07/08/2023

Les zones humides peuvent atténuer les sécheresses... mais pas toujours (Wu et al 2023)

Face aux sécheresses appelées à devenir plus fréquentes et intenses, les politiques publiques de l’eau présentent parfois la recréation de zones humides comme une idée nouvelle susceptible d’apporter la solution au problème. Toutefois, les observations empiriques sont ambivalentes et une modélisation hydrologique par des chercheurs chinois et canadiens vient de le confirmer. Les zones humides tendent à réduire le risque de sécheresse – ce qui légitime l'intérêt de leur protection ou restauration –, mais avec un effet modeste. Et dans certains cas, les zones humides peuvent au contraire aggraver un déficit de débit superficiel autour d’elles. Il ne faut donc pas donner de faux espoirs aux populations et il est nécessaire d’augmenter le niveau de rigueur sur les bilans d’expérimentations dans les bassins versants.


La sécheresse est un aléa exerçant une pression considérable sur les ressources en eau et les systèmes socio-écologiques. En raison du réchauffement climatique, la fréquence et la gravité des sécheresses ont augmenté au cours des dernières décennies, et ces caractéristiques devraient être encore exacerbées dans les décennies à venir. 

En prévention des sécheresses, on propose aujourd’hui des solutions fondées sur la nature comme les zones humides. L’idée est que la zone humide ralentit le passage d’une sécheresse météorologique (déficit de pluie) à une sécheresse hydrologique (déficit d’eau superficielle et dans les sols). 

Toutefois, la littérature scientifique ne donne pas des résultats clairs, certains travaux trouvant même que des zones humides peuvent jouer négativement sur les débits de surface en cas de sécheresse. Yanfeng Wu et ses collègues ont donc creusé le sujet par un modèle hydrologique intégrant les zones humides, dont la qualité de simulation a été confrontée à deux bassins versants (en Chine et au Canada). 

Voici le résumé de leur étude :
"Les zones humides ont été désignées comme une solution potentielle fondée sur la nature pour améliorer la résilience et réduire les risques d'extrêmes hydrométéorologiques. Cependant, si et dans quelle mesure les zones humides peuvent affecter les sécheresses hydrologiques n'est pas bien compris. Pour combler cette lacune, nous avons proposé un cadre général permettant de discerner l'effet des zones humides sur : (i) les caractéristiques (durée, sévérité, processus de développement et de récupération) des sécheresses hydrologiques, et (ii) la propagation des sécheresses météorologiques aux sécheresses hydrologiques. 

Premièrement, une modélisation hydrologique a été réalisée avec un modèle spatialement explicite intégré à des modules de zones humides. Ensuite, la théorie de la course et la méthode de mise en commun ont été sélectionnées pour reconnaître les événements de sécheresse hydrologique et identifier leurs caractéristiques. En outre, le coefficient de corrélation de Pearson, la méthode de décalage temporel et la transformée en ondelettes croisées ont été utilisés pour explorer les processus de propagation. Enfin, les caractéristiques et les processus de propagation ont été comparés pour quantifier les services d'atténuation des zones humides sur les sécheresses hydrologiques. Pour valider le cadre proposé, deux bassins fluviaux de Chine et du Canada (le Gan River Bain et le Nelson River Bain), avec une couverture terrestre distincte, ont été choisis pour effectuer une modélisation hydrologique et quantifier les effets des zones humides. 

Les résultats indiquent que les zones humides contribuent principalement à atténuer les sécheresses hydrologiques en ralentissant le processus de développement, en accélérant la récupération, en raccourcissant la durée et en réduisant la gravité des épisodes de sécheresse hydrologique. Cependant, les effets sont variables car ils peuvent avoir des impacts faibles et même aggraver les conditions de sécheresse. Les zones humides peuvent prolonger le temps de propagation de la sécheresse et affaiblir la transition des sécheresses météorologiques aux sécheresses hydrologiques. La probabilité de formation de sécheresse hydrologique due aux conditions météorologiques a diminué de 19% et 18% respectivement, pour le Gan River Bain et le Nelson River Bain, grâce aux services d'atténuation des zones humides. Ces résultats mettent en évidence les rôles d'atténuation de la sécheresse des zones humides et le cadre de modélisation proposé a le potentiel d'être utile pour aider la gestion du bassin sur les risques de sécheresse dans le contexte de l'atténuation du changement climatique."

