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02/07/2018

L'histoire longue des rivières à l'honneur aux rencontres hydrauliques de Semur-en-Auxois

Plus d'une centaine de congressistes étaient présents aux rencontres annuelles Hydrauxois-Arpohc des 30 juin et 1er juillet 2018, à Semur-en-Auxois. Deux chercheurs invités, l'archéologue Gilles Rollier (Inrap, U. Lyon) et le géographe Jean-Paul Bravard (CNRS U. Lyon), ont notamment exposé des réflexions sur l'histoire longue des rivières françaises et européennes, le rôle qu'y a joué l'implantation précoce des ouvrages hydrauliques et la nécessité de ré-insérer les choix actuels d'intervention en cours d'eau dans une approche informée, complexe, multidisciplinaire. L'historien Jérôme Benêt a illustré cette longue durée à travers la visite commentée de plusieurs ouvrages de la capitale de l'Auxois, qui entend bien préserver cet héritage et le ré-inscrire dans sa vocation énergétique. La visite de l'abbaye de Fontenay, fêtant cette année les 900 ans de sa fondation, a permis de découvrir l'hydraulique monastique et son rôle dans l'implantation précoce de la sidérurgie bourguignonne.

Gilles Rollier, archéologue (Inrap, UMR 5138 Lyon II), spécialiste de l'hydraulique monastique (sa thèse portait sur Cluny), a notamment été le co-organisateur d'un colloque de référence sur le renouveau de l'archéologie des moulins hydrauliques, à traction animale et à vent.

Sa conférence a brossé une vaste fresque du déploiement des moulins de l'Antiquité au XIXe siècle, avec une insistance particulière sur le progrès de connaissances concernant la période médiévale, l'évolution de ses techniques (notamment la place du bois dans les constructions anciennes) et la logique des choix d'implantations de site à travers les âges. L'archéologue a notamment souligné l'importance précoce qu'ont eue les implantations hydrauliques dans la configuration des bassins versants, dont les formes fluviales étaient jadis plus complexes (rivières en bras, lits majeurs connectés). Son intervention a permis de comprendre que l'histoire longue des rivières, où s'inscrivent nos actions actuelles visant à retrouver certains styles fluviaux, est celle d'une métamorphose graduelle dont on ne peut abstraire l'influence permanente de l'homme. La présence bimillénaire de moulins, exploitant depuis l'Antiquité l'une des principales énergies renouvelables, représente une continuité historique tout à fait remarquable et la recherche archéologique européenne sur cette trajectoire technologique est aujourd'hui très dynamique.

Conférence de Gilles Rollier (pdf) Nota : les illustrations de cette conférence ne sont pas toutes libres de droit, leur usage ne concerne qu'une lecture privée et n'appelle pas publication.


L'essentiel des constructions de moulins antiques et médiévaux était en bois, comme l'a rappelé G. Rollier. Des témoignages ethnographiques, comme ces moulins traditionnels de Bosnie ou de Roumanie (droits réservés), illustrent ce que l'archéologie retrouve dans les fouilles menées en Europe occidentale.  

Jean-Paul Bravard, médaille d'argent du CNRS, membre de l'Institut universitaire de France, chercheur en géographie physique et géomorphologie fluviale, a été un artisan majeur des programmes interdisciplinaires et internationaux d'études des hydrosystèmes fluviaux mis en place depuis les années 1980. Après avoir rappelé rapidement la genèse de cette réflexion et de ses outils de connaissance, le géographe a souligné la faiblesse scientifique de certains attendus des politiques actuelles de continuité en long. Parmi les préconisations du chercheur :

  • réaliser des bilans critiques des opérations d’effacement/arasement réalisées dans différents contextes géographiques et en tirer les leçons objectives avant de systématiser,
  • les rares études approfondies soulignant le caractère contestable des «états de référence» retenus, cette notion doit être repensée,
  • réaliser des bilans sédimentaires et piscicoles à l’échelle des sous-bassins aménagés, pas seulement à l’échelle des seuils, tenir compte pour cela des sources sédimentaires actuelles, des flux entrant dans le système et en sortant,
  • prendre en compte des lieux, des territoires, en évitant une politique nationale normée et rigide à laquelle échappe forcément la complexité du réel.

Conférence de Jean-Paul Bravard (pdf) 


Un exemple commenté par JP Bravard : seuil de la vallée de l'Eyrieux (Ardèche), où l'on voit à aval du choix d'implantation des blocs formant une transition d'écoulement rapide et la reprise du style fluvial spontané après la retenue.

Enfin Jérôme Benêt, historien, auteur d'une remarquable monographie sur Semur-en-Auxois au XVème siècle (le paysage urbain d'une "bonne ville" du duché de Bourgogne sous les Valois), a exposé sur le terrain la genèse de plusieurs ouvrages de moulins dans les faubourgs de la capitale de l'Auxois. La ville de Semur-en-Auxois a compté jusqu'à 13 moulins dont onze sont encore présents aujourd'hui, certains ayant une forme très conservée en ce qui concerne la structure des chaussées en rivière et l'alimentation des biefs. Outre la mouture de la farine, nombre de ces moulins ont servi de foulons pour la draperie semuroise, qui était réputée à l'âge médiéval et classique. Cet héritage n'a aucune envie de disparaître aujourd'hui, la maire de la Commune (Catherine Sadon) ayant confirmé sa volonté de préserver un patrimoine exceptionnel et de lui rendre son sens énergétique à l'heure de la transition bas carbone. De la même manière, l'abbaye de Fontenay, visitée le samedi matin par les congressistes, mène une réflexion sur la mise en valeur du contexte hydraulique de ce chef d'oeuvre cistercien, où le ruisseau de Fontenay alimentait des piscicultures, réseaux d'assainissement, fontaines et bien sûr ateliers de production sidérurgique.

02/06/2018

Tombeau du patrimoine: une lettre à Stéphane Bern en défense des moulins, forges et étangs que l'Etat français détruit

On entend beaucoup parler du loto du patrimoine, mis en place par Stéphane Bern à la demande d'Emmanuel Macron, en vue d'aider à financer la sauvegarde du patrimoine en péril. Mais qu'en est-il du petit patrimoine rural et technique, qui a accompagné au cours des siècles le développement de nos provinces et qui forme aujourd'hui encore le paysage de ses vallées? Luc Lefray, Marie-Geneviève Poillotte, Pierre Potherat (Société mycologique du Châtillonnais) et François Poillotte (Société archéologique et historique du Châtillonnais) attirent l'attention de Stéphane Bern sur la scandaleuse campagne administrative de destruction systématique des chutes, ouvrages, vannages, canaux, biefs, retenues et étangs, souvent présents depuis le Moyen Âge. La France doit cesser cette gabegie d'argent public, qui est un appauvrissement culturel sans précédent des paysages riverains et, bien souvent, une aberration écologique. 



Le Président de la république vous a récemment confié une mission spéciale consacrée à la recherche de moyens financiers destinés à sauvegarder le patrimoine français en péril.  Nous vous avons entendu avec satisfaction et espoir quand vous avez déclaré que tout le patrimoine vous intéressait, y compris le petit patrimoine ou patrimoine vernaculaire. Hormis le patrimoine mentionné habituellement (cathédrales, châteaux, abbayes…etc), notre région, le nord Côte-d’Or, partie intégrante du plateau de Langres, est particulièrement bien dotée en petit patrimoine en raison du grand nombre de ruisseaux et rivières y prenant naissance, tels la Seine et ses principaux affluents : Marne, Aube, Ource et Laignes…etc. Le plateau de Langres n’est-il pas considéré par les spécialistes géologues et hydrogéologues, comme le château d’eau du bassin parisien ?

Dès le Moyen Âge, ces rivières et ruisseaux, compte tenu de leur fort potentiel en énergie hydraulique, de la présence de bois en quantité ainsi que d’un minerai de fer aisément exploitable, ont vu fleurir sur leurs cours de nombreuses installations artisanales telles que des moulins, scieries, fonderies, forges et autres tanneries…

La construction de ces installations, à l’architecture souvent remarquable, s’est accompagnée de l’aménagement des cours d’eau au moyen d’astucieux systèmes de vannages, de biefs et de canaux destinés à acheminer l’eau jusqu’aux installations en question puis à la rendre à la rivière principale, contribuant ainsi à créer un entrelacs de rivières, chenaux, petites retenues et chutes d’eau, à fort potentiel patrimonial et touristique sur l’ensemble de la région.

Par ailleurs ces aménagements semblent avoir été extrêmement bénéfiques pour le peuplement des rivières comme nous l’enseigne la longue histoire de la truite chatillonnaise qui remonterait également au Moyen Âge.

Les rois de France de passage dans la région, de Charles VI à Louis XIV, se sont vus offrir le célèbre pâté de truites châtillonnais. François Ier, Louis XIII et Louis XIV l’ont tellement apprécié qu’ils ont fait repeupler à plusieurs reprises les étangs de Fontainebleau avec des truites prélevées entre Châtillon-sur-Seine et Mussy-sur-Seine.

Jusqu’au milieu du XXème siècle, quand la pêche commençait à  devenir une activité de loisirs,  toutes les rivières de la région étaient considérées comme des « spots » exceptionnels pour la pêche à la truite, au brochet et même à l’anguille.

 Ces dernières années, notre association ainsi que la population locale se sont émues devant l'effacement et/ou l'absence d'entretien de quelques étangs aménagés à l'époque médiévale (début XIVème siècle) par les ducs de Bourgogne, en forêt domaniale de Châtillon, laquelle doit devenir l'un des cœurs du futur parc national des forêts de feuillus.

Ces étangs faisaient partie d’un ensemble unique en France de sept plans d’eau disposés en chapelet le long du ru du val-des-Choux, depuis la source située dans l’ancienne abbaye éponyme, jusqu’à la confluence avec l’Ource, soit sur un linéaire de seulement 5,5 km. Outre l’application très rigoriste de la directive européenne sur  la « continuité écologique des cours d’eau », une des raisons principales avancées pour justifier l’absence d’entretien est le manque de moyens de l’ONF, gestionnaire des étangs.

