Affichage des articles dont le libellé est Classement des rivières. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Classement des rivières. Afficher tous les articles

06/12/2015

Faut-il 50 ans pour exécuter le classement des rivières? L'exemple de la DDT 63

Un document de la DDT 63 illustre certains problèmes de la continuité écologique: interprétation hasardeuse ou tendancieuse du droit (demande de justification de la légalité de l'ouvrage, proposition d'effacement d'un ouvrage autorisé), refus de prescrire des solutions de gestion, d'entretien et d'équipement alors que la loi y oblige l'administration, nombre d'ouvrages traités (10 par an) dix fois trop faible pour tenir le délai légal de cinq ans imposé par les classements des rivières, soit 2017-2018. 

Un document intéressant de la DDT 63 (Puy-de-Dôme) a été mis en ligne sur un site de partage public. Il s'agit d'une présentation de l'état d'avancement du traitement du classement des rivières et de la mise aux normes des ouvrages dans le Puy-de-Dôme, à l'occasion d'une journée dédiée à la continuité écologique.

On apprend qu'une première phase de décompte des ouvrages en liste 2 aboutit à "525 ouvrages recensés comme infranchissables, ou franchissables avec difficulté". Plus de 500 ouvrages sur un seul département... on mesure à ce chiffre l'ampleur du classement des rivières. Il ne concerne pas quelques sites sur des axes importants de certains bassins versants, mais impacte bel et bien l'ensemble du patrimoine hydraulique de nos territoires.

La DDT 63 a envoyé aux propriétaires un courrier "leur demandant de faire part de leur décision sur la solution d’aménagement envisagée". Nous rappelons que les propriétaires n'ont pas à s'exécuter devant ce genre d'injonction : le texte de la loi est clair (voir ici son analyse détaillée), c'est à l'administration qu'il revient de prescrire (donc motiver) des solutions de gestion, équipement et entretien (voir cet article). Il est particulièrement important que les maîtres d'ouvrage, leurs associations et leurs fédérations homogénéisent la réponse aux DDT-M sur ce point.

On observe que parmi les "solutions", la DDT inclut "effacement": il convient sur ce point de demander au Préfet au nom de quel texte légal ou réglementaire cette destruction est ainsi suggérée par son administration. Sur un ouvrage autorisé (et tous les fondés en titre le sont au terme du L214-6 al. II CE), la consistance légale (hauteur, débit) doit être respectée et il ne revient certainement pas à un service de l'Etat de proposer sans base légale ni réglementaire une destruction pure et simple de la propriété privée. Si cette proposition d'effacement faisait partie des courriers envoyés aux propriétaires, il y aurait probablement matière à recours en abus de pouvoir contre les services de la Préfecture (voir de manière générale cet article sur le cadre juridique des effacements, ainsi que ces précisions sur les sédiments et sur les espèces invasives).

On observe également dans la présentation DDT 63 que l'Etat demande indistinctement aux propriétaires de justifier le droit d'eau. Situation hélas classique, mais tout ouvrage en rivière est présumé autorisé et l'Etat ne saurait faire peser une suspicion collective d'illégalité non motivée (voir cet article). En fait, à l'occasion du passage des services de Ponts et Chaussées aux DDE-DDA dans les années 1960, on sait que nombre d'archives ont été perdues ou détruites, et que l'administration a fait preuve d'une longue négligence dans la gestion des moulins en raison du déclin de leur activité économique première. Dans le cadre d'une modernisation de l'action publique qui équivaut parfois à la casse pure et simple des services publics, cette administration aimerait aujourd'hui faire disparaître les droits d'eau et règlements d'eau dont elle a déjà mal assuré le contrôle au cours de quatre dernières décennies. Les propriétaires n'ont évidemment pas à céder à ces menaces, d'autant que l'immense majorité des ouvrages sont apparus entre le Xe et le XVIIIe siècles, et sont donc de droits fondés en en titre (quand bien même leur règlement aurait été égaré).


Quel est le bilan de l'action de la DDT 63? On lit dans le document que 196 courriers spécifiques ont été envoyés pour le L214-17 CE, les autres ouvrages du département étant déjà classés et avertis au titre du L432-6 CE. Ce dernier article du Code de l'environnement (aujourd'hui abrogé) est l'ancêtre du L214-17 CE. Il permettait d'imposer sur une rivière particulière la continuité piscicole (on parlait de "cours d'eau passes à poissons"), à condition que le Préfet ait pris un arrêté précisant les motifs du classement (et que les services de l'eau de la Préfecture motivent le classement à tout propriétaire qui en fait la demande, point ayant déjà entrainé condamnation de l'Etat pour avoir refusé de produire les éléments de cette motivation).

Suite à la salve des lettres de la DDT 63, il n'y a que 72 réponses. En 2015, 17 sites ont été visités, 10 mises en demeure sont prévues. En 2014, 10 ouvrages ont été aménagés, 10 autres sont prévus en 2015. Il faut supposer que ce sont les cas les plus simples qui sont traités les premiers – ouvrages déjà sérieusement dégradés, exploitant industriel voulant se mettre aux normes, collectivité ayant les moyens de le faire ou voulant au contraire effacer l'ouvrage pour limiter ses charges, propriétaire naïf cédant aux pressions. Ce qui ne préjuge pas d'une suite facile vu le nombre d'ouvrages de ce département.

Vu les chiffres, la conclusion est claire : à ce rythme-là, il faudrait 50 ans pour mettre aux normes les seuils et barrages du Puy-de-Dôme, alors que le délai légal est en 2017 (pour le bassin Loire-Bretagne) ou 2018 (pour le bassin Adour-Garonne). Nous n'avons aucune chance de tenir le délai légal de 5 après le classement des cours d'eau, parce que les services instructeurs de l'Etat n'ont pas la capacité de traiter plus de dossiers. Ils l'auront encore moins quand les propriétaires exigeront le respect du droit et la motivation complète de l'aménagement sur chaque ouvrage, au lieu des approximations voire des abus qui ont eu cours dans les premières années du classement.

Ces chiffres sont convergents avec ceux des différentes Agences de l'eau, dont les plus importantes en terme de linéaire classé admettent ne pouvoir traiter qu'une centaine de dossiers par an, soit de l'ordre de la dizaine par département. Dans les bassins qui ont eu la sagesse de classer très peu de rivières en liste 2 (comme Rhône-Méditerrannée-Corse), le rythme est éventuellement tenable dans le délai de 5 ans, avec de légers retards. Mais dans les autres, nous sommes d'ores et déjà dans le rouge : les autorités et gestionnaires n'ont manifestement pas la capacité de mobiliser les moyens au service des règlementations qu'ils ont eux-mêmes promulguées.

Le risque de cet énorme retard dans la mise en oeuvre de la continuité écologique est évident : entrer dans une zone de non-droit et aboutir à l'engorgement des tribunaux administratifs par les contentieux. Ces contentieux seront aussi bien le fait des propriétaires de moulins et riverains, qui ne supportent plus le chantage à l'effacement et le matraquage des coûts exorbitants, que le fait de FNE, FNPF ou autres lobbies de la destruction, ces derniers ne manquant pas de faire pression sur l'Etat pour qu'il exécute le classement et casse le maximum de barrages. Pour calmer tout le monde, il convient donc de prononcer un moratoire à l'exécution du classement des rivière. Et d'inviter dans une concertation élargie tous ceux que la question concerne, et non plus seulement quelques privilégiés de l'administration s'estimant les représentants autoproclamés de la rivière, de son peuplement piscicole et de ses usages.

Le classement tel qu'il a été conçu n'est pas applicable. On doit en revoir la conception (la motivation scientifique réelle de classer chaque masse d'eau), la priorisation (la probabilité d'atteindre un bon état DCE si la morphologie est traitée) comme l'exécution (le financement de travaux qui représentent des sommes exorbitantes, l'analyse coût-efficacité de cet investissement public). Ce ne sera ni le premier ni le dernier "grand chantier" de l'Etat qui doit admettre sa mauvaise planification. Mais comme ce chantier-là a la prétention inouï d'inciter à la destruction systématique du patrimoine hydraulique français, les propriétaires, usagers, riverains, protecteurs de notre héritage historique et de notre paysage de vallée seront désormais mobilisés jusqu'à l'obtention d'une issue claire et acceptable par toutes les parties prenantes. 

06/07/2015

Services rendus par les hydrosystèmes: bilan globalement négatif des effacements de seuils et barrages


Voici une image (cliquer pour agrandir et télécharger par clic droit) qui résume notre analyse des effets globalement négatifs de la continuité écologique quand celle-ci consiste à effacer les ouvrages hydrauliques au lieu de privilégier des aménagements plus respectueux des usages et des équilibres. Vous pouvez télécharger ce document en format pdf. La diffusion est bien sûr libre! Dans le cadre du mouvement national pour un moratoire sur la continuité écologique, nous rédigerons un argumentaire substantiel sur cette question.

03/10/2014

Cousin : bilan rapide de la réunion de concertation d'Avallon

La réunion organisée à Avallon le 29/09/2014 fut dans l'ensemble constructive. Une trentaine de personnes y ont participé : représentants de la DDT, du Parc du Morvan, du SIVU du Cousin, de la ville d'Avallon, des associations, et bien sûr propriétaires de moulins. Qu'ils en soient ici remerciés.

Le président de l'association Hydrauxois a exprimé les principaux blocages actuels de la politique de l'eau en France, dont on observe les conséquences directes sur le Cousin comme sur l'ensemble des rivières de la région : menace sur les droits d'eau, classement des rivières impliquant des aménagements écologiques très coûteux et peu subventionnés, choix privilégié de destruction du patrimoine historique, manque d'analyse du potentiel énergétique, défaut de robustesse scientifique sur la question de la morphologie et de son influence sur le bon état chimique / écologique au sens de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000).