Discussion
La discussion publique sur l’eau et les sécheresses parle souvent des « solutions fondées sur la nature ». Mais s’il est aisé d’en comprendre le principe, il est difficile de trouver des bases scientifiques précises sur les mécanismes et, surtout, sur les résultats attendus. Or, à moyens limités et face à un enjeu critique comme l’eau, une politique publique doit garantir l’efficacité de ses investissements. 

L’étude de Yanfeng Wu et de ses collègues est donc bienvenue. Ses résultats, encore très préliminaires, tendent à confirmer deux intuitions que l’on peut avoir : les zones humides ont un rôle plutôt bénéfique d’atténuation des sécheresses, mais ce rôle reste modeste (ce n’est pas une solution miracle) ; dans certains cas l’effet peut être négatif (c’est une solution à manipuler avec précaution). 

Nous souhaitons donc que les politiques publiques de l’eau accordent davantage d’importance à la nécessité de collecter des données précisés sur des expériences pilotes avant de généraliser à tous les bassins versants des outils dont on ne maîtrise pas vraiment les conditions d’efficacité. Les zones humides ont toutes sortes d’intérêt, y compris pour la riche biodiversité qu’elles hébergent. Mais si la promesse première est de sécuriser l’eau pour la société et le vivant, c’est ce critère hydrologique qu’il convient d’analyser plus en détail.

11 commentaires:

  1. Une synthèse d'agence de l'eau est utile, mais elle n'est pas dans la même catégorie qu'un article primaire de recherche (ou même de review).

    De surcroît, il existe un présupposé légitime de biais idéologique dans la production des bureaucraties publiques de l'eau en France. Voici un mode d'emploi de ce site : vous regardez les références des pages "science", vous vérifiez si elles sont présentes ou non dans les synthèses produites par l'OFB, les agences de l'eau, etc. En cas de réponse négative, c'est qu'il y a eu un biais de sélection dans les articles scientifiques primaires dont on porte connaissance au public.

    Un simple exemple : les travaux de Bulavko and Drozd, 1975, Johansson and Seuna, 1994, Lee et al., 2018, Wu et al., 2020 sont cités dans l'article recensé ici comme ayant trouvé un impact négatif des zones humides sur les sécheresses. Or vous ne les trouvez pas dans la bibliographie de référence de votre lien de synthèse en pdf. Il y a donc un problème dans la vulgarisation de l'agence de l'eau, elle n'a pas mentionné l'existence de certains travaux et débats subséquents.

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  2. vous êtes très mal placé pour parler de biais idéologique

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  3. Dans ce cas rédigez un article sur la vulgarisation scientifique des politiques publiques et non sur des modèles théoriques "préliminaires".

    "Nous souhaitons donc que les politiques publiques de l’eau accordent davantage d’importance à la nécessité de collecter des données précisés sur des expériences pilotes avant de généraliser à tous les bassins versants des outils dont on ne maîtrise pas vraiment les conditions d’efficacité. Les zones humides ont toutes sortes d’intérêt, y compris pour la riche biodiversité qu’elles hébergent. Mais si la promesse première est de sécuriser l’eau pour la société et le vivant, c’est ce critère hydrologique qu’il convient d’analyser plus en détail."

    Les études citées plus haut correspondent exactement à ce que vous dites dans ce paragraphe, il serait donc également intéressant que vous la citiez également. On ne peut pas toujours faire que critiquer...

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  4. Nous discutions de savoir si l'agence de l'eau, elle, était bien placée. (Nous admettons de manière transparente que l'étude des milieux se fait à partir d'une certain nombre de présupposés et que ces présupposés auront une influence sur les méthodes, les mesures, les indicateurs. On peut donner différents noms à cela (idéologie, préférence, ontologie, angle) mais cela revient toujours un peu au même. Il nous paraît sain d'avoir ce recul, le citoyen est informé que l'approche scientifique d'un objet a été guidée d'une certaine manière. Bien entendu, si les mesures et les calculs sont corrects, les résultats sont corrects. C'est l'interprétation des résultats qui changera, ainsi que la garantie pour le citoyen d'avoir différents angles, différents résultats, différentes interprétations.)

