01/07/2016

Des petits barrages favorables aux salamandres (Kirchberg et al 2016)

Aux Etats-Unis, des chercheurs montrent que trois espèces de salamandre sont 4 à 20 fois plus nombreuses en aval des petits barrages que dans les tronçons non fragmentés des têtes de bassin. Le phénomène peut s'expliquer par la stabilisation du débit induite par le barrage, les changements morphologiques et trophiques, l'effet chimique sur l'eau. "Les petits barrages peuvent jouer un rôle écologiquement important pour les communautés situées à l'aval", concluent les scientifiques. Ces barrages modestes étant encore peu étudiés par les chercheurs, ils appellent à la plus grande prudence dans la tendance actuelle à leur démantèlement au nom de la conservation.



Jeffery Kirchberg et ses collègues (Université du Kentucky, Université du Sud Sewanee, Tennessee) observent que les grands barrages ont été associés aux déclins de certaines espèces en rivières et longuement analysés, alors que "les petits barrages sont largement sous-étudiés" par la recherche scientifique. Les auteurs ont vérifié la répartition de salamandres dans 10 paires de tronçons tantôt en flux libre, tantôt fragmentés par des barrages de taille inférieure à 5 m et de retenue inférieur à 0,8 ha. Deux transects ont été réalisés à 20 m et à 50 m à l'aval des barrages, avec trois à six échantillonnages entre avril et octobre.

Une abondance 4 à 20 fois supérieure à l'aval des barrages
Six espèces d'amphibiens ont été capturées au total, dont trois plus de 150 fois. Les larves de ces trois espèces de salamandre (Desmognathus conanti, Eurycea wilderae et Pseudotriton ruber) ont été étudiées plus précisément en raison de leur expansion sur le plateau de Cumberland (zone d'étude) et de leur stratégies de vie assez différentes. Les larves se sont révélées respectivement 3.9, 19.6 et 9.8 fois plus abondantes à l'aval des barrages que dans les flots libres. Pour ce qui est des propriétés physico-chimiques de l'eau de l'eau, le pH et la concentration de fer ont une corrélation positive à la présence des urodèles, la conductivité étant négativement associée.

Comment expliquer ce résultat, qui n'était pas attendu? Une première explication peut venir des conditions hydrologiques plus stables assurées par les barrages, notamment la limitation des sécheresses saisonnières. Une autre hypothèse tient à ce que les eaux plus exposées à la lumière des retenues sont plus productives, et donc plus favorables à la production trophique bénéfique aux salamandres. Il est aussi possible que le blocage du barrage crée un effet d'accumulation.

Une claire reconnaissance de certains effets bénéfiques des petits barrages
Les chercheurs concluent : "Cette étude rejoint un corpus croissant de littérature indiquant que les petits barrages peuvent jouer un rôle écologiquement important pour les communautés situées à l'aval (…) En bénéfices secondaires, les petits barrages réduisent aussi les mouvements des espèces aquatiques invasives et servent de puits à des contaminants et toxiques environnementaux".

Et ils ajoutent : "Bien que les petits et grands barrages puissent causer des problèmes environnementaux et que les groupes conservationnistes appellent régulièrement à soutenir leur effacement, nous encourageons à évaluer avec prudence le démantèlement des barrages selon le contexte de leur taille, de leur position sur le réseau, et de la présence d'espèces rares, migratrices ou invasives".

Voilà une nouvelle étude qui rejoint très exactement la position de prudence que nous défendons, et plaide pour des aménagements sélectifs en faveur des migrateurs, sans destruction. Mais les gestionnaires pressés de rivières sont loin de respecter ces précautions, puisqu'on les pousse au résultat au détriment de la qualité des travaux préparatoires. Les inventaires préalables de biodiversité des biefs, retenues et zones adjacentes aux ouvrages sont plus que jamais nécessaires avant la mise en oeuvre de la continuité écologique sur un bassin versant.