Parmi les points à retenir :

• la DDT a nié toute politique systématique de déchéance des droits d'eau ou d'animosité envers les moulins, et elle a rappelé qu'elle instruit les demandes de productions hydro-électriques qui lui parviennent. Toutefois, plusieurs propriétaires ont exprimé un ressenti différent, avec une manque de concertation, une perception de décisions parfois autoritaires et une trop grande complexité des évolutions règlementaires. Il a été convenu qu'il est nécessaire de poursuivre des réunions de travail avec les services instructeurs de l'Etat,  pour trouver des solutions d'ici 2018, date d'échéance de l'obligation d'aménagement des seuils du Cousin. A signaler que l'Onema SD 89 n'avait pu envoyer de représentants.

• le Parc naturel régional du Morvan a tenu à rappeler qu'il n'a aucune responsabilité dans les lois actuelles sur l'eau et dans l'évolution des règlementations, son rôle étant d'assister quand il le peut les maîtres d'ouvrages. Par ailleurs, le Parc a précisé que le budget réel de 800 k€ pour le Cousin (au sein des 3 M€ de dotation globale) interdira d'aménager les 24 moulins du linéaire Natura 2000. Toutefois, le Parc a reconnu qu'une seule solution de passe à poissons sans arasement a été retenue (Moulin Léger), avec deux autres passes associées à une baisse conséquente du niveau de la retenue (remettant en question le droit d'eau des sites concernés). Les choix s'orientent plutôt vers les propriétaires qui acceptent l'arasement ou le dérasement de leur seuil, comme le moulin des Templiers. Il y a donc de facto une prime à l'effacement plutôt qu'à la solution de modernisation passe à poissons + vanne fonctionnelle.

Pour la suite, les propriétaires de moulins vont continuer de discuter avec le PNR du Morvan des aménagements possibles dans le cadre du programme LIFE+, qui arrive à échéance en 2015.

L'association Hydrauxois prépare déjà la prochaine étape, qui sera une concertation élargie à l'ensemble du Cousin et de ses affluents, avec cette fois tous les représentants publics : Agence de l'eau Seine-Normandie, DDT, Onema, Dreal, Ademe, élus des communes riveraines et syndicat de rivière. La situation actuelle liée au classement de la rivière sera très difficile à gérer, et comme la plupart des propriétaires sont prêts à se battre pour éviter la destruction de leurs ouvrages hydrauliques, le laisser-faire ne peut aboutir qu'à un pourrissement de la situation, avec des querelles procédurières et des contentieux. On observe déjà certains de ces conflits en Côte d'Or, hélas. Il est donc indispensable de chercher des issues constructives pour la patrimoine hydraulique, la continuité écologique et, pourquoi pas, la restauration énergétique d'un certain nombre de sites. Il est aussi urgent de trouver des solutions techniques de franchissement piscicole / sédimentaire à coût moindre que les budgets actuellement observés, hors de portée du financement public comme privé.

28/08/2014

Un guide Onema 2014 sur la franchissabilité des obstacles par les poissons

L'Onema vient de publier dans sa collection "Comprendre pour agir" un guide complet sur l'évaluation du franchissement des obstacles à l'écoulement par les différentes espèces de poissons. Le guide a été conçu selon le protocole ICE (information sur la continuité écologique) partagé par les administrations, les acteurs de l'environnement, de l'eau et du territoire, les bureaux d'études, les chercheurs, ingénieurs et techniciens. Au sommaire de cet ouvrage de 200 pages : rappel sur la continuité écologique et l'ichtyofaune, énoncé des principes généraux du protocole ICE, diagnostic de la franchissabilité à la montaison, prédiagnostic pour les obstacles équipés de dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons de divers types).

La lecture de ce guide est très conseillée pour tous les maîtres d'ouvrages dont la rivière a été classée en liste 2 et qui ont une obligation d'aménagement à terme. En particulier, pour des rivières comme l'Armançon dont le principal enjeu migrateur de montaison est l'anguille adulte, on peut estimer que nombre de seuils présentent déjà des voies de reptation depuis l'aval, dont la pente et la rugosité sont à examiner de près selon les critères indiqués dans le guide.

Référence : Onema, Baudouin JM et al (2014), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes, 202 p. (Si le téléchargement est long, essayez cet autre lien direct sur le site Onema).

07/01/2014

Le combat du Moulin du Boeuf dans le Bien Public

Malgré 1700 signatures remises en préfecture, le soutien des pêcheurs, des élus locaux et des riverains, ainsi qu'un argumentaire complet sur la préservation de la qualité écologique de la Seine en cas d'une reprise d'activité énergétique sur le site, le Préfet de Côte d'Or a refusé de revenir sur son arrêté d'annulation du règlement d'eau du Moulin du Boeuf à Bellenod-sur-Seine. Ce sera donc le contentieux devant le tribunal administratif, et le maintien d'une forte mobilisation citoyenne pour défendre les moulins et usines hydrauliques sur nos territoires. En particulier pour que M. Bouqueton reconquiert la liberté de produire son électricité. Il est regrettable que, sur le bassin Seine-Normandie, l'Etat brime ainsi ceux qui investissent dans la restauration du patrimoine et dans la production d'une énergie locale. Ci-dessous, l'article du Bien Public (12/12/2013), journal qui assure une remarquable couverture de nos actions en Côte d'Or.

19/03/2013

Continuité écologique et manque de concertation avec les associations: le CGEDD prend acte


Le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) vient de publier un rapport de diagnostic sur la mise en œuvre de la continuité écologique. Ce rapport prend acte des nombreux blocages observés entre les propriétaires d’ouvrages hydrauliques et les représentants de l’autorité en charge de l’eau (DDT, Onema, Agences) ou les syndicats de rivière porteurs des SAGE.

On trouvera ci-dessous les recommandations du rapport. Parmi les points à retenir, et qui rejoignent parfaitement les observations menées par Hydrauxois, la Coordination Hydro 21 et l’OCE (voir notre dossier) :
- il existe une carence manifeste d'information sur le terrain;
- il paraît réaliste d’assouplir les délais de mise en œuvre de la continuité s’il y a des accords contractuels entre administrations et associations;
- il est indispensable de clarifier les conditions et coûts de mise en application de la continuité écologique, au regard des bénéfices attendus, et d’envisager des alternatives (par exemple gestion concertée de vannages);
- il est urgent d’évaluer l’apport de la pico- et micro-hydro-électricité (puissance de 5 à 150 kW), sa rentabilité et sa faisabilité;
- il est nécessaire que les associations impliquées dans le patrimoine et l’énergie hydrauliques soient mieux représentées et écoutées à tous les échelons, aussi bien les SAGE au niveau du bassin versant que les SDAGE sur les bassins hydrographiques ou les réunions nationales de concertation à la Direction de l’eau du ministère de l'Ecologie.

Le CGEDD reste en revanche en retrait sur d'autres problèmes observés :
- le manque de robustesse scientifique et de contrôle empirique sur bon nombre d'assertions dans le domaine de la continuité écologique;
- le défaut généralisé de mesure (et information sur la mesure) de la qualité physique, chimique et biologique de chaque masse d'eau;
- la dispersion totalement anormale des coûts d'aménagements, notamment des passes à poissons;
- l'opacité manifeste sur les bonnes pratiques d'aménagément, avec des solutions parfois acceptées sur des ouvrages / des rivières / des départements mais refusées sur d'autres.
- le rappel ferme de l'obligation de réserve et de neutralité des agents administratifs, ainsi que leur obligation de répondre aux sollicitations d'information ou de concertation dans le cadre des missions de service public.

Recommandations du CGEDD

1. La mission recommande d'engager une démarche de qualification/certification des bureaux d'études, axée sur les points suivants: définition de la compétence de l'écologue intervenant, contenu et niveau de sa formation initiale, diplômes universitaires correspondants, niveau des responsabilités assumées actuel et passé, ampleur des références « expertes » maîtrisées, méthodes et matériels utilisés, références de chantiers de réalisation. 

2. La gestion concertée et garantie des vannages paraît constituer, pour certaines rivières une solution simple et pertinente de restauration de la continuité écologique. La mission recommande d'en examiner systématiquement l'intérêt et la faisabilité dans le cadre des études préalables, et d'envisager, lorsque cela peut sembler pertinent, un programme de remise en état des vannes. Il appartient cependant à l'Onema d'en encadrer les conditions et les limites, à la fois en terme d'efficacité et de coût

3. La mission considère cependant que l'intérêt relatif des ouvrages et l'état des équipements ne justifie pas systématiquement des interventions coûteuses pour la collectivité. Par contre, il lui apparaît souhaitable de définir des critères d'appréciation partagés susceptibles de bien identifier ceux qui, de part leur intérêt patrimonial et leurs usages, méritent d'être préservés. 

4. La mission recommande la mise au point de grilles multicritères du type de celle utilisée sur le bassin de la Sèvre Nantaise comme susceptibles de constituer une base d'évaluation de l'intérêt des ouvrages, commune aux différentes parties prenantes concernées par l'aménagement de la rivière. 