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  5. Cette étude indique en discussion que ce sont les zones humides les plus dégradées qui auraient les effets les plus faibles voire des effets négatifs sur les sécheresses. Si les auteurs indiquent qu'il est important de prendre en compte les caractéristiques et contextes des zones humides lorsqu'il s'agit de décider de restaurer ou pas, ils ne remettent en aucun cas en cause la politique française actuelle de restauration des zones humides, vu qu'il est attendu selon ces auteurs qu'en restaurant les zones humides les plus dégradées on limite les risques de sécheresse.
    Quant au supposé "biais idéologique" de notre bureaucratie, nous sommes tous soumis à des biais idéologiques (vous les premiers, étant juge et partie sur ces questions). Le rapport de l'agence de l'eau dont il est fait mention plus haut a fait l'objet d'une validation scientifique indépendante par une chercheuse, et cite l'étude de Bullock et Acreman 2003 qui fait la synthèse de toutes les études qui ont montré un impact négatif des zones humides sur l'hydrologie. Cette synthèse inclue une bonne partie de ces papiers soi-disant oubliés. Je vous suggère donc, avant de donner des leçons d'intégrité scientifique, d'appliquer vos conseils, en faisant valider tous vos billets par des scientifiques indépendants.

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    1. a) Notre article ne remet pas en cause la politique de restauration des zones humides (nous y sommes favorable), il demande que cette politique soit scientifiquement informée et qu'elle ne bourre pas le crâne des citoyens à promettre des choses incertaines (comme le fait que les solutions fondées sur la nature satisferont forcément les besoins d'eau en lien à l'évolution des sécheresses).

      b) Les agences de l'eau ont 2 milliards d'euros de budget, nous sommes une association de bénévoles. C'est difficile de comparer les capacités à mobiliser des comités de lecture scientifiques, non?

      c) Bullock et Acreman 2003 fait une review des connaissances sur l'hydrologique des zones humides en 2003, par définition ce papier n'intègre pas ceux parus depuis.

      d) Oui, nous avons tous des biais idéologiques, après se pose la question de la manière dont une instance publique censée représenter tous les citoyens gère ce sujet-là, en particulier quand cette instance est impliquée dans la construction et vulgarisation des connaissances. Et il nous semble que c'est mal géré, ou en tout cas que c'est très améliorable. Nous avons fait de nombreux articles sur le besoin de davantage de pluridisciplinarité, de financement de recherches sur des angles différents de la seule écologie aquatique, de carences énormes de données (reconnues par les chercheurs) sur des sujets qui pourtant font l'objet de choix publics (mais comment choisir si on admet ne pas vraiment avoir les données?), etc.

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    2. La synthèse agence que vous accusez de peu d'objectivité sur la base de l'absence de citation de quelques sources citées dans ce papier en défaveur des zones humides ne cite pas non plus des papiers en faveurs de ces zones humides, comme Kadykalo & Findlay, 2016 et Thorslund et al., 2017. Votre argument est donc fallacieux. Soit vous ne comprenez rien à la rédaction d'un document scientifique (il est impossible de citer toutes les sources dans une synthèse sur un sujet bien étudié), soit vous êtes malhonnêtes, soit vous êtes victimes de ce fameux biais idéologique ;).
      Enfin, des études pilotes pour évaluer l'efficacité des travaux de restauration des zones humides, avec des modélisations hydrologiques, pour être interprétables avec des conclusions fiables (avec le changement climatique qui complexifie l'interprétation des données), nécessitent de très nombreux cas d'étude incluant des suivis sur des bassins témoins non restaurés, donc une politique nationale ambitieuse de restauration des zones humides à grande échelle avec des suivis sur le long terme. Chiche!

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    3. Il y a déjà une politique nationale de restauration des zones humides, il suffit de regarder les programmes des agences de l'eau et des syndicats de bassin que ces agences financent. Tant mieux (nous jugeons cela a priori bien plus intéressant pour la biodiversité que les histoires de continuité en long). Précisément, ce programme doit comporter le financement d'un volet de contrôle des effets hydrologiques, en particulier l'analyse des eaux superficielles et souterraines en sécheresse.

      Dans un texte de synthèse scientifique, on ne peut pas tout citer, en revanche on doit citer et exposer les différents débats qui concerne l'objet en synthèse, ainsi que les niveaux d'incertitude et confiance. On doit éviter des phrases qui ont l'apparence de l'affirmation robuste alors qu'elles sont fondées sur peu de travaux empiriques. C'est important pour respecter l'intégrité de la démarche scientifique (qui n'est pas une somme de certitudes) et pour respecter le citoyen (qui a le droit de savoir ce qui est fiable ou pas).