Référence : Kirchberg K et al (2016), Evaluating the impacts of small impoundments on stream salamanders, Aquatic Conservation: Marine and Freshwater Ecosystems, DOI: 10.1002/aqc.2664

Illustration : salamandre à deux lignes de Blue Ridge (Eurycea wilderae), Joseph B. Lax-Salinas, CC BY-SA 3.0

30/06/2016

Zéro perte nette de biodiversité? Cela doit s'appliquer aux effacements d'ouvrages

La loi prévoit déjà de limiter les atteintes à l'environnement lors des chantiers ayant des impacts sur les habitats et espèces en place, et les députés viennent de renforcer ce dispositif dans le cadre des discussions sur la loi Biodiversité. Nous demandons (et appelons nos consoeurs associatives à demander) que ces dispositions s'appliquent en toute rigueur aux chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, dont la plupart sont hélas totalement dépourvus d'analyse de la biodiversité locale. Un modèle de courrier en ce sens est ici proposé. Il sera utilement adressé pour chaque effacement aux publics suivants : services administratifs (Dreal, DDT, Onema, Agence de l'eau, au premier chef DDT en charge du contrôle réglementaire des chantiers en rivière) ; syndicats de rivière et de bassin versant ; fédérations départementales de pêche ou bureaux d'études mandatés pour des diagnostics de sites et de tronçons.



Depuis la loi du 10 juillet 1976, le principe "éviter, réduire, compenser" régit les chantiers ayant un impact sur l'environnement : il s'agit d'abord d'éviter ou de réduire un impact, ensuite de le compenser s'il est inévitable. Dans le cadre de l'examen de la loi de Biodiversité, les députés ont choisi de renforcer ce principe en posant l'objectif de "zéro perte nette de biodiversité".

Notre association appelle ses consoeurs à exiger dès que la loi sera votée (au cours de l'été) la mise en oeuvre de ces mesures de précaution sur tous les chantiers d'effacement d'ouvrages hydraulique en rivière (dont certains sont programmés pour l'étiage de septembre). Nous proposons ci-dessous une formulation "standard" à adresser au service instructeur de la Préfecture, formulation que chacun aura soin d'adapter à la rivière et au site concernés par des arguments ad hoc.

Demande au Préfet de mise en oeuvre des procédures d'évaluation et sauvegarde de la biodiversité sur un programme d'effacement d'ouvrage hydraulique en rivière

Attendu que 
  • le vivant tend à coloniser tous les espaces disponibles, par adaptation aux propriétés physiques et chimiques qu'il rencontre;
  • par leur existence, les ouvrages hydrauliques de type seuil ou barrage augmentent le volume instantané d'eau disponible pour le vivant dans le bassin versant et créent de nouveaux habitats par rapport à ceux que la rivière produit spontanément;
  • les habitats lentiques des retenues et plans d'eau, ainsi que les habitats annexes des canaux et biefs, produisent une diversité locale des écoulements qui est bénéfique à certaines espèces adaptées à ces nouvelles propriétés thermiques, rhéologiques, morphologiques et trophiques;
  • ces habitats présentent des fonctionnalités protectrices intéressantes de refuge à certaines conditions (crues violentes, étiages sévères);
  • l'intérêt du gain d'habitats lié à un effacement pour certaines espèces spécialisées (rhéophiles, sténothermes, migratrices, etc.) ne suffit pas à garantir un gain net de biodiversité, cet intérêt doit être évalué en fonction des habitats déjà disponibles pour ces espèces sur l'ensemble du tronçon d'une part, en fonction de la perte occasionnée pour d'autres espèces adaptées au site en l'état d'autre part;
  • la densité de barrages et seuils d'un tronçon tend à avoir une corrélation positive à la richesse spécifique piscicole totale du tronçon (Van Looy et al 2014);
  • la biodiversité des milieux aquatiques ne se résume pas aux poissons (2% environ des espèces) mais concerne l'ensemble de la faune et de la flore vivant directement dans l'eau (insectes, crustacés, arachnides, mollusques, amphibiens, etc. Balian et al 2008) ou dans sa proximité (oiseaux, mammifères, reptiles, etc.);
  • les populations et assemblages biologiques à l'amont et à l'aval d'un obstacle à l'écoulement diffèrent, ce qui produit un accroissement de bêta-diversité (Mueller et al 2011, nombreux autres travaux);
  • des habitats entièrement artificiels comme des canaux peuvent servir de zone de reproduction à des espèces piscicoles menacées en France (Aspe et al 2014);
  • d'innombrables retenues et plans d'eau artificiels sont aujourd'hui inscrits dans les périmètre des ZNIEFF et des zones Natura 2000, ce qui indique la nécessité de ne jamais présumer un état "dégradé" pour une masse d'eau artificielle, mais au contraire de toujours contrôler la diversité réelle présente dans chaque site que l'on s'apprête à modifier ou faire disparaître.
Nous demandons que :
  • le projet d'effacement soit assorti d'un inventaire de biodiversité sur au moins quatre points de contrôle (station amont non impactée, retenue, bief, station aval non impactée);
  • la biodiversité totale de l'hydrosystème formé par le tronçon aménagé soit évaluée et quantifiée à partir du recueil de données;
  • l'évolution de cette biodiversité totale après l'effacement de l'ouvrage soit modélisée;
  • toute perte nette de biodiversité totale conduise au rejet du projet d'effacement et à la préservation du site en l'état.
Le refus par le responsable du chantier d'effacement de procéder à ces mesures diagnostiques et prudentielles l'expose à des poursuites au motif de non-respect des art. L 110-1 CE et L 163-1 CE. 

