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21/12/2021

Un film sur la résistance des moulins face à la folie destructrice des administrations de l'eau

La FFAM vient de mettre en ligne un film remarquable consacré à la destruction aberrante du patrimoine des moulins à eau en France. Ce documentaire rappelle notamment les évolutions de la loi et montre le consensus large des parlementaires pour refuser les visions intégristes du retour à la nature sauvage et de la répression indistincte d'usages ancestraux de l'eau – visions qui ont hélas ! dévoyé les esprits de certaines administrations dans les années 2010. Nous demandons à tous nos lecteurs de diffuser ce film auprès des citoyens, des élus locaux, des personnels administratifs ainsi que des parlementaires et candidats qui vont bientôt s'engager dans une élection législative. Il ne s'agit pas pour le mouvement des ouvrages hydrauliques de se limiter à la réécriture de tel ou tel article technique du code de l'environnement, mais bien de traiter désormais les erreurs à la racine pour éviter qu'elles ne se reproduisent demain. Nous devons nous engager avec le plus grand nombre de citoyens à la défense d'une vision équilibrée et durable de la rivière, de ses héritages et de ses usages. Une vision où la nature a bien sûr sa place, mais aussi bien la culture, l'histoire, l'économie et la société. Construire ensemble, et non pas détruire pour quelques-uns.

28/11/2021

Estimation des forces hydrauliques des moulins dans les années 1820 (Dupin 1827)

Le polytechnicien Charles Dupin (1784-1873) s'est passionné pour l'estimation des forces productives des nations, y voyant leur source de richesse ainsi qu'un moyen utile pour évaluer l'avance ou le retard des pays. Cela l'amène à estimer les moulins à eau en activité. Dupin évoque le chiffre de 66 000 moulins à eau en mouture, auquel il faut ajouter des forges et autres fabriques.


Le moulin de Charenton au 19e siècle, source

Charles Dupin, né le 6 octobre 1784 à Varzy (Nièvre) et mort le 18 janvier 1873 à Paris, est un mathématicien, ingénieur, économiste et homme politique français. Polytechnicien, on lui doit divers travaux en mathématiques et en génie maritime. Charles Dupin se passionne à partir des années 1800 pour la statistique économique, alors embryonnaire. Il entreprend notamment de comparer la France et la Grande-Bretagne en s'attachant d'abord aux sources physiques de la richesse, qu'il s'agisse de l'énergie ou des matières premières. Ses travaux seront publiés dans la série Le petit producteur français, ainsi que dans une synthèse sur les "forces productives et commerciales", ici examinée.

Un intérêt du travail de Dupin est que celui-ci procède à un inventaire des forces motrices, notamment des moulins : "on fera le recensement exact de toutes les usines et de tous les moulins qui sont mus par l’eau, par le vent et par la vapeur, en réduisant à des calculs rigoureux et faciles la force de chaque genre de moteurs. On obtiendra de la sorte les totaux des diverses espèces de forces motrices que la France possède, et l’on connaîtra dans son ensemble la véritable puissance productive de notre nation", écrit Charles Dupin. De tels travaux permettent de disposer de statistiques sur l'évolution de ces moulins et de mesurer leur importance dans l'économie nationale à diverses périodes.

Dupin écrit : "On a calculé que le nombre total des moulins de la France est de 76,000, parmi lesquels il faut compter environ 10,000 moulins à vent. Il reste donc 66,000 moulins à eau et il est facile de se former une idée du travail que ces moulins peuvent opérer. Le poids total des grains de toute espèce livrés à la mouture est de 7 milliards de kilogrammes par année commune. On sait d’ailleurs que la force nécessaire pour moudre 1000 kilogrammes équivaut au travail journalier de 56 hommes. Il faut donc multiplier 7 millions par 56, ce qui donne pour la force totale que représente la mouture de tous les grains de France, 392,000,000 de journées divisées par 3oo jours de travail, elles donnent 1,3o6,666 hommes.

Charles Dupin précise que le moulin à mouture n'est pas le seul usage de l'énergie de l'eau, mais sans donner de chiffre précis: "On peut demander quelle est la force totale des machines hydrauliques consacrées à des forges, à des fourneaux, à des usines de toute espèce. Il serait facile de démontrer que cette force n’est pas supérieure au tiers de la force des moulins à mouture." Cela suggérait environ 20000 sites hydrauliques supplémentaires dédiés à d'autres travaux que la transformation des produits agricoles.

Cette équivalence humaine de toutes les forces motrices (assez pédagogique) permet ensuite à l'auteur de comparer avec la Grande Bretagne la répartition des diverses capacités productives:


On voit que la France de l'Empire et de la Restauration surpassait la Grande-Bretagne en puissance hydraulique, mais était très en retard en équipement de machines à vapeur. L'ère fossile démarrait, pour le meilleur et pour le pire...

En 1841, Nadault de Buffon totalisera pour sa part plus de 80000 moulins, auxquels il ajoute les fabriques diverses et les forges pour atteindre un total de 108000 sites de production hydrauliques. Cette évolution est cohérente, puisque la France va développer ses sources d'énergie de manière continue au 19e siècle (et au-delà). 

On rappellera qu'aujourd'hui, nombre de ces ouvrages hydrauliques sont encore présents sur les rivières, mais seuls quelques milliers produisent de l'énergie en injection réseau et en autoconsommation. A l'heure de la transition énergétique fondée sur l'exploitation des ressources renouvelables comme l'énergie de l'eau, il serait avisé de relancer tous les sites qui permettent une production locale et très bas-carbone

Sources :  Dupin, Charles (1784-1873), Forces productives et commerciales de la France, Bachelier (Paris), 1827

19/09/2021

Natacha Polony, Camille de Toledo, la Loire et les moulins

Signe des temps : les moulins se sont invités sur France Inter à une discussion sur les droits et les représentations politiques de la nature. 


Camille de Toledo (haut) Natacha Polony (bas) et les moulins du bassin de Loire (DR).

L'émission Le Grand Face-à-Face (18/09/2021) de France Inter a donné lieu a d'intéressantes discussions entre Natacha Polony et l'écrivain Camille de Toledo, à l’initiative de l’ouvrage Le fleuve qui voulait écrire (Les Liens qui Libèrent). Camille de Toledo est partisan d'une redéfinition juridique et politique des démocraties, visant à donner des droits à la nature et à des éléments naturels. En accordant le statut de sujet de droit à des espèces, des milieux, des écosystèmes, on institue de nouveaux rapports entre l'humain et le non-humain.

Cette position, inspirée notamment des travaux de Bruno Latour, n'est pas sans poser de nombreuses questions. Natacha Polony a soulevé des points problématiques à travers les exemples des moulins et des silures du bassin de la Loire. Les premiers, présents souvent depuis 1000 ans comme le rappelle la chroniqueuse, ont façonné la nature et créé à leur tour de nouveaux écosystèmes locaux. Les seconds, introduits depuis quelques décennies dans le bassin de la Loire, se sont acclimatés et font désormais partie des espèces peuplant le fleuve. 

Dès lors, qui définit les contours de ce qu'est la nature, de ce qu'elle devrait être, de la manière dont elle doit être protégée en droit et représentée en politique? Qui dira que tel écosystème, telle espèce, n'est pas en situation de "naturalité", qu'il faudrait éventuellement les détruire ou les interdire? 

Hélas, les réponses de Camille de Toledo ont été assez généralistes et évasives... Voire inquiétantes quand un autre chroniqueur (Ali Baddou) soulignait que le livre de l'écrivain suggère des hypothèses de mandat impératif et non représentatif, c'est-à-dire des positions prises au nom de la nature qui seraient au-delà de toute discussion et de tout compromis propres à la démocratie parlementaire.

Ces discussions sont certes fort théoriques par rapport aux réalités immédiates du changement climatique, de la pression humaine sur les ressources rares, des pollutions durables des milieux. Mais, comme notre association l'a souligné à de nombreuses reprises (voir quelques références ci-dessous), ces questions sont importantes pour le débat public : elles engagent le sens que l'on donne à l'écologie et, plus largement, la reconnaissance de la pluralité des représentations que l'on se fait de la nature. 

Si les ouvrages de moulins sont devenus (eux aussi) une sorte de sujet "non-humain" du débat politique et juridique, c'est qu'ils ont été le lieu d'une confrontation inédite entre les tenants d'une naturalité "sauvage" jugeant toute altération humaine d'un milieu biophysique comme une anomalie à faire disparaître et les tenants d'une nature en évolution permanente où les influences humaines sont des héritages au même titre que d'autres. 

Les oppositions ne sont pas forcément tranchées, car précisément une démocratie intégrant les questions écologiques est capable de compromis. Mais à partir du moment où l'on acte que la nature terrestre est devenue une réalité hybride entre la dynamique de ses éléments biophysiques antérieurs à notre espèce et la dynamique de l'expérience humaine depuis des millénaires, il faudra bien clarifier les références au nom desquelles on prétend changer le droit et la politique pour y instituer de nouveaux sujets.

A lire sur ce thème

05/09/2021

A Ruoms, le préfet vide la rivière Ardèche pour un problème non prouvé sur une chaussée de moulin

Stupéfaction et colère à Ruoms en Ardèche : arguant sur simple avis sans preuve d'un problème de sécurité lié à des fuites sur une chaussée de moulin, les autorités préfectorales ont pris un arrêté dans la précipitation et exigé d'ouvrir grandes les vannes, vidant ainsi la retenue et affectant la vie des milieux comme celle des riverains. L'un d'entre eux a déposé plainte au tribunal administratif. S'agit-il de la nouvelle stratégie de l'administration eau et biodiversité, contrariée dans sa volonté de détruire les moulins et étangs, exagérant la gravité des problèmes allégués pour rendre coûteuse, complexe sinon impossible la gestion des ouvrages? Espérons que non, car une telle stratégie arbitraire ne ferait que pourrir un peu plus les rapports déjà déplorables entre administration et administrés des rivières. A Ruoms, les citoyens sont déjà mobilisés pour que cessent ces pratiques et les troubles qu'elles induisent. 


