21/04/2017

Limites et problèmes de la continuité écologique, ce que dit le CGEDD, ce que nous attendons

Nous terminons par cet article notre cycle de recensions du rapport du CGEDD sur la continuité écologique, en publiant l'extrait où les auditeurs expriment leur jugement de synthèse après avoir observé les arguments favorables et défavorables à cette réforme. Ce jugement du CGEDD est critique, et confirme notre diagnostic. Certains aimeraient sans doute enfermer désormais le rapport dans un tiroir, publier quelques déclarations apaisantes ou engager quelques évolutions cosmétiques, persister surtout dans les pratiques actuelles visant à casser le maximum d'ouvrages et à ne financer correctement que cette issue. Mais les associations de riverains, propriétaires et protecteurs du patrimoine n'en resteront pas là. Dans les actions des mois à venir, nous proposerons un courrier aux agences de l'eau formalisant la demande de changement de priorité des financements et, surtout, un courrier aux députés et sénateurs pour pointer les problèmes et exprimer nos souhaits d'évolution de la loi. D'ici là, propriétaires et riverains d'ouvrages en rivières classées liste 2 doivent faire reconnaître par leur DDT(-M) le délai de 5 ans supplémentaires et vérifier la prise en compte des évolutions récentes de la loi, demander des solutions non destructrices publiquement financées comme condition d'engagement dans les travaux, exiger des diagnostics complets de biodiversité et des analyses coûts-avantages de la continuité sur l'ensemble de la rivière, au lieu d'agir comme aujourd'hui sans engagement clair sur des gains écologiques proportionnés aux dépenses et aux nuisances. 


Après avoir présenté les points de vue des différents acteurs sur la continuité écologique, les rédacteurs du rapport du CGEDD expriment leurs propres réflexions sur les difficultés de mise en oeuvre de cette réforme. Nous les reproduisons ci-dessous. Ce jugement conforte certaines critiques que nous portons depuis le classement des rivières de 2012-2013, à savoir :

  • un coût élevé,
  • un trop grand nombre d'ouvrages classés,
  • un délai non réaliste,
  • un manque de concertation et de représentation des propriétaires et riverains,
  • une incohérence dans la mise en oeuvre, avec des grands ouvrages épargnés mais des modestes seuils harcelés,
  • une incompatibilité entre l'imposition verticale, autoritaire de la continuité écologique par l'administration et la nécessité d'un dialogue environnemental ouvert mené au niveau territorial (le bassin versant de chaque rivière).

Le message qu'il faut désormais envoyer aux élus – au premier rang desquels sénateurs et députés – est donc clair : les lois de 2006 (LEMA), 2009 (Grenelle 1) et 2016 (biodiversité) ont mal encadré la continuité écologique, elles ont laissé des ambiguïtés d'interprétation ayant conduit à des dérives administratives désormais caractérisées, elles provoquent des conflits récurrents au bord des rivières et continueront de le faire tant qu'une remise à plat complète ne sera pas engagée.

Quatre modifications législatives ont certes été apportées en 2016 et 2017 (prise en compte du patrimoine classé, protégé ou inscrit en PLU ; accord d'un délai de 5 ans supplémentaires ; intégration du stockage d'eau pour les usages locaux dans la gestion équilibrée et durable ; exemption de continuité pour les moulins en liste 2 que l'on équipe en hydro-électricité). Mais :

  • ces réformes ne sont toujours pas réalistes, par exemple le délai de 5 ans ne permettra de traiter que quelques milliers d'ouvrages alors que 17.000 sont orphelins de solution,
  • ces réformes sont peu lisibles, par exemple l'exemption des moulins producteurs rend encore plus incompréhensible la persistance d'une obligation de franchissement piscicole pour des moulins non-producteurs et le sens même de la continuité,
  • ces réformes restent aveugles sur le problème n°1, le refus majoritaire par les agences de l'eau de prendre en charge (en dehors de la destruction) les coûts exorbitants des chantiers de mise en conformité, qui excèdent la capacité des particuliers, petits exploitants ou petites collectivités,
  • ces réformes restent muettes sur la reconstruction du dialogue environnemental, la continuité écologique ayant été mise en oeuvre par voie descendante, opaque et autoritaire, au mépris de l'avis des riverains qui sont consultés au dernier moment et n'ont aucune alternative réelle face à la contrainte réglementaire et financière.

