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09/02/2019

Le déclin mondial des insectes et ses causes majeures (Sánchez-Bayoa et Wyckhuys 2019)

Dans une méta-analyse de la littérature mondiale, deux chercheurs soulignent que 40% des espèces d'insectes dans le monde subissent des pressions et pourraient être conduites vers l'extinction au cours de ce siècle. Ces pressions existent notamment sur quatre taxons aquatiques majeurs (odonates, plécoptères, trichoptères et éphéméroptères). Dans leur passage en revue des causes concernant les milieux aquatiques, les chercheurs soulignent les changements d'usage des sols (agriculture urbanisation) et les pollutions. Ils appellent à limiter prioritairement ces facteurs de dégradation, en particulier tous les ruissellements de produits toxiques finissant dans les cours d'eau ainsi que la conservation ou restauration de zones humides, le maintien de milieux en eaux en permanence face aux menaces de sécheresse et d'excès de prélèvements. 


La biodiversité des insectes est menacée dans le monde entier. Deux chercheurs présentent dns la revue Biological Conservation  un examen complet de 73 rapports historiques sur le déclin des insectes et évaluent systématiquement les facteurs sous-jacents.

Voici le résumé de leur étude :

"Nos travaux révèlent des taux de déclin spectaculaires qui pouraient entraîner l'extinction de 40% des espèces d'insectes dans le monde au cours des prochaines décennies. Dans les écosystèmes terrestres, les lépidoptères, les hyménoptères et les coléoptères semblent être les taxons les plus touchés, alors que quatre taxons aquatiques majeurs (odonate, plécoptère, trichoptère et éphéméroptère) ont déjà perdu une proportion considérable d’espèces. Les groupes d'insectes touchés comprennent non seulement les spécialistes occupant des niches écologiques particulières, mais également de nombreuses espèces communes et généralistes. Parallèlement, l’abondance d’un petit nombre d’espèces augmente; ce sont toutes des espèces adaptables et généralistes qui occupent les niches laissées vacantes par celles en déclin. Parmi les insectes aquatiques, les généralistes de l’habitat et de l’alimentation, ainsi que les espèces tolérantes aux polluants, remplacent les pertes importantes de biodiversité subies dans les eaux en milieu agricole et urbain. 

Les principaux facteurs de déclin des espèces semblent être par ordre d'importance: i) la perte d'habitat et la conversion en agriculture intensive et en urbanisation; ii) la pollution, principalement par les pesticides de synthèse et les engrais; iii) les facteurs biologiques, y compris les agents pathogènes et les espèces introduites; et iv) le changement climatique. Ce dernier facteur est particulièrement important dans les régions tropicales, mais ne concerne qu'une minorité d’espèces dans les climats plus froids et les montagnes des zones tempérées. Il est urgent de repenser les pratiques agricoles actuelles, en particulier une réduction importante de l'utilisation des pesticides et son remplacement par des pratiques plus durables et écologiques, afin de ralentir ou d'inverser les tendances actuelles, de permettre la reconstitution des populations d'insectes en déclin et de préserver les services écosystémiques vitaux qu'elles fournissent. En outre, des technologies de dépollution efficaces devraient être appliquées pour dépolluer les eaux en milieu agricole et urbain."



Concernant plus particulièrement les espèces aquatiques (ci-dessus, niveau de menace dans le monde des quatre taxons les plus étudiés), les auteurs observent les points suivants.

Pertes d'habitat en zones agricoles, gains dans certains systèmes artificiels - "L'intensification agricole implique également la canalisation des cours d'eau, l'assèchement des zones humides, la modification des plaines inondables et l'enlèvement du couvert végétal couvert, entraînant une perte subséquente de sol et d'éléments nutritifs, le tout entraînant l'homogénéisation des microhabitats des cours d'eau et l'altération des communautés d'insectes aquatiques (Houghton et Holzenthal 2010). Ces activités augmentent l'eutrophisation, l'envasement et la sédimentation dans les masses d'eau, réduisant ainsi la richesse des broyeurs et des prédateurs tout en favorisant les espèces filtrantes (Burdon et al 2013; Niyogi et al 2007; Olson et al 2016). Les diverses communautés de plantes aquatiques constituent un élément important de l'habitat dans les systèmes lentiques tels que les rizières, permettant l'herbivorie, la ponte et l'émergence de nombreux insectes et offrant un refuge aux nymphes d'odonates (Nakanishi et al 2014). En général, la perte d'écoulements permanents dans les cours d'eau entraîne une diminution de la biodiversité (King et al 2016), alors que les masses d'eau irriguées et artificielles dans les zones urbanisées peuvent avoir favorisé certaines espèces (Kalkman et al 2005, 2010)."

Polllutions - "Les insecticides pyréthroïdes, néonicotinoïdes et fipronil ont un impact dévastateur sur les insectes aquatiques et les crustacés en raison de leur toxicité aiguë et chronique élevée (Beketov et Liess 2008; Kasai et al 2016; Mian et Mulla 1992; Roessink et al 1992, 2013), réduisant ainsi de manière significative leur abondance dans les masses d'eau (van Dijk et al 2013). Les résidus persistants de fipronil dans les sédiments inhibent l'émergence de libellules (Jinguji et al 2013; Ueda et Jinguji 2013) et le développement de chironomidés et d'autres larves d'insectes, avec des effets en cascade négatifs sur la survie des poissons (Weston et al 2003, 2015). Les insecticides systémiques nuisent à la viabilité à long terme des larves de broyeurs qui décomposent la litière de feuilles et d’autres matières organiques (Kreutzweiser et al 2008), sapent la base du réseau alimentaire des insectes (Sánchez-Bayo et al 2016a) et nuisent ainsi aux ressources naturelles. mécanismes de contrôle biologique, par exemple dans les écosystèmes de rizières (Settle et al 1996)."

Conclusion : "Pour les insectes aquatiques, la réhabilitation des marais et l'amélioration de la qualité de l'eau sont indispensables au rétablissement de la biodiversité (van Strien et al 2016). Cela peut nécessiter la mise en œuvre de technologies de rémédiation efficaces pour nettoyer les eaux polluées existantes (Arzate et al 2017; Pascal-Lorber et Laurent 2011). Cependant, la priorité devrait être donnée à la réduction de la contamination par ruissellement et lessivage de produits chimiques toxiques, en particulier de pesticides. Seules de telles conditions peuvent permettre la recolonisation par une multitude d'espèces distinctes qui soutiennent des services écosystémiques essentiels tels que la décomposition de la litière et le recyclage des éléments nutritifs, fournissent de la nourriture aux poissons et autres animaux aquatiques et qui sont des prédateurs efficaces des ravageurs des cultures, des mauvaises herbes aquatiques et moustiques nuisibles."

Discussion
Cette méta-analyse confirme ce qui avait déjà été observé par les premiers travaux d'hydro-écologie des années 1960-1970, par exemple ceux de Verneaux en France. La pollution des cours d'eau est le premier facteur expliquant le déclin des insectes, et après eux de la chaîne trophique qui en dépend.

Référence : Sánchez-Bayoa F, Wyckhuys KAG (2019), Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers, Biological Conservation, 232, 8–27

Illustration (haut) : couple d'agrion au bord d'un bief en Morvan.

06/08/2018

Restauration morphologique de rivières anglaises : résultats décevants sur les invertébrés (England et Wilkes 2018)

Deux chercheurs anglais montrent qu'une restauration morphologique de rivière, incluant des arasements de déversoirs, des changements de substrats et des créations de microhabitats, n'a pas produit les résultats attendus sur la diversité structurelle et fonctionnelle des invertébrés. Le cas n'est pas isolé car la communauté scientifique débat depuis deux décennies déjà des réussites et échecs de la restauration des milieux aquatiques. Dommage que les pouvoirs publics français en aient fait une politique massive, précipitée et parfois arrogante, au lieu de travailler à des expérimentations locales pour distinguer les bonnes des mauvaises pratiques. Et préciser leur coût pour les citoyens en proportion de l'évolution des services rendus par les écosystèmes. 

Comment se comportent les rivières après restauration morphologique, sur le compartiment des macro-invertébrés (insectes, nématodes, crustacés…)? La question se pose à la communauté scientifique, à mesure qu'ont été développées des expérimentations visant à modifier les propriétés physiques (écoulements, sédiments, habitats) et non seulement chimiques (pollutions) des rivières.

Judy England et Martin Anthony Wilkes ont répondu à cette question par l'analyse de deux petits cours d'eau du bassin de la Lee, au nord de Londres. "Les chantiers sélectionnés pour l’étude sont situés sur des rivières de basse altitude et de basse énergie (altitude 75 m; pente 0,003), en substrat calcaire. Ces projets de restauration des cours d’eau ont été choisis parce qu’ils incorporaient des mesures de restauration morphologique couramment appliquées dans les systèmes fluviaux tempérés, l’élimination des retenues, le rétrécissement des chenaux trop élargis et l’introduction de gravier." Il est intéressant de noter que sur les deux rivières (Rib et Mimram), les opérations comprenaient des arasements de déversoirs et réduction de retenues (mesure très répandue en France pour ses vertus attendues sur les milieux).

Les chercheurs ont comparé sur une rivière un site de contrôle (naturel), un site de retenue abaissée et un site de morphologie sédimentaire optimisée ; sur l'autre un site de contrôle avec deux voies différentes pour modifier le substrat de fond. Dans chaque tronçon analysé, 10 échantillonnages de macro-invertébrés ont été réalisés sur la Rib, avant la restauration, puis 2 et 3 ans après ; 5 sur la Mimram, avant restauration, puis 1 et 2 ans après.

