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16/04/2024

La règlementation européenne "Restaurer la nature" est bloquée par le conseil des Etats

Plusieurs États membres de l'Union européenne ont retiré leur soutien à une règlementation phare dite de restauration de la nature, bloquant ainsi son adoption. Cette décision survient dans un contexte de défis accrus pour le secteur agricole européen, exacerbés par des tensions géopolitiques et des changements climatiques. Mais au-delà de cette conjoncture, la difficulté à faire passer des lois imposant "par en haut" la manière dont les citoyens devraient ou ne devraient pas gérer leurs cadre de vie est un signe des temps. L'écologie elle aussi aura l'obligation d'être plus ouverte à la diversité des attentes sociales et à la complexité des représentations de la nature. 


La Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas et la Suède ont manifesté leur refus de signer la règlementation Restore Nature (Restaurer la nature), tandis que la Pologne, l'Autriche,  la Finlande et la Belgique ont signifié leur abstention. 

Ce retrait du soutien à une règlementation écologique par plusieurs États membres de l'Union européenne marque un nouveau coup dur pour ce projet de législation, élaboré pendant deux ans. Initialement, cette règle visait à restaurer les habitats et écosystèmes dégradés de l'UE, dans le cadre du Pacte vert. Elle représente l'une des plus grandes politiques environnementales jamais proposées par l'UE, après la directive Habitat, faune flore de 1992.

Pour atteindre l'objectif fixé de restaurer au moins 20% des terres et mers de l'UE d'ici la fin de la décennie, les États membres devraient restaurer 30% de leurs habitats terrestres et marins d'ici 2030, y compris les forêts, prairies, zones humides, mais aussi les rivières, lacs, estuaires et fonds coralliens, avec des augmentations prévues à 60% en 2040, puis 90% en 2050. Ils devraient également adopter des plans nationaux de restauration détaillant les moyens d'atteindre ces objectifs.

La règlementation "Restaurer la nature" avait déjà été sérieusement remaniée après les oppositions parlementaires au projet de la Commission, puis les protestations des agriculteurs européens. Des événements climatiques extrêmes et les tensions géopolitiques récentes ont exacerbé les défis agricoles, affectant les prix et les revenus.

Ces événements récents représentent un nouveau revers pour la politique environnementale controversée de l'Union européenne, montrant la complexité des politiques écologiques dans un contexte de crises multiples. Au-delà du cas particulier des agriculteurs, beaucoup craignent que la décision d'aménagement des cadres environnementaux ne soit confisquée par des technocraties très éloignées du terrain et des pratiques, avec des incitations devenant parfois des dogmes. 

L'association Hydrauxois avait alerté précocement les élus et les administratifs européens sur les nombreuses dérives déjà observées dans le cadre de la restauration des rivières, marquée en France par des destruction massives de patrimoines et par des oppositions riveraines multiples. 

Autant les citoyens sont intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la réduction des polluants toxiques, la préservation de paysages d'intérêt, la protection raisonnée de la faune et de la flore, autant ce processus ne peut se réduire à l'imposition d'une écologie théorique dont le mot d'ordre serait finalement de chasser les humains des milieux naturels ou de revenir à une hypothétique nature du passé. 

Restaurer des habitats diversifiés, pourquoi pas. Mais punir les humains et détruire leurs patrimoines, cela ne passe plus. Les pratiques de restauration écologique doivent acter ce blocage pour évoluer dans leurs méthodes et objectifs. 

11/04/2024

La destruction de la chaussée du Surgié à Figeac soulève de fortes oppositions

La commune de Figeac et la préfecture du Lot s'orientent vers la destruction de la chaussée du Surgié, sur la rivière Célé. Mais de nombreux riverains et des associations locales s'y opposent. L'association Hydrauxois a demandé la communication des expertises qui, selon une mauvaise habitude des gestionnaires publics, ne sont pas publiées sur les sites de la préfecture, de la commune, de l'agence de l'eau ou du syndicat de bassin, alors qu'elles sont financées par le contribuable et d'intérêt général. Nous publions ci-après la synthèse faite par un riverain, M. Daniel Paget, engagé dans le collectif de défense du site du Surgié. Ce récit permet de comprendre l'histoire du lieu et de mesurer les diverses inquiétudes nées de la potentielle destruction d'un patrimoine sur argent public, pour un montant exorbitant qui pourrait approcher les 10 millions d'euros. Le dossier présente aussi de nombreuses questions sur sa légalité, que les conseils juridiques de l'association Hydrauxois vont examiner de près.



La présence d’un barrage au niveau du Surgié remonte au 13e siècle où, à cette époque, il permettait d’alimenter en rive gauche le moulin, et en rive droite les canaux qui traversaient la ville de Figeac.

En 1974 a été construite la station de pompage de Prentegarde, située en amont du barrage, qui alimente en eau potable le figeacois. Pour sécuriser le pompage dans le Célé lors des bas débits, un empierrement transversal au Célé était réalisé juste en aval de la prise d’eau afin de maintenir un niveau d’eau suffisant pour les pompes. Lors des crues automnales, cet empierrement était naturellement emporté par la force du courant du Célé.

En 1985, la commune prend possession du barrage et le reconstruit un peu plus haut que le barrage historique, afin que le niveau de la retenue permette de créer le plan d’eau de la base de loisirs actuelle. Ceci a eu pour effet de sécuriser également le prélèvement d’eau potable, sans recourir à des empierrements. Depuis, la production d’eau potable pour les figeacois ne pose aucun problème, même lors des très bas débits (étiages) du Célé.

En 1985, dès la première mise en eau du barrage reconstruit, ce dernier a été l’objet de fuites au travers de sa structure liées à une malfaçon.

Les premières années d’exploitation ont mis en évidence l’envasement de la zone de loisirs nécessitant des curages fréquents. Pour pallier ces inconvénients, 120 toupies de béton ont été déversées pour boucher les cavités internes du barrage, creusées par l’eau. Une digue « filtrante » a été construite en 2000 pour séparer le cours d’eau de la zone de loisirs afin d’éviter l’envasement.

Quelques années plus tard, la digue « filtrante » s’étant colmatée, le plan d’eau touristique est devenu un espace clos, dont la température d’eau augmente fortement en été. Cette situation est propice au développement des cyanobactéries qui rendent dangereuse la baignade pour les humains et les animaux ainsi que la consommation des poissons.

Des travaux de modernisation d'une chaussée ancienne dont on constate aujourd'hui l'échec
Le barrage du Surgié s’avère donc, de longue date, un problème pour la municipalité et l’insuffisance d’entretien a complexifié le problème en rendant inopérantes les passes à poissons et à canoës.

En 2017, Monsieur le Préfet conscient des dangers que représenterait la rupture du barrage a notamment exigé une visite technique approfondie afin que Monsieur le Maire puisse prendre les dispositions qui s’imposent en connaissance de cause.

De nombreuses études ont été faites, confirmant la dangerosité du barrage et donc l’impérieuse nécessité de trouver une solution qui remédie aux différents problèmes légaux du Surgié (solidité de l’ouvrage, conformité de la passe à poissons, risque sanitaire du plan d’eau...).

L’équipe municipale s’est orientée vers la destruction du barrage avec renaturation de la zone du Surgié et les études ont été faites en ce sens.

Une solution alternative à la destruction du barrage a été proposée, par les élus minoritaires de «renouveau pour Figeac» au conseil municipal du 15 octobre 2019. Il s’agissait de réparer le barrage et les dispositifs de continuité écologique, d’installer une production hydroélectrique et de modifier légèrement la digue filtrante pour créer une circulation dans le plan d’eau. Cette proposition, d’un coût estimé à 2,1 millions d’euros à l’époque, était étayée par un dossier remis aux conseillers municipaux. Il y était précisé qu’un revenu annuel moyen de 100 000 euros pour la commune était généré par la vente d’électricité . Aucune étude de cette alternative n’a été portée à la connaissance des élus.

Dans le même temps, les réflexions municipales sur la sécurisation de production d’eau potable conduisent à reconstruire la station de pompage de Prentegarde et à équiper sa prise d’eau dans le Célé d’un dégrilleur automatique. Cette rénovation a coûté 7 millions d’euros.

Un engagement vers la destruction en 2020
En 2020 Monsieur le Maire fait voter par le conseil municipal la destruction du barrage avec renaturation de la zone, pour un montant de 2,7 millions d’euros. Cette décision est justifiée par le reste à charge moindre pour la commune, grâce aux subventions dont peut bénéficier le scénario d’effacement.

Suite à cette décision les alertes auprès de Monsieur le Maire ont été réitérées, notamment le risque majeur sur la distribution d’eau potable lors des étiages, du fait de la baisse de niveau du Célé liée à la disparition de la retenue d’eau du barrage.

Lors du conseil municipal du 13 novembre 2023, Monsieur le Maire informe d’un surcoût de 3,9 millions d’euros portant ainsi le coût total du projet à 6,6 millions d’euros (7,7 millions d’euros si l’on rajoute la construction de la passerelle d’accès à la zone touristique) .

La loi ayant évolué depuis 2020, le niveau de subventions pour le scénario d’effacement est incertain à ce jour.

Compte tenu de la complexité de ce dossier le Maire a délégué sa responsabilité de Maître d’Ouvrage au Syndicat mixte Célé Lot médian en lui accordant une rémunération de 137 500 euros.