En fin de semaine, un citoyen a déposé auprès du tribunal administratif de Lyon une requête en annulation préalable à un référé suspension contre l’arrêté n° 07-2021-09-0200001 du 2 septembre 2021 pris par le Préfet de l’Ardèche et la décision unilatérale de vidanger la partie de la rivière en amont du seuil dit du Moulin de Ruoms. Propriétaire en amont immédiat de l’ouvrage, ce riverain s'estime victime des effets dévastateurs sur les berges.

Tous les ouvrages du linéaire de l’Ardèche ont été équipés de passes à poissons. Le cas du moulin de Ruoms et du seuil attenant, pourtant le plus ancien du tronçon,  semble être la cible d’agents qui n’ont manifestement pas compris d’une part que les habitants sont très attachés à ce patrimoine, d’autre part que l’aménagement et la consolidation de l’ouvrage, déjà bien entrepris sur la partie du moulin lui-même, s’effectueront quelques soient leur intentions inavouées.



Voici l'appel des riverains.

Rendez-nous notre rivière !

C’est un spectacle de profonde désolation que les habitants de Ruoms, de Labeaume et d’ailleurs ont découvert ce matin en empruntant le pont de la Bigournette. La rivière a en effet disparu sous les défilés, laissant place à d’immenses espaces de vases et de galets parcourus par un mince filet d’eau.

Comment une telle situation inconcevable a pu survenir si brutalement ?

Alors que le Moulin de Ruoms et le seuil attenant figurent parmi des ouvrages séculaires les plus anciens du linéaire de la rivière, des agents de la DREAL et de l’INRA, des organismes publics ou semi publics sont venus ces derniers jours sur le site à l’invitation de l’établissement public territorial du bassin versant de l’Ardèche (EPTB ex. Ardèche Claire) pour y constater d’éventuels fuites sur l’ouvrage. Alors que ces fuites n’avaient occasionné aucun problème tout au long de l’été, alors que le site a été parcouru par des milliers de canoës, ces organismes ont subitement estimé que l’ouvrage comportait un risque majeur en termes de sécurité. Pourtant, tous les ouvrages similaires de l’Ardèche comportent des fuites, par exemple à Salavas, sans que cela n’ait jamais autant ému tous ces experts.

De façon empirique, sans aucune étude technique approfondie, ces agents ont donc produit un « avis » sur leur seule conviction pour motiver le Préfet à prendre un arrêté d’interdiction de la rivière tout en ordonnant au propriétaire du Moulin d’ouvrir les vannes, ce qui a eu pour conséquence mécanique la vidange intégrale du bassin en amont de l’ouvrage, défigurant le site des Défilés et provoquant des dégâts irréversibles tant pour la faune piscicole que pour la flore inféodée à cette ripisylve particulière.

Cette décision unilatérale n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable ni des élus locaux, ni des acteurs de la vie sociale, ni des pêcheurs et encore moins des propriétaires riverains en amont qui voient leurs berges s’affaisser et l’érosion accrue. Une procédure de requête en annulation a été déposé ce matin par les riverains qui demandent une remise en eau immédiate du plan d’eau pour tenter de préserver leur bien.

Les pêcheurs, très surpris par cette démarche brutale ont de leur côté mobilisé une équipe de bénévoles ce matin pour sauver ce qui pouvait encore l’être (carpes, aprons, …) sur le bief impacté en amont, long de deux kilomètres.

Plus tard, toute la communauté locale s’est réunie à 10 h au moulin de Ruoms pour y attendre les représentants de l’État qui ont pris cette décision, accompagnés de ces « techniciens experts » qui ont formulé cet avis. Il leur a alors été demandé qu’ils produisent cet avis, mais contre toute attente, cela n’a pas été possible. Ces agents arguent du fait que leur simple présomption d’un risque de sécurité a suffi à motiver cet avis, ce qui est pour le moins étonnant, puisque ce risque (une fuite sur l’ouvrage) n’est pas apparu récemment et par conséquent, il a fallu attendre que la saison touristique touche à sa fin pour que cette préoccupation sécuritaire surgisse subitement.

La question est donc maintenant de savoir quand le plan d’eau va être enfin remis en eau. Il y a urgence car l’ouvrage hors d’eau est bien plus vulnérable qu’en eau et les épisodes cévenols à venir prochainement pourraient sérieusement le fragiliser. Le propriétaire du moulin se propose en conséquence de solliciter sans délai un bureau d’étude indépendant pour apporter une solution de colmatage de la fuite incriminée dans les tous prochains jours en préalable à une remise en eau. Encore faudra-t-il alors que les services de l’Etat valident cette solution.

Tous les acteurs concernés ont prévu de se rencontrer en début de semaine prochaine à l’invitation du maire de Labeaume. Cette situation est d’autant plus paradoxale que des centaines de milliers d’euros, dont une bonne partie d’argent public, ont déjà été investis pour consolider le moulin et réaliser une passe à poissons d’ores et déjà opérationnelle permettant de respecter les objectifs de continuité écologique fixés par la Commission Européenne. Outre l’attachement des habitants à ce patrimoine séculaire, les citoyens contribuables locaux ne comprendraient pas bien pourquoi on ne terminerait pas de travail déjà bien entrepris de consolidation de cet ouvrage.

Mais peut-être existe-t-il derrière ce dossier, des motivations non révélées ?

17/07/2021

Victoire en justice pour un moulin harcelé du Nohain

Pendant 5 ans, un propriétaire de moulin de la Nièvre a été harcelé de demandes incessantes de nouvelles pièces et procédures pour la relance de son ouvrage, avant de finalement subir un arrêté préfectoral fin 2019 lui refusant l'autorisation de son projet. La justice vient de condamner le préfet pour excès de pouvoir. Nous rappelons ici aux propriétaires et à leurs associations qu'il faut cesser de perdre du temps à des discussions oiseuses avec l'administration dans les cas où son seul but manifeste est de décourager une relance : si, dès les premiers mois d'échanges, les fonctionnaires en charge de l'instruction manifestent une hostilité et lancent des manoeuvres dilatoires, il faut les assigner en justice pour gagner du temps et clarifier les choses au plan du droit. 


Les cartes anciennes (ici de la rivière Nohain), un outil pour démontrer les droits fondés en titre et analyser l'histoire des lits des rivières. 

Le propriétaire d'un moulin de la Nièvre sur le Nohain commence à voir le bout du tunnel, après des années de procédures kafkaïennes où l'administration l'avait traîné de procédures en procédures pour un dossier de relance du site.

Après ces instructions infructueuses où les services de l'Etat n'avaient cessé de changer de position et de demander des pièces complémentaires, le préfet de la Nièvre avait finalement promulgué un arrêté le 19 décembre 2019 portant rejet de la demande d'autorisation de remise en service du moulin sur le Nohain.

Le propriétaire a eu recours à la justice et c'est Me Jean-François Remy, avocat de l'association, qui a défendu ses droits.

Par décision du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Dijon abroge l'arrêté préfectoral de 2019. Il enjoint au préfet de la Nièvre de reprendre  l'instruction  de  la  demande d'autorisation de remise en service du moulin dans un délai de trois mois.

Le juge observe d'abord que "le  moulin,  qui  existait  en  1644, bénéficie d'un droit fondé en titre pour une puissance maximale brute reconnue à 28,6 kW correspondant  à une hauteur de chute brute de 2,07 mètres etun débit maximum dérivé de 1,4 m 3 /s, et que le projet n'a pas pour effet d'augmenter cette puissance. Il ne résulte d'aucun élément de l'instruction que ce droit fondé en titre ait été modifié ou abrogé, ni que la ruine ou le changement d'affectation de l'ouvrage aiLété constaté".

Le juge observe également que l'article R. 214-109 du code de l'environnement (dont la réécriture par le ministère de l'environnement a été abrogée par le Conseil d'Etat suite à la plainte des associations de moulins et étangs, dont Hydrauxois) ne s'oppose pas à la remise en service d'un moulin. 

Ce nouveau jugement rappelle à toutes les parties prenantes la réalité :
Les administrations sous la tutelle de la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie doivent donc faire cesser diverses dérives militantes en leur sein : leur travail est d'appliquer les lois et les décisions des juges, pas de réécrire les normes au nom d'une vision arbitraire de la rivière et de ses ouvrages. 

Leçons à tirer pour les moulins, étangs et autres ouvrages
Notre association voit trop d'ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, plans d'eau) qui font face à une administration hostile et qui sont travaillés "à l'usure" par cette administration. La stratégie de certains fonctionnaires de l'eau consiste en effet à ne pas dire franchement leur hostilité à la relance du site (et pour cause, c'est illégal), mais à demander toutes les pièces possibles qui leur passent par l'esprit, y compris des études qui sont ruineuses pour des particuliers et qui ne sont pas exigibles pour un ouvrage déjà autorisé. 

Il ne faut pas s'engager dans ce processus, et les associations doivent être vigilantes : le propriétaire d'un ouvrage autorisé doit déposer un projet simple de relance (sans aucun excès d'études inutiles) et, s'il voit dès les premiers mois de l'instruction des manoeuvres dilatoires et hostiles, il doit faire intervenir un avocat pour une mise en demeure du préfet de faire autoriser les travaux par ses services. 

Ne perdons plus de temps ni d'argent. Assignons en justice les services d'Etat persistant à ne pas comprendre que la loi française refuse la destruction des moulins et encourage leur relance énergétique. Informons les députés et sénateurs si des troubles persistent, afin qu'ils continuent de réécrire la loi et de faire cesser ces harcèlements indignes d'une démocratie.

01/06/2021

Sur l'exemption de continuité des moulins à eau, l'abus de pouvoir de l'administration enfin condamné au conseil d'Etat!

