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15/04/2017

Les agences de l'eau et la continuité écologique: bonnes et mauvaises pratiques

Le rapport du CGEDD sur la continuité écologique donne quelques indications chiffrées sur les politiques des agences de l'eau au sein des grands bassins hydrographiques de la métropole. Les auteurs constatent de fortes disparités entre les pratiques et, tout en respectant le principe d'autonomie des décisions, suggèrent que la continuité écologique doit gagner en cohérence inter-bassins. L'analyse des données montre que certaines agences sont bel et bien engagées dans une politique acharnée de destruction du patrimoine hydraulique : ainsi, les trois-quarts des ouvrages sont effacés dans les chantiers de Seine-Normandie et Artois-Picardie ! Le nombre d'ouvrages classés pour une mise en conformité à 5 ans manque généralement de réalisme, avec des sommets  en Seine-Normandie ((plus de 4000) et surtout Loire-Bretagne (plus de 8000). Comme nous l'avions déjà fait observer, l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse paraît la plus sérieuse par le ratio entre les sommes allouées à la restauration physique et le nombre raisonnable d'ouvrages hydrauliques à traiter (7% seulement du linéaire en liste 2), ainsi que dans le choix effacement versus aménagement (un tiers versus deux-tiers). Outre les recommandations du CGEDD que nous approuvons, nous émettons plusieurs orientations complémentaires pour les évolutions des SDAGE et programmes de mesures des agences. La plus importante est de faire cesser la prime a priori (surfinancement) en faveur de l'effacement. Ce choix dogmatique est contraire à la prise en compte des différentes dimensions liées aux ouvrages hydrauliques et à l'analyse au cas par cas qui, seule, peut définir s'il y a un intérêt écologique réel à effacer. S'il n'est pas adopté rapidement par les comités de bassin, le principe de non discrimination publique entre les différentes solutions de continuité écologique devra être inscrit dans la loi afin de stopper ces dérives dénuées de fondement démocratique comme de rigueur scientifique. 

Dans son rapport sur la continuité écologique, où il constate les nombreuses défaillances de cette politique publique, le CGEDD donne des informations classées par bassins hydrographiques et agences de l'eau. En voici une synthèse.

La prime à l'effacement domine en France
Premier constat : la prime à l'effacement est partagée par presque toutes les agences. Seine-Normandie se montre la plus extrémiste avec une incitation à casser les droits d'eau et remettre en cause les usages, posture douteuse puisqu'une agence de l'eau n'a pas vocation à indiquer aux instances régaliennes ce qu'elles doivent faire, mais posture révélatrice  de la prétention infondée de cette agence à produire de la norme : "Avec quelques nuances ou conditions dans leur formulation, six SDAGE sur sept invitent à retenir l'effacement des ouvrages comme solution prioritaire pour rétablir la continuité écologique, sans toutefois exclure les autres solutions dés lors qu'il existe un usage de l'eau par ces ouvrages ; celui de Seine-Normandie oriente très nettement les choix vers l'effacement et invite l'autorité administrative à remettre en cause les usages et les autorisations délivrées chaque fois que l'occasion s'en présente".

Des très fortes disparités dans les choix des Agences
Deuxième constat : le CGEDD observe une forte disparité des orientations des agences, ce qui rend peu lisible la politique nationale de continuité, nourrit la complexité des dispositifs et entretient chez les personnes concernées un sentiment d'inégalité devant la loi (le monde des moulins s'informe nationalement et peut donc comparer les offres faites selon les territoires). Il est souligné par le CGEDD : "L'annexe 14 présente une analyse comparée des aides des six agences à la restauration de la continuité écologique. Il en ressort une forte hétérogénéité des dispositifs sur cette thématique. Sans aucunement mettre en cause le principe des décisions par bassin qui donne à la politique de l'eau sa subsidiarité, il n'empêche que pour cette action l'extrême diversité des régimes d'aides entraîne une certaine perte de lisibilité au niveau national. Pas toujours simple à comprendre au niveau du terrain, cette diversité porte sur les taux, les modalités et les conditions d'éligibilité, avec une incidence forte au niveau des moulins". Quelques exemples de disparités :
  • Artois-Picardie finance à égalité équipement et effacement contrairement aux autres,
  • Rhône-Méditerranée Corse, Seine-Normandie et Adour-Garonne sont les seules à financer à 100% des effacements,
  • quatre agences ont un dispositif favorisant des projets "prioritaires" (Loire-Bretagne, Rhin- Meuse, Rhône-Méditerranée Corse) ou "structurants" (Seine-Normandie), mais les critères de cette dernière agence sont peu transparents,
  • trois agences ont un dispositif d'aides modulable qui favorise les opérations collectives et contractuelles (Adour-Garonne, Loire-Bretagne) ou en fonction de leur gain écologique (Rhône- Méditerranée Corse),
  • deux agences aident à la franchissabilité à l'occasion de la remise en service de seuils pour l'hydroélectricité dans certaines conditions (Loire- Bretagne, Rhin-Meuse) mais pas les autres,
  • toutes les agences acceptent, dans certaines conditions, de financer l'équipement d'un ouvrage "récréatif" sans usage économique, sauf deux (Artois-Picardie, Seine-Normandie).
Examinons maintenant quelques données sur le classement et les chantiers selon les bassins hydrographiques.


Ce tableau montre le linéaire classé sur chaque bassin. Ce sont les Agences Rhin-Meuse (23%), Seine-Normandie (16%) et Loire-Bretagne (14%) qui ont été les plus ambitieuses pour le classement en liste 2 (celui qui oblige à des mises en conformité sur délai de 5 ans).


Ce tableau montre le nombre d'obstacles à l'écoulement par bassin. En liste 2, théoriquement à traiter en 5 ans, c'est Loire-Bretagne qui a sélectionné le nombre d'ouvrages le plus irréaliste (8169) suivi par Seine-Normandie (4076) et Rhin-Meuse (2704).


Ce tableau (cliquer pour agrandir) montre le poids économique du poste de restauration et gestion des milieux (incluant la continuité) dans les différentes agences. On observe que l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée (AERMC), qui a pourtant moins classé d'ouvrages que d'autres, est celle qui développe le budget le plus généreux (414 M€). Viennent ensuite Seine-Normandie (297 M€) et Loire-Bretagne (285 M€). Ces dernières ne portent pas un financement proportionné à leur ambition de classement, ce qui bloque forcément la réforme puisque les travaux de diagnostic et de mise en conformité dépendent des fonds publics débloqués par les agences financières.


