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02/09/2020

Le mouvement de la nouvelle conservation veut changer les politiques de biodiversité

On en parle très peu en France, mais les choix de conservation de la biodiversité sont l'objet d'intenses débats dans le monde des savants, des experts et des gestionnaires. On constate un certain échec de la conservation traditionnelle, qui était fondée sur une stricte opposition de la nature et de la société, sur l'idée que seuls les espaces sauvages et les espèces endémiques sont d'intérêt, sur la réduction de l'humain au statut d'impact dont il faut supprimer au maximum la présence. Avec parfois des dérives d'oppression de populations locales pour imposer des réserves naturelles, ce qui n'est pas sans rappeler évidemment des débats actuels en France. La nouvelle conservation prend acte de l'émergence multiséculaire de l'Anthropocène, du caractère hybride de la nature co-construite par l'humain, de l'existence de nouveaux écosystèmes et de la nécessité de protéger aussi bien la biodiversité ordinaire que des paysages scéniques ou des espèces rares. Nous introduisons à ce débat, en observant que de nouvelles approches de conservation de la nature permettraient de dépasser certains conflits, comme ceux de la restauration écologique de la continuité des rivières en France. 


La conservation de la biodiversité est au coeur de la démarche écologique moderne. Elle a émergé dès le 19e siècle en Europe et aux Etats-Unis, lorsque les effets concrets de la révolution industrielle et des libertés démocratiques d'usage de la propriété privée ont commencé à exercer des impacts visibles, parfois spectaculaires, sur des espèces et sur des milieux naturels. Aux Etats-Unis et dans le monde anglo-saxon, cette conservation a donné lieu à deux écoles de pensée au 20e siècle : les "préservationnistes" considérant que la nature sauvage protégée strictement, comme par exemple dans les parcs naturels, est la voie majeure pour préserver la biodiversité; les "conservationnistes" estimant qu'il fallait diffuser des usages raisonnés de la nature, et des usages partagés avec le non-humain, mais non engager une séparation stricte entre un monde sauvage et un monde humain.

Le débat n'a jamais cessé depuis. Mais il a été rallumé au début de la décennie 2010 par l'ouverture d'une section de débats sur la "nouvelle conservation" dans la revue de référence Biological Conservation (Minter et Miller 2011) puis par un article en 2012 de Peter Kareiva et Michelle Marvier, What is conservation science? dans la revue Bioscience. Un autre texte d'orientation de 2015, des mêmes auteurs avec Robert Lalasz, a évoqué "la conservation à l'Anthropocène".

L'évolution des connaissances et expériences en écologie depuis 30 ans a changé la donne
L'article de Kareiva et Marvier en 2012 prenait acte de 30 ans d'évolution de la science de la conservation dans toutes ses disciplines, 30 ans depuis la parution d'un autre texte fondateur, celui de Michael E. Soulé en 1985, What is conservation biology?

Parmi les points mis en avant par Kareiva et Marvier :
  • la conservation doit être fondée sur la science et la preuve, notamment sur son efficacité,
  • la conservation doit être fondée sur des bases de données rigoureuses et mises à jour, notamment pour définir des priorités à budget contraint,
  • la conservation doit prendre en compte le facteur humain en sortant de la représentation du biologiste et écologue "sauveur de la nature" face au reste de l'humanité trop souvent réduite à l'état indiscriminé d'"impact sur la biodiversité",
  • la conservation doit adopter une approche multidisciplinaire où la dynamique de la biodiversité s'apprécie aussi par des sciences humaines et sociales, pas seulement naturelles.
Par ailleurs, prenant en compte l'évolution des réalités et des connaissances depuis les années 1980, Kareiva et Marvier ont fait observer que :
  • la nature vierge n'existe plus, on a ré-évalué l'ancienneté de l'influence humaine sur les milieux depuis la préhistoire et, à l'âge de l'Anthropocène, il n'existe plus de milieux complètement indemnes du changement climatique, de l'introduction d'espèces exotiques ou d'autres facteurs;
  • la "conservation forteresse" fondée sur l'exclusion des humains pour faire des zones sauvages protégées a été l'objet de vives critiques pour certaines de ses dérives, son mépris de la justice sociale, ses penchants néo-colonialistes;
  • la conservation est liée au bien-être humain à travers des services rendus par les écosystèmes, et elle ne peut être adossée seulement au choix éthique particulier et non partagé par tous d'une "valeur intrinsèque" de chaque espèce non-humaine;
  • la nature s'est révélée plus résiliente qu'on ne le croyait, capable de retrouver des biodiversités et des fonctionnalités après des catastrophes locales, souvent dans un état nouveau différent de l'état antérieur mais pas forcément moins riche à terme;
  • la tragédie des communs au sens de Garett Hardin n'est pas une fatalité, des expériences montrent que des gestions de milieux avec activités humaines et règles écologiques peuvent exister (approche des biens communs au sens d'Elinor Ostrom).
De nombreux débats ont suivi ce texte, parfois très virulents (l'écologie soulève des passions, même chez les savants). Deux écoles principales se dessinent désormais : la conservation traditionnelle voulant poursuivre les conceptions définies du 20e siècle et la nouvelle conservation proposant d'autres approches pour le 21e siècle. On trouve des informations intéressantes sur le site du projet The Future of Conservation qui mène une enquête sur les représentations de la conservation de biodiversité par les publics de professionnels concernés. Le point est aussi abordé avec une approche plus politique dans un ouvrage venant de paraître, The Conservation Revolution (Buscher et Fletcher 2020).