5. L'attente de reconnaissance des fédérations de propriétaires paraît légitime. La mission propose qu'elle trouve une réponse au niveau d'une meilleure représentation dans certaines instances nationales, régionales (groupe de travail du Comité national de l'eau, comités de bassin et commissions locales de l'eau (CLE). Pour être fructueuse, une telle reconnaissance doit cependant induire une participation constructive de la part des associations et de leurs fédérations, indispensable au développement d'un véritable partenariat

6. La mission constate un certain blocage sur le sujet sensible de la pico hydroélectricité dont il serait souhaitable de sortir rapidement en donnant la parole aux experts reconnus, voire en diligentant les examens complémentaires nécessaires. Si un inventaire exhaustif du potentiel en matière de pico-électricité devait être lancé, la mission recommanderait la constitution d'un comité de pilotage constitué notamment de professionnels du domaine, de l'administration, de l'Onema ... en prévoyant l’exploitation des bases de données de ce dernier. L'impact environnemental au regard des engagements européens est à prendre en compte, notamment sous l'angle de l'effet cumulatif d'une succession de petits ouvrages hydroélectriques.

7. Il est recommandé à l'Onema de développer un partenariat plus institutionnel, organisé au niveau central, avec les fédérations de propriétaires de moulins. Il pourrait porter sur les thèmes suivants : explicitation des réponses scientifiques aux objections formulées par les fédérations de propriétaires ; aide à la rédaction de cahiers des charges-type pour les travaux de mise aux normes ; mise en commun de bases de données répondant aux attentes directes des propriétaires ... Cette initiative pourrait être élargie, en tant que de besoin, à des juristes. À charge pour les fédérations nationales et associations locales de relayer ces outils auprès de leurs adhérents.

8. La mission recommande à la Deb et aux services : 
- la signature rapide des arrêtés de classement des cours d'eau au titre du L214-17 CE, clés de voûte du Parce. Les conséquences doivent en être expliquées aux usagers dont les propriétaires de moulins, et faire l'objet d'une instruction complémentaire aux services insistant sur la nécessité de fixer des priorités dans les conséquences de ce classement ;
- la mise en œuvre d'un ambitieux programme de formation à l'attention des personnels en charge de l'application du Parce, sans négliger les aspects psychologique, sociologique, patrimoniaux et paysagers ;
- le rappel aux propriétaires de leurs droits et devoirs, sous la forme d'une campagne d'informations, associant si possible étroitement leurs fédérations
- un repositionnement du Parce sous la bannière des plans d'action opérationnels territorialisés (PAOT) au niveau départemental et du schéma régionale de cohérence écologique (SRCE) au niveau régional

9. La mission recommande à l'administration et à ses partenaires de mettre les notaires en capacité de remplir efficacement leur obligation d'information et de transcription dans les actes de transfert de propriété, des droits et devoirs liés à la continuité écologique, et pour cela de fournir un appui au Conseil supérieur du notariat et à son Institut de formation

10. La mission recommande de desserrer les délais de mise en conformité prévus par la loi, dès lors qu'une démarche contractuelle collective active avec les maîtres d'ouvrage est engagée. 

11. La mission suggère à l'administration (DGALN, Onema, agences de l'eau) et aux associations de mieux formaliser de manière concertée des modalités pratiques de mise en œuvre de la loi et du Parce. 

Référence : CGEDD (2013), Plan d'actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (Parce). Diagnostic de mise en œuvre, Rapport n°008036-01

Voir aussi notre dossier complet : OCE-Coordination Hydro21 (2013), Continuité écologique en Côte d’Or

26/02/2013

Classement des rivières de Côte d’Or: premiers éléments sur la circulation des poissons



L’arrêté de classement des rivières du bassin Seine-Normandie, pour la partie occidentale de la Côte d’Or, impose aux maîtres d’ouvrage d’assurer la libre circulation d’un certain nombre d’espèces piscicoles, ainsi qu’un bon transit sédimentaire. Chaque rivière classée du département (toutes ne le sont pas, ou pas intégralement) a ses obligations en la matière. On peut consulter l’arrêté de classement Seine Normandie à cette adresse. Le classement Loire-Bretagne (qui concerne le bassin de l’Arroux à l’extrême Sud du département) est consultable ici. Les rivières dépendant du bassin Rhône-Méditerranée, à l’Est du département, n’ont pas encore d’arrêté de classement (la proposition en cours est consultable sur ce site). Rappelons qu’une rivière non classée en liste 1 ou 2 n’a pas d’obligation de continuité écologique sur la période 2013-2018.

Pour commencer à éclaircir ces questions, nous évoquons ici la question du franchissement piscicole, notamment du sens de circulation des espèces (l’autre dimension importante étant le transit sédimentaire, qui sera abordée ultérieurement).

Quelles espèces piscicoles concernées ? 
Les espèces les plus souvent concernées par la continuité en Côte d’Or sont les suivantes : anguille, blageon, bouvière, brochet, lamproie de Planer, lote, truite fario, vairon, vandoise. Sont aussi mentionnés parfois les cyprinidés rhéophiles sans précision, ce qui peut inclure (outre les vairons et vandoises déjà cités) le chevesne, le goujon, le hotu, le spirlin et le barbeau. Chaque rivière n’est concernée que par quelques-unes d’entre elles.

Ces espèces sont considérées comme patrimoniales, et certaines sont protégées. L’ombre commun est parfois signalé en Seine Amont (Champagne plutôt que Bourgogne), mais c’est un choix discutable. En effet, les travaux du Piren Seine (un programme du CNRS) ont montré que l’ombre est considéré comme une espèce importée en Seine-Normandie, où il n’est signalé que vers 1950 (Tales 2009). Difficile d’y voir un intérêt patrimonial dans une logique de renaturation. Il en va de même pour le hotu, qui est une espèce importée en Seine-Normandie.

Pour les espèces dont la circulation doit être assurée, quelles vont être les étapes ? La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne quelques premières indications. Les maîtres d’ouvrage vont être contactés par les services de la préfecture afin d’être informés de leurs obligations nouvelles. Ils devront en réponse exposer la manière dont ils entendent assurer la continuité écologique au droit de leur ouvrage.

Montaison ou dévalaison ?
Faut-il assurer la montaison ou la dévalaison des poissons ? La montaison désigne la possibilité de remonter la rivière vers l’amont (donc surmonter la hauteur du seuil ou barrage) alors que la dévalaison ou avalaison désigne la capacité de franchir sans heurt l’obstacle vers l’aval.

La circulaire du 18-01-2013 précise : «Assurer la circulation des poissons migrateurs s’entend, d’une manière générale, à la montaison et à la dévalaison. La règle est donc d’assurer la circulation dans les deux sens, ce qui est particulièrement essentiel pour les espèces amphihalines. Cependant, les mesures à imposer doivent tenir compte de la réalité locale et des enjeux réels des cours d’eau, de l’impact des barrages et de la proportionnalité des coûts par rapport à l’efficacité et aux bénéfices attendus.»

Dans bien des cas, la simple dévalaison devrait être suffisante en Côte d’Or, selon la première analyse de notre association. Il y a plusieurs motifs à cela.

• La circulaire d’application insiste sur le caractère «progressif» et «proportionné» des mesures à prendre. Or la Bourgogne étant située en tête de bassin versant, elle est peu concernée par le remontée des grands migrateurs amphihalins (saumons, aloses, anguilles, etc.) depuis l’Atlantique ou la Manche. Les axes prioritaires de ces espèces sont bien sûr sur la façade occidentale du pays. Même les anguilles présentes en Côte d’Or sont par définition adultes puisque l’espèce se reproduit dans la mer des Sargasses et achève sa croissance en fleuve et rivière : elles ont avant tout besoin de dévaler sans heurt pour rejoindre l’océan et, au final, leur lieu de reproduction.

• La simple dévalaison est encore la règle de «bon sens», comme le signale la circulaire d’application, dans l’hypothèse où l’espèce concernée rencontre rapidement un obstacle non franchissable à l’aval ou à l’amont de l’ouvrage. Dans ce cas, assurer la montaison est hors de proportion puisque le poisson sera de toute façon bloqué par la configuration naturelle du cours d’eau.

• Dans le cas de la Côte d’Or s’ajoute la situation particulière due aux grands barrages de retenue de VNF, qui alimentent le canal de Bourgogne (Cercey, Chazilly, Grosbois I et II, Panthier, Tillot et Pont). Ces barrages n’ont aucun projet d’aménagement à ce jour, alors qu’ils représentent des obstacles infranchissables. Leur proximité d’un autre ouvrage suggère que la simple dévalaison sera dans ce cas la solution la plus progressive et proportionnée au sens de la circulaire d’application. D’autant que la circulaire insiste sur le caractère évolutif de la continuité : quand VNF installera des ascenseurs ou écluses à poissons sur ses propres ouvrages, il deviendra réaliste d’assurer la montaison sur les tronçons concernés. Mais ce n’est pas le cas pour la période 2013-2018.

• Pour les espèces holobiotiques (vivant dans un seul milieu, eau douce en Côte d’or en dehors de l’anguille), la question se pose de savoir si elles sont réellement « migratrices » et si cette migration impose la montaison. Par exemple, les cyprinidés rhéophiles ne sont pas usuellement considérés comme des migrateurs : ils recherchent des eaux vives (ce que signifie leur nom de « rhéophile »), et ces eaux plus turbulentes peuvent être disponibles sur le linéaire de la masse d’eau, à l’amont ou à l’aval des ouvrages. Chaque cas devra être étudié — c’est-à-dire chaque espèce dans chaque rivière, et les conditions de son cycle de vie (accessibilité des frayères et milieux de croissance notamment, si possible connaissance historique sur la densité de peuplement de l'espèce).

