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28/07/2021

Ralentir et diffuser les écoulements pour stocker l'eau

Des chercheurs publient une tribune sur l'enjeu de préservation et stockage de l'eau en situation de changement climatique rapide comme nous le connaissons aujourd'hui. Parmi les options: ralentir et diffuser l'eau dans les bassins versants. C'est un des rôles des ouvrages hydrauliques, dont la gestion écologique doit devenir notre politique publique, en lieu et place de leur absurde destruction. 

Zone humide en contrebas d'un bief de moulin.

Géraldine Picot-Colbeaux (hydrogéologue, BRGM), Marie Pettenati (hydrogéologue, BRGM) et Wolfram Kloppmann (géochimie isotopique, BRGM) publient un intéressant article sur le site d'analyse universitaire de l'actualité The Consersation. Cet article est dédié à la question de la préservation des ressources en eau pour les besoins humains en situation de changement hydroclimatique. "On parle de «gestion intégrée de la ressource en eau», qui vise à préserver le niveau des nappes d’eau souterraine, les débits des cours d’eau et à lutter contre les inondations et la salinisation des eaux en milieu côtier."

Les eaux souterraines sont contenues dans les "aquifères", formations rocheuses ou sédimentaires qui les stockent et qui se renouvellent plus ou moins vite. "Certains aquifères profonds contiennent des eaux de pluies tombées quand l’humanité taillait encore des silex ! D’autres, proches de la surface, contiennent de l’eau qui transite en quelques années. Sous nos latitudes, c’est en hiver, lorsque la végétation prélève moins d’eau, que les précipitations rechargent les aquifères."

Comme en témoignent les difficiles périodes de sécheresses dans certaines régions, impliquant des restrictions d'usage, la gestion de l'eau peut devenir critique quand se conjuguent la hausse des besoins humaines et l'incertitude climatique, avec des événements extrêmes plus probables (parfois de longues sécheresses, parfois des excès de pluie et des inondations, comme récemment en Allemagne, Belgique, Luxembourg et Angleterre). "À la question, «Manquerons-nous d’eau demain ?», la réponse est donc : «Nous en manquons déjà, localement et de plus en plus souvent»."

Les chercheurs rappellent les options de gestion intégrée de l'eau :

"Les solutions existent déjà, dans le monde et en France, depuis de nombreuses années. Mais il s’agit de les mettre en œuvre et de les intégrer dans des stratégies cohérentes de gestion des nappes :
– caractériser, suivre et prévoir sur la base de modèles fiables l’évolution des ressources et des besoins ;
– pratiquer la sobriété ;
– diminuer la pression sur la qualité de l’eau en diminuant la quantité de produits chimiques persistants et mobiles ;
– améliorer le traitement des eaux usées ;
– utiliser et réutiliser des eaux non conventionnelles après traitement ;
– retenir l’eau sur les territoires en ralentissant les écoulements et en stockant l’eau dans les milieux naturels."

On retient en particulier le dernier point : la nécessité de ralentir et diffuser les écoulements sur tous les territoires. Comme notre l'association l'a exposé à de nombreuses reprises, la politique de destruction des ouvrages hydrauliques transversaux au nom de la continuité écologique va à l'encontre de cet objectif. En voici quelques raisons :
Au lieu de détruire les ouvrages, nous devons de toute urgence les préserver et les doter d'une gestion hydro-écologique informée. 


23/02/2021

Sur la Risle, on cadenasse les vannes des moulins

La préfecture de l'Orne a pris un arrêté contesté obligeant les ouvrages hydrauliques de la Risle à tenir toutes leurs vannes ouvertes, même hors période de crue. Ce qui a pour effet de vider biefs et retenues. Non seulement l'administration n'écoute pas les objections de l'association locale, mais des propriétaires ont eu la mauvaise surprise de découvrir que des cadenas ont été posés sur certaines vannes, pour empêcher toute action. Nous n'aurons jamais une continuité apaisée si les services de l'Etat et des syndicats de rivière persistent à harceler les ouvrages hydrauliques et à refuser de mettre les moyens pour un traitement au cas par cas de chaque ouvrage.


Le 13 novembre 2020, la préfecture de l'Orne a pris un arrêté exigeant d'ouvrir jusqu'à fin mars toutes les vannes des ouvrages hydrauliques sur la Risle. La motivation était un risque d'inondation, mais aussi de manière sous-jacente la restauration de continuité écologique. Or, ouvrir en permanence les vannes des ouvrages a pour effet hors crue de vider les biefs et les retenues. De plus, c'est contraire au respect de la consistance légale autorisée de chaque ouvrage, il faudrait une justification au cas par cas d'un risque inondation. Enfin, la succession des retenues et des biefs a pour effet de "tamponner" les crues de l'amont vers l'aval, au lieu que l'eau file à toute vitesse et augmente les risques en zone aval. D'ailleurs, il est aujourd'hui admis que des débordements latéraux sont bénéfiques pour la gestion de crue, la rétention d'eau et la biodiversité, si bien sûr ils n'affectent pas des tiers.

L'association les Amis des moulin 61, présidée par André Quiblier, a déposé un recours gracieux contre cette mesure jugée excessive de la préfecture de l'Orne. 

Voici un extrait des argument de l'association : 
"Il n’est pas de notre volonté de contester que  des mesures exceptionnelles s’imposent lors des crues de la rivière Risle mais nous insistons sur le fait qu’au-delà même de la violation des règlements d’eau existants et du droit d’usage attaché à la propriété de ces moulins, cet arrêté a pour conséquence de bouleverser le régime des eaux de la Risle tel qu’il existe  depuis des siècles, avec deux conséquences majeures :  accélération de la vitesse d’écoulement des eaux et abaissement des lignes d’eau. 
Ces effets ont pour conséquence : 
- d’exonder de nombreuses berges en amont des ouvrages et de provoquer  des processus d’érosion sur ces linéaires qui en étaient dépourvus autrefois entraînant chute d’arbres, effondrement de berge, entraînement des terres arables, déchaussement d’ouvrages d’art dont les moulins eux-mêmes,
- d’assécher des zones humides de bordure, plan d’eau ou étangs dont l’existence repose sur la permanence des niveaux d’eau existants, 
- de réduire la capacité de la rivière à recharger les nappes phréatiques d’accompagnement en période hivernale, 
- de détruire d’importants faciès d’écoulement lentiques abritant une faune et une flore spécifiques  alors que la loi impose de « préserver ces mêmes milieux » et non de les bouleverser,
- d’aggraver le régime de crue à l’aval, puisque l’eau moins retenue arrive à la fois plus vite et en plus grand volume vers ces zones aval du bassin.
Ces effets,  en cascade,  sont  tous absolument contraires aux différents enjeux légaux établis par l’article L211-1 du Code de l’environnement."

Non seulement les services du préfet n'ont pas donné suite à ce recours gracieux en retirant l'arrêté litigieux, mais certains propriétaires d'ouvrages sur la Risle ont eu la désagréable surprise de constater que des cadenas ont été posés sans aucune autorisation sur les mécanismes des vannes de certains moulins, afin d'empêcher leur gestion! L'affaire est en cours d'examen par l'association pour vérifier qui a pris cette initiative et quelles suites judiciaires peuvent être données le cas échéant. 

La continuité n'est toujours pas "apaisée": les préfectures persistent à harceler les ouvrages avec des a priori négatifs, à tenir des discours contradictoires sur la gestion des crues et des zones humides latérales (dont font partie les biefs), à chercher des solutions simplistes,  à refuser de mettre le personnel et les moyens financiers pour traiter dignement et efficacement la continuité écologique de chaque ouvrage au cas par cas. 

Nous demandons aux parlementaires de constater ces troubles publics persistants et de les faire cesser en assurant une protection des ouvrages et de leurs milieux dans la loi

25/12/2020

Les moulins alimentent les sols, aquifères et zones humides lors des saisons pluvieuses

Sur certains bassins versants, les biefs des moulins forment les dernières annexes hydrauliques de la rivière en lit majeur. Ces canaux sont le lieu d'échanges d'eau toute l'année. En saison pluvieuse, l'eau excédentaire s'y diffuse, gorge les sols et aquifères, nourrit des zones humides. Une connaissance et une gestion de ces phénomènes peuvent avoir des rôles très bénéfiques pour le stockage de l'eau d'hiver et pour l'amélioration des habitats du vivant aquatique. Le monde des moulins doit documenter sur site ces phénomènes actuellement ignorés de l'expertise publique, pour demander qu'ils soient étudiés plus systématiquement dans le cadre de la gestion de l'eau en phase d'adaptation au changement climatique.


La saison des pluies est revenue. Mais où vont ces précipitations? Si le ruissellement superficiel ne permet pas de stocker, l'eau file rapidement dans la rivière, qui l'amène vers l'océan. Cette eau non retenue ne sera pas disponible à la prochaine saison sèche. Ces dernières années ont montré que de nombreuses régions de France subissent des sécheresses importantes, dont il est probable qu'elles deviendront plus intenses et plus fréquentes dans les décennies à venir.

Pour remplir les nappes alluviales du lit majeur de la rivière et les nappes libres dans les aquifères du sous-sol, il faut donc retenir l'eau et non chercher à accélérer son écoulement dans la rivière, puis vers la mer.

Parmi les aménagements qui aident cette rétention, on compte notamment les moulins, leur retenues et leurs biefs. Le cas est particulièrement favorable si le moulin est aménagé et géré pour optimiser cette fonction de rétention d'eau.

Ce schéma montre le principe de stockage en surface et sol de l'eau autour d'un système de moulin.



Les pluies d'hiver permettent d'observer le phénomène de surface. En voici un exemple sur un site.


Bief se gorgeant d'eau les jours de crue.


Débordement de déversoir


Mouille sur sol saturé.


Mares en pied de bief.

