21/03/2016

Lettre ouverte aux députés Dubois et Vigier sur certains oublis de leur rapport

L'association Hydrauxois et l'Association de sauvegarde des moulins et rivières de la Sarthe avaient été auditionnées par les députés Dubois et Vigier pour leur enquête parlementaire sur les continuités écologiques aquatiques. Mais elles ne figurent pas dans la liste des organismes consultés et, plus gravement, la plupart des points mis en avant ont été gommés du rapport. La réussite de la continuité écologique est impossible sans la participation des premiers concernés, à savoir les maîtres d'ouvrage et les riverains. Ce n'est pas en écartant leurs témoignages et leurs arguments que l'on parviendra à quoi que ce soit, sinon un blocage complet de la réforme. 

Madame la députée Françoise Dubois
Monsieur le député Jean-Pierre Vigier,

Nous avons apprécié certaines propositions  retranscrites dans le rapport n°3425 de la Commission de développement durable sur Les continuités écologiques aquatiques, paru en janvier 2016. En particulier, nous partageons votre volonté de
  • recentrer  la mise en œuvre prioritaire de la continuité écologique sur les axes grands migrateurs,
  • ne pas fixer un objectif a priori d’effacement des ouvrages comme solution préférentielle,
  • proposer un financement à 100 % des frais d’aménagement des propriétaires lorsque des travaux seront jugés utiles (après étude d’impact).
En Sarthe,  confrontés à la volonté d’effacement de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, et plus particulièrement à l’acharnement  de M. Jean-Paul Doron (vice-président  du comité de bassin),  nous apprécions particulièrement l’écoute  de Madame la Députée Françoise Dubois pour pondérer cette situation conflictuelle et nous espérons que la proposition de rencontrer Mme Pompili sur le terrain se concrétisera. Mais les problèmes de la Sarthe s’observent aussi bien sur d’autres bassins, comme celui de Seine-Normandie où la prime à la destruction des ouvrages est systématique et où presque tous les maîtres d’ouvrage sont insolvables à hauteur de ce qui est leur est demandé.

Cependant, nous observons que votre rapport est encore loin de refléter l’ensemble des observations et contributions faites.

Vous avez accepté par courrier du 29 mai 2015  le principe d’une contribution écrite valant audition de M. Charles-François Champetier, agissant en tant que président de l’association Hydrauxois et porte-parole de l’Observatoire de la continuité écologique. Vous avez accusé réception de sa contribution le 26 juin 2015. Pour le même rapport, vous avez effectué une réunion sur le terrain le 22 octobre 2015 au Moulin de La Lande à Vivoin, chez M. Arsène Poirier, président de l’Association de sauvegarde des moulins et rivières de la Sarthe (ASMR 72).

Nous observons que ces éléments ne sont pas mentionnés dans la liste des contributions au rapport et, plus gravement, que les informations communiquées à ces occasions n’y sont pas reprises.

Les points suivants vous ont notamment été exposés, et sont absents du rapport :

  • l’existence de rivières de contournement dans près de 70 % des ouvrages de la Sarthe, dispositifs de contournement en place, parties intégrantes du système hydraulique liés aux ouvrages, assurant la continuité piscicole sans destruction de seuils ni investissement inutile en passes à poissons. M. Poirier a remis en mains propres un dossier  sur les bras de contournement à MM Riguidel,  Doron, Nouvel (DDT Sarthe) ainsi qu’à Mme Dubois ;
  • le démenti concernant la méconnaissance des obligations des droits et devoirs des propriétaires de moulins, alors que nos adhérents sont régulièrement informés de l’ensemble des obligations réglementaires malgré l’extrême complexité du droit de l’environnement ;
  • l’absence intolérable de représentation des associations de moulins, riverains, protecteurs du patrimoine des rivières dans les Comités de bassin et les commissions techniques (Comina) des Agences de l’eau, ainsi que dans nombre de Commissions locales de l’eau des SAGE, comités consultatifs des MISEN ou des DIG portant sur plusieurs ouvrages en rivières classées L2 ;
  • le manque de motivation scientifique des réformes de continuité écologique et de certains de leurs outils (comme le taux d’étagement), alors que de nombreux travaux, dont certains de chercheurs français, montrent soit le faible impact des ouvrages sur la qualité piscicole au sens de la DCE 2000 (Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) soit la faiblesse très problématique des protocoles de suivi de opérations de restauration morphologique (Morandi et al 2014) ;
  • l’insécurité permanente face à l’arbitraire interprétatif des services déconcentrés de l’Etat et l’inégalité patente devant les charges publiques, car chaque Agence de l’eau, chaque DDT(-M) et chaque service Onema procède à des interprétations différentes des enjeux de continuité comme à des financements différents des mises en conformité ;
  • le manque de transparence, d’efficacité et de légitimité des Agences de l’eau, qui tendent à créer dans les SDAGE des interprétations du droit de l’environnement allant très au-delà des textes de loi, qui ne publient pas les données sources des états des lieux écologiques et chimiques de chaque masse d’eau, qui sont même, dans le cas de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, incapables de donner un état chimique du bassin en 2015 malgré l’obligation qui leur en est faite par la transposition DCE de 2004 et par le droit à l’information environnementale des citoyens, garanti par la Constitution.

Madame la députée,
Monsieur le député,

En tant que défenseurs des moulins et autres ouvrages hydrauliques, souvent présents depuis des siècles, nous représentons des personnes qui vivent à côté des rivières, qui subissent leur loi, qui connaissent leur histoire et qui respectent leur vie.  Nous recevons et transmettons la mémoire de cette longue occupation humaine de nos vallées, dans le respect des patrimoines naturels et culturels.

Améliorer la circulation des poissons s’il existe des menaces avérées d’extinction, optimiser le transport sédimentaire s’il existe des déficits avérés de charge solide, nous n’y sommes nullement opposés.  Et au-delà, nous souhaitons une lutte contre les pollutions qui dégradent notre cadre de vie en même temps qu’elles affectent tous les milieux aquatiques.

Vous nous avez rencontrés, vous nous avez lus. Nos associations, comme des centaines d’autres en France, ne critiquent pas la réforme de continuité écologique au nom d’on ne sait quel conservatisme ou obscurantisme.

Elles la critiquent car la mise en œuvre actuelle de cette réforme est faible dans ses fondements scientifiques, expérimentale dans ses chantiers donc très incertaine dans ses résultats, coûteuse dans ses réalisations, distante des préoccupations environnementales des citoyens et coupée des réalités de terrain, ignorante des services rendus par les écosystèmes aménagés et, au final, trop souvent éloignée du véritable intérêt général commandant d’améliorer les milieux aquatiques sans pour autant sacrifier les dimensions économiques, culturelles, sociales et historiques de nos rivières.

Enfin, nous attachons une grande valeur au rôle du Parlement dans la vie de notre démocratie. C’est particulièrement vrai quand les dérives d’une interprétation administrative de la loi commandent aux citoyens de saisir leurs représentants démocratiquement élus, dépositaires de la volonté générale.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que déplorer le caractère incomplet de votre rapport, la non-prise en compte de certaines de nos observations essentielles, le sentiment d’abandon et de révolte qui continue d’animer nos adhérents, et bon nombre de riverains exposés aux conséquences indésirables des excès de la politique de continuité.

Nous retenons votre proposition de continuer le travail sur cette réforme dont la mise en œuvre est aujourd’hui bloquée par les positions extrêmes de la Direction de l’eau et de la biodiversité du Ministère de l’Environnement comme par les dérives interprétatives de certaines Agences de l’eau.

Avec nos respectueuses salutations,

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