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04/04/2016

Les barrages stockent 12% des excès mondiaux de phosphore (Maavara et al 2016)

L'Onema et les Agences de l'eau prétendent que les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration des rivières, argument pour mieux les effacer. Les chercheurs préfèrent s'intéresser à la réalité, à savoir l'exact opposé de la propagande administrative française : le rôle des barrages dans l'épuration des eaux polluées de divers effluents d'origine humaine. Une nouvelle étude de Taylor Maavara et sept collègues parue dans les PNAS établit ainsi qu'à l'échelle mondiale, 12% de la charge totale en phosphore sont éliminés par les barrages, chiffre qui pourrait atteindre 17% en 2030. Le phosphore est l'un des principaux responsables de l'eutrophisation des bassins aval, des lacs, des estuaires et des baies. Supprimer les barrages, c'est donc aggraver le bilan chimique de qualité de l'eau, ce qu'interdit la DCE 2000. 

L'activité humaine moderne perturbe à échelle planétaire les grands cycles naturels : eau, carbone, azote, phosphore, etc. Les fertilisants agricoles, l'érosion ou le lessivage des sols et les effluents des stations d'épuration induisent un excès de composés phosphorés dans l'eau. La charge globale en phosphore a ainsi doublé depuis l'époque pré-humaine, c'est-à-dire que plus de la moitié du phosphore circulant dans les masses d'eau est d'origine anthropique.

Le phosphore est rare dans la nature, et donc très vite assimilé dans les écoystèmes. Etant l'un des principaux facteurs limitants de la productivité primaire des milieux aquatiques, ses excès entraînent une eutrophisation des milieux. Si les barrages sont reconnus comme étant eux aussi un impact anthropique sur les rivières, ils interagissent avec le phosphore dans un sens plutôt favorable, en retenant, stockant ou éliminant une partie de la charge qui se trouve ainsi soustraite du continuum fluvial.

Pour évaluer le phénomène, Taylor Maavara et ses collègues ont produit un modèle de bilan de masse en séparant le phosphore total (PT) en quatre composantes : phosphore total dissous (TDP), phosphore organique particulaire (POP), phosphore échangeable (EP, les orthophosphates) et phosphore particulaire non réactif (UPP). La part biodisponible du phosphore (celle qui peut changer l'équilibre nutritif et que l'on nomme sa fraction réactive) concerne les trois premières formes. Le modèle consiste à estimer la part retenue par les barrages dans chaque compartiment, en fonction des autres paramètres d'efficacité de la séquestration comme le temps de résidence hydraulique (ci-dessous, représentation simplifiée des flux entrants et sortants du modèle).



Extrait de Maavra et al 2016, art cit, droit de courte citation.

Résultat de ce travail : les grands barrages retiennent en moyenne environ 40% de la charge de phosphore qu'ils reçoivent. Mais à l'échelle globale, compte-tenu de l'absence de barrages sur un grand nombre de rivières et de leurs dimensions variables, la proportion effectivement retenue serait de 12% de la charge totale de phosphore en 2000. Au regard des projets hydro-électriques annoncés dans les pays émergents d'Amérique du Sud, Afrique et Asie (3700 ouvrages programmés), ce chiffre pourrait monter à 17% en 2030.

Malgré ce rôle positif des ouvrages hydrauliques, la séquestration n'est donc pas suffisante pour contenir les excès de nutriments dont souffrent les milieux aquatiques. Cela suppose d'agir à la source des émissions ou sur d'autres modes de rétention dans les bassins versants.

Conclusion
Cette nouvelle étude vient après bien d'autres pour montrer le rôle positif des barrages dans la régulation des pollutions chimiques de l'eau (voir cette synthèse et notre rubrique auto-épuration) Pour quelle raison la France met-elle en avant la mystification de "l'auto-épuration des cours d'eau", comme si les contaminants disparaissaient magiquement des milieux une fois supprimés les seuils et barrages? Il faut probablement y voir la enième pseudo-rationalisation administrative de notre incapacité à lutter contre les pollutions à la source. Cette question est à mettre en avant dans tout projet d'effacement, car la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) telle qu'elle est interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne interdit tout projet dont on sait à l'avance qu'il peut dégrader l'un des compartiments de qualité de l'eau. Par exemple, alors que les pêcheurs de saumons et autres improbables "amis de la nature" trépignent pour effacer les barrages de la Sélune au profit de leur loisir auto-proclamé d'intérêt général, a-t-on au moins modélisé l'effet futur sur la baie du Mont Saint-Michel, sachant que le bassin versant de la rivière est très dégradé?

Référence : Maavara T et al (2016), Global phosphorus retention by river damming, PNAS, 112, 51, 15603–15608

22/12/2015

Les seuils dénitrifient les rivières (Cisowska et Hutchins 2016)

Il existe déjà une abondante littérature scientifique sur le rôle positif des barrages en terme d'épuration des excès de nutriments dans les rivières (voir notre synthèse). Une nouvelle étude de modélisation confirme cet effet et appelle à redéfinir avec plus de précision le bon compromis entre restauration d'habitat et dénitrification. Mais peut-on espérer ce ré-examen de la part de l'Onema et des Agences de l'eau, qui ont trompé pendant 10 ans le public en prétendant que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration des rivières?