Or, dans le même temps l’État engage des dépenses très importantes pour détruire le petit patrimoine que sont les vannages et chutes d’eau des anciens moulins, scieries, fonderies, forges et autres tanneries dont un grand  nombre remonte au moins au XIIème siècle. 

Cette campagne de suppression massive des anciens ouvrages, orchestrée et financée par les pouvoirs publics, va au-delà des recommandations de la directive européenne relative à la continuité écologique des cours d’eau et nous paraît sans fondement puisque, compte tenu de leur faible hauteur (inférieure à 2,5m), l’excellente qualité halieutique de nos rivières a toujours été de pair avec ces aménagements  pluriséculaires jusqu’à leur abandon progressif, dans la deuxième moitié du siècle dernier.

Plus de 600 petits ouvrages, dont le plus grand nombre est encore en bon état ou, pour le moins, faciles à restaurer, ont été répertoriés dans le périmètre du futur parc national. A raison de 100 à 250 k€ nécessaires par ouvrage, leur suppression couterait près de 100 million d’euros. Ce chiffre ne concerne que les vannages et seuils recensés dans le périmètre du parc national d’une superficie de 240 000 ha. Etendu à tout le territoire national, sur les ouvrages de même gabarit, le montant des travaux promet d’être colossal pour un résultat qui ne saurait  être partout à la hauteur des objectifs fixés.

Nous espérons Monsieur Bern, que vous prendrez notre message en considération et que vous saurez œuvrer efficacement pour stopper la casse programmée de notre petit patrimoine. Nous pensons que l’argent ainsi épargné sera plus utile dans votre quête de moyens de sauvegarde.

Photographie : les étangs des Marots en automne, par Christal de Saint-Marc (droits réservés).

29/04/2018

La grande forge de Buffon fête ses 250 ans

La forge de Buffon est un joyau du patrimoine industriel et hydraulique bourguignon. Le 4 mai prochain à 18:00 s'ouvriront les célébrations de son 250e anniversaire, avec la participation de l'association Hydrauxois.


09/04/2018

Sauver le Theusseret sur le Doubs franco-suisse

Le superbe site du Theusseret sur le Doubs franco-suisse est aujourd'hui menacé de destruction au nom de la continuité écologique. Ce scénario est privilégié pour le moment par l'administration française et l'EPTB Saône et Doubs, qui agissent sous pression du lobby des pêcheurs de truite. Mais de nombreux riverains en France comme en Suisse refusent la disparition de ce site d'intérêt historique, paysager, énergétique et environnemental. Les associations Hydrauxois et Sauvons le Theusseret viennent de publier un rapport critique sur le projet de destruction, soulignent les carences dans le diagnostic écologique et appellent les autorités à choisir le scénario alternatif d'un aménagement de continuité avec installation d'une usine hydro-électrique. La casse des ouvrages a trop duré: sur le Doubs comme partout, place à une restauration intelligente de notre patrimoine pluriséculaire.


Le site du Theusseret sur le Doubs franco-suisse a accueilli un moulin sous l’Ancien Régime (minoterie, scierie), électrifié en 1892, devenu par la suite une usine hydro-électrique avec diverses modernisations des turbines de la centrale. La production a cessé en 1972.

Depuis 2014, ce site est en projet d’aménagement au titre de la continuité écologique.

Les signataires du présent dossier constatent que le processus de concertation sur l’avenir du barrage du Theusseret a été défaillant et s’est orienté dès le départ dans une logique de destruction du site, sans avoir les bases factuelles justifiant le choix de cette option.

Ainsi, dans le comité de pilotage amont et au cours des discussions visant à construire le projet (et non seulement à en être informés de manière passive) :

  • Les riverains ne sont pas représentés
  • Toutes les associations ne sont pas représentées
  • Les hypothèses de relance hydro-électrique sont écartées ou ne sont pas étudiées en analyse coût-bénéfice avec le même niveau de rigueur que la destruction
  • Les données essentielles manquent dans le rapport de 2014 (pas d’analyse biologique du site amont-retenue-aval, pas d’analyse des sédiments, pas d’objectifs de biodiversité dont le résultat serait garanti et justifierait la dépense).

Nous dressons ici plusieurs constats sur lesquels nous souhaitons obtenir des informations.

Nous demandons des évolutions substantielles de la concertation.

Nous souhaitons l’examen d’un projet d’aménagement écologique, paysager et énergétique non destructeur du site du Theusseret.

Lire le dossier complet (pdf)

08/03/2018

Le parc Champagne-Bourgogne, l'obstacle à l'écoulement et la truite arc-en-ciel

Le parc des forêts de Champagne et Bourgogne est un futur parc national français en cours de concertation. La prochaine assemblée générale, qui risque de se tenir dans un climat tendu, propose d'adopter la charte du Parc. Ce texte a valeur contraignante, donc ses dispositions nombreuses soulèvent des débats. Nous commentons ici la mesure sur la naturalité et la fonctionnalité des cours d'eau, d'où il ressort qu'il faut avant toutes choses traquer et effacer chaque obstacle à l'écoulement, mais que déverser des truites arc-en-ciel ne pose pas de problème majeur à la bien étrange "naturalité"


L'objectif 6 de la charte vise à "garantir le bon fonctionnement des écosystèmes et l’expression de la biodiversité", et sa mesure n°3 à "renforcer la naturalité et la fonctionnalité des cours d’eau". Cliquer sur l'image ci-dessus pour lire ce texte.

Que peut-on y lire?
"La qualité des cours d’eau des têtes de bassin versant, qui repose notamment sur leurs eaux courantes, fraîches et bien oxygénées, est recherchée avec les signataires de la charte."
Cet incipit ressemble à une image de carte postale. Une rivière de tête de bassin versant boisé livrée à sa naturalité serait bien souvent une succession d'embâcles et de barrages de castors avec des alternances d'eaux courantes et stagnantes, des bras temporaires, des changements de lit, etc. L'image ci-dessous (DR) donne une idée de ce type de rivière, dont le cours tout à fait naturel mais peu prévisible n'est d'ailleurs pas sans provoquer des soucis aux propriétaires des rives.


"Le rétablissement de la continuité écologique aquatique de tous les cours d’eau du cœur, quel que soit leur classement, est accompagné sur la base de démarches concertées et d’études analysant l’ensemble des enjeux (naturels, paysagers, culturels et économiques) afin de mettre en œuvre des solutions exemplaires. Il tient compte notamment de la présence d’un important patrimoine bâti en bordure des cours d’eau et d’aménagements parfois à forte valeur sociétale/sociale, historique ou architecturale qu’il contribue à mieux connaître."
Ce texte montre des avancées dans la perception et la prise en compte des ouvrages anciens. Mais après 10 ans de conflit sur la continuité écologique, le projet du Parc ne retient pas la leçon et n'arrive pas à énoncer la phrase claire qui aurait débloqué les choses, à savoir que la protection du patrimoine hydraulique bâti des moulins et étangs, incluant les retenues et les biefs, est la solution de première intention. Au lieu de cela, nous avons le jargon technocratique des "solutions exemplaires" dont les propriétaires et riverains ont appris depuis 10 ans la signification exacte : soit vous effacez, soit vous payez de votre poche les centaines de milliers d'euros de "l'exemplarité". Vu que la charte considère les buses et gués comme des problèmes graves, on se doute que des chaussées, digues et barrages n'auront pas des arbitrages favorables.
"Pour garantir la naturalité des cours d’eau en cœur, la charte encadre les opérations de repeuplement de poisson. Seul le déversement de truite arc-en-ciel est possible sans autorisation préalable dans certains secteurs identifiés."
La truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss) est une espèce nord-américaine, acclimatée en Europe à fin de loisir par les adeptes de la pêche sportive. Le manuel de référence de Bruslé et Quignard 2013 nous dit qu'"introduite dans 97 pays, elle peut être considérée comme invasive et, suite à un impact, menacer la survie des populations naturelles de truites et de saumons" (Biologie des poissons d'eau douce européens, p. 111). La truite arc-en-ciel n'a pas beaucoup d'intérêt en rivière, à part procurer au pêcheur du dimanche la satisfaction de son quota de prédation. Qu'une charte visant la naturalité prévoit la possibilité de son déversement dans les eaux du coeur de parc de Champagne et Bourgogne indique l'efficacité du lobby pêche et la complaisance laxiste de l'AFB ex Onema dès que ces intérêts halieutiques sont en jeu.

Conclusion : dans le domaine aquatique, le projet de Parc illustre surtout les idées dans l'air du temps et les contradictions qu'elles affrontent pour devenir une politique écologique de territoire. Il est peu pédagogique de véhiculer des illusions de "naturalité" alors que l'on a seulement ici une certaine vison de la nature. Les seules options conformes à cette idée sous-jacente de "naturalité comme nature sans l'homme" seraient les choix d'interdiction totale de présence humaine et de non-intervention, comme cela peut se pratiquer dans les parcs de certains pays. Mais c'est peu envisageable dans les zones densément et anciennement peuplées comme l''Europe. Sinon, on a un mode de gestion de la nature conforme au goût et à l'intérêt de certains acteurs. Pourquoi pas, mais autant le dire.

