24/11/2020

Non, la science ne dit pas qu'il faut détruire les ouvrages des rivières

Alors qu'elle ne respecte ni ses engagements sur le réchauffement climatique ni ceux sur les pollutions, la technocratie française de l'eau prétend depuis 10 ans que la destruction des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques anciens serait une nécessité urgente dictée par la science. C'est un mensonge. Pour justifier ses choix, cette technocratie ne sélectionne qu'une petite partie des recherches, elle mélange sans vergogne la science et l'opinion, elle use d'un argument d'autorité n'ayant pas lieu d'être. Explications.


Depuis 10 ans, le France a engagé la politique la plus ambitieuse en Europe et dans le monde dans le domaine de la continuité écologique des rivières. En particulier la continuité en long, celle qui entend supprimer tout obstacle à la circulation de poissons ou au transit de sédiments. Il s'agit pour cette politique de favoriser la destruction du maximum de chaussées et de barrages, entraînant la disparition des paysages et habitats qui en résultent (plans d'eau, canaux), ainsi que des patrimoines et des usages attachés aux ouvrages. 

Face aux refus que soulève cette politique un peu partout, l'un des arguments les plus souvent entendus pour la justifier s'énonce ainsi: la science affirme que la disparition des ouvrages est une bonne chose.

Cet argument est faux, et il est manipulateur de trois manières. 

D'abord, la science ne parle pas des "bonnes" choses et des "mauvaises" choses, ce qui relève de l'opinion. La science se contente d'établir des faits, d'en chercher les causes et d'en viser des prédictions, elle ne se prononce pas sur le monde idéal. C'est aux citoyens et à leurs élus, une fois correctement informés des données de la science — et de toutes les données —, de décider ce qu'ils veulent pour la société et son environnement.

Ensuite, la science supposément favorable à la destruction des ouvrages a été réduite à l'écologie, en particulier l'écologie de conservation. Or la science ne se résume pas à l'écologie : les ouvrages hydrauliques peuvent être analysés au plan de l'hydrologie, de la limnologie, de l'histoire, de la géographie, de la sociologie, de l'anthropologie, de l'économie, du droit... il y a une véritable usurpation de "la science" si on la résume à une seule discipline. 

Enfin, même au sein de l'écologie formant la justification principale de cette politique, on a réduit l'approche scientifique à celle de chercheurs usant d'un paradigme particulier: seule une nature indemne de toute influence humaine représenterait la nature "de référence", la nature "normale". Or, tous les écologues scientifiques ne sont pas d'accord avec cette approche, certains admettent désormais que la biodiversité évolue, que les nouveaux écosystèmes créés par les humains ont des intérêts et peuvent être conservés.

La Coordination nationale eaux & rivières humaines a publié un recueil de 100 recherches scientifiques menées en France et Europe, toutes parues voici moins de 10 ans, montrant que le discours officiel d'Etat (et de divers lobbies) sur la continuité écologique représente en réalité une sélection arbitraire de certaines conclusions et de certaines approches de la recherche.

Entendons-nous bien : il ne s'agit évidemment pas de prétendre que des ouvrages hydrauliques ne transforment pas les milieux au plan physique, chimique ou biologique. C'est une évidence, beaucoup de recherches l'ont montré. Mais toutes ces transformations ne sont pas négatives, toutes ne sont pas jugées mauvaises par la société et toutes doivent être comparées à d'autres pour en comprendre la portée exacte, avant de prétendre que cela a la moindre gravité, ou même que c'est un problème. Notre pays n'étant par exemple pas capable de mesurer en routine les centaines de polluants circulant dans ses eaux, on peut douter que cet exercice de comparaison et hiérarchisation soit fait avec une grande robustesse. 

Ne confondons plus la science avec les alibis opportunistes de la technocratie. Cela nourrit la disqualification de la parole publique, mais aussi plus gravement le discrédit de la parole scientifique dont on ne sait plus trop si elle représente une recherche neutre de connaissances ou une idéologie au service du pouvoir politique.

