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17/10/2018

Après les sécheresses, les crues tragiques : la gestion publique de l'eau doit revenir à ses fondamentaux

Après les sécheresses, voici les crues et inondations, qui ont durement frappé l'Aude les 15 et 16 octobre 2018. Ces événements ne sont pas exceptionnels dans l'histoire de la région. Hélas, leur intensité et leur fréquence risquent d'augmenter avec le changement climatique, et les premiers signaux semblent là. Nous avons besoin d'une gestion publique de l'eau dont les investissements garantissent les priorités de notre société, à commencer par la sécurité des biens et personnes. Au cours des décennies passées, des erreurs d'aménagement du territoire et d'usage des sols ont été faites en lit majeur : aujourd'hui, un Français sur quatre vivrait en zone inondable. Mais comme le montrent l'ancienneté des crues et leurs lourds bilans passés, le simple retour à des règles plus proches du fonctionnement naturel des cours d'eau ne suffira pas. La catastrophe naturelle tuait hier aussi, quand les bassins étaient moins artificialisés qu'aujourd'hui : il s'agit donc d'étudier là où un meilleur respect de la nature est bénéfique, mais parfois de corriger et d'aménager là où la rivière est dangereuse. Par ailleurs, le réchauffement va rebattre les cartes des variations naturelles et confronter la société à la montée des extrêmes climatiques. Cela appelle une gestion adaptative - sociale, écologique, hydraulique - de l'eau en son bassin, posant sans préjugé les différentes options, tant face à la crue que face à la sécheresse. Les barrages réservoirs font partie de ces options, au même titre que l'usage des retenues collinaires, la préservation des ouvrages en place en lits mineurs de têtes de bassins, les champs d'expansion de crue, la maîtrise des mitages péri-urbains et de la bétonisation du territoire, la prime aux pratiques culturales favorables à des sols vivants.


Crue de l'Aude 2018 vue par drone, DR, l'Indépendant   

Les 15 et 16 octobre 2018, à la suite de pluies exceptionnelles, la partie médiane et aval l'Aude est entrée en crue. Plusieurs communes ont été particulièrement affectées: Trèbes, Villegailhenc, Villemoustaussou, Pezens, Coursan, Saint-Marcel-sur-Aude. À Trèbes, la pointe de crue de l'Aude a été atteinte le matin du 15 octobre avec une hauteur de 7,68m, proche de la hauteur de référence de la crue centennale du 25 octobre 1891 (7,95m). Dans cette ville, on a mesuré 295 mm de cumul de précipitation en l'espace de quelques heures.

Au moment où nous écrivons, on relève douze morts et deux disparus à la décrue.

Cette crue éclair relève de ce que l'on appelle un épisode méditerranéen (localement appelé aussi un épisode cévenol, quand la présence de montagnes favorise le choc de masses d'air donnant des épisodes convectifs intenses). Comme l'expliquent les ingénieurs de Météo France, "trois à six fois par an en moyenne, de violents systèmes orageux apportent des précipitations intenses (plus de 200 mm en 24 heures) sur les régions méditerranéennes. L'équivalent de plusieurs mois de précipitations tombe alors en seulement quelques heures ou quelques jours."

Si ces épisodes liées à la chaleur accumulée par la Méditerranée en été sont connus, leur nombre et leur intensité pourraient évoluer défavorablement au cours de ce siècle. Davantage de chaleur, c'est davantage d'évaporation et d'énergie disponible pour nourrir les systèmes convectifs.

Ainsi, selon les simulations de deux chercheurs français récemment parues dans la revue Climatic Change (Tramblay et Somot 2018), le changement climatique devrait favoriser les précipitations dans le Sud de la France au cours du XXIe siècle. Comme l'a déclaré Y. Tramblay : "Plus l’air est chaud, plus il emmagasine de l’humidité : un degré Celsius en plus se traduit par 7 % d’humidité supplémentaires. On peut donc dire avec certitude que les épisodes méditerranéens vont devenir plus intenses." (Le Monde, 16 octobre 2018)

Toutefois, si le réchauffement de la Méditerranée aggrave le risque de fortes précipitations, on ne doit pas oublier que ce risque est connu et présent depuis longtemps.




Inondations dans le Roussillon, Archives INA. La violence des crues rappelle le premier devoir du responsable public et appelle à une gestion adaptative des bassins, en situation de changement climatique rebattant les cartes. 

Le site pluies extrêmes rappelle que ces événements sont récurrents. En voici quelques exemples.

Le 25 octobre 1891, les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales sont dévastés par de terribles inondations. Les communes de Rennes-les Bains et de Couiza dans la haute-vallée de l’Aude ont été très durement éprouvées, ainsi que les communes de Limoux, Carcassonne et de Narbonne et toute la plaine littorale. Les valeurs maximales observées au cours de cet épisode des 24 et 25 octobre - dont la durée n’est que d’environ 24 heures - sont faramineuses sur les vallées du Rialsesse, de la Sals et de la Blanque : 306 mm à Montlaur, 290.6 mm à Arques (l’Estagnol, près du col de Paradis). A Carcassonne, l’épisode a duré 20 heures, il a été mesuré 281 mm.

Du 16 au 20 octobre 1940, un épisode pluvieux fantastique a touché les Pyrénées-Orientales, l’Aude, ainsi que la Catalogne espagnole. Il y eut 57 morts en France, dont près de la moitié à Amélie-les-Bains et ses environs. Il a été mesuré 840 mm de pluie le 17 octobre à l’usine électrique de la Llau (valeur officialisée comme record de pluie en 24 heures pour l’Europe). Sur l’Aude, les précipitations ont atteint 150 à 200 mm en quelques heures.

Le 12 novembre 1999,  l'Aude connaît une crue majeure : la zone la plus sévèrement touchée est la région des Corbières où il est tombé à Lézignan 620 mm en 36 heures (plus des deux tiers d'une année habituelle de pluie).

