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22/02/2017

La Commission européenne vise l'atténuation des impacts d'ouvrages hydrauliques, pas leur destruction

L'administration française tente par tous les moyens de justifier ses choix selon lesquels la continuité longitudinale serait un élément essentiel de qualité de l'eau, et la destruction des ouvrages la solution préférable pour rétablir cette continuité. Elle met volontiers en avant de soi-disant obligations européennes en ce domaine. Mais le Plan d'action (Blue Print) adopté en 2012 par la Commission européenne indique qu'il convient de chercher une atténuation des effets des ouvrages hydrauliques par des dispositifs de franchissement, dans le cadre d'une adaptation progressive. Rien à voir avec l'acharnement destructeur de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement ou des Agences de l'eau. L'Europe est raisonnable en ce domaine, comme le sont au demeurant les parlementaires français depuis 2006. C'est l'administration qui surinterprète et surtranspose lois et directives au service d'un programme excessif et conflictuel. 


Comme nous l'avions rappelé dans un précédent article, la directive cadre européenne 2000 se contente de citer la "continuité de la rivière" dans une de ses annexes, comme élément d'appréciation de son état écologique. Sachant que ladite continuité possède 4 dimensions (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) et que l'essentiel de la littérature scientifique internationale concerne l'impact des grands barrages ou des endiguements des grands axes fluviaux (voir cet article sur l'histoire du "river continnum concept" en écologie).

En 2012, un Plan d'action pour la sauvegarde des ressources en eau de l'Europe (appelé "Blue Print") a été adopté la Commission européenne. Il définit les orientations de reconquête de l'état écologique et chimique des masses d'eau européennes.

Concernant le constat, la Commission européenne rappelle la diversité des pressions sur l'eau :
Les principales causes des effets négatifs sur l'état des eaux sont liées entre elles. Il s'agit notamment du changement climatique, de l'utilisation des sols, d'activités économiques telles que la production d'énergie, l'industrie, l'agriculture et le tourisme, mais aussi du développement urbain et de l'évolution démographique. Ces causes exercent une pression sous différentes formes: émissions polluantes, surexploitation des ressources en eau (stress hydrique), modification physique des masses d'eau et phénomènes extrêmes, tels que sécheresses et inondations, qui devraient augmenter si aucune mesure n'est prise. L'état écologique et chimique des eaux de l'UE s'en trouve donc menacé, de plus en plus de régions de l'UE risquent de connaître des pénuries d'eau et les écosystèmes aquatiques, qui rendent des services dont nos sociétés ont besoin, peuvent devenir plus vulnérables à ces types de phénomènes extrêmes. Il faut s'attaquer à ces problèmes pour préserver ces ressources indispensables à la vie, à la nature et à l'économie, et protéger la santé humaine. 
Cette énumération présente des manques — par exemple les espèces dites invasives ou exotiques, qui modifient la composition faunistique et floristique des milieux aquatiques, ou encore la pression de pêche, qui reste localement problématique pour certaines espèces menacées (saumons, anguilles). Elle comporte aussi des contradictions potentielles — par exemple, si les phénomènes extrêmes comme les sécheresses et les crues représentent des menaces croissantes pour les sociétés humaines, il sera difficile d'y répondre sans poursuivre à certain degré la modification physique des cours d'eau. Les solutions douces (comme la restauration de continuité latérale en champ d'expansion de crue) et vertueuses (comme les économies d'eau)  ne suffiront pas forcément à protéger les grands bassins urbanisés ni à répondre aux besoins agricoles en situation de changement climatique.

Concernant plus particulièrement la morphologie et la continuité, le Plan d'action de la commission européenne observe :
Si les évaluations de l'état écologique doivent encore être améliorées, il apparaît que la pression la plus courante sur l'état écologique des eaux de l'UE (19 États membres) provient de modifications des masses d'eau dues, par exemple, à la construction de barrages pour des centrales hydroélectriques et la navigation ou pour assécher les terres pour l'agriculture, ou à la construction de rives pour assurer une protection contre les inondations. Il existe des moyens bien connus pour faire face à ces pressions et il convient de les utiliser. Lorsque des structures existantes construites pour des centrales hydroélectriques, la navigation ou à d'autres fins interrompent un cours d'eau et, souvent, la migration des poissons, la pratique normale devrait être d'adopter des mesures d'atténuation, telles que des couloirs de migration ou des échelles à poissons. C'est ce qui se fait actuellement, principalement pour les nouvelles constructions, en application de la directive-cadre sur l'eau (article 4, paragraphe 7), mais il est important d'adapter progressivement les structures existantes afin d'améliorer l'état des eaux.
La pratique "normale" pour l'Europe ne consiste donc pas à privilégier la destruction comme solution de première intention – choix opéré par la seule administration française – mais l'atténuation des impacts des ouvrages par des dispositifs de franchissement. Par ailleurs, la Commission européenne parle d'une évolution raisonnée ("adapter progressivement"), en aucun cas d'une restauration brutale de continuité longitudinale consistant à classer des bassins versants avec des dizaines à centaines d'ouvrages pour en supprimer le plus grand nombre en l'espace de quelques années.


Pour l'évaluation de l'état écologique des eaux, la Commission européenne fonde ses jugements sur la base des rapportages qui lui sont faits par les Etats-membres. Elle prend soin de rappeler que ces évaluations doivent "encore être améliorées". Dans le cas de la France, l'hypothèse selon laquelle la moitié des masses d'eau serait altérée par la morphologie a été faite lors des premiers états des lieux de bassin de 2004-2005. A cette époque, les gestionnaires (Agences de l'eau responsables du rapportage) ne disposaient d'aucune base scientifique solide pour évaluer l'état des 10.000 masses d'eau superficielles françaises, en particulier elles n'avaient pas l'ensemble des mesures biologiques, physico-chimiques et chimiques indispensables à la caractérisation précise des pressions. Cette précipitation a conduit la France à s'engager imprudemment dans l'objectif de 2/3 des masses d'eau en bon état 2015, un but qui ne fut jamais atteint (nous sommes actuellement à 44% des masses d'eau en bon état, et l'Europe s'inquiète plutôt de la qualité chimique de nos rivières).

Aujourd'hui encore, le plus grand flou règne quand on attribue une variation d'état écologique à l'hydromorphologie. Car en fait, la morphologie concerne tous les processus influençant l'érosion, le transport et le dépôt des sédiments par l'eau, ce qui est vaste. Certains phénomènes de long terme, comme l'alternance de l'emprise et de la déprise agricoles sur les sols des bassins versants ou l'effet des grands aménagements hydrauliques du XXe siècle, sont loin d'être correctement caractérisés. Les milieux ne sont probablement pas en situation d'équilibre, c'est-à-dire qu'ils évoluent encore aujourd'hui sous l'effet des impacts passés. Cet ajustement dynamique fait du diagnostic morphologique des bassins un exercice difficile, surtout si l'on prétend statuer par rapport à un "état de référence" de l'eau et de ses milieux.

Gardons-nous donc d'un certain simplisme et d'une certaine précipitation dans le discours gestionnaire des rivières, en particulier pour l'écologie où interdépendance et complexité sont les maîtres-mots des phénomènes naturels que nous observons. L'Europe nous demande à bon droit d'améliorer l'état écologique et chimique de nos rivières et de nos nappes. Elle ne signe pas un blanc-seing à des logiques d'apprentis-sorciers.

Illustration : aménagement du Rhône et du port Edouard-Herriot, 1935, Compagnie nationale du Rhône (CNR) (source, creative commons). En Europe, la morphologie des cours d'eau a été progressivement modifiée par l'occupation humaine de tous les bassins versants, et le phénomène a connu une intensification au XXe siècle, le machinisme et la croissance permettant de multiplier petits et grands travaux hydrauliques à un rythme inaccessible aux époques antérieures.

02/08/2016

Échelle à poissons? "Aucune utilité à la généraliser" (1899)

En 1865, une loi impose en France la construction d'échelles à poissons sur certains ouvrages, afin de favoriser la libre circulation des "espèces voyageuses". Trente ans plus tard, une commission administrative est réunie sous l'égide du Ministère de l'Agriculture, afin de tirer un bilan. Sur la base d'un rapport d'enquête, elle conclut que la construction des échelles à poissons pose des problèmes aux usages, principalement les irrigants et les exploitants de chute, que leur utilité sur des petites chutes majoritaires de 1 à 1,5 m n'est pas vraiment démontrée et que d'autres mesures, comme l'ouverture des vannes 30 heures par semaine, seraient plus adaptées. Extraits et commentaires.



La commission des améliorations agricoles et forestières s'est constituée au Ministère de l'agriculture le 30 novembre 1896. Sur la proposition de M. Méline, président du Conseil, elle a immédiatement décidé de se diviser en deux sous-commissions dont la première s'occuperait de la répression du braconnage et de la pisciculture, la deuxième des améliorations pastorales- comprenant les irrigations, les reboisements et les pâturages.

Nous pouvons enfin donner le compte-rendu sommaire des travaux de ces deux sous-commissions. (…)

Echelles à Poissons. La sous-commission s'est ensuite occupée des échelles à poissons. Mais, avant d'aborder cette étude, elle a prié M. le Dr Brocchi de vouloir bien rédiger une notice sur les mœurs des principaux poissons migrateurs : le saumon, l'alose, l'anguille et la lamproie.

A la suite de cette communication, M. Philippe, directeur de l'Hydraulique agricole, a soumis un rapport très complet et très documenté sur le nombre des échelles en service, sur les principaux types adoptés tant en France qu'à l'étranger, sur leur fonctionnement, etc.

Les conclusions présentées par M. Philippe et adoptées par la sous-commission se résument ainsi : 

1° En ce qui concerne le genre d'échelles à adopter, il n'y a pas à recommander un type d'échelle plutôt qu'un autre. Sans repousser aucun système, car tous peuvent donner de bons résultats, on doit choisir de préférence les plus. simples et les plus rustiques ; et à ce point de vue spécial, les échelles à plan incliné avec cloisons transversales percées d'orifices en chicane, paraissent satisfaire à ce desideratum.

Quel que soit le modèle adopté, la condition essentielle c'est la position de l'échelle par rapport à la chute. Il est indispensable que l'échelle débouche en un point où le courant est très rapide et l'eau profonde, car c'est toujours en ces points que le saumon et les autres poissons migrateurs se rassemblent pour tenter l'escalade de la chute.

2° Contrairement à l'avis émis par la Commission instituée en 1888 au Ministère des travaux publics, il n'y a pas lieu de prescrire d'une manière générale l'établissement d'échelles dans tous les barrages. En adoptant une semblable mesure, on peut porter un préjudice sérieux à l'industrie et aux irrigations.

En effet, une échelle ne fonctionne bien que quand le volume d'eau qui coule est très grand ; il faut de 400 à 600 litres par seconde pour obtenir de bons résultats.

Or, un débit de 500 litres d'eau par seconde représente, pour les irrigations, 500 hectares susceptibles d'être convenablement arrosés ; pour l'industrie, si la chute est seulement de deux mètres, une puissance constamment utilisable de plus de dix chevaux-vapeur, c'est-à-dire une force suffisante pour la mise en marche d'un moulin, d'une papeterie ou de toute autre usine.

Ces chiffres donnent une idée du trouble profond qui serait apporté à l'industrie et à l'agriculture, si tous les barrages devaient être munis d'échelles.

