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01/03/2016

Armançon : on efface des seuils malgré un état piscicole excellent de la masse d'eau

Le Sirtava et la commune de Tonnerre s'apprêtent à ouvrir une enquête publique pour l'effacement de deux seuils de la ville. Nous avons déjà montré pourquoi ce projet – qui coûterait 130 k€ de chantier et plus de 200 k€ en incluant les études – n'a quasiment aucun intérêt. En analysant les données de qualité DCE 2000, on s'aperçoit que la masse d'eau concernée (Armançon intermédiaire) est en état piscicole bon ou excellent dans les 3 derniers relevés, avec des scores qui tendent à s'améliorer. Cela malgré la présence de dizaines de seuils à l'amont comme à l'aval du point de contrôle, selon le Référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE) de l'Onema. La gabegie d'argent public au nom de la continuité écologique continue de plus belle. Il faut cesser cette dérive. 

Rappelons pour commencer les principes généraux de l'analyse de qualité des rivières. La France doit répondre à l'Union européenne de la qualité écologique et chimique de ses masses d'eau demandée par la Directive cadre européenne de 2000 (DCE), avec une soixantaine d'indicateurs à surveiller (dans 3 compartiments, biologique, physico-chimique et chimique). Une masse d'eau est une rivière ou une partie de rivière ayant une cohérence hydrologique. Le linéaire de l'Armançon est donc divisé en plusieurs masses d'eau de la source à la confluence. Celle qui intéresse Tonnerre a pour code européen FR HR65, et pour nom technique "L'Armançon du confluent du ruisseau de Baon (exclu) au confluent de l'Armance (exclu)", soit le cours intermédiaire de la rivière entre Tanlay et Saint-Florentin

Comme le savent ceux qui essaient de les consulter, les données de qualité de l'eau (gérées par les Agences en France) sont un véritable maquis. On devrait avoir une base nationale homogène avec, sur chaque masse d'eau, toutes les données détaillées et classées par année. Il n'en est rien. Certains bassins ont des interfaces assez accessibles, d'autre non. Les fichiers que l'on parvient à télécharger proviennent de toute sortes de sources publiques disséminées – on en trouve pas exemple sur data.eaufrance.fr, rapportage.eaufrance.fr, surveillance.eaufrance.fr, sans parler des agences qui ont ou non leur base… pourquoi faire simple et transparent quand on peut faire opaque et compliqué?

Dans le fichier de l'état des lieux 2013 fournis par l'Agence de l'eau Seine-Normandie, l'Armançon moyenne (FR HR65) est donnée en état biologique moyen, en état physico-chimique moyen, en état chimique "inconnu". Les causes exactes de dégradation écologique sont réputées "inconnues" (comme sur la plupart des masses d'eau de ce fichier). Dans les données disponibles cette fois sur le site du rapportage DCE à l'Union européenne, on observe une dégradation de l'état chimique de masse d'eau, due à la pollution diffuse aux hydrocarbures aromatiques polycycliques ou HAP (ici deux molécules, Benzo(g,h,i)perylene et Indeno(1,2,3-cd)pyrene).

La mesure spécifique nous intéressant est la qualité piscicole – qui, bien sûr, est encore hébergée à une autre adresse internet (ce serait trop simple), image.eaufrance.fr. Elle est disponible quant à elle de manière détaillée (score inclus) de 2001 à 2013, mais il n'y a pas un relevé chaque année sur chaque masse d'eau. Sur le tronçon concerné de l'Armançon, nous avons trouvé trois relevés de l'indicateur de qualité (indice poisson rivière IPR) pour les années 2003, 2008 et 2012. La station de contrôle de la qualité piscicole est située à Tronchoy, à l'aval de Tonnerre. Les résultats sont ci-dessous.


On observe que la qualité piscicole de la masse d'eau est considérée comme bonne (vert, entre 7 et 16) ou excellente (bleu, < 7) dans les 3 derniers relevés, avec une tendance à l'amélioration du score (plus le score est faible, meilleure est la classe de qualité). Cela signifie qu'au regard des critères européens, il n'y a aucun besoin d'effacer des ouvrages pour ce compartiment piscicole, qui est déjà dans la meilleure classe de qualité.