Ce tableau montre, selon les remontées de préfecture, le nombre des réussites et des blocages dans la mise en oeuvre. A noter que la donnée est peu fiable, ne concernant a priori que des ouvrages ayant fait l'objet d'une étude (une minorité) : par exemple, tous les adhérents Hydrauxois sauf exception refusent de donner suite à la continuité dans les termes actuels de charge exorbitante hors effacement, mais ce n'est pas comptabilisé comme "blocage". La plupart de nos consoeurs sont dans le même cas. Le ratio le plus fort de blocage (par rapport au total) est observé en Adour-Garonne (41,1%), en Seine-Normandie (30,1%) et en Loire-Bretagne (29,5%). Il y a presque 2 fois plus de blocages sur les moulins que sur les autres ouvrages et 1,6 fois moins de réussites. Dans 35 % des départements, le nombre de blocages est supérieur à celui des réussites (sur les autres ouvrages, cette proportion n'est que de 15 %).


Voici enfin le tableau des choix de solutions financées en liste 2 pour la mise en conformité. Quatre bassins donnent une claire priorité à l'effacement des ouvrages hydrauliques : Seine-Normandie (75%), Artois-Picardie (74%), Loire-Bretagne (58%) et Rhin-Meuse (52%). A l'autre extrême, Adour-Garonne n'efface que dans 14% des cas (mais cette agence a récemment lancé un appel d'offre dédié au seul effacement et en a triplé le budget, indiquant qu'elle tend à s'aligner sur le dogme de la destruction préférentielle des ouvrages hydrauliques). Les bassins ayant classé le plus grand nombre d'ouvrages (environ les trois-quarts) sont ceux qui orientent vers une majorité d'effacements, ce qui confirme notre diagnostic.

Rappelons que ni la directive cadre européenne 2000, ni le Blue Print européen 2012, ni la loi sur l'eau 2006 ou la loi de Grenelle 2009 n'ont jamais indiqué que l'effacement des ouvrages devait être la solution de première intention. Le choix des Agences de l'eau est donc considéré aujourd'hui comme une dérive antidémocratique majeure, avec une volonté inacceptable d'imposer des normes et des prescriptions n'ayant jamais été validées par nos représentants au parlement français et européen. Tant que cet extrémisme ne sera pas dénoncé et corrigé par une circulaire du ministère à l'intention de ses agents administratifs et des préfets de bassin, la continuité écologique s'enfermera dans le registre conflictuel et illégitime du chantage financier en faveur de la destruction de cadres de vie et des visées intégristes de pseudo-renaturation.

Des informations manquantes pour évaluer sérieusement la cohérence des politiques
Nous regrettons que les Agences de l'eau ne fournissent pas des informations plus détaillées sur leurs choix. Ainsi, il est nécessaire d'obtenir les données suivantes (à croiser avec les autres informations déjà disponibles):
  • répartition des catégories maîtres d'ouvrages (propriétaires) bénéficiant d'aides (Etat, collectivités, exploitants, particuliers),
  • précision sur la nature des effacements (arasement ou dérasement),
  • répartition des solutions choisies quand il n'y a pas effacement (passe technique, passe rustique, rivière de contournement, changement de vannes, dispositif spécialisé),
  • ordre de Strahler des rivières où il y a des chantiers,
  • espèces cibles principales des chantiers financés,
  • hauteur, débit et classe ICE des ouvrages concernés par les chantiers.
Ces données doivent permettre d'analyser plus finement les priorités qui sont données aujourd'hui, par exemple de vérifier que l'on traite d'abord les espèces migratrices faisant l'objet de plan de protection (saumons, anguilles) par rapport à des espèces de moindre enjeu (truites, cyprinidés rhéophiles), que l'on traite d'abord les obstacles infranchissables (information hauteur-débit-ICE) représentant les enjeux majeurs ou encore que l'on traite les ouvrages dans le sens logique de la montaison des migrateurs, et non de manière dispersée par opportunités politiques et sans cohérence pour des gains de connectivité efficients,.

Bien entendu, la continuité écologique devrait aussi tenir sur chaque rivière un tableau de bord de sa progression afin que les citoyens comprennent les avancées réelles des SAGE, contrats globaux ou autres outils : nombre d'ouvrages traités / encore à traiter, gain réel en taux de fractionnement et étagement, évolutions des bio-indicateurs avant/après, etc.

Tout ces informations manquent aujourd'hui: l'entretien de l'opacité et du manque de vision globale pour les citoyens sur ce qui se fait vraiment, à quel coût, avec quelle cohérence et avec quels résultats est une constante de cette politique administrative. Sans ce rapport du CGEDD fait à la demande de la ministre de l'Ecologie après constat du caractère très conflictuel de la continuité écologique, nous n'aurions même pas ces quelques informations quantifiées. La manière dont les administrations s'estiment exemptées de transparence et de responsabilité sur l'efficacité de leurs choix écologiques est pénible, et nourrit la dégradation de la confiance des administrés.

Préconisation d'harmonisation du CGEDD
Le CGEDD émet la recommandation d'une convergence inter-agences de certaines pratiques. "La mission préconise d'abord d'adapter et d'harmoniser les aides des agences de l'eau, vers une meilleure convergence entre elles, sans pour autant viser l'uniformité. La préparation des XIes programmes pour 2019-2024 constitue une excellente opportunité. L'anticipation de ces évolutions, par une seconde révision des Xes programmes, serait souhaitable.
Les principes pour guider cette convergence pourraient être de rendre possible sur tous les bassins (voir l'analyse faite au point 2.3.3.1 du rapport détaillé) :
• le financement à 100 % pour l'effacement d'ouvrages, sous conditions : dans le cadre d'opérations coordonnées et/ou en faire un outil incitatif en le limitant à l'échéance de dix ans après publication du classement des cours d'eau, en cohérence avec la nouvelle rédaction du III de l'article L 214-17 du code de l'environnement, puis au-delà de cette échéance le réserver aux seuls ouvrages abandonnés ;
• des financements améliorés pour certaines solutions intermédiaires entre l'effacement et l'équipement (bras de contournement) ;
• les aides à l'équipement, au titre de la continuité, de seuils sans usage ou remis en service ;
• les aides à la restauration et à l'automatisation des vannages36, pour des opérations collectives et assorties d'un engagement sur l'entretien ;
• les aides aux particuliers, y compris en cas de mise en demeure37, si effacement ;
• une bonification pour les démarches collectives et les opérations particulièrement exemplaires sur le plan environnemental, ainsi que pour celles qui concerneront les "moulins patrimoniaux" ;
• les avances aux particuliers, afin que le propriétaire n'ait pas à pré-financer des subventions de montant élevé ;
• les avances remboursables ou des prêts à taux zéro.
Il est également suggéré, au vu de la diversité des pratiques actuelles, que les agences définissent une position commune sur le financement, ou non, de la mise en conformité des activités hydroélectriques existantes par rapport à l'exigence de continuité écologique".