Nouvelle victoire du droit contre l'arbitraire. En 2017, les députés et sénateurs avaient choisi d'exonérer les moulins à eau équipés pour produire de l'électricité de l'obligation de continuité écologique. Mais par un abus de pouvoir institué, la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie avait ordonné à ses fonctionnaires de refuser par les moyens les plus extravagants cette exemption. Car la DEB n'a qu'un but: détruire au maximum les ouvrages, sinon entraver au maximum leur relance et leur usage pour les prétendre ensuite sans utilité. Le conseil d'Etat vient de mettre fin à cet abus en rappelant la loi, et l'avocat Me Jean-François Remy expose toutes les conséquences de cette décision, qui va permettre d'exiger désormais l'exemption aux services du préfet. Cette condamnation vient après plusieurs autres qui témoignent d'un dysfonctionnement majeur du ministère et de l'administration de l'écologie dans la mise en oeuvre de la continuité des rivières. Des dogmes militants sinon intégristes de "rivière sauvage" ont manifestement infiltré certains services de l'Etat ou d'établissements publics, sans aucune base légale. La loi Climat et résilience en cours de discussion doit impérativement mettre fin à cette politique aberrante de destruction, de harcèlement et de dévalorisation du patrimoine hydraulique français. 


Comme de nombreux autres maîtres d'ouvrage en France, la société MDC Hydro sur l'Andelle avait subi le 4 décembre 2012 un arrêté du préfet de l'Eure tenant à lui imposer la mise en conformité à la continuité écologique en condition de reconnaissance de son autorisation. Cet arrêté avait été annulé par le conseil d'Etat (arrêt n° 408663 du 22 octobre 2018), mais la cour d'appel de renvoi de Douai n'avait fait que partiellement droit à la demande de la requérante. Il s'agissait en particulier de faire reconnaître le statut de moulin à eau du site, et par là de faire jouer l'exemption de continuité écologique prévue par la loi dans l'article L 214-18-1 du code de l'environnement. 

Rappelons que cet article dispose : "Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l'article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l'autorité administrative mentionnées au même 2°."

L'administration acquise à l'idée de détruire les ouvrages et de ne pas les équiper contournait encore ce progrès de la loi, soit en considérant qu'un ouvrage en rivière antérieurement classé "passe à poissons" (ancien article L 432-6 code de l'environnement) n'était pas régulièrement installé, soit en donnant une définition abusivement limitée au moulin à eau. 

Le conseil d'Etat vient de censurer de manière définitive ces manoeuvres de l'administration et de rétablir dans leurs droits les victimes de ces manoeuvres. 

Dans leur arrêt, les conseillers rappellent ainsi :

"Il résulte des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires relatifs à la loi du 24 février 2017, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement ne peuvent ainsi être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet."

Dès lors, quand bien même il aurait fait l'objet d'un classement passe à poissons suite à la loi de 1984 (arrêtés de classement des années 1980) ou d'un classement continuité écologique suite à la loi de 2006 (arrêtés de classement liste 2 des années 2012-2013), un moulin à eau équipé pour produire de l'hydro-électricité ou ayant simplement le projet de cet équipement ne peut plus se voir imposer la continuité au titre de l'article L-214-17 code de l'environnement.

L'ensemble des propriétaires concernés par ce cas de figure doivent donc immédiatement saisir leur préfet de département pour demander la reconnaissance d'exemption de continuité écologique, en citant cet arrêt désormais définitif. Ils doivent également informer leurs parlementaires et surtout leurs sénateurs de cette décision, car les élus sont en train de voter la loi Climat et résilience : cette nouvelle censure du conseil d'Etat montre l'urgente nécessité de corriger la dérive de l'administration en disant de la manière la plus claire que la loi française n'encourage pas la destruction ni le gel des ouvrages hydrauliques, mais incite au contraire à leur usage dans le cadre de la transition écologique. 

Devant les tribunaux comme devant le parlement, l'heure est à la mobilisation !

Référence : Conseil d'Etat, arrêt n°433043, 31 mai 2021

Le commentaire de Me Jean-François Remy

Par une décision rendue hier, lundi 31 mai 2021, dans un dossier suivi par notre Cabinet (n°433043 du 31 mai 2021), le Conseil d’Etat vient de censurer la doctrine de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/DEB du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, concernant l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, communément qualifié d’«amendement moulins».

Pour mémoire, par l’article 15 de la loi du 24 février 2017, les parlementaires – sensibilisés depuis plusieurs années aux excès de la continuité écologique, et en particulier aux destructions de moulins hydrauliques préconisées par le plan de rétablissement de la continuité écologique appliqué depuis 2010 par l’Etat, ses services déconcentrés et établissements publics – ont inséré au Code de l’environnement un nouvel article aux termes duquel «Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées aux même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n°2017-227 du 24 février 2017 (…)».

En clair, par ce dispositif, les parlementaires – mais aussi la Ministre de l’environnement de l’époque, Madame Ségolène Royal – ont souhaité assurer la préservation des moulins hydrauliques qui, tout en présentant une incidence mineure sur la continuité écologique (à ce sujet, les débats parlementaires indiquent que l’existence des quelques 10 000 moulins hydrauliques actuellement recensés «ne remet pas en cause, d’ores et déjà le très bon état écologique des rivières»), constituent un pan majeur du patrimoine français à protéger, et enfin recèlent un potentiel de développement de la production d’électricité d’origine renouvelable estimé au cours des débats parlementaires entre 120 et 130 mégawatts.

Les interventions de Monsieur Ladislas Poniatowski et de Madame Anne-Catherine Loisier, au Sénat, ayant également permis de préciser que sont visés par ce texte, tous les moulins hydrauliques situés sur des cours d’eau classés en Liste 2, qu’ils produisent d’ores et déjà de l’électricité ou que leur propriétaire ait simplement un projet visant à en produire.

Ce texte devait une fin de partie pour les casseurs ainsi que les admirateurs zélés des excès de la continuité écologique, en tout cas pour ce qui concerne les moulins.

Toutefois, adopté contre l’avis de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/DEB du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, ce texte a très rapidement fait l’objet de directives à l’attention des services déconcentrés de l’Etat, Préfet, DDT, Dreal, Agences de l’Eau, etc., qui visaient ouvertement à en réduire drastiquement le champ d’application.

La Direction de l’Eau et de la Biodiversité ayant ainsi – alors que l’administration est constitutionnellement en charge de l’application de la loi – demandé à ses services de ne pas appliquer le dispositif nouvellement voté conformément au texte, mais aussi à l’intention du législateur.

Ce qui est parfaitement scandaleux.

Ainsi, par une note non datée transmise à l’ensemble des services de l’Etat dès le moi de mai 2017, dont l’analyse a par ailleurs fait l’objet depuis de nombreuses confirmations à l’occasion de questions parlementaires, la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire a demandé aux Préfets, services DDT, Dreal, AFB, etc. de considérer que :
  • Seraient des moulins au sens de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, uniquement les ouvrages visant à convertir des blés tendres en farine répondant à la définition des activités de minoterie contenue à l’article D 666-16 du Code rural et de la pêche maritime. Ceci en violation de la définition du moulin hydraulique donnée par l’article L 211-1 III du Code de l’environnement, selon laquelle constituent des moulins hydrauliques les «ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers».
  • Seuls les moulins déjà équipés pour produire de l’électricité à la date du 24 février 2017 (date de publication du nouvel article L 214-18-1 du Code de l’environnement) ou dont le projet d’équipement pour produire de l’électricité aurait été porté à la connaissance de l’administration avant cette date, pourraient bénéficier de ce dispositif. Ceci alors que le texte et les débats parlementaires ne visaient que la nécessité d’être fondé en titre au autorisé avant l’entrée en vigueur de ce dispositif, et non que le projet de production d’électricité soit effectivement porté à la connaissance de l’administration avant cette date.
  • Enfin, les moulins situés sur des cours d’eau anciennement classés au titre de l’article L 432-6 du Code de l’environnement, et désormais classés au titre de la Liste 2 (article L 214-17 I 2° du Code de l’environnement), ne pourraient pas bénéficier de ce dispositif, la DEB prétendant à ce sujet faire application d’une jurisprudence du Conseil d’Etat rendue pour l’application de l’article L 214-17 du Code de l’environnement. Ceci en violation manifeste de la volonté exprimée par le législateur, visant à ce que tous les moulins situés sur des cours d’eau classés en Liste 2 bénéficient de ce nouveau dispositif.

Remaniée au cours des échanges intervenus dans le cadre du Groupe de Travail « Continuité écologique apaisée » du CNE, cette note n’en demeurait pas moins globalement illégale, et conduisait sur le terrain à de très nombreux refus d’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement par les Préfets et DDT.

Saisi dans le cadre de plusieurs contentieux en cours à ce sujet, le Conseil d’Etat vient de rendre une première décision (il y en aura donc d’autres dans les mois à venir) qui censure la doctrine de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité.

Au sujet de l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, la haute juridiction considère en effet – conformément à ce que nous soutenions depuis 2017 – que :

« Il résulte des dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires à la loi du 24 février 2017, qu’afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, le législateur a entendu exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation  d’exploitation à la date de publication de la loi, des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L 214-17 du même code destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau. Les dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement ne peuvent ainsi être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet ».

Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.

Dans ces conditions :

La doctrine de la DEB relative à l’application de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement étant censurée, les services de l’Etat ne sont pas fondés (ils ne l’ont jamais été…) à refuser l’application de ce dispositif à l’ensemble des moulins fondés en titre ou autorisés avant le 24 février 2017 situés sur des cours d’eau classés en Liste 2, dès lors qu’ils sont équipés pour produire de l’électricité, ou bien encore s’ils font l’objet d’un tel projet (même non encore porté à la connaissance de l’administration).
 
Toute décision administrative contraire est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou bien encore si un recours a déjà été engagé, dans le cadre du contentieux en cours.

Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions, au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

Enfin, pour tous les ouvrages de franchissement piscicole qui auraient été construits sur exigence de l’administration depuis 2017, sur des moulins hydrauliques bénéficiant des dispositions de l’article L 214-18-1 du Code de l’environnement mais dont l’administration aurait refusé l’application, il est possible de saisir le Préfet d’une demande d’indemnisation des coûts liés à la mise en œuvre irrégulière de ces ouvrages.

31/05/2021

Le gharat, moulin à eau traditionnel de l'Himalaya (Bhatt et al 2021)

Il existe plus de 200 000 moulins à eau traditionnels dans la région de l'Himalaya, connus sous le nom de Gharats. Trois chercheurs analysent leurs usages et livrent quelques réflexions sur leur avenir. 