Ont été étudiés : la diversité spécifique (indice de Simpson D), la densité (individus par m2), la richesse taxonomique, et 5 indices de fonctionnalités fondés sur des traits (FRic, FDiv, FDis, FEve, FEnt).

Bien que le habitats se soient améliorés dans le sens prévu par les porteurs de projet, la réponse du vivant à ce changement est moins claire : les résultats ne sont pas à hauteur des hypothèses faites d'une pleine restauration de la diversité fonctionnelle et structurelle.

Le schéma ci-dessous montre les évolutions de la complexité structurelle (diversité de Simpson, abscisses) et de l'intégrité fonctionnelle (ordonnées), avant la restauration (à gauche, a et c) et après la restauration (à droite, b et d), rivière Rib en haut et Mimram en bas. Les cercles indiquent le contrôle, les carrés et triangles les différentes restaurations.



England et Wilkes 2018, art cit, droit de courte citation

Voici la conclusion des chercheurs :

"Cette étude a démontré que, après les mesures de restauration morphologique, le «rétablissement», tel que défini par les indices d'assemblage, était largement incomplet et incohérent en terme taxonomique / fonctionnel. Ainsi, notre hypothèse n'est pas étayée par le fait que FDiv, FDis, FEve et FEnt [traits de fonctionnalité] augmenteraient, reflétant l'établissement d'une plus grande qualité et complexité de l'habitat. Ces résultats sont cohérents avec d'autres études qui indiquent une réponse variable des invertébrés benthiques aux mesures de restauration morphologique (par exemple, Friberg et al 2014; Jähnig et Lorenz 2008; Leps et al 2016; Palmer et al 2010). et que les indices de diversité traditionnels peuvent ne pas constituer une mesure appropriée de la qualité hydromorphologique (Feld et al 2014). Verdonschot et al (2016) ont constaté que le manque général d'effet de la restauration sur la composition et la diversité des microhabitats pourrait être un facteur clé expliquant le manque de réponse dans les comparaisons globales des paramètres sélectionnés de macro-vertébrés examinés. Ils ont également conclu que plusieurs des relations de traits fonctionnels qu’ils ont trouvées n’ont pas été détectées à l’aide des paramètres taxonomiques. Cela souligne l'importance de considérer les indices fonctionnels en plus des indices structurels, et est soutenu par nos résultats.

Cette étude a révélé une tendance générale à la ressemblance  au fil du temps entre les occurrences de taxas entre zones traitées et contrôles, mais à la fin de la période d'étude, les communautés des premières traitement n'étaient qu'à 60% similaires aux groupes témoins. Cela indique également que le «rétablissement», défini en termes d’identité  de structure d’espèce et d'assemblage, était en grande partie incomplet, ce qui pourrait refléter le délai relativement court de la surveillance et le retard dans le rétablissement écologique (Jones and Schmitz 2009; Winking et al 2014). Bien que l'âge de la restauration soit un facteur crucial à prendre en compte lors du suivi des résultats de la restauration des communautés riveraines (Bash et Ryan 2002), ce n'est peut-être pas la raison ultime du manque de succès (Leps et al 2016)  et les effets de la restauration peuvent disparaître (Kail et al 2015). La perte d'effets de la restauration est souvent associée à une restauration non durable qui ne fonctionne pas selon des processus naturels (Beechie et al 2010); à l'influence combinée de la qualité hydromorphologique locale et régionale (Leps et al 2016) ou à la non prise en compte des processus de bassin versant (Gurnell et al 2016b)."

Discussion
Le travail d'England et Wilkes vient après de nombreux autres qui soulignent les résultats ambivalents et difficiles à prédire des restaurations écologiques de rivière (cf références ci-dessous en exemple). Il avait été montré en France que plus le suivi scientifique des opérations est rigoureux, moins les gains écologiques sont évidents (Morandi et al 2014). Manière de dire que l'autosatisfaction souvent affichée par le gestionnaire public est un trompe-l'oeil pour le citoyen, qui est fondé à demander des analyses plus complètes. La plupart des travaux d'hydro-écologie quantitative menés en France et en Europe montrent que les premiers prédicteurs de la dégradation biologique (invertébrés ou autres) sont les usages des sols du bassin versant (au premier chef l'agriculture), et qu'une action locale aura de bonnes chances de rester sans effet majeur faute d'une prise en compte des autres échelles (tronçons, bassins). L'apport quantitatif en eau, l'état des berges et les flux entrants (polluants, sédiments fins) vont contraindre l'effet éventuellement bénéfique de diversifications locales d'habitats. Il ne faut donc pas attendre de miracles de la seule restauration physique locale et, surtout, il faut réfléchir à la priorisation des investissements écologiques.

La difficulté à garantir l'efficacité des chantiers de restauration hydromorphologique n'est pas en soi un scandale : il est normal d'expérimenter dans un domaine où l'on a quelques hypothèses théoriques mais encore peu de retours empiriques, surtout face à la diversité des hydrosystèmes et à la complexité des impacts pesant sur eux, à diverses échelles spatiales et temporelles. Le but est de comprendre ce qui donne ou non des résultats, ainsi que de mesurer l'évolution des services rendus par les écosystèmes. Le problème vient quand, ignorant ce caractère expérimental et la prudence qu'il impose, une politique publique entend systématiser des travaux financés par l'impôt et imposés aux riverains. C'est hélas le cas en France de certains compartiments de l'ingénierie hydromorphologique, comme la destruction contestée des petits ouvrages de rivière au nom de la connectivité en long.

Référence : England J., MA Wilkes (2018), Does river restoration work? Taxonomic and functional trajectories at two restoration schemes, Science of The Total Environment,
618, 961-970.

A lire sur le même thème
Effets des petits ouvrages sur les habitats et les invertébrés (Mbaka et Mwaniki 2015) 
Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)
Restauration morphologique de rivières: des résultats positifs en moyenne mais inégaux, peu prédictibles et pas toujours durables (Kail et al 2015)
Barrages et invertébrés, pas de liens clairs dans les rivières des Etats-Unis (Hill et al 2017) 
Davantage de richesse taxonomique chez les invertébrés aquatiques depuis 30 ans (Van Looy et al 2016) 
Les résultats inconsistants des restaurations de continuité écologique imposent des suivis et analyses coûts-bénéfices (Mahlum et al 2017) 

21/04/2018

Quelques observations sur les invertébrés du Cousin

Le Parc naturel régional du Morvan a engagé ces dernières années des opérations de destruction ou d'aménagement d'ouvrages hydrauliques sur la rivière Cousin, affluent de la Cure et de l'Yonne. Le financement Life+ a permis d'organiser un suivi de certains sites (effacement d'ouvrage). Le résultat sur les invertébrés est paru, on attend celui sur les truites. Il ressort de l'étude des insectes, vers et crustacés que la rivière est déjà en bon ou très bon état sur le linéaire en dehors de l'emprise directe des ouvrages (soit 80%). Et que les types d'invertébrés que l'on rencontre au fond de la rivière évoluent localement quand on passe d'une retenue lentique à un écoulement lotique... ce qui n'est pas franchement une surprise. La question posée aux citoyens est donc de savoir si l'on veut persister à dépenser des millions d'euros et faire disparaître le patrimoine moulins-étangs pour ce genre de résultats.

Le tableau ci-dessous montre les scores 2015 et 2016 de l'indice biologique global normalisé (IBG), l'indice invertébrés multimétriques (I2M2), de plusieurs mesures de biodiversité (indice de Shannon-Weaver, richesse taxonomique, nombre de taxons).



Sept points de mesure sont représentés :

  • en haut (COUS1 et COUS2), deux stations de référence, peu perturbées, n'ayant pas connu de changement,
  • en bas (COUS 3 à COUS7), cinq stations ayant fait l'objet de travaux de restauration écologique.

Précision initiale : il a été montré (voir cet article) que le calcul de ces indices de qualité invertébrés possèdent une certaine incertitude de mesure (pouvant aller jusqu'à 20%). Pour les bonnes pratiques des bureaux d'études, et conformément aux usages en science, il serait souhaitable de donner des résultats avec marge d'erreur et intervalles de confiance, afin de voir s'ils sont significatifs. C'est aussi une pédagogie utile pour le public.

Concernant les stations de référence, on observe une certaine variabilité naturelle. Par exemple, le score I2M2 de l'aval Méluzien perd 10 points d'une année l'autre, soit 10% de son amplitude totale. Autre exemple : la richesse taxonomique telle que calculée au sein de l'I2M2 baisse et passe de bon à moyen sur les deux sites non impactés.

Ce point rappelle au demeurant qu'un suivi écologique sur un site restauré s'effectue normalement sur la base d'un état initial de référence de plusieurs années antérieures aux travaux. Il existe pour des raisons climatiques, hydrologiques et stochastiques (aléatoires) des variations naturelles d'une année sur l'autre. Donc une année seule ne suffit pas à définir un état initial, en particulier à caractériser une pression.

Concernant les stations ayant fait l'objet de restauration, on constate dans l'ensemble une amélioration des scores IBG et I2M2. Ce n'est pas le cas cependant pour l'I2M2 qui baisse sur deux stations, tout en restant en très bon état, et sur une troisième (aval Templiers) en perdant une classe de qualité. Le gain le plus clair s'observe en amont Michaud. Ailleurs, l'indice de richesse taxonomique ne montre pas d'évolution claire. Il y a des gains de taxons, mais du même ordre de grandeur que les variations naturelles sauf l'amont Michaud.

Que nous disent finalement ces résultats ?

