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16/05/2016

Défendre la valeur intrinsèque du patrimoine historique des moulins

Il ne viendrait à l'esprit d'aucune personne civilisée, ou même sensée, de casser systématiquement certains éléments du patrimoine d'une nation. Et pourtant, cette idée aberrante a pu paraître légitime en France quand le patrimoine concerné est celui des moulins et de leur exceptionnel témoignage sur l'histoire des rivières. Affirmer que tout ouvrage hydraulique pose problème à la rivière et que toute disparition d'ouvrage est un bénéfice désirable pour les milieux, refuser de mettre en balance les considérations écologiques avec les sensibilités esthétiques, paysagères et culturelles, cela revient à promouvoir une négation de la valeur intrinsèque du patrimoine hydraulique et de notre devoir de transmission de ce patrimoine aux générations futures. Ne pas dénoncer cette folie, c'est s'en rendre complice. Ce n'est pas demain qu'il faut défendre l'héritage menacé de nos rivières : c'est maintenant. Et partout.

Les moulins appartiennent au patrimoine historique, technique et culturel des rivières françaises. La valeur de ce patrimoine est essentiellement associée au système hydraulique de captage et usage de l'eau, sans lequel le moulin n'a plus aucun sens. Pendant près de deux millénaires, l'eau a été la principale source d'énergie renouvelable avec la biomasse, la transformation des céréales par les moulins a été au coeur de l'alimentation humaine et animale : ce n'est pas anecdotique, c'est au contraire une clé de lecture du développement des civilisations.

A la valeur patrimoniale du bâti s'ajoute une valeur paysagère : les retenues et les canaux (biefs) associés à l'existence des moulins dessinent un certain profil de la rivière et de la vallée, inscrit dans les représentations collectives, déterminant les occupations humaines des berges. Obligés de s'adapter au cours des rivières, les moulins sont souvent des modèles d'intégration du bâti humain aux contraintes naturelles des sites, ce qui est au coeur même de la définition du paysage. Et ces paysages sont, en France et en Europe, la manière singulière dont l'homme habite la nature. Nous n'avons pas de ce côté-ci de l'Atlantique le goût des "réserves de vie sauvage" où l'homme est interdit de présence, nous préférons plutôt assumer et valoriser une très longue et subtile co-existence du naturel et du culturel.


Les moulins forment un patrimoine vernaculaire de proximité : il n'est pas forcément reconnu au sens réglementaire de la protection patrimoniale, mais il participe à l'identité et à l'esthétique des territoires, comme ses autres édifices remarquables et constructions (lavoirs, ponts, fontaines, pigeonniers, fours, calvaires, maisons et fermes anciennes, etc.). Les moulins sont aussi parfois associés à un patrimoine immatériel, quand les savoir-faire de production ont été préservés. Leur influence sur la toponymie, l'hydrographie, l'histoire et la géographie indique assez leur place importante dans l'héritage national.

Les moulins étaient originellement des édifices utilitaires : véritables usines à eau, ils servaient à la transformation des produits agricoles ou manufacturiers. La perte progressive de cet usage économique originel n'implique nullement la perte de leur valeur patrimoniale — pas plus qu'un château-fort perd son intérêt sous prétexte qu'il ne permet plus la défense des villageois, ni que la chapelle perd sa beauté quand ses fidèles la quittent.

Toutes choses égales par ailleurs, est-il bénéfique pour la collectivité de permettre la conservation, l'entretien et la transmission de ce patrimoine des moulins aux générations futures ? Nous pensons que la réponse est évidente : depuis un siècle, tant à l'échelle nationale qu'internationale, la valeur sociale, éducative, économique de la préservation du patrimoine s'est imposée comme une nécessité pour la construction d'un rapport toujours plus riche, plus dense, plus divers à la mémoire collective. Tout ne peut certainement pas être conservé, ni ne doit forcément l'être. Mais c'est souvent avec répugnance que l'on voit disparaître les témoignages singuliers du passé, et c'est toujours avec horreur que l'on condamne les entreprises terroristes ou totalitaires de destruction volontaire des héritages culturels de l'humanité. Le patrimoine des moulins, comme tous les autres, possède une valeur intrinsèque digne d'être comprise et transmise.

Aujourd'hui en France, certains veulent opposer le patrimoine culturel des ouvrages hydrauliques au patrimoine naturel des espèces aquatiques. La défense du second pourrait justifier la destruction du premier. Cette position est intenable.


Au plan empirique, rien ne démontre sérieusement que les moulins ont provoqué la disparition d'espèces aquatiques. Ces disparitions – ou plus exactement régressions – limitées au domaine piscicole sont essentiellement documentées à compter du XXe siècle, en réponse à d'autres pressions que celles des petits ouvrages hydrauliques. Par ailleurs, la biodiversité aquatique s'est transformée par l'introduction volontaire ou accidentelle de nombreuses espèces, de sorte que le patrimoine naturel est une notion en constante évolution. Enfin, il existe des méthodes non destructives pour aboutir à des bénéfices écologiques en faveur de la conservation de certaines espèces. L'opposition est donc largement factice.