Nous incitons les propriétaires de moulins (ou étangs et plans d'eau) à documenter les cycles de l'eau sur leur site. Les associations et fédérations doivent demander aux services de l'Etat de procéder à des études hydrologiques et écologiques de ces réalités, qui sont actuellement totalement négligées. Il existe des dizaines de milliers de moulins (davantage d'étangs et plans d'eau), ce qui représente un linéaire non négligeable de biefs. Sur certaines rivières, les réseaux de biefs de moulins dérivés par leurs ouvrages forment les dernières annexes hydrauliques du lit majeur en lit majeur, en raison des incisions de lits et rehausses de berges, des drainages agricoles, des artificialisations urbaines.

05/10/2020

La Vésubie, dix siècles de furie

La vallée de la Vésubie dans le bassin versant du Var a connu un épisode méditerranéen ("cévenol") exceptionnel, avec 500 mm de cumul de pluie sur une journée, entraînant crues, éboulements, dégâts et victimes. Les chercheurs pensent que ces phénomènes se renforceront en intensité, mais pas forcément en fréquence, avec le réchauffement de la zone méditerranéenne. Ce n'est toutefois pas une première pour cette vallée du Haut-Var : plusieurs fois depuis dix siècles, les villages ont été en partie détruits par des crues et éboulements torrentiels, dont l'épisode de 1926 qui avait provoqué 19 morts. La nature ne fait pas toujours bien les choses, contrairement à ce que certains aimeraient penser... Ces tragédies nous rappellent à chaque fois que la connaissance, la gestion et la maîtrise de l'eau sont un enjeu essentiel pour notre société, ainsi que la culture des risques qui a été souvent oubliée. 

La Vésubie (affluent du Var) est entrée en crue, provoquant de nombreux dégâts et des morts. En cumuls de pluies sur une journée, on a dépassé 500 mm à Saint-Martin-Vésubie, record des archives modernes pour cette station, comme à l’échelle départementale. C’est la deuxième fois cette année que l’on atteint un tel cumul de plus de 500 mm sur l’arc méditerranéen, après l’épisode du 19 septembre dans le Gard, qui a fait deux morts. 

Ces épisodes méditerranéens, parfois dits cévenols, désignent des pluies intenses qui tombent au même endroit pendant plusieurs heures, avec des crues rapides à la clé. Ils surviennent plusieurs fois chaque année sur tout l’arc méditerranéen, depuis l’Espagne jusqu’à la Grèce, particulièrement à la fin de l’été et à l’automne. Ils sont plus fréquents dans les Cévennes, d’où l'ancien nom d’épisodes cévenols. Le mécanisme est le suivant: un vent chaud et humide de basse altitude, provenant de la Méditerranée, vient buter sur des reliefs montagneux. Il s'élève, se refroidit et entraîne la formation de précipitations intenses par un système orageux stationnaire, qui se réalimente aussi longtemps qu'il reçoit l'apport du vent chaud et humide venu de la mer. 

On parle de forts épisodes méditerranéens à partir de 200 mm: un épisode à 500 mm est donc exceptionnel. 

Comme le fait observer Véronique Ducrocq, chercheuse à Météo France (Le Monde, 5 octobre 2020), à propos des épisodes méditerranéens  : "Les ingrédients qui conduisent à la formation de ces phénomènes ont toujours existé. Les observations réalisées depuis 1960 montrent que la fréquence des épisodes est restée stable mais que ces épisodes sont plus intenses : l’intensité des plus forts événements a augmenté de l’ordre de 20 %."

Le faciès très pentu de la tête de bassin versant du Var, sa configuration particulière en éventail et la forte intensité de certains évènements de pluie sont des générateurs de crues particulièrement violentes et torrentielles qui s’accompagnent souvent d’un transport solide important.

Ainsi, la vallée de la Vésubie a déjà connu de semblables drames dans le passé.

En 1094, une crue de la Vésubie emporte le village de Roquebillière à l'exception de l'église. Le lit de la rivière se trouve déplacé sur la rive droite, les habitants vont s'installer sur la rive gauche. Le 22 février 1743, une crue emporte encore une partie des habitations du village. D'autres épisodes violents sont rapportés dans les archives locales en 1772, 1889, 1892 (voir Nice-Martin, 4 octobre 2020). 

En octobre et novembre 1926, les hauts bassins des Alpes Maritimes connaissent des pluies exceptionnelles, avec 2000 mm en 2 mois à Venanson, dont 1662 mm entre le 21 octobre et le 21 novembre (un an de pluie en un mois). La Vésubie déborde partout et endommage gravement le réseau routier. Le haut bassin de la Vésubie est isolé plusieurs semaines. Plusieurs immeubles dont la mairie sont emportés à Roquebillière, on compte 19 morts.

Ce passé et cette actualité tragiques doivent nous inciter à faire de la gestion hydrologique des bassins versants un enjeu de premier plan. Compte-tenu des contraintes climatiques nouvelles qui vont s'ajouter à une variabilité naturelle pouvant être délétère pour la société, nous avons besoin d'une culture partagée du risque et de la maîtrise de l'eau.

Sources complémentaires :

Préfecture PACA (2015), Règlement de surveillance, de prévision et de transmission de l’information sur les crues , Service de Prévision des Crues Méditerranée Est, 57 p.

Lang M, Coeur D (ed) (2014), Les inondations remarquables en France, Quae, 640 p.

12/07/2020

La France doit réviser d'urgence sa gestion de l'eau et cesser de détruire les retenues

La France métropolitaine reçoit 500 milliards de m³ d'eau apportés par la pluie et la neige, l'évaporation représente de 300 milliards de m³, 10 milliards de m³ viennent des pays voisins, soit un volume annuel total des eaux renouvelables de l'ordre de 200 milliards de m³. Or, les prélèvements en eau douce en France représentent environ 30 milliards de m3 par an, soit sept fois moins. Pourquoi, en dehors des zones arides, souffrons-nous de sécheresses à répétition, d'assecs et de restrictions? Car l'eau est mal gérée. Nous ne la retenons pas assez dans des zones humides naturelles et artificielles des bassins versants, nous bétonnons au lieu de végétaliser et d'assurer le cycle local de l'eau, les eaux urbaines sont ré-injectées vers la mer avec de surcroît des pollutions. A l'heure des risques climatiques qui seront croissants au cours du siècle, nous devons changer notre culture de l'eau, bien précieux pour le vivant et la société. Ou plutôt la retrouver, car les générations précédentes devaient déjà affronter l'incertitude faite d'excès ou de rareté selon les saisons. Nous publions ci-dessous le point de vue de l'association Culture Nature 71, qui déplore notamment l'aberration de la destruction actuelle des retenues par l'administration et de certains "écologistes" manifestement égarés dans des impasses. 



Des catastrophes imputées au réchauffement climatique pourraient être évitées par une gestion appropriée des ressources naturelles. A commencer par l'eau, le bien commun le plus précieux, garant de la vie. Et dont le cycle en relation avec le couvert végétal est un puissant régulateur du climat.

Un paradoxe qui s'accentue : trop d'eau par moment, manque d'eau à d'autres moments
L'alternance de sécheresses et d'inondations depuis 20 ans a une cause rarement évoquée : la très mauvaise gestion des précipitations ! En France métropolitaine, cela représente 503 milliards de m³ d'eau, provenant des chutes de pluie et de neige réparties sur 70 à 200 journées, selon les régions.

Cependant, une pluie même forte n'est pas un raz de marée. Depuis le 4 novembre 2019 [et jusqu'au 27 janvier 2020), La Garonne a évacué plus de 3 milliards de m3 d'eau douce vers la mer (mesure de débit effectué à Tonneins (cf vigiecrue.fr). Cela représente deux fois le volume de la consommation totale de toute la région Nouvelle Aquitaine (potable, agricole et industrie). Comment, dans ces conditions, peut-on manquer d'eau à certains moments de l'année ?

Annuellement, les rejets en mer d'eau douce par les rivières de Nouvelle Aquitaine sont supérieurs à 15 milliards de m3 ... pour une consommation totale de 1.5 milliards. Par le captage de seulement 10% des crues, il y aurait moins d'inondation; mais surtout plus jamais de déficit en eau. Les départements les plus touchés par les inondations et les fortes crues sont ceux qui étaient en manque d'eau l'été dernier.

Et c'est tout à fait logique : c'est justement parce que dans ces départements, il n'y a pas de retenue de l'eau des précipitations hivernales que les crues sont gigantesques. Et n'ayant procédé à aucune retenue d'eau l'hiver, ces mêmes départements manque d'eau en été … Consternant mais logique !

Pour réguler les crues il faut créer des bassins d'expansion et des retenues… les fameuses retenues que les DDT font détruire massivement sur toute la France (le projet est à 100 000 destructions d'ouvrage…) au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les inondations sont provoquées par des ruissellements sur des surfaces étanches ou saturées en eau, en captant les ruissellements le plus en amont possible des bassins versants :
on évite les inondations en aval et les pollutions de rivières dues au lessivages des sols,
on régule le débit des rivières (moins d'étiage), et
on favorise les infiltrations.

Une pluie même forte ne provoque pas d'inondations quand le ruissellement est géré le plus en amont possible des bassins versants ; c'est quand on ne régule pas que des inondations se produisent.

Depuis les années 2000 la situation hydrologique française ne fait que se dégrader : d'année en année, on cumule des restrictions d'eau de plus en plus longues, alors que la consommation d'eau (potable, agricole et industrie) ne représente que 2.5% des pluies !

2019 a été une année record : toute la France était en restriction d'eau ou en crise majeure d'approvisionnement.

La planète n'a pas perdu une goutte d'eau depuis sa création. On ne consomme pas l'eau, on l'utilise. Elle est recyclée à 100%.

Le problème n'est pas la quantité disponible mais la mauvaise gestion de l'eau : si on passe trois saisons consécutives sans rétention de l'eau de pluie, forcément, il y a inondation l'hiver et pénurie d'eau l'été.