Sur les stations qui ne sont pas dans l'influence des remous liquides d'étangs ou de moulins, soit 80% du linéaire total du Cousin, on observe une rivière déjà en bon état ou très bon état du point de vue des indices invertébrés. Sur les stations dans l'influence des moulins, les indices sont déjà bons ou très bons dans 3 cas sur 5 en 2015. Ils s'améliorent en 2016 dans 4 cas sur 5. Au final, cela signifie que l'on a gagné quelques insectes, crustacés et vers sur quelques centaines de mètres de rivière, alors que rien n'indique par ailleurs un stress global sur les populations d'invertébrés du Cousin.

Enfin, une observation de méthode. Les indices de qualité invertébrés sont construits de telle sorte qu'ils accordent un poids prépondérant à des invertébrés normalement présents sur les milieux d'eau courante des stations dites de référence. Ce sont en particulier certains assemblages d'espèces (plécoptères, trichoptères, ephéméroptères) qui forment la majorité des groupes indicateurs de qualité. Mais une retenue de moulin ou d'étang n'est précisément pas un milieu lotique naturel. Le fond est limoneux, le courant lent, les substrats davantage colmatés. Ce type de milieu héberge lui aussi du vivant, mais il ne sera pas optimal pour les mêmes espèces que la "référence" lotique. Si l'on utilisait d'autres indicateurs (par exemple l'indice oligochètes de bio-indication des sédiments), on n'observerait pas les mêmes résultats, et on ne déduirait pas les mêmes conclusions. Le choix de certains indices sera donc par construction toujours défavorable à l'évaluation biologique d'un milieu lentique de retenue dans une rivière de tête de bassin. Il revient à formaliser de manière savante une tautologie : quand on modifie un milieu, on modifie sa composition biologique. Personne n'en doute, mais il reste à savoir en quoi ces variations représentent un problème écologique sérieux pour la rivière, et au-delà de l'écologie un problème d'intérêt général appelant des investissements assez conséquents d'argent public.

Imaginons qu'une personne vous dise : nous devons avoir la même quantité et qualité d'insectes sur chaque mètre carré de rivière, et pour cela nous allons modifier les propriétés riveraines sur tout le linéaire, donc le profil d'écoulement et le paysage de la vallée. Vous seriez peut-être un peu dubitatif sur la motivation d'un tel projet, sur son coût public et son rapport à l'intérêt des citoyens. Pourtant, c'est un des objectifs que semble se donner le Parc naturel du Morvan dans sa gestion de la rivière Cousin - comme le font au demeurant tous ses autres confrères des établissements de bassin appliquant les directions actuellement choisies à Paris ou Bruxelles dans le domaine de l'hydromorphologie. L'analyse du suivi des invertébrés montre qu'en détruisant des retenues et étangs, on peut gagner des classes de qualité d'insectes sur un plan très local, au regard des bio-indicateurs choisis qui assimilent de toute façon la qualité biologique à la "naturalité" lotique d'un écoulement. Mais dans l'ensemble, la rivière Cousin est déjà en bon état ou en très bon état sur la plupart des sites, même avant travaux, et les gains observés restent, sauf exception, assez négligeables par rapport à la variabilité naturelle du vivant. Continuons donc ce suivi sur les chantiers réalisés, mais stoppons toute destruction nouvelle de site afin d'examiner les résultats à plus long terme et d'engager un débat démocratique sur le rapport coût-bénéfice de ces travaux pour les citoyens comme pour les milieux.

Référence : Suivis scientifiques et bilan des actions de restauration de la continuité écologique sur le Cousin Aval – 2016 – Life+ « Continuité écologique » - LIFE10 NAT/FR/192 – Action n°E3-2016-1-3, rapport, décembre 2016, 168 p.

06/04/2018

Facteurs de variation des invertébrés aquatiques en rivière: poids de la pollution et de la morphologie (Corneil et al 2018)

Une nouvelle étude menée sur plus de 1000 sites de mesure dans les rivières françaises confirme que l'indicateur de qualité fondé sur les invertébrés (I2M2) est davantage impacté par les facteurs de pollution physico-chimique de l'eau que les facteurs hydromorphologiques changeant les débits ou les habitats. Plus de la moitié de ces variations d'insectes n'est cependant pas expliquée par des causes anthropiques, du moins par celles sur lesquelles on dispose de données pour les mettre dans le modèle. Ainsi, l'effet des pesticides et autres micropolluants n'est toujours pas intégré à grande échelle faute d'information en quantité et qualité suffisantes. Ces travaux d'écologie quantitative rappellent la complexité des impacts. Et la nécessité de mener des analyses diagnostiques sur chaque bassin versant quand on définit un programme public visant à atteindre le bon état écologique et chimique au sens de la directive cadre européenne sur l'eau. Des politiques mal informées produisent des choix mal priorisés.

Dans ce travail que vient de publier la revue Hydrobiologia, Delphine Corneil et ses collègues ont utilisé les données de 1015 sites du réseau de surveillance français, avec des prélèvements réalisés au cours de la période 2008-2009. Les sites ont été répartis dans 22 hydro-écorégions et ont couvert toutes les tailles de rivières. Pour décrire les impacts sur les cours d'eau, 21 mesures ont été retenues, concernant à la fois l'usage des sols, la morphologie des lits et berges, la qualité de l'eau. Ces pressions agissent tantôt au niveau de sites et de tronçons (quelques centaines de mètres), tantôt à échelle du bassin versant.

L'indice multimétrique invertébrés (I2M2), mis au point pour la directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000), répond à 20 pressions physico-chimiques et 7 pressions hydromorphologiques. Il est fondé sur la comparaison avec des sites de référence jugés peu impactés par l'homme. Ses données d'échantillonnage sont à la fois structurelles (richesse et diversité taxonomiques) et comportementales (taux d'ovoviviparité et de polyvoltinisme dans l'assemblage d'invertébrés, sensibilité à la pollution par ASPT).

Un modèle statistique a été construit par les chercheurs en vue d'analyser et pondérer les différents facteurs susceptibles de faire varier l'I2M2.

Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique les facteurs ayant un effet significatif, avec leur coefficient de régression (première colonne gauche) et la variation de ces coefficients selon 13 types de rivière (types définis par une analyse statistique préalable permettant de grouper des clusters cohérents selon leur réponse aux impacts).



Poids des facteurs ayant un impact significatif sur l'I2M2 dans l'ensemble des cours d'eau, in Corneil et al 2018, art cit, droit de courte citation.

On observe notamment dans ce tableau que
  • les facteurs à effet négatif sur le score I2M2 sont la densité de barrages, l'urbanisation, la rectification, l'érosion, les marqueurs de pollution (demande en oxygène DBO5, ammonium, nitrites, nitrates, phosphore total),
  • les facteurs les plus impactants concernent la dégradation de la qualité de l'eau par les nutriments,
  • la densité de barrages vient au même niveau que la rectification du lit,
  • ce modèle n'explique toutefois que 45% de la variance des scores I2M2 (tous facteurs confondus).
Commentaire des auteurs : "Les valeurs I2M2 ont généralement été plus fortement altérées par les pressions physiques et chimiques (concentrations en éléments nutritifs et en matière organique) que par les altérations hydromorphologiques. Dans les cours d'eau de cette étude, les assemblages de macro-invertébrés semblent être plus sensibles aux facteurs de stress liés à l'eutrophisation (concentrations totales d'azote et de phosphore) qu'aux pressions hydromorphologiques agissant sur le débit et la diversité de l'habitat. Cette tendance n'était pas spécifique à une zone géographique donnée. Johnson et Hering (2009), Dahm et al (2013), et Villeneuve et al (2015) ont déjà observé une plus grande sensibilité des indices biotiques aux paramètres physiques et chimiques qu'à l'hydromorphologie, pour les assemblages de macro-invertébrés, de poissons et de diatomées."

Discussion
Ce travail confirme les résultats d'une précédente étude de la même équipe (Villeneuve et al 2015) et vient en complément d'un autre récemment publié, visant à comprendre de manière plus dynamique les interactions entre les impacts (Villeneuve et al 2018).

La densité de barrage a un poids négatif sur les scores I2M2. Les barrages créent des habitats lentiques de dimension importante, à fonds limoneux ou sablo-limoneux, qui sont habituellement absents des rivières (au moins à cette dimension). Comme l'I2M2 est fondé par construction (Mondy et al 2012) sur un calcul d'écart à une rivière "naturelle" (minimum de modification chimique ou morphologique liée à l'homme), un cours d'eau présentant davantage de retenues artificielles aura davantage de déviation de peuplement. Il serait intéressant d'avoir dans ce type de recherche les détails des scores internes de l'I2M2, pour comprendre plus en détail quels traits varient au sein du score selon l'impact concerné. Egalement d'avoir des descripteurs plus fin des barrages (hauteurs, débits dérivés) et des analyses d'éventuels effets de seuil concernant les taux d'étagement ou d'ennoiement. Certains bassins hyrographiques fondent aujourd'hui des choix d'investissement public sur des outils dont la base scientifique est faible, donc le résultat non garanti.

La domination des facteurs de pollution chimique dans la dégradation des macro-invertébrés est confirmée par ce travail après d'autres, et en forme la principale conclusion. Seuls les nutriments étaient pris en considération alors que plusieurs centaines de molécules susceptibles d'avoir des effets sur le vivant circulent dans les eaux (pesticides, médicaments, produits industriels et de consommation, etc.), certains chercheurs estimant que l'impact en est sous-estimé aujourd'hui (Stehle et Schulz 2015). Comme pour la densité de barrages, il serait utile d'avoir des analyses plus détaillées de la réponse des invertébrés aux polluants.