Au plan éthique ou philosophique, la fin ne justifie pas tous les moyens. La prise en compte de l'intérêt des espèces vivantes non humaines est certainement un progrès pour nos sociétés, et désormais un élément de notre culture commune. Mais cette sensibilité nouvelle ne saurait supplanter ou nier les grands principes fondateurs comme le respect des personnes et des biens, le droit à la sûreté et à la propriété, la défense de la diversité culturelle, l'accès à la culture et à l'éducation, etc. Réduire la destruction d'un moulin à une froide "solution" technocratique et économique a quelque chose de profondément inquiétant car désincarné et déshumanisé. Vouloir systématiser cette solution par des processus organisés de contraintes se place clairement à la limite du tolérable pour une démocratie fondée sur les droits de l'homme.

Enfin, la valeur patrimoniale des moulins n'implique pas que la collectivité peut et doit tous les préserver. En fait, beaucoup ont déjà disparu au fil des siècles. Au bord des rivières, il est fréquent de trouver des anciens sites de moulin en ruine. La nature a repris toute seule ses droits, les crues successives ont fini par éventrer et emporter l'ouvrage, le bief est devenu un bras mort. Il est bon qu'il en soit ainsi : le temps fait son oeuvre, certains ouvrages sont préservés car transmis et entretenus de manière continue, d'autres sont rendus à l'écoulement spontané de la rivière. Laissons faire ainsi la nature au lieu d'amener sur nos rivières des pelleteuses et des bétonnières qui n'ont rien d'écologique.

Illustrations : en haut la rivière (Lignon) et son béal, à Jaujac. Le patrimoine des moulins est inséré dans celui de la nature, souvent de manière harmonieuse. En bas un moulin abandonné sur le Serein, à Courcelles-Frémoy.  Le seuil s'échancre, la rivière reprend peu à peu sa liberté, l'ancienne retenue et la chute résiduelle forment un biotope non dénué d'intérêt au plan écologique.

12/05/2016

50 ans de restauration de rivières par les Agences de l'eau (Morandi et al 2016)

Quatre chercheurs se sont penchés sur l'histoire de la programmation des travaux en rivières des Agences de l'eau depuis leur création en 1964. Leurs résultats font apparaître deux paradigmes : la restauration hydraulique et paysagère, anthropocentrée et partant des besoins humains ; la restauration écologique, biocentrée et visant un certain état des milieux aquatiques. Le second paradigme tend à prendre de l'importance à partir des années 2000, ce qui n'est pas sans poser des problèmes de calage sur la caractérisation des pressions écologiques et le choix des actions ayant une réelle efficacité pour améliorer les milieux. Pour les auteurs, la restauration des cours d'eau doit viser une approche plus intégrée, n'opposant pas l'hydraulique à l'écologie mais développant des référentiels élargis de qualité environnementale. On ne peut qu'y souscrire, en déplorant qu'à travers la continuité écologique (un des plus gros postes du programme en cours 2013-2018 de restauration de rivières), les Agences aient dérapé vers une vision radicale et agressive de la restauration morphologique, dont la pression financière en faveur de la destruction des ouvrages hydrauliques est le symbole. Il est évidement impossible de développer une écologie intégrative des rivières sur une base aussi conflictuelle.

Bertrand Morandi et ses collègues viennent de publier dans la revue en ligne des sciences de l'environnement VertigO un intéressant article d'analyse de près de 50 ans de politique de restauration des rivières par les Agences de l'eau. Le contenu étant libre d'accès et en français (voir référence infra), nous laisserons chacun en découvrir le détail, pour nous contenter ici de souligner quelques résultats.

Les auteurs, dont nous apprécions les recherches et en avons recensé certaines, s'inscrivent dans une tradition géographique portée à la pluridisciplinarité. Ils ont ici analysé les programmes pluriannuels appelés "Programmes d’activité" ou "Programmes d’intervention" (PI), adoptés par les conseils d’administration des Agences de l'eau (AE). Trois Agences sont concernées par leur travail, Loire-Bretagne (AELB), Rhin-Meuse (AERM) et Rhône-Méditerranée-Corse (AERMC). Le premier PI date de 1969, le 10e PI et dernier en date a débuté en 2013. Au sein de ces PI, la ligne financière d’aménagement, d’entretien et de restauration des cours d’eau (ligne 240 ou 24) a permis de référencer 4089 actions spécifiquement dédiés aux travaux de restauration de cours d’eau.

Premier enseignement (cf graphique ci-dessous) : l'implication des AE dans la restauration de rivière a pris de plus en plus d'importance, après la loi de 1992, puis la DCE 2000 et sa transposition en 2004, puis la loi sur l'eau de 2006.


Extrait de Morandi et al 2016, art cit, droit de courte citation 

Deuxième enseignement (cf graphique ci-dessous) : les pressions à corriger et justifiant la restauration sont variables, avec une forte diminution dans le temps du motif d'abandon de la rivière (liée dans les années 1960 à 1980 au recul des activités agricoles et à l'exode rural).


Extrait de Morandi et al 2016, art cit, droit de courte citation 

Troisième enseignement (cf graphique ci-dessous) : les motifs avancés d'intervention sont eux aussi variables, avec deux grands ensembles que les auteurs identifient par une analyse factorielle (non représentée), le paradigme de la restauration hydraulique et paysagère (anthropocentré) et le paradigme de la restauration écologique (biocentré).