Ci-dessous, nous publions la carte ROE-IGN du tronçon de la masse d'eau FR HR65. Les flèches noires indiquent les ouvrages de Tonnerre (en bas) et la station de contrôle piscicole de Tronchoy (au-dessus). Surtout, les points rouges innombrables signalent les seuils en rivière.


Cela signifie que malgré la présence de nombreux ouvrages hydrauliques à l'amont comme à l'aval, la rivière parvient à un bon score pour ses peuplements piscicoles tels qu'ils sont évalués pour la directive européenne. Ces données infirment la fable selon laquelle les ouvrages supprimeraient tellement les habitats naturels que les espèces d'intérêt pour la masse d'eau auraient quasiment disparu. Ces données expliquent aussi peut-être la raison pour laquelle les bureaux d'études et le syndicat n'ont pas cru bon donner aux élus et aux citoyens une analyse complète de l'état de la masse d'eau et de ses causes exactes de dégradation.

Notons au passage que même si l'état piscicole avait été moyen ou mauvais, il aurait encore fallu démontrer un lien causal avec la continuité longitudinale, sachant que l'écart au bon état sur une rivière peut avoir de nombreuses raisons, les seuils de moulin étant l'une des moins probables si l'on en croit la faible variance associée dans les travaux scientifiques (cf par exemple Van Looy 2014 et Villeneuve 2015 sur des rivières françaises, et d'autres recherches internationales en hydro-écologie quantitative ou en histoire de l'environnement sur l'impact modéré de la morphologie pour la qualité biologique du cours d'eau). Inversement, ce n'est pas parce que l'état piscicole est bon qu'on peut en attribuer la cause aux seuils, on peut simplement constater que ceux-ci ne sont pas associés à une dégradation du linéaire sur ce compartiment.

Conclusion : le Sirtava à Tonnerre agit exactement comme le Sicec à Nod-sur-Seine, et comme tant d'autres syndicats de rivière ou fédés de pêche en France, en détruisant des seuils au prétexte de sauver des poissons qui n'en ont manifestement pas besoin au regard des mesures officielles de qualité des masses d'eau que nous envoyons à Bruxelles. Le tout avec la bénédiction de l'Agence de l'eau Seine-Normandie, qui signe généreusement des chèques avec notre argent. Combien de dizaines de millions d'euros gâche-t-on ainsi chaque année à détruire le patrimoine hydraulique de notre pays, alors que certains besoins autrement plus importants des collectivités, et des rivières, ne peuvent plus être assurés correctement? C'est absurde, et obscène.

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25/02/2016

Arasement des ouvrages de Tonnerre: un projet inutile, coûteux et potentiellement dangereux

Le Sirtava (syndicat du bassin versant de l'Armançon) a engagé avec la commune de Tonnerre un projet de dérasement de deux ouvrages sur le territoire communal : ouvrage dit des services techniques, ouvrage dit de Saint-Nicolas. Notre association émettra en avis négatif sur ce projet lors de l'enquête publique, fera de requêtes complémentaires à la Préfecture de l’Yonne sur certaines dimensions négligées dans les études et demande dès à présent à la commune ainsi qu’à l’ensemble des parties prenantes de reconsidérer l’intérêt du chantier. En voici les raisons.




Contexte réglementaire, légal et politique

L'effacement des ouvrages n'est inscrit dans aucune loi - Aucune loi française n'indique qu'il faut effacer, araser ou déraser les ouvrages, et il en va de même pour la réglementation européenne (DCE 2000). La LEMA 2006 et l'article L 214-17 du Code de l'environnement demandent que les ouvrages soient "gérés, entretenus et équipés" selon des règles définis par l'autorité administrative. Il n’est pas question dans la loi de détruire le patrimoine hydraulique.