Extrait de Bhatt et al 2021, art cit, cliquez pour agrandir.

Trois chercheurs indiens (Anupam Bhatt, Dipika Rana, Brij Lal) publient une intéressante étude sur les moulins à eau traditionnels de l'Himalaya indienne. En voici quelques extraits de ce travail :

"La région himalayenne est une plaque tournante de diverses ressources naturelles et ses habitants présentent une grande diversité de cultures, de traditions, d'utilisation des ressources et de pratiques d'intendance avec d'importantes interdépendances entre les écosystèmes et les humains en raison de l'inaccessibilité et de l'hétérogénéité des systèmes de montagne (Bhatt et al. , 2018; Everard et al., 2020; Huddleston et al., 2003). Malgré la richesse des ressources naturelles, la région est habitée par environ 175 millions de personnes qui vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté (FAO, 2005; Sharma et al., 2010). Cela est principalement dû aux terrains difficiles, aux risques environnementaux, à la mauvaise communication, aux transports et au faible niveau d'interventions scientifiques et technologiques dans les zones de montagne (Körner et al., 2005; Lal et al., 2019; Rao, 1997). Les habitants des régions de haute montagne ont développé plusieurs technologies indigènes en utilisant les ressources naturelles disponibles localement et leur sagesse traditionnelle. Cela inclut le Charkha (rouet), le Takali (broche) en bois ou en métal, le Khaddi (machine à tisser en bois) et le Gharat (Panchakki / moulin à eau) (Lal et al., 2019; Rana et al., 2020). L'eau est l'une des ressources naturelles très utiles que l'on trouve en abondance dans la région himalayenne (Xu et al., 2009). Cette ressource naturelle est utilisée pour conduire le Gharat et utilisée dans la transformation des céréales alimentaires par les habitants des villages reculés de l'Himalaya. Environ 200 000 moulins à eau ont été signalés dans la région indienne de l'Himalaya, qui reposent encore sur une conception ancienne d'une turbine à impulsion (Anonyme, 2001; Sharma et al., 2008). Le moulin à eau est connu sous différents noms comme "Chuskor" dans l'Arunachal Pradesh, "Rantak" au Ladakh, "Gharat" ou "ghat" dans l'Uttarakhand, mais il est plus populairement connu sous le nom de Gharat dans toute la région indienne de l'Himalaya (Behari & Bhardwaj, 2014; Slathia et al. ., 2018). Aujourd'hui, les moulins à eau traditionnels ont survécu à petite échelle dans les régions rurales du monde comme l'Himalaya, qui desservent les habitants des montagnes jusqu'à ce jour (Vashisht, 2012). Cette technologie simple est encore une source de revenus pour de nombreuses personnes dans les zones reculées qui sont utilisées pour transformer une farine de bonne qualité (Sinha et al., 2008)."

Les auteurs concluent :

"Les Gharats ont toujours été une source de revenus pour les personnes vivant dans les zones reculées de la région himalayenne et une partie intégrante du patrimoine culturel. La présente étude a révélé que bien que nombre de Gharat fonctionnent dans la région de Pangi, ce nombre a considérablement diminué dans la région de Tissa. Plusieurs facteurs environnementaux à technologiques sont responsables de l'augmentation ou de la diminution. Par conséquent, il est urgent de faire revivre les moulins à eau pour sauver la technologie indigène et respectueuse de l'environnement pratiquée depuis des siècles par les peuples autochtones. En cette période de pandémie où le monde se bat contre le covid-19, les gens ont migré vers leurs villages, villes et pays d'origine. Conformément à la résolution adoptée par le Gouvernement indien, communément appelée "Fabriquer en Inde", il est important de trouver d’éventuelles sources de subsistance autochtones pour la population. Il faut en outre restaurer et raviver les techniques traditionnelles en déclin pour la région himalayenne et ses populations autochtones, en plus de prendre d'autres projets à petite échelle pour stimuler l'économie de la nation. (...) La popularisation des produits de montagne de niche en tant que produits de grande valeur et le développement de chaînes de valeur peuvent tirer d'énormes avantages pour les communautés montagnardes. Ainsi, un effort concerté est requis collectivement par le gouvernement, les institutions et le public pour œuvrer à la restauration de ce patrimoine historique."

Référence : Bhatt A et al (2021), Gharat: an environment friendly livelihood source for the natives of western Himalaya, India, Environment, Development and Sustainability, doi: 10.1007/s10668-021-01455-4

16/04/2021

"Des millions de dollars ont été dépensés pour essayer de ramener les cours d'eau à un état artificiel", l'erreur américaine reproduite en France

On l'ignore parfois, mais l'idée de la restauration écologique des rivières vers un état sauvage provient surtout des Etats-Unis. Or voici plus de 10 ans, une recherche avait montré là-bas que la reconstruction de rivières à méandres, grande occupation des gestionnaires publics de la nature, correspond en fait à une morphologie héritée... de l'abandon des moulins à eau construits deux siècles plus tôt! Nous traduisons ici un commentaire de la revue Nature qui soulignait déjà cette incongruité : dépenser des fortunes pour essayer de revenir à un état ancien déjà artificialisé, et cela alors que les conditions présentes et futures de milieu ne sont de toute façon plus du tout les mêmes. En Europe, les moulins et étangs ne se sont pas développés sur trois siècles comme aux Etats-Unis, mais sur deux millénaires. Et ils faisaient suite à un millénaire précédent de déforestations, chenalisations et terrassements agricoles. Cela ne rend que plus absurde la dépense d'argent public en quête d'une fantasmatique nature antérieure. Le manque de rigueur scientifique et de recul historique dans l'écologie aquatique conduit à trop de chantiers de carte postale sans intérêt majeur ni pour la société, ni pour le vivant.


Le réméandrage à la pelleteuse ne correspond en rien à une "renaturation", mais au choix assez arbitraire d'un style fluvial né de l'occupation humaine des sols. On notera au passage qu'en été, des méandres ralentissent, réchauffent et évaporent davantage l'eau qu'un écoulement rapide plus rectiligne, phénomène qui est censé être dramatique quand on parle d'une retenue. Mais nos apprentis sorciers de la "nature renaturée" ne sont pas à une contradiction près... Droits réservés.


À quoi ressemble une rivière naturelle?
L'héritage des ouvrages de moulins brouille l'eau des restaurateurs de rivières
Emma Marris

Les écologues travaillant à la restauration des cours d'eau dans l'Est des États-Unis ont utilisé un idéal malavisé, selon de nouvelles recherches.

La notion pittoresque, soutenue par de nombreux écologues, selon laquelle un cours d'eau non touché par des mains humaines serpente dans un seul canal en forme de S avec de hautes berges verticales semble être fausse. Au lieu de cela, cette forme est un artefact des milliers de petits barrages de moulins construits sur les cours d'eau de l'Est des Etats-Unis entre les 18e et 19e siècles, disent Robert Walter et Dorothy Merritts du Franklin and Marshall College à Lancaster, en Pennsylvanie.

L'équipe a parcouru d'anciennes cartes, examiné des documents historiques, visité des centaines de cours d'eau et utilisé des techniques de détection et de télémétrie de lumière (LIDAR) pour avoir une idée de la configuration du terrain sous la végétation moderne. À certains endroits, ils ont utilisé une pelleteuse pour exposer les couches sédimentaires et vérifier l'histoire géologique.

Les chercheurs concluent que les cours d'eau de la région du Piémont à l'Est des États-Unis - juste à l'Est des Appalaches - ressemblaient plus à des marais qu'à des rivières lorsque les Européens sont arrivés pour la première fois. L'eau ne coulait pas dans un seul canal, mais plutôt dans des tresses, des bassines et de la boue, rapportent-ils dans Science (article).

Des méandres nés des retenues
À la fin du 18e siècle, de nombreuses rivières avaient été endigués (avec des barrages aussi larges que des vallées entières, parce que les cours d'eau étaient si étendus), et ils se sont transformés en un collier de retenues de moulin, un tous les quatre kilomètres environ. Pendant ce temps, la déforestation sur les hauteurs a augmenté l'approvisionnement en eau et l'afflux de sol. Les retenues des moulins ont recueilli d'épaisses couches de sédiments sur leurs fonds.

Lorsque l'énergie à vapeur a commencé à déplacer l'hydraulique pour la mouture, la forge et l'exploitation minière, bon nombre de ces barrages ont été percés. Les torrents d'eau à écoulement rapide qui en résultaient ont creusé un canal à travers les sédiments dans les anciens étangs, créant la forme sinueuse considérée aujourd'hui comme "naturelle".

Un travail similaire a été effectué dans le nord-ouest du Pacifique, et l'équipe ajoute qu'elle pense que le même processus aurait pu avoir lieu en Europe. "Dans les années 1700, il y avait 80 000 moulins en France", explique Walter.

Si cette reconstitution des événements est vraie, alors des millions de dollars ont été dépensés pour essayer de ramener les cours d'eau à un état artificiel: leur état après la chute des anciens barrages, plutôt qu'avant leur construction.

Dans un projet provisoirement prévu pour l'été 2008 en Pennsylvanie, Walter et Merritts travaillent avec des restaurateurs pour essayer d'éliminer tous ces sédiments modernes jusqu'aux zones humides de l'Holocène en dessous. Ils pensent que cela permettra le retour des anciens marais, diminuant la charge de sédiments et de nutriments dans les cours d'eau et empêchant certains des problèmes observés aujourd'hui à cause d'un excès de sédiments déversés dans la mer.

Tout change
Sean Smith, qui examine les propositions de restauration des rivières pour le département des ressources naturelles du Maryland à Annapolis, affirme que les travaux ont déjà eu un impact sur le terrain. "Il y a déjà des propositions qui sont essentiellement du dragage de vallée, où ils veulent terrasser vers la forme précoloniale", dit-il.

Dans certains de ces projets, les restaurateurs ont été surpris et heureux de constater que les plantes des zones humides enfouies sous des charges de sédiments pendant des centaines d'années sont toujours viables et commencent à repousser.

