires, les aspects négatifs de ce choix sont patents : perte de la capacité de réguler les eaux pour atténuer crue et sécheresse, d'un productible hydro-électrique très bas carbone, d'un agrément culturel, d'un paysage aquatique et d'un patrimoine historique. Le pire est que la principale promesse de cette politique n'a nullement été tenue : malgré des milliers de chantiers ayant engagé des centaines de millions d'euros d'argent public, les poissons grands migrateurs ont vu leur situation se dégrader sur la plupart des bassins depuis 20 ans ! Il est temps d'arrêter les frais en révisant la loi sur l'eau. 


Barrage des Pipes en cours de destruction, source l'Est Républicain, Esteban Grepinet DR

Des parlementaires de tous bords s'interrogent sur le sujet de la destruction des seuils en rivière, dans le cadre des politiques de restauration de la continuité écologique. Ils soulignent toutes les conséquences négatives potentielles de cette politique, notamment en matière de gestion de l'eau et d'atténuation des effets du changement climatique.

Impacts hydrologiques et climatiques : les parlementaires mettent en avant le rôle historique des seuils et chaussées de moulins dans la régulation des cours d'eau. Ils estiment que leur suppression aggrave les sécheresses estivales, réduit la recharge des nappes phréatiques et intensifie les crues et inondations en aval. Des exemples récents de catastrophes climatiques (notamment dans le Pas-de-Calais et en Bretagne) sont cités pour appuyer ces inquiétudes.

Patrimoine et énergie renouvelable : ces ouvrages sont également considérés comme faisant partie du patrimoine historique et culturel français. Certains députés insistent sur leur potentiel en matière de production d’hydroélectricité décentralisée et décarbonée, qui pourrait être une alternative aux destructions systématiques.

Efficacité et justification des politiques de continuité écologique : si la nécessité de préserver la biodiversité est reconnue, plusieurs députés critiquent la pertinence de la destruction des moulins. Ils soulignent que les attentes liées au retour des poissons migrateurs ne se sont pas concrétisées, et que ces mesures pourraient être contre-productives en termes de préservation des écosystèmes aquatiques.

Demande de réévaluation des politiques publiques : les parlementaires interrogent le gouvernement sur les mesures envisagées pour concilier restauration écologique et préservation des ouvrages hydrauliques encore en usage. Certains demandent une application stricte de l’article 49 de la loi « climat et résilience », qui interdit la destruction des moulins, et suggèrent une modification des schémas d’aménagement de l’eau pour inclure les défenseurs des moulins dans la gouvernance.

Mme Marie Pochon - Drôme (3e circonscription) - Écologiste et Social
Mme Marie Pochon alerte Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche sur le sujet de l'effacement des moulins et des seuils de rivières. Du fait des changements climatiques, l'ensemble du pays est confronté à des sécheresses dramatiques transformant des cours d'eau en chemins de randonnée, condamnant les espèces aquatiques et la flore endémique de ces biotopes. Aux intersaisons, les épisodes de crues frappent durement plusieurs régions du pays. En 2024 le Pas-de-Calais, puis en 2025 l'Ile-et-Vilaine, ont fait les frais de ces catastrophes dramatiques. Dans ces deux départements, ce sont près de 400 seuils et ouvrages qui auraient été détruits sur les quinze dernières années. De quoi interroger le rôle de ces seuils dans la limitation du pic de crue et des inondations en amont. En tant qu'écologiste, Mme la députée tout à fait favorable aux mesures de restauration de la continuité écologique dans les rivières. Elle est sensible à la diminution inquiétante des populations de poissons, de batraciens et de l'ensemble des espèces qui peuplent les cours d'eau. Il est primordial de poursuivre ces démarches de renaturation de rivières et de restauration de la continuité écologique. Le contournement des seuils ou encore l'installation de passes à poissons doivent être soutenues par les agences de l'eau et sur ce point le plan national d'adaptation au changement climatique annoncé le 10 mars 2025 peut rassurer. Pour autant, Mme la députée a été alertée par certains des citoyens défenseurs des moulins qui s'inquiètent de voir disparaître ces ouvrages. On estime aujourd'hui que 10 000 moulins ont été détruits sur les 60 000 que comptait la France. Au-delà d'un rôle de régulateur des niveaux des cours d'eau, ces bâtiments font partie du patrimoine et peuvent également être des sources d'énergie renouvelable et décarbonée. La politique des agences de l'eau soutient l'effacement de ces ouvrages. Si on peut en comprendre la pertinence lorsqu'ils touchent des ouvrages abandonnés et dangereux, Mme la députée souhaiterait connaître les actions envisagées pour associer à la fois la restauration de la continuité écologique et le maintien de ces ouvrages utilisés à des fins de micro-hydroélectricité et qui font partie du patrimoine. Elle souhaiterait donc connaître les actions envisagées pour associer à la fois la restauration de la continuité écologique et le maintien de ces ouvrages.