La mesure ne doit donc pas être générale, et il n'y a aucune utilité à la généraliser. En effet, tous les barrages ayant moins de 1 mètre à 1m50, et c'est le plus grand nombre sur les rivières non navigables, peuvent aisément être franchis par le saumon. En second lieu, le débit de l'échelle doit être au moins de 400 litres. Tous les barrages construits sur les rivières ou ruisseaux qui n'ont pas à l'étiage un débit de beaucoup supérieur à 400 litres ne doivent pas non plus être munis d'échelles, et cela quelle que soit leur hauteur, car le remède serait pire, que le mal, attendu que le poisson ne passerait pas par l'échelle insuffisamment alimentée, que néanmoins l'eau se perdrait d'une manière persistante par cet orifice, et que par suite l'usinier ou l'agriculteur propriétaire du barrage serait conduit à ne lever ses vannes de décharge qu'à des intervalles très éloignés.

Enfin le nombre des rivières en France, qui sont susceptibles d'être fréquentées par le saumon et l'alose, est assez restreint.

3° Il n'y a pas à changer les grandes lignes de notre législation, en ce qui concerne l'établissement des échelles ; la loi de 1865 donne à l'État la possibilité de construire ces échelles partout où elles sont utiles.

Ce qu'il conviendrait peut-être de faire, ce serait, à l'avenir, de prescrire dans les arrêtés préfectoraux réglementant les barrages, que les vannes d'évacuation des ouvrages ayant plus de 1m50 de hauteur devront être ouvertes pendant trente heures par semaine, consécutives ou non.

Encore cette mesure ne devrait-elle s'appliquer que sur certaines rivières susceptibles d'être fréquentées par les espèces migratrices utiles. Ce qu'il conviendrait peut-être également de prescrire dans cet arrêté, ce serait l'établissement de grillages métalliques à l'entrée des canaux amenant l'eau à l'usine.

Afin de permettre à l'Administration de se rendre compte de l'application qui a été faite des dispositions contenues à l'article premier de la loi du 31 mai 1865, la Commission a exprimé le vœu qu'il soit procédé dans chaque département, par les soins des agents des Ministères de l'agriculture et des travaux publics, à une enquête dont le but serait d'établir d'une façon aussi précise que possible : 
1° Quels sont les cours d'eau où pénètrent les espèces de poissons migrateurs ?
2° Quel est le nombre de barrages construits sur ces cours d'eau ?
3° Quels sont ceux où des échelles à poissons sont déjà établies ?
4° Quels sont ceux qui en sont dépourvus, et où il serait utile d'en construire d'après les principes ci-dessus exposés ?

Commentaires
Le "dépeuplement des eaux" est un spectre constant pour les gestionnaires de rivières, et un trope du débat public pour certains acteurs engagés. Ce souci motive déjà des ordonnances royales sous l'Ancien Régime, puis diverses lois après la Révolution française. La grande coupable historiquement désignée est la pêche (dont le braconnage), à une époque où cette activité vivrière était très pratiquée en eaux douces, par des méthodes permettant des prises nombreuses (filets, nasses, etc.). Viennent ensuite les pollutions, souci ancien dans les villes mais prenant une nouvelle dimension avec la révolution industrielle. Le développement des forces hydrauliques, qui sont la première source d'énergie en France jusqu'à la guerre de 1914, ajoute le problème de la circulation des poissons migrateurs.

Si l'administration du XIXe siècle se préoccupe de la question piscicole à la lumière des premiers travaux de l'ichtyologie scientifique, et donc d'une certaine forme d'écologie, le prisme reste avant tout économique. D'une part, et comme le montre cet extrait, on s'inquiète de l'impact des échelles à poissons sur l'activité agricole et industrielle. D'autre part, les poissons migrateurs eux-mêmes sont valorisés quand ils sont "utiles", c'est-à-dire destinés à la consommation humaine. Une notion comme la valeur intrinsèque du fonctionnement naturel d'une rivière est évidemment absente au XIXe siècle… et à dire vrai cette notion est toujours loin de faire consensus de nos jours, la valeur de la biodiversité ou d'un écosystème étant plus souvent rabattue sur les services rendus aux sociétés, ou limitée à des sites à forte valeur paysagère, patrimonialisés à fin récréative.

La loi de 1865 (qui avait été précédée par une circulaire de 1851) aura du mal à se mettre en oeuvre, malgré divers arrêtés d'application dans les années 1900 et 1920. Alors que la pêche vivrière disparaît progressivement et que de nombreux grands barrages émergent au XXe siècle, le plus souvent sous impulsion publique, la pêche de loisir (ou pêche sportive) prend le relais de l'activisme en faveur de la circulation piscicole. La dimension économique est résiduelle, c'est le "souci de la nature" qui est désormais davantage mis en avant, ainsi que la valorisation halieutique de certaines pêches (salmonidés). En 1980 sont créées des "rivières réservées" où la construction de nouveaux ouvrages hydro-électriques est interdite. En 1984 est introduite une obligation d'efficacité et d'entretien des passes à poissons, avec construction dans les 5 ans sur les rivières où est pris un arrêté préfectoral "espèces" (disposition devenue l'article 432-6 CE). La loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006 finit par créer l'actuel article L214-17 CE et la loi Grenelle 2009 instaure les trames verte et bleue.

Dans la version la plus récente de cette trajectoire biséculaire de libre écoulement, baptisée "continuité écologique", le discours de l'aménagement des ouvrages hydrauliques s'est élargi dans ses attendus. Si le poisson grand migrateur reste l'objectif symbole mis en avant (car il a un besoin réel dans son cycle de vie, mais aussi car c'est le seul capable de parler à un public large), d'autres espèces d'eaux douces sont intégrées dans les préoccupations de libre circulation. La notion nouvelle de transit sédimentaire est aussi intégrée dans la loi, ainsi qu'une volonté de restaurer à petite échelle des micro-habitats jugés préférables pour la biodiversité (dans la pratique du gestionnaire, la loi ne l'exigeant pas). A l'obligation traditionnelle d'aménagement des seuils et barrages s'est ajoutée l'option d'effacement pur et simple de l'obstacle à l'écoulement, à l'inspiration de certaines pratiques nord-américaines et en vertu d'une disparition de l'usage économique ancien des ouvrages.

Ces évolutions ne changent cependant pas les fondamentaux que l'on observe depuis le XIXe siècle : le cours d'eau aménagé est le cadre de vie des riverains, pour le travail de certains et l'agrément des autres, son évolution sous forme de prescriptions publiques représente une charge économique et sociale en face de laquelle on attend des justifications. Les bénéfices sont-ils à hauteur des coûts? Le souci diffus de l'environnement va-t-il jusqu'à une volonté citoyenne partagée de restaurer la "naturalité" des rivières au détriment de certains de ses usages et de certaines de ses représentations? En 2016 comme en 1899, le doute est permis.

Source : Revue des eaux et forêts (dir. S. Frézard) (1899), Echelles à poissons, 197-199.

Illustration : une échelle à poissons. Les doutes sur l'efficacité de ces dispositifs viennent en partie des problèmes constructifs des premiers modèles : courant trop fort, lame d'eau trop faible, chutes intermédiaires trop hautes, manque de fosse d'appel, distance en nage de pointe trop importante, etc. Le choix des dispositifs de franchissement s'est élargi au fil du temps, l'étude de leur efficacité et la recherche de leur amélioration restant un champ actif, avec de nouveaux moyens d'observer le comportement des poissons (voir par exemple Benitez 2015 ; et cet article sur l'efficacité des passes).

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22/06/2016

Agence de l'eau Seine-Normandie : l'insupportable dogmatisme de l'effacement

En réunion de concertation pour l'avenir du plan d'eau de Bessy-sur-Cure, nous nous sommes heurtés une nouvelle fois au dogmatisme de l'Agence de l'eau Seine-Normandie: financement des effacements à 80 voire 100 %, refus de financement des aménagements de franchissement dès lors que l'ouvrage n'a pas d'usage ou que son effacement est jugé possible. Le contentieux sur les ouvrages en rivières classées L2 sera la seule issue si l'Agence persiste dans cet intolérable chantage à la casse. Vous pouvez nous aider à nourrir le dossier de ce contentieux en nous communiquant des exemples de financement public de passes à poissons par des Agences de l'eau. Car l'arbitraire des choix opaques de chaque Agence a ses limites : face à la loi commune, les citoyens français n'ont pas à subir des inégalités de traitement devant des charges publiques.

On peut lire sur le site de l'Agence de l'eau Seine-Normandie la grille d'attribution des aides publiques dans le domaine de la restauration des rivières, et en particulier de la continuité écologique. Voici le barème :
Suppression d'obstacles à la libre circulation : subvention de 80%, subvention de 100% si actions PTAP
Dispositifs de franchissement : le financement de dispositif de franchissement est limité aux ouvrages avec usage dont l'effacement est impossible dans des délais raisonnables. En outre la mise en conformité d'un ouvrage à usage économique n'est pas éligible s'il fait l'objet d'une mise en demeure. Subvention de 40%, subvention de 60% et avance de 20% si actions PTAP.
En d'autres termes, dès lors qu'un effacement est possible et dès lors que l'ouvrage est jugé sans "usage", il n'y a pas d'aide pour des passes à poissons. Dans le cas de Bessy-sur-Cure, l'Agence considère que l'on peut remplacer la baignade par des points d'eau de petite profondeur, que l'on peut modifier les captages de la retenue, donc que l'effacement est possible. C'est ainsi la seule solution financée. Notons qu'à Bessy-sur-Cure, l'AESN maintient que le coût ridiculement faible de 50 k€ pour le dérasement d'un ouvrage de 120 m de long, avec de forts enjeux de riveraineté, de stabilité berge-bâti et de compensation d'usages lui paraît réaliste. Cette prétention fantaisiste est la condition pour dire que l'effacement a le meilleur coût-avantage quand, dans le même temps, on demande des passes à poisson pharaoniques pour des espèces n'en ayant guère besoin au regard de la qualité piscicole excellente de la masse d'eau.

Notre association va évidemment se plaindre de cette position dogmatique auprès des inspecteurs du CGEDD et de la direction administrative de l'AESN, qu'elle rencontre dans les prochains jours, ainsi qu'auprès du président du Comité de bassin Seine-Normandie dont la tolérance vis-à-vis de ces pratiques discriminatoires et destructrices est incompréhensible. François Sauvadet a déjà pris des positions publiques en faveur de la sauvegarde des seuils et barrages : nous lui demanderons de mettre ses actes en conformité avec ses convictions et de saisir l'instance délibérative de Seine-Normandie en vue de modifier ces arbitrages délétères.

En comparaison de cette incroyable pression à la destruction que subissent les riverains et propriétaires, rappelons la manière trompeuse dont le Ministère de l'environnement expose la question aux parlementaires inquiets de ces dérives :
"Le classement de cours d'eau en liste 2 nécessite que les ouvrages en place (seuils, barrages) soient adaptés, transformés ou parfois déconstruits, pour assurer le rétablissement des fonctionnalités écologiques (épuration, tampon de crues, habitats diversifiés support de biodiversité, etc.). Les ouvrages concernés font l'objet d'informations, de concertations, d'études multicritères, afin de rechercher la meilleure solution technique et financière."
Le cas de Bessy-sur-Cure montre que c'est du vent : les enjeux écologiques sont très faibles, le tronçon de rivière est en bon état DCE (excellent état piscicole), le plan d'eau a des usages sociaux, et malgré tous les éléments reconnus de cette "étude multicritères", le seul discours tenu par l'administration est : nous préférons déraser et vous serez fortement aidés en ce sens ; sinon débrouillez-vous, mais sachez que le dossier d'instruction sera sévère et le dispositif exigé coûteux.

Comment la parole publique peut-elle être crédible quand on dissimule aux parlementaires la réalité du terrain et le parti-pris en faveur de la destruction du patrimoine hydraulique? Qu'espère l'administration avec cette attitude brutale, sinon des rapports de plus en plus tendus sur les rivières classées?