Le Ministère de l’Ecologie et le Ministère de la Culture ont demandé de cesser les effacements – Les nombreux problèmes liés aux effacements d'ouvrage ont été reconnus par la Ministre de l'Ecologie (qui a missionné une enquête du CGEDD et écrit aux Préfets en décembre 2015) et par la Ministre de la Culture, l'une et l'autre ayant appelé devant le Parlement à cesser les destructions de moulins. L'article L 214-17 CE est en train de recevoir plusieurs modifications dans le cadre de l'examen des lois Patrimoine et Biodiversité. Le rapport parlementaire Dubois-Vigier (février 2016) a demandé une évolution substantielle de la continuité écologique sur plusieurs points, dont le financement et la priorisation sur le vrai enjeu des grands migrateurs. Une demande de moratoire sur la mise en œuvre de la continuité écologique est actuellement soutenue par plus de 1100 élus et de 270 institutions en France, dont les principaux usagers de la rivière (fédérations, fondations ou syndicats des moulins, des gestionnaires d’étangs, des forestiers, des hydro-électriciens, des protecteurs du patrimoine et du paysage, des agriculteurs, des riverains). Il faut donc éviter toute précipitation sur ce dossier reconnu comme très problématique.

Aucun effet démontré du chantier sur nos obligations européennes en matière de qualité de l’eau (DCE 2000) - Les dossiers des bureaux d'études sur le cas de Tonnerre (Cariçaie 2012, Segi 2015) n'apportent aucun élément réel d'information sur l'état écologique et chimique du tronçon au sens de la DCE 2000 (environ 60 mesures obligatoires de qualité de l’eau dans 3 compartiments), ni sur l'effet prévu des aménagements sur cet état. En d'autres termes, il n'est pas démontré que les ouvrages (modestes) de Tonnerre sont à l'origine d'une quelconque dégradation des paramètres biologiques, physico-chimiques et chimiques définissant le bon état de la masse d'eau. La priorité de la France, de la Bourgogne Franche-Comté et des collectivités locales en terme de qualité de l’eau n'est pas de faire des opérations cosmétiques sur les habitats de minuscules tronçons, mais de respecter leurs engagements européens : Directives Nitrates et Eaux usées (1991), DCE 2000, Directive Pesticides (2009). Ce n'est pas le cas sur l'ensemble du bassin de l'Armançon, donc le Sirtava et les collectivités gagneraient à cibler les dépenses sur des enjeux utiles et prioritaires.



Absence d’intérêt écologique tangible des aménagements proposés,
dépense mal avisée d’argent public

Effet quasi-nul des ouvrages au plan sédimentaire - Au plan hydromorphologique, il a été reconnu par la mission Hydratec 2006 (JR Malavoi) que le bassin de l'Armançon ne pose pas de problèmes sédimentaires majeurs et que l'essentiel de sa dynamique fluviale est préservée. Les ouvrages très modestes proposés au dérasement à Tonnerre ne représentent pas des obstacles significatifs au transit des limons, sables et graviers. Au demeurant, leurs retenues ne sont pas comblées malgré l'absence d'entretien apparent, ce qui suggère que les crues curent régulièrement et naturellement les amas sédimentaires amont. Ce phénomène s’observe sur tous les petits ouvrages de types chaussées ou seuils du bassin de l'Armançon. Rappelons que la littérature scientifique sur la continuité écologique est née dans les années 1980 sur la base de l’étude des très grands ouvrages (plus de 10 ou 20 m) qui bloquent effectivement et massivement la dynamique sédimentaire des bassins. L’effet physique de la très petite hydraulique est localisé et quasi-nul au regard des volumes solides charriés annuellement sur les bassins.

Effet quasi-nul des ouvrages au plan du franchissement des espèces migratrices d’intérêt sur l’Armançon - La faible hauteur des ouvrages (0,97 m et 1,65 m au module), la conformation en pente de leur parement et l'existence d'échancrures latérales les rendent franchissables aux espèces migratrices (ici anguilles) qui sont la cible première du classement des rivières (classement Seine-Normandie de 2012, Armançon en liste 2 sur le tronçon tonnerrois, au titre du L 214-17 CE). La Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministre de l'Ecologie a précisé dans la Circulaire d'application du classement des rivières (janvier 2013) que ce classement ne consiste pas à restaurer de l'habitat (objectif mis en avant par le BE Segi), mais simplement à rétablir des fonctionnalités de franchissement. En d'autres termes, l'idée qu'il faudrait (soi-disant) "renaturer la rivière" en créant des "habitats différenciés" n'est en rien une obligation légale et réglementaire, mais une certaine vision de la rivière, non partagée par tous. Quand ce choix concerne à peine quelques centaines de mètres de linéaire, pour des espèces qui ne sont pas menacées d'extinction sur le bassin (chabot, lamproie de Planer), au détriment d'autres espèces qui apprécient les eaux lentiques, on peut considérer que le bénéfice écologique est très faible, voire nul quand on intègre les autres compartiments d'intérêt. Du même coup, cette dépense d'argent public est à questionner avec plus de vigilance, tant les besoins pour la qualité de l'eau sont importants sur le bassin. Nous souhaitons un vrai débat démocratique et informé sur l'opportunité de dépenser pour des gains écologiques si faibles.