En juin prochain, après les élections législatives, nous proposerons aux associations un courrier-type à l'adresse des députés et sénateurs. Il permettra de pointer et démontrer la réalité de ces problèmes, mais aussi d'exprimer nos souhaits d'évolution de la loi. Nous le ferons comme d'habitude en toute transparence sur nos intentions et nos analyses, contrairement au jeu de couloir des lobbies et administrations ayant tenté d'imposer cette réforme décriée par des élaborations au sein de petits comités partageant les mêmes convictions ou par des assertions écologiques aux élus non débattues sur la rigueur de leurs conclusions et l'urgence relative de leur mise en oeuvre.

Notre objectif n'est pas du tout de faire disparaître la continuité longitudinale comme dimension de gestion du lit mineur, mais bien de clarifier son périmètre, sa méthode, sa pertinence et sa faisabilité, de la redimensionner par rapport aux autres enjeux de bassin versant qui intéressent l'ensemble des riverains. Nous voulons pour cela un débat démocratique clair, ouvert et argumenté sur l'avenir de nos rivières, sur la place de l'écologie par rapport aux autres dimensions de la gestion durable des cours d'eau, sur l'avancement réel de nos engagements européens concernant la qualité de l'eau et des milieux, sur la manière dont les priorités d'action sont scientifiquement établies et démocratiquement débattues.


Les problèmes pointés par le CGEDD qui appellent des solutions rapides

3.8. Les moulins et la restauration de la continuité écologique : une "épine dans le pied" des politiques de l'eau et du développement durable
Au regard du sujet traité, la mission se permet quelques réflexions ou interrogations sur l'ambition et les difficultés de la politique actuelle qui rejaillissent sur son acceptabilité par les propriétaires des moulins :

3.8.1. Des objectifs ambitieux mais des coûts élevés et des délais peu réalistes
Même si les réalisations et les études connaissent une forte augmentation depuis 2013 (voir point 2.2), les délais de 5 ans ne seront pas tenus et ne sont pas tenables au regard du temps nécessaire depuis les études jusqu'aux travaux, des difficultés de terrain, des moyens des services et de la faible adhésion à cette politique pendant sa période incitative.
Cette impossibilité manifeste compte tenu du nombre d'opérations avec des délais aussi contraints fragilise la crédibilité de l'État. Cette situation se répète puisque les délais de 5 ans qui préexistaient dans les classements au titre de l'ancien article L 432-6 du code de l'environnement ou des rivières réservées, n'avaient pas non plus été respectés, malgré des progrès globalement constatés au profit de la continuité.

La révision du classement des cours d'eau de 2012-2013 (voir point 2.3.1) a elle-même été très ambitieuse, se montrant aussi hétérogène selon les départements et les bassins, tant en linéaire que par rapport à la liste d'espèces-cibles pour chaque tronçon classé77. Elle semble aussi irréaliste, pour ne pas dire illusoire, aux yeux de nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission, y compris parmi les techniciens des collectivités et services de l'État, tant vis-à-vis des espèces visées que des délais de mise en œuvre.

La fixation de délais plus espacés, avec un phasage dans la mise en œuvre et des objectifs intermédiaires, aurait sans doute rencontré une meilleure adhésion.

Tel n'a pas été le cas. Sauf à le réviser à la baisse, c'est le classement publié qui fixe officiellement le niveau des exigences avec un caractère exhaustif. Pourtant, la mission a eu connaissance, dans un bassin au moins, d'une instruction du préfet de bassin sur proposition du secrétariat technique de bassin (DREAL, agence de l'eau, ONEMA), invitant les services à concentrer leurs efforts sur une liste de 55 cours d'eau ou tronçons de cours d'eau au sein de la liste 2, avec localisation des ouvrages prioritaires79, en deçà donc du classement officiel du bassin.

3.8.2. Le manque d'association des bénéficiaires
Malgré le caractère réglementaire du programme qui va en se renforçant à l'approche de l'échéance des cinq ans, les propriétaires ou exploitants demeurent les décideurs des aménagements à apporter à leurs ouvrages. Ils en sont les maîtres d'ouvrage même si la maîtrise d'ouvrage est ensuite, par défaut, souvent assurée par une collectivité. Ils vont en tout cas en supporter les contraintes d'entretien et seront aussi, en tant que riverains, bénéficiaires des améliorations apportées à la rivière.

Dans ces conditions il apparaît paradoxal que ces propriétaires continuent à ne pas être représentés dans les instances de bassin autrement que par le représentant de la microélectricité au sein du collège des usagers. Dès lors que ce sont les comités de bassins qui confèrent sa légitimité à cette politique (voir point 1.1.3), il serait normal et opportun, dans un objectif d'appropriation et de responsabilisation, sinon a minima de concertation, qu'ils puissent y être représentés par leurs associations.