Des représentations différentes de la nature et de la dimension sociale de l'écologie
Le tableau ci-après offre quelques exemples des différences entre les écoles. Ce ne sont pas des points de vue strictement endossés par chacun — beaucoup de personnes engagées dans la conservation n'éprouvent pas le besoin de se référer à une "chapelle" —, mais plutôt des sensibilités. Il n'en reste que pas moins que, du point de vue épistémologique, les paradigmes des approches ne sont pas les mêmes, ce qui a ensuite des conséquences sur les choix de gestion.



Dans le domaine épistémologique, ce sont davantage les partisans d'une séparation nature-culture ou nature-société qui ont imposé leur marque jusqu'à présent. On peut considérer cette question comme le noeud de la divergence : la nouvelle conservation défend une écologie plus holistique où l'humain doit être regardé comme part intégrante de la nature, pour le meilleur et pour le pire. Dans le monde anglo-saxon, la controverse "park versus people" sur les "réfugiés de la conservation" est née de la dimension anti-humaniste attribuée à certains conservationnistes qui préfèrent sanctionner des populations locales pour sauvegarder la vie sauvage, y compris par des pressions peu démocratiques. Mais elle s'est vite associée à un débat plus profond : quel sens donner à la construction intellectuelle d'une nature "sauvage" (Cronon 1995) si la réalité nous révèle une nature anthropisée, à bas bruit dans les sociétés traditionnelles et à niveau intense dans les sociétés modernes?

L'approche d'une partie de l'écologie scientifique a été centrée au 20e siècle sur l'étude des milieux très peu impactés par l'humain (nature vierge, pristine, sauvage) et posés comme la norme de ce que doit être la naturalité. Du même coup, tout ce qui s'écarte de cette norme est perçu au pire comme une dégradation, ou au mieux comme une évolution neutre sans signification.

Un exemple concret : les instances comme l'Union internationale de conservation de la nature ne considèrent pas les espèces exotiques comme dignes de suivi lorsqu'elles s'installent durablement dans des milieux (et les classent dans la liste noire des espèces invasives si elles menacent des milieux à forte présence d'espèces endémiques). Donc même si un écosystème local gagne des espèces et que ces espèces s'insèrent dans les réseaux trophiques, ce n'est pas considéré comme gain ni même comptabilisé comme un événement notable. Or de toute évidence, les processus de l'évolution s'appliquent sur les propriétés biologiques et fonctionnelles des organismes, assemblages d'organismes et interactions avec les milieux, sans tenir compte des provenances des populations. On ne peut guère comprendre et prédire l'avenir du vivant si l'on est dans le déni de sa dynamique actuelle et de ses nouvelles configurations (voir par exemple Boltovskoy,et al 2018 sur cette controverse sur les espèces exotiques, ainsi que le livre de vulgarisation couvrant de nombreuses controverses entre scientifiques de Pearce 2015).

Une approche pour analyser les impensés et dépasser les contradictions des politiques de l'eau en France et en Europe
Il y a d'autres exemples, et non des moindres. Par exemple la directive cadre européenne sur l'eau, adoptée en 2000, considérée comme le texte international le plus ambitieux sur la préservation des milieux aquatiques, a repris dans sa structure normative l'existence d'un "état de référence" formé par la masse d'eau sans impact humain.