A lire

22/11/2020

Le syndicat de la Sarthe SM SEAU déploie le bourrage de crâne pour justifier la casse des ouvrages en rivière

Souhaiter une continuité écologique "apaisée" mais persister dans la diabolisation des ouvrages, la diffusion d'informations incomplètes et trompeuses à leur sujet, l'appel à leur disparition? Cela ne marchera pas. Nous avons besoin d'un nouveau discours public de l'eau et de la rivière, pas de communication superficielle et mensongère. Ainsi dans l'actualité, un syndicat essaie d'obtenir du préfet une déclaration d'intérêt général (DIG) pour des travaux sur le Rhonne, l’Orne Champenoise, la Vézanne et le Fessard, pour un total de 2,98 millions d'euros d'argent public. Le volet sur les ouvrages hydrauliques et la continuité en long est un copier-coller paresseux des dogmes contre les retenues, canaux et plans d'eau, sans aucune prise en compte des évolutions des connaissances scientifiques ni des débats entre les experts de ces questions, sans aucune donnée de terrain analysant ces milieux avant de définir des choix. Nous ne pourrons pas parvenir à un apaisement sur cette question si l'administration valide des dogmes sans consistance menant à dilapider l'argent public de l'écologie dans des travaux sans lien à l'intérêt général et sans ciblage sur les premiers facteurs qui dégradent l'état des cours d'eau et plans d'eau. Les riverains et leurs associations doivent donc refuser ces DIG en enquête publique et aller en justice, car avec le décret scélérat du 30 juin 2020, il n'est plus possible ensuite d'exiger des études d'impact sur chaque casse de moulin, étang ou plan d'eau entraînant la destruction des milieux, fonctions, usages et potentiels liés à ces ouvrages. 


Le Syndicat mixte Sarthe Est Aval Unifié (SM SEAU) organiser une enquête publique pour un projet de travaux de restauration des milieux aquatiques sur les bassins versants du Rhonne, de l’Orne Champenoise, de la Vézanne et du Fessard.

Le syndicat veut obtenir une déclaration d'intérêt général (DIG) et une autorisation environnementale unique. Depuis le décret scélérat du 30 juin 2020, ce moment de la procédure est le seul où les citoyens peuvent s'exprimer. Si le préfet valide la DIG et l'autorisation environnementale dans un arrêté, alors le syndicat et ses exécutants pourront détruire à volonté des ouvrages et des milieux sans avoir à faire d'étude d'impact local ni à soumettre le projet aux citoyens concernés dans le cadre d'une procédure transparente.

Le syndicat mixte SM SEAU propose de donner la prime à l'effacement des ouvrages hydrauliques. 

