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18/12/2012

Etat chimique et écologique de nos rivières: où sont donc les mesures ?

A partir de 2000, l’Union européenne a établi un cadre communautaire pour la protection et la gestion de l’eau, à travers une directive-cadre (DCE). La démarche a été programmée en deux temps : d'abord, identifier et analyser les eaux européennes, recensées par bassin et par district hydrographiques ; ensuite, proposer des plans de gestion et des programmes de mesures adaptés à chaque masse d’eau. Cela en vue en vue d'atteindre un bon état chimique et écologique des masses d'eau européennes en 2015 (avec prorogation justifiée 2021, 2027).

Nous examinons ici les différents critères du bon état chimique et écologique de nos rivières tels que les a définis l'Union européenne, puis la loi française. Nous constatons que la France ne semble apparemment pas capable de produire en 2013 des mesures chimiques et écologiques complètes pour l'ensemble de ses rivières – bien qu'elle prétende par ailleurs les classer selon leur « état écologique », contrevenant manifestement à ses engagements européens.

Les textes cités au fil de l'article sont consultables dans les références finales (sauf exception de lien direct).

Etat chimique d'une masse d'eau
Pour apprécier l'état chimique d'une masse d'eau, la DCE établit une liste de 41 substances chimiques : 33 substances prioritaires et 8 substances dangereuses. Les substances prioritaires doivent être inférieures à des taux maximaux de concentration définis par les normes de qualité environnementale ; les substances dangereuses doivent être éliminées.

Il n'existe pas de gradient dans l'état chimique d'un cours d'eau : il est respecté ou non respecté. Les mêmes valeurs seuils s'appliquent à toutes les masses d'eau (de surface).

Les substances concernées sont des hydrocarbures (HAP), des métaux, des pesticides, des polluants issus de l'industrie ou de l'usage domestique. Une masse d'eau dont les 41 mesures n'ont pas été effectuées contrevient à la DCE et son état chimique ne peut être qualifié.

Etat écologique d'une masse d'eau
L'état écologique d'une rivière ne correspond pas toujours à des seuils déterminés par l'Union européenne, même s'il existe une réflexion commune dans le cadre du groupe Ecostat (Ecological Status). Chaque Etat-membre fixe sa méthodologie. Trois paramètres sont pris en compte en France pour évaluer l'état écologique : état biologique, état physico-chimique dont présence de polluants spécifiques à effet biologique, état hydromorphologique (voir en référence Guide technique 2009 faisant suite à la circulaire du 28 juillet 2005 et aux instructions de décembre 2007, ainsi que l'arrêté du 25 janvier 2010 sur le classement des rivières reprenant ces critères).

Etat biologique - Il est analysé par plusieurs types de mesures complémentaires, dont nous indiquons ici les indices les plus fréquemment employés :
• Indice biologique macrophytique en rivière (IBMR) pour l'eutrophisation (les macrophytes sont des algues visibles)
• Indice biologique global normalisé (IBGN) pour le peuplement macrobenthique
• Indice biologique diatomées (IBD)
• Indice poissons en rivière (IPR), peuplement piscicole en écart à la station de référence du milieu

Etat physico-chimique - Six mesures sont requises pour apprécier cet état :
• Bilan de l'oxygène (dissous, saturation, DBO5 et carbone organique)
• Température
• Nutriments (composés phosphorés PO4x, azotés NO2x, NO3x, NH4x)
• Acidification (pH)
• Salinité (si pertinent)
• Polluants spécifiques (métaux et phytosanitaires : arsenic, cuivre, zinc, chlortoluron, oxadiazon, linuron, 2.4 D, MCPA)

Etat hydromorphologique - Ce critère inclut diverses mesures dont l'appréciation est mal normalisée – la France insiste sur cette dimension spécifique plus que ne le font les textes européens, d'abord attachés aux paramètres mesurables de qualité chimique, biologique et physicochimique. La description de l'état hydromorphologique inclut notamment :
• connectivité latérale et longitudinale (obstacles à l'écoulement)
• nature des substrats
• dynamique sédimentaire érosions / dépôts
• diversité des régimes d'écoulement
• nature de la berge et ripisylve

Une approche fondée sur la preuve
Quoiqu'elles puissent paraître complexes au premier abord, les informations relatives au bon état chimique et écologique des masses d'eau sont finalement assez claires : on a une liste finie de critères à renseigner, avec dans certains cas des valeurs seuil définies par l'UE, dans d'autres cas des valeurs seuil ou des situations de référence décidées par l'Etat-membre dans son rapportage à l'UE.

La liste des substances concernées, le choix de tel ou tel indicateur peuvent nourrir des débats légitimes sur leur capacité à refléter la qualité des milieux aquatiques. On sait par exemple que les micropolluants de rivière se comptent en centaines, et non en dizaines, de sorte que le choix de l'UE peut paraître conservateur. De même, la notion de référence pour le peuplement piscicole d'une rivière donne lieu à des ambiguïtés, car elle est calculée sur des cours d'eau quasi-indemnes de toute influence anthropique ne correspondant plus aux usages économiques et sociaux depuis un grand nombre de générations.

Il n'en demeure pas moins que l'Union européenne a posé le fondement d'une démarche saine, que l'on dit « fondée sur la preuve » (evidence-based). Il ne s'agit de parler dans le vide ou dans le flou, sous prétexte qu'il existe un consensus pour un meilleur état écologique de nos milieux, mais bien de mesurer clairement les facteurs de dégradation. Et de n'agir qu'en connaissance de cause, lorsque l'on possède les informations complètes sur l'état des masses d'eau (souterraines, littorales ou de surface continentale) et sur les mesures prioritaires pour l'améliorer.

Informations non accessibles
Ces informations sur la qualité de l'eau devraient être accessibles à tous, de manière compréhensible par tous. Et en soi, la chose est aisée. C'est un peu comme une analyse de sang, où chacun regarde ses résultats et observe des écarts par rapport à la référence : inutile d'avoir un doctorat en hématologie pour comprendre si notre formulation sanguine a un problème !

Depuis bientôt 12 ans que la directive-cadre sur l'eau a été adoptée, on s'attend donc à ce que les citoyens disposent aujourd'hui d'un atlas Seine-Normandie, avec les données établies pour chaque masse d'eau (état zéro, puis mesures successives de contrôle de l'évolution) sous forme d'une fiche à télécharger ou à consulter en ligne, et d'un rapport annuel.

En d'autres termes, que chaque citoyen puisse savoir facilement : ma rivière est-elle en bon état chimique et écologique ? Et si elle ne l'est pas, quelles en sont les preuves, et les causes présumées ?

Hélas, il n'en est rien.

Un dispositif lourd, un budget conséquent
Pour satisfaire à ces obligations, l'Agences de l'eau Seine-Normandie (dont dépend la partie occidentale de notre département) a mis en place quatre « réseaux de contrôle » dédiés à la surveillance permanente (RCS), aux actions opérationnelles sur certains cours d'eau éloignés de l'objectif (RCO), à l'enquête sur des pollutions accidentelles (RCE) et à l'analyse additionnelle des zones protégées (RCA). Et pour faire bonne mesure, un réseau complémentaire de bassin (RCB) a été ajouté au dispositif.

