24/03/2024

Un barbeau ibérique profite des aménagements de barrages hydro-électriques (Santos et al 2023)

L'examen d'un aménagement de barrage hydro-électrique sur la rivière Vilariça révèle des résultats intéressants pour la survie et la reproduction d'une espèce de barbeau ibérique. Il est possible de concilier les usages humains de la rivière et le maintien de la biodiversité fluviale. 


Les interventions humaines comme la construction de barrages modifient les conditions de connectivité dans les rivières, affectant ainsi la vie des organismes aquatiques, en particulier les poissons migrateurs. Les chercheurs en Europe comme dans le monde étudient comment divers procédés de compensation permettent d'améliorer malgré tout le cycle de vie des poissons par rapport à l'obstacle à leur circulation. Voici le résumé d'un travail mené sur une espèce de barbeau ibérique :

"Dans les systèmes fluviaux, où les organismes aquatiques sont limités à la vie au sein des réseaux de rivière, les barrières anthropiques peuvent interrompre la connectivité et contribuer à la fragmentation de l'habitat. La connectivité de l'habitat est particulièrement importante pour les poissons migrateurs qui doivent parcourir des distances considérables pour se rendre dans les zones de frai, d'alevinage et de refuge. 

Afin de soutenir les étapes cruciales du cycle de vie des espèces de poissons indigènes, des mesures compensatoires ont été établies dans la rivière Vilariça grâce à la construction de l'aménagement hydroélectrique de Baixo Sabor (BSHS). Ainsi, le but de ce travail est d'évaluer si les mesures mises en œuvre, telles que des seuils d'amélioration de l'habitat et un système de dérivation du débit libérant l'eau du BSHS, ont amélioré la survie et la reproduction d'une espèce indigène, le barbeau ibérique (ou barbeau du Tage, Luciobarbus bocagei). L'évaluation comprenait le calcul du nombre d'individus reproducteurs et de la superficie utilisable pondérée (WUA) de l'habitat de frai. De plus, pour évaluer l'activité de frai, une méthodologie de frai par unité d'effort (SPUE) a été développée. 

Les résultats ont montré que la migration et le frai de L. bocagei étaient améliorés par l'augmentation de la vitesse d'écoulement du système de dérivation. Les fascines installées ont également contribué au succès de la reproduction, car elles ont permis l'établissement d'aires de repos et de fraie essentielles à la période de reproduction. Il a été possible d'estimer la SPUE maximale de 5,4 frayères par minute dans les frayères avec une portée de 20 m et le nombre de poissons observés, qui variait entre 251 et 800 dans les frayères et les aires de repos. De plus, la WUA maximale a été estimée à 1 580 m2 pour un débit de 1 m3/s (entre le débit médian et maximum pour la saison de frai) dans un tronçon de 2 km de la rivière Vilariça. 

Ce travail a montré que la réhabilitation d'un affluent d'une rivière fragmentée suite à la construction de barrages était une procédure compensatoire valable car elle permettait la migration et le frai des poissons."

Cette recherche, comme bien d'autres, montre l'efficacité réelle des débits réservés, des aménagements d'habitats et des dispositifs de franchissement au droit des ouvrages hydrauliques barrant les lits mineurs. Cela plaide pour une restauration de continuité écologique conciliant les divers usages de la rivière.

Référence : Santos RMB et al (2023), Effect of river restoration on spawning activity of Iberian barbel (Luciobarbus bocagei), Journal for Nature Conservation, 76, 126488

10/03/2024

Le conseil d’Etat constate l’illégalité de la destruction de l’étang de Bussières par la fédération de pêche et la préfecture de l’Yonne

Après 6 années de procédure, l’association Hydrauxois obtient enfin la condamnation par la justice de l’opération de destruction et assèchement de l’étang de Bussières : ce magnifique patrimoine hydraulique et écologique des marges du Morvan avait été détruit dans des conditions opaques, en absence de toute étude environnementale et de toute enquête publique. Il va sans dire que cette décision légitime la défiance que l’on peut avoir envers une administration eau & biodiversité qui a engagé depuis la décennie 2010 une longue dérive sur le dossier de la continuité écologique des cours d’eau. Nous attendons des préfets un rappel à l’ordre de leurs agents comme des fédérations de pêche à agrément public. 