Le 26 novembre 2023, un collectif de quatre Présidents d’associations (Sauvegarde du Célé, Moulins du Querçy Lot Tarn et Garonne, AAPPMA Figeac, Réveil des moulins du Querçy) fait part de ses interrogations et demande un rendez vous à Monsieur le Maire. A ce jour l’association Sauvegarde du Célé s’est retirée du collectif.

Dans un article dans la Dépêche du midi du 30 novembre 2023 le Maire qualifie de « polémique » cette demande de rendez vous et indique qu’une réunion publique est prévue.

Des risques manifestement sous-estimés
Les risques induits par l’effacement du barrage ont manifestement été sous estimés lors des études du scénario d’effacement à 2,7 millions d’euros. Le surcoût de 3,9 millions d’euros s’explique en grande partie par les dispositions à prendre pour couvrir les risques majeurs sur l’alimentation en eau potable des figeacois lors des étiages, et sur l’érosion des berges et du bâti lors des crues. A noter l’absence de communication publique sur ces risques.

Pour sécuriser l’alimentation en eau potable, après destruction du barrage, il sera nécessaire de créer une nouvelle prise d’eau en fond de rivière. On peut légitimement s’interroger sur ce choix qui ne bénéficie pas de nombreux retours d’expérience et qui, de toute évidence est intrinsèquement moins sûr que la situation actuelle.

L’analyse rétrospective des conceptions préconisées par les bureaux d’études devrait inciter Monsieur le Maire à plus de prudence. En effet , les résultats de leurs préconisations posent question.

Le barrage, dès sa première mise en eau a commencé à fuir ! Le plan d’eau, s’est régulièrement envasé ! La digue filtrante s’est rapidement colmatée !

Un budget de 250 000 euros vient d’être voté pour les études d’une solution de secours pour l’alimentation en eau potable des figeacois à partir de la rivière Lot depuis Capdenac. Le coût d’un tel raccordement au travers du territoire aurait un coût de plusieurs dizaines de millions d’euros faisant ainsi peser une pression fiscale sur le long terme. S’agissant de travaux en milieu aquatique il est probable qu’une partie de ces coûts soit financée par la taxe GEMAPI qui figure sur la feuille d’impôts des citoyens du Grand Figeac.

Monsieur le Maire n’a pas fait étudier sérieusement la solution alternative proposée alors qu’elle présente moins de risques et qu’elle est moins onéreuse en coût complet.

Une solution alternative doit être sérieusement étudiée
La solution alternative proposée consiste à renforcer le barrage existant (technique maîtrisée par les professionnels du domaine), à équiper le barrage d’une turbine ichtyocompatible préservant la faune piscicole, à rendre conforme les passes à poissons et à canoës, à réaliser une échancrure à l amont de la digue filtrante actuelle pour assurer l’alimentation de la base de loisirs à contre- courant, à remettre en service la buse existante à l’aval, avec réglage de débit, afin de maîtriser la circulation dans le plan d’eau.

Il est encore temps de vérifier les avantages et inconvénients de ces deux solutions et de connaître leur niveau de subventions afin de faire le meilleur choix final. Ce travail d’analyse ne peut être fait dans une réunion publique de quelques heures qui sera forcément une communication valorisant l’effacement, à l’image des éléments accessibles sur le site internet de la mairie.

Ce choix final, qui est du ressort du Maire élu, doit intégrer ses conséquences en termes technique, environnemental et économique sur le long terme mais aussi en terme de pression fiscale sur les figeacois notamment à cause du secours depuis Capdenac en cas d’effacement.

A la dernière réunion du 4 avril 2024
La réunion technique publique organisée par M le Maire de Figeac le 4 avril 2024 a permis de dresser un panorama exhaustif de la situation du Surgié en présence des experts, des financeurs et de l’Etat. Madame la Préfète a souligné l’urgence de prendre une décision pour régler les problèmes identifiés :
1) dangerosité du barrage et non conformité des ouvrages de franchissement
2) risque sanitaire lié aux cyanobactéries
3) risque sur la production d’eau potable

Les nombreuses interventions dans la salle ont mis en évidence des questionnements qui mériteraient une analyse approfondie entre experts, qui n’ont pas forcément le même point de vue. Mais c’est le scénario destruction avec renaturation qui a fait l’objet de la plupart des études il paraît évident que c’est le seul à ce jour qui, malgré ses éventuelles imperfections puisse être retenu.


En cas de destruction du barrage les risques ou inconvénients ci dessous sont à craindre

L’impossibilité de délivrer l’eau potable aux figeacois lors des dysfonctionnements prévisibles de la nouvelle prise d’eau. Ce risque a une probabilité d’occurrence significative, probabilité qui diminuera un peu dans quelques années avec le secours envisagé depuis Capdenac gare en pompant dans le Lot ( coût plusieurs dizaines de millions d’euros)

L’érosion des berges et du bâti riverain dont il est prévu d’en prévenir les effets par plus d’un kilomètre d’enrochements ( coût > 1 M€)

Le colmatage du pont Gambetta par de gros embâcles transportés en hautes eaux avec des risques d’ inondation des riverains, sans penser au scénario catastrophe de rupture du pont

La perte d’une très importante réserve d’eau, qui serait bien utile dans le contexte du réchauffement climatique et dans le contexte d’un grave incendie en ville ; qui serait également bien utile dans la gestion des crues et dans la prévention des inondation par la régulation judicieuse de l’ouverture du clapet

La perte du rôle amortisseur de la retenue actuelle pour les épisodes de pollution surtout à l’étiage

Le bouleversement des équilibres écologiques qui se sont créés au fil du temps, car les retenues d’eau au niveau du Surgié remontent au 13 ième siècle avec un barrage sur chaque bras à l’époque

Une très faible la lame d’eau lors des étiages sévères avec l’absence de zone refuge pour les poissons et une moindre alimentation de la nappe phréatique

La remobilisation des sédiments accumulés sur toute la zone affectée par une modification du régime hydraulique

La disparition de zone de décantation fort utile lors des pollutions accidentelles

La suppression d’une possibilité de production d’énergie verte

La création d’une zone « bras mort » difficilement accessible potentiellement favorable à la prolifération de moustiques

L’incidence significative à long terme sur la fiscalité de Figeac et du Grand Figeac notamment au travers de la taxe Gémapi.

D’autres effets collatéraux sont à signaler sur l’impact patrimonial de la suppression du dernier moulin fonctionnel de Figeac, sur l’économie touristique, sur les loisirs aquatiques (baignades , kayak , pêche ..).

Des solutions alternatives moins coûteuses en deniers publics existent mais elles mériteraient une analyse contradictoire entre experts ; ce qui n’a pu être le cas aujourd’hui au motif que les subventions maximales (encore incertaines) vont au scénario retenu par M. le Maire

24/03/2024

Un barbeau ibérique profite des aménagements de barrages hydro-électriques (Santos et al 2023)

L'examen d'un aménagement de barrage hydro-électrique sur la rivière Vilariça révèle des résultats intéressants pour la survie et la reproduction d'une espèce de barbeau ibérique. Il est possible de concilier les usages humains de la rivière et le maintien de la biodiversité fluviale. 


Les interventions humaines comme la construction de barrages modifient les conditions de connectivité dans les rivières, affectant ainsi la vie des organismes aquatiques, en particulier les poissons migrateurs. Les chercheurs en Europe comme dans le monde étudient comment divers procédés de compensation permettent d'améliorer malgré tout le cycle de vie des poissons par rapport à l'obstacle à leur circulation. Voici le résumé d'un travail mené sur une espèce de barbeau ibérique :

"Dans les systèmes fluviaux, où les organismes aquatiques sont limités à la vie au sein des réseaux de rivière, les barrières anthropiques peuvent interrompre la connectivité et contribuer à la fragmentation de l'habitat. La connectivité de l'habitat est particulièrement importante pour les poissons migrateurs qui doivent parcourir des distances considérables pour se rendre dans les zones de frai, d'alevinage et de refuge. 

Afin de soutenir les étapes cruciales du cycle de vie des espèces de poissons indigènes, des mesures compensatoires ont été établies dans la rivière Vilariça grâce à la construction de l'aménagement hydroélectrique de Baixo Sabor (BSHS). Ainsi, le but de ce travail est d'évaluer si les mesures mises en œuvre, telles que des seuils d'amélioration de l'habitat et un système de dérivation du débit libérant l'eau du BSHS, ont amélioré la survie et la reproduction d'une espèce indigène, le barbeau ibérique (ou barbeau du Tage, Luciobarbus bocagei). L'évaluation comprenait le calcul du nombre d'individus reproducteurs et de la superficie utilisable pondérée (WUA) de l'habitat de frai. De plus, pour évaluer l'activité de frai, une méthodologie de frai par unité d'effort (SPUE) a été développée. 

Les résultats ont montré que la migration et le frai de L. bocagei étaient améliorés par l'augmentation de la vitesse d'écoulement du système de dérivation. Les fascines installées ont également contribué au succès de la reproduction, car elles ont permis l'établissement d'aires de repos et de fraie essentielles à la période de reproduction. Il a été possible d'estimer la SPUE maximale de 5,4 frayères par minute dans les frayères avec une portée de 20 m et le nombre de poissons observés, qui variait entre 251 et 800 dans les frayères et les aires de repos. De plus, la WUA maximale a été estimée à 1 580 m2 pour un débit de 1 m3/s (entre le débit médian et maximum pour la saison de frai) dans un tronçon de 2 km de la rivière Vilariça. 

