1. Rappel du régime général des installations, ouvrages, travaux, activités (IOTA) en rivières (article R 214-1 Code de l'environnement)
Dans le cadre de la réforme progressive du droit de l'environnement, une nomenclature à visée "universelle" des travaux en rivière a été développée à partir de 1993. Son objectif est simple à comprendre : pour garantir le respect des milieux et pour assurer à chaque propriétaire, exploitant ou gestionnaire une prédictibilité du contrôle administratif, tout chantier mené en berge ou en lit mineur fait l'objet de prescriptions de procédure.
C'est le régime installations, ouvrages, travaux, activités (IOTA). Il est défini par un article de la partie réglementaire du Code de l'environnement, l'art. R 214-1 CE.
Il faut ajouter que si ces mesures IOTA ont pour but premier de protéger les milieux, elles permettent également de prendre en compte les droits des tiers, en particulier des tiers riverains.
Le point qui oppose notre association à l'administration de l'Ain (et à d'autres avant elle) concerne le titre III de cet article, "impacts sur le milieu aquatique ou sur la sécurité publique".
Ce titre prévoit notamment les dispositions suivantes :
3.1.2.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau : 1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (A) ; 2° Sur une longueur de cours d'eau inférieure à 100 m (D). Le lit mineur d'un cours d'eau est l'espace recouvert par les eaux coulant à pleins bords avant débordement.
3.1.5.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d'alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens, ou dans le lit majeur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères de brochet :La différence entre une simple déclaration (D) et une autorisation (A) tient à l'importance du chantier. Elle va impliquer une procédure plus lourde en cas d'autorisation (étude d'incidence, enquête publique, cf art. R 214-6 CE). C'est assez logique : un propriétaire ou un gestionnaire peut difficilement modifier une zone importante de la rivière sans garantir à la société les bonnes pratiques de son chantier. Les seuils fixés par le Code sont 100 m de profil en long ou en travers, et 200 m2 de frayères (sans qu'il soit précisé les espèces en fraie).
1° Destruction de plus de 200 m2 de frayères (A) ; 2° Dans les autres cas (D).
2. Pourquoi les chantiers d'effacement d'ouvrages hydrauliques doivent respecter le régime IOTA
L'effacement d'un ouvrage hydraulique est une opération lourde, qui fait intervenir des engins mécaniques en berge et généralement sur le lit mineur. Par ailleurs, cette opération modifie l'équilibre en place de la rivière. Parfois, les ouvrages sont de création récente. Le plus souvent, ce sont des ouvrages présents depuis plusieurs siècles autour desquels le vivant (comme la société) s'est ré-organisé.
L'effacement des ouvrages, en vertu de ses objectifs affichés, a des effets sur le site : il modifie le transit des sédiments, la nature des substrats, le régime local des crues et étiages, la hauteur, largeur et vitesse de l'écoulement, les échanges avec la nappe. Outre le lit mineur et sa berge, l'effacement tend également à modifier le régime d'annexes hydrauliques (biefs, canaux) qui hébergent aussi des espèces. Enfin, des sédiments de la retenue sont remobilisés, et ils peuvent être pollués (outre l'impact de colmatage sur les frayères aval).
Il ne fait donc aucun doute qu'il existe un "impact sur les milieux aquatiques", objet du régime IOTA, titre III de l'article R214-1 CE. Bien sûr, l'objectif du chantier est présumé être favorable aux milieux. Mais cette "bonne intention" n'est pas une preuve de qualité, de bien-fondé et de succès du chantier. Elle n'est pas non plus une garantie de l'absence d'effets secondaires mal anticipés faute d'une préparation sérieuse. Le régime d'autorisation et d'enquête publique vise à contenir ces risques.
Il existe également un enjeu sur la "sécurité publique", deuxième objet du titre III de l'article R214-1 CE. En effet, un ouvrage hydraulique modifie le régime de l'érosion. Pour un très petit ouvrage, cela ne prête pas forcément à conséquence (encore que certains protègent spécifiquement des piles de pont, par exemple). Pour un ouvrage plus important, cela peut entraîner des déstabilisations de bâtis ou de berges. Il faut donc que l'étude d'incidence apporte aux tiers dans l'influence du remous liquide et solide de la retenue la garantie d'une absence de risques.
Enfin, il faut ajouter que l'intervention sur les ouvrages hydrauliques a très souvent des enjeux connexes d'usage qui justifient une attention particulière, et légitiment le recours à une enquête publique :
- proximité de sites classés ou inscrits aux monuments historiques ou signalés comme patrimoine remarquable des documents d'urbanisme;
- développement d'usages autour de la retenue ou de la chute (pêche, canyoning, réserve incendie, baignade, pompage ou AEP à l'amont, etc.).
La plupart des chantiers d'effacement d'ouvrage un peu important font l'objet d'une autorisation et donc d'une enquête publique. Mais pas tous. Certains gestionnaires se plaignent du régime IOTA, à leurs yeux trop lourds quand il s'agit de faire des chantiers de destruction de seuils et de digues, ou de restauration morphologique (voir par exemple cet échange sur un forum sur le bassin Rhône-Alpes).
Il se trouve qu'un député (Jacques Cresta) et un sénateur (Gilbert Bouchet) ont questionné le Ministère de l'Environnement à ce sujet. Voici la réponse, en septembre 2016.