Il  justifie ses mesures par des propos très généraux et très manipulateurs, dont voici l'exposé :
"Le diagnostic réalisé sur le territoire a mis en avant la présence de plusieurs ouvrages ou plans d’eau impactant la continuité écologique et plus généralement la qualité habitationnelle de la rivière.
Note : La régularité administrative n’est pas avérée pour chacun de ces ouvrages ou plans d’eau, des recherches seront effectuées afin d’identifier ceux qui seraient illégaux.
La présence d’ouvrages hydrauliques et de plans d’eau implantés en travers ou en dérivation du cours d’eau présente de nombreux impacts négatifs. Ces impacts sont proportionnels à l’envergure de l’ouvrage et du plan d’eau (hauteur de chute, surface du miroir d’eau...) et aux caractéristiques du cours d’eau.
En effet, ils peuvent être à l’origine :
− d’une aggravation du phénomène d’eutrophisation et d’une altération de la qualité de l’eau sur les portions aval du cours d’eau (augmentation de la température et de la matière organique, diminution de l’oxygène dissous) ;
− d’un effet d’obstacle pour les poissons en migration et de morcellement des populations ;
− d’un piégeage dans la retenue des sédiments grossiers (sables, graviers, blocs) et des limons (envasement progressif) et donc d’un déséquilibre hydro- sédimentaire à l’échelle de la rivière, avec une accentuation des phénomènes d’érosion plus en aval ;
− d’une homogénéisation des milieux aquatiques avec une modification des peuplements piscicoles et des macro-invertébrés (espèces polluo-résistantes) et une disparition des zones de fraie et de développement des juvéniles pour certaines espèces sensibles à la qualité du substrat (truites, vairons, chabots...) ;
− d’une augmentation des inondations à l’amont et des étiages à l’aval. 
Ces ouvrages et plans d’eau vont à l’encontre du bon état écologique des cours d’eau."
Cette justification reprend tous les dogmes de la continuité écologique et représente un bourrage de crâne. La coordination nationale Eaux & rivières humaines a publié un dossier de 100 recherches scientifiques récentes, en France et en Europe, dont beaucoup concernent des ouvrages et plans d'eau. Il ressort de ces travaux de recherche que 
  • Les milieux créés par les ouvrages hébergent de la biodiversité.
  • La biodiversité des bassins versants évolue depuis des millénaires sous influence humaine, dans le cadre d’une « socio-nature », rendant illusoire la définition administrative d’un « état de référence ».
  • Les ouvrages anciens et de petites dimensions ont souvent des impacts faibles à nuls sur le transit des sédiments ou la circulation des poissons grands migrateurs.
  • Les ouvrages, en particulier les chaines d’ouvrages de type moulins et étangs, assurent une retenue d’eau sur les bassins (surface, nappe), leur disparition altérant ce service environnemental.
  • Les pollutions et les usages des sols du bassin versant ont des effets beaucoup plus marqués sur la dégradation de l’eau que la morphologie du lit.
  • Au sein de la morphologie, les densités de barrages ont des effets faibles à nuls sur la qualité de l’eau et des milieux, voire un certain nombre d’effets positifs mesurés dans divers travaux (dépollution et hausse de biodiversité bêta du bassin en particulier).
  • La restauration écologique, et en particulier morphologique, des rivières est confrontée à des résultats incertains, parfois des échecs.
  • Les effacements d’ouvrages hydrauliques ont parfois des effets négatifs avérés : incision des lits, pertes de milieux (zones humides, ripisylves), pollutions, disparition d’aménités culturelles.
  • Les politiques de rivières sont en déficit de reconnaissance des aspirations des citoyens et des dimensions multiples de l’eau, avec certaines expertises qui ont des biais manifestes mais sont mises en avant sans débat par les gestionnaires.
  • Les résultats en écologie aquatique sont contextes-dépendants (contingents) et cela interdit de faire des prescriptions généralistes sur les ouvrages et leurs milieux, le cas par cas (vue intégrée par site, par rivière, par bassin) étant une absolue nécessité pour ne pas engager des résultats négatifs.
L'association Hydrauxois a donc donné un avis négatif à cette enquête publique. Elle se réserve l'opportunité de requérir en justice avec d'autres plaignants l'annulation d'un arrêté préfectoral qui validerait la présentation mensongère des enjeux de l'eau aux citoyens. Nous appelons toutes les associations de défense des riverains, des rivières et des ouvrages à participer systématiquement aux enquêtes publiques de DIG des syndicats et, si besoin, à ester en justice pour obtenir l'annulation de l'arrête préfectoral qui en découle.

Le gouvernement prétend qu'il va développer la "continuité écologique apaisée". Mais depuis 20 ans, les administrations et les experts de ce gouvernement développent un discours faux et militant de diabolisation systématique des ouvrages hydrauliques, discours que l'on trouve répliqué paresseusement par les syndicats de rivière et les bureaux d'études à qui ces syndicats sous-traitent la justification de leurs travaux.

Nous ne connaîtrons aucun apaisement sur la question des ouvrages hydrauliques tant que l'idéologie de la préférence systématique à la destruction des moulins, forges, étangs, canaux, plans d'eau et zones humides d'origine humaine sera à l'oeuvre dans les choix publics, nationaux comme locaux. 