Ce travail a montré que la réhabilitation d'un affluent d'une rivière fragmentée suite à la construction de barrages était une procédure compensatoire valable car elle permettait la migration et le frai des poissons."

Cette recherche, comme bien d'autres, montre l'efficacité réelle des débits réservés, des aménagements d'habitats et des dispositifs de franchissement au droit des ouvrages hydrauliques barrant les lits mineurs. Cela plaide pour une restauration de continuité écologique conciliant les divers usages de la rivière.

Référence : Santos RMB et al (2023), Effect of river restoration on spawning activity of Iberian barbel (Luciobarbus bocagei), Journal for Nature Conservation, 76, 126488

10/03/2024

Le conseil d’Etat constate l’illégalité de la destruction de l’étang de Bussières par la fédération de pêche et la préfecture de l’Yonne

Après 6 années de procédure, l’association Hydrauxois obtient enfin la condamnation par la justice de l’opération de destruction et assèchement de l’étang de Bussières : ce magnifique patrimoine hydraulique et écologique des marges du Morvan avait été détruit dans des conditions opaques, en absence de toute étude environnementale et de toute enquête publique. Il va sans dire que cette décision légitime la défiance que l’on peut avoir envers une administration eau & biodiversité qui a engagé depuis la décennie 2010 une longue dérive sur le dossier de la continuité écologique des cours d’eau. Nous attendons des préfets un rappel à l’ordre de leurs agents comme des fédérations de pêche à agrément public. 


Rappelons les faits : la fédération de l’Yonne pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FYPPMA) a acquis en 2015 de l’étang de Bussières, situé sur le passage de la rivière la Romanée, sur le territoire de la commune de Bussières (Yonne). Ce site était dans une zone nationale d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de type 2, notamment classée en raison des habitats des marges et queues d’étang. Outre sa belle biodiversité, l’étang de Bussières apportait une précieuse réserve d’eau sur un bassin où la rivière est souvent à sec en été. Déjà présent sous l’Ancien Régime, c’était aussi un beau patrimoine hydraulique et paysager

Devenue propriétaire, la fédération de pêche de l’Yonne a informé le directeur départemental des territoires de l’Yonne de son intention de réaliser une vidange complète de l’étang à la fin du mois d’octobre 2017, en vue de son effacement ultérieur. A la suite de la vidange de l’étang, la FYPPMA a sollicité, le 27 novembre 2017, l’autorisation de réaliser des travaux présentant un caractère d’urgence sur la Romanée : la préfecture a accepté sans même que soit déposé un dossier de déclaration au titre de la loi sur l’eau, conformément aux dispositions de l’article R. 214-44 du code de l’environnement. Enfin, par un courrier du 13 mars 2018, le directeur départemental des territoires a indiqué à la fédération qu’il ne comptait pas faire opposition à la déclaration déposée le 10 janvier 2018 aux fins de détruire la digue de l’étang de Bussières.

Par ce subterfuge d’une série d’actes pris isolément, alors même que le but de la destruction de ce magnifique étang était établi dès le départ et avait fait l’objet d’une subvention publique de l’agence de l’eau, la fédération de pêche de l’Yonne et la préfecture ont sciemment contourné  l’article R. 214-42 du code de l’environnement, dont les termes comme le rappelle le conseil d’Etat «impliquent que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement.»

Le tribunal administratif de Dijon puis la cour administrative d’appel de Lyon n’avaient pas retenu cette interprétation. Ces jugements sont censurés par le conseil d’Etat : «En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

L’Etat est donc condamné dans cette triste affaire, qui est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon.


Quelques observations
L’association Hydrauxois est satisfaite que justice soit rendue. Elle déplore que les services de l’Etat et la fédération de pêche de l’Yonne, cette dernière disposant d’un agrément public, se soient comportés en se croyant au-dessus des lois sous prétexte qu’il était question de supposé rétablissement de la continuité écologique ou de "renaturation". Nous avions saisi en urgence la DDT de l'Yonne sur les anomalies de ce dossier, sans succès, comme nous avions alerté l'OFB de Bourgogne Franche-Comté, également sans effet. Nous avions pourtant raison.

Le fait d’avoir perdu aux deux premières instances mais gagné au conseil d’Etat rappelle à tous les plaignants de ce genre d’affaire (nombreux en France) qu’il faut s’engager en justice en prévoyant d'aller jusqu’au terme de la procédure : ce n’est pas la première fois que le conseil d’Etat donne raison à des riverains, collectivités et propriétaires d’ouvrages hydrauliques malgré des avis contraires des cours inférieures.

Enfin, un seul moyen juridique suffisant à casser en droit un jugement ou à annuler un texte attaqué, le conseil d'Etat n'a malheureusement pas apprécié nos autres arguments sur la valeur intrinsèque de l'étang comme zone humide et comme milieu d'intérêt écologique. Mais d'autres contentieux sont en cours qui, espérons-le, nous permettront d'obtenir un arrêt sur ce point. Car le fond du problème est là: on dilapide l'argent public à détruire des milieux aquatiques utiles et appréciés, au bénéfice d'une vision marginale du retour à la nature sauvage n'ayant jamais été inscrite comme telle dans le droit français, et au détriment de l'investissement pour réduire les vrais impacts dégradant l'eau.

Pour la suite sur l'étang de Bussières, nous demanderons à la cour d’appel de Lyon d’ordonner la remise en état du site illégalement détruit. 

Source : Conseil d’Etat, arrêt n°460964, 8 mars 2024 

Engageons-nous pour le retour en eau de ce magnifique site!


07/02/2024

Les effets des barrages sur les poissons migrateurs : ce que disent les données

Claude Delobel, chercheur en informatique et mathématiques appliquées, expert en analyse de données, revient sur un article scientifique récemment paru et dédié à l'influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis. Il souligne que la lecture des données disponibles dans cet article doit être correctement hiérarchisée selon les poids des variables analysées. Car si l'on peut tirer une première conclusion d'importance, c'est que les variations actuelles de poissons migrateurs du réseau hydrographique nord-américain ne sont liées que marginalement aux barrages par rapport aux autres facteurs étudiés, en particulier naturels. 


Barrage de Glenn Canyon et réservoir du Lac Powell (source). 


Etude complémentaire de l’article de Dean et al. sur l’influence des barrages sur les poissons migrateurs aux Etats-Unis
Claude Delobel

Le site Hydrauxois (1) fait une analyse de l’article (2) publié en 2023 sur les facteurs qui influencent la richesse en poissons migrateurs dans 9 régions des USA en fonction des barrages sur les cours d’eau. La fragmentation des rivières due à la présence de barrages est un facteur pris en compte en le décomposant en différentes métriques selon la densité des barrages sur un segment de rivière mais aussi en intégrant les effets cumulatifs des barrages sur la totalité du bassin versant aval et amont. D’autres facteurs sont aussi étudiés comme ceux relatifs à l’environnement immédiat d’un segment de rivière en prenant en compte des facteurs naturels du territoire (température, pluviométrie, débit de base, pente) et les facteurs humains dans l’utilisation des sols (urbanisation, nature des cultures, prélèvement en eau, densité des croisements route-rivière). Cette étude est effectuée à grande échelle puisqu’elle porte sur 9 régions des USA avec 45 989 sites d’observations où les données sur les espèces de poissons sont collectées sur une large période de 1990 à 2019. Pour la description des grandes régions et la répartition des espèces on se reportera au site Hydrauxois. 

Le réseau fluvial est modélisé comme un ensemble de segments de longueurs variables dont les extrémités sont des confluences de rivières, des lacs ou réservoirs, les océans ou les grands lacs. A chaque segment est associé localement une portion de territoire qui représente la zone qui draine directement ce segment, mais aussi les surfaces relatives aux bassins versants aval et amont. On pourra ainsi associer à ces surfaces les facteurs naturels ou humains qui les caractérisent. 

Pour étudier ces corrélations multifactorielles entre la diversité des espèces migratrices et les facteurs environnementaux deux techniques informatiques développées à partir des années 2000 sont utilisées : «Canonical Correspondance Analysis » (CCA) et « Boosted Regression Tree » (BRT). Ces techniques permettent de traiter des grandes masses de données et sont particulièrement bien adaptées à la situation. Pour la compréhension de l’analyse BRT et son application en écologie on peut se reporter à l’article (3) sur l’étude des facteurs influençant les populations d’anguille en Nouvelle Zélande. 

