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28/02/2016

Charte des moulins: très loin des attentes des maîtres d'ouvrage et des associations

La Direction de l'eau et de la biodiversité espère adopter une Charte des moulins au Conseil national de l'eau du 2 mars prochain. La FFAM a déjà fait savoir publiquement qu'elle refusait de signer le texte en l'état. A notre connaissance, d'autres signataires pressentis feront le même choix, mais certains hésitent encore. Pour l'association Hydrauxois, le texte proposé à la signature est tout simplement inacceptable. Il ne règle aucun problème de fond et ne possède aucune autorité juridique, continue de mettre en danger les droits des maîtres d'ouvrage, forme une diversion malhabile pour tenter d'échapper à la nécessité d'une réforme substantielle de la continuité écologique. La Direction de l'eau et de la biodiversité ne prend manifestement pas la mesure de la profonde crise de confiance que sa politique non concertée et non fondée de continuité écologique a suscité depuis 10 ans. Plus que jamais l'arbitrage du Ministre et des parlementaires sera nécessaire pour sortir de cette crise.


Nous publions ci-dessous quelques extraits de cette Charte assortis de commentaires.

"Le premier but de cette charte est de trouver des solutions afin de permettre la bonne application de la réglementation pour certains moulins constituant un obstacle à la continuité écologique, sachant que la simple reprise des devoirs qui sont consubstantiels aux droits d’eau résoudrait en partie et au moins provisoirement en première étape, certains problèmes de continuité écologique."

Les solutions aux problèmes de la continuité écologique ne se trouveront pas dans une charte symbolique n'ayant aucune valeur juridique ni aucune autorité sur les agents de l'Etat. Elles se trouveront dans l'évolution de la loi par le Parlement, de la réglementation par le gouvernement et des instructions du Ministère de l'Ecologie à ses services. Autant de textes que les citoyens peuvent opposer aux administrations pour défendre leurs droits.

Les devoirs associés aux droits d'eau n'ont jamais disparu. Il est pour le moins curieux que les services de l'Etat découvrent qu'ils ne sont supposément pas exercés dans les années 2000 et 2010, alors que les moulins ont toujours été contrôlés par les Ponts & Chaussées, puis les DDE-DDA, enfin les DDT-M. Est-ce à dire que ces services de l'Etat n'auraient pas accompli leur propre mission pendant des décennies? Qu'ils auraient toléré massivement des pratiques illégales? Cela ne paraît pas crédible.

Nous observons par ailleurs sur le terrain que la mise en oeuvre de la continuité écologique depuis le PARCE 2009 est indifférente au niveau d'engagement du propriétaire : que le moulin soit très bien restauré ou en mauvais état d'entretien, tout le monde a reçu les mêmes courriers remettant en question le droit d'eau, tout le monde a reçu les mêmes propositions visant à détruire en première intention, lors des visites conjointes sur site DDT-Onema-Agences-syndicats.

Tant que ces pratiques ne sont pas reconnues comme des erreurs et tant qu'instruction formelle n'est pas donnée de les abandonner, nous n'avons aucune raison de faire confiance à l'administration: les mauvaises habitudes ne changeront pas sur la foi d'une charte.

"La qualité écologique des cours d’eau dépend de la réduction d’impacts négatifs sur de nombreux paramètres. Les états des lieux réalisés dans les bassins hydrographiques dans le cadre de la mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau font ressortir dans la majorité des États membres que les pollutions diffuses et les impacts sur l’hydromorphologie sont les deux causes les plus importantes. (..) La restauration de la continuité écologique et des conditions morphologiques du cours d’eau constituent donc un des enjeux pour l’atteinte du bon état des eaux, tel que prévu par la directive cadre sur l’eau, et plus largement pour la préservation de la biodiversité."

Les états des lieux des agences de bassin sont des documents sans valeur scientifique. Ils ne sont pas conçus par des chercheurs, ils ne sont pas évalués par des pairs, ils ne développent pas de modèles dont on peut vérifier la construction et la qualité des données, etc.

Le fait que l'hydromorphologie ait été désignée dès 2004 comme problème majeur par certains bassins alors même que nous n'avions pas à cette époque en routine les mesures de qualité DCE sur chaque masse d'eau indique assez que ce supposé diagnostic relève surtout de la croyance et du préjugé de certains "experts" de comités fermés.

Nombre d'études scientifiques suggèrent que la morphologie, si elle est certainement une dimension importante de la rivière, n'est pas pour autant la condition nécessaire de son bon état chimique et écologique au sens que leur donne la DCE 2000. Il n'existe donc aucune preuve que l'action sur cette morphologie aboutira à la satisfaction de nos obligations réglementaires européennes sur la qualité de l'eau, et plusieurs travaux de recherche incitent à penser le contraire. Ne pas reconnaître ce problème central dans la réforme de continuité écologique, c'est se priver à la base de la distance critique indispensable à sa ré-orientation nécessaire.

"Aménagements pour le franchissement, arasements, effacements, mesures de gestion intermédiaires, aucune solution n’est définie à l’avance et par principe. La solution recherchée doit apporter le meilleur gain écologique tout en tenant compte du rapport coût/bénéfice et des différentes dimensions liées notamment à la sécurité, à la prévention des inondations, à la dégradation du bâti, aux usages associés, au patrimoine, à l’économie et à la transition énergétique, etc."