Référence : Corneil D et al (2018), Introducing nested spatial scales in multi-stress models: towards better assessment of human impacts on river ecosystems, Hydrobiologia, 806, 1, 347–361

13/03/2018

Invertébrés en rivières: comment mesurer les effets des pressions humaines et des échelles spatiales (Villeneuve et al 2018)

Des chercheurs français publient les résultats d'un modèle conçu à partir de 643 sites et de plus de 2400 campagnes d'échantillonnage d'invertébrés aquatiques. Ce travail montre que si la pollution par les nutriments reste le premier effet direct sur les populations d'invertébrés, l'évaluation des pressions change quand on prend en compte les effets indirects et latents des autres facteurs du bassin. La morphologie et les usages des sols prennent alors un poids plus important, de même que les échelles spatiales larges du tronçon et bassin versant par rapport à l'échelle très locale du site. L'étude montre aussi que les rivières ne répondent pas tout à fait de la même manière selon leur dimension et leur substrat géologique calcaire ou non. Si le modèle ne détaille pas chaque impact morphologique, il apparaît que les usages agricoles et urbains des lits, des berges et du lit majeur ont un poids conséquent sur la qualité écologique vue à travers les invertébrés. Cela suggère que la reconquête d'un bon état écologique des rivières au sens de la DCE sera complexe, longue et coûteuse. Raison de plus pour que l'argent public soit dépensé sur la base d'analyses rigoureuses, non au hasard des modes ou lobbying du moment. Et pour que les finalités de cette action soient mieux exposées aux citoyens qui les financent : s'il s'agit de revoir l'ensemble des usages des bassins versants, le caractère massif de l'investissement devra justifier de services écosystémiques proportionnés à l'effort demandé. 

Bertrand Villeneuve et ses collègues (UR MALY, Irstea, Laboratoire d'hydro-écologie quantitative ; Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux, UMR 7360 CNRS—Université de Lorraine) viennent de publier une nouvelle recherche à propos des impacts des différentes pressions sur les invertébrés aquatiques en rivière. Leur problématique est ainsi énoncée : "Le but de notre approche était de prendre en compte les échelles spatiales imbriquées pilotant le fonctionnement des rivières dans la description des liens pressions / état écologique, en analysant les résultats d'un modèle hiérarchique. Le développement de ce modèle nous a permis de répondre aux questions suivantes: La prise en compte des liens indirects entre les pressions anthropiques et l'état écologique des cours d'eau modifie-t-elle la hiérarchie des types de pression impactant les invertébrés benthiques? Les différentes échelles imbriquées jouent-elles des rôles différents dans la relation pressions anthropiques / statut écologique? Ce modèle permet-il de mieux comprendre le rôle spécifique de l'hydromorphologie dans l'évaluation de l'état écologique des cours d'eau?"

Les chercheurs ont sélectionné des hydro-écorégions de plaines et piémont (moins de 450 m), en divisant l'échantillon en deux critères géologiques : calcaire (roches sédimentaires) ou non calcaire. Une autre division, hydrologique, distingue les cours d'eau de petite dimension (ordre 1 à 3 de Strahler) et de moyenne dimension (ordre 4 à 6). Au final, quatre groupes sont analysés à partir de mesures réalisées sur 5 ans (2007-2012) : petites rivières non calcaires (160 sites, 638 échantillonnages), moyennes rivières non calcaires (127, 492), petites rivières calcaires (228, 817) et moyennes rivières calcaires (128, 460). Soit 643 sites et plus de 2400 campagnes d'échantillonnage.

La donnée biologique étudiée est l'indice invertébrés I2M2 (Mondy et al 2012), qui mesure les macro-invertébrés benthiques par la taxonomie et les traits des espèces, produisant un score de qualité en comparant des zones à faible et fort impact humain.

Les données de contexte et pression sont réparties en 3 échelles spatiales emboitées: le bassin versant (8 descripteurs, par exemple urbanisation, agriculture intensive, érosion, irrigation, etc.), le tronçon (13 descripteurs, par exemple digues, barrages, rectification, densité d'arbre en ripisylve), le site (8 descripteurs dont les données physico-chimiques type nitrates et phosphores, les matières en suspension, la mosaïques des substrats du lit).

La méthode statistique utilisée est l'approche PLS (Partial Least Squares, régression partielle moindres carrés), une modélisation qui cherche à mettre en correspondance des données manifestes et des données latentes, en tenant notamment en compte les influences indirectes (quand une variable A modifie une variable B par une action intermédiaire sur une variable C).



Les données du modèle utilisé par Villeneuve et al 2018, art cit, droit de courte citation.  Cliquer pour agrandir.

Le modèle est décrit par ce schéma ci-dessus, où l'on voit les différentes pressions (cadres rectangulaires) concourant à produire le résultat à expliquer (score I2M2), ou plus exactement ses variations. On notera que la notion de pression hydromorphologique est vaste : elle inclut érosion, drainage, irrigation, retenues (au niveau du bassin versant), ainsi que barrages, digues, routes en bord de rive, zones urbaines, état de la forêt rivulaire, rectification, changement de largeur (au niveau du tronçon).


Poids direct et indirect des facteurs de variation de l'I2M2, selon les types de rivière, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.

Le schéma ci-dessus montre le poids relatif des grands facteurs causaux sur les variations de l'I2M2, selon les types de rivière. Le modèle distingue l'effet direct de l'effet total, ce dernier ré-ajustant l'effet observé en tenant compte des co-influences des facteurs. Le principal enseignement est que l'impact direct de la pollution (nutriments) sur site tend à se réduire si l'on prend en compte les effets indirects, au profit notamment des usages des sols et de l'hydromorphologie. Une autre observation est que ces variations sont plus ou moins marquées selon la dimension et la géologie de la rivière.

Les chercheurs soulignent : "En se focalisant sur l'effet total (direct + indirect) des variables latentes sur les valeurs I2M2, si les variables à impact majeur restent les concentrations en nutriments et en matière organique pour les petits cours d'eau non calcaires, les contributions relatives des effets indirects modifient l'ordre hiérarchique des impacts des autres variables latentes pour les autres types de flux. En effet, pour les petits cours d'eau non calcaires, la contribution décroissante à la variation des valeurs I2M2 expliquée par le modèle sont: nutriments et matière organique (42%), usages des sols du bassin versant (21%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin versant (16%), les mosaïques du substrat (15%) et les altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (6%). En revanche, dans les cours d'eau de taille moyenne non calcaire, l'ordre décroissant d'importance des impacts a été modifié en: usages des sols du bassin versant (29%), altérations hydromorphologiques à l'échelle du tronçon (29%), nutriments et matière organique (18%), mosaïques (17%) et altérations hydromorphologiques à l'échelle du bassin (7%). Pour les petits cours d'eau calcaires, cet ordre était: usages es sols du bassin hydrographique (33%), mosaïques du substrat (25,0%), nutriments et matières organiques (19%), altérations hydromorphologiques du tronçon (15%) et bassin versant (8%). Pour les cours d'eau de taille moyenne, il s'agissait de: usage des sols (35%), nutriments et matière organique (24%), mosaïque de substrat (18%), altérations hydromorphologiques du tronçon (18%) et du bassin (5%)".

Concernant l'hydromorphologie, les chercheurs observent : "le total des contributions directes des variables hydromorphologiques, aussi bien à l'échelle du bassin versant que du tronçon, représentait de 13% à 23% de la variance totale des valeurs I2M2 expliquées par les modèles. Ces contributions sont passées de 6% (cours d'eau de petite taille) à 13% (cours d'eau de taille moyenne non calcaire) en tenant compte également des effets indirects du bassin versant et de l'hydromorphologie sur les caractéristiques physico-chimiques et les mosaïques des sites, fournissant des contributions totales de 22% à 36% (selon les types de rivière) de la variance expliquée dans les valeurs I2M2."


Poids direct et indirect des échelles spatiales du site, du tronçon ou du bassin, art cit, droit de courte citation. Cliquer pour agrandir.

Ce nouveau schéma ci-dessus montre le poids relatif du site, du tronçon ou du bassin versant. Le principal enseignement est que la prise en compte de l'effet total met en valeur l'influence des grandes échelles spatiales (tronçons et bassin versants). En d'autres termes, quand on analyse plus finement l'influence réciproque des impacts, on s'aperçoit qu'une partie des influences attribuées au site relève plutôt du tronçon ou du bassin versant.

Discussion
Concernant le modèle proposé dans cette publication, plusieurs points nous sembleraient intéressants à approfondir :

  • les scores I2M2 viennent en général du réseau de surveillance de la directive européenne sur l'eau, dont les sites d'implantation ne sont pas représentatifs de tout leur bassin. Il peut y avoir un biais d'échantillonnage (de même qu'il existe une marge d'erreur dans le calcul des scores invertébrés, voir la thèse Wiederkehr 2015 dont l'impact sur la significativité des variations est peu étudiée en général). Des travaux sur un moins grand nombre de rivières, mais avec des mesures plus réparties sur leurs cours pourraient affiner les résultats du modèle;
  • une absente dans les entrées du modèle reste la pollution des cours d'eau par les substances autres que les nutriments. Il a été montré par la recherche que les populations européennes d'invertébrés terrestres sont en déclin tendanciel depuis plusieurs décennies, parfois prononcé, avec en ce cas de fortes suspicions sur le rôle des pesticides de synthèse. Mais bien d'autres micropolluants terminent dans les eaux, sans que l'on connaisse leur impact. Ce critère est certes approché par les taux d'urbanisation et d'agriculture, mais les pratiques d'épuration et les types d'agriculture sont assez variables. On soulignera à ce sujet que si le modèle prédit bien la direction de variation des scores I2M2, il est loin d'expliquer toute la variance observée (le R2 est de 33% pour les petits cours d'eau non calcaires, 50% pour les cours d'eau non calcaires, 44% pour les petits cours d'eau calcaires et 40% pour les cours d'eau calcaires); 
  • le modèle donne une photographie instantanée des bassins. Il serait intéressant de développer une approche plus dynamique où, pour les scores invertébrés dont on dispose de séries pluridécennales et homogènes, l'évolution observée des insectes est mise en lien avec celle des pressions (voir le travail de Van Looy et al 2016). Comme il s'agit ici d'écologie appliquée, avec des avis donnés aux gestionnaires, cette approche dynamique contribuerait à séparer plus efficacement les mesures qui risquent d'avoir peu d'effets (voire des effets négatifs) et les autres;
  • enfin, une attente forte réside dans l'évaluation détaillée de l'impact morphologique. Cette catégorie regroupe beaucoup de pressions différentes, comme on l'a vu ci-dessus dans la description du modèle. Le gestionnaire tient depuis une quinzaine d'années un discours sur l'égale importance de la pollution et de la morphologie. Cela peut s'entendre, mais le problème est que la morphologie désigne en réalité l'usage des eaux, des berges et des sols sur toutes les échelles (site, tronçon, bassin) : à ce niveau de généralité, on n'est guère avancé dans la décision! Il faudrait donc hiérarchiser plus finement le poids des pressions morphologiques, tant pour l'atteinte problématique des objectifs DCE 2027 que pour la bonne information du débat démocratique sur la rivière.