Extrait de Morandi et al 2016, art cit, droit de courte citation 

Les auteur notent ainsi : "Le premier paradigme, qualifié de 'restauration hydraulique et paysagère', est associé, sur le plan factoriel de l’AFC, aux aménagements paysagers, aux traitements de la végétation, aux traitements des embâcles, des atterrissements, à la restauration des ouvrages transversaux et aux actions de stabilisation du lit et des berges. Toujours selon la lecture du plan factoriel, le second paradigme, qualifié de 'restauration écologique', est associé aux interventions considérées comme favorables au fonctionnement écologique et hydromorphologique, celles de suppression ou d’aménagement des infrastructures considérées comme pressions (e.g. protections de berges, ouvrages transversaux), d’aménagement de la plaine alluviale et de rétablissement des processus hydrologiques et sédimentaires."

Il est dommage que l'étude s'arrête au début du 10e PI, puisque celui-ci a vu la montée en puissance (à travers la mise en oeuvre de la règlementation de continuité écologique notamment) du paradigme de la restauration écologique biocentrée, c'est-à-dire plus soucieuse des milieux aquatiques que des usages humains, arbitrant au besoin pour les premiers contre les seconds. Les auteurs notent au passage cette inflexion sur la gestion des ouvrages hydrauliques : "L’autre évolution des pratiques méritant d’être mentionnée concerne les ouvrages transversaux. Alors que les premières interventions concernent la restauration des ouvrages eux-mêmes, les actions d’aménagement desdits ouvrages (e.g. passes à poissons) ne prennent de l’ampleur qu’à partir de 2006, tout comme les travaux de suppression d’ouvrages qui sont mis en œuvre pour la première fois en 2003 et connaissent une accélération à partir de 2009."

Mieux caractériser l'action, redéfinir les référentiels
A partir de cet examen de la restauration financée par les Agences de l'eau, Bertrand Morandi et ses collègues livrent un certain nombre de réflexions. Les actions, observent-ils, manquent parfois de rigueur dans la caractérisation des pressions, des dégradations, de leur rapport de causalité et des résultats espérés. "Il semble (...) important d’expliciter davantage les fondements de l’action. Il est tout d’abord important de travailler sur les dégradations et de les qualifier, d’un point de vue biophysique mais aussi socio-économique. Avant de parler de 'restauration', la caractérisation et la compréhension des processus de dégradation est un préalable indispensable. Seule une identification précise de ces états du cours d’eau peut permettre la définition et la hiérarchisation d’objectifs de restauration. Ces deux étapes de réflexion sont peu explicitées dans les dossiers d’aides, ce qui peut être problématique dans le contexte actuel de toujours plus d’évaluation de l’action publique."

Le bon état écologique et chimique de l'eau (voulu par la DCE 2000) a exercé une pression sur le gestionnaire en vue de construire des référentiels biocentrés et physicocentrés, au risque d'oublier que la rivière ne se résume pas à cela pour la société (qui paie aussi les dépenses en sa faveur). D'où l'intérêt pour les chercheurs d'en débattre : "Les référentiels écologiques et physico-chimiques jouent un rôle important dans la mise en œuvre de l’action publique, mais il ne doit pas être exclu, après 15 ans de réflexion et de pratiques dans le contexte de la DCE, de les rediscuter. Ils ne répondent en outre pas aux enjeux que représentent la sécurité des biens et des personnes ou les aménités. Dans la perspective d’une restauration de cours d’eau inscrite dans une logique opérationnelle plus intégrée, il nous semble intéressant de poser la question de nouveaux référentiels environnementaux construits sur la base de différents types de valeurs, et permettant de s’intéresser tant à la biodiversité et à la fonctionnalité des milieux pour leur valeur intrinsèque ou les bénéfices sociétaux associés qu’à leur dimension sécuritaire, esthétique, affective, économique…"

Cela ne pas sans poser la question de la construction de ces référentiels : "La DCE est fondée sur une démarche scientifique experte. Il nous semble important, dans la perspective de référentiels environnementaux, d’avoir une démarche différente, plus ouverte et d’affirmer les référentiels comme sociopolitiques, au sens où ils seraient l’expression non d’une vérité scientifique mais d’un objectif de société qui serait inscrit dans un territoire (Jobert, 1992). La concertation apparaît alors comme un principe envisageable pour l’élaboration des référentiels (Barraud et al., 2009 ; Ejderyan, 2009) à la condition que l’ensemble des acteurs environnementaux acceptent d’y prendre part."

"Restaurer ne peut pas tout"
Enfin, selon les auteurs, le gestionnaire doit se garder de l'hubris de la restauration, la croyance en la toute puissance d'une ingénierie écologique capable de renaturer les rivières. Le premier principe reste, plus modestement, la non-dégradation de l'existant : "L’état des lieux modeste dressé par cette étude nous conduit à encourager un renforcement des principes de non dégradation, et les concepts associés de conservation et de préservation. La 'restauration', par son aspect actif, a tendance à devenir emblématique d’une action publique en faveur de l’environnement. La restauration, pour importante qu’elle soit d’un point de vue éthique et opérationnel, nous semble toutefois devoir être posée en concept second. La formule 'quand conserver ne suffit plus' s’est répandue. Nous suggérons de lui adjoindre de manière plus affirmée la formule 'quand restaurer ne peut pas tout'."

Cette mise en garde entre parfaitement en résonance avec l'expérience des associations. Nous avons vu en quelques années fleurir une armée d'ingénieurs, techniciens, chargés de mission, chargés d'animation qui tiennent tous un discours remarquablement homogène sur la nécessité de la restauration écologique de rivière comme nouveau mode de gestion, appelé selon eux à supplanter les anciennes approches sécuritaires, usagères ou paysagères. Ce personnel est très convaincu. Il n'est pas pour autant très convaincant car les riverains attendent des services rendus davantage que des considérations abstraites sur la naturalité ou la fonctionnalité des écoulements.