La mauvaise gestion de l'eau par non respect des lois de son cycle
L'eau est un bien commun, la nature nous l'apporte à tous de la même façon : en surface et à domicile. Il faut appréhender correctement le rôle des surfaces d'exposition et cycle naturel de l'eau: précipitations et évaporation. Sur les continents, 70% des précipitations proviennent de l'évapotranspiration (de la végétation) et seulement 30% de l'évaporation en mer. Pas d'évaporation, pas de pluie. C'est pour cela qu'il ne pleut pas dans les déserts.

Les campagnes alimentent les nappes phréatiques alors que le béton des villes détourne massivement l'eau vers la mer via les rivières. Et, surtout, les eaux usées, une fois assainies sont également rejetées dans les rivières où elles regagnent la mer, donc sans être recyclées pour la végétation.

Nous sommes dans une situation de crise parce que l'on gère une quantité alors qu'on doit gérer un flux. La logique n'est pas du tout la même : pour avoir de l'eau, il faut entretenir le cycle à la « source » : précipitations et évaporation.

Les forets de feuillus utilisent 70% des pluies et en infiltrent seulement 30%. Comme on a défriché pour cultiver, on a coupé ce cycle l'été. En végétalisant un maximum de surfaces l'été, ce qui peut nécessiter d'irriguer, on va rétablir le cycle. A surface égale, une foret de feuillus évapore 2 à 3 fois plus d'eau qu'un simple plan d'eau ; d'où l'extrême importance de végétaliser toutes les surfaces (villes et campagnes) l'été. Les forets de conifères évaporent deux fois moins d'eau. Elles apportent deux fois moins de pluies et donc brûlent tous les étés.

Les ruissellements de surfaces provoquent des inondations, un manque d'infiltration et des pollutions. En les captant avec des réserves collinaires, on résout ces trois problèmes et on puise moins fortement dans les nappes l'été.

Les erreurs commises dans les zones urbanisées
Les grandes zones urbaines puisent l'eau dans des nappes phréatiques dont elles ont bloqué l'alimentation par l'artificialisation des sols. Elles rejettent les eaux usées, après retraitement (dans le meilleur des cas), dans les cours d'eau qui les emportent dans la mer au lieu de la ré-infiltrer ou de la recycler pour des usages non domestiques comme l'arrosage. En zones habitées, l'eau de pluie est captée pour être évacuée. Les nouvelles zones artificialisées sont aux normes, mais c'est très insuffisant.

Le code de l'environnement impose un traitement et une infiltration de tous les rejets (pluies et eaux usées pour les villes, les maisons individuelles, et l'industrie) pour ne pas perturber le cycle de rechargement des nappes phréatiques. Quand les infiltrations ne sont pas possibles, l'eau doit être recyclée pour des usages non domestiques comme l'arrosage (irrigation). Si le code était appliqué par les villes et l'industrie, les nappes ne s'épuiseraient pas.

Notre réseau de distribution d'eau potable date des années 1950. Auparavant, tout le monde faisait des réserves pour avoir de l'eau l'été. Et, si d'aventure, on manquait d'eau, on construisait des structure pouvant accueillir de nouvelles réserves … Question de bon sens!

On détruit les retenues au nom de la continuité écologique des cours d'eau. Les anciens construisaient des retenues pour avoir de l'eau et de l'énergie « propre ». On les détruit alors qu'on manque d'eau et qu'on voudrait sortir du nucléaire… Une retenue permet de réguler les crues, donc de limiter les inondations et d'améliorer les infiltrations.

Pourquoi toucher aux barrages tant qu'on n'a pas résolu nos problèmes d'eau et d'énergie ? Peut-être faudrait-il même en construire ! Si le débit de la Seine n'était pas régulé par quatre grands réservoirs (lac-réservoirs d'Amance-Aube, de Pannecière-Yonne, d'Orient-Seine et du Der-Marne), Paris serait inondée tous les hivers et en déficit tous les étés…! Les crues sont provoquées uniquement par les ruissellements et la seule façon de prévenir les crues, c'est de réguler le débit de la rivière le plus en amont possible du bassin versant avec des réserves collinaires.

Les erreurs commises dans les zones agricoles
Il faut changer de paradigme : la végétation ne consomme pas d'eau ; elle apporte des pluies. Le bilan hydrique des surfaces végétales est toujours positif. C'est pourquoi, l'eau agricole ne doit pas être intégrée à l'eau économique, parce qu'elle entretient le cycle. Couper l'irrigation c'est comme couper la pompe à eau des continents.

Dans les années 2000, on a finit par épuiser les nappes l'été. La répartition des prélèvements était la suivante : 46% agricole, 34% potable et 12% industrie. Il était facile d'accuser l'agriculture et de lui couper l'eau. Mais, ce qui aurait du rester une mesure provisoire s'est transformé en moyen de gestion de la ressource. Dès que les nappes baissent, on coupe l'irrigation sans jamais rechercher de compensation donc sans jamais résoudre le vrai problème : le détournement massif et illégal de l'eau douce par les villes non conformes au code de l'environnement.

D'après le calcul suivant : 34% + 12% = 46%, si l'eau potable et industrielle était recyclée dans les champs, on diviserait par deux les prélèvements dans les nappes phréatiques. Et, si on y ajoute l'eau qui ruisselle sur le béton des villes, on pourrait irriguer la totalité de la surface agricole utile de la région Nouvelle Aquitaine (781 000 hectares de béton qui détournent annuellement 5 milliards de m3 d'eau douce vers la mer au lieu de l'infiltrer, c'est 3 fois la consommation trois de toute la région en eau potable, à usage agricole et industriel).

Les coupures systématiques de l'irrigation, dès que les nappes baissent l'été ont ancré dans l'opinion publique, la croyance dans l'idée que l'irrigation est le problème; en occultant le fait que les villes rejettent 10 fois plus d'eau dans les rivières, et que les prélèvements agricoles représentent seulement 1% des précipitations annuelles.

Et, surtout, on oublie le fait, crucial, pour l'alimentation du cycle de l'eau que la végétation est notre pompe à eau.

Alors, effectivement, en coupant la pompe, on n'a plus de ponction dans les réserve, mais on n'a non plus de ré-alimentation de ses réserves … Si les agriculteurs avaient pu constituer des réserves l'hiver pour irriguer l'été, le détournement des villes serait passé inaperçu (hormis les problèmes de pollution). Mais comme l'irrigation a été désignée responsable des pénuries d'eau , les « écologistes » ont bloqué la construction de réserve (Sivens, Caussade, etc ..) et même poussé à la réduction de 10% par an des surfaces irriguées depuis 20 ans.

Bilan de l'opération : on s'enfonce d'année en année dans les problèmes, faute de comprendre qu'au lieu de réparer la fuite en ville on coupe la pompe dans les campagnes. Ceci a, de plus, de graves conséquences sur le climat, la biodiversité et notre sécurité alimentaire !

Les nappes phréatiques profondes sont alimentées par les nappes superficielles, elles mêmes alimentées par les pluies et c'est la végétation qui alimentent les pluies.

Le drainage de certaines surfaces agricoles ne pose pas de problème à condition que les fossés collecteurs soient raccordés à des bassins de rétentions pour utiliser l'eau l'été ou l'infiltrer dans les nappes. Les fossés ont été creusés pour capter les ruissellements et à ce titre ils ne doivent pas rejoindre les rivières ou de manière exceptionnelle.

Le cycle de l'eau comme régulateur du climat
On devrait remplacer le mot irrigation par « entretien du climat ». A surface égale, un champ irrigué l'été évapore autant d'eau qu'une foret de feuillus. Et, un champ irrigué ne pourra jamais utiliser plus d'eau l'été qu'il n'a reçu l'hiver.

Il faut savoir que la différence de température l'été entre un champ vert et un champ sec est de 20°C. Sur des millions d'hectares l'impact sur le climat est énorme. Depuis des années, la Nouvelle Aquitaine ressemble à un désert l'été pendant que les villes continuent à déverser de l'eau douce dans la mer (pour la métropole de Bordeaux, ça représente une moyenne annuelle de 1 millions de m3 par jour …de quoi irriguer 180 000 hectares).

Végétaliser et arroser l'été pour refroidir et hydrater est parfaitement normal; et, ne pas le faire pose problème. Pour cela, il faut anticiper le besoin en été et prévoir des réserves en conséquence l'hiver !

La moitié de l'énergie solaire est évacuée par l'évaporation de l'eau (entropie). Sans, la chaleur est stockée dans les sols et les canicules s'installent. Les villes commencent à comprendre qu'il faut végétaliser l'été; mais, en même temps, on laisse sécher des millions d'hectares de terres nourricières…

Le cycle de l'eau comme garant de la biodiversité et de la production alimentaire
La base de toutes les chaines alimentaires se trouve dans la biodiversité des sols. Les micro-organismes des sols sont indispensables à toute la vie sur la planète. Or, un sol sec, c'est un sol mort, c'est pourquoi il est indispensable de maintenir une couverture végétale vivante, sur les sols agricoles, l'été.

Ce principe est d'ailleurs imposé par la PAC, mais non respecté dans les pratiques, à cause d'une mauvaise gestion de l'eau. En laissant sécher les champs l'été, non seulement, on nuit gravement à notre sécurité alimentaire mais on coupe le cycle des pluies et les rivières sèchent.

Si les sols agricoles se minéralisent et se dégradent c'est par une exposition de plus en plus longue au soleil l'été. La température des sols peut monter à plus de 50°C ce qui est fatal aux micro-organismes. Ceci explique une grande partie de l'effondrement de la biodiversité; et, notamment des populations d'oiseaux qui sont insectivores. Dans le bocage de Gatine, il y a des haies, pas de labour et pas de pesticide; pourtant, la biodiversité disparait tous les étés sur des périodes de plus en plus longues. Même les éleveurs disparaissent !… Alors qu'il suffirait de pouvoir puiser dans les nappes phréatiques reconstituées par les infiltrations ou des réserves constitué par retenue des ruissellement de l'hiver. Il faut créer d'urgence les fameuses réserves collinaires évoquées par le Ministre de l'agriculture… Mais pas dans 10 ans, cet hiver !