Ce modèle de Bertrand Villeneuve et ses collègues montre la complexité et la difficulté d'une étude d'impact sur les bassins versants. Certains lecteurs nous demandent parfois pourquoi nous jugeons les documents de la littérature grise (comme les états des lieux des SDAGE) insuffisants comme outils de décision : cette étude leur apportera un début de réponse. Une politique écologique commence par des mesures in situ et des modélisations pour comprendre le bassin versant sur lequel on investit de l'argent public. Par exemple, dépenser beaucoup d'argent à échelle de sites sans prendre en compte des altérations à échelle supérieure (tronçon, bassin) risque de produire des résultats modestes ou nuls, ce qui est d'ailleurs souvent observé en analyse avant-après d'interventions sur la morphologie (voir par exemple Morandi 2014, Lorenz et al 2018 en Allemagne, cette synthèse 2005-2015). Comme les variations de populations d'insectes aquatiques ne sont pas vraiment la priorité des citoyens, le choix d'interventions peu sensées et le risque de résultats insignifiants vont altérer un consentement à payer déjà assez modeste.

On notera à ce sujet que l'I2M2, comme tous les indicateurs DCE fondés sur l'état de référence, souffre d'une certaine circularité dans sa construction. On s'attend à ce qu'une rivière et un bassin modifiés par l'homme ne produisent pas les mêmes assemblages d'espèces que d'autres très peu modifiés. Le fait de nommer "dégradation" ce changement est un jugement de valeur davantage qu'un jugement scientifique, et il revient in fine à dire (par des moyens un peu complexes) qu'une "bonne" rivière serait une rivière sur laquelle l'homme intervient un minimum (paradigme de la "nature sans l"homme" comme référence idéalisée). Il reste encore à expliquer pourquoi, c'est-à-dire en vertu de quel jugement social partagé certains assemblages d'insectes (dans le cas de l'I2M2) sont préférables à d'autres. On peut douter que l'ovoviviparité ou le polyvotinisme d'une métapopulation d'invertébrés motive en soi un grand nombre de riverains à agir ! Si l'insecte témoigne d'une pollution également dommageable à l'être humain, sa variation a davantage de sens. S'il témoigne d'une évolution physique ou chimique de l'eau sans effet notable sur l'homme, l'enjeu paraît plus difficile à justifier en coût des politiques publiques. Les scores plus aisés à partager seraient certainement la biomasse et la biodiversité (perçues comme signes d'une nature diverse et en bonne santé), mais ils n'apparaissent plus dans le score unique agrégé des indices composites de type I2M2. Dans l'étude ici commentée, les variations des sous-scores composant l'I2M2 ne sont pas détaillées, ce qui est dommage.

Enfin, bien qu'il s'adresse au gestionnaire dans sa conclusion, ce travail apporte surtout des éléments d'intérêt à une théorie de l'évolution écologique des communautés aquatiques, selon une approche systémique. Il est en cela très utile, puisqu'il améliore l'intelligibilité de la dynamique des écosystèmes sous influence anthropique. Sa valeur restera en revanche limitée pour informer les débats très locaux, qui concernent l'écologie de sites particuliers. Par exemple, notre association fait régulièrement observer aux syndicats ou autres gestionnaires que la disparition des ouvrages hydrauliques transversaux (comme suppression d'un impact morphologique en lit mineur) fait dans le même temps disparaître divers micro-habitats secondaires, aquatiques ou humides, qui profitent eux aussi à certaines espèces, dont des invertébrés. Le score I2M2 de la station en lit mineur et la réalité de la biodiversité du site avant-après ne sont pas les mêmes mesures (en l'occurrence, la biodiversité ordinaire perçue par les riverains n'est pas celle de l'I2M2). Les modèles hiérarchisés de bassin versant peuvent donc nourrir des réflexions pour les politiques publiques répondant à des objectifs cadres (comme ceux de la DCE), mais ils ne permettront pas l'économie d'échanges bien plus précis sur la rivière et la biodiversité que veulent les riverains. Et cela ne se décide pas dans les bureaux de Bruxelles...

Référence : Villeneuve B et al (2018), Direct and indirect effects of multiple stressors on stream invertebrates across watershed, reach and site scales: A structural equation modelling better informing on hydromorphological impacts, Science of the Total Environment, 612, 660–671

12/02/2018

Barrages et invertébrés, pas de liens clairs dans les rivières des Etats-Unis (Hill et al 2017)

Comprendre et cartographier la variation spatiale de la condition biologique des cours d'eau est aujourd'hui un enjeu important pour l'évaluation, la conservation et la restauration des écosystèmes fluviaux. Compte-tenu des coûts importants de ces politiques, le gestionnaire public ne peut prendre des décisions sur la base de données imprécises et de compréhension inadéquate des impacts sur le vivant. Une équipe de chercheurs américains vient de produire un premier modèle prédictif de l'état écologique de l'ensemble des masses d'eau des Etats-Unis (états contigus), pour l'instant limité à l'indice invertébrés (MMI). De manière intéressante, les facteurs naturels restent les premiers prédicteurs de variation et, au sein des facteurs anthropiques, les barrages ne montrent pas de signal clair, avec des effets tantôt positifs et tantôt négatifs dans 4 régions sur 9, pas de signal clair ailleurs. L'agriculture et l'urbanisation restent pour leur part de forts prédicteurs (négatifs) de la qualité des masses d'eau, ainsi que les pressions du bassin versant et non du seul tronçon. Un clou supplémentaire, après tant d'autres, dans le couvercle du cercueil de la "continuité en long comme facteur décisif pour la qualité écologique des rivières", une hypothèse non démontrée que l'administration française et les officines halieutiques présentent indûment comme des certitudes.


Aux Etats-Unis, l'évaluation nationale des rivières et des cours d'eau 2008-2009 (National Rivers and Streams Assessment) a défini les linéaires de cours d'eau dans les États américains limitrophes qui se trouvent dans un état biologique bon, passable ou médiocre sur la base d'un indice multimétrique des assemblages d'invertébrés benthiques (MMI). Mais ces mesures ne fournissent pas un aperçu efficaces de la distribution spatiale des mêmes conditions dans les endroits non échantillonnés.

Pour pallier au défaut de mesures de terrain, Ryan A. Hill et collègues ont utilisé la technique d'apprentissage  des forêts d'arbres de décision (ou forêts aléatoires, random forest)  pour modéliser et prédire l'état probable de plusieurs millions de kilomètres de cours d'eau à travers les États-Unis contigus. Ce modèle a intégré les caractéristiques du bassin versant et des variations amont-aval, y compris les modifications anthropiques. À l'échelle nationale, leur modèle a correctement prédit la classe de condition biologique de 75% des sites NRSA.

Nous attacherons seulement ici à détailler les prédicteurs de ce modèle, reposant sur les corrélations assez robustes entre les données d'entrée et l'état biologique tel que mesuré par les invertébrés.

Parmi les dix prédicteurs les plus importants des neuf régions, 19 étaient des prédicteurs locaux et les 71 autres étaient des prédicteurs au niveau des bassins versants; cela souligne l'importance de comprendre le contexte global des bassins hydrographiques.

Les facteurs naturels représentaient plus de la moitié des prédicteurs les mieux classés. Dans de nombreuses régions, la superficie des bassins hydrographiques, les débits et l'indice d'humidité topographique figuraient parmi les facteurs naturels les plus importants. En général, les zones à grands bassins avaient une relation positive avec les probabilités de bon état. Les mesures liées au climat figuraient également parmi les paramètres naturels les plus importants dans tous les modèles. La température de l'air figure parmi les dix prédicteurs les plus importants dans six des neuf modèles régionaux (températures plus chaudes et déficits de précipitations ont abaissé la probabilité de bon état écologique dans la plupart des bassins).

Concernant les impacts anthropiques, les auteurs observent :

"L'urbanisation et l'agriculture étaient les indicateurs anthropiques les plus courants dans tous les modèles. Dans tous les cas, la relation entre ces mesures et la probabilité de bon état était négative (annexe S3), en cohérence avec d'autres études de ce type (par exemple, Carlisle et al 2009, Falcone et al 2010). L'urbanisation était importante pour tous les modèles et ces mesures d'urbanisation comprenaient divers paramètres (par exemple % du bassin hydrographique comprenant l'utilisation des terres urbaines, l'unité de logement ou la densité de population, le nombre de traversées de route pondérées par la pente du tronçon). De plus, une métrique composite de perturbation (soit l'agriculture et l'urbanisation dans le bassin versant ou dans la zone tampon riveraine) se classait parmi les dix prédicteurs les plus importants dans quatre des neuf modèles régionaux.