Du même coup, les indicateurs de cette directive sont orientés dans la logique de la conservation traditionnelle, et si des "masses d'eau fortement modifiées" sont reconnues dans le texte, les gestionnaires ne savent pas vraiment comment les traiter ni même les identifier. Toutes les masses d'eau ont en réalité été fortement anthropisées en Europe depuis le Néolithique, ce que la recherche depuis les années 1990 a amplement montré. On désigne par exemple comme "naturel" ou "renaturé" un paysage de méandre qui est en réalité un style fluvial stabilisé tardivement après le Moyen Âge, non un état naturel de la morphologie du bassin (voir Lespez et al 2015). Mais les rédacteurs de la directive européenne 2000 n'ont pas eu ces éléments à l'esprit et malgré 20 ans de publications scientifiques, il n'est pas clair que la Commission européenne mesure l'évolution des enjeux et des représentations.

Concernant les politiques de la nature et en particulier de l'eau en France, la dichotomie entre conservation traditionnelle et nouvelle conservation n'a jamais été formalisée à notre connaissance, même si l'on a vu des débats de-ci de-là (par exemple Alexandre et al 2017, ou le livre de Lévêque 2017).

De toute évidence, une partie des experts publics mobilisés sur ces questions (à l'Office français de la biodiversité, au Museum d'histoire naturelle, dans des laboratoires de recherche) et ayant l'oreille des décideurs des politiques écologiques en tient plutôt pour la vision traditionnelle de la conservation. Nous pouvons le voir à différentes caractéristiques des choix et des chantiers publics dans le domaine de l'eau:
  • il n'existe aucun programme systématique d'étude des nouveaux écosystèmes aquatiques (étangs, canaux, lacs, etc.) qui sont plutôt dépréciés comme des "obstacles à la continuité écologique de la rivière", sans intégrer le fait que ce sont aussi des biotopes d'origine anthropique,
  • il n'existe aucun intérêt pour les espèces non-natives ou non-locales, celles-ci étant ignorées ou jugées négligeables si elles se trouvent dans une zone contraire à ce que serait une biotypologie naturelle (au sens de nature sans humain) de la rivière,
  • il existe un programme de "renaturation" qui, même lorsqu'il prétend s'intéresser à l'angle de la fonctionnalité davantage que de la biodiversité, consiste basiquement à dire que la meilleure rivière sera la rivière la plus débarrassée de tout impact humain, idéalement la rivière redevenue "libre et sauvage" avec un strict minimum d'activités autorisées. 
La rencontre de cette vision avec l'appréciation de la nature vécue par les riverains a parfois fait des étincelles, comme dans le cas des destructions à marche forcée d'ouvrages hydrauliques présents de longue date et qui avaient créé localement des milieux et paysages. Les sciences humaines et sociales ont été peu présentes dans la conception de ces politiques, largement inspirées des hydrobiologistes et des tenants de la rivière comme phénomène physique, non social.

On notera que la nouvelle conservation n'est pas hostile sur le principe à l'idée de renaturer ou ré-ensauvager certains espaces, ce qui est une option (encore expérimentale) parmi d'autres. Simplement, elle insiste sur divers points :
  • la renaturation relève d'expériences locales, elle ne doit pas être l'instrument supposé généralisable d'une représentation fausse et intenable de la "nature sans humain" comme vérité scientifique ou comme norme juridique,
  • la renaturation ne produira pas le retour à un état antérieur de la nature ni un état futur figé de la nature, les contraintes de l'Anthropocène resteront présentes (les changements biogéochimiques comme le climat, la circulation des exotiques, etc.),
  • la renaturation doit s'envisager dans des lieux idoines, déjà largement désertés d'activités humaines (par exemple zones en déprise agricole), sans contraindre les populations encore présentes mais en les associant à des bénéfices tangibles,
  • la renaturation ne doit pas être l'alibi de haute ambition pour négliger l'attention à la biodiversité ordinaire (que celle-ci soit native ou acquise) par des mesures plus simples ou plus consensuelles, aussi souvent moins coûteuses,
  • la renaturation doit analyser les services écosystémiques rendus à la société comme issue de ses chantiers, car des dépenses ont peu de chance d'être durablement et largement consenties si elles sont déconnectées des attentes humaines.
Il nous semble que ces nouvelles approches de la conservation à l'Anthropocène seraient de nature à dépasser des confits nés de la mise en oeuvre de la continuité écologique des rivières. Du côté des acteurs publics, il s'agirait de revenir sur un discours un peu naïf et simpliste des années 1990-2020 où l'on a d'un seul coup plaqué une volonté de restauration écologique sans tenir compte des réalités locales et sans préciser la vision globale où cette restauration prend sens (une nature hybride et non le retour à une nature pure; une nature socialement co-construite et non technocratiquement normée selon une naturalité décrétée). Du côté des propriétaires et riverains de ces sites, il s'agirait d'intégrer le fait que la biodiversité et la fonctionnalité des milieux sont des sujets d'attention, que les gestions des ouvrages peuvent évoluer et s'améliorer en fonction des connaissances, que la conservation des nouveaux écosystèmes que l'on a créés devient elle aussi un enjeu pour la société, et donc pour les maîtres d'ouvrages.