Mais le changement de mentalité n'est pas nécessairement une bonne chose. Margaret Palmer, écologue des rivières et de la restauration à l'Université du Maryland à College Park, craint que l'effet de la recherche ne soit de remplacer un paradigme rigide par un autre - aucun ne prenant en compte la nature changeante du paysage. "Tout change. Nous avons défriché des arbres; nous avons radicalement changé la quantité d'eau dans ces cours d'eau. Si notre objectif est de réduire la charge de sédiments, nous devrions nous concentrer sur cela et ne pas nous soucier de donner au cours d'eau la même apparence qu'au moment de la pré-colonisation, car rien d'autre n'est identique à ce qu'il était avant la colonisation", dit-elle.

Dave Rosgen, un restaurateur de rivières bien connu à Fort Collins, Colorado, est d'accord. "Ce que je suggère, c’est que nous n’essayons pas de faire en sorte que la restauration corresponde à un état 'vierge', car les rivières doivent être stables dans les conditions actuelles dans lesquelles elles se trouvent."

A lire dans le cas français

01/04/2021

Les sénateurs Savary et Janssens demandent à Barbara Pompili de cesser la casse des moulins

Barbara Pompili persiste à couvrir les dérives des fonctionnaires de son ministère saisis d'une folie destructrice des ouvrages hydrauliques en plein urgence de la transition énergétique et de l'adaptation climatique. Mais les parlementaires indignés de ce qu'ils observent sur le terrain maintiennent le feu roulant des interpellations de la ministre pour que cesse la liquidation des patrimoines des rivières. Combien de temps va encore durer le blocage d'une minorité intégriste refusant d'admettre l'échec de la continuité écologique destructrice? Quand va-t-on cesser de faire disparaître sur argent public les ressources en eau et en énergie bas-carbone du pays?


La chute de Beillard dans l'Orne
. Les administrations locales n'entendent rien à la "continuité apaisée des rivières" et cherchent encore en 2021 tous les moyens de pression pour pousser à la casse des ouvrages, non pour aider à leur exploitation. Tant que ce dogme opposé à l'esprit et au texte de la loi sera actif chez des agents des DDT-M, DREAL, OFB et direction eau du ministère de l'écologie, les conflits sociaux persisteront, de même que la décrédibilisation de la parole et de l'action publiques.

Question écrite n° 21305 de M. René-Paul Savary (Marne - Les Républicains) 
M. René-Paul Savary interroge Mme la ministre de la transition écologique au sujet de la préservation des moulins en France et plus particulièrement dans le département de la Marne.
L'étude d'impact du projet de loi n° 3875 (Assemblée nationale, XVe législature) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets n'évoque pas ce sujet alors que 3 000 à 5 000 retenues de moulins à eau auraient déjà été détruites en France.
Les dernières générations de roues ou turbines peuvent avoir un rendement de 90 % et une exploitation de 25 000 moulins permettrait la production de 4 térawatt-heure (TWh) d'électricité permettant d'assurer la consommation d'un million de foyers.
Il souligne que notre territoire comprend plus de 250 associations œuvrant à la préservation des moulins et que les installations ancestrales font parties de notre patrimoine et permettent de lutter contre les effets du règlement climatique.
Il l'interroge afin de connaître ses projections permettant de substituer à la continuité écologique subversive constatée par la diminution des masses d'eau de nos rivières, la sécheresse et l'abaissement du niveau des nappes phréatiques, ainsi que l'augmentation de crues, une continuité écologique de conservation et de valorisation des moulins marnais.

Question écrite n° 21491 de M. Jean-Marie Janssens (Loir-et-Cher - UC)
M. Jean-Marie Janssens attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences de l'arasement des vannages des moulins dans certaines rivières et cours d'eau. Beaucoup de propriétaires de moulins sont soumis à une pression forte de la part des organismes publics pour procéder à l'arasement des vannages considérés par ces mêmes organismes comme altérant le fonctionnement écologique et la biodiversité des rivières et cours d'eau. Outre le fait que la prise en charge de ces travaux serait hors de portée financière des propriétaires, il n'est pas établi que ces vannages, souvent séculaires, soient à l'origine de la dégradation de la faune et de la flore constatée depuis quelques décennies dans nos rivières. Au contraire, la destruction des vannages des moulins entraînerait des conséquences néfastes et irréversibles sur l'hydraulique des rivières, notamment l'aggravation des phénomènes de crues provoqués par un écoulement accéléré vers l'aval et des étiages sévères en amont en cas de déficit pluvial. Les vannages permettent en effet de stocker l'eau dans des zones humides ou inondables afin de préserver des inondations en aval. Du fait de l'accélération du courant et de la réduction de l'épaisseur d'eau, la disparition des vannages provoquerait en outre la réduction de la nappe de surface et entraînerait la mise en place de nouveaux écosystèmes préjudiciables à la vie piscicole. Pour ces raisons, il souhaite connaître la position du Gouvernement sur les vannages des moulins et sur leur importance pour le maintien de l'équilibre écologique et de la biodiversité de nos rivières.

23/02/2021

Sur la Risle, on cadenasse les vannes des moulins

La préfecture de l'Orne a pris un arrêté contesté obligeant les ouvrages hydrauliques de la Risle à tenir toutes leurs vannes ouvertes, même hors période de crue. Ce qui a pour effet de vider biefs et retenues. Non seulement l'administration n'écoute pas les objections de l'association locale, mais des propriétaires ont eu la mauvaise surprise de découvrir que des cadenas ont été posés sur certaines vannes, pour empêcher toute action. Nous n'aurons jamais une continuité apaisée si les services de l'Etat et des syndicats de rivière persistent à harceler les ouvrages hydrauliques et à refuser de mettre les moyens pour un traitement au cas par cas de chaque ouvrage.


Le 13 novembre 2020, la préfecture de l'Orne a pris un arrêté exigeant d'ouvrir jusqu'à fin mars toutes les vannes des ouvrages hydrauliques sur la Risle. La motivation était un risque d'inondation, mais aussi de manière sous-jacente la restauration de continuité écologique. Or, ouvrir en permanence les vannes des ouvrages a pour effet hors crue de vider les biefs et les retenues. De plus, c'est contraire au respect de la consistance légale autorisée de chaque ouvrage, il faudrait une justification au cas par cas d'un risque inondation. Enfin, la succession des retenues et des biefs a pour effet de "tamponner" les crues de l'amont vers l'aval, au lieu que l'eau file à toute vitesse et augmente les risques en zone aval. D'ailleurs, il est aujourd'hui admis que des débordements latéraux sont bénéfiques pour la gestion de crue, la rétention d'eau et la biodiversité, si bien sûr ils n'affectent pas des tiers.

L'association les Amis des moulin 61, présidée par André Quiblier, a déposé un recours gracieux contre cette mesure jugée excessive de la préfecture de l'Orne. 

Voici un extrait des argument de l'association : 
"Il n’est pas de notre volonté de contester que  des mesures exceptionnelles s’imposent lors des crues de la rivière Risle mais nous insistons sur le fait qu’au-delà même de la violation des règlements d’eau existants et du droit d’usage attaché à la propriété de ces moulins, cet arrêté a pour conséquence de bouleverser le régime des eaux de la Risle tel qu’il existe  depuis des siècles, avec deux conséquences majeures :  accélération de la vitesse d’écoulement des eaux et abaissement des lignes d’eau. 
Ces effets ont pour conséquence : 
- d’exonder de nombreuses berges en amont des ouvrages et de provoquer  des processus d’érosion sur ces linéaires qui en étaient dépourvus autrefois entraînant chute d’arbres, effondrement de berge, entraînement des terres arables, déchaussement d’ouvrages d’art dont les moulins eux-mêmes,
- d’assécher des zones humides de bordure, plan d’eau ou étangs dont l’existence repose sur la permanence des niveaux d’eau existants, 
- de réduire la capacité de la rivière à recharger les nappes phréatiques d’accompagnement en période hivernale, 
- de détruire d’importants faciès d’écoulement lentiques abritant une faune et une flore spécifiques  alors que la loi impose de « préserver ces mêmes milieux » et non de les bouleverser,
- d’aggraver le régime de crue à l’aval, puisque l’eau moins retenue arrive à la fois plus vite et en plus grand volume vers ces zones aval du bassin.
Ces effets,  en cascade,  sont  tous absolument contraires aux différents enjeux légaux établis par l’article L211-1 du Code de l’environnement."

Non seulement les services du préfet n'ont pas donné suite à ce recours gracieux en retirant l'arrêté litigieux, mais certains propriétaires d'ouvrages sur la Risle ont eu la désagréable surprise de constater que des cadenas ont été posés sans aucune autorisation sur les mécanismes des vannes de certains moulins, afin d'empêcher leur gestion! L'affaire est en cours d'examen par l'association pour vérifier qui a pris cette initiative et quelles suites judiciaires peuvent être données le cas échéant. 

La continuité n'est toujours pas "apaisée": les préfectures persistent à harceler les ouvrages avec des a priori négatifs, à tenir des discours contradictoires sur la gestion des crues et des zones humides latérales (dont font partie les biefs), à chercher des solutions simplistes,  à refuser de mettre le personnel et les moyens financiers pour traiter dignement et efficacement la continuité écologique de chaque ouvrage au cas par cas. 

Nous demandons aux parlementaires de constater ces troubles publics persistants et de les faire cesser en assurant une protection des ouvrages et de leurs milieux dans la loi

11/02/2021

Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière

Après dix ans de harcèlement des ouvrages hydrauliques en vue de les faire disparaître, la nouvelle équipe du syndicat Sequana, dirigée par Philippe Vincent, entend tourner la page de la continuité écologique destructrice pour ouvrir celle de la continuité "apaisée". Nombre de chantiers avaient fait disparaître des chutes, retenues, étangs et biefs de ce magnifique pays en tête du bassin de la Seine. Or, les ouvrages hydrauliques, remontant aux cisterciens du Moyen Âge pour les plus anciens, présentent de formidables atouts pour le développement durable du territoire, qui vient d'être en partie intégré au parc national des forêts de Champagne et Bourgogne. 