On regrettera un point absent de l'article (mais qui faisait l'objet de Morandi et al 2014) : le manque de contrôle d'efficacité des actions décidées et financées par les Agences de l'eau. Depuis une grosse dizaine d'années, tous les experts savent que l'heure est au retour critique sur la restauration physique ou morphologique des rivières (voir cette synthèse). Le phénomène est encore confiné à la prose savante, mais il ne le restera pas indéfiniment : le gestionnaire ne peut pas croire et faire croire à la réussite certaine de son action quand, dans le même temps, le chercheur accumule des analyses montrant des résultats médiocres, décevants ou incertains.

Quand l'Agence mène une politique à dominante "hydraulique et paysagère", l'efficacité se mesure simplement à la satisfaction après les travaux : en général, ce sont les riverains (par le biais des collectivités ou syndicats) qui avaient exprimé un besoin. Quand l'Agence mène une politique à dominante "écologique", nous ne sommes plus du tout dans le même registre d'évaluation. Les mesures écologiques sont des objectifs réglementaires (DCE 2000 et autres directives nitrates, eaux résiduaires, pesticides) que l'on atteint ou que l'on n'atteint pas. Ces mesures imposent généralement des coûts, des servitudes, des contraintes par rapport aux usages actuels. Il en résulte une obligation forte de rendre des comptes : d'une part, vérifier que l'action demandée a des effets réels sur la qualité écologique de la masse d'eau ; d'autre part, démontrer que la dépense publique et la perte des collectivités, exploitants, propriétaires ou usagers sont proportionnées au gain obtenu. D'autant que les demandes en matière de qualité biologique, physique ou chimique de la masse d'eau ne manquent pas, et que toutes ne peuvent être satisfaites.

Il existe aujourd'hui une communication et une information déficientes sur les actions financées par les Agences de l'eau, en particulier dans le domaine écologique : une posture saturée de bons sentiments et de belles images (pour montrer que l'on est un vrai ami de l'eau et de la nature), quelques mots compliqués et graphiques épars (pour montrer qu'il y a de la vraie science derrière tout cela), et puis c'est tout. C'est-à-dire rien, ou pas grand chose. Cet âge de la communication édifiante est révolu, nous sommes entrés dans l'ère de l'information et de la donnée, avec des habitudes nouvelles d'accès, de comparaison, de tableau de bord, de rapportage. Une communication qui reste à des effets d'annonce, cela se voit vite ; et c'est tout aussi vite assimilé à une manipulation (voir cet exemple de l'AELB qui répète tous les 5 ans les mêmes objectifs sans y parvenir).

La continuité écologique, virage raté vers une restauration biocentrée
Enfin, la montée en puissance de la continuité écologique dans le 10e PI des Agences (en réponse au classement administratif des rivières de 2012-2013) a creusé le fossé entre l'approche hydraulique / paysagère et l'approche écologique. Les Agences de l'eau ont en effet participé à la stratégie décidée par le Ministère de l'Environnement et consistant à privilégier la destruction du maximum d'ouvrages en rivières (chaussées, seuils, barrages).

Au lieu de favoriser un objectif progressif et compatible avec l'existence de ces ouvrages (franchissabilité par des espèces migratrices faisant l'objet de plans de protection comme le saumon et l'anguille), il a été mis en avant la nécessité de supprimer complètement des retenues pour recréer des habitats naturels et assurer la circulation de toutes les espèces, y compris celles qui ont de faibles capacités de nage et de saut, qui ne sont pas menacées d'extinctions locales, qui n'ont pas nécessairement besoin de migrations à longue distance dans leur cycle de vie, etc. Par l'inflation de ses ambitions, la continuité écologique a ainsi été transformée en une expérimentation à grande échelle de la "renaturation" promue comme suppression pure et simple d'une influence anthropique locale (les ouvrages, en particulier les ouvrages des moulins supposés plus simples à gérer que des influences morphologiques d'origine agricole, car non liés à un usage économique direct de la chute dans la majorité des cas).

Il est trop tôt pour conclure, car le 10e PI est en cours d'exécution, mais on peut déjà observer l'échec partiel de cette orientation au regard du faible nombre d'ouvrages aménagés et de la très forte opposition à la réforme : une restauration écologique ne peut réussir si elle se coupe brutalement des enjeux hydrauliques et paysagers, reste sourde aux attentes variées (non économiques et non écologiques) des riverains, prend le visage de la contrainte et du rapport de force, peine à démontrer ses gains pour l'environnement en contrepartie de sacrifices trop importants ou de changements trop abrupts.