A la création des comités de bassin, la participation des riverains à ces instances qui privilégie une représentation par catégories d'usages, ne semblait sans doute pas nécessaire et leur absence pouvait ne pas poser de difficultés. Aujourd'hui et malgré les contraintes d'équilibre qui s'imposent entre les collèges, il n'en va plus de même : cette absence présente plus d'inconvénients que d'avantages, dans la mesure où une contribution importante et active à ce programme leur est demandée. Pour d'autres mesures de la politique de l'eau en effet, les catégories d'acteurs auxquels il est demandé un effort y sont en général représentées.

Ce manque d'association, qui se traduit par des relations difficiles, contraste singulièrement avec la culture du dialogue et du partenariat qui caractérise la mise en œuvre de la politique de l'eau, dans ses autres volets, par les agences de l'eau.

3.8.3. Une cohérence mise à mal par des contre-exemples récents
De nombreux interlocuteurs, appartenant à toutes les catégories d'acteurs rencontrés par la mission sans exception, ont fait état de leur ressenti d'une perte de cohérence de cette politique, dès lors que, sur un même axe de cours d'eau, la continuité écologique est exigée pour les petits obstacles alors que les travaux de mise en conformité sur les plus gros sont, le cas échéant :
• non demandés du fait que le classement des cours d'eau les a "épargnés",
• reportés pour des raisons d'oppositions locales ou de difficultés financières des maîtres d'ouvrages, qui sont généralement des entreprises ou des structures publiques (dont EDF, VNF,...).

Cette absence d'exemplarité de l'État pose aussi la question du juste équilibre dans les contributions demandées aux différents acteurs de cette politique. Elle contribue au développement d'un sentiment d'injustice parmi les propriétaires de moulins.

3.8.4. La difficulté à articuler une politique thématique très cadrée avec un niveau territorial qui peine à se l'approprier
La mise en œuvre de cette politique se heurte sur le terrain à une difficulté notable : celle d'articuler une approche thématique nationale, verticale, descendante et très normée, avec une approche territoriale de la gestion de l'eau, plus globale et intégrée, fondée sur une vision partagée des objectifs, que par ailleurs la politique de l'eau s'attache à promouvoir et à développer depuis la loi sur l'eau de 1992. Les pas de temps des deux processus (très court pour le premier et beaucoup plus long pour le second), leur mode de pilotage et les méthodes de mise en œuvre, sont différents et pas toujours conciliables.
Cette délicate rencontre entre cette politique qui en outre se coordonne difficilement avec d'autres, et des politiques territoriales, est une source importante de difficultés.

Illustrations : en haut, usine hydro-électrique à Commissey ; en bas, destruction d'ouvrage à Nod-sur-Seine.

7 commentaires:

  1. 3.8.2 Le manque d’association des bénéficiaires
    1) "bénéficiaires"; quelle est la nature réelle du prétendu 'bénéfice" : monétaire, environnemental ? Quelle est la valeur de ce "bénéfice" ?
    2) maîtrise d’ouvrage ; par quelle pirouette juridique une collectivité ferait le bonheur malgré lui et "par défaut" d’un maître d’ouvrage qui n’en est pas un s’il n’a pas présenté de projet ? Le "par défaut" est un raccourci présomptueux, manichéen et illégal.
    3) "les améliorations apportées à la rivière"… Lesquelles ?
    L’usage du terme "bénéficiaire" semble aussi usurpé que partial et en tout cas inapproprié sans définition préalable du prétendu "bénéfice".

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    1. Il faut entendre "bénéficiaire d'une aide publique pour détruire sa propriété, son droit d'eau et une part de sa valeur foncière" (effacement) ou "bénéficiaire d'une aide publique pour installer un dispositif de franchissement créant une servitude permanente et transmissible de surveillance et d'entretien". Donc en effet, la notion de "bénéfice" est assez relative, raison pour laquelle il y a tant de blocages... Mais cela reste un rapport du CGEDD, donc interne à une administration dont les hauts fonctionnaires ont traditionnellement un peu de mal à voir la vie comme la voient les gens.

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    2. Un propriétaire d'ouvrage a de fait une servitude permanente et transmissible de surveillance et d'entretien. Vous faites toujours la promotion d'une gestion des vannes plutôt qu'un effacement mais le fait est que les propriétaires de moulins oublient qu'ils ont des devoirs. Et c'est bien parce que beaucoup d'ouvrages sont abandonnés et non gérés que les droits liés à ces ouvrages doivent êtres abrogés. Cela s'appelle la déshérence.