Outre l'Agence de l'eau et l'Onema, principaux maîtres d'oeuvre de l'évaluation chimique et biologique des cours d'eau, toutes sortes d'organismes et d'administrations ont été mobilisés et sont énumérées dans le rapport 2011 sur l'état des milieux aquatique (AESN 2011, p. 2) : Ifremer, Cemagref (aujourd'hui Irstea), BRGM, Museum national d'histoire naturelle, Cellule de suivi du littoral normand, Centre d'étude et de valorisation des algues, DREAL, collectivités territoriales, bureaux d'études, laboratoire d'analyses...

Le budget alloué à la restauration écologique et la connaissance des milieux aquatiques est conséquent. Dans le Rapport annuel 2011 de l'Agence de l'eau, en Seine-Normandie, on observe que 57,5 millions d'euros sont dédiés à la seule étude de la qualité des eaux (et 48,8 millions d'euros à l'intervention).

Complexité, opacité, inefficacité
Hélas, la complexité du dispositif (que nous simplifions grandement ici en vous épargnant la profusion des bases de données, des référentiels, des méthodologies, etc.) n'a d'égale que l'opacité de ses résultats. Et leur rareté.

La Commission européenne ne s'y était pas trompée dans son premier rapport 2009 sur le suivi de la DCE en observant : «Il est encore nécessaire d’améliorer certains aspects du système afin de garantir la clarté et l’exhaustivité des rapports transmis, condition sine qua non pour que la Commission puisse effectuer une analyse correcte de la mise en œuvre de la DCE. Les rapports de l’Autriche, de la République tchèque, de la Hongrie et des Pays-Bas sont des exemples de bonne pratique en matière de clarté des informations communiquées.»

Chacun aura remarqué que la France ne faisait pas partie des bons élèves en terme de clarté et exhaustivité.

Pour donner un exemple, dans le rapport 2011 précité (AESN 2011, p. 10), l'Agence de l'eau observait : «Les données ont permis d'attribuer un état chimique à 324 masses d'eau suivies, lesquelles représentent 44% du linéaire total sur les 1688 masses d'eau du bassin. Il n'est en effet pas possible d'attribuer un état à plus de 80% des masses d'eau faute de données et/ou d'outils.»

Arriver à 80% des masses d'eau non renseignées sur leur état chimique dix ans après l'adoption de la DCE : on comprend la perplexité de la Commission européenne  !

Quel examen réel des masses d'eau ?
Les points de prélèvement des réseaux de surveillance dont nous parlions précédemment sont (selon l'Agence de l'eau 2011) au nombre de 391 pour l'analyse permanente (RCS) et de 691 pour l'analyse ponctuelle (RCO), ce qui est manifestement inférieur au nombre total de masses d'eau signalées par l'Agence (1688 dans le bilan publié en 2011).

Ce n'est pas très étonnant qu'une masse d'eau n'ait pas de donnée chimique si elle n'a pas pour commencer de point de prélèvement...

De surcroît, le maillage des masses d'eau par l'Agence de l'eau soulève un problème de fond : l'état chimique et écologique d'un cours d'eau ne s'apprécie pas par une mesure prise à 30 ou 60 km des facteurs dégradants (par exemple un élevage, un rejet industriel ou domestique, une succession de seuils, etc.). Donc, on s'interroge la valeur scientifique réelle des « points de prélèvement » et des « masses d'eau » quand il s'agit de statuer sur la qualité de l'eau dans tel ou tel tronçon du Serein, de l'Armançon, de la Brenne ou de tout autre cours d'eau de notre département.

Si l'on se pose des questions sur la qualité chimique et écologique de l'Armançon à Montbard, on ne sera que modérément informé par des mesures faites à Pont ou à Tonnerre, par exemple... La densité des analyses chimiques et écologiques est donc une condition de leur capacité à refléter l'état réel de nos rivières.

Le classement des rivières
Si vous trouviez déjà les précédents développements un peu compliqués, sachez que nous n'êtes pas tout à fait au bout de vos peines. Car au terme de la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006, la France a décidé de produire le 1er janvier 2014 au plus tard un nouveau classement des rivières (voir ce premier article d'explication). Celui de Loire-Bretagne est paru à l'été 2012, celui de Seine-Normandie vient tout juste d'être publié au Journal Officiel.

Les rivières ont trois statuts possibles : liste 1, liste 2, non classées. La liste 1 correspond à une masse d'eau en très bon état écologique, à un réservoir biologique classé au titre d'une protection ou à une rivière à fort enjeu migrateur. La liste 2 rassemble les rivières « à restaurer » dans lesquelles il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons. Pour le franchissement piscicole, le Code de l'environnement mentionne les poissons « migrateurs », mais d'autres espèces ont été introduites.

On voit donc que le cœur du classement est constitué par la distinction des rivières en bon état écologique (liste 1) et des rivières à simple potentiel de bon état écologique (liste 2). Il n'échappe à personne que cette notion de « bon état écologique » est justement celle que la directive-cadre sur l'eau de 2000 a défini.

Les cours d'eau de l'Auxois et du Châtillonnais ont-ils été analysés ?
Nous publions par exemple en annexe de cet article la liste des tronçons de rivières de Côte d'or (bassin Seine seulement, c'est-à-dire partie occidentale du département) faisant l'objet d'un classement soit en liste 1, soit en liste 2.

Les services publics de l'eau sont-ils capables de produire pour chacun de ces tronçons la liste complète des mesures prévues dans le cadre de l'application de la DCE 2000, pour le volet état écologique ? Ont-ils vraiment mesuré sur chaque tronçon les 4 indices biologiques, les 7 indices physicochimiques, la liste des polluants spécifiques ? Ont-ils une description cohérente et comparative des paramètres hydromorphologiques ?

Nul ne le sait, et il n'est pas tout à fait certain que les services concernés le sachent eux-mêmes, au regard des échanges que nous avons avec ceux qui daignent nous répondre... (pas l'Onema par exemple). Même le travail récent (par ailleurs de bonne qualité) sur le bassin Haute Seine, que nous avons commenté ici, ne comporte pas toutes les informations requises pour juger l'état écologique des cours d'eau concernés (ni l'état chimique). Sans parler des travaux bien plus minces sur les bassins Serein ou Armançon, du moins ceux qui sont accessibles au public à ce jour.

Le préfet coordonnateur de bassin devra justifier le classement
Pourtant, il paraît très difficile d'imaginer que le préfet coordonnateur de bassin ait publié ce 18 décembre 2012 un classement des rivières Seine-Normandie en « bon état écologique » ou en potentiel de « bon état écologique » sans pouvoir le justifier par rapport aux critères retenus par la règlementation française et européenne.