Une base de données pour démontrer l'arbitraire au juge : vous pouvez nous aider
Nous avons ouvert une base de données des aménagements avec passes à poissons financés en Seine-Normandie et sur les autres bassins français. Nous demandons à nos lecteurs de nous envoyer leurs propres données s'ils ont bénéficié de subventions pour des aménagements de continuité écologique (construction d'un dispositif de franchissement sans usage industriel ou commercial du moulin).

S'il n'est pas mis fin à la prime actuelle à la casse, nous demanderons en effet au juge de constater et de condamner les inégalités devant les charges publiques sur le territoire national : face aux obligations nées d'une loi commune, certains bénéficient de l'aide publique et d'autres non, dans des cas parfaitement similaires. C'est évidemment inacceptable.  Merci par avance de nous aider à motiver cette future démarche en nous contactant pour recevoir notre formulaire standardisé d'information sur les chantiers de continuité financés par Agence de l'eau, quel que soit le bassin.

A lire (et faire lire à vos élus) en complément
Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"
Idée reçue #05 : "l'Etat n'a jamais donné priorité aux effacements des ouvrages hydrauliques en rivière"
Idée reçue #06 : "C'est l'Europe qui nous demande d'effacer nos seuils et barrages en rivière"

25/03/2016

Quelles espèces circulent dans les passes à poissons ? (Benitez et al 2015)

Des chercheurs belges ont procédé pendant 6 ans à des prises hebdomadaires dans deux passes à poissons installées sur les rivières Berwinne et Amblève, affluents de taille intermédiaire de la Meuse et de l'Ourthe. Le nombre total de poissons capturés annuellement est de l'ordre de quelques centaines, avec un effet d'appel la première année. Si les salmonidés et les grands cyprinidés dominent en biomasse, de nombreuses petites espèces les utilisent également. Une proportion importante des passages des adultes est liée à des périodes migratoires, les juvéniles ayant des comportements plus variables. Les auteurs concluent qu'il vaut mieux concevoir des passes toutes espèces. Ce travail montre une certaine efficacité des passes, utilisées (même très sporadiquement) par 80 à 100% des espèces présentes dans les rivières, mais il pose cependant plusieurs questions complémentaires, non envisagées dans l'article de recherche. Quelle proportion de poisson au sein de chaque espèce emprunte la passe par rapport à ceux qui restent sur leur territoire aval? Quels bénéfices durables observe-t-on pour l'évolution des peuplements aval et amont, au-delà du constat de franchissement? Si le gain écologique est jugé d'intérêt, comment finance-t-on la généralisation de ces passes à poissons, dispositifs connus pour être coûteux, en particulier s'ils sont conçus pour toutes les capacités de nage et de saut? 

Les poissons présentent tous des comportements de mobilité dans le fluide qui les abrite. Certains mouvements de longue distance correspondent à des migrations périodiques, assez bien documentées chez les espèces concernées. Mais les autres facteurs et traits de mobilité restent peu connus à ce jour. Les passes à poissons sont les dispositifs les plus souvent implémentés pour restaurer une connectivité longitudinale dans la rivière, en particulier pour assurer la montaison des migrateurs, qui cherchent des habitats spécifiques pour y déposer leurs oeufs et dont les larves seront ensuite ramenées vers l'aval par le courant. Ces passes sont souvent conçues pour des espèces "nobles" (désignées comment telles par les pêcheurs) : "les espèces de poissons moins nobles ont été longtemps négligées et restent pauvrement comprises quant à leur utilisation des passes à poissons", notent les auteurs qui travaillent à l'Université de Liège, Unité de biologie du comportement (Jean-Philippe Benitez, Billy Nzau Matondo, Arnaud Dierckx, Michaël Ovidio). De là cette étude du passage observé dans les dispositifs de franchissement.


Le contexte des passes étudiées, illustration extraite de Benitez et al 2015, art cit, droit de courte citation

Les sites des passes de Berneau (rivière Berwinne) et Lorcé (rivière Amblève) ont respectivement les caractéristiques suivantes : linéaires de 29 et 93 km, bassin versant de 131 et 1083 km2, module de 1,9 et 19,3 m3/s, pente moyenne 7,5 et 5,2‰, hauteur des obstacles de 1,4 et 3,3 m, longueur des passes de 16 et 67 m, 4 et 15 bassins, chutes interbassins de 0,3 et 0,25 m, zone à ombre / barbeau (Huet) à dominante truite et à dominante barbeau, qualité bonne et moyenne de l'eau. Ce sont donc des dimensions et des caractéristiques représentatives des têtes et milieux de bassin.

Les passes ont été suivies deux à trois fois par semaine pendant six ans (2002-2008 et 2007-2013), avec capture (dans le dernier bassin) et mesure des individus. Ce n'est pas un test d'efficacité relative où l'on place des puces sur une population témoin de poissons (protocole coûteux si l'on veut obtenir un échantillon représentatif), mais une analyse empirique de franchissement.

Voici quelques-uns des principaux résultats :
  • 1513 individus de 14 espèces ont emprunté la passe de Berneau et 3720 de 22 espèces la passe de Lorcé, soit un nombre d'individus par an de 150-378 et 151-1197 respectivement;
  • 80% des espèces présentes dans le cours d'eau ont emprunté au moins une fois la passe à Berneau, 100% à Lorcé;
  • les petits cyprinidés (goujon, spirlin, vairon) ont représenté 53% et 71% des individus, soit le groupe le plus important en abondance numérique, les salmonidés (truite, ombre) étant dominant en biomasse à Berneau (69%) et les grands cyprinidés rhéophiles (barbeau, chevesne) à Lorcé (55%);
  • les espèces autres que la truite, l'ombre et les cyprinidés rhéophiles sont rares et représentent moins de 1% des captures (gardon, perche, anguille, carpe, brème, etc.);
  • la première année a vu la plus grande abondance de poissons de toutes espèces en biomasse, suivie d'années avec des passages plus sporadiques, soit un "effet d'ouverture" vers un nouveau milieu;
  • les adultes dominent chez la truite et les petits cyprinidés, les juvéniles chez les grands cyprinidés, mais toutes les tailles s'observent;
  • les deux pics du printemps et de l'automne représentent entre 80 et 90% des captures chez les espèces les plus fréquemment observées, mais des passages sporadiques sont observés toute l'année, et certaines espèces sont plus actives en été (spirlin, goujon, loche chez les adultes);
  • les salmonidés sont plus nombreux en température fraîche (6-12 °C chez les truites et ombre adultes), sans condition particulière de débit, les autres espèces ont des activités à des températures plus élevées (14 à 20°C chez les chevesnes et barbeaux adultes, les juvéniles de toutes espèces ayant tendance à être plus mobiles à des températures plus élevées que les adultes);
  • les mouvements coïncident avec des migrations de reproduction chez des adultes pour 57% des truites, 80% des ombres, 95% des barbeaux et 60% des chevesnes, ce qui laisse d'autres motivations comportementales (recherche de refuge, de nourriture...).
Les auteurs concluent que les passes à poissons sont empruntées par un grand nombre d'espèces dans une variété de circonstances, donc que le gestionnaire devrait réfléchir à des modèles peu sélectifs, non spécialisés sur des espèces cibles.

Discussion
Les chercheurs de l'Université de Liège montrent que les passes à poissons peuvent être empruntées par des espèces diverses, même si par conception les grands poissons des familles salmonidés et cyprinidés rhéophiles en sont souvent les premières cibles.

Plusieurs données complémentaires importantes seraient utiles pour mesurer l'intérêt réel des passes étudiées. La première est une estimation du recrutement potentiel des poissons dans la zone aval, afin d'avoir une idée de l'usage rapporté à la population. Par exemple si l'on compte une population estimée de 5000 barbeaux à l'aval (dans la zone de mobilité habituelle de cette espèce, quelques kilomètres) mais que quelques dizaines empruntent la passe chaque année, soit cette dernière n'est pas attractive ou efficace, soit elle ne correspond pas à un besoin essentiel de la population de barbeau, dont la mobilité est réduite. La seconde donnée d'intérêt, ce sont des pêches de contrôle dans la zone amont, tout au long des six ans de l'étude : trouve-t-on un gain significatif dans l'évolution et la structure des populations amont ? Ce n'est pas garanti en soi, le niveau d'occupation des niches et de compétition intra-ou interspécifique dans la zone colonisée permet d'accueillir plus ou mois de nouveaux individus, par exemple. La réponse de la population amont en richesse spécifique, biomasse, abondance individuelle et structure d'âge reste quand même le premier motif de construction d'une passe à poissons.

Dans l'absolu, des passes ou autres dispositifs de franchissement ouverts à toutes espèces sont préférables car elles restaurent la fonctionnalité perdue au droit de l'ouvrage pour le spectre le plus large du peuplement piscicole du cours d'eau. Mais l'aménagement de rivière ne se réalise jamais dans l'absolu, ni dans l'idéal du chercheur en hydrobiologie ! En général, moins une passe est sélective, plus elle est coûteuse : elle doit en effet garantir à toutes saisons une vitesse, une pente, une différence de hauteur (si bassins), une puissance spécifique et un tirant d'eau adaptés à des capacités de nage et de saut très variables des espèces, et des âges des individus dans chaque espèce. Donc, la conception sera plus complexe et le chantier plus important (pente faible, davantage d'emprise amont et aval du barrage) qu'une passe plus standardisée pour des migrateurs à fortes capacités de franchissement.

Or, il est aujourd'hui manifeste que le coût est un facteur limitant du déploiement des passes à poissons, notamment dans l'expérience française : ces coûts sont inabordables aux particuliers, posent problème aux petits exploitants (parfois plusieurs années de chiffres d'affaire donc non-envisageable économiquement), grèvent le budget des Agence de l'eau s'il faut engager un grand nombre de chantiers. Prenons l'exemple des départements de Côte d'Or et de l'Yonne. On compte environ 300 ouvrages en rivières classées liste 2 dans chaque département. Si l'on considère un coût moyen de 100 k€ par passe (ce qui est optimiste pour des passes toutes espèces), le total atteint les 60 millions d'euros. Cette somme est considérable pour deux départements : elle ne peut être engagée qu'après avoir garanti des gains écologiques substantiels pour les populations piscicoles concernées, pas simplement pour "tester" s'il passe plusieurs dizaines ou centaines d'individus par an dans chaque passe.

Au regard de forte contrainte financière pesant sur la restauration de franchissabilité par les passes à poissons, et dans l'hypothèse où l'on ne déploie pas des solutions standardisées à moindre coût (mais moindre efficacité), il ne paraît pas viable d'en généraliser l'exigence sur tous les ouvrages, au moins à court terme. Il faudrait donc faire des choix dictés par l'intérêt écologique : niveaux passé, actuel et potentiel de biodiversité du tronçon ; structures des populations présentes ; déficit des espèces-cibles d'intérêt patrimonial ; connectivité retrouvée avec des affluents de dimension assez importante à l'amont de l'ouvrage, etc. Au demeurant, ce travail détaillé aurait dû être réalisé avant le classement des rivières de 2012-2013, au lieu de masses d'eau entières sans réalisme sur le financement et le calendrier ni précision sur la dynamique piscicole. Une fois les rivières mieux modélisées, et donc certains sites priorisés pour leur poids en terme de connectivité sur des linéaires à biodiversité appauvrie, le choix de passes toutes espèces serait éventuellement plus avisé.

Référence : Benitez JP et al (2015), An overview of potamodromous fish upstream movements in medium-sized rivers, by means of fish passes monitoring, Aquat Ecol, 49, 481–497

Nous remercions les auteurs (JP Benitez) de nous avoir transmis une copie de leur travail. Une version courte du compte-rendu de leurs observations est disponible en libre accès dans la conférence Benitez et al 2014 (pdf, anglais).