Que signifient ces données historiques, et cette actualité?

- La gestion publique du bassin versant, c'est d'abord la gestion de ces phénomènes extrêmes mettant en péril la sécurité des biens et des personnes. Le premier devoir du responsable administratif et politique est d'anticiper les risques dans la gestion des écoulements et des occupations du sol sur le lit majeur, ainsi que d'assurer la bonne information des riverains. La simulation hydroclimatique des crues et étiages de chaque bassin doit désormais se généraliser, cela en lien avec les hypothèses de changement des températures et des précipitations dû au réchauffement. On ne peut plus aménager la rivière et ses berges sans avoir à l'esprit ces contraintes et leur dynamique à venir.

- Le risque zéro n'existe pas : il y a toujours eu des phénomènes extrêmes peu prévisibles, il y en aura toujours. Cependant, on peut limiter les risques, par exemple en limitant l'implantation des habitations dans les lits d'inondation et assurant la prévention des crues ainsi déjà que le ralentissement des ondes de crues (zones expansion latérale de crues en lit majeur, barrages réservoirs, retenues collinaires et en lit mineur en tête de bassin, etc.). L'alerte aux riverains doit être améliorée (l'Aude était en vigilance orange seulement, l'estimation des pluies trop faible d'un facteur 3).

- La méconnaissance passée de l'hydrologie et de l'écologie des bassins versants a conduit à des erreurs : imperméabilisation et artificalisation des sols, incision et chenalisation des lits de rivière ce qui ne fait que repousser la crue plus bas et plus vite, spéculation immobilière et construction en zone inondable, etc. Corriger cela prendra beaucoup de temps : pour renaturer des lits majeurs, il faut disposer du foncier. Mais on peut déjà éviter de persister dans ces erreurs, ce qui serait un retour au bon sens.

- Toutefois, l'option écologique aura ses limites et les exemples des crues passées le montrent bien : même à une époque sans béton, sans agriculture intensive, moindrement peuplée et urbanisée, les crues étaient tragiques, les bilans humains étaient lourds. On peut utiliser la nature plus intelligemment (par exemple restaurer des zones humides pour éponger des surplus d'eau), mais ce serait mentir que de croire en la toute-puissance de telles solutions : elles ne seront jamais qu'une partie de la réponse, il faut aussi du génie hydraulique pour gérer les écoulements.

- Avec le changement climatique, on ne peut plus séparer les problématiques de la sécheresse et de la crue : selon les saisons, ce sont tous les phénomènes extrêmes qui peuvent devenir plus fréquents ou plus intenses, comme on le vit déjà depuis une ou deux décennies. On doit donc gérer les bassins versants en retenant l'eau trop rare lors des étiages ou trop rapide lors des crues. Cela passe par une révision rapide des paradigmes actuels du ministre de l'écologie et des agences de l'eau, trop orientés vers la "renaturation" des rivières au détriment de leur gestion adaptative qui utilise toutes les options sans dogmatisme, et qui se projette sur le long terme.

A lire sur ce thème
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités 
Idée reçue: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique"
Quelques réflexions sur les inondations du printemps 2016 

25/03/2018

Les crues de janvier 2018 en Châtillonnais

Pierre Potherat, ingénieur en chef des travaux publics de l’Etat aujourd'hui retraité, livre une réflexion intéressante sur les dernières crues de la Seine et ses affluents en Châtillonnais. L'auteur demande notamment aux autorités d'évaluer les impacts des actions en rivières et berges, notamment la destruction des ouvrages hydrauliques qui tend à accélérer l'écoulement dans le lit mineur et à limiter des expansions de crue en amont des points durs que représente chaque ouvrage. Nous souhaitons que cette démarche d'expertise publique soit menée, à l'heure où certains apprentis sorciers ont décidé de détruire le maximum de moulins, étangs et plans d'eau sans procéder à une évaluation des conséquences de leurs actions cumulées à échelle du bassin versant. 



Les 23 et 24 janvier 2018, le pays Châtillonnais a dû faire face à une crue majeure à la suite de fortes pluies tombées depuis le début du mois.

Les dégâts ont été conséquents puisqu’à Châtillon la caserne des pompiers et plusieurs établissements scolaires ont été impactés (Saint Vincent-Saint Bernard, Lycée Désiré Nisard, collège Fontaine des Ducs, maternelles François Rousselet). La place de la Résistance a été submergée et plusieurs rues ont été interdites à la circulation, notamment dans les quartiers du Théâtre, de Saint Nicolas et de la Douix. De nombreuses caves ont été inondées dans ces quartiers nécessitant l’intervention des pompiers pendant plusieurs jours.

Plusieurs villages alentours ont également été touchés, en particulier, dans les vallées de la Seine, de l’Ource, de l’Aube et même de la Laignes.

Plusieurs routes ont été coupées à la circulation, aussi bien dans la vallée de la Seine que dans celle de l’Ource ou de l’Aube.

Certains habitants, très surpris, ont eu à déplorer une montée très rapide des eaux dans des secteurs jusqu’alors épargnés, y compris par la crue de janvier 1955.

Le parallèle avec les inondations relatives à cette crue historique, qualifiée de crue cinquantenale, n’a pas manqué d’être fait. Ces deux événements sont-ils comparables ?

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Illustration : à l'amont d'un ouvrage de l'Ource dont la crête est encore visible, l'eau se répand vers le lit majeur. Lorsque l'onde de crue se forme sur une rivière, quel rôle peuvent jouer les ouvrages dans la vitesse de l'écoulement puis dans son expansion latérale? Répondre à cette question paraît une précaution élémentaire pour la puissance publique. Surtout à l'heure où l'on vante les méthodes naturelles d'usage des lits majeurs pour diminuer le risque aval des zones urbanisées.