Nota : les liens ci-dessus renvoient aux articles Hydrauxois de commentaires des travaux, où vous trouverez des analyses et des graphiques complémentaires libres d'emploi pour appuyer votre demande. Le lien vers la source primaire de chaque publication scientifique est disponible en bas de ces articles. Ces précisions ne sont pas indispensables au service instructeur, puisque la demande consiste basiquement à procéder à un inventaire de biodiversité et un diagnostic d'évolution locale avant de détruire des habitats existants hébergeant certaines espèces.

Conclusion : arrêtons de bâcler les diagnostics de site et les chantiers d'effacement
Un certain nombre de gestionnaires de rivière entendent donner des leçons d'écologie aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques et aux riverains. Nous verrons si ces  gestionnaires ont l'honnêteté et la rigueur intellectuelles d'appliquer à leurs propres projets les préceptes exigeants dont ils se réclament et qu'ils imposent aux autres. Aucun effacement ne devrait désormais être accepté sans les contrôles élémentaires des propriétés, fonctionnalités et diversités de l'hydrosystème en place, avec la garantie vérifiable d'un gain écologique par rapport à l'existant si l'ouvrage est effacé.

Illustrations
La diversité des écoulements à Belan-sur-Ource, hydrosystème actuel avant effacement d'un ouvrage programmé par le syndicat SICEC. Les peuplements biologiques de ces zones et leur évolution en cas d'effacement ont-ils été contrôlés en phase de programmation du chantier? Pas à notre connaissance.

A lire et utiliser en complément
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière

29/06/2016

200 millénaires de nature modifiée par l'homme (Boivin et al 2016)

Huit chercheurs font le bilan des dernières décennies de recherche en archéologie, paléo-écologie et génétique appliquées à la biodiversité. Il en résulte un démenti définitif de certaines représentations naïves mais encore dominantes : bien loin d'une nature vierge jusqu'à date récente ou respectée scrupuleusement par les civilisations antérieures, c'est toute l'expansion humaine depuis 200 millénaires qui a modifié en profondeur l'abondance, la composition et la diversité des espèces et des écosystèmes sur Terre. Avec notamment d'innombrables extinctions locales de l'époque préhistorique aux premières civilisations urbaines. Il existe malgré l'ancienneté de cette tendance une évidente accélération moderne de ce grand bouleversement, en raison des nouveaux moyens dont l'homme s'est doté dans sa stratégie de "construction de niche". La compréhension fine du passé de la biodiversité est désormais une composante nécessaire de la qualité et de l'efficacité de sa protection future. On en est par exemple très loin dans certaines opérations amnésiques et prétentieuses de "renaturation de cours d'eau", sans parler de certaines publicités mensongères sur des "rivières sauvages". Protéger le vivant et préserver les services rendus par les écosystèmes, c'est d'abord éduquer sur la réalité de leurs trajectoires dans l'évolution.