Les deux auteurs de l'étude (I. Cisowska et M.G. Hutchins) rappellent que les programmes d'effacement ou aménagement d'obstacles ont des dimensions incontestablement positives sur certains paramètres de qualité du milieu, surtout la faune piscicole à forte dispersion vers l'amont, qui fait l'objet d'une attention particulière du gestionnaire. Ils soulignent aussi que le maintien des seuils peut aussi avoir des effets positifs, comme la régulation des débits ou l'aération aval avec des hausses observables d'oxygène dissous. La question des services rendus est dès lors "impossible à traiter sans des études détaillées et spécifiques à chaque site".


Les auteurs ont analysé le cas particulier d'un seuil sur la rivière Nidd, affluent de l'Ouse dans le Yorkshire (Royaume-Uni). Ce seuil a été supprimé en 1999. Les auteurs ont procédé à une modélisation hydraulique de l'ouvrage et de la zone d'influence amont-aval, sur un tronçon de 15,8 km. Des mesures de débit et de concentration de nitrates ont été effectuées en 1997, 2000 et 2013, pour caler le modèle.

Selon les résultats de ce modèle, le seuil permet une dénitrification comprise entre 382 et 812 kg N sur les deux années complètes modélisées (1997 et 2000, dans ce dernier cas en hypothèse contrefactuelle d'un maintien). Les bénéfices les plus importants s'observent en été. Le maintien du seuil aurait été équivalent à épurer les rejets provenant de 9 à 19 ha de terres cultivées dans son voisinage immédiat.

"Nos simulations par modèle montrent que les seuils sont bénéfiques en terme de dénitrification, mais seulement dans une petite mesure, concluent les auteurs. Les bénéfices sont largement observés pendant les périodes estivales de faible débit (…) Il serait important de mettre ces résultats sur les modifications de nitrate en perspective avec d'autres mesures de qualité de l'eau comme le phosphore, le phytoplancton et les sédiments. (…) Dans le contexte d'une proposition de nombreux effacements de seuils sur les rivières européennes, une analyse rigoureuse du compromis entre dénitrification et amélioration d'habitat doit être entreprise".

Mais n'ayez crainte, amis européens : en France, nous avons la chance d'avoir des gestionnaires qui agissent massivement avant d'observer les résultats d'expériences locales, et qui se permettent de statuer de manière définitive avant d'attendre les conclusions de la recherche scientifique. Grâce à nos apprentis sorciers hexagonaux, vous pourrez donc venir bientôt faire des analyses chez nous, dans le champ de ruine des rivières renaturées à la pelleteuse par une technocratie pressée et par ses courtisans subventionnés – rivières qui se trouvent aussi massivement soumises aux nutriments, pesticides, perturbateurs neuro-endocriniens, microplastiques et autres polluants chimiques, ce qui en fera certainement des objets d'études riches d'enseignements.

Référence : Cisowska I et MG Hutchins (2016), The effect of weirs on nutrient concentrations, Science of the Total Environment, 542, 997–1003

11/11/2015

Idée reçue #04: "Les ouvrages hydrauliques nuisent à l'auto-épuration de la rivière"

La rivière serait capable d'épurer elle-même les pollutions humaines, mais les ouvrages hydrauliques (seuils, barrages, digues) l'en empêcheraient. Jamais en peine d'un motif pour justifier l'effacement spectaculaire des ouvrages hydrauliques, et détourner ainsi l'attention des causes réelles mais non ou mal traitées de dégradation des rivières, autorités et gestionnaires de l'eau ont commencé à diffuser cette idée dans les années 2000. Problème : la recherche nous dit exactement le contraire. Nous sommes en présence d'une véritable manipulation puisque 30 ans de travaux scientifiques démontrent que les retenues, réservoirs, étangs et autres zones d'eaux plutôt stagnantes permettent d'éliminer les excès d'azote et de phosphore, donc de diminuer le risque d'asphyxie des littoraux et estuaires. L'action publique démontre à nouveau son manque de crédibilité et d'impartialité en se rabaissant au niveau argumentaire de vulgaires lobbies propagandistes. Pire encore, elle contrevient à l'obligation stricte faite par la DCE 2000 de ne pas aggraver l'état chimique des rivières : la politique actuelle de suppression des obstacles à l'écoulement aura pour effet de détériorer le bilan des nutriments. Il est urgent de dénoncer ces impostures, à l'heure où la France est déjà très en retard sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau et condamnée pour la mauvaise application de la Directive nitrates de 1991.

Dans certains documents de vulgarisation de l'Onema, des Agences de l'eau et en conséquence des syndicats de rivière ré-exploitant ces informations, il est apparu à la fin des années 2000 l'idée que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration chimique des rivières (voir des exemples chez Onema 2010, Onema et Agence de l'eau Loire-Bretagne 2012, Onema et FNE 2014, et même dans les textes officiels du Ministère de l'Ecologie comme la Circulaire du 18 janvier 2013 sur la continuité écologique).

Par auto-épuration, il faut entendre la capacité d'une rivière ou de toute masse d'eau naturelle à éliminer des substances considérées comme polluantes. Il s'agit en premier des intrants agricoles, notamment les engrais dérivés de l'azote et du phosphore qui apportent un excès de nutriments à l'eau. Mais aussi de l'ensemble des substances chimiques liées aux activités humaines : pesticides, médicaments, métaux lourds, milliers de composés chimiques synthétiques présents dans nos objets de consommation, nos résidus de combustion ou autres sources.