Absence de cohérence avec les ouvrages les plus impactants (à Tonnerre et sur le bassin Armançon) sans projet d’aménagement - Le caractère inutile des aménagements est renforcé par le fait que les deux ouvrages amont (déversoir et ouvrage répartiteur de la Cascade) sont sans projet connu d’aménagement à fin de transit sédimentaire et de franchissement piscicole. Il ne paraît pas cohérent de traiter la moitié seulement des ouvrages de la ville, alors que tous sont soumis aux mêmes obligations réglementaires et alors que la continuité, comme son nom l'indique, ne concerne pas des sites fragmentés, mais bien l'ensemble du cours fluvial. Au demeurant, nous rappelons ici que les principaux obstacles à la continuité écologique du bassin de l'Armançon, qui sont les grands ouvrages de soutien du canal de Bourgogne appartenant à VNF, ne font l'objet d'aucun projet d'aménagement. Peut-on sérieusement faire croire aux citoyens qu'il s'agit là de choix rationnels inspirés par le seul souci des milieux? Où est la "continuité" quand on tronçonne ainsi les basins en évitant leurs principales discontinuités? Ce n'est pas sérieux.

Absence d’objectifs écologiques chiffrés et d’analyse coûts-avantages (services rendus par les écosystèmes aménagés) – Enfin, nous ne comprenons pas que le projet engage plus de 130 k€ d’argent public sans avancer d’analyse coûts-avantages et d’objectifs chiffrés sur les progrès des milieux. Il paraît indispensable que des indicateurs chiffrés permettent de contrôler avant / après les gains réels et garantissent qu’il ne s’agit pas d’une dépense somptuaire. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une description sommaire sur la "diversification des faciès" de la rivière: il faut que la dépense soit évaluée selon des gains, tout particulièrement selon les gains permettant le respect de la DCE 2000 et des autre directives européenne de qualité des milieux aquatiques.



Risque sur les ouvrages d’art à l’amont, risques sur les milieux

Risque sur les piles et culées des ponts à l’amont, nécessité de clarifier les responsabilités futures - Il est reconnu par l'étude géotechnique du BE Fondasol que les deux ponts à l'amont des ouvrages sont en mauvais état pour leurs piles et leurs culées, sans fondation profonde en premier examen, ce qui a exclu la solution de l'effacement. Cela a plusieurs conséquences : le simple arasement (au lieu du dérasement complet initialement prévu) limite encore l'intérêt écologique (déjà très faible) du chantier ; le BE Fondasol s'en remet à la simulation hydraulique du BE Segi pour garantir qu'il n'y aura pas d'affouillements des fondations des ponts. Mais cette simulation a-t-elle le niveau de réalisme et de robustesse requis? Il importe que chacun prenne de manière formelle ses responsabilités sur ce sujet précis : si la simulation était défaillante et que les ouvrages se trouvaient à terme fragilisés par des marnages sur certains de leurs éléments, le coût des travaux correctifs devra être attribués au(x) responsable(s) de cet état de fait.