Le site Hydrauxois décrit le cadre général de l’étude en ce qui concerne les principales régions des USA et les différentes familles de poissons migrateurs. Il commente les résultats de la première technique utilisée (CCA) sur les 9 régions. Nous reprenons la principale conclusion : «Le premier point remarquable est que le modèle des chercheurs ne parvient à expliquer que 32,7% au mieux de la variance des poissons. Cela signifie que les facteurs pris en compte laissent, selon les bassins, 70 à 90% des variations de poissons sans explication causale décisive. … Le second point est que la part des barrages au sein de la variance expliquée est encore plus faible, même si elle significative dans quatre bassins sur neuf. Il est logique que certains grands barrages non équipés de dispositifs de franchissement dépriment des populations de poissons de migrateurs et favorisent des espèces non migratrices, notamment adaptées aux milieux lentiques ou semi-lotiques de retenues. A l’ère anthropocène marquée par la transformation diffuse et continue des déterminants du vivant, il existe rarement une cause simple pouvant expliquer pourquoi les populations actuelles des espèces divergent de celles des époques précédentes.».
 
Nous souhaitons compléter ces commentaires en examinant l’autre partie de l’article relative à l’utilisation de la technique BRT. Nous verrons qu’elle apporte un éclairage complémentaire et surtout qu’elle met en lumière le rôle prépondérant des facteurs naturels du territoire dans la préservation des espèces migratrices. Cette deuxième technique utilisée est appliquée aux 4 régions de l’est des USA où la fragmentation des rivières est la plus sensible. Le modèle repose sur 14 variables explicatives classées selon trois catégories : les facteurs naturels du territoire, les facteurs humains dans l’utilisation des sols, et les métriques de fragmentation du réseau de rivières : 
  • Facteurs naturels du territoire : surface de drainage du territoire associé au segment local de rivière, index de base de débit, moyenne annuelle de précipitation, moyenne annuelle de température, pente ;
  • Facteurs humains dans l’utilisation des sols : urbanisation, culture des sols, prairie, prélèvement en eau, densité croisement route-rivière ; 
  • Fragmentation du réseau de rivière : densité de barrage sur le segment principal (nombre de barrages par 100 km de longueur), degré de régulation, nombre total de barrages sur le réseau aval, nombre total de barrages sur le réseau amont. 
Analyser et hiérarchiser les rangs des variables prédictives
Le modèle évalue l’importance de ces 14 variables sur une partie des espèces migratrices, les poissons potamodromes (poisson ayant un cycle de vie en eau douce), et les résultats sont rassemblés dans la figure 1 ci-dessous. 
 

Figure 1. Extrait. TABLE 5 Mean rank (mean relative contribution, %) of environmental variables used to predict relative abundances of potamodromous fishes using BRTs in ecoregions of the UMW, SAP, CPL, and NAP within the eastern conterminous USA. 

Pour les 4 régions de l’est des USA dénommées respectivement UMW, SAP, CPL et NAP on trouve pour les 14 variables un premier chiffre qui donne le rang, c'est-à-dire l’importance relative de la variable, puis entre parenthèse le poids relatif de cette variable en %. Plus l’importance relative d’une variable sera grande plus le rang sera important. Rappelons que ces 4 régions correspondent respectivement : UMW, la région des grands lacs, SAP, la région sud des Appalaches, NAP, la région nord des Appalaches, et CPL les plaines de la côte ouest et sud-ouest. 

Les auteurs de l’article font les commentaires suivants. «Le rang le plus élevé des facteurs naturels du territoire est la température annuelle dans les régions NAP et SAP, la surface de drainage pour la région UMW, et la pente de la rivière pour la région CPL. La variable index de base de débit comme les variables surface de drainage et pente ont des rangs similaires dans les régions UMW et CPL. Parmi les facteurs humains, les espèces potamodrome de poisson sont influencées par un sol de type prairie dans les régions UMW et SAP, les sols cultivés dans la région CPL, et le prélèvement en eau dans la région NAP. Le nombre de barrages sur le réseau aval dans les régions SAP et UMW et la densité de barrages sur le segment principal dans les régions SAP et NAP ont des rangs plus déterminants que tous les facteurs humains de l’utilisation des sols. Plus particulièrement, l’influence des barrages sur le réseau amont (degré de régulation et nombre total de barrages sur le réseau amont) est moindre que tous les facteurs anthropogéniques, contrairement à l’influences des barrages sur le réseau aval qui est le facteur déterminant dans ces régions.».

Cette conclusion qui permet aux auteurs d’affirmer que dans trois régions de de l’est des USA (UMW, SAP, NAP) l’influence des barrages dans le réseau aval est plus déterminante que les facteurs humains doit être fortement relativisée, même si elle est réelle. En effet, ce constat est fondé sur la notion de rang d’une variable sans regarder son importance relative par rapport à l’ensemble de toutes les variables, le rang d’une variable peut être élevé alors que son poids relatif est faible. Par exemple la variable nombre de barrages sur le réseau aval pour la région SAP a le rang 5 sur 14, alors que son poids relatif est de 7% de toutes les variables prédictives. 

A partir du tableau de la figure 1, il est possible de le synthétiser en regroupant l’influence des variables par nature, les facteurs naturels du territoire (N), les facteurs humains dans l’utilisation des sols (H) et la fragmentation des rivières par les barrages (R). 


En effectuant ce regroupement il ne faut pas se méprendre sur l’interprétation de ce tableau. Nous n’avons pas fusionné les 5 variables relatives aux facteurs naturels en une seule variable prédictive, nous disons seulement, par exemple, que le poids relatifs de ces 5 variables pour la région UMW est de 60.2%. 

A partir de là, il est important de constater : (1) les facteurs naturels sont prépondérants et majoritaires dans les 4 régions et conditionnent la relative abondance des espèces de poissons potamodrome, (2) dans toutes les régions l’aspect fragmentation des rivières est moins important que les facteurs humains dans l’utilisation des sols, seule dans la région SAP les facteurs humains sont du même ordre de grandeur que les aspects fragmentation. 
 
Certes, ce regroupement nous a fait perdre en finesse, mais il nous a permis de mettre en lumière ce qui est essentiel. Dans toute interprétation d’un modèle il est bon à la fois de raisonner en grandes masses et aussi de se focaliser sur des aspects secondaires. 

La fragmentation figure dans les variables les moins significatives
Comme nous venons de le voir, l’aspect fragmentation existe mais constitue l’ensemble des variables les moins significatives. Toutefois quand nous examinons cet aspect, les 3 variables, densité moyenne d’un segment, nombre total de barrages sur le secteur aval ou amont ont des rôles différents. On constate tout d’abord que la variable relative au secteur amont joue un rôle négligeable, elle intervient au 13e rang sur 14 dans 3 régions UMW, SAP, et NAP, et elle apparait au 10e rang dans la région CPL. La densité moyenne en barrages d’un segment est seulement significative dans les régions NAP et SAP alors que dans les autres régions elle figure au dernier rang. Enfin, l’influence des barrages dans le réseau aval est la variable la plus sensible dans les régions UMW et SAP pour prédire la relative abondance des poissons potamodromes.

Les auteurs de l’article associeraient ce dernier fait à la position relative d’un segment de rivière dans le réseau fluvial, si un segment est en fin de bassin avec une surface de drainage importante : «la taille de rivière augmente, les canaux deviennent de plus en large et profond avec une surface et un volume d’eau offrant des habitats plus complexes pour une plus large diversité d’espèces.». 

La variable qui mesure le nombre de barrages du réseau aval d’un segment donné est dépendante de la position relative de ce segment, elle est d’autant plus grande que le segment est en tête de bassin versant et prend la valeur 0 pour un segment terminal à l’embouchure. Dans le cas des régions UMW et SAP la très grande majorité des segments de rivières sont des affluents directs ou indirects du fleuve Mississipi et la distance moyenne de ces segments à l’embouchure est très grande. En conséquence le nombre de barrages sur le réseau aval est important et peut impacter l’abondance des poissons potamodromes, ce qui pourrait expliquer la sensibilité et l’influence du réseau aval. Toutefois, dans le cas des poissons potamodromes les déplacements se font sur des distances assez courtes selon les espèces, de l’ordre de la dizaine de kilomètres, et restent donc localisés à une très faible zone du cours d’eau par rapport à la longueur totale du réseau hydrographique. En conséquence, l’abondance des poissons potamodromes devraient être plus influencés par la densité moyenne des barrages sur un segment que par l’importance du réseau aval. Il faut aussi constater que dans ces deux régions, UMW et SAP, c’est la surface de drainage qui est le facteur primordial de la diversité en poissons potamodromes. 

Ainsi, nous voyons la difficulté à faire une interprétation d’un phénomène complexe. Pour approfondir cette analyse, il faudrait disposer des graphiques qui décrivent l’effet de chaque variable sur l’abondance des poissons. Même si ces graphiques ne sont pas parfaits, car toutes les variables ne sont pas indépendantes les unes des autres, ce qui est le cas, ils fournissent une base solide à toute interprétation. En général les logiciels BRT fournissent ces résultats, mais ils ne sont pas présents dans l’article. 

Parmi d’autres études qui ont étudié l’influence des barrages sur les populations piscicoles on peut mentionner celle réalisée sur le bassin de la Loire (4) avec un indice de connectivité dépendant de la densité des barrages dans le réseau fluvial. Cette étude avait montré de façon générale une faible corrélation entre l’indice de connectivité et la qualité de l’indice poisson IPR avec toutefois des modulations plus fortes pour les espèces rhéophiles dans les régions où les pentes sont plus fortes sans toutefois mettre en évidence le rôle du réseau aval. De plus cette étude ne prenait pas en compte ni les propriétés naturelles du territoire ni les facteurs humains. 