15/07/2020

Les scientifiques appellent à explorer d'urgence les "trésors cachés" mais négligés des milieux aquatiques d'origine humaine (Koschorreck et al 2020)

Dix chercheurs européens tirent à leur tour la sonnette d'alarme : les milieux aquatiques et humides anthropiques (d'origine humaine), qui représentent 90% des plans d'eau et 30% des surfaces en eau de l'Europe, ont été purement et simplement effacés du radar de la directive cadre européenne sur l'eau et de sa mise en oeuvre par chaque pays. Or, quoique créés par les humains, ces milieux ont des effets sur les cycles biogéochimiques, sur les services écosystémiques et sur la biodiversité. Les chercheurs appellent à combler ce fossé alarmant et dommageable de connaissance sur ces nouveaux biotopes. Ce travail, comme de nombreux autres recensés sur notre site, montre que le mouvement des riverains est fondé à défendre partout en France des milieux aujourd'hui menacés d'assèchement et de destruction par des politiques publiques mal conçues et mal informées. Dépassons d'urgence certaines approches incomplètes de l'écologie aquatique, cessons de détruire sans savoir, informons les propriétaires et gestionnaires des règles de bonne gestion de ces milieux. 


Plan d'eau d'agrément (pêche) et d'abreuvement dans un fond de vallon à rû intermittent, dans une zone agricole de tête de bassin du Serein (Auxois), avec ses marges humides. Non seulement ces milieux ne sont pas analysés scientifiquement pour leurs peuplements et leurs services rendus, contrairement aux rivières, mais les directives administratives en France les considèrent a priori comme dégradation et encouragent leur destruction. Les sciences de l'eau condamnent désormais ces approches trop rudimentaires.


La directive cadre européenne sur l'eau a-t-elle oublié des milieux aquatiques essentiels à la compréhension de l'eau et des bassins versants en Europe? Matthias Koschorreck et 9 collègues européens le pensent. Voici le résumé de leur publication:

"Les plans d'eau artificiels comme les fossés, les étangs, les déversoirs, les réservoirs, les échelles à poissons et les canaux d'irrigation sont généralement construits et gérés de manière à optimiser leurs objectifs. Cependant, ces systèmes aquatiques créés par l'homme ont également des conséquences imprévues sur les services écosystémiques et les cycles biogéochimiques. Les connaissances sur leur fonctionnement et les éventuels services écosystémiques supplémentaires sont médiocres, en particulier par rapport aux écosystèmes naturels. 

Une analyse SIG indique qu'à l'heure actuelle, seuls ~10% des eaux de surface européennes sont couvertes par la directive-cadre européenne sur l'eau et qu'une fraction considérable des systèmes exclus sont probablement des systèmes aquatiques créés par l'homme. Il existe un décalage évident entre la possible importance élevée des plans d'eau d'origine humaine et leur faible représentation dans la recherche et les politiques scientifiques. 

Nous proposons un programme de recherche pour dresser un inventaire des écosystèmes aquatiques d'origine humaine, soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension du rôle de ces systèmes dans les cycles biogéochimiques locaux et mondiaux ainsi que pour identifier d'autres avantages pour la société. Nous soulignons la nécessité d'études visant à optimiser la gestion des systèmes aquatiques d'origine humaine compte tenu de toutes leurs fonctions et à soutenir des programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."