21/11/2020

Le déclin de la faune sauvage est mal estimé par les indices globaux, qui cachent de fortes disparités (Leung et al 2020)

L'indice Planète vivante (Société zoologique de Londres ZSL, WWF) conclut que le monde a perdu 68% des vertébrés entre 1970 et 2016. Le chiffre est massif, alarmant. Mais le ré-examen des données par des chercheurs montre que 1% des vertébrés ont un déclin extrême, 0,4% une hausse extrême, et les 98,6% restants ne montreraient pas de tendance significative à la hausse ou à la baisse. En revanche, l'analyse plus fine des données par clusters cohérents suggère que des régions (comme l'indo-pacifique) et des règnes (reptile, amphibien) ont des stress plus importants. Les chercheurs appellent à des indices plus qualitatifs pour orienter nos choix en protection de la biodiversité et les rendre plus efficaces.

Dans la revue Nature, Brian Leung et quatre collègues suggèrent que le déclin catastrophique des populations mondiales de vertébrés est mal interprété et surestimé en raison des méthodes statistiques utilisées pour agréger les données.

Voici le résumé de leur recherche :

"Des analyses récentes ont signalé des déclins mondiaux catastrophiques des populations de vertébrés. Cependant, la distillation de nombreuses tendances en un indice moyen global masque la variation qui peut éclairer les mesures de conservation et peut être sensible aux décisions analytiques. 

Par exemple, des analyses antérieures ont estimé un déclin moyen des vertébrés de plus de 50% depuis 1970 (Living Planet Index). Ici, nous montrons cependant que cette estimation est déterminée par moins de 3% des populations de vertébrés; si l'on exclut ces populations extrêmement en déclin, la tendance mondiale passe à une augmentation. 

La sensibilité des tendances moyennes mondiales aux valeurs aberrantes suggère que des indices plus informatifs sont nécessaires. Nous proposons une approche alternative, qui identifie les grappes de déclin (ou d'augmentation) extrême qui diffèrent statistiquement de la majorité des tendances démographiques. Nous montrons que, parmi les systèmes taxonomiques-géographiques de l'Indice Planète Vivante, 16 systèmes contiennent des grappes de déclin extrême (comprenant environ 1% des populations; ces déclins extrêmes se produisent de manière disproportionnée chez les animaux plus grands) et 7 contiennent des augmentations extrêmes (environ 0,4% des populations). Les 98,6% restants de la population dans tous les systèmes n'ont montré aucune tendance mondiale moyenne. Cependant, analysés séparément, trois systèmes déclinaient fortement avec une certitude élevée (tous dans la région indo-pacifique) et sept étaient en déclin fortement mais avec moins de certitude (principalement des groupes de reptiles et d'amphibiens). 

La prise en compte des grappes extrêmes modifie fondamentalement l'interprétation des tendances mondiales des vertébrés et devrait être utilisée pour aider à hiérarchiser les efforts de conservation."

Cette carte montre par exemple les tendances des vertébrés d'eau douce dans le monde. 

Les astérisques rouges et bleus indiquent l'occurrence de grappes extrêmement décroissantes et de grappes croissantes, respectivement. Les distributions affichent le cluster principal de chaque système. Rouge, déclins significatifs; bleu, augmentations significatives; orange, fortes baisses non significatives; vert, fortes augmentations non significatives; jaune, changements faibles). Les cartes ont été créées à l'aide du logiciel ArcGIS par Esri (ArcGIS et ArcMap sont la propriété intellectuelle d'Esri et sont utilisés ici sous licence.