08/01/2018

Les communes du pays de Bitche se battent pour sauver six étangs de la destruction

Située dans l'ancienne Vasgovie ou Wasgau ("forêt des aurochs"), la forêt de Bitche est à la charnière de deux parcs régionaux classés en réserve mondiale de biosphère (Vosges du Nord, Pfälzerwald). L'Office national des forêts et l'administration de Moselle ont hélas entrepris une politique de destruction des nombreux étangs de cette région, avec la caution de l'Agence française pour la biodiversité qui, comme à son habitude, manque à son rôle élémentaire de diagnostic du vivant. C'est le cas dans la vallée de la Weissbach, où un chapelet de six étangs est sous le menace d'une destruction prochaine. L'association des amis de la forêt de Bitche et les cinq communes riveraines sont vent debout contre cette nouvelle atteinte au patrimoine vivant et culturel du pays. L'association Hydrauxois a déposé auprès du préfet de la Moselle un recours amiable contre le chantier, dont la préparation a été bâclée : simple déclaration alors que plus de 100 m de profil en long sont modifiés ce qui exige un dossier d'autorisation, absence totale d'inventaire de biodiversité alors que les petits plans d'eau sont d'un intérêt majeur pour de nombreuses espèces présentes dans ce site Natura 2000. Nous demandons une étude d'impact environnemental et une concertation en vue de trouver la solution la plus favorable au vivant comme aux riverains. La casse des ouvrages hydrauliques et de leurs biotopes doit cesser. Dans le pays de Bitche comme partout ailleurs en France.



Association des amis de la forêt du pays de Bitche 
Motion pour la sauvegarde des étangs domaniaux de la valle de Weissbach  

Par déclaration du 11 juillet 2017, au titre des articles L214-1 et L214-6 du code de l'environnement, l'Office National des Forêts (ONF) a présenté aux services de l'Etat un projet de restauration de la continuité écologique de la vallée de Weissbach portant suppression de 6 étangs domaniaux dans celle-ci. Alors que l'Etat a délivré un récépissé le 05 septembre 2017, autorisant ainsi les travaux projetés, cette opération appelle de la part des membres de notre association, réunis en Assemblée Générale ce 14 octobre 2017, les observations suivantes :

1- Au coeur d'un massif boisé domanial de 20.000 ha, dans un milieu particulièrement apprécié des touristes, où le manteau de verdure s'enrichit de la couleur rose du grès vosgien et la couleur bleu des étangs, les visiteurs ne comprennent pas la brutalité dans cette manière de perturber le paysage.

2- Ces étangs constituent avec les forêts, les rochers, les tourbières et les friches qui les séparent les uns des autres, un biotope particulièrement riche et varié pour la faune et la clore. Ils font partie des 7 habitats de la directive « flore et faune » dont 6 qui sont classés prioritaires. Un inventaire réalisé en 2009., à l'initiative des services de l'Etat, a révélé la présence dans ces habitats dont font partie les étangs domaniaux, entre autres, et pour l'essentiel, de :
• 39 espèces de mammifères dont 14 bénéficiant d'une protection nationale ;
• 140 espèces d'oiseaux dont 131 bénéficiant d'une protection nationale ;
• 6 espèces de reptiles bénéficiant toutes les 6 d'une protection nationale ;
• 10 espèces d'amphibiens bénéficiant toutes les 10 d'une protection nationale ;
• Plus de 600 espèces de plantes, alors que 13 bénéficient d'une protection nationale.
L'eau de ces étangs est de bonne température et d'une fraîcheur telle, qu'elle plaît aux truites sauvages et aux écrevisses à pattes rouges, dont la présence n'est pas contestée. La destruction de ces étangs modifierait le milieu, et créerait un véritable traumatisme au coeur d'un écosystème qui a mis plusieurs millénaires à se former.

3- Ces étangs font partie du patrimoine historique du Pays de Bitche. A titre d'exemple : • L'étang « du tabac » sur la commune d'Eguelshardt, déjà supprimé par l'ONF, se trouvait sur la route historique « des Princes » qui joignait Bouxwiller, siège des comtes de Hanau, à Pirmasens, siège des landgraves de Hessen. Ce point d'eau constituait alors un relais pour les chevaux, accompagné d'un bureau de douane où l'on taxait le tabac qui transitait d'un comté à l'autre. Aujourd'hui, il figure encore sur les cartes touristiques, alors que les visiteurs ne le retrouve plus, les lieux ayant été colonisés par la forêt.
• Les étangs de Bildmühle, eux-aussi déjà supprimés par l'ONF, n'étaient pas de constructions récentes, comme il a été dit par certains, mais existaient déjà dans cette vallée du temps des romains : sur un rocher proche de la source, se trouve une sculpture gallo-romaine célèbre, connue des habitants et visitée par les randonneurs, qui représente une divinité incarnant la protection et l’abondance.
• Les 2 étangs de la vallée de Moosbach sur le territoire communal de Bitche et ceux de Schnepfenbach et de Vatersthal sur le territoire communal de Sturzelbronn, au nombre de 6 (ou plus?) également détruits par l'ONF, constituaient une page de l'histoire du couvent du Sturzelbronn car ils avaient été construits à partir du 14ème siècle par les moines de cette Abbaye pour l'élevage de carpes, de truites et d'écrevisses.

4- Ces étangs jouent le rôle de correcteurs de torrents et de rétenteurs de sable. Ceux de la vallée de Krappenthal, supprimés par l'ONF, situés en aval du déversoir d'orage de Goetzenbrück, ont joué longtemps ce rôle mais aujourd'hui, l'étang de la Vielle fonderie (privé) tout comme l'étang communal de Mouterhouse, sont en voie d'ensablement suite à une telle erreur.

5- Ces étangs constituent un salutaire moyen de conserver des chablis par immersion en cas de tempête. Ce fut précisément le cas en 2000, suite à la tempête Lothar du 26.12.1999, quand furent construits les 2 étangs nouveaux les plus en aval dans la vallée de Weissbach, qui, aujourd'hui font partie de ce projet de destruction que nous dénonçons. Leur construction fut financée par des crédits spéciaux accordés par l'Etat. Ils furent mis à la disposition de la scierie Wagenheim de Goetzenbrück qui y immergea et y retira durant plusieurs années après la tempête plusieurs milliers de mètres cubes de grumes de hêtres pour les sauver de la pourriture, alors que le marché du bois était débordé. Ces étangs méritent, au même titre que tous les autres, d'être conservés pour le stockage de bois après la prochaine tempête.

6- Ces étangs constituent de précieuses réserves d'eau pour la lutte contre les feux de forêts, leur présence faisant gagner un temps précieux aux pompiers qui trouvent immédiatement sur place l'eau nécessaire à l'extinction des incendies dans les peuplements forestiers qui leur sont proches. Les supprimer nous paraît particulièrement irresponsables, alors que les perspectives du réchauffement climatique s'accompagnant facilement de feux de forêts, semblent très sérieuses.

Fort de ce qui précède, à l’unanimité, les membres de l'association des Amis de la Forêt du Pays de Bitche, demande à Monsieur le Préfet d'annuler le projet de suppression des étangs de la vallée de Weissbach ainsi que tous ceux qui pourraient être en préparation.

Illustration: l'étang de Bærenthal dans le pays de Bitche. Thierry Dichtenmuller, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons

01/01/2018

Le Morvan des loups et des moulins au temps de Vauban

Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban (1633-1707) est né à Saint-Léger-de-Fougeret, devenu Saint-Léger-Vauban en 1867, et possédait des terres autour de Bazoches. Des ses Oisivetés, l'ingénieur consigne ses observations et réflexions sur la France qu'il parcourt, et notamment sur les terres de son enfance. Voici quelques pages sur le Morvan des moulins, des étangs de flottage, des taillis et des loups à la fin du XVIIe siècle. On y note l'exploitation précoce des eaux et des bois. Aujourd'hui, les moulins et étangs sont toujours présents sur les rivières du Morvan, les loups ne sont pas encore revenus durablement dans ses forêts.


En, janvier 1696, Vauban rédige sa Description géographique de l'élection de Vézelay, contenant ses revenus, sa qualité, les mœurs de ses habitants, leur pauvreté et richesse, la fertilité du pays et ce que l'on pourrait y faire pour en corriger la stérilité et procurer l'augmentation des peuples et l'accroissement des bestiaux.

En voici un extrait sur le Morvan de la fin du XVIIe siècle. On y constate que les eaux et forêts sont déjà exploitées à cette époque, dans un milieu humain par ailleurs pauvre et peu développé économiquement.

Le pays est partout bossillé comme nous avons déjà dit, mais plus en Morvand qu'ailleurs. Les hauts, où sont les plaines, sont spacieux, très-pierreux et peu fertiles. Les fonds le sont davantage, mais ils sont petits et étroits. Les rampes participent de l'un et de l'autre, selon qu'elles sont plus ou moins roides, et bien ou mal cultivées.

Le pays est fort entrecoupé de fontaines, ruisseaux et rivières, mais tout petits comme étant près de leurs sources.

Les deux rivières d'Yonne et de Cure sont les plus grosses , et peuvent être considérées comme les nourrices du pays, à cause du flottage des bois. On pourrait même les rendre navigables, l'une jusqu'à Corbigny et l'autre jusqu'à Vézelay; ce qui serait très-utile au pays. Les petites rivières de Cuzon, de Brangeame, d'Anguisson, du Goulot, d'Armanée sont de quelque considération pour le flottage des bois.

Il y a encore plusieurs autres ruisseaux moindres que ceux-là, qui font tourner des moulins, et servent aussi au flottage des bois, quand les eaux sont grosses, à l'aide des étangs qu'on a faits dessus. On en pourrait faire de grands arrosements qui augmenteraient de beaucoup la fertilité des terres et l'abondance des fourrages, qui est très-médiocre en ce pays-là, de même que celle des bestiaux, qui y croissent petits et si faibles qu'on est obligé de tirer les bêtes de labour d'ailleurs, ceux du pays n'ayant pas assez de force; les vaches même y sont petites, et six ne fournissent pas tant de lait qu'une en Flandre, encore est-il de bien moindre qualité.