Cela relève de la déclaration d'intention et ne correspond pas aux faits constatés. Plusieurs Agences de l'eau, et in fine la Circulaire ministérielle de 2013 sur le classement, ont indiqué que l'effacement est la solution préférable, et sur certains bassins aux classements massifs (Loire-Bretagne, Seine-Normandie), elle est la seule correctement financée. Dans l'immense majorité des cas, les rapports des bureaux d'études signalent sur 2-3 pages quelques dimensions non écologiques (historiques, patrimoniales, énergétiques) des ouvrages non producteurs, mais ils n'en déduisent pas la nécessité de prendre réellement en compte ces dimensions et proposent le plus souvent un effacement total ou partiel. Des centaines de propriétaires peuvent témoigner de ces pratiques, qui les exaspèrent.

Une charte destinée aux moulins devrait rappeler clairement les seules solutions acceptables pour un moulin attaché à ses droits : pas d'arasement, pas de dérasement, pas d'échancrure vidant le bief les mois les plus secs, dispositif de franchissement dans les 10% du débit minimum biologique (à condition d'avoir un financement public quasi intégral compte tenu du coût de ce dispositif), ouverture de vanne à des périodes précises et limitées (certainement pas des mois entiers comme tendent à l'imposer les préfets, sur conseil de l'Onema), statu quo et absence de besoin d'aménagement si telle est la conclusion d'une vraie analyse coût-avantage.

Ne pas rappeler que ces solutions sont les seules qui respectent les droits établis des moulins et qui ont le minimum de réalisme économique nécessaire pour être applicables, c'est produire encore et toujours de l'inertie ou du conflit pour les années à venir. Demander à des fédérations de moulins de signer un texte qui n'informe pas correctement les maîtres d'ouvrage, c'est leur demander de tromper leurs adhérents et de faillir à leur mission essentielle.

"Dans tous les cas la réflexion est nécessaire à l’échelle du cours d’eau avant d’intervenir sur les ouvrages. Dans certains cas des études approfondies seront nécessaires. Leur réussite nécessite d’associer pleinement les propriétaires concernés."

Là encore, c'est une simple déclaration qui ne correspond pas à la réalité. Les syndicats de rivière et de bassin versant ne développent presque jamais des modèles scientifiques à échelle de toute la masse d'eau, avec des simulations de ses évolutions à différentes conditions d'intervention sur ses compartiments. Quand parfois une étude un peu ambitieuse est menée, peu de gens la lisent et elle est rangée dans un tiroir sans en tirer la moindre conséquence.

Le classement des rivières lui-même est issu de choix opaques et non pas d'une grille de priorisation scientifiquement validée sur son volet connaissance et démocratiquement concertée sur son volet action. Ce classement a été souvent tronçonné pour éviter les plus grands barrages, jugés impossibles à aménager alors qu'ils sont les plus impactants en terme de discontinuité piscicole et sédimentaire, ce qui mine sa crédibilité comme outil de supposée "continuité".

Si la réflexion était réellement menée à échelle de la masse d'eau, on s'apercevrait que dans la majorité des cas, celle-ci possède nombre de zones à écoulement naturel offrant des habitats suffisants pour les espèces d'intérêt ; et qu'elle subit nombre d'impacts sur le bassin versant rendant improbable un effet significatif des effacements (autre que très local).

"Les Fédérations de Moulins s’engagent à mettre en œuvre une communication sur les objectifs de la charte et sur la nécessité d’une réflexion préalable sur le devenir de chaque ouvrage (pas d’arasement systématique, ni de maintien systématique). Elles s’engagent à jouer si nécessaire un rôle de médiation. Elles s’engagent à continuer à expliquer à leurs adhérents la nécessaire gestion de leurs ouvrages et diffusera tous documents rédigés par elles reprenant les devoirs de l’usager."

Le rôle des fédérations de moulins est de défendre les moulins. Pas de diffuser la propagande administrative sur l'intérêt de les détruire ni d'encourager la gabegie d'argent public pour des opérations de restauration de rivière sans aucun résultat garanti.

"L’ONEMA est le référent scientifique et technique de l’Etat sur le thème de la continuité écologique. De nombreuses informations, réglementaires et techniques, ainsi que la valorisation d’études et de recherches, sont mises en ligne sur son site Internet (…) Les Fédérations de Moulins estiment que les données pertinentes pour eux ne sont cependant pas toujours rendues facilement disponibles ou accessibles. Les réponses techniques des services consultés peuvent être amenées à évoluer au gré de l’évolution des compétences, des résultats, des recherches effectuées et du développement de nouveaux outils."

Ce sont toutes les données DCE 2000 qu'il faut rendre immédiatement et totalement accessible à tous les citoyens (et pas seulement aux moulins!). Quand nous parlons des données, nous ne parlons pas de pictogrammes de couleur sur l'état de la rivière, mais bien de chaque mesure sur chaque indicateur de qualité pour chaque campagne de surveillance et chaque masse d'eau. Cela dans des formats homogènes au plan national.