Quand on parle de l'empreinte écologique de l'humanité ou de la "sixième extinction" de la biodiversité, la plupart ont à l'esprit la société industrielle moderne, notamment la "grande accélération" de l'Anthropocène au XXe siècle. La hausse de la démographie, la perturbation des grands cycles (eau, carbone, azote, phosphore, soufre, ozone, etc.) par les activités humaines, la puissance transformatrice du développement industriel moderne, le changement climatique global seraient les causes principales et modernes de la crise écologique. En contrepoint, on s'imagine que les périodes pré-industrielles voyaient une humanité sobre et sage coexister avec une nature presque vierge, en même temps que les peuples autochtones avant la conquête occidentale du monde vivaient dans le respect des équilibres locaux de leur environnement.

Ce récit est familier. Il nous rassure par son schéma binaire et simple. Mais il est faux. Nicole L. Boivin (université d'Oxford) et ses collègues viennent de publier dans les PNAS un passionnant article de perpective scientifique sur l'évolution à long terme des espèces sous l'influence humaine. "L'altération anthropique des distributions d'espèces a été caractérisée comme un phénomène moderne, avec des antécédents historiques limités et tout à fait insignifiants. Cette vision conventionnelle échoue à rendre compte de plusieurs décennies de recherche archéologique, paléo-écologique et génétique qui révèlent une histoire longue et omniprésente de transformation de la biodiversité globale", expliquent les chercheurs. Ils insistent sur l'importance cruciale des données pour faire de la bonne science écologique : analyse des anciens ADN (aDNA), isotopes stables et microfossiles, nouvelles méthodes morphométriques, chronométriques et statistiques ont apporté une masse d'informations depuis quelques décennies.

Quatre étapes dans l'anthropisation de la nature
Les scientifiques discernent quatre périodes clés de la transformation anthropique de la nature. Cette modification est assimilée à une "construction de niche" : l'homme bâtit son propre milieu, en conformité à la nature sociale et technicienne de son espèce, ce qui a pour effet de changer les milieux des autres espèces.

La colonisation globale. Homo sapiens était présent en Afrique voici environ 195.000 ans, il avait colonisé chaque région du globe voici 12.000 ans. Ce premier mouvement est déjà associé à des phénomènes complexes d'extinction, disparition, translocation d'espèces. Par exemple, l'humanité paléolithique utilise le feu pour éclaircir les contrées qu'elle colonise, ce qui modifie les communautés de plantes. Des marsupiaux et des rongeurs franchissent des milliers de kilomètres et colonisent eux aussi de nouveaux territoires dans le sillage des implantations humaines. Localement, on peut identifier quelques surexploitations de poissons, rongeurs, singes et oiseaux. Le Quaternaire tardif est déjà le siège d'une extinction massive : 101 des 150 genres connus de la mégafaune (animaux plus lourds que 44 kg) disparaissent entre 50.000 et 10.000 ans avant le présent.

L'invention de l'agriculture et du pastoralisme. Voici 10 à 15 millénaires commence un mouvement de domestication qui se traduit par l'émergence d'espèces et sous-espèces produites par l'homme : chiens, chèvres, moutons, vaches, poules, etc. Les vertébrés sauvages vont devenir minoritaires en biomasse par rapport aux vertébrés domestiqués. Des innovations similaires et parallèles concernent la production d'espèces végétales, avec l'usage croissant des sols pour une production agricole. Entre 8000 et 4000 avant le présent, on arrive déjà à discerner dans les archives atmosphériques (glaces, sédiments) des variations du niveau global de méthane et de dioxyde de carbone associées à l'agriculture. Les espèces introduites par l'homme apportent des pathogènes, comme par exemple le reflux des ormes sous la pression des scolytes. La transformation des forêts en milieux ouverts (champs et prairies) est la principale évolution des paysages, ce qui modifie notamment la composition des lacs et rivières telle qu'on peut la reconstituer par les diatomées, les macrophytes et les foraminifères. Les plaines alluviales voient augmenter les populations de milieux mésotrophes ou eutrophes, signe d'un changement de l'activité sédimentaire et des apports énergétiques dans les milieux aquatiques.