Il y vient très-peu de chevaux, et ceux qu'on y trouve sont de mauvaise qualité et propres à peu de chose, parce qu'on ne se donne pas la peine ni aucune application pour en avoir de bons, les paysans étant trop pauvres pour pouvoir attendre un cheval quatre ou cinq ans; à deux ils s'en défont, et à trois on les fait travailler, même couvrir, ce qui est cause que très-rarement il s'y en trouve de bons.

La brebialle y profite peu, parce qu'elle n'est point soignée ni gardée en troupeaux par des bergers intelligents, chacun ayant soin des siennes comme il l'entend; elles sont toutes mal établées, toujours à demi dépouillées de leur laine par les épines des lieux où elles vont paître, sans qu'on apporte aucun soin ni industrie pour les mieux entretenir.

Bien qu'il y ait quantité de bourriques dans le pays, on n'y fait pas un seul mulet, soit faute d'industrie de la part des habitants, ou parce qu'ils viendraient trop petits.

Pour des porcs, on en élève comme ailleurs dans les métairies et chez les particuliers, mais non tant que du passé, parce qu'il n'y a plus ni glands, ni faînes, ni châtaignes dans le pays où il y en avait anciennement beaucoup.

Il y aurait assez de gibier et de venaison, si les loups et les renards, dont le pays est plein, ne les diminuaient considérablement, aussi bien que les paysans qui sont presque tous chasseurs directement ou indirectement.

Les mêmes loups font encore un tort considérable aux bestiaux, dont ils blessent, tuent et mangent une grande quantité tous les ans, sans qu'il soit guère possible d'y remédier, à cause de la grande étendue des bois dont le pays est presqu'à demi couvert.

Nous distinguerons ces bois en trois espèces, savoir, en bois taillis, bois de futaie et bois d'usage. Il y a 60 à 70 ans que la moitié ou les deux tiers de ces bois étaient en futaie; présentement il n'y a plus que des bois taillis où les ordonnances sont fort mal observées. Les marchands qui achètent les coupes sur pied, abattent indifféremment les baliveaux anciens et modernes, et n'en laissent que de l'âge du taillis et sans choix, parce qu'ils se soucient peu de ce que cela deviendra après que les ventes seront vidées et leurs marchés consommés.

Il n'y a plus de futaie présentement; et c'est une chose assez étrange que, dans l'étendue de 54 paroisses, où il y a plus de 37,000 arpents de bois, il ne s'y en soit trouvé que 8.

Les bois d'usage dont il y a quantité en ce pays-là, sont absolument gâtés, parce que les paysans y coupent en tout temps à discrétion, sans aucun égard, et, qui plus est, y laissent aller les bestiaux qui achèvent de les ruiner.

Il arrive donc que, par les inobservations des ordonnances , dans un pays naturellement couvert de bois, on n'y en trouve plus de propre à bâtir, ce qui est partie cause qu'on ne rétablit pas les maisons qui tombent ou qu'on le fait mal ; car il est vrai de dire que les bois à bâtir n'y sont guère moins rares qu'à Paris : on ne sait ce que c'est que gruerie, grairie, tiers et danger dans cette élection.

Les pages de Vauban rappelle aussi la pauvreté extrême dans laquelle vivaient les classes inférieures de son temps, avec par exemple une consommation de viande limitée à quelques jours par an :

Le pays en général est mauvais, bien qu'il y ait de toutes choses un peu ; l'air y est bon et sain, les eaux partout bonnes à boire, mais meilleures et plus abondantes en Morvand qu'au bon pays. Les hommes y viennent grands et assez bien faits, et assez bons hommes de guerre quand ils sont une fois dépaysés; mais les terres y sont très-mal cultivées, les habitants lâches et paresseux jusqu'à ne pas se donner la peine d'ôter une pierre de leurs héritages, dans lesquels la plupart laissent gagner les ronces et méchants arbustes. Ils sont d'ailleurs sans industrie, arts, ni manufacture aucune, qui puissent remplir les vides de leur vie, et gagner quelque chose pour les aider à subsister, ce qui provient apparemment de la mauvaise nourriture qu'ils prennent; car tout ce qui s'appelle bas peuple ne vit que de pain d'orge et d'avoine mêlées, dont ils n'ôtent pas même le son, ce qui fait qu'il y a tel pain qu'on peut lever par les pailles d'avoine dont il est mêlé. Ils se nourrissent encore de mauvais fruits, la plupart sauvages, et de quelque peu d'herbes potagères de leurs jardins, cuites à l'eau, avec un peu d'huile de noix ou de navette, le plus souvent sans ou avec très-peu de sel. Il n'y a que les plus aisés qui mangent du pain de seigle mêlé d'orge et de froment.

Les vins y sont médiocres, et ont presque tous un goût de terroir qui les rend désagréables.

Le commun du peuple en boit rarement, ne mange pas trois fois de la viande en un an, et use peu de sel, ce qui se prouve par le débit qui s'en fait. Car si douze personnes du commun peuvent ou doivent consommer un minot de sel par an pour le pot et la salière seulement, 22,500 personnes qu'y y a dans cette élection en devraient consommer à proportion 1,875, au lieu de quoi ils n'en consomment pas 1,500, ce qui se prouve par les extraits du grenier à sel. Il ne faut donc pas s'étonner si des peuples si mal nourris ont si peu de force. A quoi il faut ajouter que ce qu'ils souffrent de la nudité y contribue beaucoup, les trois quarts n'étant vêtus, hiver et été, que de toile à demi pourrie et déchirée, et chaussés de sabots dans lesquels ils ont le pied nu toute l'année. Que si quelqu'un d'eux a des souliers, il ne les met que les jours de fêtes et dimanches.

Référence : Vauban, Sébastien Le Prestre (1633-1707 ; marquis de), Oisivetés, Tome 1-3 , éditées par le Cel Antoine-Marie Augoyat et publiées par J. Corréard (Paris), 1842.

80 000 moulins en France au temps de Vauban?

Dans son Projet de capitation sur le pied du denier quinze, levé indifféremment sur tout ce qui a moyen de payer, Vauban note à propos des moulins de France :  "Il y a dans le royaume plus de 80,000 moulins qu'on peut estimer 200 livres de rente chacun, l'un portant l'autre; sur quoi réglant la capitation sur le pied du denier vingt, parce que ce sont de mauvais biens, cet article monterait à huit cent mille livres, ci.. 800,000 J'estime qu'il y a du moins dans le royaume cette quantité de moulins, et même plus par rapport aux observations que j'en ai faites". Toutefois, Vauban ne donne aucune indication sur la manière dont il parvient à ce chiffre, que l'on doit donc prendre comme une approximation. Les statistiques de la Révolution (enquête sur les subsistances) puis des services hydrauliques de l'Etat donneront 100 000 à 110 000 moulins en France au XIXe siècle, chiffres cohérents avec l'estimation de Vauban 100 à 150 ans plus tôt. Ces chiffres, auxquels il faudrait ajouter les ouvrages de navigation et les étangs piscicoles, rappellent l'ancienneté des modifications morphologiques des rivières françaises.

Illustration : en haut Corot, Chaumière et moulin au bord d'un torrent (1831) ; en bas, Jacob van Ruisdael, Deux moulins à eau et une écluse près de Singraven (1650).

22/11/2017

L'Etat demande une évaluation de la valeur patrimoniale et paysagère des ouvrages hydrauliques

Une avancée importante est à signaler dans le domaine de la continuité écologique : à la suite des évolutions de la loi votées par les parlementaires en 2015 et 2016, les ministères de la culture et de l'écologie ont mis au point une grille d'analyse du patrimoine lié à l'eau. Il est reconnu désormais que la continuité a des effets sur le patrimoine et le paysage demandant à être évalués dans le cadre des instructions de projet. Il a été demandé aux administrations de remplir cette grille pour tous les ouvrages anciens concernés, notamment les moulins, forges, étangs, anciennes usines hydro-électriques, etc. Nous reproduisons ces divers documents, la demande des ministères aux administrations concernées, ainsi qu'une lettre type à la DDT-M pour que chacun puisse s'assurer de la mise en oeuvre. La mesure est informative et non obligatoire : la bonne volonté dans son application sera cependant utilement vérifiée par les propriétaires, riverains et leurs associations. Le cas échéant, un refus par l'administration de remplir la grille lors d'un chantier visant à la destruction, ou une négligence à le faire après une demande explicite, pourra être signalé dans un dossier contentieux, et dans tous les cas rapporté aux élus ainsi qu'aux ministères de tutelle des agents concernés. 

Télécharger les documents (pdf)
Courrier des ministères aux administrations
Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau 
Note d'utilisation de la grille

Grille d'analyse et de qualification du patrimoine lié à l'eau
Courrier aux administrations de F. Mitteault (ministère de la Transition écologique) 
et J.M. Loyer-Hascoët (ministère de la Culture)

Suite à de récentes modifications législatives, notamment les articles L.211-1 et L.214-17 du code de l'environnement, il nous a semblé opportun d'opérer un rapprochement entre les services en charge de la restauration de la continuité écologique des cours d'eau et les services en charge de la préservation du patrimoine.

En effet, la mise en oeuvre de la restauration de la continuité écologique sur les cours d'eau peut avoir un effet sur les paysages (vallées, rivières, biefs, etc) et sur des sites patrimoniaux variés (patrimoine industriel, jardins, bâti, etc).

Plus de 15000 ouvrages sont recensés et les interventions sur ces ouvrages peuvent aller de la simple ouverture régulière des vannages jusqu'à la suppression complète de l'ouvrage, en passant par une réduction de sa hauteur ou l'aménagement d'une passe à poissons ou d'une rivière de contournement.

Dans ce contexte, un groupe de travail a été constitué entre le ministère de la transition écologique et solidaire et celui de la culture, auquel se sont joints des associations de propriétaires de moulins. Une grille d'analyse du patrimoine des aménagements liés à l'eau a été co-construite et a vocation à être complétée lors des diagnostics des ouvrages hydrauliques devant être mis en conformité au titre de la restauration de la continuité écologique. 