A lire sur le sujet
Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités 
Idée reçue #17: "L'effacement des ouvrages hydrauliques permet de s'adapter au changement climatique" 
La continuité écologique au risque des crues, inondations et étiages, rapport OCE 

14/03/2018

Casser les ouvrages hydrauliques sans aggraver le risque d'inondation? Nos décideurs vont devoir prendre leurs responsabilités

A Kerguinoui, les riverains du Léguer se plaignent que les modifications des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique ont aggravé les inondations. On leur dit qu'ils ont tort. A Poilley, le maire du village s'inquiète de l'effet des crues si les barrages de la Sélune venaient à être détruits. On lui dit qu'il a tort. Mais est-ce si sûr? La destruction d'ouvrages au nom de la continuité écologique aura-t-elle des effets négligeables et l'argent public est-il dépensé à bon escient? Ce n'est pas du tout l'avis de René Autelet, ingénieur conseil, dont nous publions une tribune avec son aimable autorisation. Détruire ou assécher un peu partout les retenues, les étangs, les canaux, les biefs, les plans d'eau alors que l'on vante les stratégies de rétention et d'expansion des eaux de crue lui paraît une complète contradiction de la part de nos décideurs. Car ces ouvrages ont aussi une fonction de gestion de l'eau, en crue comme à l'étiage, dont les Anciens usaient avec sagesse. Aucune étude n'a jamais simulé les variations d'inondation à échelle d'un bassin entier selon les hypothèses retenues pour la continuité écologique : il serait temps de le faire... avant de défaire!


Qui n'a jamais entendu dire par certains esprits chagrins que les politiques agricoles étaient incohérentes ?

À une certaine époque, nous nous gaussions entre étudiants du fait que tel ou tel agriculteur ait pu toucher, la même année bien sûr, une prime à l''abattage de ses pommiers et une autre à la replantation… de pommiers. Une blague semblable circulait sur la "prime à la vache", qui aurait financé en même temps l'abattage et la reconstitution du troupeau. Si notre jeunesse a pu excuser la propagation de telles allégations, sans les vérifier c'est bien normal, j'ai pu les répéter, pour rire, sans vraiment y croire.

Et pourtant, en cette deuxième année d'inondations catastrophiques, un article local paru dans l'une des régions les plus touchées, vient d'attirer mon attention et semer un doute affreux dans mon esprit. L'Eclaireur du Gâtinais dans son édition du mercredi 24 janvier 2018, sous le titre "Face au tumulte des eaux boueuses" annonce "qu'il faudra attendre deux ans avant que les premières actions soient entreprises et financées pour aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles (afin de réduire l'impact des crues sur les zones habitées)".

Aménager des zones d'expansion des eaux en terres agricoles! C'est sidérant! Devons-nous rappeler que, depuis l'antiquité jusqu'au 19e siècle en passant par le moyen âge, des seuils, chaussées et moulins ont été aménagés tout au long des rivières du monde occidental, pour capter l'énergie d'une part, et indirectement pour réguler les crues ?

Devons-nous rappeler que depuis la transposition de La directive européenne 2000/60/ CE du 23 octobre 2000 en droit français, les services publics s'appliquent, au nom d'une interprétation abusive de la "continuité écologique", à détruire et à effacer toute retenue d'eau, travaux dantesques appliqués sur la plupart de nos rivières de France ?

Un observateur attentif pourra facilement remarquer que les ouvrages de retenue de l'ensemble de nos vieux moulins sont aménagés sur le même niveau que les prairies environnantes et souvent les surplombant légèrement. La moindre crue, concrétisée par un passage de l'eau au-dessus des murs provoque immanquablement le déversement sur les terres alentour, répertoriées de ce fait sous le nom de "prairies inondables".

La carte de Cassini, établie sur ordre de Louis XV au 18e siècle, fait l'inventaire des moulins de cette époque. Le 19e siècle fut riche de créations et nous pouvons constater que la grande majorité de nos rivières était parsemée de moulins à eau. A raison d'une retenue en moyenne tous les 2 km, voire 1,5 km sur certaines rivières, capable d'inonder ne serait-ce que 2 à 4 hectares, ne serait-ce encore que de 25 à 50 cm d'eau, et compte tenu du nombre de kilomètres de nos cours d'eau, il est facile de calculer que les 2 mètres d'eau qui ont sinistré Nemours en juin 2016 auraient été largement épongés… si du Betz à la Bezonde en passant par l'Ouanne, le Solin, le Puiseaux, le Vernisson, la Cléry ou le Loing, nos cours d'eau n'avaient été la proie des idéologues et de leur folie destructrice. Surtout si l'on ajoute à cela qu'une coordination aurait pu permettre de vider préventivement toutes les retenues existantes à l'annonce de fortes pluies.

Dans le concours de circonstances à l'origine des crues exceptionnelles de ces deux dernières années, c'est à cette cause déterminante que nous pouvons attribuer la grande part de responsabilité. C'est la raison pour laquelle face à l'omerta des services publics et au silence des médias, nous avons publié dans notre bulletin SITMAFGR n°106 de juillet-août 2016 l'article "Petits ruisseaux font grandes rivières…".

De même, dans l'excellent article de Loup Francart, publié dans La Propriété Privée Rurale n°415 de février 2012, nous pouvons lire : "L'administration, en imposant massivement les destructions d'ouvrages, va  reproduire les mêmes erreurs (…). En imposant des mesures sans avoir connaissance de l'impact qu'elles produiront, elle laisse les usagers (…) contraints de faire face (…) aux inconvénients générés par cette politique (…). Dans 20, 30, voire 50 ans, la France reconstruira sans aucun doute ces ouvrages...".