Dans le détail, les chercheurs rappellent que la directive européenne sur l'eau (DCE) a centré ses analyses sur une fraction des écoulements naturels, mais du même coup ignoré l'analyse et le suivi de nombreuses réalités hydrologiques :
"la DCE ne couvre qu'une fraction des eaux de surface existantes. Une première estimation utilisant des bases de données publiques révèle qu'environ 90% des masses d'eau douce européennes (lacs, rivières, ruisseaux) ne relèvent pas de la DCE, ce qui indique un grand manque d'informations en termes de nombres, de superficie, de volumes, d'hydrologie , biogéochimie, écologie et services écosystémiques des systèmes d'eau douce. Notre analyse montre que les rapports de la DCE couvrent environ 70% de la superficie des eaux de surface européennes et ne parviennent pas spécifiquement à traiter les petits plans d'eau, qui sont connus pour avoir un impact conséquent sur les cycles biogéochimiques (Holgerson et Raymond 2016). Surtout, bien qu'il vise à inclure les fonctions et les exigences des écosystèmes écologiques et sociétaux, la DCE ne parvient pas à aborder certains aspects, tels que les processus fondés sur l'eau qui contribuent aux émissions de gaz à effet de serre (GES) (Moss et al. 2011). Le fait que les plans d'eau artificiels soient pour la plupart exclus de la proposition de règle américaine sur la qualité de l'eau (EPA 2015) montre que nos conclusions ne se limitent pas à l'Europe."

Exemple sur une analyse altimétrique: tous les plans d'eau en jaune sont ignorés des bases de données de la directive cadre européenne. Or, ces réseaux de plans d'eau sont par exemple connus pour avoir une importance dans la biodiversité bêta et gamma des invertébrés et des plantes. Extrait de Koschorreck et al 2020, art cit. 

Les chercheurs soulignent que le caractère artificiel d'un plan d'eau et son usage initial (irrigation, énergie, agrément...) ne préjugent pas de sa valeur écologique et des services associés.

A propos des étangs, ils soulignent par exemple :
"Bien que le but principal des étangs d'aquaculture soit la production, ils fournissent également diverses autres fonctions de l'écosystème telles que la régulation des inondations, la régulation du climat, le maintien de la complexité structurelle et la biodiversité dans le paysage et / ou la rétention des sédiments, de la matière organique, des nutriments et micro-polluants et peuvent être utilisés pour les loisirs (Boyd et al. 2010; Gaillard et al. 2016; Four et al. 2017). Les objectifs de chaque étang peuvent entrer en conflit les uns avec les autres, le compromis le plus courant entre les besoins de maximiser la production de poisson et les besoins de bonne qualité de l'eau, les manipulations de l'eau et les services écosystémiques (Pechar 2000; Verdegem et Bosma 2009)."
Ou encore à propos des seuils (déversoirs) et petits barrages :
"les petits plans d'eau artificiels dérivés des déversoirs sont extrêmement actifs en termes de processus biogéochimiques, modifiant profondément la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux loin en aval de leur emplacement (Fencl et al. 2015). Ils abritent un certain nombre de services écosystémiques offrant des avantages à la société comme la production d'électricité, les infrastructures d'irrigation ou les loisirs (Winemiller et al. 2016). Cela est particulièrement vrai dans les pays arides et semi-arides, où les lacs naturels de plaine sont rares, et les écosystèmes créés par l'homme tels que les déversoirs sont souvent les seules caractéristiques lacustres du paysage."
Au final, les chercheurs observent une carence des connaissances scientifiques sur ces milieux aquatiques artificiels
"Nous avons identifié ici un certain nombre de lacunes importantes dans les connaissances:
- Les informations sur l'abondance et la couverture surfacique de ces systèmes sont encore insuffisantes. Ces informations sont à la base d'une mise à l'échelle des effets.
- Les informations sur le cycle biogéochimique dans ces systèmes sont médiocres. On ne sait pas dans quelle mesure le fonctionnement biogéochimique de ces systèmes de plans d'eau artificiels est comparable ou s'écarte des systèmes naturels.
- Les multiples services socio-écologiques fournis par les différents plans d'eau créés par l'homme doivent être identifiés.
- Les options de gestion et leur interaction avec et effet sur la biogéochimie ne sont pas suffisamment explorées."
Pour y remédier, les auteurs insistent sur la nécessité de développer une analyse scientifique rigoureuse:
"Sur la base de cette analyse, nous proposons un programme de recherche:
- Soutenir la construction d'un inventaire des différents systèmes. Les approches prometteuses sont l'utilisation de bases de données publiques intégrant des données de télédétection et des flux de travail, et des réseaux de capteurs distribués in situ.
- Soutenir et faire avancer la recherche pour approfondir notre compréhension de la biogéochimie des systèmes d'eau artificiels. Les études sur les émissions de gaz à effet de serre et la dynamique des nutriments sont particulièrement pertinentes.
- Soutenir la recherche sur l'identification des avantages pour la société, y compris les pêcheurs, les agriculteurs, l'industrie, les agences gouvernementales, les utilisateurs récréatifs et les visiteurs qui ne relèvent pas de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes.
- Soutien sécurisé aux études visant à l'optimisation de la gestion des systèmes d'eau d'origine humaine compte tenu de la fonctionnalité immédiate de ces systèmes ainsi que de leurs autres services.
- Soutenir et faire progresser les programmes conçus pour surmonter les obstacles à l'adoption de stratégies de gestion optimisées."
Discussion
Le travail de Matthias Koschorreck et de ses collègues n'est pas isolé. Un nombre croissant de chercheurs pointe que les représentations ayant alimenté le directive cadre sur l'eau de 2000 en Europe (ou la loi sur l'eau de 2006 en France) sont incomplètes. Le paradigme de l'eau comme milieu naturel devant se comprendre par approche biophysique exclusive est défaillant à inspirer une politique publique équilibrée. D'une part, il ignore la dimension sociale de l'eau et des services rendus par des écosystèmes. D'autre part, il méconnaît plusieurs millénaires d'occupation des bassins versants ayant non seulement modifié les fonctionnements naturels des rivières, mais aussi créé d'innombrables milieux anthropiques, que l'on appelle souvent des "nouveaux écosystèmes" (voir par exemple Chester et Robson 2013, Sneddon et al 2017, Hill et al 2018, Clifford et Hefferman 2018, Evans et Davis 2018, Mooij et al 2019, Touchart et Bartout 2020).