17/03/2016

Le Conseil départemental de la Sarthe ne sait toujours pas pourquoi il construit des passes à poissons

Pierre-Antoine de Chambrun (Association Vègre, Deux Fonts, Gée ) avait saisi le Conseil départemental de la Sarthe pour s'enquérir de l'utilité du coûteux programme de passes à poissons sur la rivière (4 M€ en coût prévisionnel pour 7 ouvrages). Il posait des questions précises. M. Dominique Le Mèner, président du Conseil départemental, lui a répondu (voir courrier pdf).


On peut constater que cette réponse :
  • rappelle pour l'essentiel les contraintes administratives et réglementaires auxquelles sont soumis les élus,
  • ne donne aucune indication sur le nombre et la nature des poissons ayant emprunté les passes déjà construites,
  • ne précise aucune analyse coût-bénéfice préalable à cette lourde dépense, alors que le CD de la Sarthe, comme tant d'autres, admet qu'il doit restreindre ses investissements,
  • ne montre en rien que les passes à poissons contribueront au bon état chimique et écologique des masses d'eau, notre seule et vraie obligation DCE 2000 (outre les nitrates, les eaux usées, les pesticides et l'ensemble des pollutions où nous accumulons des retards et des amendes, l'Europe étant de plus en plus dubitative sur le rapportage français en ce domaine).
Dans le même temps, selon nos informations, le Conseil départemental du Maine-et-Loire n'a toujours pas équipé les barrages dont il est propriétaire à l'aval sur la Sarthe, réfléchissant à des alternatives moins coûteuses. Les anguilles venant de la mer en montaison, il est pour le moins étonnant que le programme de continuité destiné aux grands migrateurs amphihalins commence par l'amont des bassins au lieu de démarrer aux embouchures, ne serait-ce que pour vérifier par comptage le bon usage des dispositifs.  Mais ce n'est là qu'une des nombreuses aberrations d'un programme délirant de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, devant conduire à effacer ou aménager en l'espace de 5 ans 15.000 ouvrages hydrauliques français, sans le commencement d'un objectif de résultat ni d'un coût global en face de cet objectif.

Les rares chantiers de continuité écologique effectivement engagés sont souvent réalisés sur des ouvrages dont les collectivités territoriales (ou leurs établissements intercommunaux de gestion des rivières) sont propriétaires ou gestionnaires. Et pour cause, les Agences de l'eau ont sur ces collectivités tous les moyens de pratiquer un chantage financier permanent pour accomplir leur programme ordonné par le Ministère, et dilapider ainsi l'argent public. L'Agence Loire-Bretagne (AELB) est connue pour être l'une des plus extrémistes dans ce domaine de la continuité écologique (voir la lettre ouverte au Président Joël Pélicot). Elle est aussi connue pour avoir un progrès quasi nul en 10 ans dans le domaine de la qualité écologique et chimique de ses eaux, cette absence totale d'efficacité des milliards d'euros dépensés ne provoquant aucune remise en cause des choix opérés, notamment en hydromorphologie où l'Agence se flatte d'être pionnière. L'AELB est même incapable de dresser un bilan de qualité chimique (pourtant obligatoire vis-à-vis de l'Europe et de la bonne information environnementale des citoyens) à l'occasion de l'état des lieux 2013 du bassin appuyant le SDAGE 2015 : on n'a entendu ni les élus ni les lobbies du comité de bassin s'émouvoir de cet incroyable aveu d'incompétence et d'impuissance face aux pollutions.

M. Le Mèner admet pour conclure : "je partage certaines de vos interrogations…" Tout le monde s'interroge mais la gabegie continue malgré tout, parce que nous ne sommes pas capables d'instruire au Parlement le procès d'une politique de l'eau catastrophique. Près de 1200 élus ont déjà signé l'appel à moratoire sur la continuité écologique : nous appelons plus que jamais à un sursaut démocratique au bord des rivières !

Illustration : panneau officiel près de la passe à poissons de Juigné-sur-Sarthe, indiquant le coût public de 484 680 TTC (pour un dispositif qui se trouve inopportunément hors d'eau, ce qui n'est pas très pédagogique, à moins que ce ne soit prémonitoire). En dessous, un article de Ouest France paru le 11 mars 2016 rappelle que le CD de la Sarthe est obligé de chercher des économies du fait de la baisse des dotations d'Etat aux collectivités et de la hausse des dépenses sociales.  Qu'à cela ne tienne, continuons d'utiliser l'argent public pour des anguilles qui étaient encore présentes sur la plupart des bassins jusque dans les années 1960-1970, malgré de nombreux seuils et barrages. A l'époque, les pêcheurs et "protecteurs du milieu aquatique" avaient même pour ordre de les tuer comme nuisibles en rivière de première catégorie...

15/03/2016

Idée reçue #14 : "Au bout de 10 obstacles même aménagés, aucun poisson ne peut passer"

Les passes à poissons n'ayant qu'une efficacité de l'ordre de 70%, les obstacles cumulés sur une rivière finissent par la rendre infranchissable vers ses zones amont, même s'il y a eu des aménagements de circulation piscicole. Cette idée est partiellement fausse : certaines passes destinées aux très grands migrateurs ont plus de 90% d'efficacité, la plupart des poissons n'ont pas de comportement de homing à longue distance (donc pas de besoin de franchir tous les obstacles d'un cours d'eau), la présence historique de migrateurs en têtes de bassin malgré des obstacles sans passe indique que le score d'efficacité ne résume pas toutes les stratégies de colonisation des espèces. Toutefois, cet argument est juste sur un point : il ne faut pas investir des sommes disproportionnées dans les passes, d'autant que le caractère dynamique du vivant rend bien souvent illusoire l'idée d'un retour à un "état originel" fantasmé de la rivière. 


Cette idée reçue de l'inefficacité des passes à poissons est énoncée ainsi par France Nature Environnement, qui en déduit bien sûr la nécessité de détruire les ouvrages hydrauliques : "Il existe bien les passes à poissons, ces systèmes inventés pour leur permettre de franchir l'obstacle. Seulement, si l’installation de tels dispositifs est préférable faute de mieux, il est important de garder à l’esprit qu’une passe à poissons permet, dans le scénario le plus optimiste, le franchissement de 70 % des poissons. Un taux respectable ? Pas tant que ça. Car après 10 obstacles rencontrés sur un cours d’eau, phénomène très courant en France, seuls plus de 3 % des poissons parviennent sur leur lieu de reproduction, en amont. Résultat peu enthousiasmant. C'est ainsi l’accumulation de plusieurs seuils, même aménagés, sur un seul tronçon de cours d’eau qui s’avère très néfaste."

Qu'en est-il au juste ? Les taux de franchissement des passes sont variables selon les travaux, et certains auteurs trouvent des valeurs inférieures à 70%. Noona et al 2012, sur la base d'une méta-analyse de 65 articles entre 1965 et 2011, obtiennent une efficacité moyenne de 41,7% en montaison (68,5% en dévalaison), le score étant plus élevé pour les salmonidés (61,7% et 74,6%). L'étude inclut cependant des dispositifs anciens et de moins en moins prescrits du fait de leurs mauvais résultats fréquents (passe Denil, ascenseurs à poissons). Cette étude ne corrèle pas non plus l'efficacité avec la hauteur de l'obstacle aménagé, ce qui reste un problème de déficit de connaissance quand l'essentiel des travaux d'aménagement concerne en France la très petite hydraulique.

Le chiffre de FNE paraît issu de l'article de Larinier et Travade 1998, voir page 49 de ce lien (pdf). Il y a toutefois des nuances opportunément oubliées :
  • les migrations à longue distance (type homing des saumons) doivent tenir compte de l'efficacité des passes spécifiques à ces espèces, or cet article de Larinier et Travade 1998 précise que "pour les salmonidés, une efficacité de 90 à 100% est couramment obtenue" ;
  • d'autres espèces migratrices au long cours, comme les anguilles, ne remontent pas impérativement jusqu'en tête de bassin mais cherchent d'abord des territoires de croissance en eaux douces. Donc la colonisation peut être plus lente et les obstacles de type seuils, chaussées ou petits barrages ne sont pas toujours des facteurs limitants ;
  • la plupart des espèces holobiotiques à comportement de dispersion et mobilité (improprement appelées "migratrices") exhibent une forte variabilité interindividuelle. Sur un linéaire libre, certains individus n'évoluent que sur quelques centaines de mètres, d'autres sur 10 ou 20 km, voire au-delà. L'enjeu des passes n'est pas ici d'ouvrir impérativement tout le linéaire, mais de permettre d'atteindre des zones de refuge ou de reproduction et des habitats d'intérêt. L'idée que tout poisson voudrait à tout prix explorer toute la rivière n'a pas de base écologique.

Par ailleurs, la présence de grands migrateurs est encore attestée très à l'amont de certains bassins au XIXe siècle, alors que l'essentiel de la petite hydraulique est déjà en place depuis un certain temps. Ces seuils, chaussées et petits barrages n'avaient généralement pas de dispositifs de franchissement Au regard du protocole ICE de l'Onema, ils seraient réputés infranchissables aujourd'hui à presque toutes les espèces. Cela suggère que les évaluations des scores de franchissabilité des ouvrages ou des passes doivent être relativisées. Leur méthodologie s'adresse à une population déterminée (souvent pucée et radiopistée) sur une période limitée, elle ne dit pas comment les espèces profitent de certaines opportunités (par exemple crue) pour franchir des obstacles. Le vivant a souvent plus d'imagination que les ingénieurs ou les policiers de l'environnement...

Cela étant, l'observation de l'efficacité relative des passes à poissons est fondée. S'y ajoute leur coût important. La conclusion que l'on doit en tirer, c'est qu'il est vain de promouvoir une transparence migratoire totale sur les cours d'eau français. Les peuplements piscicoles se sont considérablement modifiés en deux siècles, un "retour en arrière" n'a pas de sens au plan écologique, n'est pas à notre portée au plan économique et n'a pas une accceptabilité sociale suffisante pour un vrai portage démocratique. Ce n'est pas un problème de passes à poissons, car l'alternative (mise en avant par le lobby FNE-FNPF de la destruction) n'est pas plus envisageable : les coûts de démantèlement (dérasement) des ouvrages, de compensation des effets négatifs sur le bâti et sur le manque à gagner des exploitants, d'indemnisation des propriétaires (y compris les berges amont où reprend l'érosion) seraient évidemment hors de portée de la collectivité s'il fallait restaurer les 500.000 km de linéaire du réseau hydrographiques français, ou même une proportion significative de ce réseau.

Cela signifie qu'il faut repenser le périmètre et le rythme des réformes de continuité écologique : poser déjà des objectifs sur des espèces menacées et des rivières peu fragmentées, en observant à titre expérimental l'efficacité écologique, le coût économique et la gouvernance inclusive. Si les hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité avaient procédé à de telles analyses rationnelles au lieu d'écouter systématiquement les sirènes extrémistes de FNE et de la FNPF depuis 10 ans, ils seraient arrivés à cette conclusion et la continuité écologique serait un chantier aujourd'hui accepté. Au lieu de cela, nous nous enfonçons dans une situation kafkaïenne : irréalisme des objectifs en nombre d'ouvrages et en calendrier, précipitation et pression sur les services de l'Etat pour "faire du chiffre", absurdité du saupoudrage de chantiers dispersés donc discontinus (un comble pour la continuité), maintien de la plupart des grands barrages infranchissables (publics pour beaucoup), profonde division au bord des rivières et défiance vis-à-vis de l'administration en charge de l'eau, gâchis d'argent public sans réelle efficacité sur l'objectif environnemental.