      Remarquez bien qu'il n'y a aucune sorte de gravité à dire que la restauration des ZH doit avoir un effet positif en hydrologie de surface et de nappe, mais que ce point est incertain, que le gain exact est inconnu et que seule l'expérimentation va le confirmer. Simplement le dire ainsi est bien plus respectueux et prudent que de faire des affirmations péremptoires ou de taire des inconnues. Au cas où vous ne l'avez pas compris, il y a déjà une certaine défiance dans notre société, précisément parce qu'on dit trop de choses d'un ton trop définitif et qu'ensuite, cela crée des déceptions, désillusions ou distances. Soyons simplement sobres et précis.

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  6. Ok, sauf que nous ne sommes pas du tout sur le même niveau de consensus entre restauration des cours d'eau et restauration des zones humides. Il y a pas mal de papiers maintenant qui démontrent que les travaux de restauration en cours d'eau ont souvent des résultats mitigés au moins sur le court terme (pour tout un tas de raison - trop faible portion restaurée, efforts pour réduire les pressions sur le bassin versant insuffisants... restaurer la morphologie d'un cours d'eau dégradé, c'est comme demander à un malade de faire du sport, si on ne le soigne pas, il ne guérira pas, mais si on le soigne il guérira mieux et plus vite en faisant du sport. Là comparaison s'arrête là, le malade est responsable de sa santé, alors que les propriétaires de moulin sont responsables d'un bien public: l'eau). Il y a un consensus extrêmement solide sur les gains apportés par les travaux de restauration de zones humides. L'étude dont on débat ici n'étudie pas l'effet des travaux de restauration des zones humides sur l'hydrologie, mais l'effet des zones humides (dégradées ou non) sur les sécheresses en général, indique que l'effet est généralement positif sauf exceptions (dont on ne connait pas vraiment la nature) et émet l'hypothèse (sur la base du consensus actuel) que restaurer des zones humides permettrait un gain sur cette fonction. Elle ne justifie donc pas une remise en cause de la démarche actuelle, en réalisant des études supplémentaires qui seront inutiles, parce que des cas d'étude isolés ne permettront pas d'évaluer l'efficacité des travaux de restauration de zones humides sur l'hydrologie des cours d'eau. Pour cela il faut de gros jeux de données, des sites témoins, et des suivis long terme. Votre proposition, sous couvert de rigueur scientifique, n'est pas scientifique. Pire, ce serait du gaspillage d'argent public (bonjour la "sobriété"), et ne ferait que ralentir l'instruction de dossiers sur des sujets pour lesquels des gains sont attendus dans la quasi-totalité des cas (ce qui n'est pas le cas pour les effacements d'ouvrage, si on exclue la libre circulation du poisson et des sédiments, et encore...). Vous mélangez des choux et des carottes, la restauration des zones humides n'a rien à voir avec la restauration des cours d'eau, les enjeux et les gains attendus ne sont pas du tout les mêmes.

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    1. Merci de reconnaître ce que nous disons depuis 10 ans, les bilans de restauration des cours d'eau ne sont pas aussi clairs que ce qui était promis... notamment dans les plaquettes des agences de l'eau. :-) Donc exercez le même esprit critique et de précaution sur tous les sujets, ce sera mieux.

      Il est un peu effarant de lire que les études de terrain à long terme et les grands jeux de données seraient inutiles et de recevoir en même temps des leçons de méthode scientifique... il est évident qu'il faut de toute façon étudier l'évolution des ZH en situation de changement climatique et d'érosion de la biodiversité, donc annexer une obligation normalisée de suivi hydrologique dans cette exploration fait sens, et correspond à l'attente sociale (qu'est-ce qui va le mieux retenir l'eau demain). D'ailleurs, c'est qu'on essaie de faire pour les réservoirs et plans d'eau artificiels, pour les mêmes raisons que l'on ne peut pas statuer sans données, et qu'en hydrologie il faut effectivement pas mal de données de qualité sur pas mal de contextes différents (géologie, usages etc.).

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    2. sauf que vous déformez les conclusion de l'article.

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