On observe par exemple que dans le classement des cours d'eau du bassin Loire-Bretagne, déjà publié cet été, il n'existe quasiment aucune mesure sur les masses d'eau des 8 polluants chimiques susceptibles d'altérer la biologie, ni des macrophytes. Or, l'arrêté du 25 janvier 2010 stipule que ces données font partie de la définition d'un bon état écologique. (A défaut d'une mesure directe, il faut présenter une modélisation validée permettant de quantifier le polluant dans la masse d'eau concernée... procédure pour le moins étrange, quand on sait la complexité d'une modélisation pour exclure la présence de traces d'éléments chimiques donnés. Nous sommes en conséquence curieux d'obtenir la publication de ce genre de modèle, et notamment de vérifier sa validation scientifique dans des revues évaluées par les pairs).

Il faut également noter qu'au regard de la circulaire DCE 2008/25 sur le même classement des cours d'eau, il avait été précisé par le Ministère de l'Ecologie : «Le gain écologique (maintien ou restauration) doit être vérifié au regard du diagnostic de la continuité des habitats. Si ce gain est faible ou inexistant, le déclassement doit être la suite logique.» En conséquence de quoi le préfet coordonnateur de bassin est tenu de justifier à publication du classement que le gain écologique est «non faible» pour un cours d'eau en liste 2 et que le déclassement n'était pas le choix le plus logique.

Rien de tout cela n'apparaît dans le « Document technique d'accompagnement » ou les autres pièces fournies en Loire-Bretagne. Soit une situation quelque peu ahurissante où la France paraît décréter administrativement l'état de ses rivières sans avoir au préalable analysé scientifiquement cet état. Nous verrons très vite ce qu'il en est sur le bassin Seine-Normandie et nous vous tiendrons ici informés des réponses de l'administration à nos requêtes.

Ce que nous attendons : en finir avec la confusion...
Notre association espère mettre fin dans les meilleurs délais à cet état de confusion totale sur les cours d'eau de Côte d'Or dépendant du bassin de Seine-Normandie. Les citoyens ont le droit d'être informés ce qui a été fait (ou non) pour apprécier la qualité de leurs rivières, mais surtout d'en être informés de manière accessible, en publiant tout simplement l'ensemble des mesures exigées par la directive-cadre sur l'eau de l'Union européenne et par ses translations ou circulaires d'application en France.

La question que nous posons est donc simple : dispose-t-on oui ou non de l'intégralité des mesures d'état chimique et écologique des eaux de surface ?

Sans réponse à cette question, on devra logiquement conclure que l'Onema et l'Agence de l'eau ne sont pas capables de donner un état chimique et écologique de nos rivières conforme à l'ensemble de nos obligations européennes, et surtout conforme à la réalité de nos cours d'eau. Subsidiairement, que le préfet de bassin ne sera pas capable de justifier devant le juge administratif un classement de masse d'eau en liste 1 ou liste 2 fondé sur les mesures règlementaires à cette fin.

… et les diversions
La réponse à ces questions ne saurait évidemment être celle qu'un responsable de l'Agence de l'eau Seine-Amont nous a faite, à savoir d'aller voir sans plus de précision sur le portail labyrinthique et kafkaïen Eau France. Portail qui vous informe par exemple que la base de données requise est «indisponible» (voir capture d'écran ci-contre)...

La base de données serait-elle disponible quelque part dans le labyrinthe des fichiers empilés, le problème est ailleurs : il ne devrait y avoir aucune difficulté à donner à chaque citoyen qui en fait la demande le fichier des diverses mesures chimiques et écologiques du cours d'eau dont il est riverain. C'est une question (constitutionnelle) de bon accès à la documentation et à l'information environnementales. L'Onema le reconnaît d'ailleurs comme une de ses missions :

«Le système d’information sur l’eau (SIE) est conçu pour répondre aux besoins des parties prenantes (y compris le grand public) en matière d’information environnementale publique dans le domaine de l’eau. L’enjeu : disposer d’un outil national, homogène et à fonctionnement partenarial, au service d’une gestion de l’eau pilotée par la connaissance et permettant d’évaluer les politiques, au niveau européen mais également à l’échelle des bassins.»

Pour la Commission européenne, un « problème majeur »
La Commission européenne s'est à nouveau inquiétée en novembre dernier de certains aspects de la politique de l'eau en France pour le suivi de la directive-cadre (voir notre premier article). Voici quelques extraits complémentaires faisant naître le doute sur la capacité de notre pays à juger réellement les causes de dégradation de ses masses d'eau, et notamment de ses rivières :

«Il y a des manques dans la réseau de surveillance des eaux de surface. Tous les éléments de qualité environnementale ne sont pas surveillés dans les programmes de mesure (…) Le statut chimique des eaux de surface a été considéré comme correct pour un peu plus de 53% des masses d'eau, tandis que 23% ne parvenaient pas à ce statut. Le pourcentage élevé (34,1%) de masses d'eau en état chimique inconnu doit être souligné. C'est un problème majeur, car cela entrave le reste du processus de programmation, c'est-à-dire l'établissement des objectifs et la mise au point des mesures appropriées pour améliorer l'état (…) L'analyse des éléments qualitatifs fondant les caractéristiques physico-chimiques et hydromorphologiques n'a généralement été développée que partiellement à ce jour (…) Pour les éléments hydromorphologiques, la continuité de la rivière et les conditions morphologiques n'ont généralement pas été analysés. Dans les premiers programmes par bassin, des standards n'ont pas encore été établis pour les données hydromorphologiques, et l'évaluation a été fondée sur l'information disponible sur les pressions hydromorphologiques».

Des jolies plaquettes (inutiles) aux vraies données (indispensables)
Nous partageons l'inquiétude de la Commission européenne. Nous avons eu droit depuis quelques années à des développements très bavards sur la continuité écologique et particulièrement sur les obstacles à l'écoulement qui, comme on l'observe à l'analyse de ce que demande réellement la DCE, ne représentent qu'une dimension annexe de l'état chimique et écologique de nos rivières.

Inversement, les mesures indicielles claires correspondant à un état objectif de la qualité de l'eau sont fort difficiles à trouver, et peu commentées si elles existent. Il est grand temps que l'on cesse de dépenser de l'argent public dans des belles plaquettes quadrichromiques sans contenu réel (ou dans des pinaillages de droit d'eau sans fondement), et que l'on informe correctement les citoyens sur les vraies mesures scientifiques de pollution et dégradation de nos rivières.

Notre action est territoriale, et volontairement limité aux cours d'eau dont nous sommes riverains. Mais nous encourageons bien sûr toutes les associations de défense de la qualité de l'eau ou du patrimoine hydraulique à poser les mêmes questions aux établissements publics en charge de fournir les réponses.