Notons tout d'abord que, même sans examen scientifique de la question, la posture argumentaire visant à incriminer les seuils et barrages sur ce dossier de l'auto-épuration est intenable au plan du bon sens. En effet :
  • les pollutions chimiques de la rivière proviennent de l'émission des substances polluantes liées aux activités humaines (industrie, agriculture, usages sanitaires et domestiques). Les propriétaires d'ouvrages hydrauliques sont les victimes et non les causes de cette pollution des eaux qui arrivent dans leurs retenues, biefs ou étangs, des victimes immédiates puisque c'est leur cadre de vie qui est impacté ;
  • quand il y a une pollution aigüe de rivière (hydrocarbure, fuite toxique), l'une des premières mesures préventives est d'ériger un barrage mobile pour contenir au maximum la diffusion des substances nuisibles ;
  • les substances à longue durée de vie (métaux lourds, composés à forte inertie chimique comme les PCB) ne disparaissent pas d'un coup de baguette magique, elles circulent en suspension, s'accumulent dans les zones de dépôt naturel des rivières (fosses, mouilles, plaines alluviales), s'échangent avec les nappes ou encore arrivent dans les estuaires et zones littorales.
Prétendre que la suppression d'un ouvrage supprimera les causes ou les effets des pollutions chimiques n'a donc guère de sens. Cela revient à promouvoir la libre-circulation des polluants!

On entretient volontairement ou involontairement la confusion entre l'eutrophisation locale d'une retenue (le fait qu'elle accumule des sédiments organiques donc des nutriments, étant une zone de dépôt) et l'eutrophisation artificielle massive des cours d'eau due à nos rejets. Concernant les cycles de l'azote, du phosphore et du silicium, de nombreux travaux ont montré le rôle positif des eaux stagnantes : lacs, retenues, réservoirs, bras morts, mares, étangs. La France a mené des programmes pilotes sur cette question dans le cadre de la démarche multidisciplinaire Piren-CNRS, dès les années 1980, aussi est-il très étrange que ces travaux soient inconnus des gestionnaires de l'eau... 

La rétention d’azote (nitrates) dans les retenues, réservoirs et plans d'eau est particulièrement notable, et elle peut s’expliquer par trois processus différents : l’assimilation par la végétation, la sédimentation ou la dénitrification. Nous citons ci-dessous une synthèse utile de la littérature extraite de la thèse doctorale de Paul Passy (Passy 2012, illustration : la cascade des nutriments, cliquer pour agrandir).


"Dans les années 1980, de nombreuses études ont été réalisées sur des lacs scandinaves (Henriksen et Wright 1977; Wright 1983) ou nord-américains (Hill 1979; Dillon et Molot 1990) montrant que les rétentions d’azote au sein de ces milieux pouvaient atteindre plus de 90 % de la charge entrante. Plus tard, des suivis réalisés sur les barrages réservoirs de la Seine (Sanchez and Garnier, 1997; Garnier et Billen, 1994; Garnier et al 1999), des réservoirs d’eau en Pologne (Tomaszek et Czerwieniec 2000; Koszelnik et al 2007; Gruca-Rokosz et Tomaszek 2007) ou aux États-Unis (David et al 2006) ont mis en évidence une rétention d’azote atteignant 40 %. Enfin des études orientées vers l’ingénierie écologique dans le bassin du Mississippi ont mesuré un abattement de l’azote allant de 20 à 43 % (Mitsch et al 2005; vanOostrom 1995). (…)

"La plupart des études menées sur le devenir de l’azote dans les plans d’eau mettent en évidence le rôle prédominant de la dénitrification. Que ce soit dans des systèmes lacustres, de zones humides naturelles ou artificielles, ou de réservoirs, la dénitrification est responsable de 40 à plus de 80 % de l’élimination de l’azote (Brinson et al 1984; Seitzinger 1988; Hernandez et Mitsch 2007), soit un rôle 2 à 4 fois plus important que l’assimilation par la végétation ou que la sédimentation (Yan et al 1997; Kreiling et al 2011).

"L’azote sous forme de nitrate n’est pas le seul élément éliminé dans les secteurs stagnants du réseau hydrographique. La forme ammonium (NH4+) ainsi que le phosphore (Braskerud 2002) peuvent également y être retenus. Certaines agglomérations mettent d’ailleurs à profit cette propriété en construisant des plans d’eau pour traiter leurs eaux usées (Vymazal 2011; Dalu et Ndamba 2003). Enfin, le silicium subit également une certaine rétention au sein de ces secteurs stagnants (Koszelnik et Tomaszek 2008) par suite de la croissance et de la sédimentation des diatomées."

Depuis la parution de cette thèse, des travaux récents ont confirmé ces données déjà robustes de la recherche : voir par exemple Tiessen et al 2011 sur l'efficacité des petits barrages dans le stockage azote et phosphore au Canada ; Grantz et al 2014 sur la dynamique d'accumulation azote et phosphore dans les réservoirs déjà eutrophes ; Gasparini et al 2014 sur le bilan positif de rétention des nutriments sur des réservoirs des Grandes Plaines ; Liu et al 2015 sur l'effet (positif mais ici modeste et dépendant du remplissage) de 26 petits barrages canadiens ; Némery et al 2015 sur la rétention des charges carbone, azote et phosphore (resp. 31, 46 and 30 %) dans le cas d'un barrage tropical de zone urbanisée.