L'auteur ne pensait pas si bien dire, ni d'avoir raison si tôt. Les projets d'aménagements de zones d'expansion des eaux en terres agricoles sont déjà sur la table… et on en cherche le financement… en oubliant qu'il faudra et c'est normal indemniser aussi ces nouvelles terres agricoles que l'on prévoit de rendre inondables. Avec quel argent justement? Une "taxe inondation" sera-t-elle instaurée? Certaines communautés de communes y pensent sérieusement (l'Eclaireur du Gâtinais : article "Solidaires pour lutter contre les crues").

Pendant ce temps, des dizaines voire des centaines de milliers d'euros sont engloutis pour chaque ouvrage joyeusement détruit, somme à multiplier par des dizaines de chantiers sur chaque cours d'eau, à multiplier par le chiffre impressionnant de nos kilomètres de rivière, supérieur à 500 000!

Cette débauche d'incohérences dans l'utilisation de l'argent public est suffocante. Elle l'est également pour les propriétaires de moulins qui se défendent pour sauver leurs aménagements, sous le harcèlement permanent des techniciens de rivière et leurs commissions en tout genre.

"Faire et défaire, c'est toujours travailler", ce dicton populaire ne s'applique pas dans notre cas, car ce "défaire et faire" est totalement contre-productif, avec de l'argent public qui fait cruellement défaut par ailleurs. Une incitation à l'aménagement énergétique des moulins était possible, à l'instar de ce qui a été fait pour les capteurs photovoltaïques. Des solutions rationnelles répondant aux exigences de la continuité écologique existent. Détruire les obstacles, de façon irréversible, correspond à la pire des orientations.

L'histoire de "la prime à la vache", si elle n'est pas certaine, peut toujours faire rire, mais il y a bien plus grave et inquiétant…

Illustration : lors d'une crue, le bief d'un moulin (au premier plan) se remplit, puis commence à déborder sur la prairie d'inondation en contrebas. Ce mécanisme contribue à ralentir et diffuser l'onde de crue. Il a par ailleurs de l'intérêt pour la biodiversité. L'administration française a classé 20 000 ouvrages hydrauliques à traiter en 5 ans, avec comme solution de première intention la destruction de ces ouvrages, donc des équilibres hydrauliques en place. Aucune simulation à grande échelle n'a jamais été produite pour vérifier les effets cumulés de ces choix. Et dans le même temps, l'administration vante les mérites des champs d'expansion de crue en lit majeur... qu'elle incite justement à détruire sur argent public! On nage en pleine contradiction pour cette politique dogmatique, précipitée et décriée.

Cette tribune est originellement parue dans Sitmafgr Liaison n°115 - janvier-février 2018

04/06/2016

Quelques réflexions sur les inondations du printemps 2016

Le centre de la France est frappé par des inondations, dont la médiatisation nationale est renforcée par le fait qu'elles touchent la région parisienne. La réflexion actuelle sur les écoulements de rivière est souvent dominée par l'idée d'une restauration de leur libre circulation, ou renaturation. Les crues et leur cortège de détresses rappellent que l'attente sociale se situe plutôt du côté de la maîtrise et du contrôle des flots (création et entretien de retenues, de digues, de fossés d'évacuation). On aurait cependant tort d'opposer systématiquement une approche à l'autre : sur un sujet touchant la sécurité des biens et des personnes, engageant aussi la responsabilité des autorités, les positions dogmatiques doivent céder la place à des analyses empiriques. C'est d'autant plus nécessaire qu'avec la Gemapi, dont le "pi" signifie "prévention des inondations", les élus locaux et les établissements de bassin versant vont être sous pression pour garantir une dépense publique de l'eau orientée sur les priorités d'intérêt général. 


Les crues et inondations sont des aléas naturels, à la mémoire aussi ancienne et douloureuse que celle de l'humanité. On peut en limiter les effets, on ne peut en effacer les causes. Par définition, des épisodes hydro-météorologiques exceptionnels produiront toujours des débits exceptionnels, qu'il s'agisse de crues lentes par saturation des sols et aquifères, de crues rapides de quelques jours par épisodes pluvieux très soutenus, voire de crues éclairs de quelques heures. Toutes choses égales par ailleurs, le changement climatique risque d'augmenter la probabilité des phénomènes extrêmes au long de ce siècle : plus d'énergie dans le système climatique (effet de serre) signifie plus d'évaporation, de convection, de transport. Donc une intensification attendue du cycle de l'eau, même si les déclinaisons régionales et locales sont impossibles à prédire avec précision.

Les crues de la fin mai et du début juin 2016 ont été provoquées par le blocage d'une perturbation active au sud de l'Allemagne, avec des remontées d'air chaud et humide entraînant des précipitations exceptionnelles. Sur la période du 28 mai au 1er juin, les départements les plus affectés ont été le Loiret, le Loir-et-Cher, le Cher, l'Essonne et l'Yonne avec une quantité d'eau tombée en trois jours sans équivalent depuis 1960. Des niveaux de crue centennale ont été atteints sur certains tronçons du Loing. Le barrage de Pannecière (Yonne), dont la fonction est d'écrêter les crues de l'Yonne et de la Seine, a saturé sa capacité de retenue. Les crues étant limitées à certains affluents de rive gauche, la Seine est cependant restée assez loin du niveau atteint à Paris en 1910 (8,62 m, en 2016 6,10 m), les 7 m ayant été dépassés en 1920 et 1955. Le niveau des 6 m atteint en 2016 l'a été 8 fois depuis 1872, la crue la plus récente du même ordre se plaçant en 1982.

Notre époque a globalement diminué la vulnérabilité des personnes par rapport aux bilans meurtriers des crues frappant les générations précédentes, mais elle est devenue extrêmement sensible à l'aléa, rêvant d'un "risque zéro" qui n'existe pas. Pourtant, certains facteurs relevant de la responsabilité humaine aggravent les effets locaux puis cumulatifs des crues.