• En résumé, la dévalaison permet aux poissons d’éviter la « sectarisation » entre les biefs, de rejoindre des zones propices au développement ou de regagner l’océan pour les grands migrateurs. Une transparence migratoire vers l’aval avec un minimum de mortalité et morbidité est souhaitable. La montaison doit répondre à un besoin biologique précis : rejoindre un lieu indispensable à la reproduction et au développement de l’espèce. Peu de poissons présents dans le classement des rivières de Côte d’Or exigent ce besoin, principalement parce que le département est situé en tête des trois bassins versants (rhodanien, séquanien, ligérien) sans enjeu migrateur important. Cette montaison a par ailleurs un coût plus élevé, un entretien plus complexe du dispositif de franchissement et le principe de proportionnalité exige en conséquence d’examiner attentivement le bénéfice attendu.

Comment et dans quel cas assurer la dévalaison ?
La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne de premières indications. «La dévalaison peut être assurée par direction des poissons vers un by-pass ou une goulotte de dévalaison  ou  par  surverse  du  barrage  s’il  n’est  pas  trop  haut.  L’aménagement  doit  être accompagné de la mise en place de grilles à espacement adapté, combinées à un réglage de la vitesse d’approche des grilles et un guidage vers l’exutoire, dès lors qu’il y a lieu d’empêcher les individus de pénétrer dans une dérivation dans laquelle ils sont soumis à une forte probabilité de mortalité : turbines non ichtyocompatibles, pompages, conduite forcée, mise en pression, etc.

«La dévalaison peut être assurée par des mesures de gestion telles que l’arrêt du turbinage et l’ouverture des vannes lors des pics de dévalaison de l’anguille notamment, ou encore telles que le piégeage-transport ou un abaissement de la retenue. La mise en place d’une mesure d’arrêt de turbinage dépend très fortement de la possibilité de cibler les pics de dévalaison afin de réduire au maximum les pertes énergétiques.» 

La circulaire envisage donc principalement les ouvrages équipés en hydroélectricité (ou pompage). Qu’en est-il déjà de la dévalaison pour les seuils sans équipement ?

Dans l’ouvrage classique consacré au franchissement piscicole, Michel Larinier et ses collègues observent que les poissons de taille inférieure à 10-13 cm ne subissent aucun dommage quelque soit la hauteur de chute, et que les poissons de taille supérieure risquent des lésions lorsque la vitesse d’impact acquise pendant la chute dépasse 15-16 m/s, soit des hauteurs de chute importante — pour un poisson de taille supérieure à 60 cm, il faut par exemple 13 m de chute pour atteindre la vitesse critique. (Larinier et el 1999)

La plupart des obstacles à l’écoulement de Bourgogne ayant des tailles modestes (moins de 2 m, et jamais plus de 5 m en dehors des ouvrages VNF), le risque de blessures par choc paraît donc très faible. Un simple déversoir suffit à la dévalaison.

Pour les ouvrages possédant un équipement hydromécanique, l’adaptation dépend de chaque site. Les roues et vis d’Archimède sont considérées comme ichtyocompatibles car leur vitesse de rotation est très lente, et les tests n’ont pas montré de mortalité ou morbidité (voir par exemple Hydrauxois 2013 pour les vis d’Archimède). Pour les turbines, dont la mortalité piscicole induite est proportionnelle à la vitesse de rotation, un système grille-exutoire permet de guider le poisson vers une zone non létale (voir Courret et Larinier 2008).

Et dans le cas de la montaison ?
Dans certains cas, la mise en place d’un dispositif de montaison sera nécessaire. On les appelle des passes ou échelles à poissons, pour les ouvrages de taille modeste (jusqu’à 5 mètres environ). On trouve de nombreux guides en ligne : par exemple en référence Aigoui et Dufour 2008, Larinier et al 1999, Larinier et el 2006 (les liens mènent aux pdf ou aux pages où l'on peut charger les pdf).

Pour retenir l’essentiel :

• On peut concevoir des passes dites naturelles ou rustiques, consistant à construire un bras de rivière artificiel partant de l’amont de l’obstacle et rejoignant l’aval. Ce bras est enroché afin de casser la puissance de l’écoulement et permettre au plus grand nombre d’espèces de l’emprunter. Sa pente est typiquement située entre 2 et 4% pour les espèces présentes en Côte d’Or.

• Quand le terrain ne s’y prête pas, on construit une passe à poisson au niveau de l’ouvrage formant obstacle au franchissement. La passe, généralement en béton, peut être à bassins successifs, à échancrures latérales ou à ralentisseurs, le premier modèle étant le plus indiqué pour les espèces de Côte d’Or. La conception de ces passes dépend principalement de la capacité de nage (croisière, pointe) et de saut des espèces concernées.

• Les anguilles demandent des passes spécifiques, dont la pente peut être forte (30-40%) mais dont le fond doit être garni de rugosités (brosses, macroplots) permettant la montée. Néanmoins, ces dispositifs conviennent mieux aux jeunes anguilles (civelles, anguillettes) et pour les anguilles adultes (cas de la Côte d’Or), il peut être plus simple d’adapter la passe « tout poisson » si elle est prévue.

• Ces passes doivent être conçues en fonction des contraintes hydrologiques (persistance d’un tirant d’eau à toutes les hypothèses de débit saisonnier de la rivière) et écologiques (attractivité de l’entrée de la passe). Elles doivent être entretenues, principalement pour les embâcles et les engravements qui provoquent le colmatage de l’entrée ou des bassins intermédiaires.

Ce que l’autorité en charge de l’eau doit produire sur le département (et mettre à disposition de chaque maître d’ouvrage)
La circulaire d’application insiste à plusieurs reprises sur le caractère «proportionné» des aménagements, et elle spécifie que l’on doit analyser les enjeux réels de cours d’eau comme les bénéfices attendus.

Une analyse détaillée de ces enjeux sur chaque ouvrage devra nécessairement être éclairée par les mesures de qualité de la masse d’eau que l’administration doit mettre à disposition des propriétaires, et qu’elle est censée avoir réalisées aussi bien pour le rapportage de la Directive-cadre sur l’eau que pour la constitution du classement lui-même.

Pour ce qui est en particulier de la circulation des poissons, l’Onema doit produire sur chaque masse d’eau — en priorité les masses d’eau classées — l’ensemble des relevés de pêche ayant permis de constituer l’Indice poisson rivière, qui est la mesure de la qualité piscicole. Ces relevés permettent déjà au maître d’ouvrage de connaître les espèces présentes dans le tronçon concerné, notamment lorsque le classement est imprécis (comme pour les cyprinidés rhéophiles sans plus de détail, par exemple). Ils autorisent également à comparer la fréquence des poissons et la qualité IPR selon le taux d‘étagement des rivières similaires, donc à identifier avec plus de précision les espèces sensibles aux seuils et les gains attendus.

Il est également nécessaire, comme cela a été fait en Haute Seine, que les pressions anthropiques sur chaque masse d’eau soient identifiées, en particulier celles qui affectent les populations piscicoles : le bénéfice réel d’une restauration de continuité écologique dépend toujours des autres facteurs dégradant la qualité de l’eau et limitant l’espoir d’une reconquête du tronçon par les poissons. Cela fait partie de la «proportionnalité» de l'aménagement au sens de la circulaire d'application.

Concernant la morphologie, l’autorité en charge de l’eau doit produire la description de chaque tronçon et en particulier les informations sur les substrats, les types d’écoulement, l’état des berges, la présence de frayères, caches et annexes hydrauliques. Seule une cartographie complète aval/amont permettra d’estimer au mieux les aménagements nécessaires sur chaque ouvrage.

Enfin pour la cohérence hydrographique, il serait nécessaire de disposer à l’échelle de chaque bassin et depuis la rivière principale (ordre de Strahler le plus élevé) des axes de continuité envisagés et des points noirs persistants en l’absence de classement de certains tronçons (typiquement les chutes naturelles et les barrages VNF, plus généralement les obstacles dont l’aménagement ne sera pas assuré sur la période 2013-2018 d’exécution de l’arrêté).

Une garantie de succès : des dispositifs simples, efficaces et peu coûteux
Comme notre association et ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 l’ont relevé dans le dossier Continuité écologique en Côte d’Or, une condition évidente du succès de la continuité dans le domaine piscicole sera la capacité à mettre à disposition des maîtres d’ouvrage des équipements efficaces, à moindre coût et à moindre entretien.

En soi, assurer un débit minimum biologique le plus transparent possible en montaison et en dévalaison ne poserait pas de difficulté particulière si les travaux des chercheurs, ingénieurs et techniciens avaient conduit à définir progressivement des solutions abordables.

Mais c’est plutôt l’inverse qui s’observe : le problème principal des ouvrages de franchissement est l’anormale dispersion des coûts observés sur les chantiers et, globalement, le coût moyen très élevé au mètre de chute (entre 30.000 et 80.000 euros selon les études). Les passes les plus fréquentes car les plus adaptées à un grand nombre d’espèces — en bassins successifs — ne sont en définitive que des blocs de béton : que, pour des ouvrages modestes entre 1 et 5 m, leur prix puisse couramment dépasser celui d’une berline, voire d’une maison individuelle est tout simplement incompréhensible du point de vue des matériaux mobilisés. Et inacceptable pour les maîtres d’ouvrages comme pour les dépenses publiques (quand la passe bénéficie d’une subvention, ou d'une indemnité si la charge de construction est jugée spéciale et exorbitante, comme le prévoit l'art 214-17 C env.).