Cette rapide revue de la littérature scientifique est donc assez claire : les eaux plutôt stagnantes des réservoirs, des retenues et des étangs créés par les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'épuration de l'azote et du phosphore, donc dans la correction de notre perturbation du cycle des nutriments par les usages agricoles et domestiques. Dans une étude récente de ce phénomène, trois chercheurs nord-américains ont insisté sur l'usage bénéfique de la petite hydraulique dans la gestion du problème des nutriments : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes". (Powers et al 2015). Cet argument des chercheurs répond très exactement à la problématique française, puisque l'on trouve près de 80.000 obstacles à l'écoulement bien répartis sur les territoires, en particulier dans des zones souffrant de surcharge en nutriments.

Rétablissons donc quelques vérités : les ouvrages hydrauliques sont victimes et non responsables des pollutions chimiques de la rivière formant l'une des causes majeures de dégradation des milieux aquatiques depuis le milieu du XXe siècle. L'excès de nutriments (azote, phosphore) est considéré comme un problème majeur pour la qualité des masses d'eau, en particulier pour les zones estuariennes et littorales souffrant d'un apport massif depuis les systèmes fluviaux. Les ouvrages hydrauliques jouent un rôle positif dans l'élimination de ces nutriments tout au long du réseau hydrographique. Plus généralement, ils fixent des polluants qui, sans eux, se diffuseraient dans le milieu et jusque dans les océans. C'est un apport manifeste des seuils et barrages en terme de services rendus aux écosystèmes, et cette dimension doit être prise en compte dans toute programmation relative à ces ouvrages (même sans usage).

On peut conclure sur quatre points :
  • il est grave pour la crédibilité et l'impartialité de l'action publique que des organismes comme l'Onema ou les Agences de l'eau, voire la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie, propagent des idées fausses dans leur communication à destination des décideurs et de l'opinion, et s'associent parfois à des lobbies dans cette manipulation. Nous attendons un correctif clair sur la question de l'auto-épuration, dont nous observons qu'elle est reprise sans esprit critique par nombre d'opérateurs en rivière au plan local ;
  • la politique d'effacement des ouvrages ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur le bilan chimique de l'eau, en particulier dans les régions où il existe une pression agricole / urbaine forte. La Directive cadre européenne sur l'eau (DCE 2000) interdit à un Etat-membre de prendre des mesures qui aggravent l'état écologique ou chimique d'une masse d'eau. En conséquence, aucune opération d'effacement ne devrait être programmée si elle ne garantit pas au préalable par une étude d'impact et une modélisation la non-aggravation du bilan physico-chimique de l'eau sur les mesures obligatoires de la DCE 2000 ;
  • au lieu de désigner les barrages, moulins et étangs comme des ennemis de l'environnement, ce qu'ils ne sont pas, l'action publique devrait réfléchir à des partenariats visant à profiter de l'opportunité des retenues comme zone d'accumulation sédimentaire, avec notamment une politique d'extraction et gestion des sédiments pollués permettant réellement d'épurer les rivières de certaines substances à longue durée de vie ;
  • depuis les Directives nitrates et eaux résiduaires de 1991 jusqu'à la Directive pesticides de 2009 en passant par la DCE 2000, on attend de la France qu'elle soit capable de progrès rapides sur le dossier des pollutions chimiques de l'eau. Ce n'est pas le cas. Les besoins économiques pour améliorer les assainissements, changer les pratiques agricoles, protéger les captages ou encore trouver des substituts aux polluants sont immenses. Dans ce contexte, gâcher le moindre centime d'argent public à détruire le patrimoine hydraulique est absurde. Quand ce gâchis atteint des centaines de millions d'euros pour des effets négatifs sur le bilan chimique, il n'est plus tolérable. 
Illustration : extraite de Passy P (2012), Passé, présent et devenir de la cascade de nutriments dans les bassins de la Seine, de la Somme et de l’Escaut, thèse.

A lire en complément : 
Notre section auto-épuration ; notre section pollution
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques" 
Vade-mecum de l'association face à un projet d'effacement d'ouvrage hydraulique 

09/10/2015

Loire-Bretagne : 50 ans de pollution aux nitrates

Discours mille fois entendu quand on discute avec les Agences de l'eau ou les syndicats de rivière: "nous dépensons énormément pour les pollutions et la situation s'améliore, beaucoup de rivières sont en réalité dégradées à cause de la morphologie et non pas de la chimie".

Voici l'évolution des nitrates en bassin Loire-Bretagne depuis 1971 (source, pdf), c'est-à-dire grosso modo depuis la création de l'Agence de bassin censée protéger la ressource en eau.


On voit que sur tous les sous-bassins de Loire-Bretagne, nous sommes largement au-dessus des concentrations initiales. Qui peut croire un seul instant que dans le même intervalle de temps, les pollutions par pesticides, HAP et résidus de combustion, médicaments, microplastiques et autres biotoxiques se sont améliorées ? On voit aussi qu'il n'existe quasiment aucun progrès sur les masses d'eau en état moyen à mauvais depuis des décennies. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne avoue qu'elle n'est même pas capable en 2015 de mesurer l'ensemble de ces pollutions. Ce qui ne l'empêche pas dans le domaine de la continuité écologique d'exiger des "taux d'étagement", "taux de fractionnement" et autres gadgets pleins de certitudes déplacées sur les causes supposées de dégradation des milieux aquatiques – particulièrement déplacées en l'occurrence, vu le rôle positif des seuils et barrage en bilan d'azote (voir la rubrique auto-épuration ; voir aussi la problématique de l'Anthropocène comme accélération et convergence des pressions sur les milieux).