L'ignorance de ces milieux aquatiques et humides d'origine humaine est problématique car elle prive leurs propriétaires privés comme les gestionnaires publics d'informations qui pourraient être utiles à une meilleure gestion au plan de préservation de l'eau, du bilan carbone, de la dépollution ou encore de la conservation de la biodiversité. Elle est encore plus critique dans des pays comme la France où une politique d'Etat autoritaire a considéré que tout ouvrage hydraulique est un problème a priori au regard d'une naturalité ou fonctionnalité idéale des cours d'eau, ce qui a produit à partir de 2009 un engagement public (financier et règlementaire) en faveur de la destruction de ces ouvrages et de leurs milieux (réforme dite de "continuité écologique").

A de multiples reprises, nous avons alerté les préfets, les agences de l'eau, l'office de la biodiversité, le ministère de l'écologie et les parlementaires sur le manque de connaissance de ces milieux et sur le caractère bâclé des études d'impact qui en sont faites (voir ce guide pour des études de terrain plus conformes aux observations de la science contemporaine et non à des vues essentiellement halieutiques, voir cet article sur les biais d'expertise qui n'intègrent pas les dimensions multiples de l'eau). Certains font évoluer peu à peu leur discours, comme des agences de l'eau cessant de considérer tout ouvrage hydraulique comme problème en soi (à défaut d'engager activement leur analyse socio-écologique, hélas). D'autres se braquent au contraire sur des choix faits dans les années 1990 dont on mesure pourtant les limites épistémologiques et les oppositions suscitées. Il est temps de remettre à jour la politique de l'eau en France, en l'adaptant aux connaissances en évolution rapide. C'est d'autant plus nécessaire que le changement climatique, plus intense que prévu selon certains modèles, est en train d'imposer son agenda et de faire de l'eau un enjeu majeur en Europe. Face à ce défi, le programme consistant à simplement valoriser un état antérieur de la nature et à condamner toute artificialisation est insatisfaisant. Et dangereux.

Référence : Koschorreck M (2020), Hidden treasures: Human-made aquatic ecosystems harbour unexplored opportunities, Ambio, 49, 531–540