Remettons donc les idées à l'endroit : les passes à poissons et autres dispositifs de franchissement ont des scores variables d'efficacité selon leur conception, leur entretien, l'importance de l'obstacle, les espèces-cibles et l'hydraulicité des cours d'eau au droit de l'aménagement. Seules certaines espèces ont des comportements de migration à très longue distance, demandant de franchir tous les obstacles d'une série de cours d'eau. Pour les plus grands migrateurs salmonidés, on peut atteindre 90 à 100% de franchissement sur les modèles de passe les plus efficaces. Des dispersions locales pour atteindre des habitats d'intérêt sont suffisantes dans bien des aménagements en rivière, car la plupart des poissons explorent un territoire restreint. Néanmoins, le prix de ces dispositifs de franchissement, la nécessité de leur entretien et leur efficacité relative montrent la nécessité urgente de raisonner les ambitions de la continuité écologique. En effacement comme en aménagement, la transparence migratoire a souvent des coûts exorbitants et des effets indésirables sur d'autres dimensions de la rivière, qui relèvent elles aussi de l'intérêt général. La continuité doit donc être planifiée avec responsabilité et sélectivité, sur des rivières choisies selon un quadruple filtre : enjeu écologique, faisabilité technique, réalisme économique, acceptabilité sociale.

07/11/2015

Visite des chantiers de passes à poissons du Cousin

Le vendredi 6 novembre était organisée par Hydrauxois et le Parc du Morvan une visite de trois chantiers de passes à poissons sur la rivière Cousin, dans la zone classée Natura 2000 autour d'Avallon. La vallée fait aussi l'objet d'une protection au titre patrimonial (ZPPAUP). Nous remercions le Parc d'avoir accompagné cette initiative, dont voici un compte-rendu.

Moulin Léger, passe à bassins successifs
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 1,7 m
Coût env. 80 k€ hors étude



Le moulin a une activité hydro-électrique (turbine type Francis, injection EDF-OA), la solution retenue a donc respecté la consistance légale de production. Le choix s'est porté sur une passe à bassins successifs permettant de diviser la pente en chutes modestes. La passe est calculée de telle sorte que des espèces à faible capacité de saut puissent nager dans des échancrures entre les bassins. La conception est rustique (à blocs grossiers), ce qui a un intérêt paysager et se rapproche des conditions naturelles rencontrées sur des rivières (zones à radiers et rapides). On note à l'amont des blocs en rivière : ce sont des déflecteurs pare-embâcles, pour minimiser le risque d'obstruction de la passe. Une échancrure garantit que la passe reste en eau en étiage et absorbe alors 10% du module (débit minimum biologique).

Moulin Cayenne, rivière de contournement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : env. 2,1 m
Coût env. 50 k€ hors étude



Le moulin a une roue fonctionnelle de type Sagebien et une autoproduction énergétique en cours d'installation. La solution retenue a donc respecté la consistance légale. Il s'agit d'une rivière de contournement, dispositif considéré comme le plus proche des conditions naturelles et le moins sélectif sur les espèces piscicoles en montaison. La rive gauche a été creusée jusqu'au lit (socle de la roche-mère) et des enrochements ont été posés sur les extrados pour limiter l'érosion. Des plantations sur géotextiles sont en cours, notamment pour garantir la stabilité des berges à terme.

Moulin Cadoux, rampe en enrochement
Hauteur de chute au droit de l'ouvrage : environ 1,8 m
Coût env. 90 k€ hors étude



Le moulin n'a pas d'usage énergétique, mais jouit d'une protection comme "patrimoine pittoresque de l'Yonne" en raison du caractère exceptionnel du site, de son ancienneté historique et de son reflet dans le miroir d'eau. La proximité des populations de moules perlières (espèce protégée de la vallée) a conduit à un projet plus ambitieux, avec une arase en pente sur la crête en rive gauche du seuil, baissant légèrement le niveau légal et limitant la longueur du remous liquide/solide amont. La surverse préférentielle à cet endroit doit aussi casser la vitesse du flot dévalant par la passe, qui est constituée d'une rampe en enrochement de fond (blocs grossiers cassant la puissance de l'eau et offrant des zones de repos).

Les observations faites lors de la visite
Tous les propriétaire présents (venant des quatre départements bourguignons) ont des problématiques d'aménagement de continuité écologique sur des rivières classées. Les trois chantiers leur ont été utiles pour comprendre les enjeux constructifs. Mais ils ont soulevé aussi bien des objections et des interrogations.
Coût des dispositifs : c'est évidemment le point noir. Les trois aménagements du Cousin bénéficient d'un financement exceptionnel à 100% (Life+ et Agence de l'eau Seine-Normandie). Or, la position de l'Agence en situation normale est un financement public nul si le moulin n'a pas d'usage structurant, et de 20 à 50% en cas d'usage. Les coûts des passes sont élevés, d'autant que s'y ajoute une conception par bureau d'étude de l'ordre de 20 k€ pour chaque ouvrage. Une analyse menée sur le tronçon classé de rivière Armançon a montré que le consentement à payer des propriétaires (comme des élus et parties prenantes) est nul dans ce domaine, c'est-à-dire que l'attente est un financement public intégral.
Dispositions constructives : des doutes ont été émis sur la capacité des ouvrages soit à résister à de fortes crues (cas de la passe à enrochements) soit à préserver leur profil (cas de la rivière de contournement). Un participant expert d'origine néerlandaise a fait observer que les bétons utilisés en France sont interdits en rivière aux Pays-Bas, en Allemagne et dans d'autres pays européens. Une autre visite sera sans doute organisée après la mise en eau, en 2016.
Efficacité écologique : au regard des coûts engagés, et du fait que les ouvrages sont assez modestes au départ (faibles hauteurs, versants aval en pente modérée), c'est une question centrale puisque l'objectif des aménagements est une amélioration de la qualité écologique, particulièrement du compartiment biologique. Le Parc du Morvan devra procéder à des mesures de qualité piscicole pour analyser l'évolution des populations de poisson et de moules.
L'Yonne républicaine a publié un compte-rendu intéressant de la visite (cliquer l'image ci-contre pour agrandir)

Et pour la suite sur la rivière Cousin ?
Le Cousin-Trinquelin (la rivière change localement de nom au niveau de Quarré-les-Tombes) compte 43 ouvrages. Certains sont équipés de passes, d'autres ne sont pas considérés comme des obstacles à la continuité écologique en raison des ruines de seuils ou de leurs très faibles hauteurs, d'autres encore ont accepté le principe d'un effacement.

Il n'en reste pas moins que la majorité des ouvrages doit encore faire l'objet d'une concertation en vue de l'application de la continuité écologique, puisque la rivière a été classée en liste 2 avec l'horizon 2017 comme délai légal d'aménagement. Au cours de l'année 2016, l'association Hydrauxois définira avec ses adhérents une stratégie sur chaque rivière, en particulier sur le Cousin où elle est déjà fortement implantée. Cette stratégie consistera notamment en :
  • une analyse du cours d'eau et de l'impact de ses moulins, notamment au regard des données historiques disponibles sur les peuplements halieutiques,
  • un point technique et scientifique sur les connaissances actuelles en continuité écologique appliquée aux petits ouvrages,
  • un rappel aux services instructeurs des exigences légales, notamment la limitation des aménagements aux migrateurs (non pas restauration des habitats pour toutes espèces y compris non migratrices) et l'obligation explicite faite à l'administration de proposer sur chaque ouvrage des règles de gestion ou d'équipement,
  • une demande à l'Agence de l'eau d'information exacte sur le niveau de subvention des dispositifs simples de franchissement et, si ce niveau est jugé insuffisant, une démarche en reconnaissance du caractère "spécial et exorbitant" de la dépense demandée, appelant indemnité compensatoire (comme le prévoit la loi).

16/09/2015

1,8 milliard d'euros de passes à poissons: exorbitant pour les propriétaires, pas pour les Agences de l'eau

Quel serait le coût d'aménagement de passes à poissons sur les seuils et barrages en rivières classées au titre de la continuité écologique (rivières en liste 2 de l'art 214-17 C env.)? Pour répondre à cette question, on ne peut faire qu'un calcul d'ordre de grandeur : les données précises ne sont en effet pas disponibles, que ce soit le nombre d'ouvrages, leur hauteur ou les coûts de chantier. L'indisponibilité de ces informations indique d'ailleurs le caractère opaque, précipité et désordonné du classement des rivières, décidé en 2012-2013 alors même qu'il n'existe pas encore de retour d'expérience sur les 1300 ouvrages prioritaires dits "Grenelle" du Plan d'action de 2009.


Estimation du coût d'aménagement : 1,8 milliard d'euros
Pour le nombre d'ouvrages en rivières classées L2 (celles qui ont une obligation d'aménagement), les chiffres de 10.000 à 20.000 circulent depuis un séminaire administratif dédié à cette question voici quelques mois. Nous prendrons le chiffre de 20.000, pour une estimation large.

Pour la hauteur moyenne, nous disposons d'une version documentée du ROE de l'Onema où les hauteurs sont indiquées pour 14.634 seuils et barrages. On peut raisonnablement considérer que cet échantillon (env. 20% des obstacles référencés) reflète la diversité des obstacles en rivière classée. La hauteur moyenne est de 1,8 m.

Pour les coûts d'aménagement, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerrannée-Corse tient un observatoire. La fiabilité des données est considérée comme "moyenne", néanmoins c'est la seule base dont on dispose. Le mètre de hauteur de chute à aménager en passe à poissons a un coût moyen de 50 k€.

Nous avons donc les trois ingrédients pour estimer un ordre de grandeur : l'aménagement de 20.000 ouvrages d'une hauteur moyenne de 1,8 m et à raison de 50 k€ le mètre représenterait un coût global de 1,8 milliard €.

Un coût exorbitant pour 20.000 foyers, mais accessible pour le financement public
Ce montant montre combien le classement des rivières engendre des coûts d'équipement exorbitants et inaccessibles à la plupart des 20.000 foyers concernés par la propriété d'un ouvrage hydraulique, dont la très grande majorité (plus de 80%) n'en tire aujourd'hui aucun revenu industriel ou commercial. Faire peser sur les épaules d'un très petit nombre de citoyens une charge d'intérêt général de cette ampleur, et dans un délai de 5 ans, c'est évidemment impensable.

En revanche, la somme de 1,8 milliard d'euros pour l'aménagement de la totalité des ouvrages classés au titre de la continuité écologique s'intègre plus raisonnablement dans les dépenses publiques de l'eau. Les Agences de l'eau financent actuellement à 80% les opérations de destruction de seuils et barrages. Si ce barème est appliqué à la construction de passe à poissons, le coût pour les Agences s'élève à 1,44 milliard d'euros. Cela représente un peu plus de 10% du budget du 10e programme 2013-2018 de ces Agences.

Si, comme l'affirment certaines de ces Agences, la restauration de continuité écologique est une cause de première importance pour la rivière, il n'y aurait rien d'absurde à y consacrer 10% de leur budget. Ce serait toujours bien moins que les sommes dépensées chaque année (et sans effet optimal tant s'en faut) pour diminue l'impact de l'agriculture intensive.


Le coût des destructions risque d'exploser en raison des dommages matériels et moraux induits
L'aménagement de dispositifs de franchissement (passes à poissons évoquées ici, mais aussi rivière de contournement, rampes enrochées, simples vannages sur les petits ouvrages, etc.) n'est pas l'option favorite des Agences de l'eau, des services de l'Etat et des syndicats de rivière. Pourtant, elle a de bonnes chances de s'imposer dans les années à venir.