Nos attentes vis-à-vis des agences
Nous partageons et nous appuierons la demande du CGEDD en faveur d'une plus grande équité et lisibilité dans les choix des agences de l'eau, car tous les citoyens sont égaux devant la loi, tous les milieux et tous les ouvrages obéissent aux mêmes règles générales de fonctionnalités. On ne comprend guère les discriminations territoriales quand celles-ci se font au niveau de la programmation de bassin. Chaque cas est particulier en hydrologie, mais c'est au niveau du site qu'un traitement différencié se justifie, pas au niveau de bassins entiers recouvrant des hydro-éco-régions, des espèces et des ouvrages très différents. A obstacles et enjeux identiques, il n'y a pas de raison valable pour que la continuité écologique se déploie de manière arbitrairement différente sous le seul prétexte que l'on vit en Bretagne, en Bourgogne, en Aquitaine, en Alsace ou en Occitanie.

En revanche, au-delà des observations du CGEDD :
  • nous constatons une inacceptable pression en faveur de l'effacement chez certaines agences et nous demanderons aux comités de bassin concernés de faire cesser dans les prochains SDAGE et dans les prochains programmes de mesures cette politique de la casse du patrimoine historique, de l'agrément paysager et du potentiel énergétique,
  • nous constatons le caractère totalement irréaliste du nombre d'ouvrages classés dans certains bassins en fonction du délai de mise en conformité (même après ajout de 5 ans) et des sommes allouées pour l'aide publique, donc nous demanderons soit le déclassement de certaines rivières non prioritaires (annulation des anciens arrêtés), soit la suppression ou l'allongement (conséquent) du délai de mise en conformité par des arrêtés complémentaires. Si l'administration refuse de procéder ainsi, nous demanderons aux parlementaires de modifier l'article L 214-17 CE afin de rendre cohérentes, raisonnables et efficaces les règles d'interprétation du classement en liste 2,
  • nous refusons la prime de principe à l'effacement, qui est étrangère au texte et à l'esprit des lois françaises et européennes, contraire au cas par cas et à la prise en compte des enjeux multiples de l'eau (non réductible à la seule écologie). Si l'administration refuse de la modifier et de stopper la dérive engagée depuis le PARCE 2009, nous demanderons aux parlementaires d'inscrire dans la loi un principe de non-discrimination des solutions de continuité au stade de la programmation publique de bassin et de ses règles de financement. 
D'ici là, aucun propriétaire et riverain d'ouvrage hydraulique ne doit accepter le chantage financier exercé par les agences en vue de détruire, tous doivent en saisir leurs députés et sénateurs afin de leur faire constater le trouble posé par ces pressions arbitraires. Cette saisine des parlementaires est nécessaire car seule l'information venue du terrain a déjà permis l'adoption en 2016 et 2017 de quatre correctifs au code de l'environnement. Elle permettra demain de persister dans cette adaptation nécessaire de la continuité écologique à la réalité des rivières et de parvenir à des arbitrages plus consensuels, permettant une pleine participation des riverains à la reconquête de la qualité des eaux, dans le respect des patrimoines et des usages. 

19/02/2017

Pont-Audemer: l'Agence de l'eau Seine-Normandie fait-elle pression pour fermer une centrale hydro-électrique en production?

Le gouvernement, les parlementaires et les territoires sont mobilisés pour la transition énergétique bas-carbone, y compris d'origine hydraulique comme l'a montré le vote récent d'une loi pour protéger et valoriser les ouvrages en rivière. Mais l'administration en charge de l'eau suit-elle le mouvement? Un média en ligne nous apprend que l'Agence de l'eau Seine-Normandie serait prête à financer une opération visant à la fermeture d'une centrale hydro-électrique à Pont-Audemer (Eure), avec arrêt de la production pour rendre un barrage franchissable aux poissons. Certains évoquent une dépense d'argent public de l'ordre d'un million d'euros, sans compter le manque à gagner lié à la disparition de l'activité et le futur chantier. Cela alors qu'un industriel était disposé à reprendre le site. Ces informations sont-elles exactes? Comment justifier ces choix? Où peut-on lire l'analyse coût-bénéfice complète de cette opération appelée à être payée par les citoyens? Pourquoi ne pas concilier continuité écologique, énergie propre et activité économique, ce qui est le souhait massivement exprimé par les députés et sénateurs? L'Agence de l'eau Seine-Normandie doit garantir toute la transparence sur cette affaire. Nous vous communiquons les coordonnées des députés et sénateurs de l'Eure à cette fin. Merci de les interpeller: la vigilance citoyenne sera le seul moyen de clarifier les éventuels décalages entre arbitrages administratifs et choix démocratiques. 



La centrale de la Madeleine est la propriété de la société d'économie mixte Gédia. Elle est alimentée par un ouvrage autorisé, que l'Agence de l'eau Seine-Normandie souhaite néanmoins voir disparaître. Un industriel (Spepa) exploitant déjà des ouvrages dans la région s'est dit intéressé par la reprise de cette centrale, parfaitement fonctionnelle, et par la mise en conformité du barrage (passe à poisson). La centrale produirait 1,5 GWh à l’année pour 110 000 € de chiffre d’affaires. C'est la plus puissante du bassin, qui en comporte d'autres en activité. Rappelons que l'énergie hydraulique est une énergie locale très bas-carbone, en particulier quand les installations existent (pas de coût carbone de chantier).

Selon les informations données par Paris-Normandie, l'industriel aurait été écarté au profit d'un montage entre la mairie de Pont-Audemer et l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il proteste : "Quand j’ai entendu parler de cette vente, j’ai fait une offre de 1,20 M€ pour conserver l’activité. Quand la mairie de Pont-Audemer a été au courant, une offre supérieure de 50 000 € à la mienne a été formulée par la commune. Elle est entièrement financée par de l’argent public, les subventions de l’Agence de l’eau, bref, l’argent de nos impôts".

Déclaration d'André Berne, directeur territorial Seine Aval à l'Agence de l'eau: "La Risle a un potentiel extraordinaire en termes de poissons migrateurs. Sauf qu’un barrage fait encore obstacle à leur circulation. Comme le précédent propriétaire ne pouvait pas l’équiper d’une passe à poissons, qui était obligatoire, le choix fait par la collectivité a été celui du rachat et de l’enlèvement de l’ouvrage. Il s’agit d’une obligation réglementaire (...) Certes, cette énergie renouvelable n’émettait pas de CO2 mais il s’agit d’une toute petite centrale. Sa perte est un inconvénient mais nous allons améliorer la Risle de façon considérable."