30/09/2015

Les retenues de barrage et autres eaux stagnantes ont un effet positif sur l'auto-épuration de l'azote

Dans cet extrait d'un fascicule Piren-Seine (programme de recherche du CNRS) sur le cycle de l'azote, les auteurs observent que les eaux stagnantes comme les retenues des barrages jouent un rôle auto-épurateur plus important que les eaux courantes. Ils proposent même une reconstitution des nombreux étangs présents à l'époque de l'Ancien Régime et observables sur les cartes de Cassini (en conformité avec la proposition de Powers et al 2015). Ce discours est aux antipodes de celui des autorités et gestionnaires affirmant que la destruction des barrages et seuils serait un atout majeur pour l'auto-épuration spontanée des eaux de rivière. 

"Dans le réseau hydrographique lui-même, le processus de dénitrification qui, sauf si la colonne d’eau du cours d’eau est gravement appauvrie en oxygène, a lieu surtout dans les sédiments, est encore susceptible de réduire la teneur en nitrates des eaux. Le fond des cours d’eau, et plus encore celui des milieux stagnants comme les mares, étangs, lacs ou réservoirs agissent comme des ‘pompes’ à nitrate et éliminent par dénitrification jusqu’à 20 mgN/m²/h, comme le montrent les mesures effectuées à l’aide de cloches benthiques (figure 20). Cet effet est surtout important lorsque le temps de séjour des masses d’eau est long et que la profondeur est faible. La présence d’étangs qui allongent le temps de passage des masses d’eau, ou les grands barrages-réservoirs où l’eau séjourne plusieurs mois (Garnier et al., 1999 ; 2000), sont ainsi des lieux de rétention (élimination) des nitrates (figure 21). 




En complément des actions de réduction de la pollution azotée agricole, et parce que celles-ci ne pourront porter leurs effets que dans un futur assez éloigné en raison notamment de l’inertie de la réponse de divers compartiments environnementaux comme les sols et les grands aquifères, diverses mesures peuvent être envisagées qui visent à éliminer ou retenir une fraction de la pollution azotée à l’interface des sols et des aquifères avec les cours d’eau ou dans le réseau hydrographique lui-même. Il s’agit de restaurer ou d’amplifier le pouvoir de rétention des zones humides riveraines des cours d’eau ou des zones stagnantes comme les mares et retenues.

On a vu précédemment (figure 21) que ces systèmes pouvaient éliminer une part significative de la pollution nitrique diffuse. L’élimination des nitrates par la mare artificielle en Brie, collectant les eaux drainées d’une exploitation agricole de 35 ha est exemplative. 

De tels aménagements paysagers, ont fait l’objet d’un scénario où ont été réimplantés des étangs, similaires à ceux qui constellaient le paysage rural de l’Ancien Régime comme en attestent les cartes de Cassini du milieu du XVIIIe siècle. à l’échelle du sous-bassin du Grand Morin, les résultats montrent un abattement en azote de 25 % par rapport à une situation de référence (figure 44). 


Le réalisme d’un tel scénario d’aménagement de « retenues » nécessiterait de prendre en compte d’autres enjeux tels que la biodiversité et la connectivité des paysages. Le boisement des zones humides riveraines, pour en accroître le potentiel de rétention des nitrates, permettrait aussi d’amplifier les processus de rétention naturels tout au long de la cascade de l’azote."

Source de l'extrait : Billen G dir (2011), La cascade de l’azote dans le bassin de la Seine, Piren-Seine, 58 p.

01/07/2015

Seuils et barrages ont un effet positif sur les pollutions azote et phosphore des rivières (Powers et al 2015)

Les rivières reçoivent fréquemment des excès de nutriments (matières azotées et phosphorées) issus des activités agricoles ou des eaux usées du bassin versant. Les trois chercheurs de ce nouveau travail paru dans Biogechemistry ont souhaité analyser le rôle des réservoirs et retenues d'eau des barrages, pour évaluer leur bilan azote (N) et phosphore (P). Ils ont compilé 18 années de données de qualité (1990-2007) sur les bassins du Mississippi, des Grands Lacs et de l'Ohio. En particulier, SM Powers et ses collègues ont comparé des tronçons avec et sans barrage (total 869, incluant 100 contrôles en sortie de barrage).

Principal résultat de leur étude : les écoulements en sortie de barrage montrent en moyenne une baisse annuelle de 20% du phosphore total et de l'azote total. Ce rôle de "puits de nitrate et de phosphate" est donc positif pour la qualité de la rivière, et empêche notamment que les nutriments aillent s'accumuler vers les bassins aval, ainsi que les zones côtières et estuariennes.

Le bilan de masse montre que l'azote est soit piégé dans les sédiments, soit dénitrifié  (transformation gazeuse par activité bactérienne). Le bilan est plus complexe et variable sur le phosphore. Image ci-dessus : flux net du phosphore total (à gauche) et de l'azote total (à droite) sur les réservoir doté d'un monitorage par bilan de masse des écoulements entrant / sortant. Les barres vers la gauche indiquent la rétention (rôle auto-épurateur), les barres vers la droite l'exportation (rôle mobilisateur). Cliquer pour agrandir.