Ainsi, les sols labourés ou artificialisés, les zones dévégétalisées retiennent moins l'eau et ruissellent plus rapidement, les lits majeurs déconnectés voire occupés par des bâtis ne servent plus de champ d'expansion latérale de l'écoulement, la construction en zone inondable produit un jour ou l'autre la dégradation par inondation (le "risqueur" étant rarement le payeur dans ces cas-là, le régime d'indemnisation pour catastrophe naturelle depuis 1982 collectivisant le risque). Par ailleurs, notre capital immobilisé (propriétés privées, équipements publics) s'est accru de manière régulière au fil des générations, donc une crue de même intensité provoque davantage de dégâts matériels et de coûts assurantiels aujourd'hui qu'hier. Ces tendances sont aggravées par une perte de la mémoire du risque : les plus grandes inondations à échelle de bassins fluviaux se situent entre le XVIIIe siècle et la première partie du XXe siècle en France, les années 1950-1980 ont plutôt été marquées par un certain "repos hydrologique" ayant assoupi la réflexion sur une génération. Cela sur fond de dé-naturation tendancielle des modes de vie et des représentations : les sociétés de plus en plus urbaines sont de plus en plus coupées de l'exposition directe aux cycles naturels, coupure propice à des représentations quelque peu ignorantes, voire fantasmatiques, de la nature.


Les crues et inondations posent la question des stratégies d'aménagement des bassins versants: une fois reconnu que le risque zéro n'existe pas, il reste légitime de chercher à minimiser ce risque dans la durée.

La réponse traditionnelle aux crues consiste dans des travaux de modification des écoulements : digue, barrages, retenues, canaux et fossés de décharge, etc. C'est le paradigme du contrôle hydraulique, qui a présidé pendant près de deux siècles aux choix des grands services d'aménagement comme les Ponts & chaussées (avant déjà, aux digues et levées au bord des fleuves et rivières). Face à cette option hydraulique, il existe un paradigme hydro-écologique : ne plus chercher à contraindre la rivière, mais modifier plutôt les pratiques humaines de façon à réduire la puissance des crues et limiter les impacts des inondations, tout en produisant des effets écologiquement désirables (typiquement, relibérer la plaine d'inondation). Ces deux paradigmes n'ont pas la même temporalité : on peut construire assez rapidement des aménagements hydrauliques – quoique les précautions de chantier, études d'impact et voies de recours rendent les choses plus difficiles aujourd'hui qu'hier –, on ne peut modifier que lentement l'hydromorphologie d'un bassin versant, ce qui suppose notamment de changer en profondeur des pratiques d'urbanisation et d'agriculture déjà implantées.

Il est probable qu'il existe de bonnes et de mauvaises idées dans ces stratégies hydrauliques / hydro-écologiques en rapport aux crues et inondations. La recherche doit l'étudier en priorité, par des analyses de cas et des modélisations. Il est nécessaire de faire le bilan hydrologique réel de ces options, mais on s'aperçoit par exemple que la très récente expertise collective ayant théoriquement cet objectif (analyse des effets cumulés des retenues) ne produit pas de réponse claire sur le sujet (Irtsea 2016, voir nos commentaires). Nous sommes donc en situation d'incertitude, le premier besoin est de la réduire par davantage de recherche et des débats publics alimentés par des données objectives.

Ce dont il faut symétriquement se déprendre, ce sont les positions dogmatiques. Dans l'état actuel des représentations du gestionnaire français, on se méfiera particulièrement du dogme très à la mode de la restauration morphologique, visant à libérer et renaturer les écoulements tout en rendant complexes voire impossibles les créations de retenues, les restaurations de barrages, les entretiens de digues, les curages de fossés, etc. Cela fait par exemple 20 ans que le programme d'un 5e grand lac réservoir de protection des crues de la Seine est à l'étude (La Bassée en Seine-et-Marne), mais bloqué. Sur certaines communes, comme Auvernaux, des élus se plaignent déjà de la complexité de curage des fossés d'évacuation des eaux de crue. On a agi de manière excessive dans un certain sens voici quelques décennies, avec une tendance au bétonnage, au recalibrage et à l'exploitation systématique des lits, des berges, des versants ; gardons-nous de montrer la même outrance mal informée en sens inverse, sous prétexte d'une tardive mais soudaine illumination écologique de l'ingénierie.

L'année 2018 verra la mise en place de la Gemapi (gestion des eaux, des milieux aquatiques et de prévention des inondations), dont la responsabilité reviendra désormais aux intercommunalités et aux établissements de bassin versant. Le volet "inondations" va être au centre de l'attention, car il a des conséquences humaines et juridiques fortes (outre le fait qu'en face d'une nouvelle taxe sur l'eau, chacun exigera des résultats concrets). La politique de l'eau n'a pas aujourd'hui les moyens de l'ensemble de ses ambitions, et la pratique actuelle du "saupoudrage" des financements (un peu pour la pollution, un peu pour la restauration, un peu pour le risque inondation…) ne manquera pas d'être questionnée de manière beaucoup plus critique. Il est du devoir des élus et des associations de terrain de rappeler où sont les priorités de l'action publique, pas seulement en analysant ce que l'on fait, mais aussi en alarmant sur ce que l'on ne fait pas. Car à budget limité, c'est un jeu à somme nulle : ce qui est dépensé sur un poste ne l'est pas sur un autre.

Vu les résultats médiocres de notre pays sur la qualité écologique et chimique des eaux, vu le retour régulier des problématiques de crues et inondations (aussi bien que de sécheresses et d'étiages sévères) et vu la probabilité que ces questions deviennent plus aiguës au fil des ans, nous n'aurons pas vraiment le luxe de continuer longtemps des diagnostics sommaires et des choix inefficaces. La première leçon des inondations, c'est un rappel des responsabilités dans la hiérarchie des priorités et la nécessité d'une politique à long terme fondée sur une information scientifique fiable.