Déclaration de Michel Leroux, maire de Pont-Audemer : "Ce rachat a été effectué en partenariat avec l’Agence de l’eau pour débloquer ce point de la Risle. Actuellement, il bloque l’accès de la totalité du bassin de la Risle aux poissons migrateurs mais aussi ses affluents : la Tourville, la Véronne, la Charentonne... En aval de ce barrage, l’espace de reproduction est surpeuplé (…) je trouve scandaleux que le privé ait gardé ce qui pouvait rapporter, les turbines, tout en redonnant au public, à la mairie, ce qui ne rapportait rien : les barrages. Sans doute y a-t-il besoin de retrouver des équilibres dans tout cela…"

Assez de belles paroles, de la clarté sur les faits et les chiffres !
Pour éclaircir cette situation qui paraît opaque, nous appelons donc nos lecteurs à saisir les élus de l'Eure, afin d'exiger la pleine transparence sur :
  • le coût du rachat de la centrale et le montage,
  • le coût lié à la cessation d'activité,
  • le coût lié à l'aménagement du barrage à fin de continuité,
  • le bilan carbone du projet,
  • l'estimation exacte du potentiel piscicole du chantier (sur le linéaire libéré entre ce barrage et le prochain barrage amont infranchissable, puisqu'en matière de continuité les coûts s'accumulent sur chaque ouvrage et un chantier ne libère qu'un tronçon, pas une rivière entière)
  • l'analyse coût-bénéfice de la solution retenue, en comparaison d'une solution alternative de passe avec maintien de la centrale.
Et en complément, il serait opportun d'obtenir de l'Agence de l'eau :
  • les sommes déjà dépensées pour les ouvrages hydrauliques du bassin de la Risle,
  • le nombre total d'ouvrages du bassin encore à aménager,
  • l'estimation du coût global de rétablissement de la continuité sur ce secteur (chantiers achevés et chantiers à venir).
Les belles paroles sur les potentiels extraordinaires nous intéressent nettement moins que des faits et des chiffres offerts au débat public en toute clarté et toute honnêteté.

Merci d'avance de prendre quelques minutes pour écrire aux parlementaires:
Lien pour écrire aux députés de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)
Lien pour écrire aux sénateurs de l'Eure (aller au département et consulter l'adresse électronique)

Les élections approchent : les citoyens sont en ce moment intéressés par la capacité des élus à sortir de certains jeux de pouvoir et de la langue de bois qui les accompagne parfois, ainsi qu'à apporter les réponses au souci démocratique du bon usage de l'argent public.

Vous pouvez également écrire à la direction de l'AESN Seine-Aval. Dans le cadre du droit d'accès aux informations relatives à l'environnement, notre association va requérir les pièces complètes du dossier.

Nota : il se trouve que M. Ladislas Poniatowski, sénateur de l'Eure, siégeait à la commission mixte paritaire et a pris une part active dans le vote de l'article 3bis de la loi d'autonconsommation énergétique, incitant à préserver les ouvrages. Il sera certainement intéressé, comme les autres parlementaires, par les explications sur une dépense d'argent public éventuellement destinée à fermer une centrale hydro-électrique en production.

A savoir : en Bourgogne, la même Agence de l'eau Seine-Normandie a également exercé des pressions pour faire arrêter la production d'un moulin en autoconsommation sur le Cousin (Yonne), alors que le site n'est pas raccordé au réseau. De la tête à l'exutoire du bassin versant, une politique de pression en vue de détruire préférentiellement certaines catégories d'ouvrages serait-elle à l'oeuvre? Pourquoi l'Agence propose-t-elle 0% de subvention pour les passes à poissons ou rivières de contournement lorsqu'il a été montré qu'une destruction est "techniquement possible"? Cette politique très orientée et très variable de subvention respecte-t-elle l'égalité des citoyens devant les charges nées de l'exécution de la loi? L'association Hydrauxois a déjà prévenu les représentants de l'Agence : tous nos adhérents contraints à un chantier de continuité feront une demande écrite de subvention et tout refus de l'Agence fera l'objet d'un contentieux. Nous incitons nos consoeurs du bassin à faire de même, avec copie à leurs parlementaires.

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Touques : comment le lobby de la pêche à la mouche a survendu les bénéfices de la continuité écologique

11/05/2016

Taux d'étagement en Seine-Normandie, le doigt mouillé des apprentis sorciers

Le SDAGE Seine-Normandie 2016-2021 a introduit pour la première fois la notion de taux d'étagement. L'examen des échanges ayant précédé ce choix montre que ni l'Onema ni la FNPF (partisans de cette introduction) ne sont capables de présenter un corpus d'études scientifiques pour justifier l'usage de cet outil de programmation. On nage dans une logique d'apprenti sorcier qui décrédibilise l'action publique. L'Agence de l'eau dépense l'argent des Français au doigt mouillé, et elle le dépense sans grande efficacité depuis 50 ans puisque l'état chimique et écologique des masses d'eau est toujours très éloigné des objectifs posés par la directive cadre européenne sur l'eau. 

Le SDAGE Seine-Normandie 2016-2021 a introduit dans son orientation n°19 la notion de taux d'étagement (voir cet article), c'est-à-dire la proportion de chute aménagée par rapport à la chute totale d'une masse d'eau de sa source à la confluence ou à l'embouchure. Le taux d'étagement est proposé comme un outil de programmation visant à éliminer des chutes artificielles, c'est-à-dire des ouvrages hydrauliques.

On se dit que si un texte aussi important qu'un SDAGE – en partie opposable aux autorités administratives comme aux collectivités et aux particuliers – propose ce nouveau concept, celui-ci résulte nécessairement d'une assez longue expérimentation soutenue par une recherche scientifique aux résultats consensuels.

Au cours de la discussion du SDAGE, la C3P (Commission permanente des programmes et de la prospective) s'est inquiétée de ce point et a demandé un avis à la Comina (Commission des milieux naturels aquatiques). On peut lire les échanges sur ce compte-rendu (Comina, réunion du 4 juin 2015). En voici deux extraits.

Arnaud Richard (Onema dir. Nord-Ouest) : "Les documents scientifiques sur ce sujet restent rares. Ce taux de 30 % ou 40 % est abordé dans une étude réalisée par la DIR Centre et Bretagne de l’ONEMA, reprise par le SDAGE Loire-Bretagne. Il a été décidé que pour les cours d’eau à enjeux migrateurs, l’exploitation d’au moins 70 % du potentiel du cours d’eau s’avère raisonnable."

Jean-Paul Doron (représentant des usagers, pêcheurs FNPF) : "Cette notion de taux d’étagement a été mise en place par Loire-Bretagne. Elle est aujourd’hui totalement admise. Il est intéressant de s’appuyer sur cette expérience réelle plutôt que de recourir à des études scientifiques pas toujours pertinentes et dont le sens ouvre des interprétations contradictoires."