Les avis des ingénieurs et techniciens Onema non fondés sur des travaux de recherche académique adaptés à la réalité des moulins ne sont pas jugés légitimes aujourd'hui, et ne le seront pas plus demain. Nous attendons des études scientifiques (pas de la littérature grise de compilation orientée) concernant le poids réel de la petite hydraulique des moulins sur les indicateurs DCE 2000, la validation du taux d'étagement, la mortalité en turbines de petites puissance, etc. Quand on voit par exemple que l'Onema a produit de la documentation grand public sur le rôle soi-disant négatif des ouvrages sur l'auto-épuration des rivières, en contradiction formelle avec 30 ans de recherche scientifique sur ce point, on ne peut guère attendre des riverains et maîtres d'ouvrage qu'ils lui accordent encore une grande crédibilité.

L'Office n'a manifestement pas trouvé son identité entre agence scientifique indépendante, outil de gestion encore marqué par sa provenance historique (ancien conseil supérieur de la pêche), mission de police de l'eau. Les seules publications de l'Onema que nous jugeons recevables pour notre part sur le plan de la connaissance sont celles de ses laboratoires, dans les revues scientifiques internationales à comité de lecture. (Ce qui ne nous empêche pas de diffuser à nos adhérents et lecteurs ses guides techniques, d'intérêt pour leur parties hydrauliques, certains travaux de vulgarisation, toujours utiles pour comprendre la rivière et ses milieux, et certaines analyses de milieux, donnant des informations de bonne qualité par leur protocole standardisé de mesure.)

"Le délai de 5 ans pour la mise en conformité sur les CE en liste 2 porte sur de nombreux ouvrages dont les impacts et les statuts sont très variables, nécessitant une analyse sur chacun avant d’engager l’action. (…) Les critères de priorisation et du phasage doivent être clairs et partagés (note : Pour évaluer l’impact, il existe le protocole ICE (Information sur la Continuité Écologique) de l’ONEMA). Des informations régulières relatives au déploiement du protocole ICE ainsi qu’aux interprétations concrètes des caractérisations des milieux qui en sont issues localement, dans les conditions normales de son utilisation, seront portées à la connaissance des associations de propriétaires de moulins à l’occasion des réunions d’échanges." 

Le protocole ICE est l'exemple de la démarche mal dimensionnée qui bloque le succès de la continuité écologique. L'Onema y classe comme "migrateurs" toutes sortes d'espèces qui ne sont pas communément désignées ainsi dans la littérature scientifique. L'Office met par ailleurs un tel niveau d'exigence pointilleuse dans la conception des dispositifs que ceux-ci atteignent rapidement des coûts inaccessibles pour les maîtres d'ouvrage (coûts des études de conception, coûts de chantier, coût de suivi et entretien). Le problème n'est pas que les propriétaires ne comprennent pas l'outil ICE, simplement que ce genre d'outil est éventuellement adapté à des industriels avec forte capacité d'investissement (comme EDF, avec qui l'Onema et avant lui le CSP ont beaucoup travaillé), mais décalé pour les cas ultramajoritaires de très petits ouvrages chez des particuliers n'ayant nullement ces capacités. Ce que l'on attend le cas échéant de l'Onema ou de l'Irstea, ce sont des protocoles et dispositifs simples, appropriables pour la très petite hydraulique, apportant un bénéfice écologique à bas coût, même s'ils ne sont pas optimisés.


"Les analyses « multicritères », telle que celle qu’a mise au point l’EPTB Sèvre Nantaise fournissent également des éléments de réponse." 

Le CGEDD avait demandé dès 2012 que les analyses multicritères soient généralisées : cela n'a pas été fait. Pourquoi faudrait-il avoir confiance en 2016, alors que la Direction de l'eau du Ministère n'a toujours pas formalisé une instruction à ses services en ce sens ? Promesse de papier.

"Il faut que les maîtres d’ouvrage, notamment les propriétaires de moulins, puissent faire appel à des compétences reconnues et qualifiées (OPQIBI par exemple). L’ONEMA présentera les nouvelles qualifications professionnelles de l’ingénierie qui pourront être demandées par les bureaux d’études, dès qu’elles auront été validées par le conseil d’administration de l’OPQIBI (4e trimestre 2015)." 

C'est encore ne pas comprendre le problème. Plus les BE vont être qualifiés, plus leur coût sera important et moins les chantiers seront engagés. Le problème n°1 de la continuité écologique est justement ce coût dès qu'on envisage autre chose que l'effacement (subventionné pour sa part). De manière générale, la complexité extrême du moindre chantier en rivière n'est pas tenable, elle est considérée comme ingérable par les associations qui connaissent le terrain et la difficulté des maîtres d'ouvrage. Il faut viser un choc de simplification de ces normes environnementales, et non pas ajouter sans cesse des couches d'exigences, de certifications, de déclarations, etc.