A lire en complément
OCE (2013), Crues, inondations, étiages, pour une évaluation du risque lié à la modification des obstacles à l'écoulement, (pdf)

Illustrations : le zouave du Pont de l'Alma (Seine, Paris le 3 juin 2016, Siren-Com CC share alike 4.0) ; le Loing à Moret-sur-Loing, République de Seine et Marne du 2 juin 2016, droits réservés.

18/05/2016

Embâcles et bois morts: faut-il toujours les retirer?

Retirer les embâcles de la rivière figure de très longue date parmi les obligations du riverain. Ces amas de bois morts modifient l'érosion et le régime des inondations, pouvant occasionner des risques pour les biens et personnes. Pourtant, du point de vue écologique, on reconnaît des vertus aux embâcles et certains projets de gestion de rivière prévoient même l'ajout volontaire de débris ligneux. Un point sur la question.

On appelle embâcle des amas de débris ligneux et bois morts qui se forment sur les rivières. Les branches et parfois les troncs tombent dans la rivière suite à une mortalité naturelle ou à certains épisodes météorologiques. Les embâcles de grande taille ont un poids qui excède la capacité d'entraînement du courant et restent sur place. Les débris de plus petite taille sont emportés par le flot mais tendent à se bloquer dans certaines zones : rochers émergents, seuils naturels, chaussées ou barrages, écluses, ponts, etc.


La position longtemps dominante de l'administration et du gestionnaire a consisté à exiger un retrait de tous les embâcles en rivière. En France, l'article L 214-14 du Code de l'environnement continue de présenter l'"enlèvement des embâcles" comme une obligation du riverain des cours d'eau non domaniaux, avec désormais des motivations environnementales pas toujours très lisibles  :
"le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives."
Comme nous allons le voir, ces injonctions sont devenues quelque peu contradictoires, car le déséquilibre local créé par les embâcles fait partie de l'écoulement normal d'une rivière (de même que des bancs d'atterrissement). Par son empressement à ajouter de "l'écologique" dans un maximum de textes, le législateur manque parfois de précision ou de cohérence.

Pourquoi tend-on à retirer les embâcles?
La motivation à retirer des embâcles peut venir de l'aspect esthétique et paysager : certains riverains n'aiment pas l'impression de "négligé" des amas anarchiques de branches et demandent aux syndicats de les retirer. Elle peut aussi être liée aux besoins de certains usagers. Par exemple, les moulins et usines hydro-électriques risquent de voir les biefs, les prises d'eau de conduite ou les grilles de chambre d'eau obstrués de bois mort, ce qui crée des pertes de charge et d'exploitation. Dans ce cas précis, les embâcles sur un seuil ou un barrage peuvent aussi élever la lame d'eau au-dessus du niveau légal autorisé, ce qui est interdit. Enfin, en milieu urbain, le ruissellement sur sols artificialisés augmente les risques liés aux crues, et il est indispensable pour la sécurité que tous les exutoires soient non encombrés pour permettre la bonne évacuation des eaux.

Au-delà de ces cas particuliers, la perturbation des embâcles pose deux types de problème hydraulique : l'inondation et l'érosion.

L'inondation tient au fait que les embâcles, s'ils barrent totalement le lit des petits cours d'eau, vont avoir pour effet d'augmenter la hauteur d'eau à l'amont. Il peut alors y avoir débordement des berges et déversement dans les propriétés riveraines, qui font office de champ d'expansion de la rivière, particulièrement en crue. On notera que l'augmentation du risque à l'amont diminue le risque à l'aval, car les embâcles limitent le débit de pointe et lamine la crue. Le même type de problème est posé par les barrages de castors dans les zones colonisées par cette espèce.

L'érosion dépend de la géométrie locale des embâcles. Quand ceux-ci ne bloquent que partiellement le cours d'eau, la section restant libre voit une accélération du flot (effet Venturi). Si l'embâcle dirige ce flot accéléré vers une berge (ou une construction comme une pile de pont), il augmente l'érosion et peut donc dégrader le foncier ou le bâti.

Des intérêts écologiques avérés
Malgré ces problèmes, la représentation des embâcles a changé au cours des dernières décennies. On a même vu parfois des gestionnaires recharger artificiellement des rivières en débris ligneux. La raison en est que les embâcles présentent des intérêts écologiques :

  • en modifiant localement la vitesse, la hauteur et la granulométrie, les embâcles créent une mosaïque de micro-habitats dans les petites rivières; 
  • dans les cours d'eau aval, les embâcles peuvent faire émerger des habitats plus importants (mésoformes) comme des bras, des tresses ou des îles, dont l'intérêt pour la biodiversité est établi;
  • les zones calmes à l'amont des embâcles servent d'abri ou de refuge (repos lors de migration piscicole notamment), et les mouilles assez profondes en été peuvent avoir un intérêt thermique et hydrologique à l'étiage;
  • les débris ligneux et bois pourris alimentent une faune spécialisée d'invertébrés.

On notera au passage que certains avantages écologiques liés aux obstacles formés par les embâcles sont aussi valables pour des petits seuils de moulins et leur bief dérivé.

Comme souvent sur les questions d'eau et de milieux aquatiques, il est donc difficile d'édicter des règles homogènes. La ligne de partage semble ici définie par le risque de dommage sur les personnes et les biens : si ce risque est avéré, la gestion des embâcles doit éviter la perturbation locale de l'écoulement, surtout en crue. S'il n'y a pas d'enjeux de riveraineté (friches, vallées encaissées et non peuplées), laisser tout ou partie des embâcles à la rivière paraît préférable. En prenant tout de même garde au fait qu'une forte crue tendra à emporter les flottants laissés dans le lit, et représentera donc une charge solide conséquente à gérer vers l'aval. Enfin, l'avis des riverains est un paramètre à prendre en compte : le cours d'eau répond à des attentes sociales, pas seulement à des impératifs écologiques.