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    3. Il existe certains ouvrages non gérés, oui. C'est bien dommage, et ils sont rarement adhérents des assos de moulin. Nous rappelons pour notre part à nos adhérents propriétaires leurs devoirs d'entretien et gestion des ouvrages hydrauliques. Et lorsque la police de l'eau relève un problème, nous n'avons généralement pas de souci à convenir du diagnostic et des solutions. Mais cela c'est la police de l'eau, une fonction régalienne, et pas certains "vigilants" estimant que tel ou tel ouvrage ne respecte pas son règlement d'eau... sans même avoir pris connaissance dudit réglement! Sur les ouvrages fixes les plus anciens et fondés en titre, par exemple, il n'y a pas grand chose à gérer en réalité, l'ouvrage est autorisé en l'état (même si la chaussée est vétuste, en partie ébréchée, etc.) Le droit d'eau comme droit réel immobilier n'est pas fondé sur un usage effectif ni un entretien permanent, mais sur une potentialité d'usage attachée à certains biens. Ce qui fait souvent la valeur de ces biens et ce qui devrait donner lieu à dédommagement quand on efface (petit détail si souvent oublié...)

      A notre connaissance, la "deshérence" ne correspond qu'à des cas précis, à savoir des chaussées, vannes ou barrages sans maître d'ouvrage connu. En ce cas, la solution choisie peut être l'abrogation du droit d'eau et la remise en état, sauf si cela pose problème (déjà observé: risque trop important de dégradation du bâti riverain, risque d'assèchement d'une zone humide).

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    4. Ces ouvrages sont tout de même très nombreux et le droit fondé ne dispense pas d'être en conformité vis à vis des réglementations actuelles ! (ex : DMB). Que ce passe il le jour ou un propriétaire de moulin non entretenu et non géré dont les héritiers qui habitent à Paris ou autre... vient à partir? ... Nous avons le cas un peut partout. Pour les autres ouvrages actuellement correctement gérés, que ce passe il aussi si demain le proprio vient à partir? Les vannes ne seront plus ouvertes aux bonnes périodes pour garantir la continuité. Les solutions que vous préconisez sont des astreintes beaucoup trop importantes qui ne peuvent êtres garanties dans le futur. Ces moulin doivent êtres correctement aménagés pour permettre une conformité sans astreinte. Il en est de même pour les passes à poissons qui se bouchent ou qui sont mystérieusement équipées de rehausse en entrée...

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    5. Certains syndicats ont des conventions de gestion des ouvrages par des DIG, certaines communes ont des accords avec les propriétaires. Cela peut s'imaginer pour la suite, il suffirait que la compétence gestion d'ouvrage entre dans la Gemapi et qu'on réfléchisse à un système de participation financière des propriétaires n'habitant pas sur leurs sites si l'entretien des passes à poissons pose un problème.

      Rappel : ce n'est pas nous qui préconisons ces mesures de franchissement au départ, mais les déclarations et plaquettes des Agences, de l'ex-Onema, du Ministère rappelant à qui veut l'entendre que "l'effacement n'est pas la seule solution" et indiquant les options alternatives (passes techniques, passes rustiques, contournement, ouverture de vannes). Nous pensons tout comme vous que proposer 20.000 ouvrages à aménager (ou effacer) en si peu de temps est une folie, mieux vaut déjà tester des solutions sur quelques milliers de sites en rivières réellement prioritaires pour des grands migrateurs menacés, puis examiner comment cela se passe. Si, comme vous le laissez entendre, la continuité est trop complexe, on doit en tenir compte dans la réflexion. Mais il faut déjà caractériser les problèmes en question autrement que par nos échanges ici, sans réelle valeur démonstrative ni évaluation quantifiée des ouvrages à problèmes par rapport aux autres.

      Nous avons fait diverses propositions pour revenir à une continuité plus raisonnable dans un autre article :
      http://www.hydrauxois.org/2017/04/severe-constat-du-cgedd-sur-la.html

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    6. Par ailleurs, on doit reprendre la réforme de continuité écologique en se débarrassant explicitement de ses deux dogmes actuels d'orientation, que l'on peut énoncer ainsi :

      - tout ouvrage hydraulique représente un impact grave sur l'écologie du bassin versant

      - l'écologie est le seul enjeu par lequel s'apprécie l'existence d'un ouvrage hydraulique

      C'est inexact, une politique publique ne pourra jamais réussir en se fondant sur une inexactitude qui oriente ses choix d'aménagement et de financement. Il faut l'admettre avant même de commencer à discuter des solutions (c'est-à-dire qu'il faut d'abord redéfinir ce qui appelle vraiment une solution, par rapport à ce qui n'est en rien une urgence ou même un élément important de la politique de l'eau).

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