On aura sauvé le climat et la biodiversité quand les campagnes seront vertes l'été. Nos saisons sont dictées par les forets de feuillus : les forets sont vertes l'été, il faut que nos champs le soient aussi !

Reprendre politiquement en considération le cycle de l'eau
On ne se soucie plus, au quotidien d'où vient l'eau et comment fonctionne le cycle de l'eau. On utilise l'eau, comme on consomme toutes sortes de ressources sans se soucier de leur renouvellement.

Le sujet du cycle de l'eau revient sur le tapi avec les perturbations qu'entrainent les erreurs commises dans sa gestion, comme nous venons de le voir. Le changement climatique accentue la gravité des conséquences de ces erreurs ; et, rend encore plus impératif la nécessité d'y remédier.

On ne peut pas dissocier climat, eau et biodiversité, tout est intimement lié. Pas d'eau pas de vie !

Pour trouver des leviers d'action, nous allons sortir de l'Hexagone et faire une excursion en Inde, dans la région du Rajastan, où la situation hydrique est précaire depuis bien plus longtemps qu'en France.

Lors de la colonisation par les Anglais, la gestion ancestrale, qui comprenait l'aménagement de bassins d'infiltration, a été abandonnée à la faveur de la création des réseaux de distribution d'eau et d'assainissement. Les Européens ont imposé leur technologie et leur insouciance à l'égard du cycle de l'eau.

Dans certaines régions, les nappes phréatiques sont devenues déficitaires, les cours d'eau se sont taris et les terres sont devenues progressivement arides… dans l'indifférence générale des technocrates et politiques en place. Jusqu'à ce que les populations locales, elles-mêmes, se retroussent les manches et remettent en place, avec les moyens du bord, les bassins de rétentions et d'infiltration que leurs ancêtres avaient prévus. Il a fallu un mouvement citoyen et solidaire pour rétablir en quelques années le cycle de l'eau (rechargement des nappes phréatiques superficielles et profondes, réalimentant les cours d'eau) qui a permis, à nouveau, de végétaliser les terres agricoles et rétablir leur production.

Cette gestion démocratique de la ressource en eau, c'est faite à l'insu du pouvoir en place, qui manifestement n'a ni la compétence pour animer un mouvement vraiment démocratique, ni la motivation même, car aucun prestige personnel, ni gain financier n'est à la clé.

Cette expérience est rapportée par Bénédicte Manier, journaliste dans son livre «Un million de révolutions tranquilles», paru en 2012 aux éditions Les Liens qui Libèrent. Cette expérience peut nous inspirer, si nous voulons nous agir pour la gestion des biens communs, dont l'eau, source de toute vie en est l'emblème.

Yves Robert et Denise, association Culture Nature 71

Illustrations : les béalières de l'Ardèche, source et droits Noz Infos. Le nom de ces systèmes d'irrigation traditionnelle vient du gaulois Bedul, qui a aussi donné le bief en langue d'oil. Ces petits canaux sillonnant les collines sont abreuvés par les eaux de pluie ou de rivière.

17/05/2020

Trois bilans à mener sur les bassins versants pour anticiper les crises de demain

Dans une lettre ouverte aux députés et sénateurs, la coordination nationale Eaux & rivières humaines demande une ré-orientation de la politique de l'eau dans le monde d'après la crise du covid-19. Il s'agit non seulement de stopper certaines mesures contre-productives et coûteuses, comme la destruction des patrimoines des rivières, mais aussi d'engager de manière systématique les diagnostics critiques faisant défaut aujourd'hui. Objectif: ré-orienter l'expertise publique et riveraine sur des enjeux stratégiques et des données permettant de prendre les bons choix. Trois bilans doivent être menés sur les bassins versants : hydrologie (ressource en eau, sécheresses et crues), carbone (prévention du changement climatique) et biodiversité (inventaire des milieux sauvages comme anthropisés, sans a priori). Ces bilans ne sont pas faits aujourd'hui, ou de manière très incomplète voire biaisée, ce qui conduit à une dispersion des moyens, parfois à de mauvais choix. Extraits.


Pour une vision de long terme sur les enjeux essentiels : 3 bilans stratégiques à mener sur chaque bassin versant

Sur le long terme, nous devons ré-arrimer la politique de l’eau aux défis majeurs et aux risques systémiques. Nous proposons de réaliser 3 bilans essentiels sur toutes les rivières pour faire les bons choix et préparer l’avenir, à travers les outils d’évaluation et programmation que sont les SDAGE et les SAGE.

1) Bilan hydrologique pour la protection durable de la ressource en eau. Chaque bassin versant doit avoir une estimation complète de sa ressource en eau utile de la source à l’exutoire, ainsi qu’une analyse critique des risques (sécheresse, crue). En particulier, le volume stocké dans les plans d’eau et canaux doit être calculé et leur rôle local de diffusion de l’eau dans les compartiments (nappe, sol, végétation) évalué. Cela n’est pas fait aujourd’hui : soit les estimations sont inexistantes, soit elles sont grossières et ne permettent de faire différentes hypothèses pour 2050 et 2100, ni de tenir compte des réalités de la circulation de l’eau. En particulier, aucun chantier ne peut être engagé s’il abaisse la capacité à retenir l’eau tout au long de l’année ou à ralentir les ondes de crue. Les préfets ne doivent plus autoriser les travaux de destructions d’ouvrages ou d’ouvertures contraintes de vannes qui accentuent le déficit hydrique.  Sur certaines rivières où quasiment tous les ouvrages ont été démolis au nom de la continuité écologique, il n’y a plus que des assecs en été et les crues sont plus violentes en hiver ou au printemps.
Objectif : la gestion quantitative et qualitative de l’eau doit augmenter la rétention d’eau pour affronter les sécheresses et la diversion d’eau pour atténuer les crues. 

2) Bilan carbone de toutes les programmations, règlementations et lois sur l’eau. 
Le Haut Conseil pour le climat a demandé que toutes les politiques publiques soient assorties d’un bilan carbone. Aujourd’hui, la loi sur l’eau (2006), les SDAGE et les SAGE ne comportent pas de tels bilans carbone. Cette carence nous prive d’une vue à long terme sur la prévention du réchauffement climatique. En particulier, les politiques publiques de continuité ont conduit à détruire des barrages hydro-électriques en activité, à décourager voire refuser les équipements des ouvrages existants, à effacer des sites à potentiel d’équipement, à dissuader les porteurs de projets d’investissement. Ces chantiers de démolition d’ouvrage ont un bilan carbone déplorable non seulement dans leur exécution, mais aussi dans leur effet à court et à long termes.
Objectif : la politique de l’eau doit exploiter le potentiel d’énergie bas-carbone et améliorer le bilan carbone.

3) Bilan biodiversité faune-flore de tous les milieux aquatiques avant intervention. 
De nombreux travaux scientifiques montrent le rôle important des écosystèmes créés par l’homme ayant favorisé la biodiversité aquatique : mares, étangs, retenues, lacs, canaux, biefs hébergent du vivant, non seulement en biodiversité ordinaire, mais parfois en conservation d’espèces protégées. Pas seulement les poissons, mais aussi les invertébrés, les amphibiens, les mammifères, les insectes, les oiseaux d’eau, les plantes aquatiques et rivulaires, etc. Or, notre programmation publique travaille encore sur des concepts définis lors de la seconde moitié du 20e siècle : certaines espèces sont ciblées en priorité voir en exclusivité, comme par exemple les poissons migrateurs, sans mesurer les impacts sur la biodiversité globale. La continuité appliquée sans recul peut aussi bien faire disparaître des biotopes installés depuis des siècles que faire circuler des espèces invasives. De nombreux chantiers asséchant des milieux aquatiques et humides sont aujourd’hui menés sans analyse préalable de la faune et de flore, ni aucune compensation. Il est impensable de prétendre préserver la biodiversité en ignorant sa réalité de terrain, en détruisant de manière irréversible des milieux en eau !
Objectif : la politique de l’eau ne doit détruire aucun écosystème aquatique et humide, qu’ils soient d’origine naturelle ou humaine.

11/05/2020

Hausse des pluies extrêmes en France et rôle des ouvrages hydrauliques

Ces derniers jours ont vu en France des épisodes de pluies extrêmes. L'analyse du répertoire Meteo France montre que ces phénomènes sont de plus en plus nombreux depuis 1980, occasionnant parfois des crues éclairs et des inondations destructrices en zone aval. La France possède un atout : des dizaines de milliers de petits ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages, plans d'eau) qui agissent chacun à leur mesure comme une retenue et une diversion de l'eau de crue. Chaque ouvrage est modeste, c'est l'effet cumulé qui compte davantage que l'effet isolé. Et divertir les crues de l'automne au printemps, c'est aussi stocker localement l'eau en nappes et en sols. Or, depuis plus de 10 ans, les gestionnaires de l'eau détruisent ces sites dans de nombreux bassins versants au nom de la continuité dite "écologique". Cette politique doit cesser : face à la hausse prévisible des événements extrêmes liés au changement climatique (tant les pluies intenses que les sécheresses), nous avons au contraire besoin de gérer l'eau de manière adaptative, de la retenir et divertir sur les bassins, avec des outils de gestion (vannes) qui permettent de moduler les débits et retenues au gré des besoins locaux du vivant et de la société. C'est un complément des solutions fondées sur la nature, à développer également. Le temps de l'insouciance est passé : une nouvelle culture de l'eau et de l'environnement doit émerger sur chaque bassin. 



La courbe ci-dessus montre l'évolution du nombre annuel d'épisodes de pluies extrêmes rapportés sur le site de Meteo-France, pour la période 1980-2018. La ligne pointillée est la tendance linéaire sur cette période de près de 40 ans.