"(Sur les règlement d'eau) Toutefois, d’une part de tels actes n’ont pas été établis sur tous les moulins et d’autre part, compte tenu de leur préoccupation souvent limitée au respect des droits des tiers et à la prévention des inondations, ils sont aujourd’hui la plupart du temps insuffisants pour répondre aux préoccupations actuelles de préservation, voire de restauration, des écosystèmes de la rivière (débit minimum biologique, continuité écologique, eutrophisation, etc.). Lorsqu’il s’agit de fixer les conditions de remise en exploitation d’un moulin, ce règlement d’eau historique ne tient pas compte de la nouvelle situation de droit et de fait dans laquelle cette remise en exploitation s’opère, après parfois plus de 50 ans de non usage, situation dont l’autorité de police de l’eau est obligée de tenir compte. Aussi, il est en général indispensable, notamment sur les cours d’eau classés en liste 2 au titre du L.214-17 du code de l’environnement, soit d’établir, soit de compléter ces règlements d’eau ou "prescriptions initiales" de manière adaptée, au cas par cas, à chaque situation, par un arrêté de prescriptions complémentaires qui fixera le nouveau débit à laisser à l’aval, les conditions d’aménagement de l’ouvrage pour la continuité écologique, l’adaptation éventuelle des modalités d’exploitations et de manœuvre de vannes, etc."

Ce point correspond largement à l'article R 214-18-1 CE créé par décret du 1er juillet 2014. Nous souhaitons la suppression de cet article, qui décourage toute reprise de production en petite hydroélectricité, pour les raisons déjà énoncées ci-dessus : les services instructeurs n'ont aucun réalisme économique, ils multiplient les exigences environnementales sans preuve de leur caractère indispensable, les coûts grimpent rapidement et le résultat est que les propriétaires ne font rien (ni aménagement énergétique ni aménagement écologique), voire préfèrent risquer des amendes plutôt que contacter un quelconque service administratif. Par ailleurs, cette mise en oeuvre tendancieuse du R 214-18- 1 CE contredit 150 ans de jurisprudence sur la possibilité de reprendre une production dans la consistance légale du bien légalement autorisé.

Pour conclure, aucune Charte ne sera acceptable tant que n'y seront pas posés clairement les principes suivants :
  • l'intérêt de la continuité écologique sur chaque masse d'eau doit être fondée sur la preuve scientifique, et non sur des assertions impossibles à démontrer ou à réfuter ;
  • cet intérêt écologique ne doit pas être marginal, c'est-à-dire que la continuité écologique doit faire l'objet d'analyses coûts-bénéfices et en particulier démontrer qu'elle permet d'atteindre le respect de nos obligations réglementaires (DCE 2000) ;
  • l'existence des enjeux écologiques associés à la continuité longitudinale doit être exposée et quantifiée sur chaque ouvrage, par les services publics en charge de l'analyse des milieux aquatiques, dans le cadre d'une procédure contradictoire ;
  • nul propriétaire ne peut être contraint sans indemnité à l'effacement total ou partiel de ses ouvrages légalement autorisés ;
  • nul exploitant ne peut être contraint sans indemnité à des travaux qui menacent la survie de son activité économique ou qui représentent une somme disproportionnée par rapport à celle-ci ;
  • tout dispositif de franchissement doit respecter la consistance légale de l'ouvrage et faire l'objet d'un financement essentiellement public au regard de ses coûts inabordables (ce qui est évident pour les particuliers n'ayant pas à support la charge exorbitante de dispositifs d'intérêt général) ;
  • le classement des rivières doit être révisé en fonction des travaux scientifiques précités et son calendrier de mise en oeuvre doit a minima être étalé jusqu'en 2027 (date-butoir actuelle de la DCE 2000, qui a de toute façon de grandes chances d'être repoussée vu les très faibles progrès de l'état écologique et chimique des masses d'eau observés dans les rapportages des membres de l'Union européenne).
Notre association rencontre de nombreux propriétaires, usagers ou exploitants d'ouvrages dans les réunions publiques : l'immense majorité se trouve en accord avec ces positions. Essayer de les contourner dans des manoeuvres dilatoires comme la Charte des moulins, c'est perdre encore du temps et continuer de dilapider l'argent public. Face à ce blocage manifeste de la DEB, nous appelons chacun à renforcer la diffusion de la demande de moratoire sur la mise en oeuvre inacceptable du classement des rivières. Il faudra de toute évidence un arbitrage politique pour reconnaître l'impasse où s'est enfermée la direction technique du Ministère et trouver une issue raisonnable sur le dossier.

A lire : notre rubrique "science" et notre rubrique "idées reçues" pour déconstruire les erreurs et manipulations les plus répandues sur la question des ouvrages hydrauliques. Des faits, des chiffres, des dizaines d'articles scientifiques en lien, des retours d'expérience... cette réalité que certains refusent de voir.

Illustrations : en haut, moulin de Bourbilly, sur le Serein ; en bas, digue du lac de Panthier, soutien du canal de Bourgogne. Certains des ouvrages hydrauliques les plus massifs ne font pas l'objet d'obligation d'aménagement, car ils ont été opportunément "extraits" du classement des rivières à fin de continuité écologique. Une sélectivité perçue comme preuve de la mauvaise foi des services administratifs sur ce dossier, l'acharnement sur certains seuils de moulin étant d'autant moins acceptée qu'on observe le laxisme sur d'autres ouvrages autrement plus impactants.