Discussion
Comme explique à l'AFP l'auteur principal Brian Leung, de l'université McGill à Montréal, "réunir toutes les courbes de population en un seul chiffre peut donner l'impression que tout décline partout, en se basant sur les maths plutôt que sur la réalité. Un tableau plus nuancé est plus précis: il y a des foyers de population en déclin extrême, dans des écosystèmes qui en dehors de ça ne sont ni en amélioration ni en déclin. Toutefois il y a aussi quelques zones géographiques où la plupart des populations examinées semblent en déclin. Il est important d'identifier celles-là".

L'écologie est désormais une politique publique fondée sur la science, et elle exige donc des métriques de qualité. Un discours trop flou sur le déclin global du vivant et la nécessité de "tout changer" risque de se traduire par l'impuissance, et surtout par des actions mal ciblées alors que les budgets de protection ou de restauration écologiques sont encore très limités. Dans le domaine du vivant aquatique et amphibie, nous souhaitons que les données soient utilisées de manière plus intelligente afin de hiérarchiser les zones et les espèces à problème. Il est nécessaire que les gestionnaires de l'environnement et décideurs disposent de telles approches plus discriminantes.

Référence : Leung B et al (2020), Clustered versus catastrophic global vertebrate declines, Nature, doi: 10.1038/s41586-020-2920-6

19/11/2020

Des insecticides antipuces surpuissants dans les rivières et plans d'eau (Perkins et al 2020)

Une recherche menée au Royaume-Uni a trouvé du fipronil dans 99% des échantillons de 20 rivières et le niveau moyen d'un produit de dégradation particulièrement toxique de ce pesticide était 38 fois supérieur à la limite de sécurité. Le fipronil et un autre agent neurotoxique appelé imidaclopride, lui aussi retrouvé dans les milieux aquatiques, ont été interdits d'utilisation en agriculture depuis quelques années. Principal suspect: les traitements antipuces des 21 millions de chiens et de chats du pays. Ces produits sont hautement toxiques pour les invertébrés — à titre d'exemple, une seule dose de traitement pour chien a un potentiel toxique suffisant pour tuer 60 millions d'abeilles. L'impact sur les insectes des rivières comme sur les poissons, amphibiens et oiseaux qui en dépendent est à explorer. Espérons que la France se penche aussi sur cette question, car l'analyse des pollutions chimiques et de leurs effets biologiques reste à ce jour très lacunaire au regard du nombre de substances circulant dans les eaux.


Voici le résumé de la recherche des quatre scientifiques anglais :

"On en sait peu sur le devenir environnemental ou l’impact des pesticides utilisés pour lutter contre les parasites des animaux de compagnie. À l'aide des données de l'Agence pour l'environnement, nous avons examiné l'occurrence du fipronil, des métabolites du fipronil et de l'imidaclopride dans 20 rivières anglaises de 2016 à 2018, comme indicateurs de la contamination potentielle des cours d'eau par leur utilisation comme ectoparasiticide sur les animaux de compagnie. Des échantillons d'eau ont été prélevés par l'Agence pour l'environnement dans le cadre de son programme de surveillance chimique et analysés à l'aide des méthodes de spectrométrie de masse par chromatographie liquide / spectrométrie de masse à temps de vol quadripolaire (LC / Q-TOF-MS). Au total, 3861 analyses chimiques ont été examinées et l'importance et les sources potentielles de cette contamination ont été évaluées. 

Le fipronil, le fipronil sulfone, le sulfure de fipronil (collectivement appelés fiproles) et l'imidaclopride ont été détectés dans 98,6%, 96,5%, 68,7% et 65,9% des échantillons, respectivement. Sur l'ensemble des sites fluviaux échantillonnés, les concentrations moyennes de fipronil (17 ng/l, fourchette <0,3–980 ng/l) et de fipronil sulfone (6,5 ng/l, fourchette <0,2–39 ng/l) étaient de 5,3 et 38,1 fois leurs limites de toxicité chronique de 3,2 et 0,17 ng/l, respectivement. L'imidaclopride avait une concentration moyenne de 31,7 ng/l (intervalle <1 à 360 ng/l), qui était inférieure à sa limite de toxicité chronique de 35 ng/l, mais 7 sites sur 20 dépassaient cette limite. Les quotients de risque chronique indiquent un risque environnemental élevé pour les écosystèmes aquatiques dû aux fiproles et un risque modéré à l'imidaclopride. 