Vous veillerez à ce que la grille complétée soit une des pièces du dossier relatif aux propositions d'aménagement ou de changement de modalités de gestion de l'ouvrage considéré. Elle permettra, au sein des comités de pilotage des études de restauration, de confronter l'enjeu « patrimoine » et l'enjeu «continuité écologique » lors des décisions sur le scénario choisi.

Vous trouverez également une notice d'utilisation accompagnant la grille d'analyse de caractérisation et de qualification d'un patrimoine lié à l'eau.

Vous veillerez à diffuser le plus largement possible la grille aux propriétaires des ouvrages hydrauliques, aux bureaux d'études missionnés pour réaliser les diagnostics ainsi qu'à tout porteur d'étude globale sur un bassin versant ou un cours d'eau comme les collectivités territoriales ou les fédérations de pêche. Un retour d'expérience sera établi d'ici un an ou deux par les deux ministères. Le bureau des milieux aquatiques de la direction de l'eau et de la biodiversité ainsi que le bureau de l’ingénierie et de l'expertise technique de la direction générale du patrimoine sont à votre disposition pour vous assister face à toutes difficultés que vous pourrez rencontrer.


Lettre type à l'administration

Ce courrier peut être envoyé par tout propriétaire d'ouvrage ou toute association de défense du patrimoine au service DDT-M en charge de l'instruction de la continuité écologique. Les associations gagneront à engager la démarche sur les dossiers en cours présentant un risque de destruction irrémédiable d'un patrimoine d'intérêt. 

Madame, Monsieur,

A la suite des évolutions récentes des lois relatives à la gestion de l'eau, en particulier la continuité écologique, le ministère de la Culture et le ministère de la Transition écologique et solidaire ont mis au point une "Grille d’analyse de caractérisation et de qualification d’un patrimoine lié à l’eau".

Il a été demandé en septembre 2017 par les services des ministères que l'ensemble des ouvrages hydrauliques faisant l'objet d'une prescription de continuité écologique bénéficient de cette évaluation patrimoniale et paysagère.

[version propriétaire]
Etant concerné, je souhaiterais recevoir le travail concernant mon ouvrage hydraulique et ses annexes. Si ce travail n'est pas encore réalisé, je suis disposé à vous donner les informations que je possède sur le bien, et bien sûr à accueillir les services en charge de l'étude.

[version association]
Notre association ayant notamment pour objet la protection du patrimoine, nous serions désireux d'obtenir la grille concernant l'ouvrage [XXX], en étude pour la continuité.  Nous sommes bien sûr disposés à partager les informations en notre possession si l'évaluation de cet ouvrage n'a pas été réalisée.

En cas de refus ou de silence de deux mois, merci de signaler le cas à notre association (ou à une fédération de moulins, syndicat d'étangs, association nationale de protection du patrimoine, etc.)

06/04/2017

Le CGEDD appelle à une réforme complète de la politique de continuité écologique

Le CGEDD (conseil général de l'environnement et du développement durable) est une instance administrative en charge  de procéder à des audits des politiques publiques. Suite à la demande de la ministre de l'Ecologie en décembre 2015, deux inspecteurs ont enquêté pendant une année sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Leur rapport vient d'être rendu public. Dans ce premier article, nous publions les 15 recommandations avec un rapide commentaire. Dans l'ensemble, si le CGEDD souligne que certaines opérations de restauration sont des succès, il constate et appelle à dépasser les nombreuses carences que nous avons exposées depuis 5 ans : mauvaise prise en compte de l'énergie, du patrimoine, du paysage et des usages riverains par la politique de l'eau ; nécessité d'un bilan rigoureux des opérations de continuité et d'une veille scientifique aujourd'hui quasi-inexistante ; intégration des représentants des moulins dans l'ensemble des instances de concertation et délibération, dont ils sont exclus ; changement d'orientation de la politique des ouvrages lors des renouvellements des SAGE et des SDAGE. Dont acte. Certaines recommandations sont discutables, et une en particulier est tout à fait inacceptable pour le monde des moulins (annulation automatique des droits d'eau fondés en titre en cas de non usage). Quoiqu'il en soit, l'enseignement le plus évident et le plus massif de ce rapport est que la continuité écologique a besoin de réformes de fond. Le déni de cette réalité par la direction de l'eau et de la biodiversité, les agences de l'eau, les syndicats et établissements de bassin ou les lobbies FNE-FNPF n'est plus tenable. Tous les députés et sénateurs devront être informés des conclusions de ce rapport pour la révision (déjà lancée au Sénat) de la loi sur l'eau de 2006.

Les textes ci-dessous en caractère gras sont extraits de la synthèse du rapport CGEDD. Nous reviendrons dans plusieurs articles à paraître sur des détails intéressants du rapport complet.

Orientation globale du CGEDD

"La notion de bon état écologique, trop souvent présenté comme un concept scientifique, ne relève pas que de la science écologique. C'est à la société de lui donner une déclinaison opérationnelle. La notion de bon état, comme celle de bon potentiel, incite à se poser les questions : bon état pour quoi ? Bon état pour qui ? Pour la santé humaine ou pour celle des poissons ? Pour produire de la biomasse ou pour satisfaire des besoins ludiques ? Pour contribuer à l'économie industrielle ou pour satisfaire les mouvements militants ? Pour répondre aux exigences de Bruxelles ou pour améliorer notre cadre de vie ? Ce qui renvoie, selon le cas, à des questions relatives soit au fonctionnement écologique, soit aux usages des systèmes, soit encore à des considérations éthiques ou esthétiques."
Christian Lévêque

Cette citation est extraite de l'ouvrage récent de Christian Lévêque, dans lequel les cours d'eau sont examinés avec une vision scientifique élargie aux aspects historiques, patrimoniaux, économiques, culturels et sociologiques. La continuité écologique y est présentée comme l'une des composantes d'une politique de l'eau. C'est justement une telle approche que la mission propose de promouvoir.
A l'issue de ses travaux et après avoir rencontré une large variété de cas, entendu un grand nombre et une forte diversité d'interlocuteurs, la mission a pu faire la part entre les réussites, les difficultés et les blocages rencontrés dans les opérations de restauration de la continuité écologique qui concernent les moulins.
La mission a constaté que ces blocages ne se réduisaient pas aux deux seules questions patrimoniales et énergétiques, mais qu'ils touchaient aussi les fondements même de la restauration de la continuité écologique.
C'est pourquoi la mission souscrit à la nécessité d'une vision renouvelée et élargie de cette politique. L'application, en synergie, des trois lois structurantes pour ce dossier et relatives à la biodiversité, au patrimoine et à la transition énergétique doit trouver un terrain d'application et de convergence sur le cas des moulins : une fois que services, propriétaires et associations s'en seront approprié les objectifs ils pourront définir, dans les spécificités de chaque situation, des solutions conciliant les différents enjeux, sous le signe du développement durable et dans une logique "gagnant-gagnant".
Il paraît en effet aujourd'hui souhaitable de rechercher − et possible d'obtenir ‒ un meilleur équilibre entre les trois objectifs de continuité écologique, de valorisation du patrimoine lié à l'eau et de développement des énergies renouvelables.
C'est dans ce sens et cet état d'esprit que la mission a établi ses propositions et recommandations, afin de contribuer à l'atteinte de cette nouvelle ambition.
Une telle approche nécessitera très certainement du temps, ainsi que des amendements complémentaires aux outils de la politique de l'eau, qui sortent du champ de la présente mission. Sa mise en œuvre requiert, au-delà des recommandations de la mission, un signal politique fort de la part de l'État mais aussi un engagement important des collectivités territoriales.


Nous partageons le constat, et nous nous réjouissons que le point de vue équilibré de Christian Lévêque en anime la philosophie. En effet, la continuité écologique ou plus largement la restauration de cours d'eau n'a pas besoin d'une réforme cosmétique, mais d'une refondation démocratique sur la base d'une vision élargie et ouverte de la rivière. Notre association a toujours souligné que la continuité écologique est un outil légitime de gestion des cours d'eau et de leur biodiversité, à la condition expresse qu'elle ne soit pas dogmatique ou précipitée dans sa mise en oeuvre, partielle dans ses objectifs ni irréaliste dans ses coûts.

Un "signal fort" de l'Etat, c'est ce que nous attendons, mais n'obtenons pas (autrement que dans des déclarations non suivies d'effet de telle ou telle personnalité politique). Le contenu de ce signal est pourtant simple : la reconnaissance explicite par l'administration que le patrimoine hydraulique est un élément légitime des rivières françaises, et que ces rivières n'ont pas vocation à être systématiquement "renaturées" dans l'ignorance de leur évolution historique, sociale et économique. Un peu plus qu'un signal, c'est donc un changement de paradigme qui est nécessaire, fondé sur la réalité des dimensions multiples de la rivière.

1. En préalable à tout nouveau projet de restauration écologique, mettre en place une démarche territoriale concertée de type SAGE, grâce à laquelle, à l'issue d'un diagnostic approfondi, les objectifs et les moyens de la restauration à l'échelle d'un axe ou d'un bassin versant seront établis de manière partagée. Ces diagnostics territoriaux devront intégrer la perspective du changement climatique et comprendre:
- un volet consacré aux paysages et au patrimoine lié à l'eau, dont celui des moulins,
- une analyse du potentiel de petite hydroélectricité sur le territoire,
- une analyse des autres usages des seuils,
- un volet consacré à la problématique de franchissabilité des seuils pour les pratiquants d'activités nautiques non motorisées (dont canoë-kayak),
- une réflexion sur les pollutions agricoles diffuses.

Nous sommes d'accord avec cette proposition, le fait qu'elle soit formulée signale combien les SAGE (ou contrats globaux) actuels sont incomplets. C'est aussi vrai pour les SDAGE. Nous demandons que les attendus de cette révision soient inscrits dans les parties législatives et réglementaires du code de l'environnement, afin d'être opposables aux établissements publics en charge de l'eau et de signer l'engagement durable de l'Etat dans une approche pluraliste de la rivière.