La hausse de fréquence et intensité des épisodes extrêmes en pluviométrie est une prévision de la plupart des modèles du climat, en raison de l'intensification du cycle de l'eau (une atmosphère plus chaude contient plus d'humidité) et des phénomènes convectifs (orages, tempêtes, cyclones).

Ces pluies extrêmes provoquent parfois des crues éclairs qui tiennent au ruissellement de surface, et non à la saturation en eau des sols et des nappes (crues lentes). Le risque inondation est aggravé par plusieurs facteurs : artificialisation (bétonisation en ville ou tassement en zone agricole) des sols, occupation des zones à risque des lits majeurs d'inondation, incision et perte de connexions latérales permettant aux rivières d'épancher le surcroît d'eau.


Un facteur de prévention est aujourd'hui négligé par le gestionnaire de l'eau : l'existence des ouvrages hydrauliques (de type moulins, étangs). Au nom de la continuité en long, les gestionnaires de l'eau détruisent ces ouvrages depuis une dizaines d'années, en vue notamment de donner un écoulement plus rapide (lotique) à l'eau. Or, ces ouvrages agissent comme des retenues en lit mineur et comme des annexes latérales en lit majeur, contribuant à ralentir une onde de crue. Concrètement, lors des pluies extrêmes, l'eau remplit les retenues, les biefs et canaux, les zones humides annexes. Cette expansion favorise aussi l'infiltration dans les nappes et les sols sur une plus grande surface. Inversement, la suppression d'un ouvrage tend à inciser le lit et à accélérer l'écoulement, ce qui augmente la puissance de la crue vers l'aval.

Un exemple : notre association et ses consoeurs de Bourgogne et Champagne ont participé en 2019 à l'enquête publique du PAPI (plan action et prévention inondation) Seine Supérieure. Ce PAPI comprenait des assertions erronées sur les ouvrages hydrauliques et il n'envisageait aucune étude de leur rôle cumulé, alors que nous parlons des milliers de sites sur le réseau des rivières de têtes de bassin, dont l'effet cumulé est évident lorsqu'il y a un fort épisode pluvieux régional. Cette légèreté des gestionnaires est inacceptable. Toute étude de bassin versant en vue de limiter les risques crues et inondations doit intégrer le rôle de l'ensemble des ouvrages qui permettent de retenir et divertir l'eau. Et toute altération de ces ouvrages doit être associée à une compensation au moins équivalente.

Bien entendu, les ouvrages hydrauliques ne sont qu'une (petite) partie des solutions à mettre en œuvre. C'est toute une culture de l'eau et de l'environnement qui doit se développer sur les bassins versants, chez les propriétaires riverains, les usagers et les collectivités. Mais cette culture doit se développer sur de bonnes bases : la négation de la gestion hydraulique des rivières et bassins au profit des seules vertus de la nature "sauvage" est une erreur. La conservation de zones d'intérêt écologique, nécessaire, et la recréation de zones humides d'expansion latérale, utile, n'impliquent pas la destruction des aménagements humains. L'argent public de l'eau doit aller à l'essentiel et non à l'accessoire, voire au nuisible.


Exemple de recherche scientifique menée en Allemagne et montrant que la destruction des ouvrages incise les lits mineurs. Moins de débordements en lits majeurs et un flot contenu en lit mineur qui s'accélère vers l'aval. (Maaß et Schüttrumpf 2019)

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29/03/2020

Anticiper les cygnes noirs et les risques systémiques pour l'eau et l'énergie

La crise du covid-19 nous frappe de plein fouet. Pas seulement les malades et les morts, mais aussi le niveau d'impréparation de notre société et de notre Etat. Faute d'avoir anticipé la possibilité de cas extrêmes - cygnes noirs et risques systémiques -, nous n'avons pas dépensé là où c'était nécessaire pour notre résilience en cas de crise. Cela nous interpelle collectivement et nous oblige à repenser nos actions. L'eau et l'énergie sont deux biens fondamentaux pour la vie et la société : comme la santé, elles peuvent tout à fait connaître des chocs demain. Là aussi, l'après-crise va exiger un audit des politiques publiques pour que la France réduise ses fragilités et puisse affronter des hypothèses extrêmes, qui sont d'ores et déjà de l'ordre du possible. Nous ne pouvons plus nous permettre de disperser l'action publique et de dilapider l'argent public dans des questions qui ne sont pas prioritaires et qui n'ont pas une solide base scientifique, de ne plus hiérarchiser les risques, impacts et enjeux à traiter, comme si nous avions les moyens de tout payer et que nos erreurs ne prêtaient pas à conséquence. Nous ne pouvons pas nous permettre non plus d'avoir des citoyens coupés d'une vie publique réduite à une gestion technocratique, où chacun pense qu'il n'a rien à apporter à la réflexion collective et que des spécialistes s'occupent de tout à sa place. Cette mentalité et cette époque sont révolues: le nouveau corona-virus les a probablement emportées, elles aussi.



La crise du covid-19 ne frappe pas seulement les corps mais aussi les esprits. Elle laisse la France stupéfaite : notre système de santé manque de masques, de tests, de lits d'urgence, d'applications numériques. Pas juste des outils ultra-modernes, mais également des choses élémentaires et des routines d'organisation dont nous aurions dû être dotés.

La France étant le 3e pays au monde en terme de dépense publique de santé, et le premier en prélèvements obligatoires, ce n'est pas ou pas seulement un problème de moyens économiques : c'est aussi et surtout un problème d'organisation collective et de gestion publique.

Il ne s'agit pas ici de chercher des coupables, de se laisser submerger par la peur ou la colère, mais de réfléchir à ce qui a dysfonctionné. De l'admettre. Et de changer cet état de fait.

On pourrait se dire que la crise était imprévisible. Mais outre que c'est scientifiquement faux, puisque le phénomène des maladies émergentes est bien connu et décrit, c'est un mauvais raisonnement : il nous faut justement penser la possibilité de l'imprévu, et non pas faire comme si cet imprévu n'existait pas.

La pandémie à corona-virus pose la question du cygne noir et du risque systémique.

Le cygne noir, c'est le nom donné à un événement rare et imprévu, comme croiser un cygne noir alors que l'on a toujours croisé des cygnes blancs et que l'on s'est installé dans une routine intellectuelle. L'essayiste Nicolas Taleb, dans le sillage de la crise de 2007-2008, a écrit un essai à ce sujet (Taleb 2012). Il y montrait que nos esprits se trompent en raisonnant trop sur des moyennes et des habitudes, car des événements exceptionnels tenant au hasard ou à une conjonction très improbable de circonstances peuvent survenir, et réaliser l'impensable. On ne peut rien y faire en soi, mais on peut en revanche anticiper cette possibilité de l'imprévu, donc réfléchir à ce qui serait le plus résilient, les moins fragile, face à lui.

Le risque systémique, c'est le risque qui concerne non pas des cas isolés et locaux (par exemple des individus, des entreprises, des lieux donnés) mais un système entier qui, par effet domino ou réaction en chaîne, se trouve bouleversé, menacé d'effondrement ou au moins de ré-organisation brutale. Plus un risque est systémique, plus il doit mobiliser l'attention. Et inversement, car nous n'aurons jamais des moyens illimités, donc le discours selon lequel tous les risques petits ou grands peuvent être également traités est un discours trompeur et faussement rassurant. En réalité, à essayer d'en faire trop sur un peu tout, on refuse de hiérarchiser et de décider.

Notre association est concernée par deux politiques publiques : celle de l'eau et celle de l'énergie. Dans ces domaines, nous déplorons déjà un manque de lucidité des administrations françaises et des choix gouvernementaux, en partie aussi des institutions européennes. Nous voyons que des dépenses nombreuses sont engagées, mais dans le domaine de l'eau elles semblent avoir peu de cohérence, pas de priorité raisonnablement fondée entre ce qui est important et ce qui est superflu, parfois pas de justification solide. On définit certains paramètres locaux très précis sur des plans à quelques années, et on garde "le nez dans le guidon" pour atteindre ces paramètres, mais la vision d'ensemble est évanescente, et la pensée des dynamiques en cours souvent absente. Dans le domaine de l'énergie, si l'enjeu bas-carbone est identifié, il n'est pas pour autant mené avec rigueur et constance.

Eau et énergie sont d'abord des biens fondamentaux sans lesquels la vie sociale et économique n'est plus possible, et dont le manque conduit à des perturbations graves.

Dans le domaine de l'eau, les chercheurs préviennent de longue date que le changement climatique peut amener des cygnes noirs et des risques systémiques. En raison des perturbations des conditions connues du climat depuis 10 000 ans (Holocène), nous sommes entrés dans une zone inconnue, nous pouvons avoir des sécheresses ou des crues d'intensité extrême, des événements que nous ne connaissions pas dans le passé mais qui deviennent un peu plus probables. Au demeurant, même la lecture des archives historiques montre que des événements hydrologiques extrêmes sont possibles (comme la crue de Paris en 1910, pour la plus connue), mais ils ont été oubliés, car nous n'avons pas une mémoire à long terme des risques. Si de telles issues se réalisaient, elles auraient un potentiel immense de perturbation de la santé, de l'économie, du vivant. Cela semble plus important que certains détails qui occupent les gestionnaires de l'eau mais ne forment pas des risques systémiques, ni même parfois des sujets d'intérêt démontré.

Dans le domaine de l'énergie, la France est encore dépendante à près de 70% des énergies fossiles (fossile, gaz) qu'elle ne produit pas sur son sol et qui ne se trouvent pas pour l'essentiel en Union européenne. Si, pour diverses raisons, les marchés du pétrole ou du gaz sont brusquement contractés, ce sont là encore dans pans entiers de l'économie et de la société qui peuvent s'écrouler, faute de carburant au sens propre. Qui plus est, chaque retard sur la baisse du carbone implique une hausse tendancielle d'autres risques liés au désordres climatiques. Par ailleurs, 75% de notre électricité sont produits par l'énergie nucléaire: elle a certes l'avantage précieux d'être décarbonée, mais un précédent cygne noir japonais (Fukushima) a montré que le système énergétique d'un pays peut être durablement affaissé par un accident sur les systèmes fissiles tels qu'ils existent aujourd'hui dans le nucléaire.