Les seuils et barrages rendent des "services aux écosystèmes"
Les trois chercheurs observent en conclusion : "Nous soulignons que nous ne nous faisons pas les avocats de la construction des grands barrages comme moyen d'améliorer la qualité de l'eau. Mais les petits barrages et réservoirs, en revanche, existent souvent dans des zones où les paysages naturels ont disparu au profit de l'agriculture, et ils peuvent éventuellement être gérés de manière adaptée pour retenir les nutriments et assurer d'autres services aux écosystèmes".

Nous sommes donc aux antipodes du discours des syndicats de rivières, des Agences de l'eau ou de certains agents Onema affirmant que les seuils et barrages nuisent à l'auto-épuration des rivières. Mais ce n'est ni la première ni la dernière fois que les gestionnaires de l'eau trompent ainsi le public au service d'une idéologie bornée de l'effacement systématique des obstacles à l'écoulement… La destruction des seuils et barrages en cours dans notre pays a malheureusement toute chance d'aggraver les pollutions, qui forment déjà le premier impact sur la qualité des eaux de surface et des milieux aquatiques.

Référence : Powers SM et al (2015), Control of nitrogen and phosphorus transport by reservoirs in agricultural landscapes, Biogeochemistry, 124, 1-3, 417-439

A lire également : Auto-épuration, quand l'Onema contredit l'Onema

04/01/2013

Les seuils et barrages nuisent-ils à l'auto-épuration des rivières? Quand l'Onema contredit... l'Onema

Dans sa brochure grand public sur la continuité écologique (Onema 2010), l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques compte parmi les effets négatifs des seuils « une diminution de la capacité auto-épuratrice du cours d’eau ». Cette assertion est appuyée par une référence à un travail de Namour 1999 (une thèse de doctorat, que nous n'avons pu nous procurer). Cet argument des seuils, glacis, radiers et autres petits barrages empêchant  l'auto-épuration des cours d'eau est assez fréquemment entendu. Il avait été opposé l'an dernier à la Commune de Semur-en-Auxois par le syndicat de rivière Sirtava et son bureau d'études Cariçaie.

Qu'en est-il au juste ?

Pour répondre à cette question, on dispose d'une référence intéressante : trois chercheurs de l'Onema et du Cemagref (aujourd'hui Irstea) ont produit en 2011 une synthèse des références disponibles sur cette question de l'auto-épuration en lien avec l'hydromorphologie (Oraison et al 2011). Leur travail s'adosse à plus de 70 références scientifiques dont la grande majorité date des années 2000. Il est donc plus complet et plus à jour que la référence choisie par l'Onema pour s'adresser au grand public.

Auto-épuration, eutrophisation : quelques rappels
L'auto-épuration désigne la capacité d'un cours d'eau à éliminer des substances nocives pour la vie aquatique. Le phénomène concerne principalement des nutriments, et notamment les molécules dérivées de l'azote et du phosphore qui sont les principaux responsables de l'eutrophisation. Cette eutrophisation s'inscrit dans le cycle normal de certains plans d'eau. Par exemple un lac totalement naturel sera initialement oligotrophe (pauvre en nutriments), avec une eau très pure et une biomasse faible. Ce lac accumule des matières organiques, qui le feront passer au stade mésotrophe, puis eutrophe. En fin de vie, il devient un marécage et se comble définitivement. (Pour une approche générale voir, outre l'article commenté, Dégrémont 1989 ou Schriver-Mazzuoli 2012).

L'eutrophisation désigne cependant le forçage artificiel et d'origine humaine du contenu en nutriments azotés et phosphorés des rivières. L'excès provient principalement de l'agriculture pour l'azote (engrais, lisier), de l'agriculture, de l'industrie et des effluents domestiques d'épuration pour le phosphore (chimie, parachimie, agro-alimentaire). Si azote, phosphore et matière organique sont indispensables à la vie (base de la chaîne trophique), leur excès induit un déséquilibre en cours d'eau et notamment un excès de végétation (prolifération algale) qui diminue l'oxygène disponible, produit parfois des toxines et nuit globalement à la biodiversité des milieux aquatiques. La charge en nutriments tend à se transporter vers l'aval, et les zones estuariennes et littorales souffrent souvent d'accumulations importantes.

On observe par exemple dans la courbe ci-contre extraite de l'étude que la biodiversité des macro-invertébrés d'un cours d'eau (ordonnées, le nombre de genres) connaît un maximum pour une certaine concentration de phosphore (entre 0,1 et 0,3 mg/l, en abcisses) : le défaut comme l'excès ne seront pas des conditions optimales.

Les trois voies
de l'auto-épuration

Comme on le sait, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme dans la nature. Une rivière peut éliminer des excès de molécules par trois voies d'auto-épuration :

- l'échange physique, qui peut être un transfert gazeux vers l'atmosphère ou un transfert solide vers le sol (sédimentation et adsorption des particules en suspension) ;

- l'échange biologique et chimique, par voie bactérienne ou végétale, aboutissant à la minéralisation des substances concernées ou à leur transformation (absorption par des racines d'arbes en berge, nitrification et dénitrification bactériennes) ;

- l'exportation, qui peut être naturelle (par exemple les émergences d'éphémères qui ont consommé des communautés bactériennes dans leur première phase de vie) ou humaine (faucardage, curage).