2. Sur la base des propositions de la mission et du groupe de travail national sur les moulins patrimoniaux, transmettre aux préfets une méthodologie de reconnaissance d'un "moulin patrimonial" validée par le ministère de la culture et de la communication et le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Leur demander de prendre en compte le statut patrimonial ainsi défini, voire sa labellisation à terme, lors de la programmation, de la conduite et du suivi des opérations, ainsi que dans le mode de financement.

Pourquoi pas, mais une telle méthodologie doit être concertée avec les associations. Nous n'accepterons pas davantage l'arbitraire administratif dans l'évaluation patrimoniale que nous ne le tolérons aujourd'hui dans l'évaluation écologique, avec des "moulins à deux vitesses", ceux qui auraient un intérêt et ceux qui n'en auraient pas. Il existe de très nombreuses expériences de moulins (ou forges) ayant un piètre aspect au moment de leur achat, mais qui ont été remarquablement restaurés par leurs propriétaires. On doit donc avant tout encourager cette restauration patrimoniale, sans se contenter de "muséifier" un panel de moulins d'ores et déjà restaurés.

3. Lorsque le diagnostic territorial aura fait apparaître un réel potentiel mobilisable, qu'une orientation en faveur de l'équipement des seuils pour la production hydroélectrique aura été donnée par le maître d'ouvrage de la démarche territoriale et que le propriétaire aura décidé de s'engager dans l'étude d'un projet de mise en service de son seuil pour l'hydroélectricité, alors les études de projets individuels de restauration de la continuité écologique devront intégrer un volet consacré à l'hydroélectricité, de manière à rendre cohérentes les deux démarches.

Nous sommes d'accord avec cette proposition (voir notre article sur la nécessité de travailler sur le taux d'équipement des rivières). Mais nous mettons une réserve : si le "potentiel" de quelques kW des moulins est souvent jugé négligeable par les autorités en charge de l'eau ou de l'énergie, il ne l'est nullement pour le propriétaire qui peut assurer tout ou partie de sa consommation d'énergie. Le point de vue macro-économique seul ne doit pas prévaloir pour les moulins de faible puissance, pas plus qu'il ne prévaut au demeurant pour toutes les autres solutions individuelles de transition énergétique (pompe à chaleur, panneau solaire, chauffage bois, etc.)  Là encore, nous refuserons tout régime inégal où les "bons" moulins seraient uniquement ceux qui disposent de plusieurs dizaines ou centaines de kW de puissance et où tous les autres (bien plus nombreux) seraient classés comme sans intérêt, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui.

4. Développer, à l'initiative de chaque agence de l'eau et pour chaque bassin, un programme pluriannuel de suivi des milieux concernés par les opérations de restauration de la continuité écologique, à l'échelle d'axes de cours d'eau ou de bassins versants, avec un nombre représentatif de la diversité des cours d'eau du bassin et un protocole minimal défini à l'échelle du bassin. Ce suivi devra inclure la réalisation d'un état initial des milieux aquatiques avant travaux et d'un état après travaux, puis être poursuivi au fil du temps avec une évaluation écologique.

C'est une urgente nécessité, le CGEDD acte ici notre constat : les retours d'expériences sur la continuité sont aujourd'hui insuffisants, souvent sélectifs et non pas choisis aléatoirement (pour éviter tout biais de confirmation), sans méthodologie transparente et réplicable, etc. Mais attention au protocole de suivi, qui doit être construit en concertation, cohérent à travers les agences de bassin et bancarisé pour ses résultats : ce protocole ne saurait concerner uniquement la présence ou l'absence de migrateurs, ni une estimation (peu normalisée à date) de l'attractivité morphologique. Il faut que l'ensemble des scores de qualité écologique pertinents (et intervalidés en Europe) soient suivis, que l'échantillonnage avant chantier soit spatialement et temporellement représentatif, que les résultats soient détaillés (nature exacte des évolutions densité, biomasse, richesse spécifique, etc.), que les typologies théoriques anciennes et non mises à jour scientifiquement soient abandonnées, que la pollution chimique avant / après soit aussi étudiée et, dans certains cas témoins, qu'une analyse complète de biodiversité avant /après soit menée. En face, il faut bien sûr mettre les coûts économiques directs et indirects de la restauration de continuité, si possible une évaluation avant / après en service rendus aux citoyens par les écosystèmes. Le rapport du CGEDD est trop imprécis sur ces exigences.

5. Associer les propriétaires de moulins par une représentation dans les comités de pilotage des programmes territoriaux de restauration de la continuité mis en place par les collectivités et prévoir de les entendre lorsque leur projet est examiné par ce comité.
Assurer un pilotage et réaliser une évaluation des programmes et projets de restauration de la continuité écologique des cours d'eau au niveau de chaque bassin, par une instance existante du comité de bassin, associant pour l'occasion les représentants des propriétaires de moulins ainsi que les DRAC ou leur représentant.
Élargir la commission administrative de bassin à la DRAC du bassin qui serait désignée à cet effet.

Nous sommes évidemment d'accord avec cette proposition, qui reconnaît l'absence actuelle de concertation et de représentation des principaux concernés par la continuité, ainsi que l'indifférence manifestée par l'administration de l'eau envers les questions culturelles.

6. Organiser une véritable veille scientifique en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, à l'intention de tous les acteurs.
Solliciter un avis des conseils scientifiques du CSPNB, de l'AFB et des comités de bassin qui en sont dotés, afin d'orienter la stratégie de restauration de la continuité écologique au niveau national et au niveau des bassins.
Veiller à ce que les conseils scientifiques de l'AFB et des comités de bassin soient davantage pourvus dans les disciplines des sciences humaines, du paysage, de l'histoire et du patrimoine.

S'il faut organiser une "véritable" veille, c'est que celle aujourd'hui menée est très insuffisante. C'est notre cheval de bataille avec plus de 100 recensions d'articles scientifiques sur la restauration physique ou sur les ouvrages hydrauliques (nous reviendrons dans le détail sur le désaccord entre le CGEDD et Hydrauxois à propos de Van Looy et al 2015, point assez mineur au demeurant). Mais là encore, nous serons très vigilants dans la mise en oeuvre : il est notoire que les chercheurs en écologie ne développent pas tous les mêmes paradigmes scientifiques, que les travaux publiés ont des robustesses très variables dans leur méthodologie, leurs outils statistiques et l'évaluation de leurs incertitudes, qu'une bonne part de la littérature est "grise" donc à fiabilité assez faible, etc. Nous sommes très favorables à une expertise scientifique collective, que nous avons demandée aux agences de l'eau (le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC a décliné), mais à condition qu'elle soit faite dans des conditions comparables à ce que pratiquent dans d'autres domaines le monde de la recherche et les établissements scientifiques (Inserm, CNRS, etc.). Ainsi par exemple, le travail récent mené par l'Agence de l'eau RMC (cité par le CGEDD) ne répond pas du tout à ce cahier des charges : nous avons montré que la littérature scientifique disponible sur l'impact des ouvrages est loin d'y être analysée en totalité, voire d'y être correctement interprétée pour certains résultats (cf cette recension). Produire de tels travaux incomplets ou imprécis ne restaure pas la confiance, mais suggère qu'il existe toujours un biais de lecture où l'on préfère minimiser voire évacuer des résultats scientifiques qui ne coïncident pas avec la doxa administrative. Par ailleurs, puisque l'essentiel de la continuité longitudinale (comme de sa contestation) concerne des petits ouvrages et non des grands barrages, c'est sur cette dimension que doivent se concentrer la veille et l'analyse scientifiques, sauf à répondre encore à coté de la question et ne pas éclairer le décideur sur la réalité des enjeux (voir cet exemple sur les retenues, où l'on évoque des barrages de 15 à 195 m sans pertinence réelle pour comprendre l'effet des étangs, moulins ou retenues majoritaires de plus petites dimensions).

7. Constituer au niveau départemental un groupe de travail au sein de la CDNPS, instance de médiation, de validation et d'arbitrage du volet patrimonial, pour suivre le processus de mise en conformité des "moulins patrimoniaux".

Même réserve que pour la proposition n°2.

8. Demander à la DEB, au titre de la politique de l'eau, d'organiser un pilotage intra et interministériel du programme de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, dont le champ se verra élargi, en renforçant la coordination avec la DGEC (hydroélectricité), la DHUP (sites et paysages), la DGPR (risques naturels) et la DGITM (cours d'eau navigables) au sein du MEEM et en la développant avec la DGPAT (architecture et patrimoine) du ministère de la culture et de la communication (MCC).

Entièrement d'accord avec ce pilotage élargi, qui reflète la diversité des dimensions de la rivière et de ses ouvrages.

9. Actualiser les instructions aux préfets sous la forme d'une circulaire interministérielle tenant compte d'un élargissement du champ de la politique de restauration de la continuité écologique.
Sans attendre, préciser les modalités de mise en œuvre du nouveau délai de cinq ans prévu par la loi sur la biodiversité, en abordant en outre les modalités de contrôle et les suites à donner aux situations non conformes et en insistant sur le contrôle des obligations d'entretien des ouvrages.

Nous attendons de lire la circulaire en question. Après 10 ans de dérive, il va sans dire que l'on est sceptique sur la capacité de la direction de l'eau et de la biodiversité à modifier ses vues et à interpréter de bonne foi la volonté manifeste des parlementaires de protéger désormais les moulins. Mais nous ne demandons qu'à être contredit !

10. Adapter et faire converger les règles de financement des agences de l'eau en matière de restauration de la continuité écologique des cours d'eau.