13/12/2015

Proposition de préambule à une charte des moulins

Le gouvernement affirme à qui veut l'entendre – et d'abord aux parlementaires inquiets des dérives de la politique de l'eau dans le domaine des ouvrages hydrauliques – qu'il discute d'une "charte" avec les représentants des moulins (FDMF et FFAM). A notre connaissance, c'est une discussion à sens unique, avec une volonté par la Direction de l'eau et de la biodiversité d'imposer un texte conçu pour plaire aux lobbies FNE et FNPF, certainement pas pour apaiser la situation. Nous conseillons vivement aux Fédérations concernées de communiquer publiquement sur ces questions, la transparence étant le meilleur remède à l'arbitraire. Il convient d'informer les élus et les citoyens de ce que la DEB refuse, afin de clarifier les points de blocage. Pour sa part, Hydrauxois propose ici une première version d'un préambule à une charte des moulins. Ce texte nous semble équilibré et raisonnable, n'excluant aucune option y compris l'effacement, mais posant diverses conditions de prudence et de connaissance préalables à la mise en oeuvre locale des réformes de continuité écologique. Commentaires et débats bienvenus.

Les ouvrages hydrauliques en rivière se sont développés depuis l'époque romaine, avec une accélération à partir du Moyen Âge. Parmi eux, les moulins ont connu leur plus grande extension aux XVIIIe et XIXe siècles. On compte aujourd'hui selon le Référentiel de l'Onema environ 60.000 seuils, chaussées et barrages de moulins sur les rivières françaises. Le recensement n'étant pas achevé, le chiffre définitif sera plus élevé.

Présents des têtes de bassin jusqu'aux littoraux, les moulins forment le troisième patrimoine bâti de France. Ils ont joué un rôle historique structurant dans le développement des territoires et dans l'implantation des populations au bord des rivières. Les écoulements et les peuplements des cours d'eau ont été modifiés de longue date par leur présence. Il en va de même pour les paysages des vallées et des plaines alluviales.

Les moulins sont nés d'une vocation énergétique et économique : transformer la puissance de l'eau en usage mécanique en vue de produire ou transformer des biens. Ils ont ensuite participé à l'aventure de l'électricité. Une partie minoritaire des moulins conserve aujourd'hui cet usage, parfois sous forme de productions locales (farines, huiles, etc.), le plus souvent sous forme de petites centrales hydro-électriques à fin de consommation familiale ou d'injection sur le réseau. Mais souvent, même sans usage au sens énergétique, industriel ou commercial, les ouvrages hydrauliques nécessaires à la production (barrage, bief, chambre d'eau et coursier de roue) sont entretenus et conservés, préservant ainsi le potentiel d'équipement. L'existence de ces ouvrages et le respect des conditions hydrauliques qu'ils induisent sont des conditions de reconnaissance du droit d'eau et de validité du règlement d'eau des moulins.

Les moulins qui n'ont plus d'usage énergétique peuvent avoir noué d'autres vocations, par exemple éducatives (écomusées, animation patrimoniale) et touristiques (chambres d'hôtes, gites ruraux, restaurants). Il n'est pas rare que l'eau de la retenue et du bief servent des usages locaux : valorisation paysagère des villes, réserve incendie, pompage pour arrosage, irrigation ou abreuvement, zones récréatives (baignades, pêches), etc. Beaucoup de propriétaires qui ont acheté ou ont hérité d'un moulin expriment un attachement à la dimension patrimoniale du bien : le moulin en tant que tel n'est jamais une simple maison au bord de l'eau, mais un édifice défini par sa destination à user de l'eau. Les attributs hydrauliques représentent son identité de moulin, et une part non négligeable de sa valeur foncière.

Enfin, il arrive aussi que des ouvrages en rivière aient été purement et simplement abandonnés, souvent après de multiples démembrements fonciers. Dans ce cas, ils ont perdu leur fonctionnalité (biefs voire retenues comblés) et ils ne sont plus en condition de respecter leurs obligations réglementaires (contrôle du niveau de l'eau).


Les seuils et barrages en lit mineur représentent des obstacles à l'écoulement naturel de l'eau. Ils ont en conséquence plusieurs impacts sur la rivière : changement de la ligne d'eau et du transit sédimentaire, limitation partielle ou totale de la circulation des poissons vers l'amont, évolution thermique locale, modification du cycle carbone, azote et phosphore, etc. Certains effets sont positifs sur les milieux, d'autres sont négatifs.

Les effets physiques, chimiques, biologiques et écologiques d'un ouvrage en lit mineur sont généralement proportionnés à sa dimension : modestes pour la petite hydraulique, conséquents pour la grande hydraulique. Ces effets évoluent dans le temps. Certains impacts se cumulent quand le linéaire de la rivière est fragmenté par de nombreux moulins. La recherche scientifique sur les impacts spécifiques de la petite hydraulique (bien moins étudiée que la grande) est encore largement en cours de construction.