M. Loïc Kervran - Cher (3e circonscription) - Horizons & Indépendants
M. Loïc Kervran appelle l'attention de M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation sur la politique engagée depuis la circulaire du 25 janvier 2010 ayant entraîné la destruction de près de 10 000 ouvrages hydrauliques ( principalement des chaussées de moulins à eau ) sur un total de 60 000 ouvrages recensés en 2010 par l'office français de la biodiversité (OFB). Ces ouvrages, qui constituent un patrimoine hydraulique millénaire, ont été réalisés et entretenus pendant des siècles pour réguler les cours d'eau, préserver les nappes phréatiques et limiter les inondations en agissant comme de véritables régulateurs naturels des débits. En éliminant ces structures essentielles, la politique mise en œuvre risque d'aggraver significativement les phénomènes climatiques. En effet, en supprimant les retenues naturelles qui ralentissent les écoulements et favorisent la recharge des nappes, on observe une intensification des sécheresses estivales ainsi qu'un accroissement de la fréquence et de la gravité des inondations lors des épisodes de fortes pluies. Ces constats, étayés par plusieurs études et avis d'experts en hydrologie et en environnement, invitent à une reconsidération urgente de cette politique. Ils soulignent la nécessité d'un équilibre entre la modernisation des infrastructures de gestion de l'eau et la préservation d'un patrimoine historique qui a toujours joué un rôle crucial dans la régulation naturelle des écosystèmes fluviaux. Dans ce contexte, il souhaite savoir quelles mesures il envisage pour réévaluer et, le cas échéant, inverser, cette politique qui détruit massivement des ouvrages essentiels à la régulation naturelle des cours d'eau et à la prévention des crues. Il demande également s'il prévoit de modifier les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) ainsi que les programmes d'aides des agences de l'eau, notamment en intégrant les représentants des moulins à eau dans les instances de gouvernance, afin d'assurer une gestion équilibrée de la ressource hydrique.

M. Roger Chudeau, Loir-et-Cher (2e circonscription) - Rassemblement National
M. Roger Chudeau interroge Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche, à la demande de la FFAM (Fédération française des associations de sauvegarde des moulins), sur les modalités d'application de l'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre les effets du dérèglement climatique, dite loi « climat et résilience », qui modifie l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le but d'interdire la destruction des moulins à eau dans le cadre des obligations de continuité écologique. En l'espace de 15 ans, sur un total de 60 000 ouvrages en rivière recensés en 2010 par l'OFB, 12 000 ont été « partiellement » ou « totalement » détruits dans le cadre du « plan de restauration de la continuité écologique » mis en œuvre par la circulaire du 25 janvier 2010. Sur ces 12 000 ouvrages détruits, 10 000 environ sont des chaussées de moulins à eau ou leurs vannages. Ces destructions massives d'un patrimoine installé depuis des siècles sur les rivières françaises se sont accompagnées d'une explosion du coût de la sinistralité climatique en France (inondations, sècheresses), passé de moins de 3 milliards d'euros en moyenne au début des années 2010, à 6 milliards actuellement. En effet, en relevant le niveau des eaux des rivières et en ralentissant les écoulements sur l'ensemble du réseau hydrographique français, les dizaines de milliers de petites retenues de moulins à eau ont pour vertu à la fois de préserver les eaux et la vie aquatique lors des sècheresses estivales, de nourrir les nappes tout au long de l'année ; mais également, lors des fortes pluies, de faciliter les débordements précoces dans les plaines alluviales permettant de limiter le pic de crue et les inondations à l'aval des bassins versants. Dans le Pas-de-Calais par exemple, qui a subi de graves inondations en novembre 2023, 320 ouvrages ont été partiellement ou totalement détruits. Sur le seul bassin de la Vilaine, 100 ouvrages ont été détruits. Les eaux ne sont plus préservées, leur flux n'est plus régulé, ce pour quoi ces ouvrages avaient été aménagés et entretenus durant des siècles. En outre, alors que ces destructions devaient favoriser le retour des poissons migrateurs sur les rivières, ces espèces n'ont jamais été aussi peu nombreuses qu'en 2023. Ce résultat était prévisible, comme la FFAM l'a déjà fait connaître. À l'instar des barrages de castors de hauteur équivalente et modeste auxquels les chaussées de moulins n'ont fait que succéder : en conservant d'importants volumes d'eau dans les rivières lors des sècheresses estivales, ils préservent la vie et permettent le développement des alevins et juvéniles de saumons ou de truites. En conclusion, assise non sur la connaissance, mais sur une dangereuse dialectique d'opposition entre l'homme et la nature, cette politique de destruction est fille de l'ignorance et du dévoiement des lois. Elle aura déjà coûté plusieurs milliards d'euros à la France et ses conséquences sur la sinistralité climatique se fera de plus en plus durement sentir à mesure que les destructions s'accumulent. C'est pourquoi il lui demande si l'article 49 de la loi n° 2021-1104, qui interdit de détruire ces ouvrages anciens, sera enfin appliqué par les administrations de l'eau et si seront rénovés et remontés certains ouvrages détruits afin de rétablir les équilibres d'autrefois et juguler ces phénomènes.