En ce domaine, le rapport CGEDD insiste insuffisamment sur le problème n°1, l'insolvabilité de la réforme par les charges exorbitantes pesant sur des particuliers ou petits exploitants (dizaines à centaines de milliers d'euros pour chaque chantier, ce qu'aucune loi n'a jamais demandé à une classe de citoyens!). Nous refusons totalement la prime actuelle à 100% de financement pour l'effacement des ouvrages, choix idéologique (et de notre point de vue contraire au texte comme à l'esprit de la loi de continuité). Poser a priori un régime financier incitatif vers les solutions les plus radicales, c'est avancer des positions dogmatiques selon lesquelles un effacement serait toujours bon pour la biodiversité (ce qui n'est pas démontré au-delà des seuls migrateurs et ce qui est manifestement faux sur certains sites), sans compter l'indifférence totale aux dimensions non-écologiques dont le CGEDD lui-même rappelle l'importance. Cette posture est totalement incompatible avec la prétention à faire du "cas par cas" (puisqu'on décide à l'avance que la destruction est préférable), donc elle ruine la crédibilité de la parole publique et la possibilité même d'une concertation. Nous appelons d'ores et déjà les associations à saisir tous les élus des comités de bassin pour que le 11e programme 2019-2024 des Agences de l'eau abolisse une fois pour toutes cette clause scélérate de la prime à la casse, qui est un casus belli symbolique pour les moulins, mais surtout l'expression manifeste d'un parti-pris indigne d'une politique publique de la rivière et incompatible avec une réussite de la continuité.

11. Étudier un élargissement de l'action de labellisation de la Fondation du patrimoine permettant aux propriétaires de moulins reconnus comme patrimoniaux de bénéficier de déductions fiscales pour les travaux de restauration de la continuité écologique, assorties d'une ouverture au public.

Nous sommes favorables à cette proposition, même réserve que les points 2 et 7.

12. À l'occasion du prochain renouvellement des comités de bassin (2020), assurer une représentation des associations de valorisation des moulins au sein du collège des usagers non économiques de l'eau.

Nous sommes bien sûr favorables à cette proposition, voir le point 5.

13. Dans la perspective de la troisième génération de schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) pour 2022-2027, réfléchir dès à présent à une prise en compte accrue des patrimoines liés à l'eau dans leurs orientations.
Établir une note méthodologique pour les services traitant de l'articulation entre la Directive cadre sur l'eau, la Directive européenne sur les énergies renouvelables et la Convention européenne sur les paysages.
Expertiser et, si nécessaire, faire évoluer la portée des SAGE en termes patrimonial et énergétique.

Nous sommes favorables à cette proposition.

14. Mettre à l'étude, dans le cadre de la préparation des XIes programmes d'intervention des agences de l'eau, une modification de la redevance "obstacle" comme levier supplémentaire de la politique de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, afin de rendre cette redevance plus incitative et plus juste en répartissant mieux les efforts.

Il s'agit d'étendre la redevance obstacle (perçue aujourd'hui pour les ouvrages de plus de 5 m) à tous les ouvrages de plus de 1 m. Nous avons plusieurs réserves sur le principe : pourquoi lever une taxe alors que désormais, les agences et les syndicats refusent le plus souvent de cofinancer les travaux d'entretien des ouvrages et vannages (ce qu'ils faisaient encore jusque dans les années 1990), donc que le propriétaire en assume seul le coût d'entretien? Pourquoi les propriétaires devraient payer une taxe sur les ouvrages dont le revenu fiscal sert à détruire d'autres ouvrages, finalité que nous dénonçons fermement comme contraire à l'intérêt général? Combien coûtera la collecte de cette taxe, vu le nombre d'ouvrages, et sera-t-elle seulement à bilan positif vu les équivalents temps-plein nécessaires? La condition préalable de discussion de cette évolution fiscale paraît que l'Etat s'engage formellement à respecter les ouvrages au lieu de les détruire, tout en considérant que l'aide publique à leur entretien participera à l'avenir d'une bonne gestion de la rivière. Mais globalement, il faut mener une réflexion critique et chiffrée sur les effets pervers du régime taxe-subvention, qui a montré en de nombreux domaines son inefficacité (et qui a abouti si souvent au détournement progressif de sa finalité d'origine). Au regard des résultats médiocres de la politique française sur la qualité écologique et chimique de l'eau, malgré plus de 2 milliards d'euros dépensés chaque année par les Agences de bassin, nous sommes davantage en situation d'exiger l'évaluation par la Cour des comptes de l'efficacité de la dépense publique sur les rivières qu'à signer un blanc-seing à l'expansion de la fiscalité qui la nourrit…

15. Instaurer une procédure de déchéance des droits fondés en titre qui ne seraient pas utilisés à compter d'un certain délai, par exemple le second délai de cinq ans après publication des classements des cours d'eau, et rendre ces droits non transmissibles.

Nous sommes en absolue opposition avec cette mesure, et nous saisirons l'ensemble des élus pour repousser toute évolution législative en ce sens. D'abord, le CGEDD reconnait in fine que l'intérêt des moulins ne se limite plus aujourd'hui à l'énergie comme jadis, donc le droit d'eau s'est trouvé investi d'autres significations avec le temps (il est le droit de conserver une certaine consistance légale des écoulements attachés au génie civil hydraulique d'un bien, que ces écoulements servent pour l'énergie, mais aussi pour l'agrément, le patrimoine, le paysage, les usages, etc.). Au-delà des moulins, étangs, piscicultures et ouvrages d'irrigation dépendent parfois de ce régime. Ensuite et surtout, s'il n'y avait pas eu la protection juridique des droits d'eau fondés en titre ou sur titre, rien n'aurait pu s'opposer efficacement à la politique arbitraire et brutale de destruction des ouvrages par l'Etat. Car une chose est claire à la suite de la séquence 2006-2017 dont le CGEDD fait le bilan : des fonctionnaires centraux ou territoriaux sont prêts à appuyer froidement sur des boutons pour harceler les maîtres d'ouvrage, détruire leurs propriétés et faire disparaître le patrimoine hydraulique de nos rivières. Il faudra davantage qu'un rapport pour apaiser la défiance et la colère des propriétaires et riverains, et la violence institutionnelle de l'Etat n'incite en rien à abandonner la seule vraie protection juridique dont bénéficient leurs ouvrages. Nous utiliserons donc tous les moyens à notre disposition pour conserver le droit à l'existence des moulins comme garantie ultime face aux dérives administratives.

Conclusion : et maintenant ?
Constatant que sur les 11 recommandations de son premier rapport en 2012, neuf n'ont pas été réellement suivies d'effets (voir notre article à ce sujet), le CGEDD déplore cette inertie de l'Etat et observe : "Il est regrettable que quatre années aient ainsi été perdues, ce qui, à n'en pas douter, a contribué à aggraver ces difficultés".

On ne saurait mieux dire. Non seulement 4 années ont été perdues, mais dans leurs interventions les plus récentes, les hauts fonctionnaires du Ministère continuent d'appeler à la destruction sans discernement des retenues (voir cet article), signe que le même aveuglement dogmatique perdure au sein de la tutelle administrative, en totale indifférence aux oppositions que suscite cette politique sur le terrain.

Du même coup, on s'inquiète évidement du destin de ce nouveau rapport, publié par le ministère de l'Ecologie en pleine période de transition politique. Est-ce à dire qu'une fois de plus, les autorités administratives en charge de l'eau choisiront les seules recommandations qui les avantagent, se gardant bien de mettre en oeuvre celles qui dérangent leur routine ou déplaisent à leurs convictions? Que le travail du CGEDD sera pour l'essentiel enfermé dans un tiroir, afin de persister dans la confrontation avec les ouvrages, d'opposer encore et toujours aux riverains le dogme si peu partagé de la renaturation des rivières, de privilégier outrageusement les positions de quelques lobbies de la casse?

La réponse à ces questions tiendra notamment dans la capacité des représentants des moulins, riverains, étangs, forestiers, hydro-électriciens, protecteurs du patrimoine et du paysage à saisir leurs élus pour leur faire partager les principaux constats du CGEDD et pour aller plus avant dans l'adaptation nécessaire de la continuité écologique aux réalités de terrain.

Les plus importantes réformes sont devant nous : restons unis, fermes et solidaires!

01/02/2017

Journée des zones humides

Biefs, canaux, rigoles des déversoirs et déchargeoirs, retenues, étangs... les ouvrages en rivière créent des plans d'eau et des annexes hydrauliques qui forment autant de singularités. Ils alimentent souvent des espaces humides attenants, par des rehausses de nappe, des débordements ou des fuites. A leurs abords, la végétation prospère. Au fil des saisons, on y observe toute une faune d'oiseaux, insectes, amphibiens, mammifères... En sécheresse ou en crue, des poissons y trouvent refuge. Chaque ouvrage est différent, chaque ouvrage mérite un examen attentif. L'inventaire de cette biodiversité reste à faire, car elle est aujourd'hui négligée – voire niée – par les gestionnaires de l'eau. Nous invitons les propriétaires de ces ouvrages à se coordonner, à relever et photographier la faune et la flore de leur bien, à nous communiquer leurs observations. 

16/01/2017

Etangs de Marrault: quand le patrimoine historique enrichit la biodiversité

Les étangs de Marrault, non loin d'Avallon, sont aujourd'hui gérés par une association de pêche en réserve de deuxième catégorie piscicole. Créés à des fins alimentaires sous l'Ancien Régime, les plans d'eau fragmentent un petit affluent du Cousin et sont donc défavorables à la truite fario, espèce élective des cours d'eau de la tête de bassin morvandelle. Et pourtant, les étangs sont classés en ZNIEFF (zone nationale d'intérêt écologique, faunistique et floristique) en raison de leur biodiversité. Le patrimoine hydraulique produit aussi des habitats accueillants pour le vivant. 