Les auteurs rappellent ainsi les travaux de Newbold sur le cycle de vie des molécules, ayant montré qu'en moyenne et sur un petit cours d'eau forestier, une molécule dissoute va parcourir moins de 200 mètres.

Cycles de l'azote et du phosphore
Les cycles biogéochimiques de l'azote et du phosphore sont assez différents. L'azote se caractérise par une phase gazeuse (di-azote atmosphérique) importante dans son cycle, que l'on peut résumer très sommairement ainsi : di-azote > ammoniaque > nitrites > nitrates > di-azote. Un moyen très efficace d'éliminer l'azote en excès des rivières est donc de le transformer en gaz, ce que font des bactéries spécialisées dans la consommation de nitrites et de nitrates (outre le di-azote gazeux, ces bactéries produisent des oxydes nitrique et nitreux). Le processus est appelé dénitrification. L'azote peut aussi être assimilé, adsorbé ou exporté.

Le phosphore en revanche ne connaît pas la phase gazeuse de l'azote, et son élimination est donc plus difficile. Il peut se minéraliser et se sédimenter en phosphates par réactions avec divers ions (fer, aluminium, calcium, etc.), mais ce processus demande des conditions complexes : une eau à la fois calme (pour ne pas transporter rapidement le phosphore) avec de l'oxygène disponible (pour nourrir l'oxydoréduction), deux conditions qui sont rarement remplies de façon simultanée (les eaux stagnantes sont plutôt hypoxiques ou anoxiques, c'est-à-dire pauvres en oxygène dissous). Pour le phosphore (et en partie pour l'azote), l'auto-épuration la plus efficace se fera au niveau des berges, des lits majeurs et des plaines inondables : les rivières y déposent une partie de leurs nutriments en excès lors des crues, et le retrait des eaux permet des processus d'infiltration, adsorption et sédimentation.

Mécanismes complexes,
résultats parfois négatifs de la restauration hydromorphologique

Qu'il s'agisse d'études de terrain ou de modèles, les chercheur de l'Onema et d'Irstea soulignent l'extrême complexité des cycles de l'azote et du phosphore, avec une grande diversité de conditions pour comprendre la capacité auto-épuratrice des rivières. Outre la charge imposée par les activités humaines en intrants, entrent en ligne de compte des facteurs aussi divers que les variations de débit, la nature du substrat, la présence et la largeur de la ripisylve, la nature de la couverture du sol et de la végétation, la forme des écoulements latéraux et longitudinaux, le climat, l'occupation anthropique des sols.

La conséquence en est que l'intervention humaine pour accroître les capacités auto-épuratrices des rivières n'a aucune garantie de résultats, d'autant qu'azote et phosphore demandent des conditions assez différentes voire antagonistes d'élimination. Federica Oraison et ses collègues observent ainsi : «L'évaluation des bénéfices apportés du point de vue des nutriments par la restauration hydromorphologique reste difficile : on observe des variations importantes des résultats obtenus positifs ou négatifs, parfois pour une même méthode. Les expériences montrent tout de même des voies d'exploration à approfondir».

Parmi ces voies, on peut citer : la triple bande en berge (zone arborée non exploitée, zone arbustive exploitée, zone herbacée) formant une zone tampon, la reconnexion des voies secondaires et plaines alluviales, la ralentissement du débit par restauration de méandres améliorant la sédimentation, le retour des arbres et végétations sur une bande rivulaire ou plus large (ripisylve) permettant un stockage direct et un apport organique. Mais ces solutions restent dans une large mesure expérimentales et, comme le rappellent les auteurs, sans garantie de résultat à ce jour.

La meilleure solution reste donc de ne pas sur-solliciter les capacités auto-épuratrices des rivières, c'est-à-dire de limiter avant tout la pollution chimique à la source. Hélas, la France est loin du compte comme en témoigne la procédure de la Commission européenne contre notre pays pour sa mauvaise application de la directive nitrates.

Seuils et barrages : des effets négatifs sur l'auto-épuration observés après arasement
Qu'en est-il des seuils et barrages? Le thème est abordé dans un court paragraphe de l'étude – ce qui ne témoigne pas vraiment du caractère central de la question pour l'auto-épuration des cours d'eau – et il se trouve que dans la seule étude de suivi citée par les auteurs (Ahearn et Dahlgren 2005), le résultat a été négatif.

L'effacement d'un seuil de 3 m formant une retenue de 13.000 m^2 a ainsi rendu la zone exportatrice de phosphore et d'azote par remobilisation des sédiments.  Federica Oraison et ses collègues sont donc obligés de conclure : «Les études post-arasement sont souvent trop récentes ou de trop courte durée pour observer un retour à un fonctionnement non influencé par les travaux». Une conclusion rejointe dans un autre travail récent de Jean-René Malavoi et Damin Salgues : «La cinétique d’épuration est modifiée sans que l’on sache réellement aujourd’hui si les conséquences sont positives ou négatives sur la qualité de l’eau.» (Malavoi et Salgues 2011).

On peut cependant observer que rien, dans le travail des chercheurs, n'indique que les seuils pourraient avoir un effet aggravant sur l'auto-épuration.

Dans le cas de l'azote, c'est même le contraire qui paraît probable au regard de la description physico-chimique et biologique de la dénitrification. Celle-ci demande des écoulements variés, des débits plutôt lents que rapides et des zones anaérobies, trois conditions qu'apportent justement les seuils, glacis et petits barrages de rivière au droit de leur retenue. Le gain est moins manifeste pour le phosphore car si le dépôt particulaire en eaux calmes est favorable, les conditions anoxiques de fond ne le sont pas pour l'oxydoréduction.