Lectures : Piégeay H et al (2005), Les risques liés aux embâcles de bois dans les cours d’eau : état des connaissances et principes de gestion, TEC&DOC et Lavoisier in Bois mort et à cavité, une clé pour des forêts vivantes, oct 2004, Chambéry, France. pp.193-202 ; Maridet L et al (1996), L'embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique ? un facteur de risques naturels ?, Houille Blanche, 96 5., 32-37

Illustrations : embâcles encastrés sur une pile de pont (Kenneth Allen CC BY SA 2.0), déposés en berge (Franzfoto CC BY SA 3.0), dans le lit d'une rivière du Morvan (Hydrauxois).

14/05/2013

Les crues du printemps 2013

La Côte d'Or a connu, au début du mois de mai 2013, un épisode de crue remarquable. Il a concerné le bassin de l'Yonne et de la Saône, avant de se déplacer en Champagne vers le bassin de Seine supérieure. Voici quelques informations à ce sujet.

Les débits enregistrés
Selon les rivières, la crue a atteint un niveau quinquennal, vicennal, cinquantennal voire au-delà (pour l'Ouche). Nous donnons ci-après les débits maxima enregistrés par la Banque Hydro et Vigicrues sur plusieurs rivières du département.

On indique successivement la rivière, la date, le débit (en m3/s) et par la suite la valeur de référence la plus proche en loi de Gumbel (QJ signifie débit quotidien, QIX débit instantané maximal). La loi de Gumbel est une distribution statistique des épisodes extrêmes et de leur temps de retour ― une valeur vicennale signifie par exemple une probabilité de temps de retour de 20 ans pour un épisode.

Tille    04/05/2013 04:00    54
Gumbel quinquenale : QJ=QIX =53

Armançon    03/05/2013 22:00    111
Gumbel cinquantennale : QJ=90, QIX=100

Brenne    04/05/2013 11:00    133
Gumbel vicennale : QJ=120, QIX=130

Serein    04/05/2013 12:00    123
Gumbel vicennale : QJ=110, QIX=130

Vingeanne    05/05/2013 15:00    72
Gumbel vicennale : QJ=72, QIX=81

Ouche     05/05/2013 07:00    175
Gumbel cinquantennale : QJ=140, QIX=160

On observe que les rivières du département ont réagi différemment aux pluies : la Tille n'est montée qu'à son niveau de crue quinquenal (temps de retour 5 ans) tandis que l'Ouche a largement dépassé son niveau de crue cinquantennal.

Le contexte de la crue de mai 2013
Un épisode de crue de cette ampleur n'est généralement pas dû un seul événement pluvieux, fut-il intense. De tels phénomènes (appelés des crues éclairs) existent, mais ils surviennent généralement dans les terrains à pente forte et à épisodes convectifs. Les crues bourguignonnes et champenoises du printemps 2013 ont été plutôt préparées par un contexte hydrométéorologique dont le prévisionniste Joël Marceaux a donné quelques éléments (in Bien Public 2013, voir aussi Meteo France 2013).

Depuis le début de l'année hydrologique (septembre 2012), la région est excédentaire de 10 à 25% pour la pluviométrie, comme une bonne partie du territoire national. En particulier, la Bourgogne se retrouve en avril 2013 avec un taux d'humidité des sols largement excédentaire, les nappes étant remplies et les sols superficiels gorgés d'eau (carte MF ci-dessous). La très faible insolation de l'hiver et du début du printemps a limité l'évaporation. Les températures plus fraîches que la normale ont retardé le signal de la croissance végétale printanière ― croissance qui consomme une bonne part des excédents d'eau accumulés en automne et hiver.

Trois épisodes pluvieux importants ont aggravé cette situation : un premier du 8 au 12 avril, mais suivi d'une brève phase chaude des températures ; un deuxième du 26 au 27 avril, qui a provoqué de premiers débordements de rivière avec un cumul de 50-60 mm ; et un troisième qui a provoqué les crues, à partir du 2 mai. Les météorologues ont observé la formation d'une «goutte froide» sur la Bourgogne : il s'agit d'une poche d'air froid, située vers 5000 m d'altitude, amenée de la région polaire par courant-jet stratosphérique. Cette poche crée un miniblocage et, lorsque des courants chauds et humides de plus basse altitude viennent du Sud-Ouest, il se déclenche des épisodes convectifs plus ou moins intenses. On a pu enregistrer des précipitations de 30 mm/heure les 2 et 3 mai sur la Côte d'Or. Des quantités exceptionnelles de 70 à 100 mm par épisode ont été enregistrées dans les hautes côtes et la montagne dijonnaise.

Les crues du printemps 2013 sont donc nées à la confluence des remontées de nappes et d'une succession d'épisodes pluvieux, dans un contexte de températures fraîches ayant ralenti la croissance végétale.

Voici 400 ans (1613), la grande crue de l'Armançon
Les bassins de la Seine supérieure et de l'Yonne ont connu plusieurs épisodes historiques de référence en matière de crues et inondations, notamment pour les archives modernes : 24-28 septembre 1866, janvier 1910, janvier 1955, janvier 1982, avril-mai 1998, mars 2001, 9-13 mars 2006. Dans son ouvrage classique sur l'histoire des inondations, Maurice Champion note à propos de la grande crue de 1613, survenue voici exactement 400 ans :