Les sites immédiatement en aval des ouvrages de traitement des eaux usées présentaient les niveaux les plus élevés de fipronil et d'imidaclopride, ce qui étaye l'hypothèse selon laquelle des quantités potentiellement importantes de pesticides provenant de produits vétérinaires contre les puces pourraient pénétrer dans les cours d'eau par les égouts ménagers. Ces résultats suggèrent la nécessité d'une réévaluation des risques environnementaux associés à l'utilisation de produits antiparasitaires pour animaux de compagnie et des évaluations des risques que ces produits subissent avant l'approbation réglementaire."

Référence : Perkins R et al (2020), Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science of The Total Environment,, 143560

17/11/2020

Leur nature et la nôtre, les nouveaux débats de l'écologie

L'écologie doit-elle devenir un culte du retour à la nature sauvage sans l'homme ou rester une appréciation critique des écosystèmes tels qu'ils évoluent dans l'histoire, y compris sous l'influence de l'homme? L'hydrobiologiste Christian Lévêque publie dans le forum de la revue Water Alternatives un éditorial sur les deux visions qui s'affrontent en Europe concernant la restauration des rivières. Nous en proposons une traduction et un commentaire.


Que signifie "restaurer" les rivières? 
Restauration "écocentrique" vs "centrée sur l'humain"

"Depuis des siècles, nous adaptons nos cours d'eau pour utiliser les terres fertiles des grands lits fluviaux pour l'agriculture, pour faciliter la navigation et promouvoir le commerce, pour produire de l'énergie à l'aide de moulins à eau et de barrages et, plus récemment, pour des activités de loisirs. Dans le même temps, pour se protéger des inondations, des digues ont été construites à tel point que les fleuves européens ont perdu 90% de leurs plaines inondables. Et, bien sûr, les rivières ont trop souvent servi d'exutoire à nos déchets!

Le concept de «restauration écologique» cherche à corriger ces impacts et suggère qu'un écosystème peut être restauré dans son état "d'origine" ou "équilibré". On comprend que la restauration d'un château consiste à le ramener à son état d'origine car il y a un point de référence, à partir de la date de sa création. Mais quand on a affaire à un système écologique qui a évolué et changé au cours de milliers d'années, la question est plus complexe: il n'y a pas de date de création et on ne sait pas où placer le marqueur sur la chronologie! Une autre approche consiste à assimiler les écosystèmes aux organismes et à rechercher un «état sain», une notion assez floue proche de celle de restaurer un état fonctionnel avant le "stress". Dans les deux cas, les «écosystèmes naturels» sont considérés comme non-artificialisés / humanisés. Mais pour les socio-écosystèmes qui ont co-évolué pendant des siècles, cette référence n'est pas très significative car de nombreuses espèces ont depuis disparu ou se sont adaptées aux nouvelles conditions. Lorsque l'objectif est de supprimer des états esthétiques, écologiques, sanitaires ou économiques indésirables, on parle de réhabilitation ou de ré-affectation. Mais alors, la "référence" n'existe pas et doit être définie: quels sont les critères à utiliser et quelles natures voulons-nous atteindre?