Références citées
Annexe
Liste des cours d'eau Côte d'Or du bassin Seine Amont dont le préfet de bassin devra justifier le classement en liste 1 ou liste 2 au regard des paramètres mesurés de l'état écologique (arrêté du 25 janvier 2010) et d'une appréciation du gain écologique (circulaire de cadrage DCE 2008/10)
Code Hydro et cours d'eau ; F00-0400 Le Revinson ; F0002000 Ruisseau du Feu ; F0003000     Ruisseau de Jugny ; F0003500 Ruisseau du Movillot ; F0011000 Ruisseau des Trois Fontaines ; F0020600 La Coquille ; F0022000 Le Prelard ; F0028000 Ruisseau de Banlot ; F0050600 Le Brevon ; F0058000 Ruisseau du Noin ; F0110600 Rivière de Courcelles ; F0111000 Ruisseau du Creux Manchard ; F0240600 Ruisseau du Val Dupuis ; F0400800 Fossé 01 de la Tanière ; F0402250     Fontaine au Devin ; F0404000 Ruisseau de Chaugey ; F0404600 Ruisseau des Pres Mous ; F0405000     L'Arce ; F0405500  Ruisseau de Bure ; F0406000 La Groeme ; F0408000 Ruisseau de Valverset ; F0410600 La Digeanne ; F0413000 Ruisseau de Villarnon ; F0413500 Ruisseau du Fays ; F0415000 Ruisseau de la Cave ; F0421000 Ruisseau du Canal ; F0436000     Ruisseau de Beaumont ; F1020600     L'Aubette (bras) ; F1025000 Ruisseau de Combe-Jean ; F1040600  Le Coupe-Charme ; F1042000     Ruisseau de Fontenil ; F3--0210 L'Armançon ; F3132000 Ruisseau de la Vente ; F3133000     Ruisseau des Pontas ; F3134000 Ruisseau de Chaillou ; F3140600 La Romanee ; F3145000 Le Tournesac ; F3147000 Le Vernidard ; F32-0400 Le Serein ; F3232000  La Baigne ; F3232200     Ruisseau de Saulieu ; F3232250 Ruisseau de Balathier ; F3232300 Ruisseau des Comes ; F3232400     Le Brazon ; F33-0400 La Brenne ; F3301000 Ruisseau de la Motte ; F3317000 Ruisseau de la Belle Fontaine ; F3321000 Ruisseau de Roussot ; F3321500 Ruisseau de l'Envers ; F3322000 Ruisseau du Moulin ; F3322500 Ruisseau de la Come ; F3323000 Ruisseau de Vernet ; F3323500  La Golotte ; F3324000 Ruisseau du Val d'Ete ; F3324500     Ruisseau de Roche d'Hy ; F3325000 Ruisseau de Batarde ; F3325500  Ruisseau du Pontot ; F3325501 Bras la Brenne ; F3326000 Ruisseau de Miard ; F3326400 Ruisseau du Grand Pre ; F3326500 Ruisseau de Volnay ; F3327500 Ruisseau de Quionquere ; F3328000 Ruisseau de Chemerey ; F3328500 Ruisseau de la Lochere ; F3330600 L'Ozerain ; F3331000 Les Combes ; F3332000 Ruisseau de Fontette ; F3333000 Ruisseau de Barain ; F3334000  Ruisseau de Saint-Cassien ; F3334500 Ruisseau de Chevrey ; F3335000 Ruisseau Guenin ; F3336000 Ruisseau de Jagey ; F3337000 Ruisseau de Grissey ; F3338000 Ruisseau du Val Sambon ; F3350600 L'Oze ; F3351000 Ruisseau des Fosses ; F3352000 Ruisseau de Vau-Mercy ; F3352700 Ruisseau de Trouhaut ; F3353000 Ruisseau de la Combe de Pâques ; F3354000 La Drenne ; F3354300 Le Drevin ; F3354380 Ruisseau de la Barre ; F3354700 Ruisseau de Come ; F3356000 Ruisseau de Presilly ; F3357000 Ruisseau du Canal ; F3358000 Le Vau ; F3359000 Le Rabutin


Le classement des cours d'eau Seine-Normandie vient de paraître

Le nouveau classement des cours d'eau du bassin Seine-Normandie est paru ce 18 décembre 2012 au Journal Officiel. Ce classement concerne les rivières de Cote d'Or dépendant du bassin sequanien, notamment le Châtillonnais et l'Auxois. Les informations techniques sont disponibles sur le site de la DRIEE : arrêté liste 1, arrêté liste 2, Document technique d'accompagnement, Etude d'impact.

Pour comprendre les enjeux du classement des rivières, vous pouvez lire ce texte d'explication.

Notre association fera dès lundi prochain une demande officielle d'information visant à obtenir l'intégralité des mesures prévues dans les arrêtés du 12 janvier 2010 et du 25 janvier 2010. En effet, attribuer un état écologique (ou un potentiel d'état écologique) demande la connaissance préalable des conditions biologiques, physicochimiques et hydromoprhologiques de chaque masse d'eau. Nous entendons vérifier que ces données sont disponibles, conformément aux engagements européens de la France en matière de surveillance des milieux aquatiques. De même, la circulaire d'application 25/02/2008 DCE2008/25 demandait au préfet coordonnateur de bassin d'évaluer le gain écologique entre un classement L2 et un déclassement, et notre association entend vérifier là aussi que cette démarche a été entreprise pour chaque masse d'eau.

Rappelons que le classement des rivières du bassin Loire-Bretagne, publié en août dernier, a fait l'objet de plusieurs recours en annulation. Et que l'Onema n'a à ce jour pas répondu à nos demandes d'accès aux informations sur les programmes de surveillance en Côte d'Or. Ces points seront exposés en détail dans un prochain article.

09/11/2012

La qualité de la Seine et de ses affluents en Côte d'Or

Comment se portent la Seine et ses affluents de Haute Côte d'Or ? Pour répondre à cette question, le Syndicat intercommunal des cours d'eau du Châtillonnais (Sicec) et la Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques de Côte d'Or (FDAAPPMA 21) viennent de publier les résultats d'une vaste étude menée en 2011. Ce document a pour objet l'analyse de la qualité des eaux superficielles en vue de mettre en valeur les milieux aquatiques et de protéger les espèces piscicoles.

Le travail était d'autant plus nécessaire que l'on ne disposait pas jusqu'à présent de données systématiques sur la Seine et ses affluents cote-doriens : « les informations récentes obtenues dans le cadre des suivis DCE [directive cadre sur l'eau] sont insuffisantes pour dresser un état des lieux complets de la situation piscicole du réseau hydrographique […] Quant aux affluents, ils n'ont jamais fait l'objet d'investigation exhaustive de leur peuplement ». Il s'agit donc d'un « état zéro », en quelque sorte.

Une tête de bassin à socle marneux et calcaire
La Seine a un lit de 85 km en Côte d'Or, département où elle prend sa source (Source-Seine, canton de Venarey-les-Laumes). Ce parcours représente 11% de la longueur totale du fleuve (777 km). Le bassin versant cote-dorien de la Seine totalise 632 km, sur un socle géologique qui est essentiellement composé de marnes et calcaires. Ce terrain très perméable peut provoquer des infiltrations dans les failles et dolines, voire des assecs (zones où la rivière suit son lit souterrain avec de ressurgir en surface).