Il importe donc de mener une enquête publique sur l’ensemble des passes installées, afin de comprendre l’origine exacte de la dispersion des coûts, d’identifier le juste prix des prestataires (bureaux d’études ou maîtres d’œuvre) et de définir les solutions qui présentent le meilleur ratio coût-efficacité. Ni l’opacité (des dépenses non justifiées par des bénéfices environnementaux non mesurés) ni l’arbitraire (des positions variables de l’administration d’une rivière l’autre en France) ne seront de mise si l’on souhaite que la franchissabilité piscicole soit assurée dans les meilleures conditions sur la période 2013-2018.

Enfin, notre association comme ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 conseille à tous les maîtres d'ouvrage de profiter de ces travaux de modernisation écologique pour installer une production hydro-électrique: avoir toutes les contraintes d'aménagement et entretien de son site sans avoir les avantages d'une production n'est pas une situation très avantageuse. De surcroît, un projet hydro-électrique ouvre droit à diverses subventions. Que les moulins et petites usines retrouvent ainsi leur vocation à l'heure de la transition énergétique sera la meilleure garantie d'une attention du maître d'ouvrage à l'ensemble des paramètres de la rivière, dont la continuité écologique.

Inversement, accepter d'effacer son ouvrage hydraulique représente une perte importante pour le propriétaire (disparition du droit d'eau attaché au bien, dégradation du miroir d'eau de la retenue et de la valeur paysagère) et des risques non mesurés (changement des régimes de crue et étiage, effets sur le bâti). Le choix de l'effacement est toujours possible, mais la perte de valeur du bien va généralement au-delà de la subvention consentie par l'Agence de l'eau (ne finançant qu'une partie des travaux en rivière et ne prévoyant rien pour indemniser le maître d'ouvrage).

Références
Aigoui F et M Dufour (2008), Guide des passes à poissons, VNF CETMEF.
Courret Larinier M (2008), Guide pour la conception de prises d’eau ‘ichtyocompatibles’ pour les petites centrales hydroélectriques, Ademe-Onema-Cemagref
Hydrauxois (2013), La vis d'Archimède. De l'irrigation antique à l'énergie moderne, 18 p.
Larinier M et al (1999), Passes à poissons. Expertise, conception des ouvrages de franchissement, Collection Mise au point.
Larinier M et al (2006), Guide technique pour la conception des passes à poissons ‘naturelles’, Rapport d’étude. 67p
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de la Seine, Piren Seine.

Illustrations : Wikimedia Commons (de haut en bas CMGLee, Harke, sans auteur)

20/02/2013

Circulaire d'application du classement des cours d'eau: l'Etat entendrait-il faire payer aux maîtres d'ouvrage les mesures qu'il n'a pas réalisées?


La circulaire d'application du classement des cours d'eau vient de paraître. On peut la consulter à cette adresse (pdf). Rappelons que le classement des cours d'eau va imposer, dans les rivières classées en liste 1 et surtout en liste 2, un aménagement des obstacles à l'écoulement (seuils, chaussées, barrages, digues, etc.) afin d'améliorer le transit des sédiments et la circulation des poissons. En Côte d'Or, l'immense majorité de ces obstacles à l'écoulement sont des seuils de moulin de taille modeste, généralement en place depuis des siècles. Les plus grands barrages du département sont des établissements publics gérés par VNF (et épargnés par le classement des cours d'eau, bien que leurs altérations du transit et de la circulation soient majeures).

Une ambiguïté fondamentale dans la circulaire
Le texte fera l'objet d'une analyse détaillée, mais on peut d'ores et déjà en relever une ambiguïté fondamentale. La circulaire explique en effet dans ses motifs généraux d'introduction :
Dans tous les cas, le choix des moyens d’aménagement ou de gestion répondant aux obligations de résultat induites par un classement en liste 2, doit tenir compte des principes d’utilisation des meilleures techniques disponibles ainsi que de proportionnalité des corrections demandées au regard de l’impact de chaque ouvrage et de proportionnalité des coûts par rapport aux avantages attendus. Sur la base de ces principes, il appartient au responsable de l’ouvrage d’analyser l’impact de celui-ci sur la continuité écologique et de proposer les aménagements et modalités de gestion adéquats, et à l’autorité administrative, de fournir les éléments de connaissance qu’elle possède le cas échéant  sur ce point et de fixer les prescriptions  permettant de respecter les exigences du classement, à partir de la proposition d’aménagement ou de gestion faite par le responsable de l’ouvrage.
Le texte laisse entendre qu'il reviendrait à chaque maître d'ouvrage de réunir les informations sédimentaires et piscicoles de sa masse d'eau (phrase en gras). Mais ce point est éminemment problématique : l'administration en charge de l'eau ne peut évidemment prétendre qu'un ouvrage pose un problème sédimentaire et piscicole (raison d'être du classement) sans avoir elle-même procédé aux mesures préalables permettant de prouver l'existence du problème sédimentaire et piscicole au droit de l'ouvrage.  Soit elle admet que les mesures n'existent pas, et la demande d'aménagement ou effacement paraît difficilement fondée. Soit les mesures existent, et c'est à l'administration de les produire au maître d'ouvrage.

Il devient impératif que les mesures soient publiées
Notre association réitère donc plus que jamais la demande qu'elle a déjà formulée : que les administrations en charge de l'eau (principalement Agence de l'eau, Dreal et Onema) publient immédiatement l'ensemble des mesures chimiques, physicochimiques, biologiques et morphologiques de chaque masse d'eau de notre département.

Si ces mesures n'existent pas, ce ne sont certainement pas les usagers de l'eau qui vont se substituer aux obligations de la puissance publique et payer de leur poche un travail que l'Etat n'aurait pas engagé depuis 12 ans qu'il est tenu de le faire (directive-cadre sur l'eau, 2000).

Par ailleurs, le principe de proportionnalité impact/correction ne saurait être déterminé par chaque maître d'ouvrage — on se demande comment le propriétaire serait capable de réunir les informations historiques démontrant dans quelle proportion son ouvrage en particulier a quantitativement altéré les sédiments et les poissons à l'aval ou à l'amont. Si l'Onema a été chargé depuis quatre ans de mettre au point le Référentiel des obstacles à l'écoulement (ROE) et de gérer le Système d'information sur l'eau (SIE), c'est bien pour que cette proportionnalité soit établie de manière claire, transparente et partagée. Ou contestable le cas échéant.

Notre association demandera clarification de ces différents points aux autorités départementales et régionales compétentes.

A lire en complément :
Le dossier de la continuité écologique en Côte d'Or
Bilan chimique et écologique : les mesures que l'autorité en charge de l'eau doit produire
Le classement des cours d'eau : introduction générale
Le référentiel des obstacles à l'écoulement

Continuité écologique en Côte d'Or: le dossier!


Dans ce premier dossier départemental, l'Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau fait le point sur l'ensemble des problèmes observés en Côte d'Or. Ce travail a été rendu possible par la collecte et l'analyse d'information effectuées par le réseau d'associations locales : Hydrauxois bien sûr, mais aussi nos amis de l'Arpohc en Châtillonnais et de l'APGBCO en plaine de Saône.

Dans les semaines qui viennent, ce dossier sera diffusé aux associations, aux administrations, aux syndicats de rivière, aux élus et aux médias. Mais outre les "décideurs", ce sont tous les riverains qui doivent se saisir de la question de la qualité de la rivière, des causes réelles de sa dégradation et des mesures les plus appropriées pour sa restauration.

Ce dossier fait plus de 40 pages, chaque aspect de la continuité écologique y est exposé de manière didactique, sous forme de question (cf ci-dessous) dont les réponses sont toutes référencées. Ce dossier est aussi l'expression d'une vive inquiétude : alors que de nombreux doutes pèsent aujourd'hui sur la qualité du Système d'information sur l'eau, alors que nulle part il n'est démontré que les seuils et petits barrages forment les altérations majeures de l'équilibre de nos rivières, les associations côte-doriennes refusent que des décisions précipitées détruisent le paysage, le patrimoine et le potentiel énergétique que nous avons reçus des générations passées et que nous lèguerons aux générations futures. Nous souhaitons donc une application concertée, équilibrée, prudente et intelligente du nouveau classement des rivières. Et au-delà, une vraie réflexion collective sur  les usages et mésusages de l'eau.

Sommaire

Introduction : Dix motifs d’inquiétude et un urgent besoin de concertation entre associations, syndicats, élus et administrations

Continuité écologique et hydromorphologie: une place modeste dans l’objectif européen de reconquête de la qualité des eaux
> Rappel: le classement des rivières et la continuité écologique
> La question des seuils et de la continuité est-elle centrale pour le bon état chimique et écologique des rivières?
> Mesure-t-on et explique-t-on correctement les causes de dégradation de nos rivières?

Seuils, barrages et qualité de la rivière : des connaissances encore incertaines, des résultats parfois contradictoires
> Les seuils et barrages transforment-ils l’ensemble du linéaire des rivières?
> Les seuils et barrages affectent-ils de façon manifeste et systématique la qualité piscicole
> Tous les poissons ont-ils besoin d'un franchissement en montaison et dévalaison?
> L’auto-épuration des rivières est-elle affectée par les seuils et barrages?
> Connaît-on l'effet des seuils et barrages sur les espèces exotiques envahissantes?
> Pourquoi ignorer l'effacement naturel des obstacles à l'écoulement?

Patrimoine, paysage, énergie : les dimensions oubliées de la rivière
> La valeur patrimoniale, historique, paysagère et touristique des ouvrages hydrauliques est-elle évaluée?
> Le potentiel énergétique des ouvrages hydrauliques est-il pris en compte?