Les actions humaines sont le plus souvent décrites par les écologues comme des "dégradations" et l'utilisation par l'homme d'un système comme une "pression". En effet, selon le paradigme dominant de certains défenseurs de l'environnement, la nature est parfaite lorsqu'elle est exempte d'artefacts humains. Ainsi, ils cherchent à "supprimer" les infrastructures qui ont été construites sur les cours d'eau pour révéler des rivières "sauvages" ou "naturelles"... Mais cela remet en question de nombreux autres enjeux, comme la sécurité des riverains, les écosystèmes aquatiques qui se sont développés au fil des siècles et l'avenir du patrimoine bâti. Ainsi, certains écologues (non écologistes) différencient des niveaux de systèmes adaptés, dont beaucoup sont fonctionnels et devraient être étudiés comme tels plutôt que systématiquement considérés comme "dégradés". Ce que certains ont appelé les "nouveaux écosystèmes", par opposition aux systèmes non humanisés, contribuent à notre cadre de vie et constituent également un patrimoine écologique. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que tous les écosystèmes modifiés sont identiques ou également légitimes; en effet, des évaluations au cas par cas sont nécessaires. La priorité en termes de restauration devient alors claire: limiter la pollution et maintenir une forte hétérogénéité environnementale, tout en tenant compte d'une réduction attendue des débits d'eau due au changement climatique.

Les grands barrages construits pour produire de l'hydroélectricité et/ou stocker de l'eau pour se protéger des inondations, ou pour alimenter les réseaux d'irrigation, ainsi que des prélèvements massifs, ont fortement affecté le fonctionnement des rivières: perturbant la continuité amont-aval, notamment en ce qui concerne le transport des sédiments, affectant fortement des plaines alluviales et des "annexes fluviales". Alors que dans l'imaginaire populaire une rivière est constituée d'eau courante, pour les écologues, un système fluvial est avant tout un ensemble hétérogène de sous-systèmes plus ou moins coulants ou stagnants. Un hydrosystème est la rivière avec sa plaine d'inondation et ses annexes fluviales, telles que les bras morts, les étangs résiduels, les zones humides connectées, etc.

La reconquête de ces zones désormais largement urbanisées pour les réintégrer dans le fonctionnement de la rivière tend à être impossible pour des raisons d'occupation des sols et de sécurité. Les infrastructures ont un rôle dans le contexte actuel et, en règle générale, il n'est pas prévu de les supprimer dans un proche avenir. Il n'est pas non plus question de supprimer les installations de navigation ou les digues qui protègent les villes, comme les réservoirs de la Seine qui protègent Paris. Enfin, ces débats ne doivent pas nous permettre d'oublier la question de la qualité de l'eau et, malgré de gros efforts d'assainissement de nos cours d'eau, la lutte contre la pollution doit rester la priorité.

Par conséquent, les infrastructures évoquées ci-dessus sont toutes en place depuis longtemps et, à quelques exceptions près, la redécouverte de cours d'eau "vierges" n'est possible que dans notre imagination. Ainsi, particulièrement en France, l'attention s'est portée sur les petits déversoirs et leurs annexes, qu'ils soient inactifs / abandonnés ou encore en service, qui seraient considérés comme un obstacle à la "continuité écologique" (c'est-à-dire le mouvement des poissons et des sédiments). L'un des objectifs est le retour des poissons migrateurs (considérés à la hâte comme incarnant la biodiversité aquatique) et le déplacement des truites, bien qu'elles puissent traverser la plupart des déversoirs (naturellement ou à l'aide de passes à poissons). Cependant, toutes les espèces aquatiques ne vivent pas dans l'eau courante. Les amphibiens, par exemple, préfèrent les environnements stagnants et ne se mélangent pas bien avec les poissons. C'est également le cas de nombreux invertébrés qui disparaîtraient avec le retrait des déversoirs et des zones humides associées, qui sont connus pour être riches en espèces, y compris celles en péril. La suppression de ces derniers refuges n'est en tout cas qu'une maigre compensation pour les annexes fluviales de la plaine alluviale que nous avons gommées, et elle condamne une partie de la biodiversité aquatique qui ne vit pas dans l'eau courante. Bien qu'aucune évaluation n'ait été faite de ce qu'il y a à gagner ou à perdre en termes d'espèces aquatiques et de fonctions écologiques, le gouvernement français a mis en place une politique centralisée de suppression des seuils.