La Seine est assez rapidement renforcée par des affluents en Côte d'Or. Après 25 km de cours, elle reçoit les eaux du Revinson (long lui-même de 17 km et alimenté par la Coquille, 10 km). A 37 km de sa source, la Seine est rejointe par le Brevon (long de 32 km). L'étude du Sicec et de la Fédération départementale de pêche a concerné au total 21 stations réparties sur 8 masses d'eau : le cours de la Seine elle-même, le Brevon, le Revinson, la Coquille, les affluents de la Coquille, le réseau des ruisseaux formant des affluents directs de la Seine en Côte d'Or.

Quatre dimensions pour un diagnostic
Pour établir son diagnostic, l'étude a examiné à titre principal quatre caractéristiques des cours d'eau de Haute Côte d'Or :

- la qualité physique (Indice d'attractivité morphodynamique, IAM, ou simple description vitesse de courant, hauteur d'eau, rapport substrat/support, température) ;

- la qualité physico-chimique et la présence de certains polluants ;

- les peuplements macrobenthiques (Indice biologique global normalisé, IBGN ; protocole MAG20, pdf, diverses sous-indices de mesures structurelles et hydro-écologiques comme EPTC, RQE, Cb2, etc.), désignant des genres de crustacés, mollusques ou ici insectes (Chloroperlidae, Perlidae, Perlodidae) connus pour être des marqueurs de qualité de l'eau ;

- les peuplements piscicoles enfin, analysés par pêche électrique (méthode Delury) compte tenu de la faible profondeur des tronçons concernés. L'espèce la plus caractéristique et la plus exigeante pour sa reproduction est la truite fario. Certaines espèces d'accompagnement (chabot, vairon, loche franche) donnent également des indications de qualité.
Une qualité physique et physico-chimique dégradée
La qualité physique (morphodynamique) du bassin de Haute Seine laisse à désirer : 80% des stations sont en état mauvais ou très mauvais. Les causes en sont les suivantes : sévérité des étiages, diversité moyenne des substrats, colmatage du fond par des matières fines, piétinement bovin et affaissement des berges, absence de ripisylve (arbres de rive) impliquant la hausse des températures et l'absence de caches racinaires, les obstacles à l'écoulement et étangs artificiels favorisant eux aussi le colmatage ou la hausse des températures.

La qualité physico-chimique n'est pas toujours plus enviable. La totalité du linéaire présente des concentrations trop fortes en ammoniaques et phosphates (NH^4+, PO4^3-). Les nitrates (NO^3-) ont un niveau conforme à la DCE sur la plupart des sites, mais ils sont néanmoins en quantité trois à dix fois supérieure au niveau optimal pour la vie aquatique. Les concentrations de ces substances chimiques augmentent lors des étiages, augmentant le stress sur la vie aquatique. Les matières organiques se prêtent par ailleurs à l'oxydation, et consomment en conséquence l'oxygène dissout présent dans les cours d'eau. Dans certains cas (Revinson), le taux d'oxygénation approche de sa valeur-limite pour les espèces qui en dépendent (la « biocénose aérobie »), même si le bassin reste dans un état global correct de ce point de vue.

Le rapport souligne que « la pollution par les matières organiques, provenant essentiellement de l'épuration défectueuse des communes et de l'activité agricole (épandage d'engrais et de fumier / lisier, rejets de stabulation, piétinement et déjection des bovins au niveau des berges et dans le lit des cours d'eaux), est le problème majeur de l'altération de la qualité physico-chimique des eaux du bassin de Seine ».

Les HAP s'ajoutent aux pollutions agricoles et domestiques
Mais les rejets de matières organiques par les réseaux domestiques et les activités agricoles ne sont pas les seules en cause. La Seine et le Brevon présentent une « forte altération » par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des molécules carbone-hydrogène provenant essentiellement de la combustion du charbon et du pétrole (carburant, fioul). Ces composés étant hydrophobes (insolubles dans l'eau), ils pénètrent préférentiellement les sédiments et les matières en suspension. Comme le rappellent le rapport, « ils vont affecter en tout premier lieu les espèces benthiques (macro-invertébrés et poissons) entraînant la disparition des espèces les plus polluosensibles. Possédant un fort pouvoir de bio-accumulation, les HAP vont transiter dans tous les maillons de la chaîne alimentaire des cours d'eau et s'accumuler dans les tissus des espèces situées au sommet de la pyramide trophique ».

Cette pollution indirecte par les combustibles fossiles rappelle au passage tout l'intérêt qu'il y a de développer des sources d'énergie non carbonées, parmi lesquelles figure l'énergie hydraulique. Les effets des fossiles ne se limitent pas à la concentration atmosphérique et au forçage radiatif des gaz à effet de serre, ils concernent également l'eau et la vie aquatique, qu'il s'agisse de l'acidification des océans ou de la pollution des rivières.

La conséquence logique de la présence des HAP, phosphates, nitrates et ammoniaques est que les peuplements macrobenthiques les plus sensibles à la pollution (groupes 8 et 9) ont quasiment tous disparu du bassin de la Seine cote-dorienne. Mais ce constat doit être nuancé car, au regard de critères retenus par la directive-cadre sur l'eau, les autres peuplements sont dans un très bon état, voire un état de référence dans les parties amont des rivières. L'altération reste donc relative.

Des peuplements macrobenthiques
et piscicoles perturbés
S'agissant des peuplements piscicoles, les situations sont contrastées. Dans l'ensemble, en dehors des zones les moins touchées par l'influence humaine, la population de truite fario est plutôt déficitaire par rapport à ce que l'on peut attendre d'un hydrosystème équivalent en très bon état écologique : le déficit va de 20 à 100 %, avec une moyenne de 50% sur l'ensemble des stations. Il existe des fluctuations fortes sur certaines rivières comme le Brevon, avec des zones proches de l'optimum et d'autres à présence nulle. Le chabot et la loche franche sont également déficitaires dans l'ensemble du réseau étudié, le vairon ayant une présence plus équilibrée. L'ombre a été réintroduit par la fédération de pêche, le blageon (cyprinidé rhéophile) a fait sa réapparition.

Au total, on a relevé 8 espèces dans la Seine (contre 5 signalées voici l'inventaire de 1992), autant dans le Brevon, 7 espèces dans le Revinson, 5 espèces dans les affluents du Revinson. Les ruisseaux affluents de la Seine ont une biodiversité très variable, de 2 à 8 espèces.