Diverses mesures de l'endiguement des rivières (c'est-à-dire la densité et le volume des barrages) étaient importantes dans quatre régions, mais la direction de la relation avec la condition biologique dépendait de la région. Les retenues d'eau étaient négativement associées à la probabilité de bon état dans les régions du nord des Appalaches et des zones xériques, mais positivement corrélées dans les régions des Plaines du Nord et des Plaines tempérées (annexe S3). Les régions du nord des Appalaches  et des zones xériques sont des régions montagneuses et les types, tailles et par conséquent impacts des barrages diffèrent probablement de ceux trouvés dans les plaines et peuvent expliquer les différences de réponses entre ces régions."

Discussion
Grâce aux progrès des outils numériques et à l'accumulation des données, la modélisation des réseaux hydrographiques à différentes échelles spatiales devient un outil indispensable du gestionnaire public en charge de l'environnement. Elle ne peut évidemment décrire les rivières avec un niveau fin de granularité (échelle du site, de la station, du micro-habitat), mais elle permet en revanche de nourrir la réflexion sur les zones d'action prioritaire selon les finalités que se donnent les décideurs. Cette modélisation permet aussi, et surtout, de pondérer l'importance relative des différents facteurs naturels et anthropiques à l'oeuvre dans les variations biologiques observables.

Le processus est encore embryonnaire en France et, comme tout modèle sensible à la qualité de ses données d'entrée, la robustesse de l'exercice va dépendre de la précision des descripteurs : connaître et mesurer les impacts comme les variables biologiques sur un nombre suffisant de sites pour un bon apprentissage du modèle. Le retard pris sur l'acquisition de données et la construction de modèles est dommageable, et l'argent public de l'eau serait utilement consacré à financer des équipes de recherche dédiées à ces tâches au lieu d'être dilapidé dans divers travaux à l'utilité et à la cohérence souvent douteuses.

Par ailleurs, le travail de Ryan Hill et de ses collègues sur la base des invertébrés confirme ce qui est déjà observé dans de nombreuses études récentes (voir cette synthèse) : le poids des barrages et des discontinuités en long est assez faible dans la variance biologique, et peu prédicteur à lui seul de l'état des masses d'eau. Sur les invertébrés et sur les ouvrages de petites dimensions, la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015 n'avait déjà pas trouvé de signal clair. Ce signal était plus prononcé en France avec l'indicateur I2M2 chez Van Looy 2014, mais restait inférieur aux autres impacts chez Villeneuve 2015  (nous reviendrons sur une étude française récente à ce sujet).

L'affirmation française  selon laquelle la continuité écologique longitudinale serait un enjeu de premier plan pour améliorer l'écologie des rivières ou pour atteindre le bon état écologique DCE reste donc à ce jour une hypothèse non démontrée, que l'on trouve davantage dans la littérature administrative visant à justifier des choix politiques ou dans la littérature halieutique sur le cas particulier des poissons migrateurs que dans les résultats chiffrés de la littérature scientifique en hydro-écologie quantitative. Tant que ce point n'est pas clarifié par une expertise scientifique collective et multidisciplinaire, il sera difficile d'asseoir cette politique de continuité sur une base légitime.

Référence : Hill RA et al (2018), Predictive mapping of the biotic condition of conterminous U.S. rivers and streams, Ecological Applications, 8, 2397–2415

Illustration : barrage EDF de La Palisse, sur la Loire (07).

07/02/2018

Des zones humides permanentes plus riches en diversité (Gleason et Rooney 2018)

À l'échelle mondiale, de nombreux écosystèmes aquatiques connaissent une dessiccation périodique qui impose un stress sur le vivant. Jennifer E. Gleason (Université de Guelph) Rebecca C. Rooney (Uuniversité de Wterloo) ont étudié la  région des cuvettes des prairies du Nord (PPPR) en Alberta (Canada), qui renferme d'abondantes zones humides sous forme de mares se remplissant lors de la fonte des neiges printanière, avant baisser de niveau en été. On peut leur assigner une classe de permanence selon la durée de présence de l'eau. Résultat : les zones humides permanentes sont plus riches en invertébrés, et les zones humides temporaires n'abritent pas de faune spécifique. De telles études seraient utiles à mener en France, afin d'éclairer la politique de restauration ou conservation de zones humides.  



Les zones humides dynamiques, à hydropériode variable, abritent des communautés diverses macro-invertébrés. La question posée par les chercheurs est de savoir si la permanence des mares transforment les communautés de macro-invertébrés. Outre la composition taxonomique, ils ont caractérisé ces communautés par groupes fonctionnels afin de tester les associations entre la dessiccation des étangs, les typs alimentataires ou les guildes comportementales.

Les macroinvertébrés aquatiques ont été échantillonnés sur 87 milieux humides de la RPPN qui couvraient une gamme de classes de permanence des étangs, soit 600 prélèvements, 62 taxons plus plus de 2,25 millions d'individus. L'abondance moyenne par site était de 22,31 (± 7,61) taxons, et de 6776,19 (± 5617,31) individus au mètre carré. la profondeur moyenne des mares était de 0,51 ± 0.23 m. Des analyses multivariées ont visé à identifier les différences dans la composition et les groupes fonctionnels selon les classes de permanence.

Principaux résultats :

  • la composition de la communauté de macro-invertébrés est statistiquement distincte selon les classes de permanence des étangs, les zones humides les plus extrêmes en caractère temporaire ou permanent différant le plus,
  • les macro-invertébrés dans les zones humides temporaires ne sont pas des taxons uniques spécialement adaptés, mais un sous-ensemble de la communauté que l'on trouve dans les zones humides plus permanentes,
  • la plupart des taxons sont plus abondants dans les zones humides plus permanentes. Seuls deux groupes taxonomiques (Culicidae et Anostraca) sur 62 sont plus abondants dans les milieux humides temporaires.
  • étonnamment, la qualité de l'eau (conductivité, turbidité, cations dominants, phosphore, azote et carbone), n'est pas fortement associée aux principaux gradients de composition des communautés.

Nous ne connaissons pas d'étude en France de la biodiversité des zones humides selon le niveau de permanence en eau de leurs milieux (on trouve en revanche des travaux sur les rivières intermittentes). Il serait intéressant de mener ces analyses dans diverses hydro-écorégions. A l'heure où la préservation et la restauration de ces zones humides forment une politique publique, le gestionnaire gagne à faire les meilleurs choix pour optimiser la biodiversité, finalité de ces programmes.

Référence : Gleason JE et RC Rooney (2018), Pond permanence is a key determinant of aquatic macroinvertebrate community structure in wetlands, Freshwater Biology, 63, 3, 264–277

Illustration : une petite zone humide intermittente se formant en pied de bief d'un moulin du Morvan.

31/10/2016

Restauration morphologique des rivières: pas d'effet clair sur les invertébrés, même après 25 ans (Leps et al 2016)

A croire le discours vulgarisé de la restauration écologique des rivières, les choses seraient simples: on produit une diversité d'habitats dans le cours d'eau, ceux-ci seront colonisés par une diversité d'espèces. Une étude scientifique sur 44 projets de restauration en rivières allemandes conclut cependant à l'opposé: même 25 ans après l'intervention sur le site restauré, aucune réponse consistante et prévisible n'est observée dans les communautés benthiques d'invertébrés. Sur 34 métriques de la réponse biologique, très peu ont des tendances significatives, et les effets sont modestes. D'autres facteurs à échelle du bassin versant l'emportent sur les modifications locales de l'hydromorphologie. Ce qui pose question : quels objectifs se donne la politique de restauration des rivières, à quel horizon de temps et à quel coût? 

Moritz Leps et ses quatre collègues (Muséum d'histoire naturelle de Francfort, Université de Francfort, Université de l'Oregon, Université de Duisbourg et Essen) ont analysé les résultats de 44 projets de restauration, dans 31 rivières de zone collinnaire à montagneuse (altitude moyenne 197 m) et 13 rivières de plaine (68,8m), avec des bassins versants de dimension variée (en moyenne 621 km2 pour les points de contrôle en plaine et 153 km2 pour les autres). Ces rivières ont été choisies pour avoir bénéficié de mesures de restauration hydromorphologique diverses, avec trois buts affichés par les gestionnaires : augmenter l'hétérogénéité des habitats physiques, prévenir les inondations (reconnexion lit majeur) et améliorer la continuité longitudinale.  La longueur moyenne des tronçons restaurés est de 1 km, la période de la restauration se tient entre 1998 et 2012, la durée écoulée va de 1 à 25 ans, en moyenne 7,9 ans.

Qu'ont fait les chercheurs ? Sur la même rivière, ils ont comparé un tronçon restauré de 100 m avec un tronçon non restauré, usuellement situé à l'amont et à une distance moyenne de 1,6 km. Les invertébrés de fond (benthique) ont été choisis pour le suivi, avec 34 métriques sur l'abondance, la diversité, la fonctionnalité, les types de famille d'insecte, la rhéophilie, etc. A cela s'ajoutent 10 mesures d'efficacité de la restauration morphologique (vitesse, profondeur, substrat, diversité d'habitats, etc.).

Au plan de la morphologie, les différences ont été significatives sur toutes les métriques. Cela signifie que les projets n'ont pas failli dans la dimension physique de la restauration d'habitats.