Les partisans de la continuité écologique semblent également ne pas bien apprécier les processus en cours de changement climatique qui, d'après les prévisions, entraîneront à la fois des inondations plus graves et des périodes de sécheresse plus longues. De ce point de vue, est-il préférable d'avoir une rivière asséchée "naturelle" ou une rivière dans laquelle il reste quelques petits plans d'eau, qui, malgré leurs inconvénients, peuvent servir de refuge lors d'une sécheresse? Mon expérience avec d'autres systèmes fluviaux intermittents m'a appris l'importance de tels refuges pour la recolonisation du ruisseau par dérive, lorsque l'eau remonte.

En conclusion, tout le débat tourne autour de deux visions écologiques opposées. L'une peut être vue comme écocentrique, où la "vraie nature" n'est pas humanisée dans la mesure où tout développement est considéré comme portant atteinte à l'intégrité du système. Le paradigme de la nature sans humains est l'idéal dans les cercles écologistes et il est communiqué à travers le concept de "rivières sauvages". La restauration signifie alors effacer toute empreinte humaine. Cette vision longtemps dominante a été remise en question par ceux qui croient que les humains sont des acteurs de leur environnement et que les systèmes fluviaux sont co-construits par des processus naturels et des actions humaines."

Discussion
Christian Lévêque exprime de manière très claire les enjeux des milieux aquatiques que sont les rivières, les plans d'eau, les estuaires et les zones humides, d'origine naturelle comme artificielle (voir ses livres récents Lévêque et al 2020, Lévêque 2019, Lévêque 2013). 

L'écologie au sens de protection de l'environnement est devenue une politique publique de plus en plus affirmée depuis la seconde moitié du 20e siècle, en raison de certains effets du développement industriel perçus comme négatifs par les populations. Mais plus ces politiques écologiques se déploient, plus il apparaît qu'elles répondent à des motivations diverses, voire contradictoires. Nous pouvons être d'accord sur la nécessité de corriger des choses perçues par la plupart des citoyens comme des nuisances (par exemple, des pollutions qui tuent le vivant aquatique et mettent en danger la santé humaine) sans pour autant être d'accord sur des choses perçues comme secondaires ou donnant lieu à des appréciations opposées (par exemple, savoir si la biologie et la morphologie d'une retenue représentent un problème en soi par rapport à une eau courante).

Il existe au moins quatre dimensions de débat.
  • Dimension ontologique : au nom de quelle vision de la nature organisons-nous notre représentation de la réalité? Pour les uns, la nature doit se représenter idéalement comme une entité indépendante de l'observateur-acteur humain, pour d'autres la nature ne peut qu'intégrer l'observateur-acteur humain qui en est partie prenante. 
  • Dimension scientifique : par quelles disciplines l'objet "rivière" ou l'objet "bassin versant" doivent-ils être étudiés? Pour les uns, cela ne relève que des sciences naturelles, pour d'autres cela doit inclure les sciences humaines et sociales ainsi que les humanités.
  • Dimension politique : qui décide, et comment, de la mobilisation des savoirs (donc la collecte de données et la création de modèles) visant à alimenter la conception des normes d'action publique? Cette question concerne l'évolution technocratique de nos régimes, où beaucoup de sujets sont traités par des experts mais sans règle transparente dans la sélection des expertises jugées pertinentes.
  • Dimension démocratique : comment les citoyens, leurs associations, leurs syndicats, leurs partis, leurs élus ont-ils capacité à exprimer leur perception et leur volonté sur ces questions?  Ce sujet est le contrepoint du précédent, plus les choix semblent imposés par des experts sans débat réel dans la société qui subit les conséquences de ces choix, plus on voit se lever des oppositions citoyennes. 
En tant qu'association, nous souhaitons que ces dimensions deviennent le sujet de discussions plus ouvertes et plus informées. Nous en sommes encore loin en France, et même hélas en Europe.

Source : Lévêque C (2020), What does ‘restoring’ rivers mean? 'eco-centric' vs 'human-centric' restoration, The Water Dissensus, Water Alterntives Forum

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