Au final, très peu de stations peuvent justifier d'un très bon écologique au regard des peuplements macrobenthiques et piscicoles. L'étude ne permet d'attribuer avec précision (c'est-à-dire avec une mesure relative de chaque facteur) les causes de cette situation. Néanmoins, les auteurs concluent, pour l'ensemble du réseau hydrographique : « La qualité globale de l'eau demeure le facteur limitant essentiel du réseau hydrographique. L'analyse des eaux de surface montre le caractère vulnérable des secteurs karstiques avec une importante contamination aux nitrates liées aux activités agricoles des plateaux, engendrant d'importantes prolifération alguales. Toute action restauratrice engagée verra ses effets pénalisés plus ou moins rapidement par ce facteur prépondérant ». S'y ajoutent « assèchement des zones humides, captages, drainages ».

Les obstacles à l'écoulement – qui intéressent au premier chef notre association dédiée à la promotion du patrimoine et de l'énergie hydrauliques – figurent également parmi les facteurs limitant la biodiversité piscicole : l'étude souligne que cette cause est dominante sur le linéaire de la Seine (obstacle infranchissables en montaison) et sur certains secteurs du Brevon (étangs à eaux réchauffées, faible circulation, potentialisant une pollution locale par l'assainissement défectueux). Enfin, l'absence de ripisylve peut être un facteur dominant sur certains tronçons (Revinson) car elle signifie un défaut de cache et un réchauffement estival important.

En conclusion
D'abord, il convient de souligner la grande qualité du rapport publié par le Sicec et la FDAAPPMA 21. La méthodologie est décrite et référencée, les annexes donnent toutes les mesures réalisées, la synthèse est claire. Il manque éventuellement des résumés pour un plus large public, pas toujours familier avec le vocabulaire de l'hydro-écologie, de l'hydromorphologie et de l'hydrobiologie. Il conviendrait aussi de mieux préciser comment sont fixés les peuplements de référence (permettant de dire que telle espèce est sous-représentée sur un tronçon) : en l'absence de données historiques, puisqu'il s'agit d'un « état-zéro », on ne sait pas comment est évalué le niveau de truite, loche ou chabot « normal » d'un cours d'eau. Mais la qualité de l'étude est bienvenue à l'heure où les réformes de continuité écologique entendent imposer des priorités d'action sont parfois contestées. La cohérence du prochain classement des rivières avec l'étude menée en Haute Seine sera examinée – notamment le choix de classer en liste 1 (ce qui suppose un « très bon état écologique ») et la désignation des espèces cibles.

Ensuite, et pour en venir à ces priorités d'action, la conclusion de l'étude ne permet nullement de désigner les obstacles à l'écoulement comme la cause principale d'altération de la biodiversité. L'absence de profondeur historique interdit à ce stade de corréler les dégradations observées à des facteurs dégradants, mais les polluants agricoles, domestiques et HAP sont néanmoins désignés comme le premier facteur limitant de toute restauration écologique. Comme on l'a signalé lors des débats des derniers mois sur les aménagements écologiques de l'Armançon, la circulation des poissons sera d'abord la circulation des poisons si les causes premières d'altération chimique de l'eau ne sont pas traitées en priorité. Et la France est, hélas, très en retard de ce point de vue. Il n'empêche que le franchissement d'obstacles, le bon transport solide assurant des substrats diversifiés et les régulations de température sur certains plans d'eau sont des facteurs localement pénalisant, et appelant une action commune avec les propriétaires d'ouvrages hydrauliques en vue de définir les meilleures solutions.

Enfin, pour passionnante et nécessaire qu'elle soit, cette étude ne dévoile qu'une dimension de la Seine et de ses affluents. Une rivière n'est pas seulement un phénomène naturel (domaine aquatique), mais elle est aussi et toujours un phénomène culturel, social et désormais technique (domaine hydraulique). Les temples des Lingons en l'hommage de Sequana (déesse des eaux de la Seine) comme les forges gauloises installées au fil des ruisseaux proches des sources de la Seine rappellent que l'histoire des hommes et celles de leurs rivières se sont mêlées très précocement sur les terres bourguignonnes. C'est donc un patrimoine complexe allant de l'état physique, chimique et biologique de l'eau jusqu'à l'histoire et l'avenir de ses usages humains qu'il s'agit aujourd'hui de penser, et d'aménager, pour léguer aux générations futures des rivières de qualité.

Référence : Sicec, FDAAPPMA 21, Etude des peuplements piscicoles et macrobenthiques de la Seine et de ses affluents au regard de la qualité physique et chimique de l'hydrosystème. Défnition d'un état initial (2011), 2012.
Images : toutes les images de cet article (hormis la dernière) sont extraites du rapport. Tous droits réservés Sicec/FDAAPPMA21.

14/10/2012

Premier classement, premier recours

Le bassin hydrographique Loire-Bretagne a tiré le premier : le 10 juillet 2012, le préfet du Loiret a publié le nouveau classement des rivières (voir cet article pour comprendre les enjeux). La réponse n'a pas tardé : la Fédération française des Associations de sauvegarde des moulins, puis le syndicat de producteurs France Hydro Electricité, qui représente les petites centrales hydrauliques, ont saisi le tribunal administratif d'Orléans pour une demande en annulation du classement (communiqué FHE, pdf). Cette demande est motivée par l'article 211-1 du Code de l'environnement, qui impose une « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Le classement des rivières introduit un déséquilibre manifeste puisqu'il contrevient à deux orientations de même article de loi : « la valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; la promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ». 

Ainsi, sur le bassin Loire-Bretagne, un potentiel de développement hydro-électrique de 390 MW avait été identifié par l'étude UFE 2011. Or, le classement en liste 1 de la majorité des rivières de ce bassin bloquerait le développement de 308 MW, soit 80% du potentiel. Autant dire que l'énergie propre, durable et compétitive des cours d'eau de Loire-Bretagne sera réduite comme une peau de chagrin. 

On pourrait objecter que ce blocage vient de la mauvaise volonté des producteurs, indifférents à l'écologie des rivières. Mais France Hydro Electricité avait pourtant signé en 2010 la Convention pour le développement d'une hydro-électricité durable, sous l'égide du ministère de l'Ecologie. Les parties prenantes s'engageaient à de nombreux efforts pour moderniser les petites centrales hydrauliques et notamment les rendre conformes aux besoins de continuité écologique (transit sédimentaire, franchissement piscicole). Il est donc faux de prétendre que les petits producteurs d'hydro-électricité sont indifférents aux enjeux de qualité physique, chimique et biologique de l'eau : ils en sont au contraire les acteurs de terrain.

Cet effort, représentant des coûts importants, a-t-il été consenti en vain ? Le ministère de l'Ecologie, du Développement durable et de l'Energie persiste dans une logique maximaliste. Et, surtout, une logique aberrante.

L'immense majorité des chercheurs considère aujourd'hui que la menace n°1 sur la biodiversité (y compris aquatique) réside dans l'altération massive du cycle du carbone et les changements climatiques qu'elle induit. L'immense majorité des spécialistes de l'énergie considère que la transition vers des énergies non-fossiles demande de mobiliser l'intégralité des ressources renouvelables, et particulièrement les productions électriques qui seront de plus en plus nécessaires pour remplacer les systèmes thermiques à combustion. Quant à la qualité biologique des rivières, les différents indices pour la mesurer (IBGN, IBD, IBMR...) sont essentiellement sensibles aux pollutions (effluents agricoles, industriels et ménagers.) Rappelons par exemple que la France est poursuivie par la Cour de justice européenne pour son manque d'entrain à appliquer la directive nitrates.