Référence : Morandi B et al (2016), Les Agences de l’eau et la restauration : 50 ans de tensions entre hydraulique et écologique, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], 16, 1, DOI : 10.4000/vertigo.17194

A lire en complément

01/04/2016

Impact écologique des moulins: cessons de tromper le public

Imaginons une politique de santé faisant grand cas des rhumes, une politique climatique s'acharnant sur les feux de cheminée ou une politique de prévention routière s'alarmant de la saleté des pare-brises. Ce serait jugé ridicule et inefficace. En politique des rivières, sans doute parce que le sujet est moins familier, on parvient pourtant à produire des idées aussi loufoques. L'une d'entre elles : les moulins d'Ancien Régime auraient un impact majeur dans la dégradation des milieux aquatiques et leur effacement produirait une amélioration significative des mêmes milieux. Dans la "continuité écologique à la française", on applique ainsi à l'hydraulique ancienne et modeste des moulins à eau des concepts et méthodes qui ont été conçus à l'origine pour analyser des impacts majeurs sur les hydrosystèmes (grands barrages réservoirs ou hydro-électriques, recalibrages des fleuves, endiguements des plaines d'inondation, etc.). Cette confusion doit se dissiper car derrière les termes compliqués des bureaux d'études et des services instructeurs de l'administration, on s'aperçoit que le dossier de l'impact écologique des moulins est presque vide. S'ils ne veulent pas être confondus avec des militants et perdre la confiance des citoyens, les "sachants" ont un devoir d'honnêteté intellectuelle: celle-ci commande de reconnaître que les altérations de la petite hydraulique des moulins, quand elles existent, sont minuscules par rapport aux facteurs ayant modifié les propriétés physiques, chimiques et biologiques de l'eau depuis 2 siècles, particulièrement après les années 1950.

La rivière est un flux d'eau, d'énergie, de matière, de vie. L'approche par la morphologie consiste à savoir dans quelle mesure un obstacle à l'écoulement contrarie ce flux au plan énergétique, hydrologique et sédimentaire. L'approche par les habitats consiste à savoir si l'hydrosystème du moulin (retenue, bief) a un impact sur le vivant à travers les niches écologiques qu'il colonise.

Pour les seuils, chaussées ou petits barrages des moulins, on peut généralement observer les points suivants :

- l'effet sur le débit est quasi-nul, il n'y a pas de capacité de stockage dans la retenue donc tout le débit entrant est restitué à l'aval, l'ouvrage ne barre pas le lit majeur et n'empêche pas la connexion à des annexes ou à une plaine d'inondation, l'ouvrage ne procède pas à des éclusées qui "scrappent" les substrats. Ci-dessous, on voit un seuil à Guillon sur le Serein, l'eau n'est évidemment pas retenue à l'amont comme dans certains grands barrages réservoirs ;


- l'effet sur les sédiments est très faible, il n'y a pas non plus de forte capacité de stockage, les crues emportent sans difficulté les matériaux vers l'aval (des limons et sables en suspension pour les faibles crues jusqu'au galets et blocs en charriage pour des fortes crues), les retenues non curées sont atterries (comblées) et retrouvent l'équilibre sédimentaire de part et d'autre de la chute, les ouvrages sont presque toujours ennoyés quand la crue atteint des propriétés morphogènes, on n'observe pas ou peu de phénomène d'incision et de pavage du lit. Ci-dessous, on voit par exemple en haut l'aval du seuil de Flamerey sur l'Armançon après la crue de 2013 (les dépôts conséquents de sables et graviers au premier plan montrent que la retenue amont a été vidée d'une partie de sa charge solide) et en bas le seuil de l'Hopital à Montbard sur la Brenne, haut de 2 m mais complètement noyé (donc invisible et franchissable) lors la même crue de 2013 ;


- l'effet sur les habitats revient le plus souvent à créer des formes nouvelles et naturellement inexistantes dans les rivières à débits faibles à modérés où sont implantés les moulins, soit une fosse plus ou moins profonde à eau lente, fond souvent limoneux ou vaseux, milieu eutrophe (retenue ou remous liquide à l'amont du barrage) et, quand le moulin n'est pas au fil de l'eau, un chenal à l'écoulement plus ou moins simple (le bief, tantôt canal rectiligne à écoulement fluvial, tantôt paysagé et de formes variées). Il est souvent dit à tort que cet habitat artificiel né du moulin est "banalisé" ou "simplifié", simplement parce que la retenue ne présente pas les formes d'écoulement naturel (radiers, plats, mouilles, etc.) de la rivière. Mais cette retenue ne fait qu'ajouter un nouvel habitat à ceux qui pré-existent et le vivant s'adapte aux propriétés physiques de l'écoulement et du substrat ainsi créés. Donc les populations (algues, planctons, plantes, insectes, vers, nématodes, poissons, mollusques, crustacés, etc. ainsi que les espèces de rives) jouissant d'une retenue seront différentes de celles d'une eau rapide à l'amont ou à l'aval de cette retenue. Ce n'est pas une perte de biodiversité de l'hydrosystème retenue-bief-rivière, on peut au contraire trouver dans une retenue de moulin des espèces qui ne vivraient pas ailleurs sur le cours d'eau (inversement, on y trouvera plus difficilement certaines espèces spécialisées de ce cours d'eau, par exemple celles d'eaux vives et froides). Ci-dessous ces images montrent l'habitat lentique à l'amont du seuil de Montzeron sur le Serein (en haut), et les quatre autres vues des habitats naturels variés que l'on trouve à l'aval et l'amont du remous de ce seuil. La retenue du seuil est un biotope parmi les autres, et n'empêche pas l'existence sur la même rivière de zones à propriétés hydrologiques, rhéologiques ou thermiques variées.