Donc en fait :
  • il est reconnu qu'il n'y a pas réellement de travaux scientifiques;
  • le seul travail mentionné est un mémoire de Master n'ayant pas valeur de publication scientifique (avec une méthodologie impropre à éliminer les facteurs confondants pouvant biaiser l'interprétation de la corrélation taux d'étagement-qualité écologique);
  • l'Onema affirme néanmoins qu'un principe peut être "décidé" car il semble "raisonnable" (rappelons que l'Onema est censé être conseiller scientifique de la politique française de l'eau);
  • la FNPF dit préférer l'expérience à des études scientifiques, sans citer le moindre élément d'appréciation objective de ladite expérience (ce qui s'appelle en bon français la croyance, et même l'obscurantisme quand cette croyance prétend s'abstenir de l'épreuve de l'examen scientifique). 
Ces dérives doivent cesser : une politique publique ne se décide pas au doigt mouillé ni à la boule de cristal. Il n'est pas tolérable que les grands textes de programmation de la politique des rivières (lois, décrets, arrêtés, SDAGE, SAGE, Contrats rivières, etc.) ne fasse pas l'objet d'un travail préparatoire de synthèse des travaux de la recherche par un collège de chercheurs (non pas d'administratifs) et d'attribution de niveaux de confiance à nos connaissances (comme cela se fait pour le climat depuis un quart de siècle, par exemple). Et il n'est pas plus tolérable que ces textes prétendent produire de la contrainte réglementaire sur des bases reconnues comme aussi minces par ceux-là mêmes qui sont censés en défendre la nécessité.

A la question purement hydrologique – effet du taux d'étagement sur les paramètres écologiques, physiques et chimiques des masses d'eau – s'ajoute le constat que les Agences de l'eau dérivent dans une interprétation de plus en plus biocentriste et intégriste de leur mission dès lors qu'il est question de la morphologie des rivières. Les "obstacles à l'écoulement" qui forment le taux d'étagement dans le jargon de l'Onema et consorts, ce sont d'abord des ouvrages hérités de l'histoire, qui appartiennent à la culture commune des vallées, qui produisent des paysages, qui permettent des usages, qui concernent la vie des gens. La mission d'une Agence de l'eau ne saurait être de rayer progressivement de la carte ces réalités au nom des seuls objectifs piscicoles sortis du chapeau de la FNPF et de l'Onema.

03/12/2015

Consultation de la Sélune: 98,89% de voix contre la suppression des barrages

Le Président de la République avait suggéré un référendum local pour trancher la question de la suppression ou conservation des barrages de la Sélune. Mais ceux qui vantent bruyamment la «démocratie de l’eau» se sont bien gardés de donner ainsi la parole aux riverains. Une consultation populaire a été organisée par l’association les Amis des barrages. Sur 19.276 participations, le refus de supprimer les ouvrages frôle les 99%.  

Voici la déclaration de l’Associations les Amis du barrage, à travers son président John Kaniowsky :
"C’est bien évidemment un succès à la fois indéniable et inespéré. Mais, au-delà de ces considérations, on ne pourra s’empêcher de comparer ce résultat à celui de l’enquête publique qui s’était déroulée du 15 septembre au 17 octobre 2014 inclus. On nous avait alors annoncé que sur 4 589 opinions exprimées, 53 % des avis étaient favorables à l’arasement des barrages contre seulement 47 % en faveur de leur maintien. Plusieurs voix, dont les nôtres, s’étaient élevées pour dénoncer le décalage de ce résultat avec les opinions majoritairement exprimées à de nombreuses reprises, que ce soit à l’occasion de réunions publiques ou de manifestations diverses. On aurait pu facilement comprendre et admettre une différence de 10 %. Mais comment expliquer plus de 52 % d’écart en à peine une année ? La réponse tombe sous le sens : les avis validés par la commission d’enquête ont été majoritairement émis par simple idéologie et par des personnes qui ne sont pas concernées par l’avenir de la Sélune et de notre Sud-Manche, et dont ils ignorent, pour la plupart, la situation géographique exacte. Britanniques, Canadiens, Américains et autres amis étrangers se sont exprimés en masse à la demande d’associations dites 'écologistes'" Source


Le député Guénhaël Huet remettra en mains propres ces résultats à la Ministre de l’Ecologie. L'ensemble de la procédure a été consigné par huissier.

Commentaires
  • Cette consultation a une participation 4 fois supérieure à celle organisée "officiellement" par les gestionnaires de l'eau sur la Sélune – et 5 fois supérieure à l'ensemble de la participation à la consultation publique du SDAGE Seine-Normandie 2016-2021 (sur 18 millions d'habitants!).
  • Une des raisons en est que les formes institutionnelles de consultation sont conçues pour dépolitiser la question de l'eau, et en particulier de la continuité : jargon technocratique, euphémisation, analyse coût-bénéfice biaisée, information incomplète, pressions réglementaires et institutionnelles en faveur d'une des options, etc.
  • Dans les cas où il existe des alternatives et des fortes oppositions, nous sommes favorables à l'usage de consultations locales comme l'a suggéré le Président de la République. C'est aux habitants des vallées et des rives de décider de l'avenir de leur cadre de vie, pas aux groupes de pression ni aux bureaucraties non élus démocratiquement.
  • La continuité écologique prétend être une mesure d'intérêt général. Ce n'est pas le cas. C'est une mesure qui vise à améliorer certaines dimensions de la rivière et certains usages de cette rivière, ce qui n'est pas contestable, mais qui pénalise d'autres dimensions et d'autres usages. Personne ne peut s'autoproclamer "seul défenseur du bien commun" au nom d'une vision particulière de la nature, en parfait mépris du pluralisme de la société, de la diversité des images et des usages de la rivière, de la nécessité de concilier les enjeux environnementaux avec les enjeux sociaux, patrimoniaux, énergétiques, paysagers, etc.
  • Pour la Sélune comme pour l'ensemble des ouvrages classés, nous demandons un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique afin d'apaiser les conflits, de prévenir les contentieux et d'organiser une vraie concertation, avec la totalité des parties prenantes et non plus avec une sélection limitée et biaisée d'interlocuteurs. La situation actuelle est le fruit du mépris et de l'exclusion dont sont victimes les premiers concernés par les ouvrages hydrauliques, ainsi que de l'incapacité manifeste de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie à reconnaître le caractère problématique du classement des cours d'eau. Cette supposée "écologie" punitive et destructive réussit en tout et pour tout à braquer le corps social contre les améliorations qu'elle entend promouvoir. C'est donc un échec à tout point de vue. Arrêtons les frais et reprenons le dossier à partir du retour d'expérience des 6 années écoulées depuis le premier Plan de restauration (Parce 2009). 