En conclusion, si cette étude récente sur un vaste territoire comme celui des USA montre bien les difficultés à appréhender une réalité complexe où de multiples facteurs environnementaux interviennent, elle permet de mettre en lumière plusieurs phénomènes en les hiérarchisant les uns par rapport aux autres. Les facteurs naturels du territoire sont les plus importants dans l’abondance des espèces de poisson potamodromes avec en particulier trois facteurs essentiels relatifs à la température, à l’index de base de débit des cours d’eau et la surface de drainage, ceci doit être mis en rapport avec les évolutions climatiques prévisibles. Dans le futur, les conditions optimales de vie des espèces migratrices risquent d’être profondément affectés par ces changements comme ceci est d’ailleurs souligné par les auteurs de l’article. 

Notes
(2) E. M. Dean, Dana M. Infante, Arthur Cooper, Lizhu Wang, Jared Ross. Cumulative effects on migratory fishes across the conterminous United Stares Regional patterns in fish response to river network fragmentation. River Res. Applic. 2023, 39 : 1736-1748.
(3) J. Elith, J. R. Leathwick, T. Hastie. A working guide to boosted regression trees. Journal of Animal Ecology, 77(4), 802-813.
(4) Van Looy K., Tormos T., Souchon Y. Disentangling dam impacts in river networks. Ecological Indicators 37,10-20, 2014. 

A propos de l'auteur
Ancien Professeur des Universités de Grenoble et Paris XI. Ancien Directeur du laboratoire d'Informatique et de Mathématiques Appliquées de Grenoble (IMAG) associé au CNRS. Auteur d'un article sur les indices de connectivités dans les réseaux hydrographiques publié au Colloque de limnologie «étangs et lacs» à l'Université d'Orléans en 2021. Membres des Associations des Riverains de France (ARF) et des riverains de l'Indre et de ses affluents (ARDI). Co-fondateur de la coopérative Force Hydro Centre (FHC) pour le développement des énergies hydroélectriques.

28/01/2024

Incompréhension et colère des citoyens face au blocage de la remise en eau d’un étang

On parle beaucoup du harcèlement normatif venant d'une fraction passablement radicalisée du mouvement écologiste. En voici un exemple en Châtillonnais, où deux associations (Anper-TOS et FNE) viennent de demander l'annulation d'un arrêté préfectoral de remise en eau d'un étang médiéval, très apprécié dans la région. Alors que les données disponibles indiquent le rôle bénéfique de cet étang pour la biodiversité, pour le stockage et la régulation de l'eau, pour l'adaptation climatique, pour la sécurité incendie en plein Parc des Forêts, sans parler de la demande sociale pour les agréments des plans d'eau, les acharnés du retour à la nature sauvage ne veulent rien entendre. Encore des années de procédures en vue, avec pour but manifeste de rendre ingérable les ouvrages hydrauliques et d'appeler à leur destruction. Il faut que cesse ces manoeuvres stériles de division des citoyens autour de l'écologie, à tout le moins que cesse la reconnaissance publique de leur soi-disant intérêt général. Nous publions ci-après le communiqué diffusé par les associations locales défendant cet étang. 


L'étang des Marots quand il était en eau. Y voir un problème pour la biodiversité des milieux aquatiques et humides est aberrant, et relève d'une idéologie où la seule nature acceptable serait une nature sauvage, à l'exclusion de tout milieu créé par des humains, même quand ce milieu a des atouts évidents. Photo AFP Gérard Guittot, tous droits réservés.

Communiqué de presse
Incompréhension et colère des citoyens face au blocage de la remise en eau d’un étang des Marots pourtant demandée par le préfet

Les associations et citoyens membres du collectif de défense et valorisation des étangs des Marots apprennent par voie de presse (Bien Public, 12 janvier 2024) que les associations France Nature Environnement Bourgogne Franche-Comté et ANPER-TOS contestent la remise en eau de l’étang inférieur des Marots, dans le Châtillonnais. 

Ces deux associations ont demandé par voie contentieuse au tribunal administratif l’annulation de l’arrêté préfectoral du 4 août 2023, qui ordonnait cette remise en eau. Il s’agissait d’une procédure normale de la part du préfet puisque les étangs avaient été vidangés voici 5 ans pour une simple inspection des ouvrages hydrauliques, en aucun cas en vue d’une disparition complète des plans d’eau. La mise à sec anormalement prolongée a déjà eu des effets extrêmement dommageables sur les faunes et flores des étangs avec parmi elles des espèces et variétés protégées, ainsi que sur l’hydrologie et sur les usages riverains.

Les associations et citoyens membres de notre Collectif ne comprennent pas les raisons pour lesquelles FNE-BFC et ANPER-TOS s’opposent de la sorte à l’intérêt général du pays châtillonnais, mais aussi à l’intérêt hydrologique et écologique évident des sites concernés. 

Nous rappelons en particulier que

• Les habitants, élus, associations locales de protection de l'environnement et du patrimoine se sont prononcées pour la remise en eau des deux étangs et la restauration de Combe Noire, le recours en justice paraissant davantage motivé par des considérations assez éloignées du territoire concerné, partisanes voire idéologiques, que par la compréhension fine du terrain.

• Les étangs ont une valeur patrimoniale, paysagère, esthétique unanimement reconnue, qui peut devenir aussi dans les prochaines années un atout touristique de découverte de la nature pour le Parc National des Forêts, territoire peu doté en plans d’eau.

• Les étangs et la zone humide qu’ils représentent contribuent activement à la régulation et au stockage de l’eau, phénomènes indispensables en période de changement hydroclimatique, notamment pour le maintien de la ressource en eau de Villiers-le-Duc et Vanvey. Ils contribuent également à l’atténuation des étiages sévères et à l’écrêtage des crues de l’Ource. Ils ont en effet contribué depuis près de huit siècles à saturer en eau le massif rocheux sous-jacent et à favoriser la préservation de taxons patrimoniaux tels que la Ligulaire de Sibérie, qui n’existe, semble-t-il, dans la moitié nord de la France, que sur le seul site du marais de Combe Noire. Cette espèce, habituellement abondante, s’est faite rare en cet été 2023, probablement en lien avec l’assèchement progressif de l’étang, situé au pied du marais.

• La forêt de feuillus du Parc National subit le réchauffement climatique et la remontée du climat méditerranéen vers le nord. Un certain nombre d’essences forestières souffrent à la fois de la montée des températures et du développement de parasites mortels, ce qui fragilise la forêt et la rend plus sensible aux départs de feux. Si nous nous attendons à connaitre de grands incendies de forêt, nous ne savons pas quand. Il faut donc anticiper et rendre nos infrastructures résilientes. Les étangs, ainsi que la zone humide associée, assurent le stockage d’un volume d’eau non négligeable, maintiennent une certaine humidité et servent de pare-feu naturel. Ils offrent ainsi la possibilité de disposer d’une réserve d’eau mobilisable en cas d’incendie ; réserve dotée d’une capacité de puisage par hélicoptère pour intervention rapide sur un rayon de 20 km, et permettent de palier à l’absence de réservoir ou plan d’eau dans le secteur. Cette fonction devient critique dans le Parc de Forêts alors que nous assistons depuis une décennie à la remontée vers le nord des feux de forêts en périodes sèches et caniculaires. Il est donc prévu des aménagements pour rendre la réserve d’eau accessible aux pompiers en cas d’incendies qui ne manqueront pas d’advenir dans un futur proche. Le Châtillonnais deviendra ainsi plus résilient au réchauffement climatique actuel.

• Les digues et chaussées des étangs contrarient la remontée des espèces exotiques et envahissantes vers la tête du bassin versant, où cohabitent des souches de truite sauvage et des écrevisses à pattes blanches. Les relevés historiques dont nous disposons montrent que les truites, chabots, écrevisses patrimoniales ont co-existé sans problème pendant des centaines de générations avec les étangs présents depuis le Moyen Âge. Les études effectuées en 2005 avant l’effacement du complexe des étangs Narlin en 2006/2007 révèlent la présence des écrevisses à patte blanche qui n’est pas due, contrairement aux assertions des associations plaignantes, à un retour après effacement. Inversement, la destruction des seuils, chaussées et barrages favorise le brassage avec les écrevisses américaines et Signal, ainsi que l’intromission génétique avec des souches non endémiques de truites. A noter que l’écrevisse Signal a été rendue responsable de la disparition progressive de l’écrevisse européenne, malgré des tentatives de protection de cette dernière par des expériences menées notamment dans la réserve de Labergement-Remoray dans le Jura et qui se sont soldées par des échecs. En outre, les étangs abritent une biodiversité propre aux milieux semi-lotiques et lentiques et servent de zone refuge et de zone abreuvoir à de nombreux espèces aquatiques, amphibiennes et terrestres. 

• Les étangs sont donc de véritables écosystèmes propres à la conservation de la biodiversité, à gérer comme tels. Ils doivent être associés à une politique volontariste de protection des faunes, flores et milieux remarquables de têtes de bassin. Ces derniers sont aujourd’hui menacés d’extinction locale en raison, non seulement des changements du climat et de son corollaire, les variations de l’hydrologie, mais également en raison de l’arrivée d‘espèces invasives. C’était déjà le souhait formulé dans l’évaluation du Document d’Objectifs du site Natura 2000 de 2014, qui préconisait le maintien des deux étangs en eau.