La continuité écologique en action: un niveau de qualité, de concertation et de cohérence insatisfaisant
> L’incitation systématique à l’effacement assure-t-elle à une gestion durable et équilibrée de la rivière ?
> Qu'est-ce qui est fait pour les grands barrages de notre département gérés par les établissements publics?
> Le principe de précaution est-il respecté dans la politique d'effacement des seuils?
> Les règles et bonnes pratiques des travaux de continuité écologique sont-elles suivies dans les chantiers engagés?
> Quel sera le coût de la continuité écologique et qui va le supporter?

Dix mesures pour réussir la continuité écologique et la reconquête des milieux aquatiques en Côte d’Or

Pour le télécharger (pdf, 4,7 Mo) : Continuité écologique en Côte d'Or

13/02/2013

100%, 20%, 1%...


Le rapport 2013 de la Cour des Comptes est donc paru, confirmant l'ensemble des informations circulant depuis deux mois sur les dysfonctionnements de l'Onema et, plus généralement, du Système d'information sur l'eau en France. Le Premier Président de la Cour a par ailleurs annoncé qu'il y aurait des poursuites, contrairement à ce qu'affirmait Mme Dupont-Kerlan, directrice de l'établissement : «L’exemple de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, créé en 2007, révèle une accumulation de missions mal assurées et des déficiences graves dans l’organisation et la gestion. Devant l’ampleur de celles-ci, la Cour des comptes, par une délibération de la septième chambre, a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de certains des faits constatés et a transmis le dossier au parquet général à cette fin.» 

Nous n'épiloguerons pas ici sur ces faits, que d'autres commentent avec acuité et dont une synthèse sera produite par l'Observatoire de la continuité écologique.

L'acharnement sur les seuils
Deux points retiendront notre attention. Le premier concerne  l'exercice de la Police de l'eau, avec cette observation de la Cour des Comptes (p.329) :

« Alors que des actions contentieuses ont été engagées contre la France sur le non-respect de la directive européenne sur les nitrates, la «pression de contrôle» est insuffisante pour faire diminuer ce type de pollution et se prémunir contre de nouveaux contentieux. La circulaire du ministère de l’environnement du 12 novembre 2010 fixe en effet un objectif de contrôle peu ambitieux au regard des enjeux : dans les zones les plus sensibles, 1 % seulement des exploitations d’un département font l’objet d’un contrôle. Ce taux, à comparer avec ceux des stations d’épuration (20 %) ou des seuils et barrages (100 %), n’est pas de nature à contribuer à une diminution de la pollution de l’eau par les nitrates. »

100% de contrôle sur les seuils, 20% sur les stations d'épuration, 1% sur les exploitations agricoles intensives... voilà un bon résumé en trois chiffres du problème observé sur les cours d'eau depuis quelques années. L'inexplicable acharnement sur un seul aspect du compartiment hydromophologique des rivières répond à l'indéfendable relâchement sur les causes directes de pollution chimique. Et cela alors que les preuves convaincantes manquent singulièrement pour établir le rôle des seuils et de la petite hydraulique dans la dégradation de la qualité piscicole.

Evaluation et audit des données sur l'eau
Le second point concerne ce communiqué de Mme Batho, ministre de l'Ecologie, qui reconnaît sans commentaire les «graves dysfonctionnements» de l'Onema, mais qui précise surtout :

« Concernant les insuffisances structurelles de la  politique de l’eau, mises en évidence par le rapport de la Cour des Comptes, la Ministre de l’Écologie a souhaité qu’une évaluation de la politique de l’eau soit engagée dans le cadre du chantier de modernisation de l’action publique. Les scénarios d’évolution de la politique de l’eau seront présentés à la conférence environnementale en septembre 2013. Le plan d’action de modernisation de cette politique sera lancé au mois d’octobre. Cette évaluation de la politique de l’eau comportera également un audit transparent et partagé de la production et de la gestion des données sur l’eau. »

Nous prenons acte que la qualité du système d'information sur l'eau est à ce point suspecte qu'elle demande une évaluation de sa politique de mise en oeuvre et un audit complet des données déjà produites.

Mais nous nous étonnons que le Ministère persiste à publier des arrêtés de classements de cours d'eau dont les mesures structurantes (définition du très bon état écologique, peuplement piscicole dans chaque masse d'eau, élaboration des corridors biologiques, etc.) proviennent d'un Système dont la robustesse technique et scientifique est l'objet de sa propre suspicion.

06/02/2013

Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau

L'association Hydrauxois a le plaisir de vous annoncer la naissance de l'Observatoire de la continuité écologique et des usages de l'eau, dont elle est une des premières coordinatrices nationales avec le Cedepa de Philippe Benoist.

Les deux premiers dossiers de l'Observatoire sont en ligne. On peut consulter ci-dessous les principales conclusions : elles convergent pour montrer que les obstacles à l'écoulement ne sont nullement les premiers responsables de la dégradation de la qualité piscicole des rivières françaises. Il serait en conséquence inacceptable que le nouveau classement des cours d'eau donne lieu à une application systématique et brutale, aussi coûteuse pour l'économie que douteuse pour l'écologie, et cela alors que les premières causes de pollution ne sont toujours pas traitées (pollutions dont les mesures ne sont généralement pas disponibles, alors que des rapports sur les rivières suggèrent leur urgence, voir le cas du Serein, de l'Armançon ou de la Seine cote-dorienne).

Il a récemment été avancé que le Système d'information sur l'eau ayant servi de fondement au classement des rivières est défaillant : les dossiers de l'Observatoire plaident en ce sens, en suggérant que les connaissances scientifiques des rivières (et particulièrement de l'hydromorphologie) sont très insuffisantes pour asseoir des conclusions robustes, a fortiori des décisions précipitées de travaux en rivières.

Pourquoi les poissons n’ont-ils pas tous disparu de nos rivières ?
Étude de 18 espèces piscicoles au XIXe siècle, en présence d’obstacles à l’écoulement deux à trois fois plus nombreux qu’aujourd’hui

En 1865, on comptait 52 000 moulins en activité de production commerciale, auxquels s’ajoute un nombre inconnu d’ouvrages hydrauliques servant à l’autoproduction, de barrages d’irrigation agricole, de seuils en rivière abandonnés faute d’usage, d’autres équipements hydrauliques (écluses, premiers grands barrages de retenue). Il en résulte que les obstacles à l’écoulement longitudinal et à la circulation des poissons étaient deux fois à trois fois plus nombreux que ceux recensés aujourd’hui dans le Référentiel des obstacles à l’écoulement.

Or, à l’exception de certains grands migrateurs comme le saumon ou l’esturgeon dont on signalait la raréfaction en tête de bassins versants, la plupart des espèces aujourd’hui protégées au titre de la continuité écologique étaient considérées comme communes ou abondantes dans les rivières françaises (ou dans leurs bassins spécifiques) : spirlin, alose, anguille, hotu, toxostome, brochet, lamproie de rivière, lamproie marine, vandoises, blageon, lote, bouvière, ombre commun, apron du Rhône. Les écrevisses autochtones, connues pour leur sensibilité à la qualité de l’eau, étaient également signalées dans les fleuves comme dans leur réseau d’affluents, sans problème apparent pour la colonisation des milieux aquatiques.

Ces observations, menées à la fin du XIXe siècle par les fondateurs de l'ichtyologie scientifique française, suggèrent que la dégradation de la qualité piscicole, plus largement biologique des rivières françaises ne provient que marginalement des seuils en lit mineur et des ouvrages de petite hydraulique, dont le nombre (donc l’influence sur les cours d’eau) a progressivement décru depuis un siècle. Pour expliquer l’altération des milieux aquatiques, il convient de rechercher des facteurs présents au XXe siècle mais absents au XIXe siècle. Parmi les candidats les plus logiques : composés présents dans les intrants et les effluents agricoles, industriels, sanitaires et domestiques ; urbanisation, artificialisation des rives et suppression des annexes latérales ; croissance de la grande hydraulique ; espèces invasives et empoissonnements massifs à fin de pêche de loisir ; changement climatique récent.

Il en résulte que le classement systématique des cours d’eau entiers sans distinction sur la nature de leurs obstacles à l’écoulement ne permet pas d’établir correctement les priorités biologiques et hydromorphologiques pour la vingtaine d’espèces concernées par la continuité longitudinale. Un travail complémentaire des autorités en charge de l’eau est nécessaire pour définir ces priorités.

Obstacles à l’écoulement et qualité piscicole
Quand les mesures contredisent les discours sur l’effacement indispensable des seuils, digues, barrages et autres obstacles à l’écoulement…

Dans chaque département – sauf exceptions par défaut de mesures –, ce dossier montre que l'on trouve des rivières en qualité piscicole «bonne» ou «excellente» malgré la présence d’obstacles à l’écoulement. Il est donc inexact d’affirmer que la présence de seuils ou barrages altère nécessairement la composition de la faune piscicole. La qualité en question est mesurée par l'Indice poisson rivière (IPR) des pêches de contrôle de l'Onema.

L’Indice poisson rivière (IPR) est d’autant meilleur qu’il est proche de 1 (c’est-à-dire faible). Le score moyen d’IPR 2010 des 1136 rivières françaises analysées par l'Onema est de 17,274. Le score moyen des 88 rivières  analysées (7,75% de l’échantillon national) est de 8,002. Les rivières avec obstacles analysées dans ce dossier ont donc une note moyenne de qualité piscicole deux fois meilleure que la note des rivières françaises.