12/11/2015

C'est ainsi que nos ouvrages meurent

Voici la Seine au niveau de l'ouvrage Floriet avant, et maintenant. Ces travaux d'effacement sont-ils ce que l'on attend d'un syndicat de rivière? Cette dépense d'argent public de l'Agence de l'eau Seine-Normandie est-elle une priorité pour nos cours d'eau? Nos députés et sénateurs ont-ils voté une seule loi qui enjoint de détruire le patrimoine hydraulique ? L'effet de ces opérations sur les milieux aquatiques fait-il l'objet de modélisations scientifiques sérieuses? La valorisation des dimensions récréatives, culturelles, énergétiques de ces sites est-elle seulement envisagée? A-t-on expliqué aux citoyens que l'indice de qualité piscicole en ce lieu était en classe bonne ou excellente avant l'effacement? A-t-on estimé le bilan nitrates (facteur dégradant reconnu du bassin Seine amont) de cette opération? Nous vivons l'âge sombre du dogmatisme de la continuité écologique, où quelques gens de passage éliminent sans état d'âme la mémoire des présences humaines en rivière. Pour que cela cesse, rejoignez les associations, faites signer le moratoire sur la continuité écologique


Hier






Aujourd'hui






A lire également cet article, d'où il ressort que la Seine au point de contrôle Onema de Nod avait un indice piscicole de qualité (IPR) bonne ou excellente dans les dernières campagnes de mesures, à l'époque où l'ouvrage Floriet était encore là.

29/10/2015

Le taux d'étagement en Comina, ou comment se fabriquent les politiques de l'eau

Mais au fait, comment se fabriquent au juste les politiques de l'eau dans les grandes Agences de bassin? D'où viennent ces idées, ces orientations, ces affirmations qui semblent parfois sorties de nulle part? Le fonctionnement des Agences est effroyablement complexe, comme le savent tous ceux qui ont essayé de le comprendre (ou de demander des informations chiffrées sur l'état des masses d'eau). Un extrait de délibération d'une Commission interne permet d'observer la nature des échanges. Instantané photographique qui ne prétend évidemment pas résumer tout le fonctionnement d'une Agence, mais qui montre bien le niveau très inquiétant de confiance excessive dans des données partielles et la spirale d'auto-persuasion dans des cénacle fermés. 

M. Paul-Henry de Vitton (Association des amis et de Sauvegarde des Moulins de la Mayenne) nous fait parvenir un lien utile : le compte-rendu d'une réunion de la Commission du milieu naturel et aquatique (COMINA) de l'Agence de l'eau Seine-Normandie (lien pdf).

Ce document, qui traite notamment de la question controversée du taux d'étagement, est intéressant à plus d'un titre. Sa lecture révèle en effet que :
  • les participants de cette "Comina", qui contribuent à l'élaboration des politiques de bassin (avant leur présentation à la C3P, Commission permanente des programmes et de la prospective), ne disposent pas d'information scientifique précise sur l'objet de leur discussion;
  • il est fait mention d'études qui auraient dû être menées… mais ne l'ont manifestement pas été ou n'ont pas été publiées;
  • cela n'empêche pas certains de défendre l'intérêt supposé du taux d'étagement comme outil de gestion, sans autre élément tangible pour appuyer leurs dires que leur intime conviction (ou le fait que cet outil existe déjà en Loire-Bretagne, bassin dont on rappellera le résultat terriblement médiocre en terme de gain écologique et chimique de qualité des rivières depuis 10 ans, de sorte que son invocation devrait être un contre-exemple de l'optimisation de l'investissement public en rivière) ;
  • alors que la loi a prudemment et limitativement instauré un objectif de fonctionnalité (franchissement piscicole, transit sédimentaire) au droit des ouvrages, il est manifeste que certains sont toujours dans une logique de restauration complète des habitats de la rivière (donc de "renaturation" et de suppression à cette fin des ouvrages), position radicale qui a fort peu de base légale ou réglementaire et qui pose clairement la question du caractère démocratique de la prétention normative des Agences de l'eau ;
  • les dimensions historiques, culturelles, récréatives, énergétiques, patrimoniales des ouvrages sont totalement absentes de la réflexion, ces comités fermés vivent dans un monde où ils peuvent gérer la rivière selon les critères qu'ils ont eux-mêmes posés comme légitimes, sans souci de se confronter aux autres visions de l'eau ni de problématiser (dans leur propre logique) ce que peut ou doit être un "milieu naturel" en situation d'influence anthropique multiséculaire;
  • les objectifs chiffrés, les analyses coût-avantage, les probabilités d'atteindre le bon état DCE 2000 (engagement européen de la France) ne sont manifestement pas à l'ordre du jour, on se contente de citer quelques expériences locales sans aucune méthodologie rigoureuse de contrôle, de suivi, de mesure.
Ce type de document ne fait que confirmer nos critiques antérieures: la politique publique de l'eau est aussi sous-informée scientifiquement qu'elle est mal-menée démocratiquement. Ce n'est pas avec de telles méthodes qu'elle gagnera une légitimité sur la question des ouvrages hydrauliques, plus généralement sur ses objectifs de qualité et la difficulté manifeste à les atteindre.

10/10/2015

Lettre ouverte à M. François Sauvadet sur le SDAGE Seine-Normandie

Le SDAGE Seine-Normandie est sur le point d'être adopté. Trois associations de Bourgogne saisissent le Président du Comité de bassin Seine-Normandie, M. François Sauvadet, pour exposer la dérive grave de ce texte, dont les orientations en matière de continuité écologique vont très au-delà des exigences de la loi et dont certaines propositions inacceptables feraient l'objet d'une requête en annulation si elles devaient être votées en l'état. 

Monsieur le Président,

Comme vous le savez, car nous avons échangé sur ce sujet encore récemment, la mise en oeuvre de la continuité écologique soulève de nombreuses difficultés et inquiétudes : assèchement brutal des biefs et canaux, changement peu prévisible des écoulements, affaiblissement de berges et des bâtis, perte esthétique et paysagère dans les villages et les vallées, disparition du patrimoine historique et du potentiel énergétique, choix d'aménagement décidés alors que les rivières ne sont pas scientifiquement étudiées sur l'ensemble de leur bassin versant, dépense publique conséquente malgré le manque de résultats probants sur nos engagements européens de qualité chimique et écologique des masses d'eau.

Ce n'est pas une fatalité : c'est le résultat de choix tout à fait excessifs visant à imposer contre la volonté des propriétaires, des riverains et souvent des élus locaux, ainsi que contre l'esprit des lois françaises, la seule solution de la destruction du patrimoine hydraulique. Malheureusement, l'Agence de l'eau Seine-Normandie dont vous présidez le Comité de bassin s'inscrit dans cette perspective excessive, autoritaire, brutale.

Pour comprendre l'ampleur et la nature du problème, un petit retour en arrière est nécessaire. Dans la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (2006), la représentation nationale a souhaité que les ouvrages en rivière classée au titre de la continuité soient "entretenus, équipés, gérés" selon les prescriptions concertées de l'autorité administrative. De la même manière, la loi dite de Grenelle 1 créant la trame bleue (2009) a souhaité une "mise à l'étude" de l'"aménagement des ouvrages les plus problématiques" pour les poissons migrateurs.

En aucun cas nos députés et sénateurs n'ont inscrit les mots "effacement", "arasement", "dérasement" ou "destruction" dans le texte de la loi ni dans l'horizon commun de gestion équilibrée des rivières. Au cours du vote de la loi de Grenelle 1, une commission mixte paritaire a même volontairement écarté une rédaction qui préconisait cet effacement.