En effet, la mise en oeuvre de la continuité écologique a commencé par les ouvrages "faciles" : ceux qui étaient ruinés, ceux qui étaient propriétés de collectivités (communes, conseils départementaux), de syndicats de rivière ou de fédérations de pêche. Dans ces cas-là, l'effacement s'impose plus facilement, et il se réalise avec moins de contraintes (voire moins de vigilance sur les conditions optimales d'un effacement).

Mais nous arrivons aux cas nettement moins simples : des propriétés privées de particuliers qui n'ont aucune envie se voir imposer le ballet destructeur des pelleteuses en rivière. Sans compter la vigilance nettement accrue des associations de propriétaires ou de riverains, ainsi que des élus locaux.

Si l'Etat et les Agences de l'eau veulent passer en force (mise en demeure de destruction d'ouvrage), ils se verront opposer de manière probablement contentieuse des demandes d'indemnités conséquentes sur chaque seuil. La destruction implique en effet la perte du droit d'eau et du potentiel de revenus énergétiques, la dégradation de valeur paysagère et foncière du bien (assec du bief, disparition du miroir d'eau), diverses prises de risque (changements d'écoulement, mise en danger des fondations du bâti). Transformer un moulin en simple maison de zone inondable impliquera selon les cas des dizaines à des centaines de milliers d'euros de moins-value pour le propriétaire. A ce dommage matériel s'ajoutent les dommages moraux (dégradation esthétique, préjudice d'agrément, choc psychologique lié à la défiguration de lieux souvent chargés d'histoire familiale et personnelle) que ne manqueront pas de faire valoir les experts mobilisés par les propriétaires et leurs associations.

En conclusion
Par un simple calcul d'ordre de grandeur, on montre que le financement des dispositifs écologiques de franchissement en rivière représente des dépenses non exceptionnelles pour les financeurs publics, en particulier les Agences de l'eau. Choisir des modes doux d'aménagement plutôt que des solutions radicales et destructives n'est donc pas en soi une impossibilité économique, au regard des milliards d'euros d'argent public collectés et dépensés chaque années par les Agences de bassin. Ce choix a de nombreux avantages : amélioration de franchissement piscicole et du transit sédimentaire bien sûr, mais aussi meilleur consensus social, préservation du patrimoine historique, du potentiel énergétique, des usages socio-économiques et récréatifs associés aux seuils et barrages.

Même si les coûts des passes à poissons représentent une proportion raisonnable du budget des Agences de l'eau, ils induisent une dépense conséquente à l'heure où les besoins pour la qualité de l'eau sont immenses. La mobilisation de ces fonds ne se fera pas dans le court délai imposé par la règlementation (2017-2018) Il paraît donc en tout état de cause plus raisonnable de remettre à plat la question du classement des cours d'eau et d'entamer une concertation qui n'a jamais réellement eu lieu, dans le cadre d'un moratoire sur la continuité écologique.

Illustrations : en haut, modèle de passes dites "naturelles" ou "rustiques" (source Larinier et al 2006, DR); en bas,  destruction du barrage de Châlette-sur-Loing, 144 k€, 95% de financement public (source France3, DR).

28/08/2014

Un guide Onema 2014 sur la franchissabilité des obstacles par les poissons

L'Onema vient de publier dans sa collection "Comprendre pour agir" un guide complet sur l'évaluation du franchissement des obstacles à l'écoulement par les différentes espèces de poissons. Le guide a été conçu selon le protocole ICE (information sur la continuité écologique) partagé par les administrations, les acteurs de l'environnement, de l'eau et du territoire, les bureaux d'études, les chercheurs, ingénieurs et techniciens. Au sommaire de cet ouvrage de 200 pages : rappel sur la continuité écologique et l'ichtyofaune, énoncé des principes généraux du protocole ICE, diagnostic de la franchissabilité à la montaison, prédiagnostic pour les obstacles équipés de dispositifs de franchissement piscicole (passes à poissons de divers types).

La lecture de ce guide est très conseillée pour tous les maîtres d'ouvrages dont la rivière a été classée en liste 2 et qui ont une obligation d'aménagement à terme. En particulier, pour des rivières comme l'Armançon dont le principal enjeu migrateur de montaison est l'anguille adulte, on peut estimer que nombre de seuils présentent déjà des voies de reptation depuis l'aval, dont la pente et la rugosité sont à examiner de près selon les critères indiqués dans le guide.

Référence : Onema, Baudouin JM et al (2014), Evaluer le franchissement des obstacles par les poissons. Principes et méthodes, 202 p. (Si le téléchargement est long, essayez cet autre lien direct sur le site Onema).

17/11/2013

Pas de passe à poissons sans concertation: rappel de nos questions à la DDT et à l'ONEMA

L'article 214-17 du Code de l'environnement pose que les mesures de continuité écologique doivent être prises "selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant".

On a donc deux notions posées par la loi : le définition de règles, la concertation. Nous constatons que les propriétaires de moulins sur des rivières classées en liste 2 commencent à recevoir des courriers de la DDT qui ne respectent pas cette exigence légale.

Nous rappelons ci-dessous les questions que notre association a communiquées à la DDT et à l'ONEMA dès le mois d'août 2013. Tant que l'administration refusera d'entrer dans la définition exacte des règles qu'elle entend imposer et tant qu'elle réduira la concertation à un monologue par courrier officiel (DDT) ou à un silence pur et simple (ONEMA), il ne faut pas attendre autre chose qu'une inertie sur le dossier de la continuité écologique.

Nous l'avons dit et répété : seule une relation de confiance, de réciprocité et de pragmatisme permettra d'avancer sur la question de la continuité écologique. En aucun cas nous n'avancerons par la tentative d'imposition d'études d'impact et de travaux d'aménagement pour lesquels la plupart des propriétaires sont insolvables. Encore moins par des intimidations sur le caractère légal des ouvrages dont l'arrière-pensée d'effacement n'est, hélas, que trop évidente...

Questions techniques

Sur le franchissement piscicole
> Nous avons besoin d'une information sur les espèces concernées, notamment quand celles-ci sont dans une catégorie indistincte (par exemple «  cyprinidés rhéophiles  »). Pour chaque espèce, nous aimerions connaître  : la présence avérée dans la rivière  ; la nature du besoin (montaison, dévalaison, les deux)  ; la période de migration, le stade de développement concerné par la migration (juvénile, adulte)  ; la capacité de nage et de saut. Est-il possible d'avoir un tableur de synthèse pour les espèces présentes dans chacune des masses d'eau concernées? Le travail de diagnostic assez complet du SICEC sur la Seine sera-t-il généralisé aux autres BV?

> Quels sont les points de vigilance qui vont compter particulièrement dans la réception de la passe à poissons (outre les éléments classique de bonne réponse aux capacités de nage et de saut, d'attractivité, etc.)  : facilité d'entretien, bonne adaptation aux variations aval-amont, etc.?

> D'après les retours d'expérience de passes déjà installées sur des seuils dans la région (par exemple Quincy-le-Vicomte, Senailly, Gomméville, etc.) ou dans des cours d'eau à contraintes hydrologiques / piscicoles assez proches, certains modèles sont-ils considérés comme plus efficaces? Qu'est-ce qui est plutôt préconisé en cas de contraintes multi-espèces ayant des capacités très différentes de nage et saut?

> Les moulins situés juste à l'aval de grands ouvrages sans aménagement prévu sur 2013-2018 (typiquement, barrage VNF de Pont) ont-ils obligation d'aménager malgré le gain négligeable en linéaire librement franchissable? La circulaire d'application prévoit par ailleurs que la proximité d'un obstacle naturel infranchissable peut exempter d'aménagement le seuil  : comment est évaluée cette infranchissabilité? Est-ce la hauteur de 50 cm par ailleurs reconnue pour les seuils (l'interdit en liste 1 porte sur tout nouvel ouvrage de hauteur supérieure à 50 cm)?

> Des dispositifs de comptage existent-ils pour mesurer l'efficacité des dispositifs en place, dans le cadre du contrôle biologique des obligations de résultats ? Ces dispositifs seront-ils à la charge du maître d'ouvrage ou le comptage sera-t-il réalisé par l'ONEMA / les syndicats?

> Certaines entreprises (par exemple EVI-GEST en Bourgogne) proposent des modèles de passes plus ou moins expérimentaux. De même, des brevets ont été déposés (par exemple M. Jacquemin).  Comment savoir si ces passes (quand elles existent déjà autrement qu'en prototype) sont «  agréées  », au sens où leurs tests ont été jugés concluants par les experts en hydrobiologie et hydrophysique? La mise en œuvre de la continuité peut-elle être l'occasion de procéder sur certains seuils ou barrages à des expérimentations de dispositifs, et dans l'affirmative, sous quelles conditions?

Sur le transit sédimentaire
> Sur certaines rivières, il existe des diagnostics approfondis (exemple JR Malavoi, mission Hydratec sur l'Armançon). Sur d'autres, l'information est beaucoup plus pauvre. Même dans le cas de l'Armançon, il est difficile de qualifier un état sédimentaire précisément au droit d'un ouvrage, ou sur un tronçon, et de prendre les mesures proportionnées à la correction éventuelle du déficit de charge solide. Comment est effectuée cette évaluation? L'ONEMA dispose-t-il d'un indice dérivé du SYRAH pour objectiver l'altération sur chaque masse d'eau et proportionner la réponse?

> Nombre de seuils sont de simples chaussées à empierrement, sans organe mobile (ou alors une vanne de décharge de faible largeur, généralement à une extrémité du seuil). Dans ces cas-là, et dans l'hypothèse où un déficit sédimentaire a été préalablement démontré, plutôt que d'engager des travaux de construction de novo d'un vannage de décharge, le propriétaire a-t-il la possibilité de proposer une solution comme le curage régulier de la retenue (période à fixer) avec transfert partiel des sédiments solides curés vers l'aval?

> Sur ce curage et transfert des sédiments, existe-t-il un mémo technique et juridique à jour (envisageant notamment le curage dans le cadre de la restauration sédimentaire)?

> Il existe divers modèles de vannes (guillotine, bascule, clapet, etc.). Quand le propriétaire doit installer un système neuf, quels modèles sont considérés comme les plus efficaces pour le transit sédimentaire?

> Sur certains bassins versants, des opérations coordonnées d'ouverture des vannages à certaines périodes de l'année (propices au transit sédimentaire, non dommageables pour les fraies) ont été organisées. Ce type d'initiative est-il envisagé sur notre région? L'autorité en charge de l'eau est-elle ouverte à des propositions en ce domaine?

Sur la base ROE
> Le fichier Excel disponible en information publique ne donne que rarement la hauteur de chute mesurée sur chaque ouvrage. Et il faut des logiciels SIG spécialisés pour accéder à d'autres données en ligne. Un format largement ouvert (PDF, CSV...) des informations complètes sur chaque ouvrage est-il disponible? Ou prévu?

Sur la notion de «  liste 2 à terme  »
Quelle est la signification exacte de cette notion?

Sur le DMB ou débit réservé
La loi prévoit un débit réservé de 10% à compter de 2014. Parfois, on observe que le débit minimum biologique peut monter à 15% ou 20%. Quels sont les critères scientifiques permettant de définir le seuil du DMB? A quel moment et comment le maître d'ouvrage peut-il être informé du DMB, s'il diffère des 10% à mettre en œuvre au 1er janvier prochain? Comment s'estime le module quand il n'y a pas de station hydrologique sur le cours d'eau (petits ordres de Strahler)

Questions administratives, économiques  et de gouvernance

Sur la proportionnalité de l'aménagement et de l'enjeu
La Circulaire d'application de janvier 2013 revient à plusieurs reprises sur la notion d'aménagement proportionnel à l'enjeu. Cela suppose une analyse coût-avantage (ACA) faisant intervenir des facteurs écologiques et des facteurs économiques. En l'absence de «  mode d'emploi  », cette ACA est assez périlleuse. En logique «  service rendu par les écosystèmes  », on peut par exemple s'interroger sur le service rendu par la circulation des chevesnes sur un tronçon de 10 km  et la dépense globale justifiable pour parvenir à ce résultat sur le linéaire concerné. On conçoit que le réponse est difficile à objectiver... L'autorité en charge de l'eau peut-elle préciser sa hiérarchie des enjeux (au sein du volet piscicole et du volet sédimentaire) et sa conception de la proportionnalité des aménagements?