Il convient aujourd'hui de concilier la valorisation du patrimoine historique et culturel des moulins, le respect de leurs divers usages locaux, l'exploitation de leur potentiel énergétique et les programmes de restauration écologique des rivières. Ces derniers demandent des améliorations fonctionnelles de certains ouvrages, pour permettre une meilleure circulation des poissons et des sédiments, voire dans les cas les plus ambitieux des restaurations d'habitats.

Plusieurs options sont ouvertes pour diminuer les impacts écologiques négatifs des moulins : si les plus modestes n'appellent pas d'action particulière, d'autres peuvent demander une pleine fonctionnalité et une gestion attentive des vannes, voire la mise en place de dispositifs spécifiques de franchissement pour les poissons migrateurs. Il appartient en premier lieu au gestionnaire d'évaluer les besoins d'aménagement au terme d'une analyse scientifique menée à l'échelle de la rivière en son bassin versant. Cette analyse doit intégrer les paramètres de qualité biologique, physique, morphologique et chimique, la probabilité d'atteindre ou de s'écarter du bon état au sens de la DCE 2000, ainsi que l'analyse précise des enjeux migrateurs et des protections d'espèces menacées. Ce n'est qu'au terme de ce travail, et s'il aboutit à la conclusion d'un intérêt environnemental avéré, qu'une concertation en vue des aménagements définis comme nécessaires doit être menée avec le propriétaire d'ouvrage hydraulique, mais aussi avec les riverains et usagers impactés par le niveau d'eau de la retenue.

La destruction d'un site (arasement ou dérasement) peut être envisagée, en particulier pour les ouvrages abandonnés. Mais cette solution par nature radicale et non réversible, ne figurant pas comme telle dans les prescriptions du législateur en matière de continuité écologique, doit obéir à des conditions très strictes : bénéfice écologique démontré, absence d'intérêt patrimonial, consentement éclairé du maître d'ouvrage et des riverains, droits des tiers préservés, évaluation de l'équilibre avant / après dans tous les domaines appelant précaution (fragilisation du bâti, crues et inondation, pollution des sédiments de la retenue, espèces invasives, anticipation du changement climatique, etc.). Le non-respect de l'ensemble de ces conditions doit impliquer le choix d'aménagement non destructif.

La continuité écologique vise l'intérêt général (qualité de l'eau et des milieux comme bien commun). Les coûts des travaux en rivière, particulièrement des optimisations écologiques d'ouvrages de moulins, représentent des charges dépassant largement les capacités économiques des particuliers, des exploitants modestes ou des petites collectivités. La législation a exclu que les aménagements de continuité écologique imposent une charge spéciale et exorbitante au maître d'ouvrage sans versement d'indemnités. Le succès de la restauration écologique comme objectif d'intérêt général implique en conséquence la forte mobilisation des financeurs publics (Agence de l'eau, département, région, Europe), qui devront assumer l'essentiel des coûts. Cela signifie que les opérations de restauration de continuité devront être limitées aux aménagements de sites où des bénéfices écologiques tangibles sont démontrés et justifient pleinement les dépenses engagées.

20/10/2015

Charte des moulins: inacceptable en l'état

Le projet de Charte des moulins a avancé et la dernière version en date est téléchargeable à cette adresse. Nous avons déjà écrit à ce sujet et, à la lecture du projet, nous ne voyons aucune raison valable de souscrire à un texte qui contourne les problèmes de fond.

Si l'on observe quelques progrès de la Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie, notamment la reconnaissance du fait qu'une simple gestion des ouvrages du moulin peut parfois suffire à garantir la continuité dans des proportions raisonnables, les points essentiels sont absents du texte.

La Charte affiche comme objectif de "trouver des solutions afin de permettre la bonne application de la réglementation pour certains moulins constituant un obstacle à la continuité écologique". Pour cela, l'Etat doit s'engager clairement à :

  • motiver sur chaque cas et comme l'y oblige la loi (art L 214-17 C env) les besoins d'équipement, entretien et gestion des ouvrages, ainsi que la proportionnalité de l'aménagement aux enjeux écologiques afin de garantir que la dépense n'est pas "spéciale" ou "exorbitante";
  • n'imposer aucun effacement (arasement, dérasement) ni changement de la consistance légale contre la volonté du propriétaire, en respect là encore de la loi sur la reconnaissance des ouvrages légalement autorisés (art. L 214-6 C env);
  • garantir un financement public des dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons, rampes enrochées, rivières de contournement) et des dispositifs de transit sédimentaire (dans les cas où ils excèdent la simple fonctionnalité des vannes existantes, lesquelles sont une charge d'entretien normale du propriétaire).

Tant que ces points simples, clairs et précis ne sont pas acquis, nous n'avons aucune raison de faire confiance à la DEB, dont nous rappelons qu'elle est à l'origine des politiques d'effacement prioritaire d'ouvrages hydrauliques et de la dérive administrative observée depuis le PARCE 2009.