C'est donc un choix démocratique clair et lucide : la suppression totale ou partielle des ouvrages n'est pas le souhait des représentants des citoyens français. Vous le savez fort bien, Monsieur le Président, au regard des responsabilités que vous exerciez lorsque ces textes ont été débattus et votés.

Plus récemment, vous n'êtes pas sans ignorer que Madame la Ministre de l'Ecologie Ségolène Royal, saisie des dérives de la mise en oeuvre administrative des lois de continuité, a déclaré aux sénateurs qui l'interpellaient à ce sujet que "les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins". Mme la Ministre de la Culture Fleur Pellerin a affirmé pour sa part aux députés lors de la discussion parlementaire sur la loi du patrimoine :"Je partage moi aussi votre souci de ne pas permettre la dégradation, voire la destruction, des moulins, qui représentent un intérêt patrimonial, par une application trop rigide des textes destinés à favoriser les continuités écologiques."

Le problème, Monsieur le Président, est que l'Agence de l'eau Seine-Normandie ne respecte nullement ces choix posés par le législateur et ré-affirmés par le gouvernement. 

Quand on consulte les services de l'Agence de l'eau Seine-Normandie pour aménager un moulin à fin de continuité, il est répondu que seul l'effacement est financé à 80%. Les passes à poissons (très coûteuses et inaccessibles aux maîtres d'ouvrage) ne font l'objet d'aucune subvention s'il n'existe pas d'usage économique avéré (90% des cas), et d'une subvention bien trop faible dans les rares autres cas. Même avec un soutien à 50%, le propriétaire devrait encore débourser des dizaines à des centaines de milliers d'euros restant dus pour payer les aménagements de continuité, ce qui est une dépense privée exorbitante pour des travaux relevant de l'intérêt général, créant une servitude permanente d'entretien et n'apportant strictement aucun profit aux particuliers ni aux communes à qui il est fait injonction de les réaliser.

On peut poser des normes très strictes pour des biens communs tels la qualité des milieux, mais la moindre des choses est d'en provisionner un financement public conséquent, pas d'en faire reposer la charge disproportionnée sur les seules épaules de quelques milliers de propriétaires insolvables à hauteur de ce qu'on exige d'eux.

Ces choix déplorables, à l'origine d'une tension croissante au bord des rivières, ne sont pas modifiés mais au contraire aggravés dans le projet de SDAGE 2016-2021 que vous vous apprêtez à adopter. Ce projet comporte en effet de nouvelles dérives dans le domaine de la continuité écologique, et des dérives inacceptables compte tenu des nombreux retours d'expérience accumulés depuis le classement de 2012, des progrès des connaissances et du rappel législatif évoqué plus haut.

Ainsi, le SDAGE intègre la notion de "taux d'étagement" de la rivière et le préconise comme objectif pour les cours d'eau (taux à 20 ou 30 %). Or, ce concept inventé dans un bureau ne figure à notre connaissance dans aucune loi ni aucune règlementation française. Il n'a aucune base scientifique solide (un simple mémoire de master d'étudiant lui a été consacré) et l'intérêt du taux d'étagement est totalement contredit par les résultats récents de la recherche française, européenne et internationale, montrant le faible lien entre les seuils et la qualité piscicole des rivières (ou la biodiversité). Il n'est pas acceptable que l'Agence de l'eau Seine-Normandie propage des objectifs sans fondement scientifique solide. De tels dispositifs génériques n'ont par ailleurs aucun sens par rapport à nos obligations réelles : comme nous y enjoint l'Union européenne, chaque rivière doit faire l'objet d'une analyse complète de ses impacts (physico-chimiques, morphologiques, chimiques) et de ses indicateurs de qualité biologiques, après quoi seulement on choisit des solutions adaptées aux déséquilibres constatés. Le simplisme et l'arbitraire du taux d'étagement nient cette nécessité d'une action localement conçue et scientifiquement étayée.

Plus gravement encore, le projet de SDAGE soumis à consultation se permet des affirmations comme celles-ci : "pour les ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usages ou en très mauvais état d’entretien ou de gestion, l’autorité administrative veille à la suppression des ouvrages et des installations et à la remise en état des sites naturels et du linéaire influence". Jamais la loi n'a donné mandat à l'administration de "supprimer" un ouvrage sous le seul prétexte qu'il n'aurait pas de fonction ni d'usage ! 

De la même manière, quand le projet de SDAGE écrit que "l’effet résiduel cumulé des obstacles même équipés de dispositifs de franchissement conduit à privilégier des solutions d’effacement par rapport aux solutions d’équipement", il se place en contradiction formelle avec les lois de 2006 et 2009 dont nous avons vu qu'elles ont privilégié l'aménagement et la gestion des ouvrages, en aucun cas l'effacement. Depuis quand une Agence de bassin prétend-elle imposer ses vues au détriment de celles du législateur ?

Monsieur le Président,

Le rôle des Agences de l'eau n'est pas d'employer des termes agressifs et hors-de-propos, encore moins de se substituer au législateur dans la définition de la politique de l'eau ni d'intimer à l'administration des actions que ni la loi ni la règlementation n'exige. Il n'est pas non plus de créer des inégalités des citoyens devant la loi – or c'est bien ce qui se passe, puisque chaque Agence choisit ses financements et que si tous sont soumis à la loi commune en matière de continuité écologique, certains sont moins aidés que d'autres. Cela révolte la décence commune et le sens élémentaire de la justice des citoyens français, dont on sait l'attachement au principe d'égalité de tous devant la loi.

Les Agences de l'eau sont d'autant moins fondées à des prétentions normatives qu'elles représentent un modèle de démocratie très perfectible : nous vous rappelons que les associations de moulins, les associations de riverains, les associations de défense du patrimoine rural et technique, les sociétés locales des sciences et tant d'autres acteurs légitimes de la civilisation hydraulique ne figurent pas dans votre Comité de bassin. De sorte que les principaux concernés par la continuité écologique sont totalement écartés de la discussion et de l'élaboration des mesures qui les regardent au premier chef. Cela rend à tout le moins fragile la prétention du SDAGE à imposer ses vues à une société civile exclue de tout pouvoir autre que très vaguement consultatif.

Le projet du SDAGE 2016-2021, poursuivant et aggravant les erreurs du SDAGE 2010-2015 dans le domaine de la continuité écologique, interdit une politique équilibrée sur les rivières. S'il devait être adopté en l'état, le SDAGE ferait l'objet de requêtes en annulation devant les cours administratives, le point de vue de nos associations étant partagé par de nombreuses consoeurs, de la Bourgogne et la Champagne à l'Ile-de-France et la Normandie. Et si l'Agence de l'eau Seine-Normandie persistait à refuser par principe le financement à 80% des ouvrages de continuité écologique, ce sont des centaines de contentieux qui s'ouvriront d'ici 2017, terme prévu du classement des rivières. Car les propriétaires de moulins, les riverains et un nombre croissant d'élus locaux sont désormais bien décidés à se battre contre les mesures injustes et les financements inégaux que promeut l'Agence de l'eau Seine-Normandie.