La colonisation des îles. Les îles sont des milieux particuliers en raison de leur isolement géographique naturel, ce qui a beaucoup intéressé les observateurs et théoriciens de l'écologie. Il y existe un fort endémisme (beaucoup d'espèces uniques au territoire), peu de redondance fonctionnelle (quelques espèces se spécialisent dans des interactions locales bien identifiées), des dérives particulières des populations (goulot d'étranglement génétique, nanisme comme adaptation aux limites du milieu, etc.). De Chypre à la Polynésie, des Caraïbes aux îles du Pacifique, l'arrivée de l'homme a coïncidé avec un très important taux d'extinction insulaire. Par exemple les deux-tiers des oiseaux non passereaux des 41 îles du Pacifique ont disparu dès l'époque préhistorique, bien avant l'arrivée tardive des Européens. Inversement, des espèces non natives ont été introduites dans tous les milieux insulaires, renforçant l'effet d'une modification de la faune et la flore induite par les activités humaines de chasse, pêche et agriculture.

L'urbanisation et les réseaux d'échange. A partir de l'âge du Bronze émergent de sociétés urbaines à travers la planète, qui sont aussi des sociétés plus complexes et plus techniciennes. Les espèces faunistiques et floristiques de certaines régions densément peuplées et à fort échanges, comme la Méditerranée, sont très largement bouleversées. On en trouve encore la trace aujourd'hui, avec par exemple des zones forestières françaises dont la biodiversité actuelle peut être réinscrite dans une trajectoire commencée à l'époque de l'occupation romaine. Cette époque romaine à elle seule introduit dans son aire d'expansion 50 nouvelles espèces végétales à fin alimentaire. La forêt amazonienne, que des colons ont pu fantasmer comme l'archétype de la "forêt vierge", a été densément colonisée et exploitée par des entités politiques fortes plusieurs millénaires avant l'arrivée des Européens.


Les propriétés physiques, chimiques et biologiques locales ne cessent d'évoluer sous l'effet de l'action humaine. Exemples de l'élimination des grands herbivores changeant l'albedo et la température (A), de l'effet précoce de l'agriculture sur la composition des sols et forêts (B), de la sédimentation des masses d'eau selon l'occupation des berges (C). Extrait de Boivin et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Cinq conséquences pour la recherche et la protection de la biodiversité
Nicole L. Boivin et ses collègues tirent cinq conclusions de leur revue des travaux sur l'histoire longue de la biodiversité.
  • On ne peut minorer l'ancienneté et l'importance des influences humaines sur les milieux. "Les activités humaines de construction de niche ont globalement eu un impact majeur sur l'abondance, la composition, la distribution et la diversité génétique – aussi bien taux d'extinction que trajectoires de déplacement – des espèces".
  • La nature vierge, sauvage ou pristine est un mythe moderne sans consistance. "Il existe un lien fort entre les schémas actuels de biodiversité et les processus historiques. Les effets combinés des activités humaines à travers les millénaires incluent sur toutes les surfaces continentales la création d'assemblages d'espèces très cosmopolites et extensivement modifiés. Les paysages 'vierges' n'existent tout simplement pas, et cela depuis des millénaires.".
  • On observe une tendance à l'accélération des changements de biodiversité, qui n'est pas constante mais plutôt avec des pauses et des impulsions, ainsi qu'une tendance à la concentration de la biomasse dans des espèces de plantes et d'animaux utiles à l'homme (ou l'accompagnant).
  • La restauration, conservation et protection du vivant doivent être informées par les données sur l'histoire longue de la biodiversité. "Les données archéologiques et paléo-écologiques sont essentielles pour identifier et comprendre l'histoire longue et la pénétration de ces impacts humains. Les écologues et autres chercheurs sont souvent insuffisamment informés des bases de données archéologiques ou historiques". 
  • L'homme n'a pas que des impacts délétères sur les paysages. Si les effets négatifs de l'expansion et de l'occupation humaines concentrent souvent l'attention des chercheurs, car leur trace archéologique est plus aisée à identifier, il ne faut pas négliger l'intérêt de l'émergence de paysages capables de supporter des populations toujours plus denses à travers les millénaires. 