Nous appelons donc les propriétaires, riverains, associations et plus généralement tous les citoyens amoureux de leur rivière et de son patrimoine à:
  • refuser la légitimité de la Charte en l'état si elle devait être signée par une ou plusieurs fédérations de moulin (ce dont nous doutons...) ;
  • diffuser et faire signer à leurs élus l'appel à moratoire sur la continuité écologique ;
  • s'organiser en vue de préparer des contentieux sur chaque ouvrage où l'Etat n'aura pas respecté ses obligations (voir Vade-mecum) et contre chaque SDAGE qui persistera à poser la priorité illégale de l'effacement du patrimoine hydraulique français (voir Lettre ouverte).

12/09/2015

Charte des moulins : pour quoi faire ?

“L'oppresseur ne se rend pas compte du mal qu'implique l'oppression
tant que l'opprimé l'accepte.”
Henry David Thoreau, La désobéissance civile 

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a publié un rapport en 2013, d'où il ressort que les politiques publiques de l'eau, en particulier les choix de continuité écologique mis en place entre 2004 et 2013, ont laissé peu de place à la concertation avec le monde des moulins et des riverains. Il a été décidé par le CGEDD et la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie de produire un cycle de discussion au Ministère, visant à définir une "charte des moulins", associant les deux fédérations, FFAM et FDMF (dont Hydrauxois n'est pas adhérent, pour rappel). France Nature Environnement et la Fédération nationale de la pêche – connus pour leur militance très active en faveur de la suppression des seuils et barrages, au Ministère comme en Comités de bassin – participent aux échanges.


Cette démarche nous inspire les réflexions suivantes.

1. Le choix d'une "charte", objet juridique non identifié, a tous les atours d'un outil de communication sans grande conséquence. On formalise un texte permettant de dire que l'on a pratiqué la concertation, sans que ce texte ait une influence quelconque pour la politique de l'eau, la pratique des services instructeurs de l'Etat et celle des établissements administratifs comme les Agences de l'eau. Or, ce sont cette politique et cette pratique qu'il s'agit de changer. Et de changer assez radicalement dans le domaine de la continuité écologique.

2. Il existe des précédents à ce genre de démarche – par exemple le syndicat France Hydro Electricité (FHE) a signé en 2010 une Convention d'engagement pour le développement d'une hydroélectricité durable. Sans doute serait-il utile de demander à ce syndicat et à ses adhérents si la signature de cette Convention s'est traduite par des bénéfices notables et par un changement d'attitude de la part de l'administration. Au regard des contentieux que FHE a été obligé d'engager après la signature, on a quelques doutes à ce sujet.

3. Une charte de la dernière heure n'est pas de nature à effacer l'effet délétère de dix ans d'exclusion des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques dans la définition des législations et réglementations qui les concernent. Le fait est là : la politique de l'eau n'est pas perçue comme légitime sur son volet de continuité écologique appliquée aux moulins. Avec ou sans charte, cette politique telle qu'elle est menée aujourd'hui sera combattue pour la simple raison qu'elle aboutit à détruire le patrimoine hydraulique, le paysage de vallée, le potentiel énergétique ou productif, le lien social auxquels nombre de gens sont attachés, et cela sans obtenir d'effets significatifs sur nos vraies obligations d'amélioration des milieux aquatiques (directive nitrates 1991, directive eaux résiduaires urbaines 1991, directive de qualité chimique et écologique 2000, directive pesticides 2009). Cette politique amoindrit aussi la valeur foncière des biens qu'elles affectent en même temps qu'elle exige des travaux en rivière défiant la solvabilité des maîtres d'ouvrage et l'équilibre des financements publics de l'eau. Allant très au-delà du voeu initial du législateur, l'administration a décrété une réforme inapplicable : ce n'est pas une "charte" qui permettra de l'appliquer. Arrêtons la pensée magique et regardons la réalité en face.

4. D'un côté, les fédérations de moulins et les syndicats d'hydro-électricité ont été et sont encore en contentieux, au Conseil d'Etat comme au Conseil constitutionnel, contre les décrets relatifs à la continuité écologique ou au régime des exploitations hydro-électriques. D'un autre côté, l'administration a multiplié des initiatives (comme le PARCE 2009) et des décrets (comme le classement des rivières de 2012-2013 ou le décret du 01/07/2014 sur l'appréciation préfectorale arbitraire de tout projet hydro-électrique) dont elle sait pertinemment que l'effet est de détruire le patrimoine hydraulique ou de décourager sa restauration énergétique. Il y a quelque chose de cocasse à prétendre discuter d'une "charte" sur fond de tels désaccords manifestes dont les juges sont saisis.

5. Il nous semble intéressant que les associations de terrain exposent leur point de vue et débattent avec leurs adhérents de cette idée de charte. D'abord parce qu'il est utile aux fédérations de prendre le pouls de la base. Ensuite parce que ce sont ces associations de terrain qui, en délibération avec leurs membres, choisiront une certaine stratégie vis-à-vis de l'administration sur les dossiers les plus contentieux (essentiellement la mise aux normes des ouvrages au nom du L-214-17 en rivière classé L2 avant 2017-2018 et la liberté de reprendre une activité énergétique en moulin fondé ou titre ou réglementé).