Au plan de la biologie, en revanche, si la diversité taxonomique a montré un signal positif, la plupart des autres métriques n'ont montré aucun signal clair d'évolution (voir image ci-dessous). L'âge n'est pas un bon prédicteur puisqu'aucune réponse linéaire ne s'observe sur les 34 métriques, et 5 seulement montrent une réponse non-linéaire entre 2 et 3 ans après la restauration (attribuée à une probable relaxation après perturbation due au chantier). Une analyse multivariée suggère que les caractéristiques du bassin versant (dimension, usage des sols, écorégion) ont une influence plus forte que le temps écoulé après restauration.



Extrait de Leps et al 2016, droit de courte citation. La plupart des différences mesurées entre tronçons restaurés et non restaurés ne sont pas significatives (voir la colonne p-value, majorité de valeurs >> 0.05), ce qui signifie qu'elles ne se distinguent pas d'une évolution due au hasard. L'indice de richesse taxonomique EPT (et aussi EPTCO) montre une évolution positive significative (dans l'absolu, il correspond à un passage de 34 à 38.1 taxons en moyenne, soit un gain restant assez modeste.)

"Les réponses des communautés invertébrées benthiques à la restauration sont hautement variables, notent les chercheurs. En dépit d'un turnover considérable des espèces et d'une richesse taxonomique augmentée, ni les mesures de diversité ni l'abondance des taxons n'ont répondu significativement (…) nos résultats sont consistants avec ceux d'autres études qui ont trouvé une réponse très variable des invertébrés benthiques à la restauration hydromorphologique, mais sans direction du changement, ni d'amélioration dans les résultats évalués en dépit d'une qualité hydromorphologique clairement meilleure (Bernhardt et Palmer 2011; Haase et al 2013; Palmer et al 2010)".

Discussion
Les chercheurs concluent en observant que l'hydromorphologie locale est un faible prédicteur des communautés aquatiques dans un environnement connaissant de multiples stress à échelle du bassin. Et qu'avant, ou au mieux en parallèle de, ces actions locales sur l'écoulement et l'habitat, c'est l'ensemble des conditions de bassin et de qualité de l'eau qu'il faudrait améliorer.

Certes, mais est-ce crédible ou simplement faisable? En particulier, à l'échelle de temps (2000-2027) donnée par la directive cadre européenne sur l'eau pour atteindre un bon état écologique et chimique de la totalité des rivières? On peut en douter fortement: les composantes fondamentales de l'occupation, de la pollution et l'artificialisation des bassins versants (démographie, agriculture, urbanisation, diffusion des molécules de synthèse, aménagements hydrauliques, etc.) ne vont évoluer que lentement au cours de ce siècle, qui sera marqué par ailleurs par d'autres facteurs de profond changement des communautés biotiques (effet thermique et hydrologique du changement climatique). Au demeurant, les mêmes chercheurs avaient montré voici quelques années que les programmes de restauration ne parviennent que très rarement à aboutir au bon état de la rivière (au sens DCE) et qu'il est à peu près impossible de prévoir les trajectoires des systèmes restaurés (Haase et al 2013). Ce manque de prédictibilité est évidemment problématique quand on passe de l'observation à l'action et de la science à la politique.

Comme souvent, les résultats de la recherche scientifique en écologie de la restauration sont sans grand rapport avec les promesses dithyrambiques des administrations et gestionnaires responsables des programmes de restauration. Il est plus facile de s'engager sur des principes abstraits que sur des résultats mesurés. Une étude française avait déjà montré que plus le suivi scientifique des chantiers en rivière est rigoureux, moins leur résultat est convaincant, de sorte que la valeur écologique attribuée à ces actions a une forte dimension "subjective" (Morandi et al 2014). Et le retour d'expérience dans le monde nord-américain, qui a 20 ans d'avance sur l'Europe, est tout aussi critique (Palmer et al 2014).

Adopter des normes ambitieuses, opposer des contraintes aux usagers, augmenter des dépenses publiques et modifier les profils familiers de la rivière exige au bout d'un certain temps des résultats tangibles sur les milieux et une augmentation des services rendus à la société par les écosystèmes restaurés. Le paradigme de gestion écologique des bassins s'est imposé dans les années 2000, il a suscité un effet d'intérêt pour sa nouveauté et son ambition. Mais la curiosité se dissipe. Il est temps d'apporter soit des résultats probants, soit des remises en question.

Référence : Leps M et al (2016), Time is no healer: increasing restoration age does not lead to improved benthic invertebrate communities in restored river reaches, Science of the Total Environment, 557–558, 722–732

08/06/2016

Davantage de richesse taxonomique chez les invertébrés aquatiques depuis 30 ans (Van Looy et al 2016)

Bonne nouvelle pour les rivières françaises: des scientifiques montrent que la richesse taxonomique des macro-invertébrés (comme les insectes) a augmenté de 42% entre 1987 et 2012, sur 91 sites étudiés par des séries longues et homogènes. Une première tendance est liée à la hausse progressive des espèces polluosensibles, ce qui est encourageant. Mais un tournant a eu lieu dans la période 1997-2003, et cette seconde tendance superposée paraît d'origine climatique, avec une hausse de la productivité primaire des rivières et une intensification de la chaîne trophique. Une occasion de souhaiter que la richesse taxonomique et la productivité des rivières soient également analysées en fonction d'autres paramètres de contrôle, comme par exemple leur taux d'étagement par ouvrages transversaux. 

Les macro-invertébrés ont une taille qui dépasse le demi-millimètre, et sont donc visibles à l'oeil nu. On les nomme benthiques quand ils vivent au fond des rivières (par opposition à la faune planctonique en suspension). Ce sont des larves d’insectes, des mollusques, des vers plats, des nématodes, des crustacés, etc. Les riverains assimilent souvent la biodiversité aux poissons, aux amphibiens ou aux oiseaux car ils sont plus faciles à observer. En fait, les macro-invertébrés et les micro-organismes représentent l'essentiel de la biodiversité aquatique !

Une équipe du centre Irstea de Lyon-Villeurbanne (directeur en hydro-écologie Yves Souchon) a réalisé une étude sur l’évolution de l’état des cours d’eau en France métropolitaine ces 25 dernières années, en examinant leurs communautés de macro-invertébrés aquatiques.

Des données de long terme (25 ans, 1987-2012) ont été compilées, avec comme conditions restrictives une continuité dans les méthodes de collecte ainsi qu'une confiance dans la fiabilité des opérateurs et des procédures. 91 sites ont répondu à ces critères, depuis des petits cours d'eau jusqu'à des larges rivières (de 9 à 192 m3/s de débit moyen annuel), à des altitudes allant de 8 à 977 m. Deux larges rivières (Doubs, Gave de Pau) cumulant 35 années de données sur 7 sites distribués le long du cours ont été ajoutées comme "cas régionaux". Enfin, un sous-ensemble a été constitué de 51 sites considérés comme reflétant des "conditions de référence" peu perturbées. Ces sites-témoins n'ayant pas connu d'évolution notable de la qualité chimique de leurs eaux, leur tendance comparée à celle des sites d'études permet de distinguer ce qui relève de l'effet anthropique local et du changement climatique.

Concernant les données environnementales, les taux d'ammonium, nitrites, nitrates et orthophosphates ont été collectés. La base CORINE a donné des indications d'usage des sols sur le bassin versant (notamment usages agricoles, emprise forestière, etc.). Faute de données climatiques exploitables (comme l'intensité lumineuse, la température, les carbonates issus des échanges avec le CO2 atmosphérique), l'oxygène dissous a été utilisé comme proxy de la productivité primaire. Ces données ont été exploitées par plusieurs modèles statistiques.

Concernant les invertébrés, ils ont été comptabilisés par familles plutôt que par espèces, comme cela se pratique souvent en  hydro-écologie. Un module de référence a été constitué d'une communauté de 12 familles de Trichoptères, présentant des stratégies diverses d'occupation du milieu. L'approche par richesse taxonomique (diversité d'espèces) ne suffit pas pour détecter dans changements fonctionnels dans des communautés. Une approche par traits a donc aussi été utilisée.

Quels sont les principaux résultats?

  • La richesse taxonomique moyenne a augmenté de 42% sur les 25 années de l'étude.
  • La première période 1980-2000 a été marquée par une augmentation lente mais constante des taxons polluosensibles comme les Perlidae, Ephemerellidae, Blephariceridae et Heptagenidae.
  • Autour de l'année 2000, une forte variation est enregistrée avec des espèces plus tolérantes et plus mobiles comme les Hydroptilidae, Coenagrionidae, Gyrinidae et Empididae.
  • Les plus fortes progressions sur l'ensemble de la période concernent les Diptères, les Odonates et les Trichoptères (ainsi que les "invasifs" Corbiculidae et Hydrobiidae).
  • Dans les sites de référence, la diversité a été constante jusqu'à 2000, puis elle augmente de 23% ensuite. 
  • Pour la communauté de référence, l'abondance a été multipliée par trois. Elle ne résulte pas d'une homogénéisation par dominance d'une famille puisque la bêta-diversité a augmenté et qu'aucun apport invasif n'est noté.



Illustration extraite de Van Looy et al 2016, art. cit., droit de courte citation. Ce schéma montre comment la chaîne trophique a bénéficié de la hausse de productivité primaire liée à des changements climatiques, avec un tournant centré vers 2000. 

Le premier enseignement, qui est une bonne nouvelle, est l'augmentation des taxons polluosensibles. Le second enseignement principal est l'effet positif du climat sur la période analysée. Ce dernier ne traduit pas spécialement une augmentation des espèces thermotolérantes (la plupart des espèces d'invertébrés de l'écozone paléarctique ont de toute façon une fourchette de tolérance thermique assez large). Cet effet du climat est raisonnablement garanti comme robuste (par rapport à un autre facteur oublié par exemple) en raison de plusieurs observations convergentes : l'oxygène dissous certifie une hausse de la productivité primaire ; l'analyse par traits fonctionnels des communautés montre une amplification trophique du bas vers le haut (petits herbivores, grands herbivores, prédateurs, cf schéma ci-dessus) ; la communauté de référence confirme cette intensification des différentes interactions trophiques.