Photo extraite du journal Le Châtillonnais et l'Auxois, droits réservés. 

Dans son édition du 4 février 2021, le journal le Châtillonais et l'Auxois publie un entretien avec Philippe Vincent, le nouveau président du syndicat (Epage) Sequana. Cet établissement regroupe 126 communes de Côte d'Or, Yonne et Haute-Marne en charge de la gestion des cours d'eau et milieux aquatiques du bassin versant amont de la Seine, qui s'étend des sources de la Seine jusqu'à la limite avec le département de l'Aube.

Les associations Hydrauxois et Arpohc, suivies de consoeurs comme l'association des riverains de Chamesson, ont eu des rapports difficiles avec Sequana comme avec d'autres syndicats en tête de bassin bourguignonne de la Seine et de l'Yonne. 

L'agence de l'eau Seine-Normandie, la DDT et l'Office français de la biodiversité (ex Onema) ont mené dès le début des années 2010 une campagne agressive visant expressément à la destruction des ouvrages hydrauliques. Loin de s'y opposer, la précédente équipe du syndicat adoptait ce discours sans esprit critique, voire avec une volonté de renaturation et ré-ensauvagement des milieux allant très au-delà des termes de la loi. La même chose fut observée avec le syndicat SMBVA sur l'Armançon, plus au sud du département de la Côte d'Or. La dimension historique et énergétique des ouvrages était négligée, leurs milieux en eau n'ont fait l'objet d'aucune étude sérieuse de biodiversité hors le seul prisme des poissons migrateurs et rhéophiles. Les propriétaires se sont vus offrir des ponts d'or public pour détruire les ouvrages et assécher les biefs (jusqu'à 100% de prise en charge, avec divers travaux d'aménagement en sus) alors qu'ils étaient l'objet d'une instruction hostile et de subventions très faibles voire nulles s'ils désiraient conserver les ouvrages hydrauliques, les retenues et les biefs en eau. Sur les bassins de la Seine et de l'Ource, de nombreux ouvrages ont été détruits à contre-coeur, car c'était la seule solution financée. Mais c'est aussi sur ce bassin que Gilles Bouqueton et sa compagne, soutenus par nos associations et par une cagnotte de citoyens donateurs, ont obtenu après 7 ans de lutte obstinée une victoire décisive au conseil d'Etat en 2019 (arrêt moulin du Boeuf). Les conseillers ont condamné sur toute la ligne des pressions illégale menées par les représentants du ministère de l'écologie. 


Cela relève aujourd'hui du passé, en tout cas pour ce qui est de la politique syndicale. La nouvelle équipe de l'Epage Sequana entend désormais prendre au mot la "continuité apaisée" telle qu'elle est officiellement promue par le ministère de l'écologie. Et l'apaisement signifie que l'on ne regarde plus les moulins, forges et étangs comme des adversaires de l'écologie, mais comme des partenaires du territoire.

Le président de Sequana précise ainsi :"Les effacements d'ouvrages sont liés à une politique environnementale. La loi qui régit ces actions n'oblige pas l'effacement mais l'aménagement pour respecter la continuité écologique et les débits minimums biologiques. Un ouvrage n'ayant plus aucun usage pourrait effectivement être supprimé. Mais il faut être très prudent. Un ouvrage quel qu'il soit a eu une utilité et aujourd'hui avec les assecs de ces dernières années, toutes les retenues d'eau auront une action sur l'écoulement de nos cours d'eau et donc une préservation de la ressource. Autre point important souvent négligé, la prise en compte des aspects patrimoniaux et sociétaux, paysager et historiques concernant ces ouvrages, mais également tous les monuments, lavoirs... au fil de l'eau qui fait que notre territoire est aujourd'hui Parc National".

Il entend également rouvrir le dossier de certaines dépenses votées par la précédente équipe, mais ne correspondant pas à l'intérêt général du Châtillonnais et à la protection de la ressource en eau : "Aujourd'hui, nous avons une problématique importante liée à l'effacement de l'étang de Rochefort-sur-Brevon. Le propriétaire vient d'accepter l'effacement, la commune semble d'accord, mais nous pensons que cet argent public serait mieux investi dans l'alimentation du réseau d'eau potable que dans ce projet sur un bien privé aux bénéfices discutables en termes de continuité écologique. Nous allons revenir très rapidement sur ce sujet".

Rappelons qu'à Rochefort-sur-Brevon, véritable petit joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais, le syndicat Sequana proposait de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des radiers de vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang, cela alors que l'aménageur reconnaissait que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... Pourquoi cette gabegie? Pourquoi l'administration avait-elle classée la rivière en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Ce sont toutes ces incohérences qui excèdent les riverains, alors que l'argent public est si rare et que l'eau renvoie à de multiples enjeux d'intérêt général. 

Les associations félicitent la nouvelle équipe du syndicat Sequana, et entendent mobiliser les propriétaires d'ouvrages hydrauliques au service des projets de territoire. Face à la sévérité croissante des assecs comme à la brutalité des crues, à la nécessité de développer l'énergie locale bas-carbone, au besoin de protéger les milieux aquatiques et les zones humides, beaucoup de travail nous attend. Les moulins, forges, étangs et plans d'eau du territoire sont des atouts à valoriser, en particulier avec le création du parc national des forêts des Champagne et Bourgogne, impliquant un tourisme de qualité et de proximité à inventer. 

24/01/2021

Mobilisez vos députés et sénateurs pour inscrire les moulins et barrages dans la loi Climat et résilience

Après les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, les parlementaires vont examiner dès le mois prochain une loi "Climat et résilience". Or, dans le même temps, l'administration de l'eau en plein dérive manipule les élus sur la continuité soi-disant "apaisée", détruit des ouvrages hydro-électriques, entrave le ré-équipement des moulins,  assèche des retenues et des biefs. Cette bureaucratie ne sert plus l'avenir du pays, mais une idéologie folle de la nature sauvage, en décalage complet de nos urgences et de nos attentes. Particuliers, associations, syndicats : nous demandons à tout le mouvement des ouvrages hydrauliques et de leurs patrimoines de saisir le député et le sénateur de leur circonscription afin de les sensibiliser à la nécessité d'inscrire dans la loi la promotion des moulins, étangs, lacs et canaux au service de la transition écologique.

Le Canard enchaîné a de nouveau révélé dans son édition de la semaine dernière les dérives de l'administration française de l'eau, engagée dans la destruction massive du patrimoine hydraulique et du potentiel hydro-électrique français. Parmi les innombrables scandales que notre site dénonce depuis 10 ans, le Canard rappelle la dernière prouesse en date de l'agence de l'eau Seine-Normandie : achat pour 1,25 million € de la centrale de Pont-Audemer en vue de la détruire et d'araser son barrage pour 4,7 millions € supplémentaires. L'argent public dilapidé, la production locale d'énergie propre démantelée...


En pleine transition énergétique, les fonctionnaires de l'eau font pression sur les élus pour détruire des outils de production bas-carbone parfaitement intégrés depuis des décennies et souvent des siècles. C'est révoltant. D'autant que ce cas n'en est qu'un parmi mille autres: partout on décourage à relancer l'électricité des moulins, partout on fait disparaître les ouvrages hydrauliques.

Dans le même temps, l'Etat français est assigné en justice par des associations en raison de sa carence fautive dans l'action climatique (Affaire du siècle). La presse nous apprend qu'en ce début d'année, le rapporteur public du tribunal de Paris a demandé de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans cette carence. Et nous le savons bien sur la cause qui nous préoccupe: des centaines de millions € sont dépensés chaque année à empêcher l'équipement bas-carbone voire à détruire le patrimoine des rivières françaises! On marche sur la tête.

L'indignation ne suffit pas : il faut maintenant agir pour stopper la dérive bureaucratique d'une pseudo-écologie sectaire et pour engager la France dans les vrais enjeux écologiques de ce siècle.

Il se trouve que le gouvernement vient de présenter le projet de loi "Climat et résilience", issu des travaux de la convention citoyenne pour le climat. 

Chaque association, chaque syndicat, chaque riverain doit saisir directement son député et son sénateur, avec ses mots, pour le sensibiliser au scandale de la destruction des moulins et barrages, en exigeant au contraire des évolutions du droit pour les protéger des casseurs et pour les équiper au service de la transition énergétique. 

Nous rappelons les grands principes à défendre qui devraient être inscrits dans le droit:
  • les retenues, plans d’eau, lacs, étangs, canaux biefs, apportent des services écosystémiques aujourd’hui indispensables. Les ouvrages assurent préservation de l’eau à l’étiage, régulation de crue, dépollution locale par épuration, réservoir de biodiversité, puits carbone, agrément paysager, énergie bas-carbone, alimentation des nappes et zones humides. Il en résulte que les hydrosystèmes d'origine humaine doivent être protégés par le droit de l'environnement, en particulier au vu de leur menace de destruction et assèchement.
  • l'équipement hydro-électrique de moulins présents sur les cours d'eau jouit d'une forte popularité en particulier dans les communes rurales qui comportent souvent plusieurs sites potentiels et chez des particuliers pouvant développer de l’autoconsommation ou des contrats de petites injections à moins de 36 KVA. La recherche scientifique a montré l'existence de plusieurs dizaines de milliers de sites équipables en France, représentant l'équivalent d'une tranche nucléaire, ou de tout l'éclairage public du pays. Cette énergie bas-carbone et locale apporte une contribution non négligeable à la transition énergétique : elle doit être simplifiée, accélérée et encouragée par les pouvoirs publics, au lieu d'être freinée voire combattue comme aujourd'hui. 
Le projet de loi va être examiné par le parlement à compter de février. Nous demandons à tout le mouvement des ouvrages hydrauliques de faire entendre auprès de leur député et de leur sénateur la voix des riverains et l'urgence à mobiliser par la loi les moulins, étangs, barrages dans la transition écologique. 

L'avenir de nos rivières et de leurs patrimoines passe par la mobilisation de chacun. C'est à vous de jouer pour que la loi protège notre avenir commun.