6. Pour notre part, nous n'attendons pas de l'administration une "charte", mais une série de décisions précises et d'orientations claires :

  • le moratoire sur la mise en oeuvre des aménagements de seuils en rivière classée L2, repoussant l'intenable délai 2017-2018 (intenable du point de vue même des Agences de l'eau et des services de l'Etat, sans parler de la forte proportion de propriétaires disposés à aller en contentieux vu les pratiques actuelles de l'administration) ;
  • la commande d'une analyse scientifique objective de l'impact de seuils en fonction de bio-indicateurs DCE et des caractéristiques physiques des ouvrages (pas des généralités floues, non quantifiées et teintées d'idéologie sur les obstacles à l'écoulement, mais des mesures et des modèles conçus pour répondre spécifiquement à cette question, sachant que les premiers travaux en ce sens suggèrent un impact modeste, voir ici et ici) ;
  • l'élaboration d'une grille de classement des cours d'eau et d'évaluation des seuils transparente et rigoureuse dans ses méthodes, concertée dans ses objectifs, raisonnable dans son calendrier et réaliste dans son financement (tout ce que n'ont justement pas été les classements kafkaïens des années 2012-2013, réalisés sans même attendre le retour d'expérience du PARCE 2009) ; 
  • le choix d'un financement public des dispositifs de franchissement piscicole et de transit sédimentaire, et non de la seule destruction des ouvrages (laquelle doit être strictement limitée aux cas de consentement éclairé et non contraint de la part du propriétaire) ; 
  • la fin des inégalités entre citoyens face aux charges et aux aides publiques, tenant au fait que les agences de l'eau et les régions n'ont pas les mêmes politiques alors que la loi et la réglementation sont communes (par exemple, la radicalité dans le classement des rivières et dans l'effacement de seuils des bassins Loire-Bretagne ou Seine-Normandie ne se retrouve pas toujours en Adour-Garonne ou en Rhône-Méditerrannée)
  • la pleine intégration de la petite hydro-électricité (puissances de 0,1 à 100 kW) dans la dynamique de la transition énergétique impliquant la simplification des remises en service de moulin (ou tout autre site exploitable) et l'instruction des services déconcentrés de l'Etat en ce sens ;
  • la reconnaissance du fait que les rivières françaises sont anthropisées de longue date (comme le démontrent les travaux mêmes de l'Etat, dont le ROE), que les équilibres des milieux évoluent de manière dynamique et peu réversible, que la "renaturation" intégrale des cours d'eau en vue de produire un "état de référence" stationnaire ne saurait être la doctrine de la politique des rivières en France ni en Europe (doctrine qui serait aussi ruineuse au plan économique qu'amnésique au plan patrimonial et intenable au plan scientifique). 

7. Une charte formelle n'a pas de sens sans un changement d'état d'esprit. Les moulins demandent au fond deux choses à l'administration. La première est un minimum de bonne foi sur la place des seuils dans les causes de dégradation chimique, biologique, physique des rivières et des milieux aquatiques, ainsi que sur le niveau de confiance scientifique dans notre connaissance exacte de ces causes et dans l'efficacité des remèdes supposés. La seconde est un minimum de respect pour un patrimoine plusieurs fois centenaire qui n'a pas envie de disparaître sous les pelleteuses de quelques apprentis-sorciers excités par des lobbies. Il nous paraît douteux que la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie soit capable de cette bonne foi et de ce respect, au regard de ce qu'elle a affirmé, produit ou encouragé depuis dix ans. Mais nous serions ravis d'être contredits. Ce serait évidemment un préalable à toute "charte" ou autre hochet.

8. En conséquence du point précédent, plutôt qu'une charte, nous pensons qu'un besoin pressant du monde des moulins, riverains et usagers de l'eau est de réunir un think tank d'avocats spécialisés en droit de l'environnement, droit administratif, droit civil et droit public européen, afin de définir les angles contentieux qui seront mobilisés en 2017-2018 – si, comme il est probable, l'administration persiste dans son déni de réalité. Hydrauxois et l'ARPOHC ont déjà initié des solutions en ce sens (mais n'ont pas les moyens, seules, d'aller aussi loin que nécessaire) et beaucoup d'associations souhaitent s'engager sur cette voie, tant elles observent sur le terrain l'acharnement des gestionnaires et autorités de l'eau contre l'existence de seuils en rivière et contre les droits d'eau qui leur sont attachés. Comme dit l'adage antique : si vis pacem, para bellum…

Illustration : destruction de seuil de moulin à la pelleteuse, sur une rivière par ailleurs en bon état écologique et ayant un recrutement correct de saumon (moulin de la Mothe, rivière Ellé-Laïta), malgré une plainte en cours de riverain, après que le propriétaire du moulin et le maire de la commune voisine ont été découragés de produire de l'énergie.  C'est le symbole de ce que les riverains et propriétaires d'ouvrage ne supportent plus : des décisions brutales et opaques en petits comités fermés, une gabegie d'argent public, une haine manifeste du patrimoine hydraulique, une absence de cohérence et de priorisation des choix environnementaux, une analyse coût-avantage et un suivi scientifique inexistants. Tant que de telles pratiques ne seront pas clairement dénoncées par l'administration centrale, il sera illusoire d'attendre un soutien du monde des moulins et riverains à la politique de continuité écologique.