L'impact des moulins est donc faible : ils modifient les milieux, mais avec un effet modeste en proportion des modestes hauteur et largeur de leurs ouvrages hydrauliques. Il faudrait au demeurant écrire qu'ils ont modifié les milieux, car leur influence dure depuis une dizaine de siècles : ce sont les aménagements les plus anciens de rivière dont on conserve trace aujourd'hui, outre quelques vestiges de l'hydraulique romaine. Le vivant n'a cessé d'évoluer dans l'intervalle. La biodiversité n'est pas un concept statique, fixe, une sorte de musée où chaque espèce devrait être à sa place ad vitam aeternam. Au cours des deux derniers siècles, on a par exemple introduit davantage de nouvelles espèces de poissons dans les eaux françaises qu'on en a fait disparaître depuis l'époque romaine. Comment soutenir l'idée d"une "intégrité biotique" dans ces conditions? Comment oublier l'idée de base de la biologie évolutionniste, à savoir que le vivant a lui aussi une histoire, des trajectoires sans retour dictées par le hasard et la nécessité, par les mutations des gènes et les transformations des milieux comme par la sélection des traits les plus adaptatifs? Quelle est cette écologie fantasmée où l'on voudrait produire une sorte de quota administratif de "bonnes" espèces et de "bons" habitats en supposant une évolution naturelle déconnectée de l'influence humaine?

Au demeurant, si les moulins sont la cible de quelques idéologues ayant nourri l'idée qu'on pourrait en détruire un grand nombre sur argent public, ils n'ont jamais été au centre de la littérature scientifique internationale sur la connectivité des hydrosystèmes. Les chercheurs s'intéressent aux altérations majeures des débits liquides et charges solides liées pour l'essentiel aux aménagements des XIXe et surtout XXe siècles : construction de grands barrages, endiguement et canalisation de fleuves, déconnexion de la plaine d'inondation, enfoncement des lits par extraction industrielle de granulats, changements des propriétés érosives du bassin par emprise ou déprise agricole, etc. Il est patent d'observer dans cette littérature scientifique que les discontinuités latérales (suppression des divagations vers la plaine d'inondation du lit majeur et les écotones associés) produisent des pertes locales de biodiversité bien plus substantielles que les discontinuités longitudinales.

Qui aura l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que nous faisons fausse route sur le dossier des moulins et de la continuité écologique?
Une mauvaise habitude a été prise en France depuis une dizaine d'années : les bureaux d'études appliquent "mécaniquement" des concepts construits pour étudier les grands aménagements à la très petite hydraulique des moulins. Il en résulte des diagnostics faussés car ne donnant aux parties prenantes aucune intelligence de l'impact réel des ouvrages étudiés. Exemple lu récemment : "Des conditions d’habitats pour la faune aquatique du tronçon fortement dégradées sur environ 2,7 km du fait du remous en amont des ouvrages et de la simplification de l’hydrosystème". Un tel propos ne dit rien s'il n'est pas démontré a) que la faune aquatique du tronçon souffre effectivement (et non théoriquement) de la présence d'un remous, b) que le remous n'abrite pas une faune et une flore spécifiques, c) que le remous ne joue pas un rôle protecteur de la faune ou de la flore à certaines conditions de débit. Un tel diagnostic complet (qui n'existe hélas pas) produirait logiquement des objectifs de résultats précis (qui n'existent hélas pas davantage), et non pas des engagements flous comme "renaturer la rivière" ou "restaurer l'habitat" ou "récréer des fonctionnalités",  toutes choses dont l'abstraction masque mal la difficulté à présenter aux citoyens des effets réellement délétères liés aux moulins.

Pareillement, les services techniques de l'Onema ou des Fédérations de pêche ne font pas des analyses réelles de biodiversité sur le tronçon (incluant ses stations artificielles comme ses stations naturelles), plutôt du scoring sur certaines espèces (poissons le plus souvent) et selon des indices normalisés (IPR, IBD, I2M2, etc.) ou des biotypologies (Huet, Verneaux) dont l'objectif par construction n'est pas un inventaire complet. Il manque donc dans tous les dossiers l'information essentielle : à échelle de la rivière ou du tronçon de rivière, le vivant est-il réellement affecté dans sa diversité, dans sa résilience et dans sa capacité à faire émerger de nouvelles formes  par la fragmentation du lit? Et que nous dit l'histoire singulière de cette rivière, de ses écoulements et de ses peuplements?

En conclusion, il faut souhaiter que cesse la confusion entre la très petite hydraulique, dont l'implantation est ancienne et l'effet modeste, et les grands aménagements ayant substantiellement modifié le fonctionnement de certains cours d'eau et des plaines alluviales. Cela ne veut pas dire qu'il faut refuser tout objectif de continuité et conserver tous les moulins, simplement arrêter de s'acharner à les détruire en prétendant qu'il y aura un effet majeur sur la rivière et des gains écologiques justifiant la liquidation du patrimoine historique et paysager. Le principal enjeu hydro-écologique d'un ouvrage de moulin est généralement sa franchissabilité piscicole s'il existe à son amont des déficits avérés de populations migratrices ou à forte mobilité, et à l'aval un pool de population suffisant pour recoloniser le lit. En se concentrant sur cet objectif, en procédant de manière progressive et concertée sur les linéaires à fort enjeu de continuité longitudinale, en améliorant les modèles écologiques des rivières pour être plus sélectif sur les interventions, on diminuera le coût et la complexité des instructions, des études, des chantiers. On pourra surtout faire des moulins les partenaires d'une écologie raisonnée des rivières, au lieu de les désigner comme des adversaires et de dissoudre dans la confusion idéologique toute envie d'agir ensemble.