Nous vous prions donc de porter à la connaissance du Comité de bassin les points soulevés dans la présente lettre, et nous ne pouvons qu'espérer un abandon pur et simple des mesures les plus contestables du SDAGE 2016-2021, comme nous l'avons déjà exprimé en phase de consultation.

Le SDAGE nous engage collectivement pour 6 ans. Ces années peuvent être constructives plutôt que destructives, apaisées plutôt que tendues, consensuelles plutôt que polémiques. Si l'Agence de l'eau persiste dans la voie dogmatique qui est la sienne dans le domaine de la continuité écologique, elle aura pris la responsabilité de rendre parfaitement ingérable la question des ouvrages hydrauliques en rivière sur l'ensemble du bassin.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'expression de nos respectueuses salutations.

C.F. Champetier, président de l'Association Hydrauxois
C. Jacquemin, président de l'Association des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques du Châtillonnais (Arpohc)
F. Lefebvre-Vary, président de l'Association des moulins du Morvan et de la Nièvre (AMMN)

Copie à M. le Préfet de Bassin et Mme la Directrice de l'Agence de l'eau

06/06/2015

Avis négatif sur le SDAGE Seine-Normandie

Le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin de Seine-Normandie, porté par l'Agence de l'eau (AESN), est soumis à enquête publique jusqu'au 18 juin prochain. Nous invitons nos adhérents et sympathisants à donner leur opinion dans le questionnaire en ligne, et nous exprimons ci-dessous les réserves qui nous conduisent à refuser ce SDAGE. Les principales raisons en sont le déficit démocratique de la gouvernance, l'absence de représentants des moulins et des riverains dans les processus de décision, l'inefficacité de l'action publique pour l'état chimique et écologique des rivières du bassin, le manque de transparence et d'accès aux données réelles sur cet état, le caractère autoritaire et irréaliste des mesures de continuité écologique, l'inégalité persistante devant les charges publiques liées à l'amélioration de la qualité de l'eau. Ces points seront soumis au Préfet coordonnateur de bassin.

L'association Hydrauxois observe que :

- le 2e Collège du Comité de bassin ne comporte aucun représentant des moulins ni des riverains, les commissions techniques et géographiques de l'AESN n'ont pas procédé à des auditions systématiques des associations et fédérations rassemblant ces usagers, en conséquence le SDAGE dès sa conception ne respecte pas le principe d'une gestion équilibrée de l'eau et d'une participation démocratique aux décisions la concernant;

-  le bon ou très bon état écologique des rivières de Seine-Normandie ne concerne que 38% d'entre elles, très loin de l'objectif affiché et maintes fois répété de 68% pour 2015, laissant planer un sérieux doute sur l'efficience de la dépense publique en matière de gestion de l'eau du bassin;

- le bon état chimique ne concerne que 32% des masses d'eau, le déclassement en mauvais état venant dans la majorité des cas de la pollution diffuse des HAP, sans que ce déclassement chimique ne soit réellement analysé dans ses causes, ses conséquences (réglementaires et environnementales) ni les moyens réels d'y remédier pour respecter nos obligations de bon état chimique et écologique de 100% des masses d'eau à l'horizon 2027;

- les documents présentés en analyse au public n'offre aucun accès aux données brutes d'analyse de la soixantaine d'indices de qualité biologique, physico-chimique et chimique exigés par la mise en oeuvre de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000);

- les services techniques de l'AESN n'ont pas été en mesure de nous fournir un fichier de données démontrant que les mesures de qualité de la DCE 2000 sont réellement et intégralement effectuées sur l'ensemble des masses d'eau du bassin (les fichiers fournis n'offrant que des résultats partiels eu égard à nos obligations de suivi et rapportage de la qualité de l'eau), ce qui induit un soupçon légitime d'un défaut de connaissances scientifiques approfondies de l'état écologique et chimique réel de chaque bassin versant, donc d'un défaut de fondement objectif pour les décisions du SDAGE relatives à la priorisation et hiérarchisation des mesures de gestion de l'eau;

- dans le domaine de la restauration morphologique et de la continuité écologique, l'Agence de l'eau SN n'arrive de son propre aveu à suivre en moyenne qu'une centaine de travaux sur les seuils et barrages par an sur l'ensemble du bassin, admet elle-même que 750 ouvrages seulement seront suivis entre 2016 et 2021, cela alors que le nombre de seuils classés L2 sur le bassin est compris entre 5000 à 7000 ce qui impliquerait un rythme de gestion des dossiers dix fois plus important que celui admis comme réaliste par l'Agence de l'eau;

- le projet de schéma directeur du SDAGE SN acte de la difficulté de mise en oeuvre des opérations de restauration morphologique, en particulier de celles concernant les aménagements de seuils et barrages en lit mineur : coût économique important, complexité technique sous-estimée, manque d'acceptabilité sociale et de consensus politique, difficulté à caractériser le bénéfice environnemental des travaux liés à ce compartiment;

- le SDAGE ne tient aucun compte de son propre constat de difficulté sur la période 2004-2015 et son Orientation 19 du projet (Assurer la continuité écologique pour atteindre les objectifs environnementaux des masses d’eau) se contente de réitérer les mêmes objectifs sans apporter de solution nouvelle pour s'affranchir des limites mises en lumière dans le bilan;

- plus gravement encore, le SDAGE SN 2016-2021 ferme dans son Orientation 19 la porte à toute évolution de la réflexion sur l'aménagement des ouvrages et se contente d'enjoindre l'administration à persister dans une voie qui donne déjà lieu à des contentieux judiciaires, des protestations politiques, des difficultés économiques et troubles sociétaux sur les rivières;

- en particulier, le SDAGE ne modifie en rien la politique actuelle de l'Agence de l'eau SN qui consiste à financer la seule destruction des seuils et barrages, laissant aux propriétaires publics et privés la charge exorbitante de supporter le coût élevé des aménagements de continuité écologique, cela en contradiction avec le principe d'égalité des citoyens eu égard aux nombreuses aides publiques accordées à des usagers ayant des activités bien plus dégradantes pour la qualité de l'eau que la présence de seuils et barrages.

En conséquence de ce qui précède, l'Association Hydrauxois :

- donne un avis négatif au projet actuel de SDAGE 2016-2021 sur le bassin Seine-Normandie;

- demande au Préfet coordonnateur de bassin de différer l'adoption de ce SDAGE afin d'apporter une réponse adaptée aux manquements signalés dans la présente;

- examinera l'opportunité d'un recours en contentieux administratif si le SDAGE Seine-Normandie venait à être adopté sans que ces demandes soient satisfaites.