Des dossiers pour affiner vos argumentaires et diffuser aux élus

02/01/2021

250 ans d'évolution des poissons migrateurs en France (Merg et al 2020)

Des chercheurs français livrent une intéressante analyse de l'évolution de 1750 à nos jours de huit taxons de poissons grands migrateurs, identifiés en archives sur 555 points du territoire. Sur 45% des sites, les poissons diadromes ont disparu en deux siècles et demi. Leur zone d'expansion s'est réduite de 18% à 100% selon les espèces. Les auteurs de l'étude pointent une multitude de causes, parmi lesquelles les obstacles physiques à la migration formés par les ouvrages hydrauliques qui barrent transversalement la rivière. Leur modèle montre que la hauteur des ouvrages est le premier prédicteur de blocage des bassins versants aux migrateurs, ainsi que leur densité sur la distance entre la mer et les sites de frai. Cela explique aussi que les migrateurs étaient répandus en France en 1750 alors qu'il existait de l'ordre de 100 000 moulins à la fin de l'Ancien régime — mais des moulins à ouvrages de dimensions modestes et à gestion active. Pour autant, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité écologique ne peut prendre les références passées comme critère des choix futurs: outre que les rivières ont changé au fil des siècles et que les bénéfices pour les migrateurs sont associés à des coûts pour la société, le changement climatique va modifier le régime des cours d'eau. 

Marie-Line Merg et ses collègues (INRAE, OFB, Université de Lorraine, UMS PatriNat) ont publié dans la revue PLoS ONE une étude historique sur les poissons migrateurs diadromes, présents sur les bassins français de 1750 à nos jours. Ces poissons ont un cycle de vie partagé entre deux milieux, eau douce et eau salée. Le travail des scientifiques a été nourri sur un éventail de sources historiques (archives publiques liées à la pêche et aux stocks de poissons, publications scientifiques et naturalistes anciennes, sources iconographiques), soit au total 165 documents. "Pour caractériser la distribution historique des espèces, nous nous sommes concentrés sur la période allant du milieu du 18e siècle au début du 20e siècle, expliquent les chercheurs. Nous avons choisi cette période parce que (1) elle fournissait beaucoup de données sur la distribution passée des poissons, contrairement aux périodes précédentes, et (2) elle était antérieure aux transformations majeures qui affectaient les rivières européennes (par exemple, la construction de grands barrages, pollution, canalisation fluviale à grande échelle). Étant donné que certaines données quantitatives spécifiques (par exemple, l'abondance, les frayères) étaient rarement disponibles, nous n'avons considéré que l'occurrence de l'espèce."

Sur un nombre total de 1948 sites, 1393 (71,5%) n'avaient ni données d'occurrence historiques ni données actuelles. La variation de présence des poissons migrateurs a donc été calculée pour 555 sites (29,5% de l'ensemble de données).

Treize espèces ont été analysées, regroupées en huit taxons car certaines espèces proches sont d'identification incertaine dans les archives: Esturgeon atlantique (Acipenser oxyrinchus), Esturgeon européen (Acipenser sturio), Grande alose (Alosa alosa), Alose feinte (Alosa fallax), Mulet lippu (Chelon labrosus, Mulet porc (Liza ramada), Lamproie fluviatile (Lampreta fluviatilis), Lamproie de mer (Petromyzon marinus), Saumon atlantique (Salmo salar), Truite de mer (Salmo trutta), Corégone (Coregonus oxyrinchus), Éperlan d'Europe (Osmerus eperlanus), Flet commun (Platichthys flesus).

Cette carte montre le nombre potentiel de rivières à poissons diadromes si l'on prend les données du milieu du 18e siècle comme référence de leur capacité d'expansion historiquement attestée.

Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Les auteurs observent : "nous avons constaté que les poissons diadromes occupaient la plupart des principaux fleuves français il y a cent ans, illustrant la récente perte considérable d'espèces diadromes au niveau national. Les bassins de l'Atlantique, de la Manche et de la mer du Nord ont présenté une richesse plus élevée que le bassin méditerranéen (par exemple le Rhône). Cela a confirmé ce que l'on sait des schémas de distribution historico-bio-géographiques des espèces diadromes. En comparant cette distribution passée avec les données actuelles sur les occurrences de taxons, nous avons quantifié le déclin des taxons diadromes et avons constaté que ce phénomène est très répandu. Ainsi, selon nos résultats, 45% des 555 sites d'étude, qui étaient autrefois habités par des poissons diadromes, ont actuellement perdu la totalité de leur assemblage diadromes. Parmi les huit taxons étudiés, cinq ont perdu plus de 50% de la longueur de rivière occupée il y a deux siècles en France. Ces observations concordent avec le déclin massif de ces espèces qui a été observé ailleurs en Europe ou dans l'est de l'Amérique du Nord."

Ce schéma montre la perte d'habitat des taxons (de gauche à droite : corégones, esturgeons, flets, aloses, salmonidés, lamproies, mulets, éperlans.

Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Pour analyser la disparition des poissons migrateurs, les chercheurs ont construit un modèle prenant en compte des données morphologiques, chimiques, hydrologiques et en particulier la présence de barrages de diverses dimensions et diverses anciennetés sur les cours d'eau. Leur modèle montre que la hauteur et la densité des ouvrages hydrauliques sont deux prédicteurs forts du déclin des migrateurs :
"La présente étude a confirmé que la fragmentation des rivières (c'est-à-dire de la mer au site considéré) est une menace majeure pour les poissons diadromes. Dans notre modèle, les statistiques et la courbe de réponse associée à la hauteur maximale des barrières en aval suggèrent que la taille des barrières est le facteur qui exerce l'effet le plus fort et le plus net sur l'assemblage diadrome, conduisant à un impact majeur et systématique lorsque les barrages dépassent une dizaine de mètres. La densité des barrières contribue également à la dégradation des assemblages diadromes mais semble avoir un effet plus diffus et modéré que la taille des barrières en aval. Il reflète l'effet cumulatif potentiel des barrières. L'effet cumulatif des obstacles successifs, tels que les petits déversoirs ou les systèmes d'écluse, qui ne sont pas physiquement difficiles à franchir individuellement, peut causer des problèmes considérables aux poissons (par exemple, des retards, une réduction du succès de la migration, des blessures). Selon son taux de francissement, chaque barrière réduit la fraction de la communauté qui peut poursuivre sa migration. Même si la proportion de poissons coincés devant un obstacle donnée est faible, la succession d'obstacles à franchir peut conduire à une réduction drastique du nombre de poissons en fin de parcours."
Mais les auteurs remarquent également qu'au début de leur étude (milieu 18e siècle), il existait déjà des dizaines de milliers d'ouvrages (moulins, forges, étangs) apparus dès l'Antiquité et développés à partir du Moyen Âge :
"Les liens étroits observés entre la perte de poissons diadromes et la hauteur et la densité des barrières suggèrent que la construction de barrages a eu une contribution significative au déclin à long terme des poissons diadromes. Cependant, ce résultat soulève un certain paradoxe dans la mesure où une grande partie des barrières référencées dans la base de données ROE actuelle existaient probablement déjà lors des premières observations historiques de taxons diadromes. En Europe occidentale et particulièrement en France, l'aménagement des cours d'eau est vieux de plusieurs siècles et s'est considérablement développé dans la seconde moitié du Moyen Âge avec l'installation généralisée de moulins à eau sur la plupart des petits et moyens cours d'eau. Le nombre de moulins a été estimé à 100 000 le long des fleuves français au XIIIe siècle. Ce nombre est resté pratiquement inchangé jusqu'en 1809, date à laquelle leur utilisation a progressivement cessé au cours du 19e siècle. L'arrêt des activités de meunerie n'a cependant pas impliqué la disparition systématique des obstacles associés. La plupart des déversoirs et des barrages à faible hauteur actuels sont des héritages de constructions médiévales (voir par exemple Rouillard et al. pour le bassin de la Seine). Néanmoins, il semblerait que les changements induits au fil du temps concernant (1) la gestion de ces installations (par exemple l'arrêt de l'ouverture régulière des vannes auparavant nécessaires au bon fonctionnement et l'entretien des usines) et (2) leur modernisation (par exemple le renforcement, élévation des hauteurs, changement de conception) ont rendu leur passage plus difficile pour les poissons. Cependant, suite aux progrès techniques, la plupart des barrages de taille moyenne à grande ont été construits plus tard; c'est-à-dire (1) au cours du XIXe siècle avec le développement de la navigation intérieure et l'expansion industrielle, et (2) après la Seconde Guerre mondiale en conséquence du développement économique; par exemple, en France, 86% des grands barrages existants (soit égaux ou supérieurs à 15 m) ont été mis en service après 1930. Ainsi, la plupart des barrages moyens à grands, qui ont le plus d'impact sur les poissons diadromes selon nos résultats, ont été construits après la période au cours de laquelle la distribution historique des poissons diadromes a été décrite."

Marie-Line Merg et ses collègues ne notent pas d'effets notables des passes à poissons : "Malgré des situations contrastées (de 0 à 100% des barrières en aval équipées), le ratio de barrières avec passes à poissons n'a pas été retenu par notre modèle, soulignant ainsi la difficulté de quantifier l'effet atténuant des passes à poissons sur la perte de poissons diadromes. Ce résultat était inattendu étant donné que l'établissement de passes à poissons est une mesure largement soutenue pour restaurer la continuité de la rivière et les populations diadromes et que les preuves fondées sur l'observation appuient la relation entre la récupération en amont des poissons diadromes et la mise en place d'installations de franchissement de barrages."

Plusieurs causes sont possibles : certains passes anciennes (construites après les lois de 1865, 1919 ou 1984) sont connues pour être de conception non efficace, d'autres passes sont mal entretenues, beaucoup de dispositifs de franchissement ont été spécialisés pour certains poissons, notamment les salmonidés en raison de la demande de pêche, mais ne sont pas forcément adaptés à d'autres taxons.