En conclusion : nous avons besoin de beaucoup de connaissances, et de beaucoup d'humilité aussi
La science est une source inépuisable de connaissance et d'émerveillement. C'est aussi une leçon d'humilité, en particulier quand elle éclaire le passé, les puissantes déterminations dont le présent est le fruit, notre ignorance encore énorme à leur sujet. Les recherches de Boivin et de ses collègues ne peuvent que nourrir en contraste un sentiment de stupéfaction face à la légèreté de certains discours et de certaines pratiques en écologie de la restauration.  Quand on observe des aménageurs de l'environnement pérorer du haut de leur savoir partiel sur ce que serait "l'état de référence naturel" des hydrosystèmes, quand on lit des considérations complexes sur des "biotypologies théoriques" essayant d'essentialiser un état figé et situé des peuplements aquatiques, quand on voit des groupes de pression tromper les gens sur le marketing des "rivières sauvages" ou des "derniers fleuves sauvages d'Europe", on aimerait que cette humilité et cette connaissance inspirent davantage une certaine politique et une certaine militance de l'eau en France.

Référence : Boivin NL et al (2016), Ecological consequences of human niche construction: Examining long-term anthropogenic shaping of global species distributions, PNAS, 113, 23, 6388–6396.

27/06/2016

Il faut défendre le patrimoine hydraulique de l'Ource

Avec nos amis de l'Arpohc, venez dire non à la casse du patrimoine hydraulique le 7 juillet prochain à Autricourt (21). Les syndicats de rivière et les Agences de l'eau doivent cesser de dilapider l'argent public dans des chantiers sans enjeux écologiques clairement définis. De nombreux moulins retrouvent chaque année des usages en France... à condition d'avoir encore leurs ouvrages hydrauliques. Nos territoires ne gagnent rien à détruire cet héritage précieux.


25/06/2016

La FNPF est-elle capable d'une approche responsable de la continuité écologique?

Au dernier congrès de la FNPF (Fédération nationale de la pêche), le président Claude Roustan a livré une nouvelle charge sur la continuité écologique. Objectif : essayer de remettre en cause auprès de Barbara Pompili, secrétaire d'Etat à la biodiversité, les (très modestes) avancées en cours pour une gestion plus équilibrée des rivières. Alors que beaucoup de pêcheurs soutiennent sur le terrain l'existence des étangs, des plans d'eau, des retenues et des biefs, la FNPF semble incapable d'une approche ouverte et concertée avec les autres usagers de l'eau sur ce dossier de la continuité écologique. Un tel intégrisme est-il compatible avec le rôle central que la loi donne à cette fédération et à ses antennes départementales? Nous en doutons. Extraits des propos de Claude Roustan et réponses. 