Pour toutes ces raisons, le Collectif
• exprime l’incompréhension, la lassitude et la colère des citoyens du Châtillonnais et du Parc National de Forêts, sur un dossier qui traîne depuis des années et que certains semblent vouloir faire traîner encore ;
• soutient la décision du préfet et souhaite la rapide remise en eau des étangs avant que les milieux hors d’eau ne continuent de se dégrader de même que les ouvrages hydrauliques ;
• appuie également la décision du préfet de répondre à l’urgence de sécurité et de prévention du risque incendie, au vu de l’étendue des massifs forestiers du Parc National de Forêts, en lien avec l’extrême rareté des plans d’eau et points d’eau dans le Châtillonnais ;
• déplore le recours en justice des associations FNE BFC et ANPER TOS, peu représentées et peu informées au niveau du Châtillonnais, leur suggérant un retrait de cette procédure allant à l’encontre des intérêts écologiques qu’elles sont censées défendre ; cette demande est d’autant plus justifiée que les arguments avancés pour engager cette action en justice sont factuellement inexacts (soi-disant disparition des écrevisses à pattes blanches avant la vidange des étangs et réapparition après, en totale contradiction avec les données d’études du site depuis 25 ans).
• informera, dans l’hypothèse où le recours contentieux serait maintenu, le juge administratif de toutes les données montrant la valeur des étangs et leur rôle bénéfique pour la société comme pour le vivant. 

Dans la plupart des articles publiés par le Bien Public récemment, il n’est jamais évoqué qu’il existe une volonté massive au sein des villages du Chatillonnais et du Parc National de Forêts (volonté démontrée par la signature de la pétition pour la remise en eau des étangs des Marots en 2021) de défendre ce patrimoine écologique et historique venu du Moyen Âge. Ces derniers représentent pour tous les riverains des souvenirs de leur enfance, de pêche, de chasse, de promenades en forêt, d’observation de la faune et de la flore. Leur assèchement a été vécu et continue de l’être comme une véritable blessure qui ne cicatrisera pas tant que la situation actuelle perdurera. 

Collectif de défense des étangs des Marots
ARPOHC, Société Archéologique et Historique du Châtillonnais, Société Mycologique du Châtillonnais, Les Amis d’Aignay-le-Duc et Alentours, Maison Laurentine, Villages Anciens Villages d’Avenir, Société Mycologique d’Is-sur-Tille, Association ARCE , Association Hydrauxois, Société Mycologique de Côte- d’Or, Les Amis du Châtillonnais, Office de Tourisme du Châtillonnais, Fabrique du Millénaire Associa9on Arc, Patrimoine et Culture.

26/12/2023

Impact des barrages sur les poissons migrateurs des Etats-Unis (Dean et al 2023)

Une recherche menée sur la répartition des poissons migrateurs dans les bassins versants des Etats-Unis montre que les barrages sont un facteur d’influence majeure dans quatre écorégions sur neuf. Mais même dans ces régions, les obstacles à la migration n’expliquent qu’une faible part des variations observées.


Beaucoup d’études concernant l’impact des barrages sur les poissons migrateurs concernent des sites ou des tronçons, parfois des bassins versants fluviaux. Mais peu analysent des écorégions entières. E.M. Dean et ses collègues ont souhaité comblé ce manque par une analyse menée à échelle des neuf écorégions divisant les Etats-Unis limitrophes (hors Alaska et Hawaï). 

Ces écorégions sont des zones présentant des caractéristiques similaires, notamment la géologie et le climat (cf image ci-dessus). Les rivières des Appalaches du Nord froides à tempérées (NAP) drainent des bassins versants glaciaires et vallonnés à travers une matrice de terres forestières et urbaines et se jettent dans l'océan Atlantique. Dans les Appalaches du Sud tempérées et humides (SAP), les rivières drainent des crêtes et des plateaux de terres boisées et minières se transformant en basses terres des Plaines côtières (CPL). Les rivières du CPL tempéré à subtropical drainent un tiers des zones humides des États-Unis, et cette écorégion est l'endroit où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique. En général, les précipitations tombent abondamment dans ces régions orientales. Les plaines du Nord (NPL), les plaines du Sud (SPL) et les plaines tempérées (TPL) ont des  étés chauds et hivers froids, avec des rivières drainant des bassins versants dominés par des terres agricoles avec  prairies, recevant d’importants apports de sédiments et de ruissellement. La géologie glaciaire du Haut-Midwest (UMW) abrite des rivières alimentées par les eaux souterraines qui se jettent dans le fleuve Mississippi et les Grands Lacs. Le Xeric (XER) est aride, avec des rivières qui connaissent naturellement de fréquentes périodes d'assec, drainant une topographie plate à vallonnée soutenant des arbustes et des prairies. Les rivières des Montagnes occidentales (WMT) coulent à travers les chaînes de montagnes boisées des États côtiers, des États du sud-ouest et de certains États du nord et du centre, avec la fonte des neiges et des précipitations extrêmes à des altitudes élevées alimentant des rivières.

Concernant les barrages, les auteurs reprennent les plus impactants selon leurs caractéristiques de hauteur (au moins 7,62 m de hauteur) ou de retenue (au moins 6,17 ha), ainsi que ceux identifiés comme à haut impact par un travail précédent (Cooper 2017, voir recension). Les données sur les poissons concernent 45989 rivières ayant des données collectées entre 1990 et 2019.

Dans toutes les écorégions, la richesse totale en espèces de poissons (y compris les poissons migrateurs) variait de 88 dans le NPL à 445 dans le SAP, et les pourcentages de poissons entièrement migrateurs variaient de 25,2 % (SAP) à 47,0 % (UMW). Parmi les espèces entièrement migratrices, le pourcentage d'espèces diadromes [nota : ayant un cycle migrateur en eau douce et eau salée] était plus élevé dans le WMT (21,4 %) et le XER (20,3 %) que dans les autres écorégions, et le pourcentage d'espèces diadromes et potamodromes [nota : ayant un cycle migrateur uniquement en eau douce] était plus élevé dans le CPL (24,4 %) que dans les autres écorégions. écorégions. La richesse en espèces potamodromes variait de 68,7 % (CPL) à 89,1 % (NPL) dans toutes les écorégions, et la richesse en poissons potamodromes était plus de 20 fois supérieure à celle des poissons diadromes dans les régions XER, SPL, TPL et UMW. 

Ce tableau montre le poids des facteurs d’explication dans les 9 écorégions :


Les auteurs le commentent ainsi : « La répartition de la variance a indiqué que les facteurs naturels du paysage, l'utilisation des terres par l'homme, la fragmentation des rivières et leurs interactions expliquaient entre 11,7 % (SPL) et 32,7 % (WMT) de la variation totale de l'abondance relative des poissons migrateurs dans les écorégions. Parmi la variation expliquée, les facteurs naturels du paysage représentaient un minimum de 13,6 % (SPL) et un maximum de 64,1 % (UMW), les utilisations humaines des terres expliquées entre 0,2 % (UMW) et 27,6 % (SPL), et les paramètres de fragmentation des rivières expliqués. entre 1,9% (NPL) et 14,7% (UMW) de variation de l'abondance relative des poissons migrateurs. Les facteurs naturels du paysage expliquent davantage de variations que les perturbations anthropiques dans huit des neuf écorégions (SPL était l'exception). Les mesures de fragmentation du réseau fluvial expliquaient plus de variation dans les assemblages de poissons que l'utilisation des terres par l'homme dans les écorégions UMW, NAP, SAP et CPL situées dans l'est des États-Unis et expliquaient moins de variation dans les assemblages de poissons que l'utilisation des terres par l'homme dans d'autres écorégions. »

Discussion
Le premier point remarquable est que le modèle des chercheurs ne parvient à expliquer que 32,7% au mieux de la variance des poissons. Cela signifie que les facteurs pris en compte laissent, selon les bassins, 70 à 90% des variations de poissons sans explication causale décisive. Nous avions déjà souligné combien il est difficile de prendre en compte l’ensemble des  facteurs pouvant influer la biologie et l’écologie des poissons (voir cet article).  Le second point est que la part des barrages au sein de la variance expliquée est encore plus faible, même si elle significative dans quatre bassins sur neuf. Il est logique que certains grands barrages non équipés de dispositifs de franchissement dépriment des populations de poissons de migrateurs et favorisent des espèces non migratrices, notamment adaptées aux milieux lentiques ou semi-lotiques de retenues. A l’ère anthropocène marquée par la transformation diffuse et continue des déterminants du vivant, il existe rarement une cause simple  pouvant expliquer pourquoi les populations actuelles des espèces divergent de celles des époques précédentes. Enfin, on notera que les mesures faites (pour les poissons) commencent en 1990, c'est-à-dire après la construction de la plupart des barrages, et donc après que leur effet s'est exercé. Des analyses sur la plus longue durée apportent davantage d'enseignements, comme par exemple le travail de Merg et al 2020 en France sur 250 ans d'évolution des poissons migrateurs. 