Sur la question du coût des aménagements
> C'est le principal «  point noir  » en terme de réussite future de la continuité écologique, un problème clairement perçu par les maîtres d'ouvrage. Un aménagement complet peut coûter fort cher  : grilles à 20 mm, goulotte de dévalaison, vanne adaptée au transfert sédimentaire de fond, passe à poissons, modification pour garantir le DMB ... pour des seuils qui sont très majoritairement modestes, la dépense paraît importante. D'autant que le gain écologique futur n'est pas toujours clairement perçu par le propriétaire ni même quantifié par les experts. Parfois, cette dépense est tout simplement hors de portée des capacités d'emprunt du maître d'ouvrage (insolvabilité déjà constatée en France sur de nombreux BV). S'ajoute à cela une très forte dispersion des coûts observés de travaux en rivière, point qui a été relevé par l'ONEMA dès 2011 (Dir4 M. Bramard) et qui fait actuellement l'objet d'une enquête de l'Observatoire de la continuité écologique.  Dispose-t-on aujourd'hui d'une base de données économiques sur les opérations de restauration d'ouvrage? A-t-on des analyses sur les principaux postes de variation des coûts? Les autorités en charge de l'eau comptent-elles associer les professionnels à une démarche d'information ? Comment peut-on envisager des bonnes pratiques aboutissant à des coûts raisonnables et proportionnés d'aménagement?

Sur le rôle des Syndicats et EPTB
> Comme cela s'est déjà fait sur plusieurs bassins versants en France, les syndicats de rivière ont-il prévu des études par tronçons permettant d'envisager l'enjeu sédimentaire / piscicole sur tout le linéaire? Les autorités en charge de l'eau encouragent-elles ce type de solution?

Sur la position des Agences de l'eau et les demandes d'indemnités pour charge exorbitante
> Les Agences de l'eau ont prévu un budget important (de l'ordre de 2 milliards d'euros) pour la restauration écologique, sur leur programmation budgétaire 2013-2018. En l'état de leurs arbitrages, elles privilégient les effacements d'ouvrages et se montrent très sélectives pour financer des aménagements. La subvention est souvent nulle, sauf si l'ouvrage est considéré comme «  structurant  » (mais à des conditions assez drastiques et rarement réunies). Mais les choix varient d'une Agence à l'autre (cf plus loin). Cette position est le second «  point noir  », puisqu'elle paraît infondée aux propriétaires  : ils sont le cas échéant disposés à modifier substantiellement leur ouvrage pour améliorer la qualité de l'eau considérée comme «  bien commun  », mais ne comprennent pas pourquoi une telle dépense reposerait entièrement sur leurs épaules alors qu'elle s'inscrit dans la recherche d'un intérêt général. Comme l'art 214-17 C env ouvre la possibilité d'une indemnité en cas de «  charge spéciale et exorbitante  », un blocage des Agences de l'eau sur le refus de toute subvention pour les aménagements de petits ouvrages risquerait de se traduire par des demandes systématiques d'indemnités et des contentieux en cas de refus de payer ces indemnités. Les Agences de bassin concernées — principalement AESN Seine-Amont — participeront-elles à des concertations et informations sur ce point? Comment l'autorité de charge de l'eau (qui recevra les demandes d'indemnités) se positionne-t-elle? Pourquoi l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée propose-t-elle en Côte d'Or des financements à 60% voire 80% des passes quand l'Agence de l'eau Seine-Normandie oppose des fins de non-recevoir?

Sur les pertes de production énergétique
> Un certain nombre d'adhérents de notre association produisent en autoconsommation ou en vente réseau. Les différentes réformes vont occasionner une perte de production (convention d'ouverture des vannages à certaines périodes, perte de charge dans les grilles à faible écartement et goulotte de dévalaison, etc.). Comment ce point sera-t-il géré par l'autorité en charge de l'eau?

Sur la représentation des associations de riverains et propriétaires tout au long de la mise en œuvre de la continuité
> Il a été observé dans divers documents récents (Rapport Cour des comptes 2013, Rapport du CGEDD sur la mise en œuvre de la continuité écologique 2013, rapport Lesage d'évaluation de la politique de l'eau 2013) que des efforts étaient nécessaires en terme de concertation, information et participation. Des dispositifs en ce sens sont-ils prévus  ? Outre des rencontres ponctuelles (comme celle faisant l'objet de ce mémo), nos associations pourront-elles être intégrées le plus en amont possible, afin de jouer leur double rôle d'information des adhérents et des pouvoirs publics?

26/02/2013

Classement des rivières de Côte d’Or: premiers éléments sur la circulation des poissons



L’arrêté de classement des rivières du bassin Seine-Normandie, pour la partie occidentale de la Côte d’Or, impose aux maîtres d’ouvrage d’assurer la libre circulation d’un certain nombre d’espèces piscicoles, ainsi qu’un bon transit sédimentaire. Chaque rivière classée du département (toutes ne le sont pas, ou pas intégralement) a ses obligations en la matière. On peut consulter l’arrêté de classement Seine Normandie à cette adresse. Le classement Loire-Bretagne (qui concerne le bassin de l’Arroux à l’extrême Sud du département) est consultable ici. Les rivières dépendant du bassin Rhône-Méditerranée, à l’Est du département, n’ont pas encore d’arrêté de classement (la proposition en cours est consultable sur ce site). Rappelons qu’une rivière non classée en liste 1 ou 2 n’a pas d’obligation de continuité écologique sur la période 2013-2018.

Pour commencer à éclaircir ces questions, nous évoquons ici la question du franchissement piscicole, notamment du sens de circulation des espèces (l’autre dimension importante étant le transit sédimentaire, qui sera abordée ultérieurement).

Quelles espèces piscicoles concernées ? 
Les espèces les plus souvent concernées par la continuité en Côte d’Or sont les suivantes : anguille, blageon, bouvière, brochet, lamproie de Planer, lote, truite fario, vairon, vandoise. Sont aussi mentionnés parfois les cyprinidés rhéophiles sans précision, ce qui peut inclure (outre les vairons et vandoises déjà cités) le chevesne, le goujon, le hotu, le spirlin et le barbeau. Chaque rivière n’est concernée que par quelques-unes d’entre elles.

Ces espèces sont considérées comme patrimoniales, et certaines sont protégées. L’ombre commun est parfois signalé en Seine Amont (Champagne plutôt que Bourgogne), mais c’est un choix discutable. En effet, les travaux du Piren Seine (un programme du CNRS) ont montré que l’ombre est considéré comme une espèce importée en Seine-Normandie, où il n’est signalé que vers 1950 (Tales 2009). Difficile d’y voir un intérêt patrimonial dans une logique de renaturation. Il en va de même pour le hotu, qui est une espèce importée en Seine-Normandie.

Pour les espèces dont la circulation doit être assurée, quelles vont être les étapes ? La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne quelques premières indications. Les maîtres d’ouvrage vont être contactés par les services de la préfecture afin d’être informés de leurs obligations nouvelles. Ils devront en réponse exposer la manière dont ils entendent assurer la continuité écologique au droit de leur ouvrage.

Montaison ou dévalaison ?
Faut-il assurer la montaison ou la dévalaison des poissons ? La montaison désigne la possibilité de remonter la rivière vers l’amont (donc surmonter la hauteur du seuil ou barrage) alors que la dévalaison ou avalaison désigne la capacité de franchir sans heurt l’obstacle vers l’aval.

La circulaire du 18-01-2013 précise : «Assurer la circulation des poissons migrateurs s’entend, d’une manière générale, à la montaison et à la dévalaison. La règle est donc d’assurer la circulation dans les deux sens, ce qui est particulièrement essentiel pour les espèces amphihalines. Cependant, les mesures à imposer doivent tenir compte de la réalité locale et des enjeux réels des cours d’eau, de l’impact des barrages et de la proportionnalité des coûts par rapport à l’efficacité et aux bénéfices attendus.»

Dans bien des cas, la simple dévalaison devrait être suffisante en Côte d’Or, selon la première analyse de notre association. Il y a plusieurs motifs à cela.

• La circulaire d’application insiste sur le caractère «progressif» et «proportionné» des mesures à prendre. Or la Bourgogne étant située en tête de bassin versant, elle est peu concernée par le remontée des grands migrateurs amphihalins (saumons, aloses, anguilles, etc.) depuis l’Atlantique ou la Manche. Les axes prioritaires de ces espèces sont bien sûr sur la façade occidentale du pays. Même les anguilles présentes en Côte d’Or sont par définition adultes puisque l’espèce se reproduit dans la mer des Sargasses et achève sa croissance en fleuve et rivière : elles ont avant tout besoin de dévaler sans heurt pour rejoindre l’océan et, au final, leur lieu de reproduction.

• La simple dévalaison est encore la règle de «bon sens», comme le signale la circulaire d’application, dans l’hypothèse où l’espèce concernée rencontre rapidement un obstacle non franchissable à l’aval ou à l’amont de l’ouvrage. Dans ce cas, assurer la montaison est hors de proportion puisque le poisson sera de toute façon bloqué par la configuration naturelle du cours d’eau.

• Dans le cas de la Côte d’Or s’ajoute la situation particulière due aux grands barrages de retenue de VNF, qui alimentent le canal de Bourgogne (Cercey, Chazilly, Grosbois I et II, Panthier, Tillot et Pont). Ces barrages n’ont aucun projet d’aménagement à ce jour, alors qu’ils représentent des obstacles infranchissables. Leur proximité d’un autre ouvrage suggère que la simple dévalaison sera dans ce cas la solution la plus progressive et proportionnée au sens de la circulaire d’application. D’autant que la circulaire insiste sur le caractère évolutif de la continuité : quand VNF installera des ascenseurs ou écluses à poissons sur ses propres ouvrages, il deviendra réaliste d’assurer la montaison sur les tronçons concernés. Mais ce n’est pas le cas pour la période 2013-2018.

• Pour les espèces holobiotiques (vivant dans un seul milieu, eau douce en Côte d’or en dehors de l’anguille), la question se pose de savoir si elles sont réellement « migratrices » et si cette migration impose la montaison. Par exemple, les cyprinidés rhéophiles ne sont pas usuellement considérés comme des migrateurs : ils recherchent des eaux vives (ce que signifie leur nom de « rhéophile »), et ces eaux plus turbulentes peuvent être disponibles sur le linéaire de la masse d’eau, à l’amont ou à l’aval des ouvrages. Chaque cas devra être étudié — c’est-à-dire chaque espèce dans chaque rivière, et les conditions de son cycle de vie (accessibilité des frayères et milieux de croissance notamment, si possible connaissance historique sur la densité de peuplement de l'espèce).

• En résumé, la dévalaison permet aux poissons d’éviter la « sectarisation » entre les biefs, de rejoindre des zones propices au développement ou de regagner l’océan pour les grands migrateurs. Une transparence migratoire vers l’aval avec un minimum de mortalité et morbidité est souhaitable. La montaison doit répondre à un besoin biologique précis : rejoindre un lieu indispensable à la reproduction et au développement de l’espèce. Peu de poissons présents dans le classement des rivières de Côte d’Or exigent ce besoin, principalement parce que le département est situé en tête des trois bassins versants (rhodanien, séquanien, ligérien) sans enjeu migrateur important. Cette montaison a par ailleurs un coût plus élevé, un entretien plus complexe du dispositif de franchissement et le principe de proportionnalité exige en conséquence d’examiner attentivement le bénéfice attendu.