"Je ne reviendrai que sur un seul sujet : la continuité écologique. Je veux revenir sur cette notion car elle est assez symptomatique d’un acquis de la loi sur l’eau de 2006 et que l’on cherche à déstabiliser, à remettre en cause. Cette notion fait l’objet d’une tentative de remise en cause sans précédent pour différentes raisons sur lesquelles je ne reviens pas."
La "remise en cause" dont parle Claude Roustan, c'est le débat démocratique normal face à une réforme brutale et précipitée, allant très au-delà des souhaits du législateur, décidée pour l'essentiel en petits comités d'initiés, largement non financée dès qu'on sort des solutions simplistes de la destruction par pelleteuse en rivière. Claude Roustan a bien tort de ne pas revenir sur ces "différentes raisons" de la remise en cause des dérives constatées dans la mise en oeuvre de la continuité écologique :
  • une dépense publique considérable pour un gain écologique non garanti,
  • une réforme sans base scientifique sérieuse, davantage formalisée par des idéologues que par des chercheurs,
  • une absence récurrente de concertation avec les principaux concernés (propriétaires, riverains, usagers) dans les décisions amont,
  • une pression intolérable pour casser le patrimoine hydraulique du pays.
"Or, ces ruptures de continuité constituent à coup sûr une cause déterminante de la non atteinte du bon état écologique des eaux."
Cette affirmation sans preuve est un slogan éculé et depuis longtemps dénoncé. Aucun modèle n'a été mobilisé pour le classement de continuité écologique des rivières, ce qui est un scandale d'amateurisme et de confusion pour une politique publique. Les classements de 2012-2013 ont été construits par de supposés "experts" dont on ne connaît pas les travaux sur chaque rivière. Cela s'est fait :
  • sans publication scientifique, 
  • sans analyse modélisée des autres pressions des bassins versants, 
  • sans priorisation des sites d'intérêt pour la connectivité locale,
  • sans recours à l'histoire environnementale pour connaître la variabilité naturelle / forcée des biocénoses, 
  • sans croisement avec les données DCE,
  • souvent en excluant les grands barrages publics, malgré leurs impacts autrement plus manifestes que les seuils de moulin. 

Depuis la loi de 2006 et le classement de 2012-2013, des travaux de chercheurs comme Van Looy et al 2014 ou Villeneuve et al 2015 ont montré que la densité de barrage a un impact relativement faible sur les peuplements piscicoles utilisés comme bio-indicateurs de qualité pour la DCE (et parfois un impact positif sur la biodiversité du tronçon, en raison de la création de nouveaux habitats lentiques). D'autres chercheurs, comme Morandi et al 2014 ou Lespez et al 2015 ont montré que les opérations de restauration physique des rivières ont des protocoles scientifiques défaillants et/ou de mesures de succès largement subjectives.

Largement couvertes par les officiels de la pêche, ces pratiques sous-informées sont un scandale permanent que nous dénoncerons aussi longtemps que l'administration ne sera pas capable de rehausser le niveau de mise en oeuvre de la continuité écologique et de l'intégrer dans une vision plus large de la rivière, incluant l'ensemble des services rendus par les écosystèmes aménagés (et non pas la focalisation sur une sélection de poissons intéressant les pêcheurs, mais représentant une modeste partie de la biodiversité aquatique).

Nous espérons de ce point de vue que la création de l'Agence française pour la biodiversité va mettre un terme à une vision incomplète et biaisée des différentes approches de la conservation et de la restauration en rivière.
"Depuis la suspension de l’arasement des ouvrages de la Sélune dans la Manche, jusqu’à la jurisprudence qui semble admettre que le plus noble des classements à savoir en liste 1 de l’article L 214-17, aux annonces de la volonté de développer la production hydroélectrique, il faut admettre que les signaux envoyés aux propriétaires de ces ouvrages ne sont pas conformes au bien commun. (…) Ce mouvement a créé les conditions propices aux amendements que tout le monde connait et portés dans le cadre des projets de loi biodiversité et patrimoine. Un énième délai de mise en conformité a été accordé à tous ceux qui, depuis des années, diffèrent le respect de leurs obligations. Mieux on a cherché à poser le principe selon lequel tous ces ouvrages doivent être protégés par la législation sur les monuments historiques."
L'énergie bas carbone d'origine hydraulique fait partie des atouts mobilisés par la France pour engager la transition énergétique en vue de prévenir un réchauffement climatique dangereux pour les sociétés et les milieux. Le patrimoine des moulins est par ailleurs un héritage exceptionnel du dernier millénaire de notre histoire, témoin important du peuplement humain de chacune de nos vallées. Cela relève tout autant du "bien commun" et les fédérations de pêche — dont il faut tout de même rappeler que les adhérents tuent ou blessent des millions de poissons chaque année par loisir et dont les pratiques d'empoissonnement volontaire ou accidentel modifient depuis des siècles les populations piscicoles des rivières françaises — n'ont pas à prétendre au monopole en ce domaine. La littérature scientifique en conservation désigne au demeurant la pêche comme l'un des grands facteurs passés et présents de menace sur les milieux aquatiques : c'est un comble d'entendre des leçons de morale écologique de ce milieu qui, en raison d'une connivence historique avec l'administration en charge de l'eau, n'a jamais reçu la moindre évaluation scientifique indépendante de ses impacts.