Dépenses mal avisées au vu des besoins d’investissement sur les ouvrages d’art et les ouvrages de répartition de l'Armançon tonnerroise - En lien au point précédent, on se demande pourquoi le syndicat de rivière et la commune engagent une dépense publique supérieure à 130 k€ (200 k€ en incluant les coûts des diverses études) pour un chantier à peu près inutile de continuité écologique alors que les ouvrages d'art ont besoin de confortement. De précédents rapports de 2008 et 2009 (Pont de la scierie) et de 2013 (Pont Saint-Nicolas) avaient déjà signalé le mauvais état de ces ouvrages d'art. Leur réfection ne serait-elle pas un investissement plus profitable aux Tonnerrois et au patrimoine de leur ville ? De la même manière, les organes mobiles de l'ouvrage de répartition amont semblent défectueux, n'est-il pas plus important d'investir dans leur réparation et leur automatisation pour garantir la bonne gestion des écoulements et la sécurité des citoyens en période de crue ? Nous sommes en pleine crise économique, les dotations des collectivités sont en baisse, les crédits manquent pour nombre de projets: il ne paraît pas raisonnable dans un tel contexte d'engager des dépenses éloignées du véritable intérêt général des riverains.

Evolution du bras de décharge, fonctionnalité en crue – Un bras de décharge (env. 500 m) a été créé par la ville de Tonnerre entre les 2 ouvrages du projet, afin de limiter les phénomènes d’inondation des zones urbanisées. Il apparaît que l'hydrologie de ce bras de décharge va changer, notamment qu'il ne sera plus fonctionnel pour les crues les plus fréquentes (annuelles), alors qu'usuellement il dérive 7,8 m3/s à ces niveaux de crue. Cela pose la question de l'effet sur les tiers, de la persistance de sa fonctionnalité dans le temps (risque de reprise végétative et de comblement progressif) et des coûts afférents à son entretien dans l'hypothèse où les ouvrages seraient arasés. Il importe de garantir avec toute certitude que les habitations en zone inondable ne seront pas impactées par les conséquences des travaux (nouveaux écoulements), si possible que leur situation sera améliorée par rapport à la situation présente. La gestion des crues et inondations est la première priorité des communes et des syndicats: mettant en péril les biens et personnes,  elle doit primer sur des considérations environnementales, particulièrement en milieu urbanisé.

Absence de prise en compte de certains risques pour les milieux – Comme c’est souvent le cas, nous observons que les bureaux d’études n’ont pas pris en compte plusieurs risques écologiques liés aux opérations d’arasement et de dérasement. Ainsi, il convient de vérifier avant tout chantier dans le lit mineur de la rivière que les sédiments remobilisés ne sont pas pollués (s’ils le sont, préciser le régime de responsabilité et les coûts de leur extraction-transport-dépôt) ; que des espèces invasives à l’aval (dont le silure, le pseudorasbora porteur d’un pathogène virulent, les écrevisses américaines, etc. ) ne risquent pas de coloniser le bassin amont (le cas échéant, prévoir un régime de responsabilité et des mesures de compensation).



Caractère partial et incomplet de la prise en compte des différents intérêts des ouvrages hydrauliques

Absence de prise en compte des autres intérêts / dimensions des ouvrages – Nous constatons que les intérêts des ouvrages hydrauliques ne sont pas réellement pris en considération :
  • intérêt culturel et historique pour ce qui forme le 3e patrimoine de France et le témoignage très ancien de la présence humaine en rivière, ayant structuré l’implantation humaine à Tonnerre (le fonctionnement actuel en 3 bras est déjà présent sur la carte de Cassini) ;
  • intérêt paysager pour des biefs qui sont toujours en eau même à l'étiage, ce qui contribue à l'agrément de la ville ;
  • intérêt énergétique pour une source renouvelable et bas-carbone, alors que la France est engagée dans la transition et que le Ministère de l'Ecologie vient de publier un appel d'offres ouvert à la très petite hydro-électricité 36-150 kW (les ouvrages actuels ont au module une puissance brute comprise entre 100 et 200 kW, ce qui n'est pas négligeable en production hydro-électrique)  ;
  • intérêt hydrologique, car les retenues contribuent à la recharge et au soutien des nappes, alors que les incertitudes liées au changement climatique sont nombreuses et que nous souffrons de sécheresses à répétition ;
  • intérêt physico-chimique, car il est largement démontré par la recherche scientifique que les retenues des ouvrages contribuent, par leur cinétique lente, à l'auto-épuration azote, phosphore et carbone de l'eau ;
  • intérêt halieutique, car les pêcheurs apprécient pour beaucoup d’entre eux les points agréables que forment les ouvrages, leurs chutes et leurs retenues.
Comme nous l’avons écrit plus haut, nous attendons une vraie analyse coûts-avantages sur les services rendus par les écosystèmes (libres ou aménagés). Le rôle d’un syndicat de rivière et d’une commune est d’apporter une information complète, impartiale, non biaisée, afin de permettre à la collectivité prendre les meilleures décisions en toute connaissance de cause.