Comment et dans quel cas assurer la dévalaison ?
La circulaire d’application du classement des cours d’eau donne de premières indications. «La dévalaison peut être assurée par direction des poissons vers un by-pass ou une goulotte de dévalaison  ou  par  surverse  du  barrage  s’il  n’est  pas  trop  haut.  L’aménagement  doit  être accompagné de la mise en place de grilles à espacement adapté, combinées à un réglage de la vitesse d’approche des grilles et un guidage vers l’exutoire, dès lors qu’il y a lieu d’empêcher les individus de pénétrer dans une dérivation dans laquelle ils sont soumis à une forte probabilité de mortalité : turbines non ichtyocompatibles, pompages, conduite forcée, mise en pression, etc.

«La dévalaison peut être assurée par des mesures de gestion telles que l’arrêt du turbinage et l’ouverture des vannes lors des pics de dévalaison de l’anguille notamment, ou encore telles que le piégeage-transport ou un abaissement de la retenue. La mise en place d’une mesure d’arrêt de turbinage dépend très fortement de la possibilité de cibler les pics de dévalaison afin de réduire au maximum les pertes énergétiques.» 

La circulaire envisage donc principalement les ouvrages équipés en hydroélectricité (ou pompage). Qu’en est-il déjà de la dévalaison pour les seuils sans équipement ?

Dans l’ouvrage classique consacré au franchissement piscicole, Michel Larinier et ses collègues observent que les poissons de taille inférieure à 10-13 cm ne subissent aucun dommage quelque soit la hauteur de chute, et que les poissons de taille supérieure risquent des lésions lorsque la vitesse d’impact acquise pendant la chute dépasse 15-16 m/s, soit des hauteurs de chute importante — pour un poisson de taille supérieure à 60 cm, il faut par exemple 13 m de chute pour atteindre la vitesse critique. (Larinier et el 1999)

La plupart des obstacles à l’écoulement de Bourgogne ayant des tailles modestes (moins de 2 m, et jamais plus de 5 m en dehors des ouvrages VNF), le risque de blessures par choc paraît donc très faible. Un simple déversoir suffit à la dévalaison.

Pour les ouvrages possédant un équipement hydromécanique, l’adaptation dépend de chaque site. Les roues et vis d’Archimède sont considérées comme ichtyocompatibles car leur vitesse de rotation est très lente, et les tests n’ont pas montré de mortalité ou morbidité (voir par exemple Hydrauxois 2013 pour les vis d’Archimède). Pour les turbines, dont la mortalité piscicole induite est proportionnelle à la vitesse de rotation, un système grille-exutoire permet de guider le poisson vers une zone non létale (voir Courret et Larinier 2008).

Et dans le cas de la montaison ?
Dans certains cas, la mise en place d’un dispositif de montaison sera nécessaire. On les appelle des passes ou échelles à poissons, pour les ouvrages de taille modeste (jusqu’à 5 mètres environ). On trouve de nombreux guides en ligne : par exemple en référence Aigoui et Dufour 2008, Larinier et al 1999, Larinier et el 2006 (les liens mènent aux pdf ou aux pages où l'on peut charger les pdf).

Pour retenir l’essentiel :

• On peut concevoir des passes dites naturelles ou rustiques, consistant à construire un bras de rivière artificiel partant de l’amont de l’obstacle et rejoignant l’aval. Ce bras est enroché afin de casser la puissance de l’écoulement et permettre au plus grand nombre d’espèces de l’emprunter. Sa pente est typiquement située entre 2 et 4% pour les espèces présentes en Côte d’Or.

• Quand le terrain ne s’y prête pas, on construit une passe à poisson au niveau de l’ouvrage formant obstacle au franchissement. La passe, généralement en béton, peut être à bassins successifs, à échancrures latérales ou à ralentisseurs, le premier modèle étant le plus indiqué pour les espèces de Côte d’Or. La conception de ces passes dépend principalement de la capacité de nage (croisière, pointe) et de saut des espèces concernées.

• Les anguilles demandent des passes spécifiques, dont la pente peut être forte (30-40%) mais dont le fond doit être garni de rugosités (brosses, macroplots) permettant la montée. Néanmoins, ces dispositifs conviennent mieux aux jeunes anguilles (civelles, anguillettes) et pour les anguilles adultes (cas de la Côte d’Or), il peut être plus simple d’adapter la passe « tout poisson » si elle est prévue.

• Ces passes doivent être conçues en fonction des contraintes hydrologiques (persistance d’un tirant d’eau à toutes les hypothèses de débit saisonnier de la rivière) et écologiques (attractivité de l’entrée de la passe). Elles doivent être entretenues, principalement pour les embâcles et les engravements qui provoquent le colmatage de l’entrée ou des bassins intermédiaires.

Ce que l’autorité en charge de l’eau doit produire sur le département (et mettre à disposition de chaque maître d’ouvrage)
La circulaire d’application insiste à plusieurs reprises sur le caractère «proportionné» des aménagements, et elle spécifie que l’on doit analyser les enjeux réels de cours d’eau comme les bénéfices attendus.

Une analyse détaillée de ces enjeux sur chaque ouvrage devra nécessairement être éclairée par les mesures de qualité de la masse d’eau que l’administration doit mettre à disposition des propriétaires, et qu’elle est censée avoir réalisées aussi bien pour le rapportage de la Directive-cadre sur l’eau que pour la constitution du classement lui-même.

Pour ce qui est en particulier de la circulation des poissons, l’Onema doit produire sur chaque masse d’eau — en priorité les masses d’eau classées — l’ensemble des relevés de pêche ayant permis de constituer l’Indice poisson rivière, qui est la mesure de la qualité piscicole. Ces relevés permettent déjà au maître d’ouvrage de connaître les espèces présentes dans le tronçon concerné, notamment lorsque le classement est imprécis (comme pour les cyprinidés rhéophiles sans plus de détail, par exemple). Ils autorisent également à comparer la fréquence des poissons et la qualité IPR selon le taux d‘étagement des rivières similaires, donc à identifier avec plus de précision les espèces sensibles aux seuils et les gains attendus.

Il est également nécessaire, comme cela a été fait en Haute Seine, que les pressions anthropiques sur chaque masse d’eau soient identifiées, en particulier celles qui affectent les populations piscicoles : le bénéfice réel d’une restauration de continuité écologique dépend toujours des autres facteurs dégradant la qualité de l’eau et limitant l’espoir d’une reconquête du tronçon par les poissons. Cela fait partie de la «proportionnalité» de l'aménagement au sens de la circulaire d'application.

Concernant la morphologie, l’autorité en charge de l’eau doit produire la description de chaque tronçon et en particulier les informations sur les substrats, les types d’écoulement, l’état des berges, la présence de frayères, caches et annexes hydrauliques. Seule une cartographie complète aval/amont permettra d’estimer au mieux les aménagements nécessaires sur chaque ouvrage.

Enfin pour la cohérence hydrographique, il serait nécessaire de disposer à l’échelle de chaque bassin et depuis la rivière principale (ordre de Strahler le plus élevé) des axes de continuité envisagés et des points noirs persistants en l’absence de classement de certains tronçons (typiquement les chutes naturelles et les barrages VNF, plus généralement les obstacles dont l’aménagement ne sera pas assuré sur la période 2013-2018 d’exécution de l’arrêté).

Une garantie de succès : des dispositifs simples, efficaces et peu coûteux
Comme notre association et ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 l’ont relevé dans le dossier Continuité écologique en Côte d’Or, une condition évidente du succès de la continuité dans le domaine piscicole sera la capacité à mettre à disposition des maîtres d’ouvrage des équipements efficaces, à moindre coût et à moindre entretien.

En soi, assurer un débit minimum biologique le plus transparent possible en montaison et en dévalaison ne poserait pas de difficulté particulière si les travaux des chercheurs, ingénieurs et techniciens avaient conduit à définir progressivement des solutions abordables.

Mais c’est plutôt l’inverse qui s’observe : le problème principal des ouvrages de franchissement est l’anormale dispersion des coûts observés sur les chantiers et, globalement, le coût moyen très élevé au mètre de chute (entre 30.000 et 80.000 euros selon les études). Les passes les plus fréquentes car les plus adaptées à un grand nombre d’espèces — en bassins successifs — ne sont en définitive que des blocs de béton : que, pour des ouvrages modestes entre 1 et 5 m, leur prix puisse couramment dépasser celui d’une berline, voire d’une maison individuelle est tout simplement incompréhensible du point de vue des matériaux mobilisés. Et inacceptable pour les maîtres d’ouvrages comme pour les dépenses publiques (quand la passe bénéficie d’une subvention, ou d'une indemnité si la charge de construction est jugée spéciale et exorbitante, comme le prévoit l'art 214-17 C env.).

Il importe donc de mener une enquête publique sur l’ensemble des passes installées, afin de comprendre l’origine exacte de la dispersion des coûts, d’identifier le juste prix des prestataires (bureaux d’études ou maîtres d’œuvre) et de définir les solutions qui présentent le meilleur ratio coût-efficacité. Ni l’opacité (des dépenses non justifiées par des bénéfices environnementaux non mesurés) ni l’arbitraire (des positions variables de l’administration d’une rivière l’autre en France) ne seront de mise si l’on souhaite que la franchissabilité piscicole soit assurée dans les meilleures conditions sur la période 2013-2018.

Enfin, notre association comme ses consoeurs de la Coordination Hydro 21 conseille à tous les maîtres d'ouvrage de profiter de ces travaux de modernisation écologique pour installer une production hydro-électrique: avoir toutes les contraintes d'aménagement et entretien de son site sans avoir les avantages d'une production n'est pas une situation très avantageuse. De surcroît, un projet hydro-électrique ouvre droit à diverses subventions. Que les moulins et petites usines retrouvent ainsi leur vocation à l'heure de la transition énergétique sera la meilleure garantie d'une attention du maître d'ouvrage à l'ensemble des paramètres de la rivière, dont la continuité écologique.

Inversement, accepter d'effacer son ouvrage hydraulique représente une perte importante pour le propriétaire (disparition du droit d'eau attaché au bien, dégradation du miroir d'eau de la retenue et de la valeur paysagère) et des risques non mesurés (changement des régimes de crue et étiage, effets sur le bâti). Le choix de l'effacement est toujours possible, mais la perte de valeur du bien va généralement au-delà de la subvention consentie par l'Agence de l'eau (ne finançant qu'une partie des travaux en rivière et ne prévoyant rien pour indemniser le maître d'ouvrage).

Références
Aigoui F et M Dufour (2008), Guide des passes à poissons, VNF CETMEF.
Courret Larinier M (2008), Guide pour la conception de prises d’eau ‘ichtyocompatibles’ pour les petites centrales hydroélectriques, Ademe-Onema-Cemagref
Hydrauxois (2013), La vis d'Archimède. De l'irrigation antique à l'énergie moderne, 18 p.
Larinier M et al (1999), Passes à poissons. Expertise, conception des ouvrages de franchissement, Collection Mise au point.
Larinier M et al (2006), Guide technique pour la conception des passes à poissons ‘naturelles’, Rapport d’étude. 67p
Tales E (dir) (2009), Le peuplement de poissons du bassin de la Seine, Piren Seine.

Illustrations : Wikimedia Commons (de haut en bas CMGLee, Harke, sans auteur)