Ce ne sont là que des exemples qui nous viennent à l'esprit, sans prétendre qu'ils sont les seuls : le rôle d'une analyse partagée entre les experts et les citoyens est de définir de tels enjeux, en se demandant ce qui est le plus important et quelle organisation répond le mieux à la possibilité d'une crise. Egalement en renouvelant sans cesse nos informations, car nous sommes des sociétés de la connaissance et du partage de la connaissance.

L'argent public est un bien rare. Sécuriser l'eau et l'énergie en France pour être capable d'affronter des situations extrêmes, cela représente des dépenses considérables et des dépenses à engager sur le long terme. Ce sont littéralement des milliards à dizaines de milliards d'euros par an qui seraient nécessaires rien que sur ces postes. Cela représente aussi un changement de mentalité, car les mesures prises par une autorité centrale ne sont pas efficaces si toute la population n'est pas éduquée, consciente des enjeux, responsabilisée et aussi consentante après un débat de fond menant à un compromis sur les diagnostics et les orientations. Nous ne pouvons plus nous permettre de dilapider les dépenses publiques dans des actions qui ne sont pas structurantes, de ne plus hiérarchiser les risques et impacts à traiter, de ne plus avoir de concertation approfondies entre les administrations, les élus et les citoyens, comme si nous avions les moyens de tout faire et de ne pas se poser de questions. Cette mentalité et cette époque sont révolues, le corona-virus les a probablement emportées, elles aussi.

Un autre enseignement de cette crise, c'est la nécessité de citoyens qui participent aux efforts parce qu'ils en comprennent et acceptent le sens. Ne pas compter sur un seul centre de décision vite submergé par tous les besoins, éventuellement contraint à des excès d'autorité, mais pouvoir compter sur de nombreux acteurs. Cela implique aussi d'avoir des territoires dynamiques, des pouvoirs locaux actifs, des corps intermédiaires écoutés, des habitudes démocratiques de partage des décisions, des recherches de compromis. Tout ne peut et ne doit pas être géré depuis des cercles fermés de l'Etat central, avec une population passive, même si l'Etat conserve bien sûr le droit et le devoir de poser des règles d'urgence. Quand survient la crise, on voit que chaque territoire doit être capable d'apporter des solutions et de contribuer à soulager les conséquences, d'avoir des moyens pour dialoguer avec les habitants et faire les choix les plus avisés, ce qui suppose des services publics locaux et des capacités autonomes.

Aujourd'hui, l'heure est à l'unité, la solidarité et la discipline pour sortir avec un moindre mal de l'épidémie qui nous frappe tous. Mais demain, nous devrons avoir des débats démocratiques approfondis sur tous nos choix publics, dont ceux de l'eau et de l'énergie. Nous ne voulons pas que des erreurs se paient au prix fort dans quelques années, ou pour la génération qui vient.

08/09/2019

Face aux sécheresses comme aux crues, conserver les ouvrages de nos rivières au lieu de les détruire

Depuis deux millénaires, les étangs et moulins se sont développés sur les rivières et bassins versants de France. Outre leur fonction piscicole et énergétique d'origine, ces ouvrages ont aussi créé sur tous les bassins des rétentions et des diversions d'eau, dont les fonctionnalités sont parfois proches de celles des zones humides naturelles. Ces dernières ont pour la plupart disparu par drainage et recalibrage, à partir du Moyen Âge, puis avec une forte accélération au XXe siècle. Pierre Potherat, ICTPE en retraite ayant longtemps travaillé sur l'hydro-géomorphologie des bassins versants, rappelle ces réalités dans le cas du Châtillonnais, au nord-ouest du plateau de Langres. Il déplore la politique de destruction des ouvrages de moulins et étangs au nom de la continuité dite "écologique", appelant les décideurs à changer clairement d'orientation. Extrait et lien de téléchargement de son rapport. 


Introduction :
"Les sécheresses estivales des quatre à cinq dernières années ont contraint les décideurs à envisager de changer leur fusil d’épaule en matière de gestion de l’eau de nos rivières. Une mission parlementaire réfléchit actuellement aux moyens les plus pertinents pour répondre aux attentes des personnes directement concernées sur le terrain.

Le présent document a été rédigé à la suite d’une réunion d’information et d’échanges, tenue à Montbard en juillet dernier en présence de trois parlementaires. Il a pour but d’apporter, en premier lieu, un éclairage sur les pratiques anciennes de gestion des cours d’eau, sur les pratiques des années d’après-guerre puis sur celles des vingt dernières années. En second lieu un diagnostic des difficultés rencontrées a été formulé accompagné de pistes d’amélioration.

Les cours d’eau du plateau de Langres ont été aménagés depuis près d’un millénaire pour tirer bénéfice d’une énergie hydraulique gratuite. Des retenues d’eau, des biefs servant à faire tourner moulins, scieries et autres installations ont été créées et ont fonctionné tout ce temps sans porter atteinte à l’environnement et à la qualité des ressources halieutiques. 


En outre, ces installations, en favorisant le maintien d’un niveau d’eau élevé dans la rivière et dans les alluvions, ont permis, d’une part, de stocker une importante quantité d’eau utile en période de sécheresse, aussi bien pour la sauvegarde des poissons que pour la préservation des milieux humides, d’autre part de faciliter le débordement de l’eau et son stockage dans la plaine inondable en cas de crue.

Les pratiques des années cinquante à soixante ont surtout été axées sur la lutte contre les inondations par l‘augmentation du gabarit des rivières et la suppression des méandres. Ces travaux ont contribué à abaisser de près d’un mètre le niveau de l’eau dans la rivière ainsi que dans la nappe alluviale avec pour effet indésirable l’assèchement estival des chenaux, des praires et de certains milieux humides.

Au début des années 2000, l’application volontariste de la directive européenne relative au bon étal écologique et chimique des masses d’eau, par suppression des seuils et vannages, a contribué à amplifier le phénomène d’asséchement des zones humides et a accru la vitesse du courant en période de crue sans apporter la moindre amélioration du peuplement piscicole.

Des pistes d’amélioration sont proposées en conclusions. Il est notamment proposé de rendre à la rivière son rôle dans le stockage de l’eau en cas de sécheresse ou d’inondation."

Téléchargez le document complet :
Potherat P (2019), La gestion de l’eau des rivières de plaines. Cas du versant NW du plateau de Langres, 15 p.

01/09/2019

Le gouvernement doit cesser de négliger le rôle des plans d'eau, biefs et zones humides

Le gouvernement réfléchit aujourd'hui aux réponses à apporter aux sécheresses futures. La création d'une soixantaine de retenues agricoles à fin d'irrigation a été annoncée. Mais avant de créer des retenues nouvelles, il conviendrait déjà de s'intéresser à celles qui existent. Et d'arrêter leur destruction. Les zones humides naturelles comme artificielles ont de l'intérêt pour l'adaptation au changement hydro-climatique. Dans la phase de préparation d'une expertise sur l'effet cumulé de ces retenues, l'Irstea et l'Onema (aujourd'hui OFB) avaient analysé le rôle des petites zones humides de type mares, lacs et étangs. Nous publions les extraits de ce chapitre, suivis de quelques commentaires sur les changements attendus dans les politiques de l'eau et des rivières. 



Extraits de l'expertise Irstea-Onema 2015

Les zones humides, mares et étangs : des modèles pour évaluer l’impact cumulé des retenues ?
"Il est reconnu depuis longtemps que les patrons spatiaux jouent un rôle important sur l’hydrologie, la physico-chimie et l’écologie des milieux lentiques. A contrario, il existe à l’heure actuelle peu d’éléments concernant les impacts cumulés des retenues. Dans la mesure où les milieux lentiques sont «des objets hydroécologiques» présentant des analogies avec les retenues, le paragraphe qui suit présente un bref point bibliographique sur le thème de l’effet cumulé des zones humides sur la qualité des eaux, pour faire ressortir les mécanismes et les métriques envisagées pour les décrire, et permettre d’alimenter la réflexion.

3.a Définitions et éléments d’analogie avec les réservoirs des retenues
La plupart des retenues de petite taille incluses dans cette expertise (d’une profondeur inférieure à 8 m pour fixer les idées) correspondent à des mares ou étangs d’origine anthropique. Même s’il n’y a pas de consensus universel sur la définition des mares et étangs (ponds) dans le monde scientifique, ils se définissent le plus souvent comme des étendues d’eau auxquelles il manque la zone aphotique (sans lumière) des lacs ou de petites étendues d’eau d’origine naturelle ou humaine, d’une superficie comprise entre 1m2 et quelques hectares, d’une profondeur comprise entre quelques centimètres et plusieurs mètres, avec une présence d’eau permanente ou temporaire. En France, ils sont estimés à un million de mares et étangs d’une surface de moins de 0.5 hectare.

Selon la convention de Ramsar, les zones humides sont définies comme «une portion du territoire, naturelle ou artificielle, caractérisée par la présence de l'eau». Cette définition inclut également les cours d’eau et les eaux souterraines.

En France, on appelle ces zones humides au sens large «milieux humides» et on définit la zone humide comme des «terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année» (Art. L.211-1 du Code de l’Environnement). Cette définition exclut les cours d’eau, mais inclut les mares, étangs, tourbières.

Les zones humides sont donc des écosystèmes se développant sur des sols saturés en eau pendant des périodes prolongées et présentant en conséquence une végétation spécifique et adaptée. Elles se caractérisent par une accumulation d’eau au moins périodique, une accumulation de matières organiques et des conditions réductrices plus ou moins intenses dont il résulte des propriétés biogéochimiques spécifiques (transformation de spéciations, couplage de flux, émission de GES, etc...). Les processus sous-jacents sont bien spécifiques et documentés, le plus célèbre étant la dénitrification.