A lire pour aller plus loin :
Du continuum fluvial à la continuité écologique, réflexions sur la genèse d'un concept et son interprétation en France
Anthropocène, grande accélération et qualité des rivières
Différentes manières de regarder la même rivière (ou l'origine de certains malentendus)

29/09/2015

Estimation de la puissance hydraulique d'un site: exiger la clarté plutôt que la confusion

Nous avons souligné dans notre précédent article le caractère arbitraire et complexe du nouvel arrêté du 11 septembre 2015 sur les ouvrages hydrauliques. Prenons un exemple concret : l'estimation de la puissance hydraulique d'un site, qui est le point de départ de tout projet hydro-électrique.

L'arrêté énonce : "Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante:
- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;
- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la cote légale, etc."

On constate donc que les rédacteurs de la Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie ont privilégié pour l'estimation de la puissance le recours à des archives anciennes ("à défaut" seulement par la formule physique de la puissance). Or, cette solution est à l'origine de nombreux désaccords sur le terrain (qui sont régulièrement débattus sur le Forum de la petite hydroélectricité), pour des raisons assez évidentes.

La référence aux équipements passés produit de la confusion inutile
D'abord, il n'y a aucun intérêt à se référer à des équipements anciens de type roue ou meule pour estimer la puissance hydraulique réelle d'un site. Ces données historiques nous indiquent non pas l'énergie présente dans une masse d'eau en mouvement, mais simplement ce qu'était la capacité des technologies au XIXe siècle, voire plus tôt. Ces technologies étaient adaptées aux connaissances de l'époque et à des usages hydromécaniques qui ne correspondent (généralement) plus à l'exploitation moderne de l'énergie en vue de produire de l'électricité. Estimer ainsi la puissance d'un site à partir d'une strate technique passée et figée, cela n'a pas de sens.

Ensuite, les états statistiques sont sujets à caution. Nous avons par exemple observé par contrôles sur sites que la taxe de statistique de Côte d'or de 1921 sous-estime presque systématiquement les débits dérivés au droit des moulins (la valeur de chute étant plus souvent correcte). Une raison probable en est que ces relevés statistiques avaient des incidences fiscales et que l'exploitant avait plutôt intérêt à signifier des débits minimaux aux agents des ponts et chaussées. Ces derniers étaient d'autant plus tolérants que le revenu fiscal né de la loi de 1919 était très faible pour les petites puissances hydrauliques (au point que rapidement les relevés ont cessé car le coût était supérieur au gain). Une autre raison de la mésestimation est que le moulin pouvait être sous-équipé par rapport à la puissance réelle par défaut d'intérêt économique, le débit non exploité passant en surverse du seuil.

Enfin, pour les fonctionnaires comme pour les propriétaires, l'obligation de chercher des données anciennes est beaucoup plus complexe et controversée que le calcul de la puissance maximale brute selon la formule donnée dans le second alinéa de l'arrêté cité plus haut. La hauteur entre la prise et la restitution d'eau se mesure par un simple nivellement. Le débit s'obtient en multipliant la section mouillée du canal par la vitesse du fluide. Il n'y a pas matière à argutie, ces mesures sont reproductibles et vérifiables. Au demeurant, et fort heureusement, nous constatons sur le terrain que les DDT de l'Yonne et de la Côte d'Or tendent à favoriser ce calcul, qui est aussi celui indiqué dans le Guide de police des droits d'eau fondés en titre.

Depuis 1866, le Conseil d'Etat passe outre la référence à l'équipement
Un autre argument contre le choix de rédaction de l'arrêté du 11 septembre 2015 se déduit de la jurisprudence, en l'occurrence de la jurisprudence ancienne et constante du Conseil d'Etat.

Dans l'arrêt Ullrich du 26 juillet 1866, les magistrats décident qu'"aucune disposition législative ou règlementaire n'oblige les usiniers à se pourvoir d'une autorisation pour modifier les ouvrages régulateurs d'une retenue tant que rien n'a été changé au régime des eaux et que, sans accroître la force motrice dont ils peuvent disposer, les usiniers ne font que mieux l'utiliser au moyen d'additions et de perfectionnements apportés aux vannes motrices, aux coursiers et aux roues hydrauliques".

A l'époque de cet arrêt, nous sommes dans la période qui voit le remplacement des roues par les premières turbines. Le Conseil d'Etat décide de s'en tenir seulement à deux éléments : la consistance du bief (canal d'amenée) et la hauteur de la chute. Le Conseil estime donc qu'il est inutile de prendre en compte les évolutions de l'équipement facilitant la reconversion d'anciens moulins en établissement industriels, et plus tard en usines hydroélectriques. En choisissant de se référer à des statistiques anciennes ou des équipements passés, l'arrêté du 11 septembre 2015 fait donc preuve d'un remarquable archaïsme et tente de nous ramener 150 ans en arrière.

Pour la petite histoire, certains hauts fonctionnaires bien connus de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie claironnent à qui veut les entendre que les droits d'eau seraient des "archaïsmes" à faire disparaître. On observe que ces mêmes personnes n'hésitent pas, en toute mauvaise foi, à recourir à des références "archaïques" quand il s'agit de faire progresser ce qui ressemble davantage à un programme idéologique personnel de destruction des barrages qu'à un quelconque intérêt général au service des rivières.