En Charente-Maritime et Loir-et-Cher, il n’existait pas de mesure IPR en bon ou excellent état comportant des seuils. Dans ces deux départements, l’étude montre que les rivières en plus mauvais état piscicole n’ont pas d’obstacles à l’écoulement sur leur lit, ce qui suggère d’autres causes de dégradation (nutriments azotés et phosphorés, etc…)

Dans 36 sites de contrôle, non seulement la qualité piscicole des rivières comportant des obstacles à l’écoulement est bonne ou excellente, mais c’est même la meilleure du département pour le relevé IPR 2010 : Eure, Gard, Haute Garonne, Gers, Ille-et-Vilaine, Loire, Haute-Loire, Lot-et-Garonne, Haute-Marne, Meuse, Morbihan, Moselle, Oise, Pas-de-Calais, Puy-de-Dome, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Rhône, Haute-Saône, Haute-Savoie, Seine-Maritime, Seine-et-Marne, Yvelines, Deux-Sèvres, Somme, Tarn-et-Garonne, Var, Vaucluse, Vienne, Haute-Vienne, Vosges, Essonne, Val-de-Marne, Val-d’Oise.

En général, les rivières étudiées dans ce dossier comportent des seuils ou glacis de moulin (empierrement  de hauteur modeste en lit mineur créant une hauteur de chute et une dérivation de bief). Mais plusieurs exemples – Pyrénées-Orientales, Haute-Savoie, Tarn – montrent qu’une qualité piscicole bonne ou excellente se trouve également en zone d’influence directe des grands barrages.

En février paraîtront deux autres travaux de l'Observatoire en cours de finalisation :

- un premier dossier local dédié à la continuité en Côte d'Or, rendu possible par l'existence d'un bon réseau associatif d'informateurs départementaux ;

- un dossier (national) sur le non-respect du principe de précaution dans l'arasement / dérasement des seuils, entraînant des modifications d'écoulement en crue et étiage.

02/02/2013

"Entre scandales et dérives"...

Les lecteurs de notre site savent toute la difficulté que nous avons à obtenir les données sur l'état chimique et écologique de nos rivières. Nous parlons bien des données primaires, les mesures permettant de contrôler la robustesse des conclusions de l'Autorité publique en charge de l'eau, et non pas de la littérature de vulgarisation en quadrichromie, où l'on avance des propos non vérifiables, notamment sur le rôle soi-disant clé des seuils et barrages dans la dégradation de la qualité de l'eau.

Nos lecteurs savent aussi toute l'incompréhension des riverains, des propriétaires d'ouvrages hydrauliques et plus largement des citoyens : l'Administration se montre soudain d'une rigueur implacable pour les seuils, barrages et autres obstacles en cours d'eau, au point d'envisager leur effacement à marche forcée dans les 5 ans qui viennent, alors que tous les rapports de terrain des syndicats de rivière (voir ici, ici ou ici), et les données mêmes de l'Onema ou du Système d'information sur l'eau quand elles sont disponibles, concluent que les principaux responsables de la dégradation de l'eau restent à ce jour les effluents domestiques, agricoles, industriels. De très prochaines publications auxquelles notre association a participé montreront d'ailleurs l'ampleur du problème.

Le journal Le Monde, dans son édition des 3 et 4 février 2013 consacre sa "une" à cette question : "La politique de l'eau en France entre scandales et dérives". Voici quelques extraits des analyses de ses journalistes, qui enquêtent sur un problème initialement soulevé par Marc Laimé à partir d'un rapport de la Cour des comptes. La lecture complète des articles (version papier ou version numérique pour abonnés) est fortement conseillée.

L'Onema, un bras armé de la politique de l'eau en mauvaise posture
Le ménage a été fait discrètement. Mais cela ne devrait pas suffire à étouffer le scandale qui frappe l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), un établissement public sous la tutelle du ministère de l'écologie, bras armé de la politique  publique de l'eau en France. L'agence en gère les données statistiques, cruciales pour juger de la qualité de notre ressource hydrique. L'Onema est sous le feu de vives critiques dans le rapport annuel de la Cour des comptes, qui sera rendu public le 12 février. (...) Le contrôle de la Cour met en évidence de lourds dysfonctionnements internes : "absence de fiabilité des comptes", "un budget mal maîtrisé sans procédure formalisée d'engagement de la dépense", "une gestion des systèmes d'information défaillante", "des sous-traitances non déclarées", etc.

Jeu de chaises musicales aux directions de l'eau
Quinze jours plus tard, par arrêté du ministère de l'écologie, Patrick Lavarde, directeur général de l'Onema depuis sa création, en 2007, est remplacé par Elisabeth Dupont-Kerlan, ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts. M. Lavarde est nommé chargé de mission au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), organisme sous l'autorité du ministère de l'écologie. Il n'a pas répondu à nos sollicitations. Le 21 novembre 2012, en conseil des ministres, il est aussi mis fin aux fonctions d'Odile Gauthier, directrice de l'eau et de la biodiversité (DEB), présidente du conseil d'administration de l'Onema, où elle n'a toujours pas été remplacée. Nommée à la direction générale du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, Mme Gauthier ne souhaite pas s'exprimer sur ses fonctions antérieures. Et d'autres mutations sont en cours. 

Des dérives récurrentes, selon la ministre de l'Ecologie
Comment expliquer tous ces dysfonctionnements ? Au-delà des responsabilités individuelles de tel ou tel acteur, que la justice pointera peut-être, l'affaire de l'Onema traduit, pour reprendre les termes d'un haut fonctionnaire, "un bordel incroyable" au sein de l'Etat. "Ce qui frappe, réagit Delphine Batho, c'est le caractère récurrent des dérives constatées, cette situation incroyable qui a perduré."

Le système d'information sur l'eau embourbé
Pour répondre à plusieurs directives européennes, la France doit rendre des comptes à la fois sur ses eaux potables, de baignade, conchylicoles, ainsi que sur ses eaux résiduaires urbaines, ses nitrates, boues d'épuration, inondations... Il lui faut élaborer - via l'Onema - un système d'information sur l'eau (SIE) performant, capable de fournir des données fiables et accessibles à la fois pour son "rapportage" auprès de Bruxelles, mais aussi pour orienter ses propres politiques publiques de l'eau. (…) L'Onema a consacré à cette tâche 80 millions d'euros en 2010, selon le rapport provisoire de la Cour des comptes. Pourtant, le SIE semble embourbé, son architecture tarde à prendre forme. Une bonne partie des données n'est toujours pas accessible, comme en témoigne Eau France, le portail Internet piloté par l'Onema, prolixe en textes officiels, recommandations et synthèses diverses, mais avare d'informations à jour et lisibles par le public non initié. Dans un paysage qui reste opaque, certains experts en arrivent à douter de leur fiabilité.

La Commission européenne fondée à douter des mesures
"En tout état de cause, la Commission européenne, qui estime les efforts de la France en matière de qualité de l'eau assez insuffisants pour la condamner d'ici quelques semaines, ne devrait pas perdre une miette de ce scandale. Bruxelles pourrait en effet s'interroger sur la pertinence des informations transmises par la France."

La Police de l'eau soumise à des pressions
"Des pressions ?" Cette chef de service éclate de rire. "Des pressions phénoménales oui ! Parfois, rapporte-t-elle, on nous demande de nous contenter d'une mise en garde plutôt que de verbaliser une entreprise polluante parce qu'il y a 400 emplois à la clé. Une autre fois, on nous interdit de contrôler les zones de lavage des engins agricoles des viticulteurs sous un prétexte fallacieux... " (…) Dans le sud de la France, un autre chef de service estime que la loi sur l'eau n'est simplement pas appliquée dans son département (...) : " L'administration ne veut pas de vagues, elle a fait le choix d'imposer le moins de contraintes possibles. Parfois, elle peut se contenter d'une simple note manuscrite de la part d'une entreprise au lieu d'exiger une demande d'autorisation réglementaire de cinquante pages.(...) Nous avons ainsi découvert dans la presse un projet de centre commercial qui va conduire à bétonner les rives d'un petit cours d'eau... "

Pour un vrai débat sur les priorités de l'eau
Nous l'avions déjà signalé sur ce site, il n'est pas question pour l'association Hydrauxois de verser dans des simplifications stupides ("tous pourris"), dans des généralisations abusives ("la continuité écologique ne vaut rien") ni dans des conclusions insultantes ("tous les agents administratifs de l'eau sont malhonnêtes ou manipulés"). Cela ne correspond évidemment pas à la réalité.

En revanche, nous avons très tôt attiré l'attention sur la difficulté à accéder à l'information, sur la faiblesse des données disponibles par rapport à la vigueur affirmée des conclusions avancées, sur la place anormale de l'hydromorphologie par rapport aux indicateurs biologiques, physochimiques et chimiques de la qualité de l'eau, sur certaines contradictions techniques et scientifiques manifestes dans le discours public sur la qualité de l'eau.

Comme le montre l'analyse du journal Le Monde, nous payons aujourd'hui 12 années d'impréparation publique :
• la mise en oeuvre chaotique de la Directive cadre européenne sur l'eau, visiblement bâclée d'un gouvernement l'autre depuis 2000 (la Cour des comptes avait tiré la sonnette d'alarme une première fois en 2010 dans son rapport sur les instruments de la politique durable de l'eau) ;
• l'agitation un peu cosmétique autour du Grenelle, qui a laissé de côté les problèmes de fond des rivières pour mettre en avant quelques spectaculaires mesures aux bénéfices environnementaux non réellement quantifiés ;
• l'incroyable dispersion et superposition des bases de données sur les paramètres de qualité de chacune des masses d'eau, bases qui devraient être au coeur d'une politique transparente de l'eau "fondée sur la preuve", et bases qui se trouvent aujourd'hui bien incapables de permettre une hiérarchisation des problèmes écologiques de nos rivières.