Les zones humides sont alimentées en eau par la pluie, par des écoulements de surface, par l’affleurement de la nappe, par le cours d’eau voisin, ou par un mélange de ces sources. Certaines zones humides, dites ripariennes, sont en continuité avec la rivière ou une autre masse d’eau (fleuve, lac, mer) et des échanges latéraux s’y produisent : selon les périodes, déversement dans la masse d’eau ou alimentation par celle-ci. D’autres sont «endoréiques». Les zones humides constituent donc dans un bassin versant donné, un ensemble de milieux hydroécologiques, à fortes variabilité de rapports avec le réseau hydrographique (autant pour les entrées que pour les sorties). La variabilité s’exprime aussi pour leur géométrie (taille forme..) ou leur organisation dans le paysage. Elles sont parfois organisées en réseau, organisation spatiale hiérarchisée avec divers types de connexions... L’analogie de la typologie hydrologique des zones humides en tête de bassin, esquissée ci-dessus, avec celle des réservoirs peut être relevée.

3.b Rôle des zones humides, mares et étangs.
Ces éléments sont souvent présentés comme des régulateurs hydrologiques, des surfaces hydrologiques ayant un rôle «d’éponge» (on le dit ainsi, à tort ou à raison...), atténuant crues et étiages, et comme des zones tampons susceptibles d’atténuer les charges polluantes.

En ce qui concerne l’impact des zones humides sur le cycle des nutriments et la dynamique de certains polluants, de nombreuses études de cas individuels sont disponibles. Bien qu’une majorité d’études montrent le rôle de « filtre » vis-à-vis de la pollution des eaux et vis-à-vis des matières en suspension, les résultats sont dans le détail très variables, avec de grandes différences d’une zone humide à l’autre, dans les bilans (par exemple dénitrification), voire contradictoires (notamment pour P, qui est soit fixé soit libéré et ce même au sein du même bassin versant. Les facteurs observés de forçage des bilans et donc de l’impact sur la qualité des eaux sont : l’hydrologie (temps de résidence, mode de restitution), les modalités de circulation de l’eau au sein de la zone humide, qui déterminent l’intensité du contact eau–végétation et eau-sols, les «aménagements», les concentrations des flux entrants et leurs effets sur les stocks.

Les mêmes processus spécifiques de base existent dans les diverses zones humides d’un bassin, mais ils se développent avec une très forte variabilité d’intensité d’un milieu à un autre, selon les caractéristiques hydrologiques et la position dans le paysage. C’est cette variabilité plus ou moins hiérarchisée qui rend complexe l’évaluation des effets des zones humides sur les flux cumulés à l’échelle bassin versant. On retrouve là une nouvelle analogie avec la question des réservoirs. Comme pour les réservoirs la question des effets cumulatifs est largement ouverte posée, et peu documentée L’hypothèse d’effets non linéaires ou en cascade est évoquée.

Les mares et étangs, en particulier, sont des écosystèmes peu considérés par la DCE, mais qui abritent de nombreuses espèces patrimoniales sous protection de la Directive Habitats-Faune-Flore et ont une forte valeur écologique. A l’échelle du paysage, mares et étangs sont des habitats exceptionnels vis-à-vis de la biodiversité des eaux douces puisqu’ils contribuent autant que les fleuves ou les lacs au pool régional d’espèces74. Ils jouent un rôle essentiel, d’ailleurs reconnu par l’article 10 de la Directive Habitats, dans l’amélioration de la connectivité entre les habitats d’eau douce en tant que «biotopes-relais» ou «stepping-stone». L’importance de biotopes relais a été démontrée pour de nombreuses espèces dont certaines rares et protégées par la réglementation, comme la libellule Coenagrion mercuriale.

3.c «Patron paysager» et impact des zones humides sur les flux
Si on prend comme exemple l’effet des marais sur les transferts de phosphore, leur effet global, en tant que catégorie de «land cover» est un «effet puits». Cet effet est quantifié, dans le bassin du lac Champlain, à l’aide de modèles empiriques (régressions) reliant flux exportés dans des bassins versants et caractéristiques d’occupation des sols. L’effet semble cependant mieux corrélé pour les marais qui sont connectés aux ordres inférieurs du réseau hydrographique (en l’occurrence ordre 1 à 4 dans l’étude de Weller) que pour les ordres supérieurs. Le type et la position des marais, leur configuration spatiale, sont très souvent cités comme facteurs clés . Le même type de résultats est obtenu dans des sous bassins du lac Léman.

Certaines études prennent comme support la disparition progressive des marais dans un bassin et s’interrogent sur l’effet cumulé de celle-ci. L’étude de Johnston et al. (1990) met en évidence, dans ce contexte, un seuil d’impact hydrologique : pour les bassins ayant moins de 10% de surface de marais il existe une perturbation hydrologique lors des crues. Ces auteurs montrent également qu’il existe une forte corrélation entre la proximité d’un marécage et les paramètres de la qualité des eaux (baisse des NO3 en étiage, baisse de P total, des MES, de NH4 en crue) sur un vaste bassin du Minnesota.

Quelques résultats, notamment ceux relevés par Grimaldi et Dorioz (2014), montrent tout l’intérêt de lier patrons paysagers et effets des zones humides sur les flux hydrochimiques à l’échelle bassin versant.

Les travaux réalisés à l’INRA (UMR SAS Rennes) montrent que l’efficacité sur la réduction des flux de NO3 de zones humides ripariennes, dépend de critères morphologiques comme la concavité ou la convexité du bas de versant, sa pente, le type d’écoulement parallèle ou convergeant; elle dépend aussi de l’ordre des cours d’eau. La dénitrification se développe particulièrement aux frontières, aux interfaces entre le versant et la zone humide. Tout ceci révèle l’importance des formes, des positions dans le paysage des différents compartiments hydrologiques du bassin, des zones humides en particulier.

Autre exemple assez documenté, le pouvoir tampon de zones humides vis-à-vis des transferts de subsurface de phosphore varie avec leur forme, leur taille, leur localisation. Leur effet cumulé à l’échelle du bassin versant dépend alors de caractéristiques globales, telles que la «continuité» des marécages ripariens ou la « sinuosité » du cours d’eau.

Les mares et étangs en particulier jouent également un rôle de puits de carbone, important dans le contexte des changements climatiques. Une étude récente a démontré que les mares et étangs pourraient absorber autant de carbone que les océans à l’échelle mondiale. Leur étude aux Etats-Unis a montré que les étangs et lacs artificiels absorbent plus rapidement le carbone que prévu, jusqu’à 20-50 fois plus rapidement que les arbres. De plus, les mares et étangs absorbent plus rapidement le carbone que les plus grands lacs.

Plusieurs auteurs cités précédemment plébiscitent et de longue date, l’approche paysage (landscape approach) ou la «perspective paysage» comme cadre organisateur de l’étude des effets cumulés. Dans cet objectif les outils de spatialisation type SIG ouvrent des perspectives intéressantes.

3.d Liens entre les populations locales
Ecologiquement, chaque population locale n’est pas totalement déconnectée des populations spatialement proches. Les populations locales sont liées par la dispersion de différentes espèces potentiellement en interaction. La composition des espèces dans un site donné est liée aux interactions entre les conditions biotiques et abiotiques locales et les effets régionaux de la dispersion. Cette théorie a été appliquée dans l’écologie des cours d’eau comme des petits plans d’eau et pourrait permettre de définir un cadre conceptuel des impacts cumulés des retenues. La localisation et le type de retenue a donc vraisemblablement un fort effet sur les communautés. Prendre en compte les paysages et leur biodiversité associée à différentes échelles spatiales pourrait permettre de mieux comprendre les dynamiques et les patterns de population et ainsi l’impact cumulé des retenues."


Nos attentes
Il existe aujourd'hui des dizaines de milliers de retenues en lit mineur, certaines formées d'un simple réservoir plus ou moins grand, profond et complexe (étang, plan d'eau, lac), d'autres produisant des chenaux de dérivation de diverses longueurs (biefs de moulins, canaux d'usines hydro-électriques, canaux d'irrigation gravitaire). Il existe un nombre inconnu d'autres retenues qui ne sont pas construites sur le lit mineur, mais en dérivation de celui-ci, ou encore en contrebas de biefs, en exutoire de fossés, en fond de prairie et de vallée (mares agricoles et d'agrément, étangs d'eaux closes).

Bien que "non naturels", ces milieux partagent certaines fonctionnalités avec des zones humides d'origine non humaine, diversement selon les cas : ralentissement d'écoulement, sédimentation, échanges carbone, azote, phosphore, milieux d'accueil de divers assemblages biologiques, expansion des surfaces d'échange eau-sol-nappe lors des saisons pluvieuses, etc.

A l'heure où se pose la question de l'adaptation au changement climatique, en particulier la gestion des crues et des sécheresses, il est incompréhensible que cette réalité hydrologique massive, présente dans tous nos territoires, soit ignorée des plans de gestion nationaux et par bassins versants. On connaît l'origine de ce retard, ou du moins l'une de ses causes majeures depuis 10 ans: la politique de continuité écologique a été développée en France sous l'angle d'une "renaturation" visant à détruire les aménagements humains, en particulier les retenues et canaux sur lit mineur. Pour justifier cette politique, l'administration en charge de l'eau et de la biodiversité a eu besoin de mettre en avant les seuls défauts de ces ouvrages et de leurs milieux, sans rappeler ni même étudier leurs possibles effets bénéfiques.

Nous souhaitons que dans le cadre de la "politique apaisée de continuité", l'administration engage l'analyse hydrologique, biologique et chimique des bassins versants sans faire l'impasse sur les zones humides, plans d'eau et canaux d'origine humaine. Nous souhaitons également qu'à budget limité, on se penche désormais davantage sur les options de continuité latérale et de recréation de zones humides dans les lits majeurs, ce choix étant associé à des gains de biodiversité et à des recharges en eau des sols comme des nappes.