Conclusion: arbitraire, doctrinaire et inefficace
Pour les non-experts et les non-passionnés, tout cela peut sembler de l'ordre du détail. Mais le diable niche dans les détails, comme chacun sait. Et si nous focalisons dans ce texte sur l'estimation de la puissance, c'est chaque dimension ou presque de l'arrêté du 11 septembre 2015 qui pourrait être matière à débat sur son bien-fondé. En l'espèce, la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie ne saurait ignorer les points relevés dans cet article, d'autant que des syndicats de producteurs les lui ont rappelés dans la phase de discussion préalable à la rédaction de cet arrêté. En toute conscience, elle a donc choisi une rédaction de nature à favoriser l'opacité et la complexité, donc à aggraver la tension entre ses agents instructeurs et les porteurs de projet hydro-électrique, alors qu'il était plus simple et plus exact de donner une formule physique déjà présente dans certains documents de l'Etat. Une telle attitude ne peut être interprétée que comme une intention manifeste et puérile de nuire. La Direction de l'eau n'est pas capable d'assurer les obligations françaises de qualité de l'eau. Elle n'est pas capable non plus d'une vision équilibrée et durable de la rivière formant le clef de voûte de la gestion de l'eau souhaitée par le législateur. Engagée depuis dix ans dans une croisade irrationnelle contre l'existence des ouvrages en rivière, cette Direction de l'eau confond la satisfaction de quelques lobbies minoritaires avec les obligations de mesure, de prudence, d'impartialité et de proportionnalité nécessaires pour garantir le bien commun.

Illustrations : les roues Fontaine in Armengaud Ancien, Traité théorique et pratique des moteurs hydrauliques, 1858.

Arrêté du 11 septembre 2015 : les ouvrages hydrauliques encore matraqués d'exigences disproportionnées

La Direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de l'Ecologie vient de publier l'arrêté de prescriptions techniques concernant l'autorisation des installations, ouvrages, remblais et épis, dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant un obstacle à l'écoulement des crues ou un obstacle à la continuité écologique. Vous pouvez en consulter le texte complet à cette adresse.


Cet arrêté entend s'appliquer non seulement aux projets visant à construire de nouveaux obstacles, mais plus généralement "au confortement, à la remise en eau ou la remise en exploitation, dans les conditions prévues à l'article R. 214-18-1 du code de l'environnement, des ouvrages fondés en titre ou autorisés avant le 16 octobre 1919 pour une puissance hydroélectrique inférieure à 150 kW".

C'est-à-dire qu'il concerne tout le monde : le modeste moulin visant à autoconsommer ses quelques kW de puissance est traité à la même enseigne qu'un aspirant à la production industrielle. Cette confusion volontaire est caractéristique de la DEB, dont chacun sait (ou doit savoir s'il l'ignore encore) qu'elle a pour obsession tenace la destruction du patrimoine hydraulique français, et avant cela le découragement de la restauration de ce patrimoine par le matraquage des propriétaires d'ouvrage comme des porteurs de projet.


Bureaucratie tatillonne en roue libre
La lecture de cet arrêté offre donc des morceaux choisis de la bureaucratie tatillonne qui fait désormais la politique française de l'eau – du moins ce qui se prétend une politique, mais n'est plus qu'un amas foutraque de règlementations à géométrie variable et à inefficacité démontrée pour la qualité de l'eau.

Si vous avez un projet hydraulique, et si vous tombez sur un agent ayant envie de faire de l'excès de zèle, vous pouvez par exemple désormais être contraint à :

- brider votre puissance à celle des "meules" équipant le site sous l'Ancien Régime ;

- vérifier si votre seuil met en cause la "diversité génétique" et la "structure d'âge" des poissons ;

- équiper votre seuil pour une espèce inexistante dans la rivière mais inscrite dans le "calendrier programmé de reconquête de cette section par cette espèce" ;

- prouver l'ichtyocompatibilité de votre turbine en réalisant plusieurs tests conduits pour l'ensemble des espèces cibles et, le cas échéant, pour différentes gammes de tailles et dans plusieurs configurations de fonctionnement en fonction du débit;

- réaliser une grille à écartement de barreaux de 15 mm;

- équiper l'ouvrage de vannes ou autres organes évacuateurs garantissant un transit sédimentaire le plus proche possible des conditions naturelles dans ces conditions de débit;

- faire varier au cours de l'année et au gré des besoins piscicoles le débit réservé à l'aval.


Le harcèlement continue malgré les bonnes paroles de la Ministre
De telles couveuses à excès de pouvoir et recours contentieux sont la marque distinctive de la DEB depuis 10 ans : elle part du principe qu'un ouvrage ne doit pas exister, et s'il lui faut malgré tout rédiger un texte pour un ouvrage existant ou appelé à exister, elle amoncelle toutes les exigences qui lui passent par l'esprit. Cela sans souci de sanction démocratique ni de réalisme économique ni de démonstration scientifique. Ce qu'on appelle en un mot l'arbitraire.

Certains élus contactés pour le moratoire sur la continuité écologique nous ont répondu que Ségolène Royal avait pris des mesures plus favorables aux moulins, à l'hydro-électricité, à la pisciculture et autres usages de l'eau, donc que le climat est supposé être à l'apaisement. C'est tout le contraire. Ces élus ignorent ce qui se passent derrière les beaux discours de Mme la Ministre, à savoir le matraquage continu, systématique, obsessionnel de la petite hydraulique pour le bénéfice non pas des rivières ni des riverains, mais de quelques lobbies ayant l'oreille de certaines bureaucraties ministérielles.

Illustrations : travaux sur la rivière Cousin, 2015, DR

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