"La restauration de la continuité écologique des cours d'eau est un axe important pour l'atteinte du bon état des eaux préconisé par la Directive cadre sur l'eau de 2000. Sa mise en œuvre, tout comme l'importance du rôle des collectivités territoriales dans sa mise en place ne peut être négligée. Les travaux effectués sur un cours d'eau, qu'ils soient de renaturation ou d'artificialisation peuvent avoir un impact plus ou moins significatif sur celui-ci ou sur les terrains riverains et usages associés. Il est donc justifié que les travaux de restaurations morphologiques des cours d'eau soient soumis à des procédures d'autorisation ou déclaration au titre de la loi sur l'eau. Les rubriques de la loi sur l'eau ont plutôt été créées en principe pour gérer les travaux d'artificialisation. Il pourrait être considéré que certaines opérations de restaurations morphologiques relèvent plus de la remise en état qui pourrait bénéficier d'une procédure adaptée. Toutefois, pour le moment cette question n'a pas de solution clairement établie. Elle pourrait s'inscrire dans les réflexions menées sur les réformes de simplification du droit de l'environnement dans le cadre des états généraux pour la modernisation du droit de l'environnement (EGMDE)."Donc clairement (et pour une fois logiquement), le Ministère souligne que la motivation d'un chantier (renaturation ou artificialisation) ne permet pas de s'affranchir des obligations liées à son impact immédiat par rapport aux milieux, aux propriétés ou aux usages.
4. Ce que le Conseil d'Etat a posé en 2012 (CE n°345165, 14 novembre 2012)
Certains avancent que les règles découlant de l'article L 214-17 CE et suivant (sur la continuité écologique) ne sont pas les mêmes que celles découlant de l'article L 214-1 CE et suivants (sur le régime d'autorisation des ouvrages, de modification ou d'abrogation de cette autorisation).
Notons d'abord que cette interprétation ad hoc n'a pas de sens par rapport à la protection des milieux et des droits des tiers, qui est la finalité de l'autorisation et de l'enquête publique : ce n'est pas le motif du chantier qui compte, mais sa nature et son effet. Et, comme le Ministère l'a retenu dans sa réponse aux parlementaires, cette interprétation n'a pas de fondement pour le moment, aucune "procédure adaptée" permettant d'échapper au régime IOTA n'étant spécifiée dans le Code de l'environnement.
Il se trouve que dans le cadre d'un contentieux de la FFAM contre la circulaire de 2010 sur le Plan de restauration de continuité écologique, le Conseil d'Etat a traité la question dans un de ses considérants. Les hauts magistrats ont en effet noté :
"Considérant qu'il résulte des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement que les travaux réalisés à des fins non domestiques entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts, directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, sont soumis à autorisation ou à déclaration ; que la circulaire décrit dans la fiche n° 2 de son annexe II la procédure à suivre pour démanteler les ouvrages dont la présence et l'usage sont définitivement remis en cause et pour remettre en état les cours d'eau ; que, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, il résulte des dispositions de cette fiche que ces travaux devront être exécutés conformément aux dispositions des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement, selon la procédure d'autorisation ou de déclaration et non dans le cadre de la procédure simplifiée par modification d'autorisation, le cas échéant avec fixation de prescriptions complémentaires telle qu'organisée par l'article R. 21 4-18 du même code ; que la requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la circulaire attaquée aurait méconnu les articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement"Le Conseil d'Etat a donc rappelé que des autorisations, modifications ou abrogations d'autorisation impliquent des travaux qui devront se faire "selon la procédure d'autorisation ou de déclaration et non dans le cadre de la procédure simplifiée par modification d'autorisation".
5. Ce que l'aspiration élémentaire à la justice commande
L'Etat démocratique existe pour protéger les citoyens face à l'arbitraire et à l'injustice, c'est une de ses fonctions régaliennes les plus ancestrales et les plus essentielles. Si, au nom d'on ne sait quelle idéologie de la nature placée au-dessus du débat et de la critique, ou au nom d'une boursouflure réglementaire rendant le droit illisible aux citoyens et changeant les règles à chaque cas particulier, l'Etat commence à propager cet arbitraire et cette injustice, il perd toute légitimité.
Il est finalement regrettable, et détestable, que l'on soit obligé de chercher des argumentations aussi complexes pour poser des choses aussi simples : quand une règle existe, tout le monde la respecte. Une règle dit que si l'on modifie 100 ml ou davantage du profil en long ou en travers d'une rivière, on doit avoir une autorisation et soumettre son projet à l'enquête publique. Cette règle vaut pour les hydro-électriciens, les propriétaires de moulin, les gestionnaires d'étang, les fédérations ou associations de pêche, les syndicats et EPTB, les parc naturels régionaux, et tout le monde, y compris l'administration quand elle commande par ses décisions une obligation de chantier en rivière.
Des centaines de travaux d'effacement d'ouvrages ont respecté cette obligation, on ne voit pas au nom de quel régime d'exception d'autres voudraient s'en abstenir. Il est incroyable que, face à l'opposition de plus en plus claire des citoyens à la destruction de leur cadre de vie au nom de la continuité écologique, certains en soient à imaginer que l'on pourrait créer un régime spécial ou une procédure adaptée permettant d'éviter l'enquête publique et donc la libre critique des citoyens !
Nous avons récemment rappelé, en le déplorant, que l'opposition à la casse des ouvrages suscite des conflits de plus en plus forts, et parfois même des violences. L'administration doit cesser de pousser ainsi les gens au désespoir et à la colère en persistant dans le déni démocratique qui entoure cette réforme depuis le PARCE 2009. Et les parlementaires doivent saisir le gouvernement de cette dérive que rien ne semble contenir, notamment pas les appels répétés à cesser la casse du patrimoine par la Ministre de l'Environnement.