Pour l'ensemble de ces raisons, nous considérons qu'il ne faut pas donner suite au projet actuel de dérasement des ouvrages des services techniques et de Saint-Nicolas à Tonnerre, et plutôt poursuivre la réflexion vers des choix moins coûteux et moins destructifs, relevant d'une approche plus riche des différentes dimensions de la rivière et de son patrimoine bâti. Les ouvrages actuels ont un impact piscicole et sédimentaire très faible : il n'y a pas lieu d'engager de chantiers coûteux à leur sujet, alors que la ville a des problématiques hydrauliques plus importantes et plus conformes à l'intérêt général (entretien de ses ponts, de ses berges, des ouvrages de répartition amont, de son plan d'eau). Nous demanderons au commissaire enquêteur de donner un avis défavorable au projet actuellement porté par le Sirtava et la commune de Tonnerre, et nous demanderons à la Préfecture de l’Yonne de veiller au respect de l’ensemble des lois relatives aux travaux en rivières, y compris celles qui ne semblent pas prises en compte par le projet en l’état.

Illustrations : les ouvrages hydrauliques de Tonnerre (déversoir et ouvrage répartiteur de la Cascade, Saint-Nicolas, services techniques), le pont en amont de l'ouvrage des services techniques (dont on observe les piles érodées aux pierres en partie déjointées et déjà emportées).

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11/07/2015

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La question peut paraître curieuse, mais elle mérite d'être posée. Un citoyen inquiet nous a alerté sur le programme de destruction de deux ouvrages hydrauliques de Tonnerre, porté par le Sirtava et financé par l'argent public. Dans le projet d'assistance à maîtrise d'oeuvre publié en juin 2015 par le bureau d'études SEGI, nous lisons que l'espèce piscicole "repère " retenue pour le niveau d'ambition des aménagements est le chabot.


Le chabot, espèce sédentaire, piètre nageur et sauteur
Retenir ainsi le chabot comme espèce repère de la continuité longitudinale nous surprend à plus d'un titre. Voici quelques raisons (pour des revues générales, voir OFEPP 2004, Tomlinson et Perrow 2003) :

- le chabot (Cottus gobio) est considéré comme espèce d'eaux vives caractéristique des zones à truites (zonation de Huet), ce qui n'est pas le cas de l'Armançon aval où l'on doit plutôt être dans la zone à barbeau ;

- le chabot vit de façon sédentaire en habitat benthique (sur le fond), il n'a pas de capacité morphologique importante de nage ni de saut, en aucun cas il ne peut être assimilé à un migrateur présentant des besoins vitaux en montaison dans son cycle de vie ;

- de simples débris de bois en zones forestières (Langford et Hawkins 1997) ou des obstacles de 18-20 cm (Utzinger et al 1998) suffisent à dissuader sa circulation et changer la fréquence relative de ses populations, sans que la densité totale d'individus sur l'ensemble du linéaire des rivières aménagées paraisse notablement affectée ;

- le chabot a de fortes capacités d'adaptation et n'est pas limité aux eaux vives, il a été documenté dans des eaux stagnantes (lac) et jusqu'à 50 m de profondeur, il supporte des températures de l'eau élevées (plus de 20-24°C pendant 2 mois, voire jusqu'à 27°C), la présence d'un bief ne représente donc pas une dégradation grave de son habitat (et laisse de toute façon d'autres zones à écoulement plus naturel dans la rivière) ;

- le chabot commun n'est pas sur la liste rouge des espèces menacées en France, sa répartition est relativement ubiquiste sur le territoire et si les petits seuils des moulins devaient le faire disparaître, cela aurait été le cas depuis bien longtemps ;

- l'Armançon en particulier a un peuplement piscicole stable depuis un siècle, et certaines chercheurs pensent que c'est le cas depuis plusieurs siècles d'aménagements pour le flottage, la navigation et l'énergie (voir Beslagic et al 2013) ;