Le débat public sur l'eau n'a donc jamais vraiment eu lieu — surtout pas dans les concertations en trompe-l'oeil de la continuité écologique, des SAGE, des SDAGE où les rares citoyens ayant compris que leur avis était vaguement requis se trouvaient confrontés à des masses de conclusions fixées d'avance, sans la moindre opportunité de réfléchir à leur condition d'élaboration. Les rares fois où il s'est trouvé un tissu associatif assez vigoureux pour résister démocratiquement à un discours d'autorité et de fait accompli (comme à Semur-en-Auxois), la concertation a quand même abouti à sa conclusion logique : abandon de projets pharaoniques ne correspondant en rien aux besoins urgents de la rivière ni aux aspirations des territoires.

Notre association rappelle son objet et sa vocation : la défense de l'environnement, du patrimoine et de l'énergie hydrauliques — lesquels à nos yeux vont de pair pourvu que tous les acteurs (à commencer par les maîtres d'ouvrage) s'engagent dans une "gestion durable et équilibrée de la rivière", selon le voeu du législateur. Nous n'accepterons pas de voir sacrifiés cet environnement, ce patrimoine et cette énergie en Bourgogne au cours des mois et années à venir, alors même que ce sacrifice repose de toute évidence sur des informations défaillantes, des conclusions hâtives, des priorités erronées.

19/12/2012

Classement Seine-Normandie: pas de mesure de l'avantage environnemental

Un document de 142 pages intitulé Étude d’impact du classement des cours d’eau sur le bassin Seine- Normandie a été mis à disposition du public sur le site de la DRIEE IdF, conformément aux articles 4 des arrêtés du 4 décembre 2012. Ce document est censé apporter la justification du bien-fondé du classement.

Un objectif affiché  : évaluer les avantages environnementaux
L'Etude d'impact énonce en page 10 son objectif (mise en gras d'origine) : "L’étude de l’impact du classement des cours d’eau sur les usages est prévue à l'article L. 214-17 du Code de l’Environnement. C’est l’une des étapes clefs de la démarche de classement des cours d’eau. Cette étude doit permettre au préfet d’appréhender les coûts et les avantages économiques et environnementaux, marchands et non marchands qu’apporte le classement des cours d’eau au titre des listes 1° et/ou 2° de l’article L.214-17 du code de l’environnement. Elle doit notamment établir qu'il n’entraîne pas de coûts disproportionnés pour les autres usages au regard des avantages environnementaux à attendre."

La circulaire du 15 septembre 2008 (ministère de l'Ecologie), cadrant l'exercice de cette Etude d'impact, précisait quant à elle dès son introduction :

"Les classements sont un outil visant à atteindre les objectifs environnementaux de la DCE [Directive cadre sur l'eau]. Ainsi, les classements doivent répondre aux objectifs de bon état et de bon potentiel des eaux fixés par les schémas directeurs d’aménagement des eaux (SDAGE). L’étude de l’impact des classements tel que le prévoit la LEMA [Loi sur l'eau et les milieux aquatiques] appuie la démarche de révision des classements. Ainsi, cet outil permettra au préfet de justifier des avantages environnementaux des listes proposées."

Il s'agit donc d'abord de préciser le gain environnemental de la réforme proposée.

Un biais originel : la France ne respecte pas le cadrage européen 
Comme nous l'avons longuement exposé dans un précédent article, le ministère de l'Ecologie trompe son monde depuis quelques années quand il affirme que les dispositions de la loi sur l'eau de 2006 ont pour objectif et pour effet principal de satisfaire les exigences de la directive-cadre sur l'eau 2000. L'Union européenne était très claire dans la démarche, les Etats-membres devaient se doter préalablement à toute programmation d'un outil de surveillance et connaissance complet des milieux aquatiques, outil permettant d'apprécier pour chaque masse d'eau :

  • l'état chimique
  • l'état biologique
  • l'état physicochimique
  • l'état hydromorphologique

Or, le centrage de l'action publique sur les obstacles à l'écoulement (LEMA 2006) ne représente qu'un sous-facteur de l'état hydromorphologique des cours d'eau, et ce centrage a été décidé en 2006 alors que la France ne disposait absolument pas des informations nécessaires sur les autres facteurs de qualité écologique (puisqu'ils n'étaient pas mesurés – et à dire vrai le sont encore peu, les masses d'eau où la totalité des mesures exigibles sont disponibles étant très rares).

Il est donc intrinsèquement mensonger de prétendre que le classement des rivières va permettre de satisfaire nos obligations européennes : ce classement apporte une place excessivement importante à un seul problème (l'obstacle à l'écoulement) dont rien ne démontre aujourd'hui qu'il est le principal problème des rivières françaises, et notamment de Seine-Normandie (voir pour ce qui concerne notre région les analyses sur le bassin Armançon et le bassin Haute Seine suggérant au contraire que l'obstacle à l'écoulement n'est nullement le premier facteur dégradant des rivières).

Un résultat navrant : aucune démonstration des avantages environnementaux
Sans surprise donc, l'Etude d'impact n'est pas en mesure d'apporter aux citoyens (ni plus tard au juge administratif quand il devra examiner la valeur du classement) le moindre élément d'information sur les différents facteurs dégradant les rivières et la hiérarchie de ces facteurs.

Sur le seul sous-aspect hydromorphologique formant l'apparente monomanie de la LEMA 2006 sous le label de continuité écologique, cette Etude est incapable de conclure à quoi que ce soit de probant. En page 24, le document admet cette carence dans un paragraphe sur les "limites de la méthode" :
La méthode de calcul utilise des coefficients par défaut. Celle-ci pourrait être affinée en prenant en compte des données plus précises, en particulier : recensement exhaustif des obstacles à la continuité, en particulier sur les très petits cours d’eau, indicateur de franchissabilité spécifique à chaque ouvrage, pour une ou plusieurs espèces données, relevé précis des dispositifs de franchissement, ainsi que leur fonctionnalité effective, identification de barrières de pollution ou de zones de rejet impactant les migrateurs, identification de zones de présence réelle ou supposée des espèces. Les données ouvrages existantes ne permettent pas d’obtenir de tels niveaux de précision.
L'Etude d'impact reconnaît ainsi que ni les pollutions ni même... la présence réelle des espèces concernées (!) n'est établie pour valider ses calculs. En d'autres termes, elle utilise des "coefficients par défaut" qui ne correspondent pas à la réalité, et pour cause puisque les données existantes ne lui permettent pas de décrire cette réalité. Il paraît difficile de mesurer avec précision l'avantage environnemental pour une espèce dont on admet ignorer la présence au droit des obstacles étudiées, et dont on admet par ailleurs que l'on ne connaît pas mieux les autres facteurs impactants.

La même observation étant reproduite en page 27 pour les migrateurs holobiotiques (vivant dans un seul milieu, et non alternativement en eau salée et en eau douce comme les grands migrateurs amphihalins) : "Les limites sont similaires à celles de l’approche 'amphihalins' décrite précédemment. Il convient par ailleurs de noter que certaines espèces holobiotiques sont exigeantes et que les passes existantes pourraient ne pas être adaptées à leur franchissement. Ici également, les évaluations gagneraient en précision par la collecte d’informations de franchissement à l’ouvrage."

Bref, le modèle n'a pas le début du commencement d'un certain réalisme biologique sur le cycle de vie des poissons, il se contente d'additionner des franchissements à 0% (obstacle sans passe), 80% (obstacle aménagé avec passe) ou 100% (obstacle effacé). Pour conclure, ô surprise, que l'effacement de tous les obstacles donnerait la franchissabilité maximale. Cette simple addition dans l'abstrait, dont un élève de 3e serait capable, ne représente pas ce que l'on peut décemment appeler une analyse de l'avantage environnemental du classement comparé à ses coûts économiques et sociaux.

Une conclusion logique : nullité du classement
Il paraît donc clair qu'en l'état, le ministère de l'Ecologie et le préfet coordonnateur de bassin ne sont pas en mesure de préciser les avantages environnementaux du classement des cours d'eau de Seine-Normandie. Le document de justification ne comporte qu'une part minime des définitions européennes en vigueur du bon état écologique (donc du gain environnemental) sur les rivières de notre bassin hydrographique et, sur cette part minime, il n'est pas capable d'apporter une information exploitable.

La question qui se pose est désormais double : pour le juge administratif, apprécier la validité du classement (si ce juge dispose d'un minimum de sens commun, il devrait conclure à sa nullité) ; pour les citoyens (et leurs élus), comprendre comment on en est arrivé à de telles aberrations.

Nous avons souligné à plusieurs reprises ici – et nous continuons de penser – que la continuité écologique est  une des dimensions indéniables de la qualité des milieux aquatiques et qu'une modernisation intelligente des ouvrages hydrauliques représente un enjeu intéressant, à condition d'être justifiée par des analyses scientifiques probantes et d'être couplée à une modernisation énergétique dont notre pays a besoin.  Mais dans la politique de l'eau de la France depuis le début des années 2000, il y a eu un très étrange "hold up" au terme duquel certaines exigences européennes sur la qualité de l'eau (chimique, physique, biologique) ont été bâclées tandis qu'une seule dimension de l'hydromorphologie (obstacle à l'écoulement) a pris une importance de premier plan – au point que le classement des rivières est tout entier centré sur elle.

La (nouvelle) direction de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de l'Ecologie n'est pas obligée d'assumer les errements de ses prédécesseurs depuis 2006. Mais si elle persiste dans cette direction fort peu productive pour la qualité de l'eau – sans compter la négation du patrimoine historique, la destruction du potentiel énergétique, l'endettement des particuliers et des communes –, elle devra en assumer toutes les responsabilités.