Rappelons les faits : la fédération de l’Yonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FYPPMA) a acquis en 2015 de l’étang de Bussières, situé sur le passage de la rivière la Romanée, sur le territoire de la commune de Bussières (Yonne). Ce site était dans une zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2, notamment classée en raison des habitats des marges et queues d’étang. Outre sa belle biodiversité, l’étang de Bussières apportait une précieuse réserve d’eau sur un bassin où la rivière est souvent à sec en été. Déjà présent sous l’Ancien Régime, c’était aussi un beau patrimoine hydraulique et paysager

Devenue propriétaire, la fédération de pêche de l’Yonne a informé le directeur départemental des territoires de l’Yonne de son intention de réaliser une vidange complète de l’étang à la fin du mois d’octobre 2017, en vue de son effacement ultérieur. A la suite de la vidange de l’étang, la FYPPMA a sollicité, le 27 novembre 2017, l’autorisation de réaliser des travaux présentant un caractère d’urgence sur la Romanée : la préfecture a accepté sans même que soit déposé un dossier de déclaration au titre de la loi sur l’eau, conformément aux dispositions de l’article R. 214-44 du code de l’environnement. Enfin, par un courrier du 13 mars 2018, le directeur départemental des territoires a indiqué à la fédération qu’il ne comptait pas faire opposition à la déclaration déposée le 10 janvier 2018 aux fins de détruire la digue de l’étang de Bussières.

Par ce subterfuge d’une série d’actes pris isolément, alors même que le but de la destruction de ce magnifique étang était établi dès le départ et avait fait l’objet d’une subvention publique de l’agence de l’eau, la fédération de pêche de l’Yonne et la préfecture ont sciemment contourné  l’article R. 214-42 du code de l’environnement, dont les termes comme le rappelle le conseil d’Etat «impliquent que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement.»

Le tribunal administratif de Dijon puis la cour administrative d’appel de Lyon n’avaient pas retenu cette interprétation. Ces jugements sont censurés par le conseil d’Etat : «En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

L’Etat est donc condamné dans cette triste affaire, qui est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.


Quelques observations
L’association Hydrauxois est satisfaite que justice soit rendue. Elle déplore que les services de l’Etat et la fédération de pêche de l’Yonne, cette dernière disposant d’un agrément public, se soient comportés en se croyant au-dessus des lois sous prétexte qu’il était question de supposé rétablissement de la continuité écologique ou de "renaturation". Nous avions saisi en urgence la DDT de l'Yonne sur les anomalies de ce dossier, sans succès, comme nous avions alerté l'OFB de Bourgogne Franche-Comté, également sans effet. Nous avions pourtant raison.

Le fait d’avoir perdu aux deux premières instances mais gagné au conseil d’Etat rappelle à tous les plaignants de ce genre d’affaire (nombreux en France) qu’il faut s’engager en justice en prévoyant d'aller jusqu’au terme de la procédure : ce n’est pas la première fois que le conseil d’Etat donne raison à des riverains, collectivités et propriétaires d’ouvrages hydrauliques malgré des avis contraires des cours inférieures.

Enfin, un seul moyen juridique suffisant à casser en droit un jugement ou à annuler un texte attaqué, le conseil d'Etat n'a malheureusement pas apprécié nos autres arguments sur la valeur intrinsèque de l'étang comme zone humide et comme milieu d'intérêt écologique. Mais d'autres contentieux sont en cours qui, espérons-le, nous permettront d'obtenir un arrêt sur ce point. Car le fond du problème est là: on dilapide l'argent public à détruire des milieux aquatiques utiles et appréciés, au bénéfice d'une vision marginale du retour à la nature sauvage n'ayant jamais été inscrite comme telle dans le droit français, et au détriment de l'investissement pour réduire les vrais impacts dégradant l'eau.

Pour la suite sur l'étang de Bussières, nous demanderons à la cour d’appel de Lyon d’ordonner la remise en état du site illégalement détruit. 

Source : Conseil d’Etat, arrêt n°460964, 8 mars 2024 

Engageons-nous pour le retour en eau de ce magnifique site!