- dans le cas particulier de Tonnerre, le seuil amont de la Cascade ne sera pas effacé, donc le gain de linéaire sans obstacle est modeste et sans enjeu réel (sauf à considérer que quelques centaines de mètres sans retenue d'eau représentent un triomphe écologique décisif pour la rivière, ce qu'il convient de démontrer par des preuves) ;

- le véritable et seul enjeu migrateur de l'Armançon est l'anguille, mais comme sa colonisation des têtes de bassin n'a jamais été historiquement entravée par des seuils modestes (1,10 et 1,50 m de hauteur de chute à Tonnerre), on préfère parler du chabot qui satisfait le besoin apparemment compulsif de détruire tout obstacle de plus de 20 cm.

L'extrémisme ordinaire: quand des décisions radicales et antidémocratiques deviennent routine
La destruction d'un ouvrage hydraulique est un acte grave, qui altère le patrimoine historique, réduit à néant le potentiel énergétique, efface le droit d'eau, change le paysage, remobilise des sédiments, modifie les écoulements et les risques associés, coûte de l'argent public (financement à 95%). En aucun cas cette destruction ne devrait être envisagée pour des motifs futiles ou mineurs. Et, systématiquement, cette destruction devrait être associée à des objectifs clairs de résultats, avec un suivi scientifiquement validé permettant de garantir aux citoyens que des enjeux environnementaux importants ont bel et bien été satisfaits.

Mais cela ne se passe pas ainsi. Nous vivons dans le règne antidémocratique de l'extrémisme ordinaire : quelques décideurs (services techniques et administratifs des syndicats, des Agences de l'eau, des DDT et Onema, de la Direction de l'eau au Ministère) et quelques lobbies aussi minoritaires que subventionnés défendent une idéologie irréaliste et radicale de la rivière "renaturée", assomment le citoyen d'études complexes aux résultats généralement creux dès qu'on sait les lire, engagent des dépenses d'argent public pour satisfaire des fantasmes de pseudo-naturalité des écoulements n'ayant rien à voir avec les besoins prioritaires pour la qualité chimique et écologique des rivières françaises.

Il est anormal que les ouvrages hydrauliques de Bourgogne et de France soient ainsi victimes d'une idéologie radicale, punitive et destructive, sans base scientifique consensuelle, sans engagement de  responsabilité sur des résultats tangibles. Alors que la plupart des pressions sur les rivières jouissent d'une large mansuétude de la part de l'autorité publique, le cas particulier de la morphologie exacerbe une approche extrémiste et décalée de la conservation pour la conservation, sans aucune réflexion de contexte. Ainsi, "on se lâche" sur la continuité longitudinale en prétendant casser le maximum d'ouvrages pour "naturaliser" le cours d'eau à la pelleteuse, tout en admettant par ailleurs que les bassins versants resteront artificialisés, que les pollutions chimiques (plus de 450 substances) seront mal mesurées et ne reculeront que très lentement, que le réchauffement climatique changera les biotopes d'ici quelques décennies, que les peuplements piscicoles ont de toute façon évolué localement depuis des siècles, etc. Tout cela n'a aucun sens. Nous n'avons pas des milliards d'euros à dépenser pour satisfaire quelques apprentis sorciers des technocraties et quelques lobbies des comités de bassin : la gabegie et la folie des destructions d'ouvrages doivent cesser.

Références citées
Beslagic S et al (2013), Évolution à long terme des peuplements piscicoles sur le bassin de la Seine, PIREN-Seine, phase 6, rapport
Langford TE, Hawkins J (1997), The distribution and abundance of three fish species in relation to timber debris and mesohabitats in a lowland forest stream during autumn and winter, Limnetica, 13, 2, 93-102
Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) (2004), Biologie, menaces et protection du chabot (Cottus gobio) en Suisse, Informations concernant la pêche, 77
Tomlinson ML, Perrow MR (2003), Ecology of the Bullhead Cottus gobio, Conserving Natura 2000 Rivers Ecology Series, 4
Utzinger J et al (1998), Effects of environmental parameters on the distribution of bullhead Cottus gobio with particular consideration of the effects of obstructions, Journal of Applied Ecology, 35, 6, 882–892

Illustration : © Hans Hillewaert, Wikimedia Commons

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