Que Claude Roustan balaie donc devant la porte de sa Fédération avant de prétendre administrer des labels de "bien commun" avec une telle arrogance. L'appel à moratoire sur la continuité écologique est soutenu par des représentants des riverains, des moulins, des gestionnaires d'étangs, des forestiers, des agriculteurs, des hydro-électriciens, des grands acteurs de la protection du paysage et du patrimoine. Il a même été signé par des associations de pêche et des syndicats de rivière. Affirmer que ces instances, les 100.000 adhérents locaux directs, les 1400 élus qui les appuient sont des adversaires du "bien commun", c'est une posture insultante et irresponsable, indigne d'une grande fédération comme la FNPF.

De leur côté, les représentants officiels des pêcheurs ont refusé de signer la Charte pour une hydro-électricité durable en 2010, comme ils refusent aujourd'hui de signer une Charte des moulins qui reconnaîtrait la légitimité de l'existence du patrimoine hydraulique. Cette intolérance caractérisée face aux autres usages de l'eau rend difficile toute gestion durable, concertée et équilibrée de la rivière.
"Nous avons tous à cœur de défendre des moulins dès lors qu’ils ont un propriétaire, qu’ils ont un usage et qu’ils respectent le fonctionnement naturel des rivières qui les accueillent."
Ce n'est certainement pas le ressenti sur le terrain ni ce qui transparaît de la communication FNPF. Avec l'assistance de l'ancien Conseil supérieur de la pêche devenu Onema, les fédérations de pêche ont été les premières à promouvoir le discours de la destruction du patrimoine hydraulique comme choix prioritaire car le plus efficace pour la "renaturation" des cours d'eau (cette renaturation étant assez fantasmatique vu l'anthropisation plurimillénaire des milieux, dont la pêche est au demeurant l'une des dimensions). Pourtant, la majorité des pêcheurs de France s'intéresse aux carnassiers et aux "blancs" (cyprinidés), ils ne se retrouvent pas dans certains discours dogmatiques de la FNPF et des FDAAPPMA sur la disparition des retenues, laissant un filet  d'eau et quelques flaques à l'étiage. Localement, les AAPPMA sont de plus en plus souvent désolées de l'image dogmatique et brutale que renvoie l'appel de certains officiels de la pêche à effacer les ouvrages sous prétexte d'une continuité n'ayant parfois d'écologique que le nom.

Quant à défendre les moulins à la condition limitative qu'ils aient "un usage", c'est le diktat posé de manière arbitraire depuis 15 ans par les Agences de l'eau et la Direction de l'eau du Ministère de l'environnement. On connaît la chanson : la définition de l'usage est tellement restrictive que la plupart des sites sont condamnés (voir encore l'exemple récent du plan d'eau de Bessy-sur-Cure, dont les usages sont affirmés par des centaines de riverains y compris des pêcheurs appréciant ce lieu depuis toujours, ce qui est purement et simplement nié par l'Agence de l'eau).

Les pêcheurs et les moulins n'ont qu'un avenir commun : poser la légitimité de l'existence des ouvrages hydrauliques et travailler à définir des règles efficaces de gestion écologique, en fonction des besoins réels des tronçons. Si cette évidence est impossible à mettre en oeuvre au plan national et départemental en raison de postures institutionnelles et de dérives dogmatiques, c'est au plan local qu'il faudra développer des pratiques concertées. Nous y sommes pour notre part disposés.