Il est donc incompréhensible que le ministère de l'Ecologie valide aujourd'hui des arbitrages erronés et hérités du précédent gouvernement, dont chacun sait que le Grenelle fut finalement un saupoudrage de mesures éparses, souvent symboliques, sans cohérence de fond et sans compréhension réelle des enjeux à long terme du développement durable. Combien de conflits juridiques et de batailles procédurières sur la continuité écologique appliquées aux rivières seront nécessaires pour faire prendre conscience du problème et faire entendre raison aux décideurs ?

02/10/2012

Nouveau classement des cours d'eau de 2013: quels enjeux ?

Déjà cette année dans le bassin Loire-Bretagne, et en 2013 dans l'ensemble de la France dont notre bassin Seine-Normandie, un nouveau classement des cours d'eau sera adopté. Les habitants de l'Auxois-Morvan peuvent consulter le projet de classement de leurs rivières (par tronçons) sur cette page de la DRIIE.

Ce classement des rivières s'inscrit dans le cadre de la « continuité écologique », promue par la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006, puis les lois Grenelle 1 (2009) et Grenelle 2 (2010, Trame bleue), interprétations françaises de la directive-cadre sur l'eau (DCE) adoptée par l'Union européenne en 2000.

Classement des rivières : un enjeu déjà ancien
L'idée d'un classement des rivières n'est évidemment pas nouvelle, puisque le premier classement imposant des échelles à poissons en France date de la loi du 31 mai 1865. Avant même cette époque, et comme le signale ce site, certaines rivières françaises connaissaient les « passe-lits », plans inclinés à 10-15° de pente entre la retenue amont et l'aval du seuil, dont l'entretien pouvait être rendu obligatoire par des coutumes. De même, les échelles à poissons existaient localement avant la loi de 1865 à des fins de renouvellement du stock piscicole (image : extrait du Bulletin de la Société d'agriculture, industrie, sciences et arts du département de Lozère, 22, 1861, cliquer pour agrandir).

La loi de 1865 marque néanmoins la prise de conscience du législateur moderne, et elle signale dans son article 1 : « Des décrets du Conseil d’État, après avis des conseils généraux du département, détermineront les parties des fleuves, rivières, canaux et cours d’eau dans les barrages desquelles il pourra être établi, après enquête, un passage appelé échelle destiné à assurer la libre circulation du poisson. » Un certain nombre de décrets (exemple) ou décisions interministérielles (exemple, en bas) vont aboutir soit à l'obligation d'installer les échelles à poissons, soit à l'interdiction pure et simple de construire des ouvrages hydrauliques nouveaux sur certains cours d'eau.

D'autres classements suivront à mesure que les rivières françaises seront équipés d'ouvrages hydro-électriques remplaçant les ouvrages hydromécaniques. Le système actuellement en vigueur, appelé à être modifié prochainement, connaissait les rivières « réservées » et les rivières « classées ». Ce classement était issu d'une agrégation de lois ayant commencé en 1919, avec la loi sur l'énergie hydraulique, suivie par la loi de 1976 sur la protection de la nature, la loi de 1984 sur la pêche en eau douce, la loi de 1992 sur l'eau (article L232-6 du Code rural, puis article L-432-6 du Code de l'environnement).

Le premier enseignement est que le souci du franchissement piscicole est ancien. Il n'y a pas eu des siècles d'aveuglement suivis d'une lumineuse et récente prise de conscience, mais plutôt des séries d'ajustement tentant de concilier les usages hydrauliques et la biodiversité aquatique.

Liste 1 et liste 2 : leur signification
Venons-en au nouveau classement des rivières appelé à entrer en vigueur rapidement. Les rivières seront désormais classées en deux catégories : liste 1 et liste 2. (Carte ci-dessous : le classement des bassins de l'Armançon, du Serein et de la Cure, cliquer pour agrandir).

La liste 1 désigne les rivières à préserver, en très bon état écologique, les tronçons considérés comme réservoirs biologiques, les rivières à enjeu de migrateurs amphihalins (vivant alternativement en eau douce et salée, comme le saumon, la truite de mer, l'anguille, l'alose, les lamproies, etc.). Sur ces rivières, aucun ouvrage hydraulique nouveau ne sera autorisé et les ouvrages existants devront se mettre en conformité avec la continuité écologique, c'est-à-dire assurer le transport sédimentaire et le franchissement des poissons (montaison, dévalaison).

La liste 2 désigne les rivières à restaurer, en état écologique moyen à mauvais. Là aussi, les ouvrages hydrauliques existant devront être mis au norme, mais la construction de nouveaux équipements ne sera pas interdite a priori.

Aujourd'hui, 7% des rivières sont considérées comme en très bon état écologique, 38% en bon état écologique, 38% en état écologique moyen, 11% en état écologique médiocre et 4% en mauvais état (rapportage Reportnet-Wise 2009).

La classement des rivières proposé en lien plus haut (pour le bassin Seine-Normandie) précise, pour chaque tronçon, les espèces d'intérêt, la présence d'un enjeu migrateur (besoin de franchissement dans le cycle de vie de certains poissons), l'état sédimentaire (niveau du transport de charge solide par charriage) et, les cas échéant, des objectifs précis (existence d'un « axe anguille », connexion avec un réservoir biologique, reformation de frayères, etc.).

Mise en application du classement : nécessité du réalisme
Les propriétaires disposent d'un délai de 5 ans à compter de la publication du classement des cours d'eau pour mettre leurs ouvrages en conformité avec les exigences de la préfecture. Concrètement, ce sont les services de la police de l'eau (DDT, Onema) qui transmettront aux propriétaires ou exploitants les consignes préfectorales.

Le problème est le suivant : la continuité écologique peut signifier bien des choses. Une « ouverture raisonnée des vannes », comme le proposent beaucoup d'associations de moulins, est par exemple un moyen de favoriser le transit sédimentaire et la circulation piscicole en dévalaison, de biefs en biefs. Le propriétaire s'engage, en fonction de consignes de l'Onema, à actionner le vannage et à assurer un certain débit à certaines périodes de l'année où le cycle de vie des espèces le réclame.

Cette hypothèse serait la plus simple et la plus conforme à l'emploi des moulins, même si elle implique une présence permanente du propriétaire – les moulins en « résidence secondaire » devront trouver des solutions pour respecter le fonctionnement de leurs ouvrages, de manière pas très éloignée de leur usage historique.

Mais l'Administration de l'eau peut se montrer plus stricte et réclamer la pose de passes à poissons. Là encore, il y a des gradients de complexité dans les équipements demandés.