Comment pourraient évoluer les migrateurs? Les auteurs de l'étude ont fait varier des paramètres de leur modèle pour en avoir une idée. Quatre scénarios ont été construits, dont le résultat est exprimé dans le graphique ci-dessous : (A) après suppression des barrières de plus de 10 m de hauteur (scénario 1), (B) après suppression des barrières entre 2 m et 10 m de hauteur (scénario 2), (C) après suppression des barrières sous 2 m de hauteur (scénario 3) et (D) réduction des altérations locales hydrologiques, morphologiques et de la qualité de l'eau (scénario 4). Le graphique montre la capacité de retour de migrateurs (absence vers le brun, retour vers le vert, taille du cercle réduction par rapport aux conditions initiales sans aucun scénario).


Extrait de Merg et al 2020, art cit.

Les auteurs observent : "Les deux scénarios qui prédisaient les réponses les plus substantielles et les plus répandues portaient sur la suppression des barrages de taille moyenne (2-10 m, scénario 2) ou de petite taille (hauteur <2 m, scénario 3). L'ampleur des réponses variait considérablement entre les deux scénarios et entre les bassins, probablement en fonction de l'historique des développements, de la nature et de l'emplacement des barrages et des déversoirs existants spécifiques à chaque bassin. Ainsi, les bassins Seine et Nord, dont les principales voies navigables ont été largement aménagées avec des équipements de navigation (ex: déversoirs, écluses) montrent des améliorations plus marquées avec le scénario 2, privilégiant les barrières de taille moyenne. A l'inverse, c'est lorsque les prélèvements se sont focalisés sur les barrières de petite taille (scénario 3) que les réponses sont les plus importantes pour le bassin de la Loire dont les axes principaux sont le plus souvent à écoulement libre, et pour les bassins côtiers Atlantique et Manche. Cela suggère que les mesures les plus efficaces pour restaurer la communauté diadromes sont susceptibles de varier considérablement d'un bassin à l'autre ou d'une région à l'autre."

La suppression des obstacles (par effacement ou par aménagement) ne va cependant pas sans conséquences qui obligent à mesurer les coûts en face des bénéfices, ainsi qu'à adapter à chaque bassin et chaque taxon:
"Globalement, les résultats des différents scénarios suggèrent qu'une amélioration à grande échelle des poissons diadromes (ex: assemblage sur tout le territoire français) nécessitera nécessairement des mesures à grande échelle pour améliorer la continuité fluviale sans les limiter aux plus grands barrages, mais aussi en tenant compte des plus petits obstacles dont l'effet cumulatif semble potentiellement très important. Les scénarios que nous avons mis en œuvre sont basés sur la suppression d'un nombre considérable de barrières mais sans tenir compte de leur coût et efficacité et de leurs éventuelles conséquences secondaires négatives (ex: perte de valeur patrimoniale et culturelle, impact économique et commercial, déstabilisation morphologique). Des approches plus raffinées examinant le rapport coût / efficacité pourraient permettre d'identifier des scénarios optimisés, adaptés à chaque bassin et limitant le nombre de barrages à supprimer tout en conservant une bonne efficacité de la récupération des espèces diadromes."
Enfin, dans leur conclusion, les auteurs soulignent qu'une politique de restauration des poissons migrateurs doit obligatoirement anticiper les effets du changement hydroclimatique, qui risque de rendre certains milieux passés et actuels impropres à héberger dans le futur des poissons pour le frai ou le grossissement:
"l'utilisation de l'occurrence passée des espèces pour établir des repères pour la restauration future soulève certaines questions, dans le contexte du changement climatique en cours. Les approches prospectives prédisent des changements significatifs dans les aires de répartition continentales des poissons diadromes en raison du réchauffement et des changements de régime hydrologique [105]. Ainsi, les bassins désormais habités par certaines espèces, en particulier les eaux froides, pourraient leur devenir inadaptés d'ici quelques décennies. Dans ce contexte et pour des restaurations efficaces et à long terme, les occurrences historiques d'espèces diadromes doivent être considérées comme un indicateur de rétablissement potentiel et non comme une liste fixe d'espèces définissant strictement les futurs objectifs de restauration."

Discussion
Concernant le modèle utilisé par le chercheurs, plusieurs remarques peuvent être faites:
  • les altérations morphologiques autres que les obstacles transversaux sont "à dire d'experts", ce qui est potentiellement faible (entre 1750 et nos jours, la morphologie des berges et des écoulements, notamment latéraux, a considérablement changé, même dans l'état présent il n'est pas évident d'attribuer des degrés d'artificalisation ni de périodiser ces changements, qui se sont accélérés entre 1950 et 1980 : recalibrage, curage, drainage, suppression d'annexes, colmatage de lits);
  • les données de qualité chimique (issues de la base Naïades) sont insuffisantes pour décrire la réalité des pollutions des rivières françaises, les relevés les plus fréquents (pour la DCE) ne concernant qu'une petite fraction des eutrophiants et polluants susceptibles d'affecter les espèces et leur réseau trophique;
  • concernant les obstacles, les descripteurs de la base ROE sont insuffisamment renseignés. Il manque le plus souvent la hauteur exacte de chute à différents débits, la description de franchissabilité latérale, l'âge de construction (ou reconstruction) des chaussées, seuils barrages, buses et autres.
  • la pression de pêche et braconnage est absente (pêche en rivière ou en estuaire et littoral), mais les auteurs reconnaissent ce point : "Étant donné que les données sur les captures fluviales et marines peuvent refléter uniquement l'état du stock et ne sont pas une preuve de surexploitation, tester l'implication des pêcheries dans le déclin des poissons diadromes est une tâche délicate. Pour cette raison et en raison d'un manque de données, nous n'avons pas inclus ces informations dans le modèle. Cependant, même si nous n'avons connaissance d'aucun cas dans lequel la surpêche a conduit directement à l'extinction des espèces, la surpêche peut avoir contribué au déclin de certaines populations diadromes. A titre d'exemple, en France, les esturgeons européens ont été massivement capturés pour le caviar jusqu'à l'interdiction de pêche en 1982, ce qui a certainement participé à la quasi-extinction de cette espèce."
Concernant l'occurence de migrateurs au 18e siècle malgré la présence de moulins en grand nombre (et d'étangs sans doute aussi nombreux), les auteurs font l'hypothèse qu'il aurait pu exister une "dette d'extinction", c'est-à-dire que l'effet de ces moulins aurait mis des siècles à s'exercer. On peut douter de cette explication ad hoc. La convergence des rehausses d'usines à eau et constructions de grands barrages, des pollutions de plus en plus importantes, des extractions d'eau et modification de lits, des changements hydriques et climatiques permet d'expliquer la tendance baissière des migrateurs entre 1750 et nos jours, sans qu'il soit besoin de faire intervenir un mécanisme supplémentaire et non démontré. Par ailleurs, les effets s'observent sur le temps de reproduction des individus qui composent les populations, soit de l'ordre de l'année à la décennie. On le voit dans les archives du 19e siècle quand des rehausses ou constructions de barrages entraînent très rapidement des plaintes à l'amont du fait de la disparition de certains poissons.  On le voit aussi avec les chutes rapides de populations d'anguilles ou d'aloses que l'on observe récemment (après les années 1980 et 2000 respectivement). Il est douteux que des ouvrages de retenues et de diversion apparus dès l'époque romaine, et ayant progressivement occupé tous les bassins médiévaux, aient eu un effet retard de plusieurs siècles. Le plus probable est que ces ouvrages de dimension modeste, limités au lit mineur, surversés et contournés en crue, n'ont pas été infranchissables pour la plupart. S'ils ont sans doute limité la densité maximale potentielle de migrateurs, ils n'ont pas engagé d'extinction avant l'arrivée de pressions plus fortes (y compris donc des barrages de plus grande taille ou de gestion différente). 

Plus largement, l'étude de Marie-Line Merg et de ses collègues nous amène aux réflexions suivantes :
  • si leur déclin est probablement millénaire, les grands migrateurs diadromes étaient encore présents sur nombre de bassins et jusqu'aux sources au milieu du 18e siècle, alors que les moulins étaient déjà 100 000 à cette époque, sans compter les étangs. Cela confirme que les ouvrages d'Ancien Régime et leur gestion permettaient la circulation des poissons;
  • la hauteur reste le premier prédicteur de blocage à la recolonisation des migrateurs, sur nombre de bassins la présence d'ouvrages non franchissables à tout débit de la rivière limitera le retour sur les têtes de bassin. La continuité écologique dogmatique consistant à détruire tout ouvrage sur des bassins versants est à réviser, car elle coûte en argent public et a d'autres effets négatifs sur la ressource en eau;
  • la conservation des grands migrateurs doit être repensée à un niveau raisonnable et non maximaliste, d'autant que les besoins de protection des milieux aquatiques et humides sont loin de se résumer à quelques espèces de poissons, même si celles-ci sont appréciés des pêcheurs. Outre les pollutions nombreuses affectant la qualité de l'eau, les ruptures de continuité latérale et l'incision des lits ont probablement eu des effets nettement plus importants sur la faune et la flore des cours d'eau et des rives que les ruptures de continuité longitudinale présentes depuis des siècles sous influence humaine. Pour ces dernières, il faut attendre des retours d'expérience sur les nouveaux dispositifs de franchissement des années 2010 (rampes rustiques, rivières de contournement) afin de vérifier que leur efficacité est supérieure à celle des anciennes passes à poissons du 20e siècle. Sur nombre de moulins en zones rurales, le retour à une gestion avisée peut déjà obtenir des résultats.
Les poissons migrateurs ont une probabilité quasi-nulle de retrouver ce qui fut leur expansion maximale au Holocène, car les rivières ont drastiquement évolué au fil des millénaires sous influence humaine; le changement hydroclimatique en cours et à venir va accentuer au 21e siècle le rythme de ce changement. La gestion de la rivière ne peut pas se faire au nom d'une naturalité passée qui serait posée comme guide de son état futur. Les politiques de conservation écologique doivent admettre diverses réalités non réversibles de l'Anthropocène, installé progressivement au fil des siècles, non entretenir la nostalgie d'une mythique rivière de jadis que nous pourrions restaurer.  Bien entendu, une gestion écologique active des rivières et plans d'eau est nécessaire. Mais elle doit se penser et se débattre comme création  de conditions favorables à la fois au vivant et à la société, non comme recréation d'une nature perdue. 


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