Source : Irstea-Onema (2015), Rapport préliminaire en vue de l’expertise collective sur l’impact cumulé des retenues, 125 p.

Illustrations : bief d'un moulin ancien du Morvan et ses débordements en saison pluvieuse. De tels milieux, créés par dérivation d'une fraction de l'eau de la rivière, ont des fonctionnalités similaires aux zones humides naturelles et forment des habitats intéressants. Leur effet sur l'hydrologie n'est généralement pas étudié. Cette ignorance doit cesser à l'heure où tous les territoires s'interrogent sur l'avenir de l'eau et de la biodiversité.

23/07/2019

Les solutions fondées sur la nature ont de l'avenir, mais ne seront pas la négation des solutions héritées de l'histoire

On parle de plus en plus des "solutions fondées sur la nature" dans le domaine de la gestion de l'eau. Il s'agit par exemple d'ouvrir des lits majeurs d'inondation pour prévenir les crues ou de restaurer des zones humides pour stocker l'eau. Nous soutenons ces initiatives, qui actent des limites de l'artificialisation excessive des bassins versants au 20e siècle. Mais avec plusieurs réserves de précaution. D'abord, il s'agit d'expérimentation : toute "solution" promue sur argent public doit répondre devant les citoyens de ses résultats et de ses coûts, la "nature" n'étant pas ici un argument suffisant si le service attendu pour la société n'est pas aussi au rendez-vous. Ensuite, la puissance publique française ayant tendance à convertir les approches empiriques en doctrine rigide, on se gardera de toute généralisation avant les retours d'expériences menés avec rigueur et transparence, dans une expertise ouverte aux observations citoyennes. Enfin, certains adeptes des solutions fondées sur la nature se montrent parfois des partisans aveugles de la destruction des solutions fondées sur l'histoire qui ont largement fait leur preuve, en particulier les retenues et diversions d'eau attachées aux ouvrages hydrauliques en place. Face aux risques de crue comme de sécheresse, nous n'avons surtout pas besoin de détruire les héritages du passé qui restent utiles et permettent des gestions de l'eau sur les bassins versants. Par ailleurs, la création de retenues peut aussi rester nécessaire sur certains territoires. Ici comme ailleurs, l'écologie devra être pragmatique, intelligente et inclusive. 


Crue en lit majeur de l'Armançon au niveau de Senailly (21)

Les solutions fondées sur la nature désignent la capacité à utiliser l'environnement naturel et ses écosystèmes pour offrir des services de gestion des risques et de production d'agrément. Les exemples en sont nombreux, comme favoriser la végétation en ville afin de rafraîchir l'atmosphère, créer des dunes pour contenir l'avancée de la mer sur le littoral, planter des forêts pour stocker le carbone en excès ou encore recréer des haies pour éviter l'érosion des sols agricoles.

Dans le domaine de l'eau, plusieurs de ces solutions fondées sur la nature sont promues, par exemple restaurer des zones humides qui servent à stocker et épurer l'eau, outre leur valeur de biodiversité ; permettre des inondations du lit majeur des rivières afin de dissiper des crues et de limiter leur effet à l'aval ; planter des ripisylves pour atténuer l'effet du réchauffement sur la température de l'eau ; végétaliser les bassins versants pour réduire le ruissellement superficiel et l'érosion, etc. (voir Rey et al 2018 ; voir les deux rapports parlementaires en référence en bas de l'article).

Ce concept de solutions fondées sur la nature n'est pas directement scientifique pour le moment. Il a émergé du monde des ONG, sous l’impulsion de l’UICN, lors de la conférence des parties de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements cli­matiques qui s'était tenue en 2009, à Copenhague (voir UICN 2018). L'Union européenne a lancé plusieurs programmes (BiodivERsA 2014, ThinkNature 2018 dans le cadre de la programmation scientifique de l'Union Horizon 2020) pour travailler sur ces solutions fondées la nature, évaluer leurs domaines, leur faisabilité et leur efficacité.

Les solutions fondées sur la nature ont eu rapidement du succès au ministère de l'écologie et dans les organismes administratifs qui en dépendent, comme l'office français de la biodiversité (exemple AFB 2017) ou les agences de l'eau (exemple AERMC 2018). Le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (2018) et le nouveau Plan biodiversité (2018) promeuvent l’utilisation de ces solutions.

C'est à ce point que nous exprimons quelques inquiétudes : l'expérience des dernières décennies montre que le fonctionnement excessivement bureaucratique et centralisé de la France peut facilement conduire à des déboires. Ce qui fut vrai à l'époque des 30 glorieuses dans le sens d'une artificialisation outrancière (soutenue alors par les pouvoirs publics au nom de "la science") pourrait très bien devenir vrai demain sous la forme d'une naturalisation outrancière (toujours soutenue au nom de "la science"). Cette crainte n'est pas théorique : nous en avons de bien tristes exemples depuis quelques années dans la politique aberrante de destructions des moulins et étangs d'Ancien Régime au nom d'une soi-disant modernité écologique. De telles pratiques autoritaires, sous-informées et conflictuelles n'ont pas d'avenir et doivent plutôt servir de contre-exemples sur ce qu'il ne faut pas faire.

On prendra garde ici à un certain "scientisme" écologique qui, ignorant les vertus de l'empirisme et l'examen des solutions concrètes déjà déployées dans le passé, prétendrait ré-inventer l'aménagement du territoire sans esprit critique et sans garde-fou sur la qualité de ses réalisations. Nous devons certes innover, et il est certain que la politique brutale de "correction" des  aléas de la nature au fil du dernier siècle a entraîné des détériorations d'écosystèmes, parfois des effets pervers multipliant les coûts de gestion et les externalités négatives. Les milieux ont besoin d'être protégés, respectés, parfois restaurés. En sens inverse, gardons-nous de l'amnésie ou de la naïveté car la nature laissée à elle-même produisait parfois des désagréments, et ne suffit pas à elle seule à satisfaire les attentes de la société. A cela s'ajoute que les experts eux-mêmes, quand on prend le temps de lire attentivement leurs travaux, admettent la grande incertitude des connaissances (voir le travail Inra-Irstea 2016 sur l'effet des retenues, par exemple) et donc l'inanité qu'il y aurait à propager des propos définitifs sur les avantages ou les inconvénients de chaque option. L'humilité et l'honnêteté intellectuelles sont de mise pour construire les politiques publiques, le premier enseignement de la science étant la complexité du réel et la difficulté à anticiper les conséquences à long terme de nos actions.

Les solutions fondées sur la nature visent avant tout à être des "solutions". A ce titre, elles doivent donner lieu à des expérimentations suivies d'évaluations.

L'évaluation du rapport coût-efficacité : les solutions fondées sur la nature occupent un certain espace et demandent des chantiers d'aménagement, parfois de suivi dans le temps et de ré-intervention pour corriger des erreurs ou des dégradations de fonctionnalité. Cela a des coûts qu'il convient d'estimer et de mettre en regard de leur efficacité à atteindre l'objectif assigné. Par exemple, il s'agira de définir le volume d'eau réellement retenu par une zone humide lors d'une crue (toute personne vivant au bord de la rivière constate que dans les périodes de crues par accumulation, les sols sont vite gorgés d'eau, donc la capacité de rétention des lits majeurs est saturé, ce qui demande évaluation précise en gestion des risques).

Le respect de la concertation sociale : la simple invocation de la nature ne suffit nullement à créer du consensus, car les solutions fondées sur elle ont aussi des coûts, des contraintes, des impacts sur les riverains. Il peut être difficile de faire accepter des inondations de terrains, même si elles ne sont pas permanentes comme dans le cas d'un barrage (voir par exemple le suivi instructif de chantier relaté et analysé dans Riegel 2018).

Le pragmatisme sans dogme : on observe avec perplexité que certains défenseurs des solutions fondées sur la nature peuvent aussi se faire les idéologues du refus de toute autre solution (par exemple France Nature Environnement). Or, au regard des prévisions de changement climatique, notamment dans le Sud et l'Est de la France déjà soumis au stress hydrique chronique, les stratégies d'adaptation doivent rester ouvertes et ne pas sacrifier des territoires au nom de positions intransigeantes. Une écologie trop dogmatique produit des résistances évitables et nourrit finalement des retards sur des solutions consensuelles et faciles à implanter.

La conservation des (bonnes) solutions fondées sur l'histoire : les solutions fondées sur la nature sont des pistes prometteuses qui méritent l'exploration et l'expérimentation. Mais elles ne doivent pas conduire à la négation des solutions héritées de l'histoire qui ont déjà fait amplement leur preuve en matière de prévention des inondations et de gestion des sécheresses. C'est notamment le cas de tous les ouvrages de retenues présents en France, que l'on se gardera de détruire alors que le changement hydroclimatique ouvre une période d'incertitude forte sur l'avenir de l'eau, avec nécessité de préserver les outils de gestion adaptative des rivières et des bassins versants (voir Beatty et al 2017, Clifford et Hefferman 2018Tonkin et al 2019). Il est de ce point de vue navrant de lire que certains valorisent des fonctionnalités des zones humides naturelles (retenir plus longtemps l'eau, charger des nappes, écrêter des crues, épurer des intrants) tout en dévalorisant par pur dogmatisme des fonctionnalités parfaitement identiques dans des hydrosystèmes artificiels créés par nos ancêtres.

Prétendre tout casser ici et tout reconstruire ailleurs, ce serait encore une politique de l'hubris qui oublie le besoin de sobriété et d'économie des moyens propre à la transition écologique.

A lire aussi 2 rapports parlementaires récents
Rapport d'information sur la ressource en eau, Adrien Morenas et Loïc Prud’homme
Terres d'eau terres d'avenir. Sur les zones humides, Frédérique Tuffnell et Jérôme Bignon


Sur la rivière Armançon, le barrage de Pont-et-Massène a une capacité de stockage de 6 millions de m3 d'eau, permettant de gérer les crues et les étiages.