«En mai, juin et juillet 1613, on ne vit, dit Sauval (Antiquités de Paris, t. I, p. 205), que grêles et pluies qui gâtèrent tous les fruits et les biens de la terre ; la Cure et l'Yonne se joignirent, et il y eut grande perte de bois flotté à Cravant, Vermanton et autres lieux circonvoisins, où se faisoit le trafic de bois. A vingt lieues de là, on trouva au milieu des blés et dans les vignes quantité de bois que l'eau y avoit porté. Plusieurs maisons de Semur furent abattues, et tant de monde noyé, que la ville envoya sur les lieux des échevins avec le procureur du roi et le greffier, afin de pourvoir sur leur rapport, à tant de dommage ». Les faubourgs de cette ville, que côtoie l'Armançon, furent submergés ; le pont Pinard, bien que d'une construction solide, fut entraîné ; «  cinquante maisons furent renversées et quinze personnes noyées, dit un historien de Semur (Louis Bocquin, Esquisse sur la ville de Semur, in-8, p. 123) ; l'Armançon s'éleva de douze pieds au-dessus de son niveau ordinaire, plusieurs moulins furent détruits et les meules en furent emportées à cinq lieues. Cet événement fut constaté par deux inscriptions dont l'une est à la mairie, et l'autre existait encore en 1786, dans la rue des Vaux. Celle-ci était beaucoup plus exagérée que l'autre ; elle portait à cinquante le nombre des personnes noyées, et il y a lieu de croire qu'elle était aussi la moins exacte. Le couvent des Minimes eut beaucoup à souffrir ; ils ne purent conserver leur infirmerie dans le bas, parce qu'elle était devenue trop malsaine pour les malades ; ils furent obligés de la transporter dans le haut, à l'extrémité du dortoir, et de faire pour cela des dépenses considérables pour eux, car ils étaient pauvres.

Le cours terrible de l'Armançon a été considérablement assagi par la construction du barrage de Pont-et-Massène qui, outre sa fonction d'alimentation en eau du canal de Bourgogne, permet de réguler les crues et étiages de la rivière. (Image : l'échelle limnimétrique du barrage de Pont atteignant sa cote limite de 20,8 m et le déversoir de crue relâchant ses eaux.)

Reprofilages sédimentaires
Si les crues du printemps 2013 ont occasionné des dommages aux biens, elles n'ont heureusement fait aucune victime humaine. Il faut rappeler que ces épisodes hydrologiques extrêmes sont naturels dans la vie d'une rivière. Ils provoquent notamment, par un phénomène d'érosion intense et de transport conséquent de charge solide, un reprofilage morphologique des cours d'eau. La rivière sculpte elle-même son lit. On notera que les seuils de rivière deviennent pour la plupart transparents lors de tels épisodes (photos ci-dessous : la digue du barrage de Semur surversée ; au pied du seuil de Flameney, après la décrue, dépôts de sables et graviers emportés depuis l'amont).

Maurice Champion (op.cit.) se faisait déjà l'écho de ces reprofilages sédimentaires, par exemple sur l'Armançon : «Coulon, en 1644, disait de cette rivière (Rivières de France, t. I, p. 74) : 'L’Armançon étoit autrefois navigable jusqu’à Tonnerre, mais depuis 30 ou 40 ans, il a cessé de porter bateau. Les gens du pays, qui savent combien cette rivière est dangereuse, à cause des fosses et des escueils, ont coutume de dire : Armanson, Mauvaise rivière, et bon poisson.' ― Il y eut délibération aux États de Bourgogne en 1581, pour faire visiter son cours et chercher les moyens de la rendre navigable. En 1669, les officiers municipaux s’occupèrent du même projet. Le P. Claude, carme, bon géomètre, prit les niveaux et reçut 200 livres. (Courtepéc, Ouvrag. cit., t. III, p. 477.) Voici ce que dit à ce sujet l’intendant Phelipeaux dans son Mémoire sur la Généralité de Paris: 'On a essayé autrefois de rendre l’Armançon navigable ; cette entreprise n’a pas réussi, parce que cette rivière, dans les crues d’eau, charie beaucoup de sables qui proviennent des montagnes, comble son lit, et elle s’en forme un nouveau, ce qui arrive fréquemment.»

Gestion des obstacles à l'écoulement : pour un principe de précaution
Coïncidence : au moment même où la Bourgogne et la Champagne souffraient de ces crues remarquables, notre association participait à la publication d'un nouveau dossier de l'Observatoire de la continuité écologique, précisément consacré à la question.

La loi sur l’eau de 2006 et le classement des rivières de 2012-2013 imposent dans les 5 ans à venir des modifications importantes du régime des rivières par effacement ou aménagement des "obstacles à l’écoulement" (seuils, glacis, digues, barrages, etc.). Comme leur nom l’indique, ces ouvrages hydrauliques modifient l’écoulement de la rivière. Leur suppression est susceptible d’avoir des effets dans deux situations extrêmes : les crues et les étiages.

En période de crue, les obstacles à l’écoulement longitudinal contribuent à dissiper l’énergie cinétique en turbulence et à retenir une partie de la charge solide charriée par les rivières. En période d’étiage, les obstacles à l’écoulement assurent des réserves d’eau offrant refuge à la faune et flore aquatiques. Alors que des milliers d’ouvrages sont concernés sur une période très courte (2013-2018), aucune simulation des effets cumulés de leur modification sur les crues et étiages n’a été effectuée. Des exemples montrent pourtant qu’un chantier de restauration hydromorphologique peut avoir des effets négatifs imprévus.

Cette absence de prise en compte du risque pour l’environnement, l’économie, la santé et le patrimoine paraît contraire au principe de précaution inscrit dans la Constitution depuis 2004, comme à l’obligation de réduire les risques de tout type d’inondation résultant de la directive européenne de 2007.

Références
Bien Public (2013), Inondations : comment a-t-on pu en arriver là ?, 13 mai.
Champion M. (1859), Les inondations en France depuis le VIe siècle jusqu'à nos jours. Recherches et documents, Dalmont et Dunod.
Meteo France (2013), Bilan hydrologique, Alimentation du BSH national, avril 2013 (pdf).
OCE (2013), Crues, inondations, étiages. Pour une évaluation du risque lié à la modification des obstacles à l’écoulement, 10 p.