Discussion
Yves Souchon a commenté cette recherche sur le site Irstea. Il a mis en lumière la nécessité d'une analyse des milieux aquatiques fondée sur l'observation scientifique, afin de démêler les influences sur les cours d'eau : "Mesurons, interprétons et calons un discours adapté à ce que l’on observe. C’est délicat car tous les facteurs sont mouvants (climatiques, anthropiques)." De là se déduit l'impératif de disposer de bonnes données : "Le fonctionnement de ces réseaux coûte cher, notamment en termes d’effectif humain, et nous sommes sur du temps long, ce qui pose parfois problème dans l’acceptabilité des nouvelles normes de suivi."

A ce sujet, rappelons que d'après le dernier rapportage des Agences de l'eau à l'Union européenne, les sommes allouées à la mesure par indicateurs des états écologiques et chimiques restent faibles dans le budget des Agences (170 millions d'euros) et que les budgets sont loin d'être tous consommés. Sur cette même période et à titre de comparaison, les Agences ont engagé 3 milliards d'euros en chantiers de "restauration physique".  C'est donc un problème politique : on se précipite à faire des actions coûteuses dans tous les sens (greensplashing) et sans résultats garantis (voir cette synthèse), on ne finance pas assez la connaissance et la surveillance, seules à mêmes d'indiquer les actions les plus utiles aux milieux.

Enfin, une petite remarque pour conclure sur les invertébrés. Le Ministère de l'Environnement accuse les seuils de réchauffer l'eau et d'accumuler des sédiments. Mais ce cocktail énergie-nutriment, on croit maintenant comprendre que c'est la base d'une productivité primaire accrue. Est-ce vraiment mauvais pour le vivant ? Rappelons que la méta-analyse de Mbaka et Mwaniki 2015 n'avait pas été capable de montrer que les seuils et petits ouvrages ont des effets négatifs sur les invertébrés, tout en soulignant que les connaissances manquent (études rares, protocoles pas toujours homogènes). La productivité ainsi que la richesse taxonomique / fonctionnelle des rivières selon leur nombre d'ouvrages mériteraient certainement d'être étudiées sur le réseau français. Cela nous éviterait une politique fondée sur la généralité non démontrée et la certitude déplacée de certains "experts" conseillant les décideurs...

Référence : Van Looy K et al (2016), Long-term changes in temperate stream invertebrate communities reveal a synchronous trophic amplification at the turn of the millennium, Science of The Total Environment, 565, 481-488

13/01/2016

Effets des petits ouvrages sur les habitats et les invertébrés (Mbaka et Mwaniki 2015)

Une étude de la littérature scientifique existante sur l'effet à l'aval des petits ouvrages (seuils, barrages au fil de l'eau et basses chutes jusqu'à 15 m) vient de paraître. Elle se concentre sur les données physico-chimiques des habitats et sur les invertébrés. Premier enseignement: il existe très peu de connaissances sur cette petite hydraulique, contrairement aux effets des grands barrages. Second enseignement: les impacts sur les paramètres étudiés sont soit non significatifs, soit très variables (corrélations tantôt positives tantôt négatives). Ce travail confirme à nouveau qu'une politique des ouvrages hydrauliques ne saurait être guidée par des généralités ni des classements aussi massifs qu'indistincts. Ce qui est malheureusement l'impasse choisie par le Ministère de l'Ecologie en France, alors que les trois-quarts des ouvrages de nos rivières classées entrent dans la catégorie la plus modeste en terme de hauteur, donc d'impact physique sur les écoulements et biologique sur les peuplements.

John Gichimu Mbaka (Université de Coblence-Landau) et Mercy Wanjiru Mwaniki (Université de Bamberg) ont proposé une "revue" des analyses de la littérature scientifique concernant l'effet des barrages de petite dimension sur les habitats et les invertébrés. Leur analyse concerne le tronçon aval des ouvrages.

Les chercheurs soulignent que ces travaux sont rares : "à ce jour, la plupart des recherches sur les effets des retenues sur les rivières ont été conduits sur les grandes retenues". Ils conviennent qu'il existe un besoin de recherche empirique sur les petits ouvrages, en raison de leur nombre.

L'analyse sur Web of Science a permis de trouver un total de 106 études scientifiques publiées sur la question des petits ouvrages entre 1986 et 2013. Seules 94 avaient des données sur l'effet aval. Et parmi elles, seules 25 permettent une comparaison statistique. Cela montre la pauvreté des analyses sur la question, en près de 30 ans de recherche. La majorité des études ne signale pas d'effet significatif sur les habitats (ni 30% d'entre elles sur les invertébrés).

Les barrages ont été divisés en 3 catégories: seuil ("small weir", dont la hauteur ne dépasse pas celle de la berge amont et qui sont couramment noyés), barrages au fil de l'eau ("run-of-river dam") jusqu'à 5 m, barrage de basse chute ("low-head dam") entre 5 et 15 m. Les variables analysées sont au nombre de 17 – 15 pour les caractéristiques physiques de l'habitat et 2 pour les invertébrés (abondance, richesse).

Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) résume les données. Le "d" est le d de Cohen qui donne la taille d'effet, le r est la corrélation positive ou négative.


Source : Mbaka JG, Mwaniki MW (2015), droit de courte citation

Quelques remarques sur ces résultats :
  • sur chaque variable prise isolément, les études sont peu nombreuses (3 à 14), ce qui pose un problème de significativité statistique, reconnu par les auteurs, d'autant que ce nombre total est divisé en 3 catégories d'ouvrages (dans près de 30 croisements variable-catégorie, il n'y a qu'une seule étude);
  • bon nombre de variables montrent des corrélations tantôt positives tantôt négatives, de sorte que l'effet d'un ouvrage sur ce paramètre paraît difficilement prédictible (et demanderait une étude ad hoc menée selon des critères scientifiques);
  • certains résultats sont contre-intuitifs (par exemple sur l'oxygénation après la chute);
  • l'abondance des invertébrés est corrélée positivement aux barrages au fil de l'eau (0,29) et la corrélation est quasi-nulle dans les autres cas (-0,001 pour les seuils, -0,03 pour les basses chutes 5-15 m), sur 12 études;
  • la diversité des invertébrés est corrélée positivement pour les seuils (0,63), mais négativement pour les autres (-0,60 et -0,29), avec cependant 4 études seulement.

Les auteurs concluent à l'existence d'impacts variables (y compris négatifs) sur les habitats et les invertébrés, donc sur la nécessité de la prudence et de l'analyse des impacts avant la construction de petites retenues sur les rivières. Non sans reconnaître au passage que ces ouvrages ont "divers bénéfices économiques et écologiques (par exemple réduction de la charge en polluants)".

Nos commentaires
La première information de ce travail, c'est qu'il existe très peu d'analyses spécifiques de l'impact des petits ouvrages. C'est problématique en France, car les ouvrages devant se mettre en conformité à la continuité écologique ont dans 50% des cas moins de 1 m de hauteur, et dans 80% des cas moins de 2 m (donc généralement la première catégorie de Mbaka et Mwaniki 2015). Cette carence interdit au gestionnaire de prétendre à des certitudes robustes sur les effets biotiques et abiotiques des ouvrages, plus particulièrement quand ces "certitudes" sont avancées avec comme objectif la reconquête d'un bon état chimique et écologique d'une masse d'eau.

La seconde information majeure, c'est que les ouvrages peuvent présenter tantôt des effets positifs, tantôt des effets négatifs sur les variables d'intérêt. Cela rend particulièrement complexe de tirer un bilan écologique global, sans parler de l'effet cumulé sur un tronçon qui sera plus ou moins fragmenté, plus ou moins soumis à d'autres pressions (comme les pollutions, les altérations de berges et ripisylves, etc). Là encore, la politique française de continuité écologique est dramatiquement sous-informée: les diagnostics manquent, ni les états des lieux des Agences de l'eau, ni les travaux très locaux des bureaux d'études ne fournissent une information suffisante sur les différentes échelles d'intérêt pour le gestionnaire (site, tronçon, rivière, bassin versant). En particulier, la prétention à "restaurer de l'habitat" (et non seulement des fonctionnalités de franchissement) est un problème dans l'interprétation française du classement de la continuité écologique (voir cet article). Il n'y a pas de garantie particulière qu'on aura des gains significatifs en biodiversité sur toutes les rivières concernées, ni qu'on évitera des effets adverses et indésirables en terme écologique (sans parler des pertes de services rendus par les écosystèmes aménagés).

Contrairement à ce que voudrait laisser penser le Ministère de l'Ecologie, le classement français des rivières au titre de la continuité écologique n'est pas déficient parce que tel ou tel ouvrage pose problème : il est déficient de manière structurelle, par sa précipitation, par son ampleur, par son absence de motivation scientifique sur les choix de classement, donc sur la prédiction des effets écologiques et des rapports coûts-bénéfices. La France prétend aménager plus de 10.000 ouvrages en 5 ans quand les Etats-Unis n'en ont traités que 1000 en 50 ans (les Pays-Bas un maximum de 2000 en 25 ans). Pour appuyer cette ambition démesurée, aucune modélisation sérieuse des rivières ni des bassins n'est disponible. Un audit de cette politique est indispensable : en l'état, elle paraît plus inspirée par l'idéologie que par la science.

Référence: Mbaka JG, Mwaniki MW (2015), A global review of the downstream effects of small impoundments on stream habitat conditions and macroinvertebrates, Environmental Reviews, 23, 3, 257-262.