11/12/2023

Les biais des hauts fonctionnaires de l’eau et de la biodiversité

Responsable ressources en eau, milieux aquatiques et pêche en eau douce au ministère de l’écologie, Claire-Cécile Garnier est depuis 15 ans une des pilotes de la politique de continuité écologique en France. Cette politique s’est focalisée sur la volonté de détruire des ouvrages hydrauliques (barrages, seuils, digues) et leurs milieux (retenues, étangs, biefs et canaux). Dans une vidéo récente, la haute fonctionnaire expose les raisons justifiant ces choix. Une bonne occasion d’explorer les biais cognitifs à l’œuvre même dans les têtes de la technocratie publique. Et de comprendre pourquoi la continuité écologique est devenue l’une des politiques environnementales les plus contestées sur le terrain.




Ce qui n'est pas dit dans la vidéo (et cette omission est le premier problème)
Biais de cadrage n°1 : ignorance de la dimension sociale et historique de l’eau
Le biais de cadrage consiste à parler d’un phénomène de manière partielle ou partiale car on prend soin d’évacuer les dimensions qui gênent dans le phénomène en question. Ici, la vidéo adopte une approche naturaliste : l’ouvrage hydraulique ne devrait être envisagé que par rapport à des questions écologiques, en particulier par rapport à la naturalité vue comme fonctionnement physique et biologique d’un cours d’eau sans influence humaine. Or, les cours d’eau sont aussi de constructions sociales, historiques, usagères et paysagères, les ouvrages hydrauliques en sont précisément un témoignage (voir Edgeworth 2011, Linton et Krueger 2020). Plusieurs livres universitaires ont constaté la négligence de la diversité des enjeux et de l'écoute des riverains (Barraud et Germaine 2017, Bravard et Lévêque 2020). En évacuant ce sujet, et en évacuant du même coup tout ce que les riverains pensent des rivières aménagées où ils vivent, on rend invisible un pan entier de la réalité. Ce qui n’existe pas dans l’esprit du haut fonctionnaire et des clientèles qui accomplissent sa politique ne mérite finalement pas d’exister dans la réalité. Du coup évidement, on prive le citoyen de divers apports de l’archéologie, de l’histoire, de la géographie, de sociologie, de la politologie, de l’économie, du droit ou de l’anthropologie. On prive aussi le citoyen de la possibilité de donner un avis sur les ouvrages qui ne soit pas dicté par l’obligation naturaliste de n’en parler qu’à travers des impacts sur ceci ou cela. 

Biais de cadrage n°2 : ignorance des aspects écologiques positifs des milieux, fonctions, services liés aux ouvrages hydrauliques
Autre biais de cadrage dans cette vidéo : ne surtout pas parler des travaux qui attestent que les milieux créés par les ouvrages hydrauliques (retenues, étangs, lacs, biefs, canaux, etc.) ont aussi des avantages selon des critères écologiques (ceux retenus comme seul prisme de l’explication). Pourtant, un passage en revue de la littérature scientifique  a par exemple montré que les petits plans d’eau assurent jusqu’à 39 services écosystémiques (Janssen et al 2020). Il est de tout même incroyable de parler du sujet aux citoyens sans être capable de citer un seul de ces services (épuration de l’eau, îlot de fraîcheur, havre de biodiversité, agréments divers en lien à la nature, etc.) ! En outre, les habitats aquatiques et humides d’origine anthropique accueillent aussi de la biodiversité, dont l’étude est très négligée : voir par exemple pour des analyses multi-sites Chester et Robson 2013  ou Zamora-Marin et al 2021, pour des compartiments particuliers de la faune  Sousa et al 2021  sur les moules d’eau douce, Kolar et al 2021 sur les libellules, Labat et al 2021 sur les végétaux. A nouveau, tout cela est nié, gommé, invisibilisé : quand on défend un dogme, on tait ce qui le contredit.

Biais de cadrage n°3 : ignorance du « schéma global » de l’Anthropocène
L’économie générale du discours sur les ouvrages hydrauliques consiste à focaliser l’attention sur des effets locaux (ils ralentissent et réchauffent un peu l’eau, ils modifient les assemblages du vivant, etc.) et à laisser entendre que ces altérations au sens propre (c’est-à-dire ces créations d’un autre état écologique local de la rivière) sont très importantes. Mais en fait, la recherche scientifique montre qu’à l’âge anthropocène (âge de l’influence humaine majeure sur l’environnement), tous les paramètres qualitatifs et quantitatifs de l’eau, des sédiments et des populations associées sont fortement modifiés.  On peut lire par exemple des études sur les poissons d’eau douce (Su et al 2021), sur le cycle des sédiments (Syvitski et al 2022) et les dynamiques sédimentaires (Verstraeten et al 2017), sur les zones humides (Fluet-Chouinard et al 2023), sur l’histoire longue des modification de rivières et fleuves à échelle millénaire (Brown et al 2018). Des chercheurs ont souligné que les plans d'eau sont absents de la nomenclature administrative alors qu'ils représentent sans doute en France un demi-million de biotopes, pour la plupart créés par les humains (Touchart et Bartout 2020). Les ouvrages hydrauliques anciens ne représentent qu’un élément dans ce flux continu de modification du fonctionnement des bassins versants. Ils sont sans commune mesure avec les effets très récents (à échelle historique et géologique) de la mécanisation et des travaux mécanisés en lit majeur / mineur, des pollutions par produits de synthèse, des hausses de prélèvements liées au boom démographique et à la croissance économique

Citation : « Les altérations physiques à cette continuité, obstacles à l'écoulement seuil, barrage endiguement les rectifications sont avec les pollutions diffuses, la pression principale responsable du mauvais état des cours d'eau. »
Biais de focale : ignorance du poids relatif des altérations de l’eau
Cette citation laisse penser que l’obstacle à l’écoulement est un facteur de dégradation de la qualité chimique et biologique de l’eau aussi important que la pollution. Il n’en est rien. Du propre aveu des indicateurs actuellement utilisés pour mesurer la qualité (de l’eau (dont il faudrait discuter par ailleurs la validité), les obstacles à l’écoulement ont un rôle très faible par rapport aux pollutions et aux occupations du sol des bassins versants. C’est ce qui ressort des études quantitatives ayant pris soin de comparer des rivières pour pondérer chaque impact : voir par exemple cette synthèse, ou encore Villeneuve et al 2015, Cooper 2016, Lemm et Feld 2017, Lemm et al 2021. On trompe le public et on détourne l'attention à laisser croire que l’eau s’est beaucoup dégradée à cause de ces obstacles. 

Citation: « Il est vrai que de nombreux ouvrages en rivière, comme les seuils de moulins à eau, ont été construits il y a plusieurs centaines d'années. En revanche, il est faux de dire qu'ils n'ont jamais eu d'impact sur la biodiversité. Selon une étude scientifique de 2016, la généralisation à partir du 11e siècle des Moulins à roues verticales en Europe a causé un premier effondrement des populations de saumon. »
Biais de halo : une étude devient une généralité
En science d’expérimentation et d’observation, une étude isolée n’a jamais fait une connaissance solide. Il faut que cette étude soit répliquée plusieurs fois. La publication citée a été commentée sur notre site (voir Lenders et al 2016), et nous avons formalisé des objections sur les sources françaises, où les auteurs ne distinguent pas le poids de la morphologie et le poids des pêcheries dans la raréfaction locale du saumon. Par ailleurs, une autre recherche en histoire environnementale ne valide pas l'idée d'un déclin des poissons d'eau douce comme cause de changement des régimes alimentaires, mais plutôt l'arrivée de produits des pêches océaniques (Orton et al 2017). D’autres travaux sur les migrateurs français ont montré que ceux-ci restaient globalement attestés jusqu’aux sources des grands bassins versant à la fin du 18e siècle, quand l’essentiel du patrimoine historique des moulins, forges, étangs était présent, voir Merg et al 2020. Cela étant dit, il est évident que la biodiversité d’un cours d’eau va évoluer selon que ce cours est barré ou non. Même des barrages (tout à fait naturels) de castors produisent une cascade d’effets physiques, chimiques, biologiques, ce qui conduit d'ailleurs des chercheurs à admettre qu'il faut repenser l'idée de continuum fluvial (Larsen et al 2021). La biodiversité évolue, avoir une approche fixiste ou espérer retrouver les mêmes profils du vivant que voici 5 siècles ou 5 millénaires n’a aucun sens. 

Citation : « [La continuité] C'est aussi ce qui permet des inondations dans le lit majeur qui vont recharger les zones humides, les sols et les nappes souterraines, qui vont éroder les terres et amener des matériaux à la rivière. » / « Au contraire, les seuils aggravent plutôt localement les inondations parce qu'ils rehaussent la ligne d'eau en permanence et facilitent ainsi les débordements en amont. »
Biais de contradiction : une qualité devient un défaut quand il faut justifier le dogme…
Quand il s’agit de vanter les bienfaits de la continuité écologique, Claire-Cécile Garnier explique que celle-ci se traduit par des inondations et débordements qui remplissent d’eau les nappes et les sols. Quand il s’agit de vanter la destruction des ouvrages en rivières, la même explique que ceux-ci tendent à provoquer des inondations et débordements en amont, ce qui cette fois devient un problème ! Ce raisonnement ad hoc où des acrobaties intellectuelles justifient une chose et son contraire est le signe assez fiable d’une idéologie sous-jacente qui fait feu de tout bois pour asséner ses croyances. 