Il faut ajouter qu'une retenue de bief bien entretenue conduit à l'exportation de la rivière des nutriments lors des travaux de curage des sédiments. (Sur ce point, il est tout à fait exact que certains propriétaires d'ouvrages manquent à leur devoir d'entretien et la "reconquête des bonnes pratiques hydrauliques" aurait un effet plus directement bénéfique que certains choix de "reconquêtes des milieux aquatiques" à l'assise scientifique encore fragile et au résultats inégaux, voire contreproductifs.)

Inversement, une accélération du débit consécutive à l'arasement systématique des seuils (moindre dissipation de l'énergie cinétique dans les turbulences) formerait une condition défavorable, puisque les nutriments rejoindraient plus rapidement les fleuves et les estuaires, avec une moindre opportunité de métabolisation ou sédimentation.

En conclusion
Si l'on résume les enseignements de cette publication Onema / Cemagref permettant de répondre à la question posée en titre, à savoir le rôle des seuils dans l'auto-épuration :
• les biefs et retenues semblent jouer le rôle d'une "zone tampon" contribuer à stocker des effluents et à en éliminer certains par échanges gazeux / sédimentaires (ou extraction) ;
• leur effacement peut conduire à une aggravation de l'eutrophisation à court terme, éventuellement à long terme ;
• la vitesse d'écoulement du flot est un facteur déterminant de l'auto-épuration et son accélération par suppression des obstacles transversaux à l'écoulement aggraverait plutôt les choses ;
• les opérations de restauration hydromorphologique sont encore à ce jour très expérimentales et la littérature scientifique montre qu'elles donnent parfois des résultats négatifs sur l'auto-épuration ;
• la diminution des intrants (pollution chimique à la source) reste le principal enjeu pour les rivières.

Comme nous avons déjà pu le déplorer à plusieurs reprises (ici et ici), l'Onema tient un double discours selon qu'il s'adresse au grand public et aux décideurs d'un côté, aux chercheurs et ingénieurs de l'autre. Toute autorité en charge de l'environnement a un devoir d'information impartiale, exhaustive et pluraliste des citoyens : on observe que dans le cas de la suppression des  seuils et barrages à fin de continuité écologique, ce devoir est manifestement sacrifié à la justification purement politique de mesures précipitées.

Bien qu'il n'existe à ce jour aucune démonstration scientifique du rôle négatif des seuils dans l'auto-épuration des rivières, et même quelques indices d'un rôle positif, les syndicats de rivière reprennent souvent sur le terrain ce message qu'ils ont entendu sous sa forme simplifiée et non-argumentée. De la même manière, sur les fonds publics des Agences de l'eau et des communes, ces syndicats promettent fréquemment de renforcer l'auto-épuration de la rivière par sa restauration hydromorphologique, alors que les études de terrain comme les modèles incitent à la prudence et la modestie. Ainsi qu'au discernement et à la bonne hiérarchie des priorités dans la dépense d'argent public. (Pour un exemple parmi d'autres en Côte d'Or d'un enthousiasme auto-épurateur un peu déplacé au regard des travaux que nous venons de commenter, voir par exemple Smeaboa 2010 pour le plan Ouche, p.34).

Sur le fond, et c'est bien cela qui importe, le principal problème reste la qualité de nos rivières. La France n'est pas aujourd'hui en état de la garantir, et si l'on en croit le jugement des experts européens, elle n'est pas même en état de la mesurer correctement. Sur les masses d'eaux analysées, les pollutions chimiques restent un problème majeur, malgré les efforts consentis pour les combattre (voir par exemple le diagnostic des bassins Armançon et Haute-Seine). Les Agences de l'eau viennent d'annoncer, avec leur 10e Programme 2013-2018,  une dépense de 1,9 milliard d'euros pour la continuité écologique : au regard du retard français dans les conditions de base de qualité chimique et écologique que l'Union européenne juge prioritaires pour l'eau, cet arbitrage doit faire de toute urgence l'objet d'un débat démocratique.

Références citées
Ahearn DS, RA Dahlgren (2005), Sediment and nutrient dynamics following a low-head dam removal at Murphy Creek, California, Limnol. Oceanogr., 50, 6, 1752-1762.
Dégrémont (1989), Memento technique de l'eau.
Malavoi JR, D Salgues (2011), Arasement et dérasement de seuils. Aide à la définition du cahier des charges pour les études de faisabilité. Compartiments hydromorphologie et hydroécologie, Onema-Cemagref.
Namour P. (1999). Auto-épuration des rejets organiques domestiques. Nature de la matière organique résiduaire et son effet en rivière, Lyon 1, Université Claude Bernard, 164
Onema (2010), Pourquoi rétablir la continuité écologique ?, Journées d'information du 5 mai 2010.
Oraison F, Y Souchon, K Van Loy (2011), Restaurer l'hydromorphologie des cours d'eau et mieux maîtriser les nutriments : une voie commune ?, Onema-Cemagref.
Schriver-Mazzuoli L (2012), La gestion durable de l'eau, Dunod.
Smeaboa (2010), SAGE et contrat de rivière de la vallée de l'Ouche, Diagnostic.