Les étangs de Marrault, vue aérienne actuelle et carte d'état-major du XIXe siècle (IGN)

La commune de Magny, à laquelle Marrault est rattaché, est citée dès 864 (Magniacus). Marrault est à l'origine un domaine rural formé aux dépens de la forêt, sans doute par un nommé Marrault, nom ancien et commun dans l'Avallonnais. Le lieudit est cité dès 1275 (Marraulx à cette époque, Marraux en 1335 et Marrault en 1521, parfois Mareau plus tard, comme sur la carte d'état-major du XIXe siècle ci-dessus). Les Jaucourt de Villarnoux bâtissent un château-fort sur un rocher dominant le vallon, ouvrage cité en 1372. Le château est attaqué six fois et pris quatre fois pendant la guerre de Cent-Ans. Il est ruiné par Louis XI en 1478, hors le donjon qui sera démoli en 1782. Le château actuel a été bâti par de Ganay, 1720.

Au XVIIIe siècle, brochets, tanches et perches aux marchés de la région
Concernant les étangs, l'Abbé Alexandre Parat note dans la région de Marrault : "étang de la côte des Granges, étang des Chicard, étang du Château servant au moulin du Gros-Fort; quatre petits étangs sur le ru de la Lie, dit des Fiottes, pour l'alevin. Tous disparus, restent deux grands étangs récents, dits de Marrault, qui seraient du XVIIe siècle, élevage du poisson, jadis fournissaient des sangsues." (in Nouveau répertoire archéologique de l'Avallonnais, Bulletin de la société des sciences historique et naturelle de l'Yonne, 1920, 74, 126). Le fait est que l'examen des cartes d'Ancien Régime montre une multitude de mares et étangs dans les vallées du Morvan, chaque rû ou presque nourrissant sa succession de plans d'eau (à fin piscicole souvent, parfois aussi pour le flottage du bois).

Le même Abbé Parat rappelle l'importance des étangs piscicoles dans les sociétés anciennes: "A l'existence des étangs se rattache la question de l'alimentation par le poisson au temps passé. On constate par mille traits des archives quelle grande place tenait le poisson dans la nourriture du peuple, et quel profit le commerce en retirait. Alors que le carême se faisait sévère pour l'abstinence de la viande et que les jours maigres, comme on disait, étaient nombreux dans le courant de l'année, le poisson devenait une des principales ressources pour l'artisan comme pour le bourgeois. (…) Deux échevins (1724) assistent à la pêche de l'étang de Marrault, afin de 'voir et examiner la qualité du poisson, en faire un essai, compter le nombre des brochets, tanches et perches qui se sont trouvés dans le dit étang, afin de pouvoir donner aux bouchers un taux proportionné à la dite qualité du poisson'. On voit en 1704 et 1725 que la marchandise est taxée avant l'achat : 'Carpe ovée (avec des oeufs) 6 sous la livre, laitée (avec du lait) 7 sous, la tanche 7 sous, le brochet ové 9 sous, laite 10 sous, de une livre à quatre livres.' Une fois, les bouchers refusent de vendre à ce prix, et un homme de Saulieu s'oblige à fournir tout le poisson nécessaire jusqu'à Pâques au prix fixé.Les produits de ces nombreux étangs se vendaient frais et même salés, comme il en est fait mention pour les marchés d'Avallon et de Montréal où 'le poisson d'eau douce salé et non salé' était offert. Sans être raisonnée comme aujourd'hui, la pisciculture était suffisamment pratiquée pour le but à atteindre." (in Notices archéologiques villageoises de l'Avallonnais, Bulletin de la Société d'études d'Avallon, 1919, 76).

Les digues des étangs de Marrault (étang du haut), le moulin en pied de l'étang du bas.

Des étangs classés en raison de leur intérêt pour la biodiversité
S'ils ont perdu leur vocation alimentaire, les étangs de Marrault et leurs abords sont aujourd'hui classés en zone nationale d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF continentale de type 1, identifiant 260014889). Voici ce que dit la fiche du Museum à ce sujet :

"Ce site est d'intérêt régional pour ses zones humides, avec leur faune et leur flore. L'étang de Marrault et l'étang du Haut sont des étangs de pêche au niveau d'eau faiblement variable. Il présentent des berges marécageuses, elles-mêmes en contact avec des prairies et des bois humides. Au niveau des étangs, des boisements, des prairies et des cours d'eau, une grande diversité d'habitats a été observée :
- herbiers aquatiques des cours d'eau, d'intérêt européen,
- divers herbiers aquatiques des plans d'eau, d'intérêt régional à européen,
- végétations amphibies vivaces des grèves sableuses exondées, d'intérêt européen,
- ourlets humides à hautes herbes, d'intérêt européen,
- prairies de fauche à Fromental (Arrhenatherum elatius), d'intérêt européen,
- prairies paratourbeuses, localisées en amont de l'étang du Haut, d'intérêt européen,
- végétations amphibies annuelles à bidents (Bidens sp.) des vases exondées, d'intérêt régional,
- végétations amphibies des berges de cours d'eau, d'intérêt régional,
- sources d'eau acides, d'intérêt régional,
- caricaies à Laîche vésiculeuse (Carex vesicaria), d'intérêt régional,
- prairies humides Jonc acutiflore (Juncus acutiflorus), d'intérêt régional,
- chênaies-frênaies sur terrains argileux humides, d'intérêt régional,
- différents types de roselières,
- saulaies marécageuses à Saule cendré (Salix cinerea).

Ces différents milieux abritent les espèces déterminantes pour l'inventaire ZNIEFF suivantes :
- nénuphar blanc (Nymphea alba),
- bident radié (Bidens radiata),
- pâturin de chaix (Poa chaixii).

D'autres espèces déterminantes pour l'inventaire ZNIEFF, observées avant 1991, mériteraient d'être recherchées sur le site : utriculaire citrine (Utricularia australis), littorelle à une fleur (Littorella uniflora) et pavot du pays de Galle (Meconopsis cambrica). La guifette noire (Chlidonias niger), oiseau inféodé aux milieux d'eau douce et migrateur rare en Bourgogne, a été observé ponctuellement sur ce site.

Des mares prairiales bocagères, présentes en périphérie des étangs, accueillent également la Rainette verte (Hyla arborea). Cet amphibien est en régression dans plusieurs régions de Bourgogne du fait de la conversion des prairies en cultures, ainsi que de la destruction des mares et autres zones humides."

Guifette noire (Andrej Chudý, CC BY-SA 2.0)

Dans les mammifères, on note également le campagnol amphibie (Arvicola sapidus) et le putois d'Europe (Mustela putorius). Pour les oiseaux la grande aigrette (Ardea alba), le martin-pêcheur (Alcedo atthis) ou encore la huppe fasciée (Upupa epops) peuplent les rives des plans d'eau. Et cet inventaire est loin d'être complet ! Les promeneurs observent par exemple, lors des chaudes soirées estivales, un ballet incessant de nombreux Chiroptères se régalant des insectes de chaque retenue.

Sortir des idées reçues sur les continuités et discontinuités écologiques
Les étangs de Marrault sont créés par des digues qui barrent un modeste cours d'eau typique de la tête de bassin morvandelle. Ce rû naît près de Charmolin (où il alimente déjà un petit étang), passe au moulin Jaillard (qui menace ruine), prend les noms de ruisseau des Prés du Meix, ruisseau des Etangs, et enfin ruisseau de la Forêt (avant sa confluence avec la rivière Cousin).

On peut voir dans les photographies ci-dessous le profil naturel d'écoulement de ces ruisseaux, assez typique du Morvan : rives boisées et faible lumière, pente prononcée, lit étroit, alternance de petits plats, de radiers et de seuils formant des cascades, eau vive et froide. C'est un habitat à truites et espèces d'accompagnement au plan icthyologique.

Le ruisseau de la forêt entre Marrault et la confluence avec le Cousin. 

Si l'on devait en croire la doxa actuelle de la continuité écologique, les retenues d'eau (comme les étangs de Marrault) sur des cours lotiques de tête de bassin n'auraient que des effets négatifs: fragmentation et banalisation des habitats, réchauffement de l'eau, isolement génétique, infranchissabilité piscicole et sédimetaire, etc. Il faudrait revenir au "niveau typologique théorique" (voir cette critique) de chaque écoulement, cette "renaturation" étant posée comme le sens véritable de la biodiversité ou de "l'intégrité biotique" des milieux aquatiques.

Les étangs de Marrault racontent une toute autre histoire. Certes, ils sont incontestablement défavorables à l'optimum de la truite fario, dont les habitats sont fragmentés et dont l'eau est réchauffée. Mais pour autant, ce patrimoine hydraulique abrite une importante biodiversité acquise au fil du temps, une biodiversité probablement plus importante que ne le serait celle de la rivière laissée à son écoulement naturel (un petit ruisseau en tête de bassin oligotrophe est assez pauvre en vivant, même s'il héberge des espèces spécialisées en eaux froides). Le débat s'impose donc pour les aménagements d'autres rivières de la région. La Fédération de pêche de l'Yonne et le Parc du Morvan ont par exemple annoncé la destruction de l'étang de Bussières sur la Romanée, alors que ce plan d'eau possède des zones humides d'intérêt et n'a pas fait l'objet d'un inventaire complet de biodiversité à notre connaissance. Ce projet risque de conduire à un appauvrissement local de la diversité du vivant au bénéfice d'un objectif centré sur quelques espèces pisciaires déjà présentes dans le bassin du Cousin (voir cet article), ce qui pose la question des finalités réelles de nos actions écologiques en rivière.

Sortons un peu des oeillères de la continuité, de la "renaturation" et de la "rivière sauvage" qui désignent l'ouvrage hydraulique comme ennemi du vivant, tout en ignorant la valeur patrimoniale et paysagère de nos héritages historiques. Avant de faire disparaître des plans d'eau présents depuis plusieurs siècles au nom d'une mode très récente, la prudence, la concertation, l'examen attentif des réalités biologiques et des valeurs patrimoniales de chaque site s'imposent.