Le Code de l'environnement prévoit la circulation des migrateurs vivant alternativement en eau douce et salée. Ce qui supposerait dans la région des passes à anguilles, dont la conception présente un certain coût. Encore l'anguille tolère-t-elle des rampes à pente forte, et en tête de bassin versant, comme l'Auxois-Morvan, les individus sont adultes. (Ci-contre : anguille commune d'Europe, Ron Offermans, Wikimedia Commons)

En revanche, si l'Administration exige des passes adaptées à toutes espèces non amphihalines (Salmonidés d'eau douce et Cyprinidés), la perspective change complètement : ces dispositifs de franchissement (passe naturelle « rustique », passe à bassins successifs) demandent énormément de génie civil en raison de la nécessité d'une faible pente, faible puissance volumique de l'eau et faible turbulence de l'écoulement. Le coût devient alors tout à fait prohibitif pour la plupart des propriétaires. Et, disons-le, assez aberrant dans la période de grave crise que nous connaissons.

Bref, la mise en oeuvre du nouveau classement sera affaire de réalisme :
  • soit on convient qu'il faut des réformes progressives, raisonnables et soutenues par des subventions quand elles ont des coûts importants sur un site donné ;
  • soit on exige des passes disproportionnées en laissant les propriétaires à eux-mêmes et en les menaçant d'amende ou d'effacement de leurs ouvrages.

Dans la seconde hypothèse, le nouveau classement des rivières sera conflictuel. Ce n'est évidemment souhaitable pour personne. Et surtout pas pour la continuité écologique, qui n'a aucune chance de succès dans notre pays si elle est menée par voie autoritaire et ruineuse.

Eclaircir la constitution du classement :
une transparence indispensable
Classer chaque tronçon de rivière française est une bonne chose : encore faut-il par la suite expliquer et justifier le classement en question auprès des riverains, et du public en général.

Notre association demandera en conséquence la publication de la documentation primaire ayant permis de réaliser le nouveau classement. En effet, si l'on prend l'exemple du tronçon de l'Armançon de l'aval du barrage du Pont au confluent avec la Brenne, le classement se contente de mentionner parmi les espèces concernées par la continuité écologique les « cyprinidés rhéophiles » (à côté des anguilles).

Cette expression pour le moins cryptique ne signifie pas grand chose aux riverains et propriétaires d'ouvrages, ni aux citoyens en général.

Quand on va sur la base documentaire Eau France, la requête sur « cyprinidés rhéophiles » ne donne que 33 résultats, dont la plupart ne sont pas spécifiques à ces espèces, et on ne trouve rien sur les travaux d'analyse et mesure du tronçon d'intérêt. La base KMAE de l'Onema ne donne que 16 résultats, dont au moins deux concernent les rhéophiles (pas spécialement cyprinidés) dans notre région, un travail de Boet et al 1991 sur le bassin de l'Yonne, et un autre de Berrebi dit Thomas et al 1998 sur le bassin de la Seine. Ces études ne sont pas récentes, et aucune ne mentionne la continuité écologique.

Une recherche sur le mot-clé « Armançon » donne bien 87 résultats sur Eau France, mais un classement par date ne révèle aucune étude piscicole récente permettant de connaître le peuplement actuel et historique des cyprinidés rhéophiles, ni de préciser les besoins et capacités en franchissement d'obstacles de chacune des espèces.

Les cyprinidés rhéophiles ne sont qu'un exemple parmi d'autres, sur un tronçon parmi d'autres. S'il s'agissait de recherche fondamentale ou appliquée, ces questions ne concerneraient bien sûr que les chercheurs. Mais voilà, comme le classement des cours d'eau risque de se traduire localement par des destructions du patrimoine hydraulique ou des aménagements particulièrement coûteux, ces questions concernent désormais toute la société.

Par ailleurs, s'il est tout à fait louable que le Ministère de l'Ecologie et les Agences de l'Eau s'appuient sur la science, nul n'ignore que la science est fondée sur la publication de ses résultats et de ses méthodes : c'est ce qui permet la critique, donc le progrès des connaissances.

Aussi la parfaite transparence sur la détermination des espèces demandant des dispositifs de franchissement sera-telle requise dès le classement publié.

Les principaux points de progrès :
« prime à la passe » et autres mesures d'accompagnement
Le nouveau classement des cours d'eau et l'obligation de mise en conformité sur la période 2014-2019 se présentent donc comme un chantier de travail important, avec plusieurs axes demandant clarification entre les riverains, propriétaires, associations et administrations de l'eau.

L'association Hydrauxois travaillera en particulier les points suivants :

• Rapport coût-bénéfice écologique : déterminer site par site quelle solution présente un gain environnemental pour un coût moindre ; éviter toute application systématique alors que chaque ouvrage sur chaque tronçon de rivière est un cas particulier ;

• Optimisation des passes à poissons : travailler avec les ingénieurs pour proposer des dispositifs de franchissement minimisant le coût du génie civil tout en conservant le bénéfice écologique attendu ;

Suivi d'analyse : équiper un certain nombre de sites de dispositifs d'observation afin de mesurer les effets réels des aménagements, ainsi que leurs points faibles en vue d'une amélioration future (attractivité des passes, effets de luminosité, problèmes de recirculation, etc.) ; publier les résultats de manière transparente pour informer le public des gains écologiques observés ;

Soutien de l'Etat : la rivière comme la biodiversité sont des biens communs, donc l'effort de continuité écologique doit être soutenu par des subventions publiques, au pro rata des coûts d'équipement exigés par le demandeur (Etat). D'autant que l'immense majorité des moulins ne tire aucun revenu de l'énergie hydraulique, contrairement aux grands barragistes ; le principe d'une « prime à la passe » sera donc promu ;

Articulation de la continuité écologique avec le patrimoine et l'énergie : la continuité écologique est l'occasion de rappeler aux propriétaires leur devoir d'entretien du patrimoine historique que représentent les ouvrages hydrauliques, mais c'est aussi le moment de leur proposer une aide à l'équipement hydro-électrique, en conformité avec les plans de transition énergétique que la région Bourgogne, la France et l'Europe ont engagé ; toute demande de passe impliquant un génie civil important devra donc être associée à une analyse de préfaisabilité afin de mutualiser éventuellement les coûts de la passe et ceux d'un équipement hydro-électrique (s'il est inexistant au droit de l'ouvrage, sinon une modernisation de l'équipement existant).

L'association Hydrauxois défendra cette ligne de propositions auprès des autorités administratives, techniques et scientifiques en charge de l'eau sur les bassins de l'Armançon, du Serein et la Cure. Elle la défendra également auprès de tous les citoyens d'Auxois-Morvan et de leurs élus, car le risque de destruction du patrimoine rural et technique de notre région est bien réel (voir l'exemple inquiétant du projet-pilote de Semur-en-Auxois). Et elle ne peut évidemment que conseiller aux propriétaires d'ouvrages hydrauliques de la rejoindre, afin de peser ensemble dans les négociations à venir.