En conclusion
Nous pourrions reprendre chaque phrase ou presque de la vidéo pour la nuancer, préciser ou parfois contredire. La lecture de notre rubrique idées reçues ou de notre rubrique science permettra aux lecteurs intéressés de comprendre pourquoi.  Ce n'est probablement pas très utile : le personnel public qui s'est engagé dans la mise en oeuvre de la continuité écologique sous sa dimension destructrice des ouvrages et milieux anthropisés connaît ces arguments, mais préfère les ignorer ou les nier. Pour que cette politique change vraiment, il faudra probablement attendre le poids des réalités (besoins de la transition énergétique, nécessités de l'adaptation climatique, réponses aux événements extrêmes sécheresses, feux de forêt et crues) ainsi que le renouvellement d'une génération de décideurs et experts qui a mal posé le problème, mais peine à la reconnaitre. 

15/10/2023

La disparition programmée du lac du Bagnoles-de-l’Orne, gabegie publique en temps de crise de l’eau

Un curage soi-disant impossible selon la préfecture, des travaux soi-disant obligatoires alors que la rivière n’est pas classée en zone d'intérêt pour la continuité, un projet soi-disant écologique de déconnexion d’un lac qui va entraîner à terme sa pollution et sa disparition, une dépense publique de plusieurs millions d'euros nuisible au cadre riverain, sans rapport aux besoins critiques de sécurisation de l'eau, l'énergie et de l'alimentation pour le pays : les ingrédients de la continuité pseudo-écologique ordinaire et absurde sont réunis à Bagnoles-de-l’Orne. 


« Approuvez-vous le projet de désenvasement du lac et de restauration de la continuité écologique de la Vée par la création d’une digue rendant indépendants le lac et la rivière? » : telle était la question qui a été soumise sous forme d’un référendum aux habitants de Bagnoles-de-l’Orne, le 8 octobre 2023. Alors que les listes électorales comptaient 2 214 inscrits, 1 060 se sont déplacés, soit 47,87 %.  Le oui a totalisé 614 voix, soit 59,15 % et le non, 424 voix, soit 40,84 % Comme cela avait été annoncé lors de la réunion publique, le taux de participation au référendum n’ayant pas atteint les 50 %, «ce résultat n’est donc qu’un avis et la décision sera soumise au conseil municipal, sans doute lors de la séance du 16 octobre prochain» a confié le maire.

Pourquoi la commune de Normandie a-t-elle été amenée à ce projet ? 

Le cas est représentatif de ce qui se passe encore dans trop d'endroits en France. La commune a été confrontée aux besoins de curer son lac, ce qui fait partie de l’entretien normal, nécessaire et régulier des plans d’eau. Aussitôt les services de l’Etat en charge de l’eau, dont certains sont acquis à une vision intégriste de destruction des patrimoines hydrauliques, ont prétendu que ce curage ne serait pas possible. Et procédé au chantage usuel exercé sur les particuliers et collectivités :  la commune, si elle voulait recevoir des aides publiques, devait faire disparaitre l’hydrosystème actuel pour donner libre cours à la rivière et transformer le lac en un plan d’eau déconnecté, appelé probablement à disparaître à terme.

Nous publions ci-dessous l’avis d'un représentant du collectif riverain



"L'argument posant que  la DCE (Directive cadre sur l'eau)  oblige à la continuité écologique est un mensonge. La DCE ne demande pas de restaurer systématiquement une continuité, elle en fait un élément d’appréciation. Ni sa transposition en droit français. La continuité en long  dns ds rivières à migrateur notion qui est apparue plus tard, dans la loi française sur l’eau de 2006, en réécriture d’une demande des pêcheurs déjà présente dans la loi de 1984.

La Vée, au niveau du lac,  n'est pas classée en enjeu de continuité, ni en liste 1 ni en liste 2 au titre de l'article L 214-17 du code de l'environnement. Il n'y a donc aucune obligation de restaurer cette fameuse continuité écologique. Cet élément a d'ailleurs été confirmé aux riverains par le conseiller en charge du projet. Donc pourquoi l'avoir évoqué à plusieurs reprises et notamment dans la réunion publique au CAB ? C'est étrange cette position de vouloir entreprendre à tout prix une chose qui n'est pas imposée par la loi mais qui coûte au bas mot 3 millions selon le porteur du projet.

Le désenvasement du lac actuel est tout à fait possible. Un décret ministériel  du 9 juin 2021 précise les modalités de sa réalisation. Prétendre que cette une action impossible est un mensonge. Un lac peut être curé. Ne pas l'avoir fait pendant plus de 20 ans est une faute de mauvaise gestion des affaires municipales. Si la préfecture ne le permet pas, sa décision est contestable devant le juridiction administrative jusqu'au conseil d'État.

Il est nécessaire aussi de savoir ce que vont devenir les boues du nouveau lac si  le projet se fait. J'ai posé cette question plusieurs fois sur qui paiera ce traitement de boues de ce nouveau" lac", jamais une réponse. Donc ce sera le contribuable qui paiera le traitement de ces boues super polluées.

Au titre de la convention de Ramsar ( ratifiée par la France) et de la plupart des documentations techniques, un lac ou un étang sont des zones humides, sans que l’origine artificielle ou naturelle soit le critère déterminant. Ceci s'applique à  toute la France, y compris dans l'Orne, contrairement à ce qu'affirme le porteur du projet qui reporte les propos de la préfecture. Et les zones humides sont protégées par la loi, faire disparaitre une zone humide est illégal, dans l'Orne aussi. Méconnaître ce point et ne pas l'avoir analyser avant c'est grave.

L'article de loi L211-1 du code de l'environnement protège également les zones humides. Prétendre unilatéralement que le lac n'est pas une zone humide et entreprendre des actions de destruction de zone humide, c'est agir illégalement. Les bureaux d'études grassement payés sur fonds publics qui n'attirent pas l'attention des porteurs de projets sur ces articles, ne sont pas fiables et professionnels. Ils mettent les élus devant des positions difficiles.

Les scénarios de crues ne sont pas du tout abordés par le bureau d'étude, ni en ce qui concerne la Vée et l'impact sur l'aval (les Thermes notamment) et encore moins en cas de débordement du bassin de rétention des eaux de pluies, pompeusement appelé Lac dans le projet. La pollution qui rejoindrait inévitablement la Vée serait catastrophique pour les organismes vivants dans la rivière.
Cette prévention des inondations est primordiale pour les populations et aurait dû être présentée dans les documents à disposition avant le référendum. L'article de loi L211-1 aborde également ce point

En faisant tomber le barrage actuel, on laisse un libre accès aux espèces invasives pour qu'elles remontent la Vée et aillent déstabiliser les milieux protégés en amont et notamment dans une portion de la Vée classée en liste 1 en amont de Bagnoles. La liste 1 se caractérisant par un bon état écologique, avec des organismes aquatiques en bon équilibre. Laisser ces zones en libre accès aux espèces invasives est contraire à la recherche et au maintien du bon état écologique de la Vée. 

Le fonctionnement du bac de rétention des eaux de pluies ( le nouveau "lac") n'est absolument pas décrit et anticipé. 

On parle d'évaporation de l'ordre de 1000 m3 , pour un apport en eau de l'ordre de 3000 M3 , mais tout phénomène d'évaporation s'accompagne d'un phénomène de concentration en minéraux et polluants. Le lac actuel s'évapore également, mais les minéraux et polluants sont dilués et évacués par le débit de la Vée. Avec la déconnexion ce sera rapidement un milieux invivable qui sera offert aux rares organismes qui tenteront de coloniser cette nouvelle retenue. Les boues devront y être traitées également, qui paiera?

Conclusion : ce projet n'est pas assez détaillé et travaillé ni dans son aspect technique ni dans son aspect légal. Dire OUI, c'est la disparition pure et simple du lac en deux étapes : 
  •  d'abord on sépare la rivière pour lui laisser son " cours naturel" celui de l'époque où l'homme ne l'avait pas domptée. C'est ce que l'on appelle chez les écolos intégristes, le désanthropisation des milieux. C'est un dogme qui dit que tout se que l'homme a fait dans la nature est mal. 
  • pour calmer les Bagnolais on crée un nouveau lac complètement déconnecté de la Vée. Ainsi on garde la carte postale , amputée de 30% , quand même.. mais ce lac ne peut pas fonctionner qu'avec les eaux de pluies, c'est impossible à gérer et dans quelques années, 8 ou 10 la seule solution sera de reboucher tout ça, encore sur argent public.
Faire disparaitre un lac ce n'est pas une vue de l'esprit, ça se fait partout en France au nom de ce dogme de désanthropisation. Le problème c'est que ce dogme est très en vogue dans les agences de l'eau et les ministères. 

Alors que tant de pays travaillent à stocker l'eau, nous en France travaillons à assécher les rivières, les nappes alluviales, les zones humides artificielles, et à envoyer le plus rapidement l'eau douce à la mer. 

D'autres solutions écologiques, et techniques existent pour le lac. Il faut avoir la volonté de les imaginer sereinement, objectivement, et surtout dans le plein respect de l'article L211-1 du code de l'environnement qui parle de tous les usages de l'eau. Ce qui n'est absolument pas le cas du projet proposé."